Fiche du document numéro 23387

Num
23387
Date
2014
Amj
Auteur
Fichier
Taille
827779
Urlorg
Titre
Comptes rendus d'audience du procès de première instance de Pascal Simbikangwa (février-mars 2014)
Nom cité
Mot-clé
Source
Type
Transcription d'audience d'un tribunal
Langue
FR
Citation
Procès Simbikangwa: 4 février 2014
05/02/2014
La journée a commencé par le tirage au sort des jurés: quatre hommes et deux femmes sont retenus pour les titulaires et trpod hommes et deux femmes pour les suppléants. Ces derniers ne participeront aux débats et aux délibérations qu’en cas d’une “défaillance” d’un titulaire.
Le président Olivier Leurent s’adresse alors aux jurés pour leur rappeler le rôle qui sera le leur pendant les six semaines que va durer le procès. Il rappelle ensuite les différentes étapes qui ont conduit Pascal Simbikangwa à la Cour d’assises dans son rapport de présentation général. Pascal Simbikangwa est poursuivi pour complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité. Va suivre alors une longue synthèse de l’acte d’accusation au cours de laquelle le président va citer les principaux témoins qui ont été entendus: certains viendront témoigner à la barre, d’autres seront entendus par visio- conférence. Trois d’entre eux ne viendront pas.
Au retour à l’audience, après la pause déjeuner, premier coup de théâtre: les avocats de la défense font savoir qu’il ont déposé la veille une demande de nullité. Ils souhaitent que le procès n’ait pas lieu dans l’immédiat. Maître Epstein ne manquera pas de rappeler que lui et sa consoeur, avocats désignés d’office, ne gagnent que quelque 1200 euros à deux, rémunération insuffisante vu la charge de travail. Tour à tour, les deux avocats de la défense vont énumérer les raisons pour lesquelles ils demandent la nullité de la procédure. Il serait trop fastidieux de les énumérer dans ce court compte-rendu.
Tour à tour, les avocats des parties civiles vont prendre la parole pour contester les propos de leurs confrères de la défense: maîtres Beaudoin et Daoud pour la FIDH, Tubiana pour la LDH, Simon pour SURVIE, Foreman pour le CPCR. C’est l’avocat de la LICRA qui terminera les interventions des parties civiles. Tous sont d’accord pour reconnaître que les demandes des avocats de la défense sont sans objet. L’avocat général enfoncera le clou en démontant un à un les arguments de la défense et en se disant choqué qu’une telle demande ait pu être faite. Les avocats de la défense reprendront la parole pour maintenir leur position.
Après une interruption de séance d’une heure pour délibération, la cour reviendra pour dire qu’elle rejette toutes les demandes des avocats de la défense. L’incident est clos, les débats vont pouvoir commencer.
La journée se terminera pas l’interrogatoire serré que va mener le président de la cour en direction de Simbikangwa, en particulier à propos des nombreuses incohérences sur l’identité du prévenu et les mensonges qu’il a cru devoir proférer pour obtenir le statut de réfugié qui lui sera refusé. Pascal Simbikangwa essaie tant bien que mal de répondre mais a du mal à justifier les nombreuses versions qu’il a pu donner à propos de son identité réelle.
Nous n’avons pu suivre la fin de l’audience car Dafroza devait participer à un débat sur France 24. A demain

Procès Simbikangwa: 5 février 2014
05/02/2014
Cette seconde journée a été encore consacrée à la personnalité de Pascal Simbikangwa. Un petit intermède en début d’après-midi cependant: l’intervention d’une enquêtrice de personnalité qui, après avoir rencontré Pascal Simbikangwa à deux reprises et après avoir eu un contact téléphonique avec une sœur du prévenu au Canada, a tenté de repérer les traits dominants de sa personnalité. On nous l’a décrit comme un homme courageux qui vouait à sa mère une grande admiration, peut-être d’autant plus forte que cette dernière était battue par son mari. La psychologue a souligné aussi son sens aigu de la perfection doublée d’une admiration sans bornes pour le président Habyarimana. La mort de sa femme au Zaïre, puis la séparation d’avec sa fille qu’il a fait adopter aux USA sont pour lui un véritable déchirement. Il se sent seul, a peu d’activités à la prison de Fresnes (lecture essentiellement) et est sous antidépresseurs! La faillite du père a renforcé son besoin de s’occuper du reste de la famille. Les différentes parties ont pu poser quelques questions. On peut regretter que, dans sa façon de poser des questions, maître Epstein suggérait les réponses à la psychologue.
Le reste de la journée a donc été consacré à un nouvel interrogatoire serré du président, monsieur Leurent. Le premier domaine abordé a été celui de la torture, Simbikangwa étant surnommé depuis longtemps au Rwanda le “tortionnaire”. Ce dernier a nié toute participation à des activités de torture.
Il a été ensuite interrogé sur ses éventuels engagements politiques: ses relations avec la presse, la publication de son Journal “Umurava”, sa qualité d’actionnaire à la radio extrémiste RTLM, la Radio Télévision Libre Mille Collines. On été évoqués ensuite un certain nombre d’autres thèmes: la crainte qu’il provoquait à Kigali, les réunions secrètes auxquelles il aurait participé, sa sympathie affichée pour le MRND, le parti unique du président, la lettre que le président de la Cour de cassation, monsieur Kavaruganda, a écrite le 24 mars 1994 au président Habyarimana pour dénoncer le comportement inquiétant (menaces de mort) de Simbikangwa à son égard. Monsieur Kavaruganda sera tué dès le début du génocide!
A chaque question, le prévenu perd rarement son sang-froid. Il accuse tous les témoins d’être des menteurs, conteste tous les témoignages rapportés par le président. A l’entendre, il serait le seul à ne pas mentir. Or, tout en lui respire la duplicité, la fourberie, le mensonge. Il provoque ainsi la colère des avocats des parties civiles et celle de l’avocat général.
Il va être temps de passer à autre chose. Les témoins de contexte vont bientôt intervenir, ce qui donnera un autre souffle à ce procès qui commence à exaspérer les parties civiles et probablement une bonne partie du public. Peut-être aussi les jurés.

Procès Simbikangwa: 6 février 2014
07/02/2014
La journée commence par la déposition de madame Anne Soussy, médecin légiste, chargée de l’expertise médicale du prévenu. Son rapport n’apportera que peu de révélations sur Pascal Simbikangwa. La seule question intéressante était de savoir s’il pouvait se servir de cannes anglaises pour se déplacer. Sans être complètement catégorique, elle laisse plutôt entendre que ce n’est possible que pour quelqu’un qui aurait suffisamment de forces. Cela ne semble pas être le cas de Simbikangwa qui dit n’avoir jamais essayé. Nous n’en saurons pas beaucoup plus.
La journée continue là où on l’avait arrêtée la veille, par les questions des avocats de la défense à propos du CV de Simbikangwa. Seront abordés plusieurs thèmes: la RTLM (Radio Télévision Libre Mille collines, radio extrémiste du MRND), les Escadrons de la mort, la lettre du président de la Cour suprême au président Habyarimana pour l’avertir des menaces proférées par Simbikangwa. Les avocats de la défense prétendent que cette lettre est un faux, ce que refuse de reconnaître l’avocat général. Pour chacun de ces sujets, Pascal Simbikanwa prétend que tous les gens qui témoignent contre lui sont des menteurs. Quand les avocats de la défense sont à court d’arguments, ils disent qu’ils vont interroger leur client qui ne peut que répondre par la négative. “Avez-vous proféré des menaces contre monsieur Karavuganda?” Réponse de Simbikangwa: “Non”, évidemment. Enfin, à la question de savoir ce qu’il pensait de la diffusion des “dix commandements des Bahutu”, il répond, sans sourciller et sans vergogne: ” Il y a eu les dix commandements des Batutsi”! C’est bien la première fois qu’on entend parler de cela.
Maître Daoud l’interroge alors sur les dates de parution de la revue Kangura. Comme le prévenu fait l’innocent, parle de 1993 (alors que le premier numéro est paru en décembre 1990), “Vous mentez délibérément à la cour”, s’exclame alors l’avocat.
A la question de savoir ce qu’il pensait du discours de Léon Mugesera à Kabaya en novembre 1992, discours dans lequel on trouve les termes suivants: ” Il faut exterminer la racaille… trancher la tête de ces salauds… ces salauds doivent disparaître au plus vite”, Pascal Simbikangwa n’a rien d’autre à dire qu’il a entendu parler de ce discours mais qu’il n’était pas à Kabaya (alors que plusieurs témoins donnent son nom parmi les présents). “Ce discours est malheureux, je ne l’ai pas apprécié, j’ai été surpris surtout venant d’un intellectuel habile”. Autant de propos que personne ne peut croire. Et il en sera ainsi pour chacun des sujets évoqués: entraînement des Interahamwe, sa présence au Ministère des Travaux publics pour chercher de l’argent pour financer les milices du MRND, ses occupations à Mayotte, ses rémunérations, le communiqué de la Maison Blanche… Tout est faux, inventé. Lui seul dit la vérité. Tout cela en devient exaspérant et donne la nausée.
La journée se terminera par l’audition du premier témoin de contexte, André Guichaoua. D’une voix monocorde, il va faire une déclaration préliminaire suivie d’une série de questions du président. On retiendra surtout que Pascal Simbikangwa n’était pas le petit fonctionnaire pour lequel il essaie de se faire passer, qu’il fait partie des rouages de l’Akazu, les proches de la famille de madame Habyarimana qui détenaient de grands pouvoirs.
Demain, nous continuerons avec d’autres témoins de contexte: des historiens et le juge Damien Vandermersch, juge d’instruction dans le premier procès de Bruxelles.

Procès Simbikangwa : 7 février 2014
09/02/2014
Cette quatrième journée est encore consacrée aux témoins de contexte. C’est Jacques Sémelin, spécialiste des crimes de masse, qui ouvre la journée. Nous aurons droit à un cours magistral, accessible à tous et qui fera l’admiration du président.
S’adressant aux jurés : « Une lourde responsabilité pèse sur vos épaules. On dit que les crimes de masse sont impensables ? Ils sont au contraire trop pensables. On nous dit souvent de ne pas chercher à comprendre ! Mais comprendre n’est pas excuser les bourreaux. Maintenant, on ne peut pas tout comprendre : il faut tout faire pour comprendre mais il y aura toujours quelque chose qui résistera à notre entendement ».
Jacques Sémelin va ensuite insister sur le vocabulaire que l’on utilise. Un génocide est un crime sur une population sans défense mais tout massacre n’est pas un génocide. A propos des crimes de masse, il faut se dégager d’une approche commune : « Ce sont des barbares ! Non, le massacre procède d’un calcul, d’une décision, d’une organisation. » De rajouter que « les hommes qui commettent ce mal ne sont pas fous psychologiquement. Ils sont ordinaires, normaux. » Enfin, le massacre de masse relève d’un processus mental. C’est la représentation collective d’un autre qu’on veut asservir, violer, détruire. Les Nazis n’ont pas inventé les Juifs, ils en ont donné une représentation dégradante. C’est la même chose au Rwanda.
Plusieurs facteurs permettent la mise en place d’un génocide : un contexte de crise, une idéologie qui propose un discours identitaire (« Notre pays est dans une situation grave, si on commençait par l’élimination de ces gens-là, ça irait mieux »). L’autre est en trop, est arrivé dans le pays après nous, il est trop nombreux, se développe comme des microbes, de la vermine, des cafards… L’autre est comme nous, mais il est suspect, c’est un traître en puissance.
Importance aussi des mots qui tuent. C’est à travers le langage que se prépare le crime de masse. Sans oublier le contexte international qui laisse faire ou qui encourage. Et citant Tacite : « Quelques-uns l’ont voulu, d’autres l’ont fait, tous l’ont laissé faire. »
Se pose en suite la question du passage à l’acte et du rôle des décideurs. Les décideurs ne tuent pas, ce sont les exécutants qui font le sale boulot et on essaie de faire participer tout le monde. Après avoir évoqué le rôle de la RTLM, première fois qu’une radio appelle au crime, Jacques Sémelin évoque la figure du tueur/sauveteur, qui sauve un Tutsi mais qui peut en tuer beaucoup d’autres.
Et de rappeler enfin qu’au Rwanda il n’y a eu qu’un génocide, celui de la minorité tutsi, prenant ainsi à contrepied tous les tenants de la théorie du double génocide, si répandue dans notre pays, même au plus haut niveau.
C’est ensuite le tour du juge d’instruction belge dans les affaires Rwanda, Damien Vandermeersch, de prendre la parole. Il fera part de son expérience à propos des enquêtes qu’il a dû mener lors des différents procès contre des présumés génocidaires rwandais en Belgique. Il évoquera en particulier la valeur des témoignages, parfois crédibles, parfois contradictoires. Son exposé nous a beaucoup fait penser à nos propres enquêtes que nous avons dû mener pour préparer des plaintes en France.
C’est Stéphane Audoin-Rouzeau qui succédera au juge d’instruction belge. Le nouveau témoin de contexte est historien, directeur d’études à l’EHESS et Président du Centre international de recherche de la grande guerre (Péronne -Somme). Il évoque les trois génocides du 20ème siècle (arménien, juif et tutsi) et rappelle que le génocide des Tutsi trouve ses racines dans le racisme d’origine européenne et la vision raciale de la société des colons, attitude qui a provoqué un ressentiment des Hutu contre les Tutsi. Il souligne ensuite le cadre dans lequel les trois génocides ont été perpétrés : la guerre et l’angoisse de la défaite, la présence d’un Etat central avec ses bras armés, une propagande écrite et radiodiffusée. Il évoque également la violence des voisins dans un génocide dit de « proximité ». Il ne s’agit pas d’une révolte spontanée. Il termine en disant qu’au Rwanda « l’Histoire s’est répétée et que ce génocide nous concerne tous. »
Au cours de la discussion qui suivra, l’intervenant, en réponse à une question du président, aura l’occasion de dire que la thèse du double génocide est une « insulte aux victimes ». C’est pourtant cette théorie qu’un des avocats de la défense va reprendre. Interrogé, Simbikangwa révèle que c’est une fois à Mayotte, grâce à internet, qu’il va réaliser qu’il y avait eu un génocide au Rwanda. Le livre d’Abdul Ruzibiza a été une révélation pour lui. Pas de chance, Ruzibiza était l’informateur principal du juge Bruguière dont l’ordonnance a été complètement décrédibilisée par les conclusions partielles du juge Trévidic qui lui a succédé. Simbikangwa n’a pas vu de cadavres dans son quartier de Kiyovu. Ni ailleurs. Seulement quatre morts dans sa région natale de Rambura, dont « deux prêtres ». Or, ce sont les trois prêtres tutsi de la paroisse qui ont été tués (sur ordre de la sœur du président Habyarimana présente à la présidence le 7 avril, sœur Godelieve, qui a obtenu un statut de réfugiée en France selon certaines sources). Sans compter trois jeunes coopérants belges dont personne ne parle. Il répète qu’il reconnaît le génocide des Tutsi mais qu’il y a eu aussi le génocide des Hutu.
Enfin, la journée se terminera par l’exposé d’Hélène Dumas qui a écrit une thèse d’Histoire sur les Gacaca, justice participative qui met en présence victimes et bourreaux, sous la responsabilité de « sages », en l’absence de magistrats et d’avocats. Cette instance aura pu traiter, en quelque huit années, plus d’1 900 000 affaires et condamner environ 1 700 000 personnes.

