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Mise à jour :
8 août 2023 Anglais

Les témoignages sont unanimes : l'armée rebelle ne s'est jamais livrée comme ses adversaires à des massacres systématiques de civils

Fiche Numéro 3553

Numéro
3553
Auteur
Narcy, Jean-Claude
Auteur
Rybinski, Gauthier
Auteur
Joachim, Manuel
Auteur
Soboul, Lucie
Auteur
Berrou, Loïck
Auteur
Verdiani, Lisa
Auteur
Anglade, Michel
Auteur
Gosset, Ulysse
Date
22 juillet 1994
Amj
19940722
Heure
20:00:00
Fuseau horaire
CEST
Surtitre
Journal de 20 heures [21:43]
Titre
Les témoignages sont unanimes : l'armée rebelle ne s'est jamais livrée comme ses adversaires à des massacres systématiques de civils
Soustitre
Bernard Kouchner : « Le FPR doit comprendre que c'est sa crédibilité qui est en jeu : il faut rétablir la confiance pour que les réfugiés rentrent chez eux ».
Taille
66247567 octets
Source
TF1
Fonds d'archives
INA
Type
Journal télévisé
Langue
FR
Résumé
- Au Rwanda les équipes humanitaires sont débordées, les médecins des camps de réfugiés impuissants à endiguer l'épidémie de choléra.
- 150 000 à 200 000 réfugiés rwandais risquent d'être victimes du choléra. C'est ce qu'affirme sur place un épidémiologiste. Les médecins des camps sont débordés, impuissants à endiguer l'épidémie. Résultat : ils sont souvent contraints d'attendre la phase ultime pour intervenir faute de logistique suffisante.
- Au Zaïre, le rivage paisible du lac Kivu et l'apparente nonchalance des gens cache la tragédie des réfugiés rwandais. L'eau est sale et ils n'ont d'autre choix que de la boire. Le résultat : des charniers à n'en plus finir. Le choléra tue sans distinction d'ethnie. Il progresse tellement rapidement que les employés locaux des organisations humanitaires passent le plus clair de leur temps à jeter les cadavres dans des fosses communes.
- Les militaires français de Goma se sont transformés en fossoyeurs. Et lorsqu'ils le peuvent, ils opèrent sans discontinuer. Ils sont là aussi pour rappeler que ce malheur n'est pas une fatalité, qu'il est avant tout le fruit de la guerre.
- Le Rwanda est désormais calme mais son peuple meurt en masse au Zaïre. Au milieu de ce chaos, des militaires rwandais de l'ancien régime. Partiellement responsables des massacres de ces derniers mois, ils déambulent sur les routes, cherchant à poursuivre le combat et à attiser la haine parmi leurs frères. Mais le cœur n'y est plus. Ces Hutu, dont certains ont du sang sur les mains, sont anéantis par l'horreur qui se retourne aujourd'hui contre eux. La catastrophe n'a plus de borne. Beaucoup l'avait prévue, mais personne ne croyait qu'elle prendrait l'allure de l'apocalypse.
- Il y a une immensité de réfugiés qui jusqu'à présent pensaient que le nouveau pouvoir à Kigali, le FPR, était un boucher sanguinaire. Il y a eu une propagande acharnée en ce sens, une radio, la Radio des Mille Collines, qui a toujours persuadé les gens que s'ils restaient chez eux, ils seraient massacrés. Aujourd'hui il y a un léger revirement. Mais ce n'est pas parce que le FPR ne leur fait plus peur, c'est parce que les réfugiés se sentent profondément et désespérément abandonnés par la communauté internationale qui n'a pas fait grand-chose jusqu'à présent.
- Florence Parent de MSF : "Pour l'instant, au niveau de MSF, on doit être une dizaine de médecins et beaucoup de personnels infirmiers. Également du personnel local. Mais de toute façon c'est nettement insuffisant par rapport à l'ampleur de la situation. À Munigi pour l'instant, il y a réellement une sélection naturelle qui se fait. C'est-à-dire que tous les enfants, tous les vieillards meurent à Munigi. Le matin quand on arrive au camp, la première chose que l'on fait c'est ramasser les morts. On passe deux heures, toute l'équipe, à ramasser les morts. Ce matin encore, on en a ramassé au moins 200. Ensuite on essaie d'un petit peu ranger le camp et de commencer à prendre en charge les patients. Mais on est tout à fait dépassé par la situation. […] Nos principaux besoins c'est la réhydratation. C'est réhydrater les gens et mettre des points d'eau".
- Edouard Balladur a réuni ce matin plusieurs membres de son gouvernement pour une réunion consacrée au Rwanda. Il a demandé à deux de ses ministres, Philippe Douste-Blazy et Lucette Michaux-Chevry, de se rendre sur place pour y déployer l'aide médicale de la France.
- Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la Santé : "Comme ce sont des populations qui manquent d'eau nous allons amener énormément d'équipements d'eau pour faire boire un million de personnes. Car le principal risque aujourd'hui c'est l'épidémie de choléra. Il y a un mort par minute aujourd'hui chez ces populations réfugiées et déplacées. Donc j'ai demandé aux compagnies privées françaises, distributrices d'eau, de nous donner gratuitement du matériel. Ce qu'elles ont fait. Deuxièmement des médicaments et des produits de réhydratation. […] Je crois qu'il est très important que les pays européens, que les États-Unis se mobilisent pour une solidarité internationale. Il peut y avoir une faillite humanitaire s'il y a une faillite de la communauté internationale. Mais ce n'est pas une faillite humanitaire aujourd'hui. C'est une faillite de la solidarité internationale. Et je crois qu'il faut que, les uns et les autres, tous les Européens, les Américains, tous les pays riches comprennent qu'il faut aller là-bas pour sauver ces gens".
- Interview de Bernard Kouchner par Jean-Claude Narcy. Bernard Kouchner : - "Je pense qu'on croit avoir atteint le comble de l'horreur et puis c'est jamais atteint. Et puis je sais, malheureusement, qu'il faut ces images pour faire réagir l'opinion publique et réagir plus encore les politiques. Et c'est cette zone rouge insupportable qu'il faudrait un jour briser. Il faut que l'horreur s'installe chez nous pour qu'enfin on se dise : 'C'est notre responsabilité'". Jean-Claude Narcy : - "Vous allez repartir la semaine prochaine au Rwanda. Vous êtes un homme les mains vides. À quoi ça peut servir ?". Bernard Kouchner : - "Si je suis les mains vides je n'y repartirai pas ! Mais il y aura cette réunion de la Commission du développement et de la Commission de Bruxelles, lundi [25 juillet], sur le Rwanda. Et j'espère qu'il se dégagera d'autres moyens ! Il y a déjà beaucoup d'argent ! Près de 100 millions d'écus qui ont été donnés pour le Rwanda. Il y en aura d'autres et il y aura un plan d'urgence. Il faut surtout s'occuper du retour de ces réfugiés. L'Europe est concernée ! Il y a des moyens qu'on connaît en Europe. Il y a les sécurités civiles, il y a du génie, il y a les Bioforces, en tout cas françaises ! Il faut absolument que les gouvernements se bougent. C'est notre responsabilité. Et singulièrement de la France, bien sûr. Mais l'Europe peut faire beaucoup. Les ONG font ce qu'elles peuvent ! Mais il faudrait des millions de litres d'eau ! Et il y en a 200 000 [réfugiés]. Qui n'a pas vu un enfant atteint du choléra mourir dans ses mains en une heure ne se rend pas compte de la vitesse de l'urgence pour chacun de ces cas. C'est pas possible de les traiter ! Il faut essayer de le faire, il faut le faire ! Mais il faut surtout qu'ils reviennent chez eux".
- Plusieurs membres du gouvernement rwandais doivent arriver à Goma, ce soir, pour tenter de convaincre les réfugiés de rentrer chez eux. Pas facile lorsque la peur tourne au fantasme collectif, lorsqu'elle est entretenue par la propagande à la radio, où l'on évoque le FPR qui pollue les eaux, qui éventre les femmes enceintes.
- Depuis le lundi 4 juillet, le jour de la prise de Kigali, ils se sont mis en marche par dizaines de milliers. Butare, Ruhengeri, Gisenyi, au fur et à mesure de l'avancée du FPR, le flot s'est grossi pour atteindre trois millions de personnes en moins de 15 jours. Un exode sans précédent. Leur seul moteur : la peur. Une peur qui tient en trois lettres : FPR, Front patriotique du Rwanda.
- Une peur justifiée quand on est milicien hutu ou soldat de l'armée gouvernementale. Quand on a sur les mains le sang du génocide. Ceux-là sont condamnés par le FPR. Ils le savent et ont entraîné dans leur fuite une population que jusqu'alors ils protégeaient, et qui leur sert aujourd'hui de bouclier. Ils avaient tout intérêt à diaboliser les rebelles.
- Le FPR, certes, a aussi procédé dans les zones qu'il contrôle à des déplacements massifs de population, comme à Bugesera. Certes il a recouru dans ces camps ou stades, où il regroupe les rares Hutu qui n'ont pas fui, à des exécutions sommaires. Mais les témoignages sont unanimes : l'armée rebelle ne s'est jamais livrée comme ses adversaires à des massacres systématiques de civils.
- Cela, les milliers de victimes de l'exode et du choléra ne le savaient pas. Ils ont obéi à une peur panique nourrie par la rumeur et par une voix : celle de Radio Mille Collines. Émettant depuis Kigali puis Gisenyi, la radio des milices hutu déversait depuis trois mois un flot de haine et de propagande sur une population affolée et largement analphabète. C'est elle qui a conduit la foule vers l'exil du Zaïre. C'est la fuite ou la mort disait alors Radio Mille Collines. À Goma aujourd'hui, la fuite et la mort se sont rejointes.
