Fiche du document numéro 2085

Num
2085
Date
Mercredi 6 juillet 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
113557
Surtitre
Les soldats de l'opération « Turquoise » redoutent des infiltrations nocturnes de rebelles
Titre
Les Français verrouillent leur dispositif
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
« Ça me paraît pas mal votre truc... » Le colonel Eric Thibaut
visite ce matin les principaux points d'appui du dispositif mis en
place pour contrer une éventuelle avance du Front patriotique rwandais
(FPR). Objectif : tresser un filet de surveillance « en
hérisson » autour de Gikongoro. Les soldats français de
l'opération « Turquoise » redoutent en particulier des
infiltrations nocturnes des rebelles rwandais.


La tournée d'inspection a commencé de bonne heure sur les chemins de
terre qui parcourent les multiples collines entourant la petite
ville. Sur une carte, le colonel et son état-major évaluent les
distances, cherchent des angles de tir. Ici sera placée une caméra
permettant une vision nocturne à longue distance. Ailleurs ce sont
deux postes de tir de missiles Milan qui seront installés. Le langage
est très militaires : « Des sonnettes, une 12,7 par
poste...
 »


Dans ce paysage de collines verdoyantes, un carrefour considéré comme
stratégique est l'objet de toutes les sollicitudes du colonel et de
ses adjoints. Les uns et les autres retrouvent les réflexes du manuel
de la formation commune de base (FCB) sur les qualités d'un bon poste
: « Pouvoir utiliser ses armes, disposer d'un chemin de
repli.
 » A cet endroit sera installé l'officier de l'armée de
l'air (OCA) chargé de guider d'éventuelles interventions aériennes des
Jaguar ou des Mirage basés au Zaïre, à Kisangani. Rien n'est laissé au
hasard.


Un souci habite cependant le colonel Thibaut. Il le dit tout haut à un
capitaine : « Attention, ce sont des gens qui attaquent la
nuit.
 » Il faut donc verrouiller le dispositif. Les systèmes de
vision nocturnes sont précieux pour balayer l'horizon.
Les mitrailleuses 12,7 et les autres armes automatiques doivent
disposer d'angles de tir les plus ouverts possibles. C'est pourquoi,
hier matin, on pouvait voir sur la route conduisant à Butare des
Rwandais habillés de shorts et de tricots roses abattre des arbres et
hacher menu, à la machette, des buissons trop épais.
Il s'agissait de prisonniers de droit commun revêtus de leurs curieuses
tenues pénitentiaires. Le préfet les a mis à disposition des commandos
de l'air qui s'étaient installés à 1 km de l'entrée est de Gikongoro.


Les Français entendent « battre » le thalweg avec leurs
redoutables fusils Barrett, de fabrication américaine. Ce sont des
armes automatiques individuelles de calibre 12,7, d'une portée de
mille mètres. Elles ont un redoutable pouvoir vulnérant et peuvent
être incendiaires, perforantes, explosives ou traçantes.
Les Crap (commandos de recherche et d'action en profondeur) sont,
quant à eux, installés sur les hauteurs par petits groupes. Ils jouent
le rôle capital de « sonnettes ». Ils ont pour mission, dans un
premier temps, de rendre compte d'une éventuelle infiltration ennemie,
de l'évaluer et de la fixer en attendant l'arrivée des renforts.

Faux réfugiés



A l'aube, hier, le dispositif a reçu le renfort de 6 véhicules blindés
légers armés de canons de 90 mm. Les 80 soldats qui les accompagnent
appartiennent au régiment d'infanterie de chars de marine de
Vannes. Sont également arrivés, dans la nuit, trois pièces de mortier
lourd de 120 mm appartenant au 11e régiment d'artillerie de
marine. Elles constituent une batterie « flash », dont la
mise en oeuvre s'effectue en moins de trois minutes. La concentration
du tir de ces trois pièces sur un seul objectif peut avoir des effets
dévastateurs. Toute la journée, des patrouilles motorisées ont silloné
les pistes soulevant des nuages de poussière, sans doute observées
avec intérêt par les rebelles du FPR qui n'étaient plus hier qu'à 16
km de la petite ville, c'est-à-dire à 6 km à peine de la zone de
sécurité instaurée par la France.


A proximité du camp de réfugiés de Cyanika, les commandos marines ont
installé leur campement. Le capitaine de frégate Marin Gillier
travaille en liaison avec le bourgmestre. Il s'agit avant tout de
rassurer les réfugiés qui sont aujourd'hui plus de cinquante mille et
surtout de s'intéresser aux nouveaux arrivants. En effet, déjà dans le
passé, le FPR s'est infiltré dans le camp. Des rebelles se sont
mélangés aux réfugiés. Plusieurs d'entre eux ont été démasqués. Ils
portaient deux ou trois vêtements les uns sur les autres, disposaient
de postes de radio et convoyaient des armes en pièces détachées. Le
bourgmestre affirme que parmi eux se trouvait un Ougandais. Pour
déjouer les infiltrations, les réfugiés sont désormais regroupés par
village d'origine. « Tout le monde se connaît, dit le bourgmestre.
Les étrangers sont vite repérés. »


La situation alimentaire s'est améliorée dans le camp qui, la semaine
passée, a manqué de se soulever : 24 tonnes de vivres sont arrivées. Il
était temps. Un vent de révolte soufflait parmi les réfugiés. Le
préfet et le bourgmestre ont été pris à partie. Et une curieuse rumeur
a alors circulé à l'intérieur du camp, propagée sans doute par des
agents du FPR : certains assuraient qu'à Butare, on trouvait des
vivres en abondance. Trois jours plus tard, la ville tombait entre les
mains des rebelles.


Hier, le bourgmestre avait un délicat problème à résoudre : à l'aube,
un gamin de cinq ans a été aperçu, alors qu'il errait seul dans la
brousse. Il était nu, couvert de plaies et affamé. Il a été conduit à
la mairie. On l'a interrogé. Il a dit s'appeler Fabien. Ses parents
ainsi que son frère Charles et sa soeur Florence, étaient morts. Il
s'agit bien entendu d'un petit Tutsi caché depuis des mois sans doute
par un Hutu courageux. Assis sur une natte devant la mairie, l'air
égaré, il regardait la foule qui l'entourait. Elle était en majorité
hutue. La foule contemplait l'enfant sans haine.


Il y a encore quelques semaines elle l'aurait massacré en quelques
secondes. Ce mardi matin, dans la poussière et la chaleur, Fabien
était la preuve même de l'horrible absurdité des massacres d'avril et
de mai.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024