Simbikangwa trial : February 5th, 2014
09/02/2014
This second day was still devoted to personality Pascal Simbikangwa . A little interlude in the early afternoon , however : the intervention of an interviewer personality who , after meeting with Pascal Simbikangwa twice and having had telephone contact with a sister of the accused in Canada has attempted to identify the dominant traits of his personality. We described it as a brave man who bore his mother a great admiration , perhaps even stronger than it was beaten by her husband . The psychologist also noted his keen sense of perfection coupled with a boundless admiration for President Habyarimana. The death of his wife in Zaire , and separation from his daughter that he has passed the U.S. are for him a real tear . He feels alone has little activity in the prison of Fresnes ( mainly reading ) and antidepressants ! Bankruptcy father reinforced his need to take care of the rest of the family . The different parts have a few questions. It is regrettable that , in his way of asking questions, master Epstein suggested answers to the psychologist.
The rest of the day has been spent on a new grilling the President, Mr. Leurent . The first area addressed was that of torture, being nicknamed Simbikangwa long to Rwanda ” torturer ” . He has denied any involvement in torture activities .
He was then questioned about his possible political commitments: his relations with the press, the publication of the Journal ” Umurava ” , as a shareholder in the extremist RTLM radio , Radio Television Libre Mille Collines. It was then discussed a number of other topics: the fear it caused in Kigali , secret meetings in which he participated , sympathy displayed for the MRND , the single party of the president, the letter from the President of the Court of Cassation , Mr. Kavarugandas , wrote March 24, 1994 to President Habyarimana to denounce the disturbing behavior ( death threats) of Simbikangwa against him. Mr. Kavarugandas be killed early in the genocide !
For each question, the accused rarely loses his composure . He accuses all witnesses to be liars , disputes all testimonies by the President. According to him, he would be the only one not lying. However, while it breathes duplicity, deceit and lies. He thus angered civil party lawyers and the General Counsel.
There will be time to move on. Witnesses context will soon intervene, which will give another breath to trial starts exasperate the civil parties and probably a good part of the public. Perhaps the jurors.

Procès Simbikangwa: 10 février 2014
11/02/2014
La journée commence par le versement de nouvelles pièces au dossier, à la fois par les parties civiles et la défense. L’avocat du CPCR demande de joindre l’article de Marie-France Cros, journaliste de La Libre Belgique, dans lequel elle évoque la réaction de Simbikangwa lors de la publication d’un article publié autrefois. Est versée aussi au dossier le courrier que le président de la cour de cassation écrit au président Habyarimana en mars 94, courrier dans lequel il fait part des menaces proférées contre lui par Pascal Simbikangwa. Monsieur Kavaruganda sera tué dès le début du génocide. Le journal jamais publié mais attribué à Simbikangwa, l’Indomptable Ikinani, est également joint à la procédure. Cette lettre fera l’objet de controverses dans le courant de la journée. Simbikangwa prétend que c’est un faux. Enfin, l’avocat du CPCR, Simon Foreman, verse aussi trois caricatures de Simbikangwa publiées dans la presse rwandaise au plus fort de la crise.
La défense n’est pas en reste. Elle demande à son tour de verser au dossier le film “D’Arusha à Arusha”, des articles du Monde et de RFI évoquant la rupture des relations diplomatiques entre le Rwanda et la France en 2006, suite à la publication de l’ordonnance du juge Bruguière, ordonnance complètement déconsidérée depuis que le juge Trévidic a pris l’affaire en mains.
C’est au tour de l’historien Jean-Pierre Chrétien, témoin de contexte cité par le Parquet, de venir à la barre. Ce n’est pas un spécialiste du génocide mais il souligne le caractère “lancinant, dominant, envahissant du discours politique” de l’époque, ce discours étant construit sur “une idéologie des races”. “Le génocide n’est pas tombé du ciel”.
De rappeler alors les grands moments de l’histoire du Rwanda, son peuplement, la période coloniale, l’admiration des premiers colons pour les Tutsi, des “faux nègres” selon les critères de l’époque. Le colonisateur va s’appuyer sur le pouvoir en place détenu par un roi tutsi, pouvoir assimilé par un pouvoir racialement supérieur. Consolidation du pouvoir en place jusqu’à la fin des années cinquante. Devant le nationalisme proféré par les Tutsi, le colon et l’Eglise vont s’appuyer sur une contre-élite hutu. Cette révolution de 1959 ne va pas abolir les privilèges, mais simplement aller vers un renversement de la situation qui maintient le clivage racial. Les Tutsi deviennent des citoyens de seconde zone, instauration des quotas…
Avec l’attaque du FPR le 1 octobre 1990, la situation va changer: va bientôt naître une opposition intérieure hutu et on va mettre en place le multipartisme. Une opposition extérieure se manifeste et elle est essentiellement hutu. Deux options se présentent alors pour Habyarimana: option d’ouverture vers une démocratisation ou bien remobilisation des Hutu sur une ligne ethnique selon une logique raciste. On assiste alors à un retour de la liberté de la presse pendant que s’organise, autour d’Agathe Habyarimana l’akazu, formée des proches de la famille d’Agathe Habyarimana et d’un certain nombre de gens du Nord, originaire de la préfecture de Gisenyi, comme le président et madame. On parle aussi du “Réseau zéro”, selon l’expression de Christophe Mfizi.
Jean Pierre Chrétien évoquera ensuite le journal extrémiste Kangura qui publie en 1990 les “Dix commandements des Bahutu”. Les massacres du Bugesera seront aussi l’occasion de désigner à nouveau l’ennemi, le Tutsi: plus de 300 morts en mars 1992. Simbikangwa se serait réjoui de ces massacres, ce qu’il dément, évidemment.
Pour conclure, Jean-Pierre Chrétien rappelle que le génocide avait un caractère politique, que ces massacres n’avaient rien de naturel entre Hutu et Tutsi. En présence d’une désespérance sociale manifeste, comment les valeurs traditionnelles et chrétiennes n’ont-elles pas pu endiguer la violence?
Après une série de questions, c’est Colette Braeckmann qui va intervenir. Elle va essentiellement évoquer son histoire personnelle à travers l’histoire du Rwanda. Journaliste au Soir, elle a une grande expérience de la Région des Grands Lacs. Fort de cette expérience, elle retrace à son tour les grandes étapes de l’histoire du Rwanda, rapporte ce qu’elle a vu au Rwanda début avril 1994 alors qu’elle sillonnait Kigali avec les militaires belges qui ne tarderont pas à quitter le Rwanda le 11 avril.
Jean-Pierre Chrétien ayant été mis en difficulté par la défense à propos de certains chapitre du livre “Les médias du génocide”, livre écrit à quatre mains, il est demandé à Jean-François Dupaquier, journaliste, de venir à la barre, même s’il n’a pas été cité. Pour cette raison, il sera dispensé de prêter serment. Dans un exposé magistral, avec l’éloquence et la conviction qu’on lui connaît, il va rappeler un certain nombre de vérités qui ne sont pas faciles à entendre: haine raciale instrumentalisée par le régime, fantasmes à propos de femmes tutsi, rappelant au passage un élément du curriculum vitae de Simbikangwa qui s’était fait fort de violer une jeune femme tutsi afin d’accéder au statut d’homme selon un rite d’initiation en vogue chez les jeunes Hutu…
La journée va se terminer par une série de questions à Pascal Simbikangwa. Fidèle à sa ligne de conduite, il va nier tous les faits qui lui sont reprochés, s’embrouiller dans les dates, tenir des propos totalement incohérents, répondant toujours à côté des questions, servant à son auditoire une véritable soupe. En cette fin de journée, il ne fut vraiment pas à son avantage. On peut se demander ce que les jurés ont pu retirer d’une telle confrontation.