- Jean-Claude Narcy reprend son interview avec Bernard Kouchner. Jean-Claude Narcy : - "Aujourd'hui que peuvent faire les médecins sur place ?". Bernard Kouchner : - "D'abord arrêter cette radio ! Faire taire ces assassins ! C'est eux qui ont préparé le génocide ! C'est une mesure d'assistance à personnes en danger ! Une mesure internationale nécessaire! Arrêter cela ! Je les connais, je les ai vus, j'ai été parler dans cette radio ! Il faut les arrêter. Ce sont les responsables en partie de ce qui s'est passé. Et puis, encore une fois, la solution gouvernementale française ! Il y a une action humanitaire avec des moyens qu'on connaît bien : Bioforce française militaire et civile, service européen civil. C'est d'ailleurs ces unités civiles qui ont des moyens différents des ONG ! Il y a des unités du génie, il y a tous ces moyens dont on peut disposer à côté des ONG. Mais surtout, même si on doit essayer de sauver des vies, il faut établir ce qu'on a déjà fait au Kurdistan ! L'armée française sait très bien le faire ! Avec le FPR ! Avec évidemment un accord politique et aidé par la MINUAR, établir des relais humanitaires ! Rétablir la confiance pour que ces gens rentrent chez eux dans un pays où il y a de l'eau qui n'est pas polluée, où il y a des maisons où ils vivaient tranquillement. C'est-à-dire un confort médical, un confort matériel et une protection pour les inciter à rentrer chez eux. […] Le FPR, le nouveau gouvernement de Kigali, doit comprendre que c'est sa crédibilité qui est en jeu. On va pas refaire l'Histoire, on va pas s'intéresser aux fautes passées, ni ce dont la France est responsable, ni ce que le FPR a fait, ni le génocide. C'est pour plus tard ça. Mais en attendant, il faut comprendre pourquoi ces gens ne veulent pas rentrer chez eux et leur redonner suffisamment confiance. Il faut qu'avec les chefs locaux, avec une incitation politique de proximité, on leur rende suffisamment de confiance pour qu'ils rentrent chez eux à travers ces relais humanitaires disposés avec les soldats français. Sinon c'est une hécatombe par dizaines ou centaines de milliers de plus ! Et comme si d'un côté après le génocide il y avait cette punition incroyable qu'était le choléra, qui n'est pas intervenu depuis si longtemps".
- Le siège de Médecins sans frontières est en ébullition. Le téléphone ne cesse de sonner : 3 000 appels depuis hier [21 juillet]. Mais seulement 150 médecins prêts à partir et 400 infirmières. La plupart n'ont aucune expérience de l'humanitaire. Avant d'être choisis, les médecins doivent répondre aux questions des responsables de MSF. Un entretien qui permet de mieux les connaître et de savoir s'ils feront face aux situations sur le terrain. Dernière étape avant le grand départ : une réunion où l'ensemble des opérations et de la logistique est expliqué. Car la première des missions sur place sera de s'organiser pour être efficace.
- Selon le ministère des Affaires étrangères, la France exclut une prolongation de son intervention au-delà du 22 août, date à laquelle expire le mandat de deux mois que lui a confié l'ONU. L'ONU comme les Américains voudraient bien que le gouvernement français prolonge cette opération Turquoise. À Paris on étudie d'ailleurs la possibilité de renforcer le volet humanitaire de notre action.
- À Washington, Bill Clinton a décidé une augmentation immédiate et massive aux réfugiés rwandais. Le Pentagone va accroître le nombre de vols humanitaires. Et puis 20 millions de sachets de sel de réhydratation seront envoyés dans les 48 heures pour lutter contre le choléra.
- "Un Rwandais meurt chaque minute dans les camps" a expliqué le Président aux Américains en demandant à toute la nation de se mobiliser. "Nous sommes confrontés à un drame effrayant" a dit Clinton. "L'afflux des réfugiés à travers les frontières a créé ce qui pourrait être la crise humanitaire la plus grave de toute une génération".
- Une cellule d'urgence travaille déjà à la Maison-Blanche en liaison avec les généraux du Pentagone. Pour donner à boire, à manger, pour soigner les réfugiés, Washington débloque 100 millions de dollars, 500 000 millions de francs environ. Un pont aérien devrait être mis en place 24 heures sur 24 entre Francfort en Allemagne et l'Ouganda, où une base logistique sera installée.
- Le dispositif américain est actuellement de 1 500 hommes. Mais pas question pour Bill Clinton d'envoyer des soldats au Rwanda pour l'instant. Pas question de parler de relève des soldats français. Le Président des États-Unis s'engage mais il va aussi tout faire pour éviter d'être pris dans un engrenage à la somalienne.