Fiche du document numéro 11787

Num
11787
Date
Jeudi 5 avril 2007
Amj
Auteur
Fichier
Taille
531219
Titre
L'un des témoins clés du juge Bruguière se rétracte
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
*entretien*
Avec Abdul Ruzibiza, transfuge du Front patriotique rwandais et auteur
d'un livre choc (/Rwanda, l'histoire secrète/, éditions Panama),
Emmanuel Ruzigana est l'un des témoins clés invoqués par le juge
d'instruction français Jean-Louis Bruguière. Ce dernier, rappelons-le, a
lancé en décembre dernier un mandat d'arrêt contre le président Kagame
et plusieurs de ses proches, les accusant d'être membres d'un groupe
d'élite tenu pour responsable de l'attentat qui, le 6 avril 1994, coûta
la vie au président Habyarimana et à son collègue du Burundi.
D'après le juge, Ruzigana aurait, dans son véhicule, amené le groupe
jusqu'au site de Masaka, d'où partit le tir fatal. Mais Ruzigana,
aujourd'hui réfugié en Norvège et de passage à Bruxelles récemment, a
nié les assertions qui lui ont été attribuées devant /Le Soir/ et les
caméras de la RTBF. Ce grand gaillard maigre a déclaré qu'il ignorait
l'existence d'un commando de la mort et ne pouvait donc y avoir
appartenu. Il précise aussi qu'/« au moment du drame, il ne se trouvait
même pas à Kigali, mais dans un camp militaire dans le nord-est du
Rwanda »/. Etrange... Dans la déposition retenue par le juge
anti-terroriste, ces propos figurent pourtant, dûment enregistrés.
*Décrivez-nous votre parcours*/./
/C'est grâce à mon ex-ami Abdoul Ruzibiza que je suis arrivé en France.
Démobilisé après la guerre, j'avais été affecté à la police. Mais je
voulais vivre autre chose, aller à l'étranger. Ruzibiza m'a alors
conseillé de partir sur la Tanzanie. A l'ambassade de France, on m'a
donné un visa pour Paris. A mon arrivée, des policiers m'attendaient à
l'aéroport et m'ont emmené chez le juge. Tout allait si vite que je leur
ai dit : je suis arrêté ? Heureusement, j'avais demandé à un ami qui
m'attendait de me suivre./
*Comment s'est passée votre audition avec le juge ?*
Alors que je ne parle pas français, il n'y avait pas de traducteur,
seulement une secrétaire. Je comprenais plus ou moins les questions et
tentais de m'expliquer. Le magistrat m'a demandé d'où je venais, combien
de temps j'avais passé dans l'armée. En enchaînant, il m'a demandé si je
faisais partie des escadrons de la mort. J'ai répondu que cela n'avait
pas existé au Rwanda. Il m'a ensuite interrogé à propos de l'attentat.
Comme je n'avais rien à répondre, il a insisté en disant que je faisais
partie du service de renseignements du FPR. Je lui ai dit que j'avais
fait partie de ce service mais que, chez nous, on a les informations à
propos du service auquel on appartient, sans plus. Il m'a ensuite
interrogé à propos des officiers supérieurs, afin que j'explique comment
ils avaient procédé pour massacrer les gens. C'est là que l'entretien a
mal tourné, car je lui ai dit qu'aucun officier supérieur n'avait tué
ainsi ; certes, j'ai précisé qu'il y avait eu des morts, mais dans le
cadre de la guerre. Dans nos rangs aussi, il y a eu des morts...
Au fil de la conversation, je me suis fâché car quand je donnais une
réponse qui ne lui convenait pas, il disait que cela ne correspondait
pas à ce qu'on lui avait raconté. C'est alors que j'ai pensé que j'avais
été piégé... Par chance l'ami qui m'attendait à l'aéroport m'avait
suivi. A peine sorti de chez le juge, très fâché, je n'ai même pas voulu
passer une nuit en France ; nous sommes tout de suite allés en Belgique
et de là, j'ai gagné la Norvège.
*A la fin de votre audition, vous avez tout de même signé votre
déposition après l'avoir lue ?*
Oui, j'ai signé, mais en réalité, mes déclarations ne faisaient même pas
cinq lignes car quand il m'interrogeait et que je ne savais pas
répondre, je ne disais rien. Or dans le rapport du juge, les propos
qu'il m'attribue sont bien plus longs... En fait, il avait déjà toutes
les réponses à propos de ces dossiers... Si j'ai décidé de témoigner
aujourd'hui, même en sachant que ces gens pourraient me tuer, c'est
parce que le juge a fait du mal, par rapport à ma réputation, par
rapport à mon pays...
*Comment jugez-vous le témoignage d'Abdul Ruzibiza ?*
Dans l'armée, au vu de sa fonction, Abdul ne pouvait pas obtenir de
telles informations, c'était impossible. Il était aide soignant. Vous
croyez vraiment qu'avec ce grade, il aurait pu assister à toutes ces
réunions ? Même des officiers supérieurs ne sont pas admis à toutes les
réunions... Abdul a rompu avec le régime car on lui reprochait d'avoir
détourné de l'argent de l'armée. Après avoir quitté le pays, il a été
pris en mains par les services de renseignement français.
*Comment a-t-il pu écrire un tel livre ?*
Mais ce sont les Français eux-mêmes qui l'ont rédigé ! Ce n'est pas lui
qui a écrit, c'est une journaliste française (NDLR Claudine Vidal,
chercheuse au CNRS, a rédigé la longue préface de l'ouvrage de Ruzibiza,
donnant plusieurs clés de lecture)... Elle a tout fait. Lui, il s'est
contenté de donner son nom et ses informations...
*Le juge dit que vous avez conduit un taxi jusque Masaka en avril 1994.
Cela aurait-il été possible à cette époque ?*
Je ne suis allé à Kigali qu'une année après la fin de la guerre... Mais
je savais qu'en 1994, il était exclu pour un Tutsi d'aller là-bas, on
n'aurait même pas pu y passer à pied tellement les lieux étaient bien
gardés...
*Pourquoi avoir quitté l'armée ?*
Après la guerre, j'ai été versé dans la police. Si j'ai quitté, c'est
parce que je n'étais pas d'accord avec le fait qu'on libérait aussi
facilement des gens que nous avions arrêtés après avoir mené des
investigations sérieuses à leur sujet.
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