Procès Simbikangwa: 11 février 2014
12/02/2014
La journée commence par une demande des avocats de la défense: entendre Augustin Twagiramungu! Les parties civiles et l’accusation n’y sont pas favorables. Le président se donne le temps de la réflexion.
Audition de Renaud Girard, journaliste au Figaro.
Dans un premier temps étonné d’avoir été convoqué et ne sachant trop que dire, monsieur Girard va parler pendant plus d’une heure et demi, “sans être interrompu”, comme la loi l’exige. Difficile de faire la synthèse d’un récit qui relève plus du récit d’un voyageur que d’un témoignage devant une cour d’assise. Je me contenterai donc d’un florilèges de citations ou de brefs commentaires.
Monsieur Girard n’a jamais entendu parler du Rwanda avant d’y être envoyé par son journal. Ayant appris l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, il de précipite sur une carte Michelin pour savoir où se trouve ce pays.. Décision prise d’entrer au Rwanda par le Burundi. Sur le tarmac de l’aéroport de Bujumbura, 500 soldats américains attendent un ordre qui ne viendra jamais. Monsieur Girard quitte Bujumbura par la route, les militaires français ayant refusé de le transporter, jusqu’à Kigali, lui et ceux qui l’accompagnent:” Nous partons, furieux de la décision”.
Nouveau coup de sang lorsque monsieur Girard croise sur son chemin diplomates, ONG et étrangers qui fuyaient le Rwanda. Seul Michel Gaillard de la Croix Rouge a fait son devoir. Butare est calme, décision de partit à Kigali en voiture achetée sur place. Sur la route, il croise des miliciens qui tiennent des barrières. “Ils ont cru que j’étais belge. Je leur ai chanté la Marseillaise!”.
A l’Hôtel des Mille collines. Monsieur Girard apprend que l’ambassadeur a quitté son ambassade. “Cet ambassadeur n’a pas honoré la France. Grave erreur d’avoir quitté son ambassade. Son honneur et son devoir étaient qu’il reste”. Un infirmier de MSF, “un Noir”, accepte de le piloter dans Kigali. “J’ai vu des choses que je n’avais jamais vu de ma vie: corps un peu partout, bennes remplies de cadavres. J’ai écrit mon article car un journaliste qui ne témoigne pas est un journaliste qui n’existe pas.” Son fixeur, l’infirmier, se fait molester à une barrière. Reconnu par un jeune homme, il est relâché: “J’avais pris soin de ne pas choisir un Tutsi comme fixeur!”. Décision prise de s’en séparer. Au retour, sur la même barrière, trois corps ensanglantés qui n’étaient pas là à mon premier passage.” Retour à l’école française Saint-Exupéry tenue par des soldats belges qui décident de partir jusqu’à l’aéroport en abandonnant un diplomate tutsi. Sur la route de l’aéroport, “une foule furieuse”. A son départ, on a confié au témoin une femme enceinte et son mari qui souhaitent se rendre au Kenya. Refus de l’ambassadeur belge: “Si vous ne les embarquez pas, demain vous sautez.” Malgré l’ordre qui lui est donné de rentrer en France, monsieur Girard décide de rester une semaine.
Retour en France. S’ouvre à Dominique de Villepin du refus de l’attaché militaire de Bujumbura de conduire les journalistes à Kigali. Réponse: “J’ai toujours dit que cet attaché militaire est un con.”
A Paris, le pouvoir est paralysé par la cohabitation. “Balladur ne connaissait pas le Rwanda. Ce n’est pas au Conseil d’Etat qu’on l’apprend. Il aurait fallu un courage formidable. Mitterand n’était plus en état de prendre une décision.” Décision prise de partir avec Kouchner, en passant par l’Ouganda. Rencontre de Kagame, un “Napoléon”. La région est vidée de ses habitants. Arrivée au Méridien à Kigali, QG de Roméo Dallaire “qui avait commis l’erreur de dire aux dix Casques Bleus belges de rendre les armes.” “Les soldats de la MINUAR sont en dessous de tout. Bengladeshi qui jouent aux cartes.” Rencontre de Marc Veiter qui est resté au Rwanda pour protéger ses jeunes orphelins: “Un gars un peu allumé qui ressemblait au Christ!”
“Au Quai d’Orsay, mes articles avaient ému.” Renaud Girard désavoue l’Opération Turquoise décidée trop tard. Evoque l’arrestation de Kagamé lors de son court séjour en France. “La France a fait la guerre au Rwanda pour empêcher le FPR de prendre Kigali. J’ai refusé de couvrir Turquoise car c’était de la poudre aux yeux. L’amiral Marin Gillier avait été enfumé par les Hutu. Les diplomates ont failli, les militaires ont été naïfs.
Questionné par le président, le témoin fait la réponse suivante:” Le principal souci de Kagamé en mai n’était pas le génocide. Sa priorité était de battre l’adversaire et de prendre le pouvoir.” Et de prêter des sentiments à Kagamé:” Les Tutsi sont des abrutis, ceux qui sont restés à l’intérieur. On vous avait bien dit de venir nous rejoindre. Mort aux cons (sic)”. Enfin, à une dernière question d’Olivier Leurent, le président:” Impossible de circuler sans voir des cadavres”, réponse qui contredit celle de Simbikangwa qui répète à qui veut l’entendre qu’il n’a pas vu de cadavres au Rwanda!
Audition d’Antoine Garapon, magistrat, sur la notion de compétence universelle. Peu nécessaire de résumer son intervention; Il s’agit en fait de pouvoir juger “des étrangers qui ont commis des crimes à l’étranger sur des étrangers, à condition qu’ils résident sur le sol français au moment où la plainte est déposée.”
Audition de Jean-Philippe Ceppi, journaliste suisse. Correspondant de Libération basé à Nairobi, entre au Rwanda avec Jean Hélène, assassiné plus tard en Côte d’Ivoire, le 8 avril. Arrive à Kigali le 9 et repart le 12. Monsieur Ceppi parle d’une “longue séquence d’horreur.” Le témoin se dit très choqué par ce qu’il a vu à l’hôpital universitaire de Kigali: 400 cadavres entassés, plus de place à la morgue, une mère signale la présence de son enfant encore vivant sous une pile de cadavres. Il rapporte que les humanitaires se sont effondrés, que des militaires sont venus achever les blessés à l’hôpital, raconte son intervention à Gikondo, une colline de Kigali: nombreux corps à ramasser, sauvetage de rescapés terrés derrière une porte en métal. Rue pleine de pillards, propos d’un milicien qui dit qu’il n’en peut plus, qu’il en a marre, religieuse qui réussit à calmer un tueur qui poursuit sa proie, cadavres dévorés par les chiens… Difficile de travailler pour un journaliste: “J’ai quitté Kigali car j’ai vu que je ne pouvais plus travailler. Je suis rentré par le Nord avec le FPR: “Scènes d’horreur: fosses communes, puits remplis de cadavres, rescapés sauvés au-dessus d’un tas; des Tutsi étaient épargnés le temps de transporter les corps, exécutés ensuite. Yeux des victimes mangés par les mouches, odeur fétide.” Monsieur Ceppi réalise les premières interview des gens sortis des fosses communes. Manifestement marqué par son expérience, monsieur Ceppi s’exprime avec humilité, conscient de la complexité de la situation, cherchant à analyser, les causes du génocide suite à la question du président. Il se dit heureux que se procès se tienne, qu’il était “parfaitement impossible de se déplacer sans voir des morts”, évoque les bruits, les hurlements, les rafales la nuit, les cadavres dans le quartier de Kiyovu des riches, là où habitait Simbikangwa. Il dit n’avoir jamais assisté à des massacres commis par le FPR, reconnaît que le FPR avait un objectif militaire mais “chaque fois que le FPR pouvait libérer des zones, il le faisait; scènes très émouvantes de retrouvailles.
Il termine enfin par évoquer la présence de l’appareil génocidaire à Nairobi après le génocide, avec la bénédiction du président kényan. Il a cherché à rencontrer Simbikangwa qui se trouvait là aussi, dans un quartier cossu et sécurisé. En vain.
Le dernier témoin, Michel Robardey, militaire en poste à Kigali de fin 1990 à septembre 1993, arrivé au Rwanda à la demande du président Habyarimana pour encadre le service de police judiciaire. Il est chargé de remettre en ordre le fichier central. Il évoque l’attaque du FPR, menace las autorités de cesser son travail si elles continuent “à couper les gens”. Il exigera la libération des personnes incarcérées au stade de Nyamirambo en octobre 1990, parle du massacre des Bagogwe en évoquant une “manipulation du FPR?” Parle ensuite de l’attaque de la prison de Ruhengeri, du massacre du Bugesera qui fera près de 2000 morts. Il s’est rendu sur place mais s’est contenté d’interroger les tueurs sur leurs motivations. En toile de fonds, il y a toujours le FPR. Il évoque ensuite son travail au fichier central:” Si vous voulez que je remette en ordre le fichier central, virez tout le monde. Simbikangwa n’avait rien à faire au fichier central. J’ai travaillé au Rwanda en toute liberté. Janvier Africa était un menteur: l’akazu, les escadrons de la mort, une invention. S’il y a eu des escadrons de la mort, ce sont ceux du FPR”. En réponse aux questions qui lui seront posées: tous les assassinats, il les attribue au FPR. “S’il y a eu des tortures, c’est sans commune mesure avec les escadrons de la mort du FPR. Il critique les propos de la représentante du CPCR à la télévision lors d’un récent face à face avec Twagiramungu et traite son intervention “d’abominable, scandaleuse”. A Simon Foreman, avocat du CPCR, il dit:” Restez poli, sinon je vais m’énerver.”. Il condamne les contrôles aux barrières réalisées par des soldats français. Il a du mal enfin à dire s’il y a eu deux génocides ou pas pour terminer:” La thèse du génocide spontané n’est pas totalement stupide.” on en restera là.

Audition du colonel Robardey: 11 février 2014
13/02/2014
Procès de Pascal Simbikangwa, jour 7, un témoin pour la défense

Deuxième semaine du procès de l’ancien officier rwandais Pascal Simbikangwa pour complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité au palais de justice de Paris. Le premier rwandais jugé en France pour ces faits risque la perpétuité.
“En mission”

Avec assurance et détermination, arrive à la barre le colonel à la retraite Micel Robardey, en poste au Rwanda de septembre 1990 à septembre 1993.
Crâne rasé, front haut et posture altière, le colonel entame son témoignage paradoxalement en s’excusant presque d’être venu : ” je ne voulais pas, je n’ai jamais rencontré Pascal Simbikangwa“.
Mais la rectitude de l’ancien gendarme a pris le dessus, c’est “le devoir” qui confesse-t-il l’a obligé à venir, pour éclairer la cour des observations qu’il a faites sur le terrain. “C’est plutôt le dossier qui vous a rattrapé” commente l’avocat général Me Bruno Sturlese.
Le colonel vient donc témoigner à la demande de la défense, en faveur de l’accusé.


“J’étais en mission pour assister en police judiciaire le Rwanda sous uniforme rwandais” confirme-t-il conformément à l’accord d’assistance militaire avec la France. “Conseiller technique à l’Etat major” lui fera repréciser le président.
Tout de suite, il constate une désorganisation des services. Il déplore d’abord deux systèmes : la criminologie et la gendarmerie qui doivent rendre compte au Procureur de la République et le service central de renseignement. Celui-ci était “tout puissant” : il pouvait arrêter, interroger et emprisonner qui il souhaitait et ne rendait compte qu’à la présidence.
C’est là qu’il rencontre le nom de Pascal Simbikangwa : “on entendait partout la rumeur du capitaine à roulettes (l’accusé est dans un fauteuil roulant depuis un accident en 1986) qui soi-disant torturait les opposants ».

Des rumeurs

“Immédiatement“, le colonel diligente 3 enquêtes : sur les rumeurs autour de Pascal Simbikangwa, sur les attentats présumés, et sur les massacres attribués aux Tutsi Front Patriotique Rwandais (FPR).
Contre toute attente assure-t-il, “on accepte mes enquêtes et j’ai l’indépendance et tous les moyens nécessaires pour travailler au Rwanda en toute liberté“.

Ses conclusions sont limpides : toutes les accusations sur Pascal Simbikangwa sont un montage politique du FPR, lequel est responsable de tous les attentats au Rwanda et des massacres des élites Hutu.


C’est, parfois au mot près, exactement la ligne de défense de l’accusé depuis une semaine. L’accusé sourit même lorsque le colonel ajoute “j’observe que Pascal Simbikangwa n’a pas torturé en 1992“. Les avocats de l’accusé ne cachent pas leur satisfaction quand le colonel lance “les parties civiles mentent“.
Michel Robardey, lui, droit dans ses bottes, n’a rien à se reprocher. Il confesse malgré tout avoir eu du mal à “redresser des types tordus, déformés”, mais, finalement, il n’a souvent travaillé qu'”avec des types remarquables” et n’a nommé que “des types remarquables“.
“Effet d’annonce publicitaire”
Le président donne alors la parole aux parties civiles.
Me Simon Foreman demande à Michel Robardey un peu plus de précision sur ses enquêtes, et notamment sur celle autour de l’accusé. Le colonel répond, intraitable : “sur la base d’un seul interrogatoire d’un homme qui l’accusait, et qui a menti. On ne ment pas une fois : ou vous mentez ou vous ne mentez pas”.

Me Foreman décide de prendre au mot Michel Robardey et lui rappelle qu’il a envoyé une note en février 1993 à François Mitterrand, au pape Jean-Paul II et à plusieurs chancelleries et officines d’états européens intitulée “Dénonciation du génocide fait par le FPR“.

“Oui, c’était un effet d’annonce publicitaire“. L’emploi du mot génocide pour le colonel est à géométrie variable : “cela dépend de la définition qu’on donne à ce mot qui est différente selon les pays, j’imagine que le TPIR n’ a pas la même que la Cour…“.
Michel Robardey se justifie : ” ils massacraient les villageois en rafale../.. pour moi l’expression ‘khmers noir’ me paraissait totalement justifiée. “

Pourtant, jusqu’à la la veille encore, les historiens et journalistes ont devant la cour rappelé qu’il n’y a bien eu qu’un seul génocide au Rwanda, celui des Tutsi et Hutu modérés, et que quiconque avance la thèse d’un double génocide est coupable de révisionnisme et de négationnisme.
Mais, le colonel le rappelle “Nous sommes en guerre“. Il y a bien eu certes “quelques Tutsi molestés“, et des militaires français aux barrières filtrantes en 1993 (“seulement une semaine“)…
Et les massacres de Tutsi au Bugesera en 1992, préfiguration du génocide ? Michel Robardey a enquêté auprès de jeunes responsables Hutu “enivrés et drogués au chanvre indien” qui avaient en main ce que “tout Rwandais avait dans sa cave” (l’habitat rwandais d’alors n’a très majoritairement pourtant pas de cave) : “des casses-têtes et des machettes et des gourdins“. Ce n’était, selon le colonel, qu’une réponse spontanée aux attentats.

“la question qui tue“
Me Bruno Sturlese, l’avocat général rappelle que les accusations du ministère public ne sauraient être fondées sur des rumeurs et demande au témoin plus de clarté : “Quand vous parlez de génocide, vous parlez bien du génocide des Tutsi ?“

Michel Robardey s’esclaffe : “c’est la question qui tue !” Rumeurs de désapprobation de l’assistance, puis poursuit :
“Y-a-t-il eu un génocide, deux génocides, est-ce qu’on doit dire génocide rwandais… ?“

Ce qu’il veut dire haut et clair en revanche c’est ” qu’il y a eu un génocide, dès que la France est partie.“

Ni l’avocat général ni les avocats des parties civiles ne souhaiteront continuer à interroger le colonel qui quitte la salle le regard droit. Michel Robardey, faut-il le rappeler, fut avec d’autres militaires français accusé en 2008 par Kigali d’avoir participé au génocide.

