Date : 11 mai 1994
Auteur : Juppé, Alain
Titre : « La France et les États-Unis face aux défis d'aujourd'hui », Washington, Université John Hopkins - Réponse à une question à propos du Rwanda
Journal/Source : Quai d'Orsay
Fonds : Pol. Etrang.
Commentaire : Après que François Mitterrand ait déclaré à la télévision le 10 mai 1994 « Nous ne sommes pas destinés à faire la guerre partout, même lorsque c'est l'horreur qui nous prend au visage », Alain Juppé, le lendemain lors d'une conférence à l'Université John Hopkins à Washington, surenchérit en répondant à une question de l'ambassadeur du Sénégal à propos du Rwanda : « Je ne crois pas que la communauté internationale puisse aller faire la police partout sur la planète et envoyer, partout où les gens se battent, des forces d'interposition. » Alors que pour Mitterrand la France n'a pas à intervenir, pour Juppé c'est la communauté internationale qui n'a pas à intervenir. On devrait donc laisser massacrer en paix. Rien ne peut être reproché selon lui à la France qui avait envoyé il y a un an « 800 hommes environ qui s'interposaient entre les deux factions ». Curieuse façon de maquiller le soutien militaire français aux FAR. Après l'arrivée des Casques bleus et le retrait des militaires français, Juppé prétend qu'« un gouvernement de réconciliation nationale s'est mis en place ». C'est faux. Le gouvernement prévu par les accords d'Arusha n'a pas été mis en place et quand Habyarimana a fini par accepter de le faire, il a été assassiné le soir-même. Pendant que les extrémistes massacraient les Tutsi et les partisans des accords de paix, un gouvernement a été formé sous les auspices de l'ambassadeur de France, donc de Juppé, ne comprenant que des extrémistes hutu, alors que cinq portefeuilles ministériels devaient être attribués au FPR. Alors que la France a envoyé des troupes pour évacuer les Blancs, Juppé déclare : « C'est vrai qu'on nous reproche de ne pas avoir débarqué en force pour nous interposer entre les combattants. » Dans cette situation qu'il reconnaîtra comme un génocide le 18 mai 1994, parler de « combattants » n'est pas le terme approprié. Les Tutsi du Rwanda n'ont jamais été en guerre contre les Hutu. Ils n'ont pas d'armes et se font exterminer. Si le FPR s'est mis à combattre, c'est pour s'opposer aux massacres déclenchés par l'armée rwandaise et les milices aussitôt après l'attentat contre le président. S'interposer entre le FPR et les tueurs reviendrait à protéger ces derniers. C'est la mission qu'Alain Juppé voulait assigner aux Casques bleus de la MINUAR II mais les Etats-Unis s'y sont opposés. Ce sera la mission non officielle de l'opération Turquoise. En effet, c'est l'avancée du FPR qui fait sortir Juppé de la « passivité coupable ». Si les massacres l'avaient vraiment horrifié, il se serait opposé au retrait des Casques bleus qu'il a prôné et fait voter le 21 avril 1994 au Conseil de sécurité.
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