Fiche du document numéro 19005

Num
19005
Date
Jeudi 19 décembre 1996
Amj
Auteur
Fichier
Taille
28172
Urlorg
Titre
Mobutu : « Moi ou le chaos »
Soustitre
De retour à Kinshasa, le maréchal affirme qu'il « ne reculera pas » devant les populations insurgées du Kivu. Se présentant comme le garant de l'unité du pays, il passe sous silence les persécutions « ethniques » multipliées par son gouvernement au cours des six dernières années
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
ACCUEIL triomphal et fort peu spontané pour le président zaïrois Mobutu Sese Seko, de retour mardi à Kinshasa après une absence de quatre mois en Suisse, puis en France, pour raisons de santé. Quelque 20.000 personnes s'étaient rassemblées à l'aéroport pour accueillir le dictateur, présenté par ses partisans comme seul capable de maintenir l'unité d'un pays menacé d'implosion par la rébellion dans l'est.

« Chaque fois que le Zaïre a été menacé dans le passé, je n'ai jamais reculé, je ne reculerai point », a aussitôt proclamé « le Grand Léopard » dans une allocution d'un quart d'heure retransmise en direct sur les ondes de la radio nationale.

« Le Zaïre est victime de son hospitalité africaine. Il est traîné dans la boue et bafoué par ceux-là mêmes que nous avons accueillis en frères », ajoutait-il, avant de conclure sans autre précision sur ses projets immédiats: « Je ne peux pas vous décevoir. Je connais vos attentes et vos espoirs. Je m'emploierai à y répondre rapidement et positivement dans l'intérêt supérieur de la nation ». A noter également ce clin d'oeil implicite au leader de l'opposition, Etienne Tshisekedi, lorsque l'orateur s'est félicité des « visites fraternelles des Zaïrois de toutes tendances politiques » à sa résidence française.

« Pas question de reculer » face à la rébellion du Kivu, a répété sous diverses formes Mobutu, avant de donner un nouvel exemple de son aptitude à tenir un discours officiel à l'exact opposé de ses faits et gestes sur le terrain: mardi soir, s'exprimant devant les médias occidentaux et les diplomates étrangers, il s'est fait patelin pour appeler « chaque citoyen zaïrois à ne pas tomber dans le piège de la xénophobie »... Une déclaration lourde de cynisme: depuis 1990 et l'instauration du multipartisme, le vieux dictateur a fait de « l'ethnisme » la pierre angulaire de sa nouvelle politique. Les années suivantes furent celles de « manipulations ethniques » à répétition, « dont les méthodes et l'inspiration préfiguraient les événements ultérieurs au Rwanda et au Burundi », écrit Colette Braeckman dans son dernier ouvrage, « Terreur africaine. Burundi, Rwanda, Zaïre: les racines de la violence »(éditions Fayard). Quelques rappels à ce propos.

Lubumbashi, capitale du Shaba (ex-Katanga), mai 1990: des commandos venus de Kinshasa envahissent le campus universitaire et assassinent systématiquement les étudiants originaires des provinces réputées hostiles au dictateur.

Shaba, 1992-1993: pogroms organisés contre les Baluba originaires du Kasaï voisin; des dizaines de milliers de morts et exode forcé d'au moins 100.000 personnes.

1993-1995: persécution des Banyarwanda du Masisi, qui s'amplifie avec la venue des réfugiés rwandais de l'été 1994; le nombre de victimes n'est toujours pas connu. Simultanément, les populations Bahunde sont, elles, refoulées vers l'intérieur du Zaïre, les Banyarwanda fuyant surtout vers Kigali.

Eté 1996: épuration ethnique organisée dans le Nord-Kivu, puis le Sud-Kivu, principalement dirigée contre les populations Banyamulenge. Désigné comme gouverneur du Sud-Kivu, Kyembo Wa Lumona, dignitaire de la « mouvance présidentielle », avait donné le signal en ces termes: « Quand vous rencontrez un serpent sur la route, que faites-vous? Vous le tuez, n'est-ce pas? » Mais, cette fois, les choses ne se passent pas comme prévu par Mobutu et ses « spécialistes ». D'où le dernier changement de ton en date. Sur le fond, la devise du dicteur reste inchangée: « Moi ou le chaos »...

JEAN CHATAIN.
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