Un peu plus tôt dans l’après-midi, le journaliste suisse Jean-Philippe Ceppi, présent à Kigali en avril 1994, avait quant à lui rappelé les scènes dont il avait été témoin, et qui l’avaient conduites à immédiatement dénoncer un “génocide” perpétré sur des Tutsi et Hutu modérés.

Par Guillaume Brunero


Procès Simbikangwa: 12 février 2014
13/02/2014
Audition de Gasana Ndoba, président fondateur du Collectif des Parties Civiles au premier procès de Bruxelles au printemps 2001.
Monsieur Gasana commence par se présenter comme le porte-parole de madame Kavaruganda dont le mari, président de la Cour Constitutionnelle en 1994, a été assassiné le 7 avril. Il avait reçu des menaces verbales de la part de Pascal Simbikangwa quelques jours plus tôt. Monsieur Kavaruganda s’en était ouvert au président de la République dans une lettre qu’il lui avait adressée le 23 mars 1994. “Monsieur Simbikangwa, en votre âme et conscience, vous savez que vous portez la responsabilité de la mort de mon mari”, rapporte madame Kavaruganda. Ce que Pascal Simbikangwa conteste, évidemment.
Le témoignage de Gasana Ndoba repose sur des témoignages recueillis sur place concernant la violation massive des droits de l’homme au Rwanda entre 1990 et 1994. En octobre 1990, répression massive sur les Tutsi et les Hutu opposants suite à la stratégie d’intoxication et de mensonge mise en place par le pouvoir. On a fait croire à une attaque du FPR: arrestation de milliers de personnes.
Plusieurs pogroms vont précéder le génocide comme autant de galops d’essai: Kibilira, massacre des Bagogwe, au Bugesera, à Kibuye… Cette répression s’accompagne de tortures jamais dénoncées: absence de réactions de la communauté internationale. Plusieurs rapports vont être publiés pour dénoncer ces actes de barbarie auxquels Simbikangwa est assez souvent mêlé.
Gasana Ndoba commente ensuite quelques pages du livre de Simbikangwa “La guerre d’octobre” pour en dénoncer les dérives racistes. Simbikangwa est un personnage plus important qu’il ne veut le reconnaître. De nombreux témoignages l’attestent.
Lecture du Rapport de René Degni-Segui, ancien rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme pour le Rwanda.
http://www.unhchr.ch/Huridocda/Huridoca.nsf/0/7eedb8b37597fdc9802566f9003c58ae?Opendocument
http://www.unhchr.ch/Huridocda/Huridoca.nsf/TestFrame/855cf0ac85877023802566a60034cf1c?Opendocument
Audition de madame Spéciose Mukayiranga.
Parole est ensuite donnée à madame Spéciose Mukayiranga rescapée du génocide et épouse du fondateur de l’association Kanyarwanda, association de défense des droits de l’homme. Fidèle Kanyabugoyi, un homme droit mais sans concession, sera assassiné le 11 avril après l’abandon des réfugiés par les Casques Bleus belges à l’école technique de l’ETO (Kicukiro). Voir le film “Shooting dogs”. Spéciose va faire le récit de son expérience dans les années 60, et plus particulièrement dans les années 90-94, période au cours de laquelle les Tutsi sont harcelés, maltraités et tués. Elle saura transmettre à la Cour une grande émotion qui aura certainement touché les jurés.
La journée se terminera par la projection de l’émission “La Marche du siècle” de Jean-Marie Cavada, “Autopsie d’un génocide” (1994) émission qui évoque longuement la mise en place et l’exécution du génocide. www.ina.fr/video/CPC94008085
“Images d’un génocide”, film “muet” de 9mn clôturera la journée.

Procès Simbikangwa: 13 février 2014
14/02/2014
Audience de Filip Reyntjens, professeur en droit constitutionnel et droits de l’homme à Anvers.
“Je n’ai rien à dire. J’attends vos questions”. C’est la première fois qu’un témoin ne souhaite pas faire de déclaration préliminaire. Ce sera donc une suite de questions réponses.
Concernant ce qui s’est passé au Rwanda en 1994? Combinaison de trois éléments:
– transition politique et démocratisation très déstabilisatrices
– la guerre civile déclarée le 1 octobre 1990: les dirigeants ont peur de perdre le pouvoir et leurs privilèges.
– la bipolarité Hutu/Tutsi difficile à gérer (voir Wallons/Flamands en Belgique, catholiques/protestants en Irlande du Nord), alors que s’était installée une tripolarité (MRND/opposants/FPR.
L’attaque du FPR de mars 1993 est interprétée comme une trahison. Scission des partis politiques en deux: fidèles à la ligne du parti/Pawa extrémistes. Le MRND a contribué à cette scission des partis d’opposition. Le FPR s’était rendu compte qu’il ne pouvait pas gagner les élections car il n’avait pas d’appui populaire au Rwanda. Des Tutsi se sont dit malheureux de cette attaque car il y avait un processus de démocratisation en cours.
“Je ne connaissais pas bien Habyarimana (?) mais pour les privilégiés de l’ancien système, il y avait une menace pour les élites hutu: perte de leurs privilèges, du pouvoir économique, fin de l’impunité.
L’Akazu? Oui, je pense qu’il y avait une “akazu”, une nébuleuse dont les membres étaient changeants, constituée essentiellement des gens du Nord (Gisenyi/Ruhengeri). L’akazu, ce sont les Hutu purs et durs. Simbikangwa est cité dans un document de Filip Reyntjens d’octobre 1992 comme faisant partie des “escadrons de la mort”. Le Rwanda se caractérise par une situation de violence: violation des droits humains, massacres de Tutsi, beaucoup de violence malgré plus de liberté dans la presse. D’où violence dans des journaux: Kangura, Umurava, Ikinani. (autant de journaux avec lesquels Simbikangwa a collaboré).
Filip Reyntjens souligne la responsabilité écrasante de la communauté internationale en décidant la diminution drastique des forces de la MINUAR le 21 avril 1994, responsabilité aussi de la Belgique et de la France.
A la question de savoir pourquoi Filip Reyntjens est cité comme témoin de la défense:” J’ai rencontré les témoins de la défense, je ne voulais pas témoigner. Le débat est dévoyé en France dès qu’on parle du Rwanda”.
Le témoin termine en disant que l’impunité qui régnait au Rwanda pouvait laisser entendre que tout était permis. les crimes de guerre du FPR au Congo n’ont pas été punis. Quant à Gasana Ndoba, “il a abusé des droits de l’homme pour rouler pour le FPR”.

Procès Simbikangwa: 13 février 2014 (suite)
14/02/2014
Audition de madame Françoise Sironi, expert psychologue.
Madame Sironi a rencontré Pascal Simbikangwa à quatre reprises, les 1/8/22 avril 2010 et le 19 mai de la même année. Le témoin expose la méthode qu’elle a utilisée, “méthodologie clinique”, qui sera farouchement contestée par les avocats de la défense.
Plusieurs éléments entrent en jeu dans la personnalité de Simbikangwa:
– son métissage culturel hutu/tutsi mal assumé: désamour pour un père “fainéant”, violent,qui a abandonné sa femme et amour d’une mère jolie et courageuse. Dans ce métissage culturel, on distingue plusieurs étapes: choix d’un côté et rejet radical de l’autre (amour de sa mère Tutsi/haine pour son père Hutu), puis identification à celui qui a été dénigré (père hutu), parfois accès à la diversité des deux (métissage bien vécu), ce qui peut donner des créateurs, pour le meilleur et pour le pire.
– mort de sa petite sœur Uwera alors qu’il avait 9 ans, décédée dans ses bras alors qu’il se trouvait seul avec elle: incrédulité, déni.
– une bonne scolarité: bon en français et en mathématiques. A 8 ans, il apprend par cœur un dictionnaire français, fascination de la culture des Blancs, fascination de la tenue militaire.
– admiration sans borne pour Habyarimana. Il est très élogieux pour Agathe Kanziga, l’épouse du président, “une sainte”. Le jour de la mort du président, il dit n’être pas sorti de chez lui pendant plusieurs jours!
– sa carrière militaire: ” Je m’étais marié avec l’armée”
– sa vie affective: il ne voulait pas se marier. Ce qu’il fait cependant à 28 ans. Il a une fille de 27 ans aux USA.
– son accident de 1986:” J’ai vu la mort en face”. C’est le “temps zéro de son existence”. Conscient qu’il ne pourrait plus remarcher, il se surinvestit dans la politique, découvre l’écriture, exprime sa déception:” Je serais devenu général”.
– profondément marqué par son séjour en prison à Mayotte où il dit avoir été “animalisé”!
– peur permanente du FPR, mais peur généralisée aux Tutsi, les ennemis (il a dit être 25% Hutu et 75% Tutsi!).
-aversion proclamée pour le mensonge. Il ne supporte ni le mensonge ni les menteurs! (accusation en miroir?)
– ambivalence dans sa lecture du génocide des Tutsi: “catastrophe”. “génocide, oui, mais des deux côtés”.
Le témoin termine en disant que Simbikangwa n’a aucune pathologie, aucun trouble mental. Il a un “désordre type: ensemble des troubles psychiques propres aux types de société qui les organise”. Simbikangwa a un fort sentiment de persécution, se dit victime d’une injustice. Il utilise le déni comme moyen de défense, éprouve une rage narcissique. En résumé, “les fonctions psychiques de Simbikangwa sont organisées autour du déni”.
Va suivre une joute verbale animée avec les avocats de la défense, surtout maître Epstein, qui contestent la validité scientifique de cette expertise. Quelques idées fortes de cet échange:
– “Ce ne sont pas les Tutsi qui ont abattu l’avion, ce sont les Hutu. Je le sais, j’étais bien placé pour le savoir, j’étais analyste au service de renseignements”. Propos tenus par Simbikangwa lors de l’expertise. Ce dernier tentera d’en faire une explicaton de texte peu convaincante.
– monsieur Simbikangwa est toujours dans le déni et la désempathie. il tient un discours victimaire. Ce qui le conduit à un étonnement: “Je suis victime et je suis accusé!”
L’avocat va contester la bibliographie sélective utilisée par l’experte:” Pourquoi Colette Braeckman… et pas Reyntjens ou Péan?”
La journée se terminera par la projection du documentaire “Tuez-les tous” ainsi que d’un petit film “Confronting Evil”.
Demain, parole sera donnée à deux nouveaux experts psychologue et psychiatre, ainsi qu’à Eric Gilet, avocat des parties civiles en Belgique dans plusieurs procès de génocidaires.

Kangura s’invite aux assises de Paris
15/02/2014
Retour de Kangura aux assises de Paris.
La dernière journée a été marquée par un « incident » regrettable. Alors que le témoin Eric Gillet, avocat au barreau de Bruxelles, terminait sa déposition, un des avocats de Pascal Simbikangwa, maître Alexandra Bourgeot, à court d’arguments, a osé s’adresser au témoin en ces termes : « Vous aviez des relations intimes avec des Rwandais ! », mi-question, mi-affirmation. Protestations sur le banc des parties civiles, du côté de l’avocat général et murmures dans la salle. Et d’ajouter, avec une certaine malice : « Vous aviez une petite amie rwandaise ! » Pour ne pas dire Tutsi !
Comment supporter de telles insinuations dans une cour d’assises où on juge un présumé génocidaire qui a partagé les idées mortifères d’un journal comme Kangura (N° 6 du 6 décembre 1990) dont on parle depuis deux semaines ? Pour mémoire, voici les deux premiers « commandements du muhutu » :
1. Tout Muhutu doit savoir que Umututsikazi [une femme tutsi] où qu’elle soit, travaille à la solde de son ethnie tutsi. Par conséquent est traître tout Muhutu qui épouse une Umututsikazi, qui fait d’une Umututsikazi sa concubine, qui fait d’une Umututsikazi sa secrétaire ou sa protégée.
2. Tout Muhutu doit savoir que nos filles Bahutukazi sont plus dignes et plus conscientes dans leur rôle de femme, d’épouse et de mère de famille. Ne sont-elles pas jolies, bonnes secrétaires et plus honnêtes !
Cela n’est pas sans nous rappeler aussi les propos de Pierre Péan dans son livre « Noires fureurs, blancs menteurs » (à ne pas lire). Voici un extrait de la lettre que je lui adressais le 5 janvier 2007 :
« Prenant la relève du Journal Kangura de sinistre mémoire, vous n’hésitez pas à affirmer (p.44), en parlant des organisations internationales auprès desquelles les « associations de Tutsi hors du Rwanda ont fait un très efficace lobbying », que « d’aucuns, parmi leurs membres, ont su garder de très belles femmes tutsi vers des lits appropriés ». De tels propos sont intolérables et vous discréditent. Non content de nous insulter, vous transformez nos épouses en putains ! Comme dit le proverbe chinois : « Il n’y a que la bouche qui vomit qui sent mauvais ».
Il est donc normal que les propos de maître Alexandra Bourgeot aient choqué, dans la salle, président, avocats, avocat général et public. Un rappel à la dignité aurait pu lui être fait avec une grande fermeté. Ce sont des propos de la même veine qui ont conduit au génocide. Souhaitons qu’il ne s’agisse là que d’un simple dérapage et que la leçon soit comprise par la défense. Aux assises comme ailleurs, tout n’est pas permis, et peut-être encore moins dans la bouche d’une femme !

Procès Simbikangwa: 14 février 2014
15/02/2014
Audition de Bertrand Phesans, psychologue clinicien.
En ce dernier jour de la seconde semaine, est entendu un nouvel expert, monsieur Bertrand Phesans, consulté à la demande de la défense de monsieur Simbikangwa, mécontent de celle de madame Sironi qui a été auditionnée la veille. Cette contre-expertise psychologique n’a pas changé fondamentalement les conclusions de la première: efficience intellectuelle normale, , aucune névrose constituée, position défensive à la limite de l’incohérence, tendance affabulatrice. Autant de traits qui apparaissent à l’occasion de ce procès. Monsieur Simbikangwa banalise les conséquences de son accident de 1986. Il se définit avec un caractère aigri, éprouvant un sentiment d’injustice, d’où une agressivité envers les autres. Monsieur Simbikangwa a grandi dans une constante culture de la haine des Tutsi. Comme il a choisi la position du président, tout s’écroule à sa mort. Pendant le génocide, il dit n’avoir rien fait, être resté dans son bureau. Le génocide? Une réaction spontanée de la population. S’il a été arrêté, ce sont les Français qui lui en veulent, avec l’aide du FPR.
A l’occasion de la séance de questions, l’expert insiste sur le fait que Pascal Simbikangwa nie la réalité des choses. Ce qui le tient à l’époque, c’est le soutien de la présidence. Sa capacité d’affabulation est surtout faite pour se tromper lui-même et non les autres. La haine des Tutsi est normale pour lui, il fait ce que lui demandait le président. Tuer des Tutsi, c’était banal pour lui.. Il ne reconnaît aucun massacre avant avril 1994. ” Je ne mens pas. Je n’ai rien à cacher car je n’ai rien fait.” En fait, cette contre-expertise ne contredit en rien la précédente. Et pourtant, après avoir rencontré l’expert, Pascal Simbikangwa avait adressé une lettre au juge d’instruction pour le remercier: ” Voilà le psychologue dont je salue l’impartialité.” Comprend qui pourra.
Audition de maître Eric Gillet, avocat au barreau de Bruxelles.
Maître Gillet connaît bien le Rwanda pour y avoir fait des enquêtes. Suite au massacre des Bagogwe, peuplade tutsi qui vit au milieu de ses troupeaux dans la préfecture de Gisenyi, Eric Gillet décide de mener une enquête internationale. Un rapport est publié en mars 1993 dans lequel on parle de” l’akazu”, une nébuleuse de gens qui ont confisqué le pouvoir, les ressources, les banques. Les membres de cette “organisation” appartenaient pour la plupart au cercle de la famille présidentielle auquel s’agrégeaient des militaires. En 1993, les membres de la commission ont entendu parler entre autres de Pascal Simbikangwa comme étant associé aux escadrons de la mort. Il serait connu pour avoir torturé des journalistes. Simbikangwa avait remis un dossier aux enquêteurs juste avant leur départ: mais, après lecture, il avait été jugé peu crédible. Ce document dénonçait les crimes commis par le FPR dans tout le pays (alors qu’il n’était présent que dans le Nord du pays). Alison Desforges, membre de cette commission, mentionnera, lors d’une intervention à Genève, le nom de Pascal Simbikangwa comme faisant partie des gens capables d’arrêter le génocide. D’autre part, beaucoup d’ouvrages citent le nom de Pascal Simbikangwa. On peut lire dans l’un d’entre eux que le plan de tuer monsieur Gatabazi, président du PSD, aurait été ourdi dans la maison de Simbikangwa. Cet assassinat aura lieu le 21 février 1994. A la question de savoir si les associations des droits de l’homme au Rwanda, dont celle de monsieur Gasana Ndoba, étaient manipulées par le FPR (affirmations de la défense), monsieur Gillet répond par la négative. Ce dernier précise que Pascal Simbikangwa était “l’interface entre les miliciens et l’armée”.
Viendra ensuite le dérapage de maître Bourgeot pour la défense. Voir communiqué précédent.
Audition de monsieur Frantz Prosper, expert psychiatre.
Ce nouvel expert va souligner que les rencontres avec Pascal Simbikangwa se sont déroulées dans une “parfaite courtoisie”, ce dernier gardant constamment la maîtrise des choses. Simbikangwa était soucieux de s’expliquer, de convaincre, tenait des propos clairs, posés, argumentés.. Aucun indice de déficit mental. S’il est triste de sa situation, il ne présente aucun trouble qui ait une incidence sur sa connaissance des faits. Lors des entretiens, Pascal Simbikangwa rend hommage à ses parents (Hutsi comme on a l’habitude de le dire), mais il se sent Hutu. Eduqué dans la foi catholique, il dit avoir vécu selon les valeurs de cette croyance. “Je suis Hutu, je ne pouvais pas tuer des Hutu. Ma mère est Tutsi je ne pouvais pas tuer des Tutsi. Ma religion m’interdit de tuer”! Simbikangwa aurait-il pu agir sous l’influence d’un trouble? Non. Il récuse toute implication dans le génocide. L’expert le définit comme un “petit bourreau volontaire”.
Simbikangwa a argument à tout, répond sur tout. ” Il a sauvé des Tutsi. Il sait de quoi il les sauve”, ajoute l’expert. Simbikangwa prétend n’être revenu à Kigali que pour ravitailler les gens cachés chez lui. On l’accuse pourtant du contraire! Après avoir souligné l’attachement fort que manifeste le poursuivi à l’égard du président Habyarimana, monsieur Prosper ajoutera: ” Chez Simbikangwa, aucune naïveté sur ce qui se déroulait. Il a une bonne compréhension de ce qui se passe. S’il a participé au génocide, il l’a fait en connaissance de cause. S’il est jugé coupable, il sera responsable”.
Une série de questions sera ensuite posée au prévenu. Quelques-unes de ses déclarations:
– ” J’avais apprécié la conclusion de monsieur Phesant, mais je n’avais pas tout lu.”
– “Avec la mort du président, j’ai eu un choc psychologique important. Je perdais un homme que j’aimais; c’était un fédérateur.”
– “Gillet a insulté Habyarimana alors qu’il a reçu beaucoup de récompenses.”
– “Habyarimana faisait l’unité nationale. Je pensais qu’il pouvait travailler avec Kagame. Les accords d’Arusha n’étaient pas assez favorables au FPR. Il ne pouvait que continuer la guerre.”
– ” Le massacre des Bagogwe? Il n’y a eu que deux morts, un Hutu et un Tutsi qui s’étaient battus. Et onze au Bugesera. Ce sont les faits qui ont été portés à la connaissance des services de renseignements.”
-“Tout le texte d’Alison, dans “Aucun témoin ne doit survivre“, est faux.
La journée se terminera par la projection du film “D’Arusha à Arusha”.

Procès Simbikangwa: 17 février 2014
17/02/2014
Audition d’Anatole Nsengiyumva, condamné par le TPIR à 15 ans de prison, en attente d’un pays d’accueil.
Ce colonel de l’armée rwandaise (FAR) dit avoir passé tout le génocide à Gisenyi. Après avoir décliné son curriculum vitae, il évoque Pascal Simbikangwa mais prétend ne l’avoir pratiquement jamais rencontré. L’akazu? “Tout le monde au Rwanda en a entendu parler à l’occasion du multipartisme. Ce sont les gens de l’opposition qui ont inventé ce mot, l’akazu n’existait pas formellement.” Il décrit ensuite l’organisation du service de renseignement passé à l’opposition mais conteste l’existence d’un réseau parallèle au service du président Habyarimana:” S’il avait voulu le faire, il n’aurait pas pu, il fallait l’accord du gouvernement.”
Des tortures au Service Central de Renseignement (SCR)? “On en a parlé dans les journaux d’opposition. Quant à savoir si Simbikangwa y a été mêlé, cela n’a jamais été confirmé.”
Des listes d’opposants politiques et de Tutsi à éliminer? “J’en ai entendu parler à Arusha, mais n’en ai pas vu au Rwanda.”
Formation des miliciens Interahamwe? “J’en ai entendu parler mais je n’ai jamais vu ça. Il y a eu une formation dans le cadre de la défense civile en 91/92. La distribution des armes se faisait en coordination avec les militaires.”
Simbikangwa avait quelle place au SCR? “Je ne sais pas. Il n’était chef d’aucune section, il n’était directeur de rien, je ne l’ai jamais vu dans des réunions. Simbikangwa était un agent ordinaire.”
Des entraînements d’Interahamwe dans la forêt de Gishwati ou ailleurs à Gisenyi? ” Pas à ma connaissance”.
Il est clair qu’il n’y aura rien à tirer de ce colonel dont monsieur Iyamuremye dira quelques heures plus tard que c’était “le plus extrémiste, un dur du Nord qui était craint”. Il finira par reconnaître tout de même que des armes ont été livrées aux Forces Armée Rwandaises à plusieurs reprises pendant le génocide. Mais il adopte une ligne de conduite proche de celle de monsieur Simbikangwa: ” Je ne sais rien, je n’ai rien vu, rien entendu, je n’étais pas là.” Une ligne de défense que l’on ne connaît que trop chez tous les présumés génocidaires.
Audition de l’ambassadeur Swinnen, diplomate retraité, en poste au Rwanda d’août 1990 au 12 avril 1994.
Il n’a pas connu personnellement Simbikangwa, mais il était au courant de sa réputation qu’il continue de “qualifier de redoutable.” Il a recueilli les témoignages d’un certain Boniface, journaliste qui aurait été torturé par Simbikangwa. Monsieur Swinnen a signalé ses agissements en haut lieu mais ne semble pas avoir été entendu. André Sibomana, directeur du journal catholique Kinyamateka et qui accompagnait Boniface chez l’ambassadeur, a dit vouloir publier une lettre de protestation au président de la république et au ministre de la justice pour exiger la démission de Simbikangwa afin de le mettre hors d’état de nuire. Monsieur Swinnen dit être intervenu au profit de plusieurs personnes menacées. A propos des massacres du Bugesera (mars 1992) un colonel lui a dit que les responsables n’étaient pas les Interahamwe mais des militaires. Et de nommer Protais Zigiranyirazo, Elie Sagatwa et Pascal Simbikangwa. N’oublions pas que ce dernier a donné de ces événements une version totalement contraire… Jean Birara, de la Banque Nationale du Rwanda, a donné à monsieur Swinnen une liste de gens chargés d’éliminer les Tutsi. Le nom de Simbikangwa figurait sur cette liste.
Pour monsieur Swinnen, “le salut du Rwanda passait par le soutien des forces modérées.” A la mort de Ndadaye, président du Burundi, assassiné par des militaires tutsi, l’ambassadeur a rencontré le président Habyarimana qui lui a confié: ” Vous me reprochez de ne pas faire assez de concessions. Comment voulez-vous que je vende ma marchandise à mon opinion publique alors que Ndadaye n’a tenu que trois mois?” Réponse de l”ambassadeur: “Il n’y a pas d’alternative aux accords d’Arusha. Pas de salut en dehors d’eux.” Monsieur Swinnen termine sa déposition en disant:” Aujourd’hui je me réjouis de ce procès car il contribue à la recherche de la vérité.” Lors de la séance de questions, monsieur Swinnen reprendra le refrain anti FPR entonné à plusieurs reprises au cours de ce procès (intoxication,manipulation) et terminera en regrettant de ne pas trouver à ses côtés monsieur Marlot, ambassadeur de France au Rwanda en 1994. Il aurait probablement eu des choses à dire.
Audition d’Augustin Iyamuremye, responsable du service des renseignements à partir de 1992.
Avant d’arriver dans ce service, monsieur Iyamuremye connaissait la réputation de tortionnaire de Pascal Simbikangwa. “Je pensais qu’on exagérait, mais j’ai décidé de m’intéresser à son dossier.” Quelle était le rôle officiel de Simbikangwa au service de renseignements placé sous la responsabilité de monsieur Augustin Iyamuremye? Lui-même ne comprenait pas trop. Militaire réformé mais qui aurait retrouvé son statut de militaire? Une note interne de fin 1991 attirait l’attention sur “les agissements scandaleux dans le service ou en dehors du service de certains agents, dont Pascal Simbikangwa au sujet duquel on avait des doutes sur la façon dont avait été faite sa nomination!” Monsieur Iyamuremye l’a changé d’affectation, lui a retiré son véhicule de service.
Monsieur Iyamuremye fait ensuite allusion à un incident qui s’est passé lors de l’inauguration d’un hôpital à Kibungo (est du pays). Alors que madame le Premier ministre s’apprêtait à poser la première pierre, le président Habyarimana l’a bousculée pour prendre sa place. Mécontent, monsieur Iyamuremye a fait couper la sonorisation. Monsieur Simbikangwa a alors écrit une lettre au premier ministre pour dénoncer son chef en disant qu’il travaillait pour les Inkotanyi (FPR). Monsieur Iyamuremye a reproché aussi à Simbikangwa d’avoir tout fait pour trouver de nouveaux actionnaires pour la RTLM, ce que conteste bien évidemment le prévenu. De toute évidence, Pascal Simbikangwa outrepassait ses attributions: “Il était engagé pour s’asseoir dans son bureau et faire des notes, pas pour circuler.”
La journée se terminera par des questions posées au prévenu. Il conteste tout ce qu’on dit sur lui, fidèle à sa ligne de conduite. Tout le monde ment. Il serait le seul à dire la vérité. A propos des déclarations d’Augustin Iyamuremye: “Tout de qu’il a dit au TPIR et aux enquêteurs français diffère de ce qu’il a dit aujourd’hui. il ment. Ce qu’il a raconté ici, c’est honteux.” Au détour d’une phrase, il souligne “qu’Alain Gauthier ferait mieux de travailler à la réconciliation des Rwandais”. Et si la justice était l’un des chemins qui mènent à cette réconciliation?

Procès Simbikangwa: 18 février 2014
18/02/2014
Audition de monsieur Bigega, agent de l’Etat au SCR (Service Central de Renseignements)
Monsieur Bigega travaillait au SCR mais comme agent logisticien.Il a beaucoup travaillé en dehors de Kigali, dans les différentes préfectures. De ce fait, il a peu côtoyé Pascal Simbikangwa. Le témoin a cependant rappelé que monsieur Simbikangwa était “colérique”, qu’il “prenait comme prétexte le fait d’être proche du président pour intimider les gens.” Il ne craignait personne d’autre que le président. Monsieur Bigega a continué:” Il montrait qu’il haïssait les Tutsi.” Lorsque la défense lui demande pourquoi il ne voulait pas venir à Paris pour témoigner: “J’avais peur, peur des opposants actuels de Kigali qui pouvaient me faire du mal.” Comme à son habitude, Pascal Simbikangwa conteste ce témoignage:” Ils viennent là pour la récitation. Ils ont appris à me calomnier, à calomnier le président.” Reprenant cette question de la peur des témoins, l’avocat général l’adresse à Simbikangwa. Ce dernier de répondre:” Les opposants? Vous pensez qu’ils peuvent tuer? En France, il n’y a pas de pression sur les témoins. Par contre, à Kigali, on fait pression sur les témoins car on ne veut pas la vérité, on ne veut pas reconnaître l’innocence.” ” L’ethnisme continue au Rwanda, les Hutu se trouvent en marge.”. Il termine en disant qu’il veut donner une leçon à Monsieur Gauthier: “Je voudrais que Monsieur apprenne l’histoire des Juifs à propos de laquelle on reconnaît des Justes! Alain Gauthier continue à faire la propagande du FPR pour que la réconciliation nationale soit impossible.” Tout le monde aura compris qu’il s’agit là d’un procès d’intention. C’est ainsi que se comporte Pascal Simbikangwa quand il est à court d’arguments.
Audition de Faustin Twagiramungu, politicien.
Monsieur Twagiramungu ayant volontairement confondu prétoire et tribune politique, nous avons décidé de ne pas rédiger de compte-rendu de son audition. La justice mérite mieux que ça.
NB. Monsieur Twagiramungu avait offert ses services à la défense!

Questions à monsieur Simbikangwa.
Monsieur le président, Olivier Leurent, va relire, en fin de journée, plusieurs témoignages qui mettent Simbikangwa en cause. Comme à son habitude, le prévenu conteste tout. Il ne connaît aucun des témoins qui sont pratiquement tous de sa commune d’origine, les traite de menteurs, parle du “langage diabolique” de l’un, qualifie les propos d’un autre “d’absurdes”, parle de “délation, de terreur, de mensonges”. Rien de nouveau sous le soleil.
En fin d’audience, Pascal Simbikangwa dit qu’il connaissait Robert Kajuga, le président des Interahamwe: “Ce n’était ni un ami, ni un ennemi.” On s’en tiendra là pour aujourd’hui.

Le président, évoquant le planning de demain, annonce que Georges Ruggiu refuse de venir témoigner. Il voulait que ce soit à huis clos, ce qui n’est pas possible. Une nouvelle tentative pour le convaincre aura lieu dans les jours qui viennent.

Procès Simbikangwa: 19 février 2014
19/02/2014
Audition de monsieur Théophile Gakara.
Monsieur Gakara est un ancien major de la gendarmerie rwandaise. Il est actuellement enseignant au Centre Wallonie-Bruxelles, en Belgique. Après avoir quitté le Rwanda en 1994, il a fait un séjour d’abord au Zaïre, puis un autre encore plus long au Congo Brazzaville! Il est en Belgique depuis 2002.
Dès le début de son audition, monsieur Gakara avoue qu’il a très peu connu Pascal Simbikangwa, et ce au cours de l’année 1982. Après, il ne l’a plus jamais revu. Se pose alors la question de savoir quel intérêt il y a à entendre un tel témoin! Il nous apprend que pendant le génocide il n’a pas vraiment bougé de chez lui, qu’il pouvait passer les barrières assez facilement au début mais que c’était plus difficile vers la fin. Simbikangwa tenait-il des propos anti-tutsi dans les années 80? “Le problème ne se posait pas à l’époque” affirme-t-il. “Pendant le génocide, le FPR a lancé 13 assauts sur le camp de Kaciru” poursuit-il. “Les milices? Je ne connais pas bien la définition des milices. Nous étions pris en tenaille…” “Les escadrons de la mort? L’expression a été importée d’Afrique du Sud.” Autant de réponses suffisamment vagues pour nous laisser croire que ce major n’avait pas beaucoup de poids dans la gendarmerie. Nous l’avons cru jusqu’à ce que l’avocat général lui pose la question: ” Mais vous faisiez partie du petit groupe qui, dans la nuit du 6 au 7 avril, et la nuit suivante, a participé à deux réunions aux côtés de Bagosora?”. Les choses s’éclairent. Celui que l’on prenait pour un simple major a exercé des responsabilités extrêmement importantes et décisives pour la suite des événements. D’où une certaine difficulté à se livrer vraiment. Peut-être aurait-on pu en savoir beaucoup plus? Mais l’avocat général l’a rassuré:” Ce n’est pas votre procès, monsieur Gakara!” On en restera là.

Audition de Sam Gody Nshimiyimana, journaliste, rédacteur en chef du Journal Kiberinka (Soleil couchant) en 1992.
Monsieur Nshimiyimana va raconter sa rencontre avec Simbikangwa et ses sbires un jour de janvier 1992. Pour avoir publié un article qui déplaisait à monsieur Simbikangwa et au régime, il va subir la torture, et de la part de Simbikangwa et de celle de ses acolytes. L’épreuve va durer quatre jours au cours desquels il va se faire frapper sur les pieds après qu’on lui eut bandé les yeux d’un bandeau imprégné de piment. Simbikangwa en personne est accusé d’avoir frappé le témoin avec un fer à béton. Difficile de mettre en doute un tel témoignage. La seule parade pour Simbikangwa sera de dire qu’il n’est pas poursuivi pour des crimes de torture. Il a raison, mais ce témoignage permet d’éclairer une fois encore la personnalité complexe du prévenu qui n’a pas bronché pendant toute la durée de l’audition.
Monsieur Nshimiyimana va alors être soumis à un flot de questions de la part du président. Ce dernier va mettre en exergue les contradictions que l’on peut trouver entre les réponses que le témoin a fournies aux enquêteurs français en 2010, les déclarations qu’il a faites aux journalistes de Reporters sans Frontières lors d’une interview du 22 août 1993 et celles données ce jour devant la cour. Il faut bien reconnaître des différences sensibles mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’exercices très différents et que près de dix-sept ans séparent les deux premiers événements. Monsieur Nshimiyimana, avec fermeté et sang-froid, va tenter de se tirer des pièges qui lui sont tendus de tous côtés. Il finira par s’en tirer avec honneur malgré une dernière tentative des avocats de la défense de le déstabiliser.
Parole sera enfin donnée à monsieur Simbikangwa. Fidèle à sa ligne de conduite, il va accuser les associations de victimes, dont Ibuka d’être plus puissantes que le gouvernement de Kigali lui-même, que les témoins du Rwanda ne peuvent que dire ce qu’on leur a dit de dire et que Sam Gody a essayé de manipuler la cour. On serait tenté d’en sourire s’il ne s’agissait pas de propos tenus devant une cour d’assises qui le juge pour complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité. Simbikangwa va reprendre son refrain de la veille concernant les Justes récompensés par les Juifs: le Rwanda pourrait bien s’en inspirer! Lorsque Domitille Philippart, une des avocats du CPCR, lui demande si la date du 2 février lui dit quelque chose, il répond par la négative. “C’est la journée des Justes au Rwanda”, précise-t-elle. “Ah bon! je ne savais pas. Ca fait 20 ans que je n’y ai pas mis les pieds. Mais est-ce que je suis sur la liste?”
Eclats de rire dans la salle. L’audience est suspendue jusqu’au lendemain.

Procès Simbikangwa: 20 février 2014
21/02/2014
Audition de Venanse Munyakazi.
Monsieur Munyakazi était fonctionnaire d’Etat en poste à l’imprimerie nationale au Rwanda dans les années 90.
Monsieur Munyakazi commence par évoquer les circonstances de ses rencontres avec Pascal Simbikangwa. Ce dernier venait à l’imprimerie nationale pour voir où en était l’impression des journaux qu’il finançait ou auxquels il participait. Le témoin évoque les nombreuses venues du prévenu, parfois avec Hassan Ngeze. Simbikangwa faisait pression pour retarder la sortie d’un journal afin d’y insérer un nouvel article; il s’assurait aussi parfois qu’un journal d’opposition soit empêché de paraître. “On avait peur de lui”, ajoute-t-il.
Dans un deuxième temps, le témoin évoque un appel de Simbikangwa qui lui demande de se présenter au bureau du SCR (Service Central de Renseignements). A la question de savoir pourquoi monsieur Munyakazi ne lui donnait pas d’informations sur les journaux qui le critiquaient, lui et le pouvoir: “Si tu ne le fais pas, tu auras de sérieuses conséquences” menace Simbikangwa. Son chef lui demandera de ne pas tenir compte de cet avertissement.
Dans un troisième temps, le témoin va raconter à la cour une distribution d’armes que Simbikangwa aurait faite dans le quartier populaire de Nyamirambo à Kigali. Suite à l’exécution de voisins tutsi, se sentant menacé, monsieur Munyakazi a décidé de quitter le Rwanda pour Bukavu, au Zaïre, dès le 13 avril.
Le témoin aura ensuite à répondre à de nombreuses questions concernant l’entraînement des miliciens Interahamwe, la distribution des armes…
Prenant la parole en dernier, Pascal Simbikangwa va reprendre les thèmes qu’il développe depuis trois semaines:
– “Les témoins qui viennent de Kigali sont endoctrinés, ils jouent la comédie, se battent contre l’innocence.”
– “Je n’ai jamais eu aucune relation avec Kangura.”
– “Cet homme (le témoin), c’est la première fois que je le vois (asséné trois fois avec fermeté). Il a une façon bien rodée de reproduire ce qu’on lui a mis dans la tête pour me diaboliser.”

Audition de Michel Kagiraneza, aujourd’hui plombier à l’usine de thé de Rubaya.
Au début du génocide, monsieur Kagiraneza a 22 ans et se trouve en congés chez son parrain, le directeur de l’usine de thé de Rubaya. Il commence son audition par évoquer un souvenir précis. Alors qu’il se trouvait chez son parrain, il se souvient avoir vu arriver Pascal Simbikangwa. Il rapporte alors la conversation qu’il a entendue: Simbikangwa et son hôte parlent de la nécessité d’attaquer la colline de Kesho où se sont réfugiés près de 1500 Tutsi qui ont jusques-là résisté aux attaques des miliciens. Cette mise à mort sera mise en place le lendemain (à noter que Pascal Simbikangwa n’est pas jugé pour cet épisode, ce que nous avons regretté, sa participation n’ayant pas pu être prouvée vu les témoignages contradictoires). L’avocat du CPCR, Simon Foreman, ne se privera pas, d’ailleurs, de faire remarquer à Simbikanga qu’il a la chance d’avoir échappé à cette accusation.
Après sa déposition spontanée, le témoin va faire l’objet d’un tir nourri de questions. Le président et l’avocat général ne se privent pas de le mettre en face de ses déclarations contradictoires. Sans qu’on comprenne tout de suite pourquoi, il dit tout et son contraire, nie sa présence à Kabaya, lors du discours de Léon Mugesera, puis reconnaît qu’il y était, souligne celle de Simbikangwa puis l’infirme aussitôt. Tout le monde se demande pourquoi et comment un tel témoin a pu être cité! Ni la défense, ni les parties civiles ne semblent y trouver leur compte. “Vous n’êtes pas crédible, monsieur Kagiraneza”, assène maître Epstein, pour la défense. Le témoin panique, reconnaît ses témoignages contradictoires. On comprendra finalement assez vite que le témoin, habitant près de l’école de Kibihekane, au coeur du fief Habyarimana, Zigiranyirazo et consorts a peur des représailles dont il risque de faire l’objet quand il retournera chez lui. Se pose clairement la question de la préparation des témoins et du risque qui existe de les mettre en danger. On est loin des thèses de Simbikangwa sur les témoins manipulés par le FPR! Quoique! Le témoin, malgré ses 42 ans, paraît jeune. Simbikangwa ne lui donne pas plus de 22 ans! Ce qui lui permet de dire que, le témoin ayant deux ans en 1994, c’est un enfant qu’on a formaté pour venir témoigner contre lui! Heureusement que le ridicule ne tue pas!

Suite donnée aux demandes de la défense de prendre connaissance d’un certain nombre de documents.
Le président ayant fait droit à la défense de lire des articles de Stefen Smith (qui ne peut venir à la barre), maître Epstein va nous infliger de longues minutes d’une lecture fastidieuse. L’avocat général a pris soin de qualifier les écrits du journaliste de “sulfureux”. Il parle aussi d’une réaction “déloyale” de la défense de vouloir faire une telle lecture.. Et effectivement, pendant de longues, trop longues minutes, nous allons subir les écrits tendancieux d’un journaliste anti-FPR qui puise son inspiration chez Péan, Guichaoua, Claudine Vidal et autres Ruzibiza. Ce dernier a été l’informateur du juge Bruguière dont les conclusions de l’ordonnance ont été plus que mises à mal par l’enquête du juge Trévidic. Il est aujourd’hui reconnu que Ruzibiza a écrit un tissu de mensonges pour plaire au juge et obtenir les papiers qu’on lui avait promis.
La tactique de la défense va provoquer la colère justifiée de maître Simon Foreman:” La défense veut toujours entraîner les témoins sur leurs liens avec le FPR!” Ca suffit. Simon Foreman finira par reconnaître, malicieusement, que cette lecture de plus d’une demi-heure nous aura toutefois évité de passer une demi-journée avec Stefen Smith. A toute chose malheur est bon. L’avocat général, s’adressant aux jurés, leur rappelle qu’ils auront à juger un homme, Pascal Simbikangwa, pour son rôle personnel dans le génocide des Tutsi, événement incontestable.
La défense va alors nous infliger une seconde punition: la lecture des dépositions de Pascal Simbikangwa lors de sa garde à vue à Mayotte. Là encore, irritation de l’accusation et des parties civiles. Quel est l’intérêt d’une telle lecture? Pascal Simbikangwa, comme à son habitude, va vouloir prendre la parole pour dire une nouvelle fois qu’il a passé la majeure partie de son temps dans son fief de Gisenyi pendant les trois mois du génocide et qu’il n’est revenu à Kigali qu’une fois pour ravitailler la cinquantaine (sic) de Tutsi qu’il hébergeait dans sa maison de Kiyovu. Il sera indispensable, dans les jours qui viennent, de revenir avec précision sur son emploi du temps. On risque d’y retrouver un certain nombre d’incohérences.
Mais la journée n’est pas finie. Il reste à lire un dernier document: l’acte d’accusation envoyé par le Rwanda en mars 2008 à l’appui de la demande d’extradition, extradition qui sera rejetée par les magistrats français, comme ils le feront pour une quinzaine d’affaires: exception française! L’avocat général va rappeler aux jurés la chronologie des faits dans cette affaire Simbikangwa avant que maître Epstein ne nous inflige cette dernière lecture. Demande lui est faite de ne lire que des “morceaux choisis”. Bien évidemment, pour troubler les jurés, l’avocat de la défense ne lira que des parties de l’acte d’accusation qui n’ont pas été retenues par l’ordonnance de mise en accusation des juges d’instruction, l’OMA. Manipulation? La question peut se poser légitimement.

Procès Simbikangwa: 24 février 2014
25/02/2014
Audition de Théoneste Habarugira.
Le témoin commence par évoquer une réunion qui s’est tenue le 7 avril 1994 en fin d’après-midi à l’école de Kibihekane, réunion au cours de laquelle sont décidés les massacres du lendemain sur la colline de Kesho. La présence de Simbikangwa est précisée, ainsi que les quelques paroles qu’il aurait prononcées concernant l’élimination des Tutsi à Kesho le lendemain.. Une “réception” est organisée en fin de journée au bar du conseiller Sebatware. Les tueurs partiront le lendemain vers Kesho mais devant la résistance des Tutsi, ils rebrousseront chemin pour aller chercher le renfort des militaires. Simbikangwa leur fera remarquer qu’ils n’ont pas combattu comme des militaires. Le lendemain, après avoir pris de l’essence chez Jaribu, le directeur de l’usine de thé, et ce pour incendier l’église qui se trouve au sommet de la colline, les tueurs se rendront de nouveau à Kesho en compagnie de militaires tels que Bagosora et Simbikangwa. Près de 1500 Tutsi seront tués ce jour-là.
Fin avril début mai, Simbikangwa aurait été vu en train d’entraîner les Interahamwe: il donnait des ordres aux militaires qui les transmettaient aux miliciens. Le témoin reconnaît qu’il a participé au génocide, qu’il a plaidé coupable.
Va suivre ensuite une série de questions qui va permettre au témoin de donner des précisions sur ce qu’il vient de dire:
– Simbikangwa était fort écouté car il était proche du président.
– Simbikangwa était quelqu’un de méchant et de fort agressif.
– Simbikangwa a bien participé à la réunion du 7 avril à Kibihekane, réunion au cours de laquelle il aurait dit qu’il faut tuer les Tutsi et qu’il fallait aller à Kesho: “Nous devons éliminer l’ennemi où qu’il soit.”
Le témoin rapporte aussi que Simbikangwa participait bien à la rencontre de Kabaya, en 1992, au cours de laquelle Léon Mugesera a prononcé son fameux discours anti-Tutsi (Mugesera a été extradé par le Canada vers le Rwanda où il est actuellement jugé, ndlr).
Suite à la question de maître Daoud, le témoin reconnaît qu’il a tué des gens aux barrières mais il indique aussitôt que personne au Rwanda ne lui a demandé d’accuser le prévenu et qu’il est venu dire la vérité. A la question de maître Simon Foreman, avocat du CPCR, de savoir si des armes ont été distribuées, le prévenu répond par l’affirmative.
C’est alors au tour des avocats de la défense d’interroger le témoin. Maître Epstein est bien le seul à avoir compris que le témoin aurait dit que Simbikangwa n’était pas à Kabaya. Remous dans la salle, ce qui agace l’avocat de la défense. Colère de maître Daoud lorsque maître Bourgeot, autre avocat de la défense, revient sur le sujet.
Parole est enfin donnée à Pascal Simbikangwa. Fidèle à sa défense, il s’exprime avec une certaine agressivité. En substance:
– “L’homme qui vient de témoigner devant vous, je ne l’ai jamais rencontré.”
– Je ne suis jamais allé chez Zigiranyirazo.
– Tout ce qu’on entend, ce sont des “conneries” (sic).
– Ces gens-là ont appris à mentir.
– De ma vie, je n’ai jamais mis les pieds à Kibihekane. Les gens racontent les récitations après la victoire du FPR;”
En direction de maître Daoud qui lui pose une dernière question: ” Je n’ai pas de compassion envers les assassins. Je vous demande de ne pas en avoir.”

Audition de José Kagabo.
Le professeur Kagabo, historien à l’EHESS, viendra à son tour à la barre pour rappeler le rôle de Simbikangwa dans l’affaire Lizinde, accusé par le régime Habyarimana d’être responsable d’une cinquantaine d’exécutions de personnalités de la république précédente. Condamné à mort puis à la réclusion à perpétuité, Lizinde sera libéré de la prison de Ruhengeri par le FPR (attaque qui déclenchera le massacre des Bagogwe, ndlr). Le témoin accuse Simbikangwa d’avoir fait torturer Lizinde et de l’avoir soumis à des traitements dégradants. Sera ensuite évoquée la publication du livre du prévenu, “La guerre d’octobre”, déjà évoqué au cours de ce procès. Monsieur Kagabo soulignera enfin l’omnipotence de Simbikangwa dans son groupe clanique de la préfecture de Gisenyi.

Audition de Jean de Dieu Bihintare, agronome à Gishwati en 1994.
Cette audition se résumera à une séance de questions dans la mesure où le témoin n’a pas l’intention de faire une déclaration préliminaire. Le témoin est un tueur repenti. Evoquant la réunion de Kibihekane, le témoin confirme la présence de Simbikangwa, ainsi que celles de Bagosora, de Mpiranya et d’autres autorités civiles. Ordre était donné d’aller sur les barrières. Arrivé en retard à la réunion, contrairement à d’autres témoins, il n’ pas entendu l’intervention de Simbikangwa. Il ajoutera que ce n’est pas l’état rwandais qui l’envoie: “Je dis ce que je sais sur Simbikangwa. S’il dit qu’il était à Kigali, c’est à lui de fournir les preuves. Si je viens pour lui nuire, la justice le rétablira dans ses droits.”
Le témoin a vu passer beaucoup de véhicules à la barrière où il se tenait: ” Simbikangwa est passé mais ce n’est pas lui qui conduisait.”
Entre-temps, Simbikangwa avait repris ses propos obsessionnels: ” Tout ce qu’on a raconté est une machination, un montage lié à la méchanceté, à la haine, au refus de la reconnaissance de l’innocence. J’ai l’impression que cet homme a été manipulé par Ibuka (association d’aide aux rescapés, ndlr) qui prépare au mensonge.
“Vous êtes un juste”? lui demande maître Daoud. “Je le pense!’ J’ai fait un devoir d’homme respectable. J’ai eu la chance d’avoir des gardes qui m’ont permis de sauver des gens en difficulté.”
Et de terminer en disant qu’il y a erreur sur sa personne, qu’on le prend pour quelqu’un d’autre. “Je suis poursuivi par des Français: Alain Gauthier m’a jeté en prison!”

Audition de Gaspard Gatambiye, rescapé, technicien à l’usine de thé.
Une grande partie de sa famille a été tuée pendant le génocide, son père ayant déjà trouvé la mort en 1993 parce qu’il était Tutsi. Le témoin, manifestement ébranlé par le fait de venir témoigner en France, évoque des méfaits de Simbikangwa mais mélange les dates. La défense aura beau jeu de le prendre en défaut. Il parle d’une rencontre de Simbikangwa à Muteho, la fixant dans un premier temps en 1994. En réalité, il s’agira de 1991, après la mort au front du major des FAR, Rwendeye. Il avoue qu’il est traumatisé: d’où les imprécisions dans les dates. Evoquant son audition par les enquêteurs français en 2010, il reconnaît qu’il va abréger l’entretien dans la mesure où sa convocation a été largement diffusée autour de lui. Le témoin est manifestement terrorisé: ” Je suis aujourd’hui en France mais mon coeur n’est pas tranquille”, finira-t-il par dire. Il accuse Simbikangwa de mentir sur le rôle de l’association Ibuka dont il est président dans son secteur.
L’avocate générale, prenant la parole, va prononcer des paroles lourdes de sens qui ne tempéreront pas les ardeurs des avocats de la défense lorsqu’il reprendront la parole.
“Je voudrais faire une observation, commence-t-elle. On regrette de vous avoir fait citer comme témoin car on mesure les risques que vous encourrez. On n’a pas assez mesuré la situation aujourd’hui. Vous êtes dans une situation impossible. C’est nous qui vous y avons mis”. L’émotion est palpable dans la salle. Le problème de la protection des témoins est clairement évoquée, et pas dans le sens où la défense veut bien l’entendre.
Une fois encore, c’est Pascal Simbikangwa qui aura le mot de la fin: ” Ce monsieur Gatambiye n’est pas celui que je connaissais. C’est un autre Gatambiye. Il y a une supercherie.” Faisant allusion à la mort d’un professeur dénoncée par le témoin: ” En 1991, j’aurais demandé qu’on tue un professeur? Je suis chrétien! Je n’ai jamais tué une mouche. Ce monsieur est un menteur.”
Une nouvelle fois on s’en tiendra là. Simbikangwa serait bien le seul à dire la vérité… Et il est bien le seul à le croire.

Procès Simbikangwa: 25 février 2014 matin.
25/02/2014
Audition de monsieur Théoneste Marijoje, professeur à Rambura en 1994, responsable ressources humaines dans une entreprise de construction aujourd’hui.
Monsieur Marijoje commence sa déposition en évoquant des réunions qui étaient organisées pendant les vacances scolaires à l’école de Kibihekane. Ces réunions s’adressaient aux collégiens qui poursuivaient leurs études dans différentes régions du Rwanda, et avaient pour objectif de faire connaître aux autorités locales ce que l’on enseignait à ces jeunes gens dans les domaines de l’Histoire et de l’Education civique. Les autorités locales cherchaient aussi à connaître combien de jeunes originaires du Nord du pays poursuivaient des études. Pascal Simbikangwa aurait participé de temps en temps à ces rencontres, plutôt comme observateur.
Le témoin va ensuite évoquer la présence, dans la résidence de la famille Habyarimana, à Rambura, de matériel militaire (blindés, canons) dissimulé suite à la demande de la MINUAR de réduire l’armement dans les zones de combat. Simbikangwa serait venu plusieurs fois à la résidence du président, selon des GP (Gardes Présidentiels, ndlr), pour surveiller ce matériel. Il voulait aussi savoir si des journalistes venaient dans la région.
Le témoin assure avoir vu Simbikangwa, dans l’après-midi du 7 avril, se diriger vers l’école de Kibihekane où devait se tenir une réunion. Monsieur Marijoje ne s’est pas rendu à cette rencontre qui était plutôt réservée aux Interahamwe. Le lendemain, le témoin a vu passer des camions qui transportaient des gens vers Rubaya: Simbikangwa était là aussi. C’est seulement le soir que le témoin a su que les Tutsi de Rubaya avaient été attaqués.
Monsieur Marijoje rêvait de devenir militaire. C’est la raison pour laquelle il s’était inscrit pour suivre des entraînements. Mais il s’est très vite rendu compte que les participants étaient des “illettrés et des voyous” et qu’il ne pourrait pas ainsi devenir militaire. Au bout de trois semaines il aurait renoncé à cette formation, malgré les rappels réitérés des autorités qui lui reprochaient sa décision. Simbikangwa serait venu plusieurs fois surveiller les entraînements. Plusieurs de ces jeunes gens qui avaient reçu une formation seront envoyés combattre dans différents secteurs de Kigali. Ces derniers sont revenus fin juin, ceux du moins qui n’étaient pas morts au combat, et ont raconté ce qu’ils avaient fait. Monsieur Marijoje révèle qu’il a cependant tenu une barrière mais que les Gacaca ne l’ont pas poursuivi dans la mesure où il n’y aurait pas eu de victimes à cette barrière.
Le 13 juillet 1994, un hélicoptère piloté par le major Haguma a survolé la région pour annoncer que le moment de s’exiler au Zaïre était arrivé. Au cours de cette fuite, Simbikangwa aurait tué lui-même un vieillard dont la vache se serait mêlée à son troupeau , ce dernier étant le seul militaire à fuir avec ses vaches.
Lors d’un bref retour en arrière, le témoin évoque une conversation avec la soeur d’Elie Sagatwa, mort dans l’avion, au sujet du rapatriement des corps des victimes de l’avion. Il suppose que les corps ont été ramenés au pays natal par hélicoptère. L’évêque de Nyundo serait venu célébrer une messe pour les défunts.
Va suivre ensuite une série de questions au sujet des différentes déclarations faites par le témoin, ce dernier ayant été entendu par des enquêteurs belges, français ainsi que ceux du TPIR. Il reconnaît qu’il n’a subi aucune pression pour venir témoigner. En fin d’audition, on montrera au témoin des photos de la maison de Simbikangwa qu’il n’aura pas de peine à reconnaître, du cabaret du conseiller Sebatware, ainsi que de la résidence de la famille Habyarimana.
Florilège des propos de Simbikangwa en fin d’audience:
– “Je n’étais pas ministre de l’Education nationale, pas ministre, pas bourgmestre (à propos de sa présence aux rencontres des jeunes à Kibihekane, ndlr). Ces gens-là (les témoins, ndlr) ont été formés pour me diaboliser, me ridiculiser.”
– “Ces réunions sont des légendes funestes.”
– “Je peux être méchant. Mais tuer une vache! (à propos de la mort du vacher, ndlr). C’est diabolique. C’est essayer de m’animaliser. Tout cela vient d’un homme qui vit sous la terreur d’Ibuka qui fournit beaucoup d’argent…”
– “Je suis balancé par les parties civiles.”
-“Vous ne comprendrez jamais rien, vous n’accepterez rien, vous manipulez la cour.”, dit-il à maître Simon Foreman, avocat du CPCR, qui le pousse dans ses derniers retranchements.
L’audience sera suspendue sur ces propos toujours aussi négateurs.
Le début de l’après-midi sera consacrée à l’audition de madame Valérie Bemeriki, en visio-conférence, de la prison centrale de Kigali.

Procès Simbikangwa: 25 février après-midi.
26/02/2014
“Extrême extrémisme”
La liaison avec Kigali est mauvaise, mais Valérie Bemeriki, en tenue rose de détenue, vient s’asseoir dans le grand fauteuil qui l’attend pour cette visioconférence, derrière une table nue.
L’ancienne journaliste à la Radio Télévision des Mille Collines a été condamnée à perpétuité par une tribunal Gacaca en 2009.
De trois quart face et en contre-plongée, elle jure avec une voix ferme, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Et son témoignage est accablant pour l’accusé.
Elle connait Pascal Simbikangwa, confirme sa réputation de tortionnaire et affirme “il était au service de la présidence”. Valérie Bemeriki atteste également avoir vu dans des documents “qu’elle a eu sous les yeux” que le Comité national Interahamwe, dont elle a été la secrétaire entre 1990 et 1993, avait chargé l’ancien capitaine d’ “arranger les entraînements militaires des MRND“.

L’idéologie de Pascal Simbikangwa ? Valérie Bemeriki la décrit avec ces mots : ” il était d’un extrême extrémisme contre les Tutsi“.
La cour mesure alors le poids de la parole de l’ex-journaliste vedette de la RTLM.

Mais, pour l’accusé, il y a pire encore : Valérie Bemeriki a vu Pascal Simbikangwa pendant le génocide.

D’abord le 07 avril 1994 au matin, depuis le balcon extérieur de la radio, donnant des instructions au directeur de la RTLM. Il les les lui rapporte : “l’attentat contre le président a été fait par le FPR et les Tutsi de l’intérieur, il faut les débusquer“.
Puis, elle explique qu’il y est revenu, tous les deux jours, environ.

Enfin, après le 17 avril dans le quartier de Gitega, avec des miliciens devant une barrière, sur la route de la justice : “On voyait très bien qu’il donnait des ordres à ses types et leur avait donné un carton de munitions”.
Pascal Simbikangwa les identifie tout de suite, elle et son collègue. Il les salue fraternellement et les félicite : ” Vous les journalistes, vous avez bien travaillé, continuez !”
Les miliciens avec lesquels les journalistes s’entretiennent brièvement s’enthousiasment : “Simbikangwa c’est un brâve, il nous donne tout ce dont nous avons besoin, !“.

Avant d’être interrogée par les différentes parties, Valérie Bemeriki souhaite poser une question. Elle va alors stupéfier l’audience :

“Pour avoir témoigné, est -ce que j’ai droit à une indemnité ?“


“Salutations à Simbikangwa !”

Après l’audition le matin de Théoneste Marijoje, Me Simon Foreman (CPCR) a requis auprès du président Olivier Leurent la présence d’interprètes, même lorsque les témoins sont francophones.

Les difficultés de retransmission la légitime absolument cet après-midi : Valérie Bemeriki entend en effet très mal les questions qui lui sont posées.

L’avocat général Me Bruno Sturlese complique encore la tache par des phrases beaucoup trop longues, et finit par abdiquer.

Me Fabrice Epstein ne fait pas mieux. Offensif et insistant comme à l’accoutumée, son ton se perd dans l’écho perceptible jusqu’à Paris.

Il insiste pourtant, et tente de piéger le témoin : sur les actionnaires de la RTLM, la distance entre le balcon de la radio et la voiture de l’accusé le 7 avril, la voiture elle-même, sa plaque d’immatriculation…Valérie Bemeriki a réponse à tout. Elle est claire et précise.

Me Alexandra Bourgeot change alors de stratégie. Elle prend Valérie Bemeriki au mot : “témoigner, pour vous, c’est devenu une véritable activité !?” .
L’ancienne journaliste n’en a pas fait mystère, elle est très sollicitée, à Arusha et en prison. Elle espère bien une remise de peine mais témoigne d’abord “pour la reconstruction de m[s]on pays et la réconciliation“.

Puis Me Bourgeot à son tour, trébuche sur la date de la confrontation à la barrière, le 17 avril, que l’ex-journaliste a dit avoir prise comme repère : La RTLM vient d’être bombardée et Valérie Bemeriki, au poste jour et nuit depuis la nuit du 6, lâche l’antenne ce jour là.
L’avocat de la défense confronte Valérie Bemeriki à ses précédentes déclarations et s’étonne que le temps lui fournisse de plus en plus de détails.
La réponse de l’ex-journaliste raisonne comme une victoire pour l’avocat, : “Tout est possible.”
Elle clot l’entretien et retourne s’asseoir.

Mais Valérie Bemeriki n’a pas tout à fait terminé. Elle va littéralement figer l’accusé et ses avocats en concluant : “Salutations à Simbikangwa !”


“Les idées de Bagosora“

L’accusé conteste, invoque “les émoluments” réclamés par Valérie Bemeriki à l’audience pour discréditer l’intégralité de son témoignage. Il réfute tout : milices, dates, présence à une quelconque barrière, l’usage de sa voiture habituelle, avoir tant circulé durant le génocide.

L’ancien technicien de la RTLM, Georges Ruggiu, inquiet pour sa sécurité, n’a finalement pas souhaité venir témoigner. Il est donc fait lecture par le président de ses précédentes dépositions, à charge pour Pascal Simbikangwa.
Elles y dénoncent un “membre de l’Akazu” qui “partageait les idées de Bagosora“, dont les écrits “étaient trop extrémistes – c’était de la folie !“.
Elles attestent en outre avoir vu Pascal Simbikangwa pendant le mois d’avril 1994 sur un marché de Kigali recueillir des informations et donner des ordres à des Interahamwe.
Enfin, elles interrogent : “Comment se fait-il qu’un type comme lui, en fauteuil, circulait partout pendant le génocide, avec toutes les barrières puis les bombardements; et ne soit pas resté enfermé chez lui, au calme ?“.

Me Epstein tente alors de discréditer la parole de Georges Ruggiu en lisant de très longs extraits du livre de Thierry Cuvellier “le Tribunal des vaincus“. Le détail de la défense de l’accusé à Arusha y est décrit sans complaisance.
Mais qui entrerait dans la salle à ce moment, pourrait volontiers croire que c’est le portrait du capitaine dans le box de la cour d’assises de Paris qui est dressé; avant de penser qu’il s’agit du procès de l’ancienne procureure du TPIR Carla del Ponte.

Interrogé à son tour sur les déclarations de Georges Ruggiu, Pascal Simbikangwa les déconsidère au motif que l’ancien technicien a refusé de venir témoigner à la barre.

Guillaume Brunero.

Procès Simbikangwa: 26 février 2014 matin
27/02/2014
Le début de la matinée de cette nouvelle journée est consacré à la projection de plans du quartier de Kiyovu où vivait Pascal Simbikangwa, documents fournis soit par les enquêteurs, soit par le CPCR. Les photos des enquêteurs ont été prises le 10 septembre 2012, les vidéos du CPCR en octobre 2013: photos et vidéos du quartier et de la maison de Simbikangwa.
La deuxième partie sera consacrée aux questions posées à Pascal Simbikangwa. Contrairement à ce qu’il avait prétendu lors de certaines auditions, il aura passé la plus grande partie des trois mois du génocide à Kigali. A la question de savoir pourquoi le prévenu a changé de version, ce dernier met cela sur le compte des mauvais traitements qu’il dit avoir subis lors de sa détention à Mayotte… Il faut bien trouver des raisons à posteriori.
– “J’ai passé plus de temps à Kigali. J’avais beaucoup de réfugiés chez moi! (il en avouera une cinquantaine). “A Kigali, j’avais mes travaux personnels… J’écoutais la radio, j’écrivais beaucoup. Le salon était rempli de réfugiés, je passais mes journées dans ma chambre. Je ne sortais que pour aller secourir des gens qui m’appelaient.” Alors qu’il avouait jusques- là n’être sorti que deux ou trois fois, il reconnaît qu’il a quand même fait une dizaine de sorties hors de chez lui, mais uniquement pour sauver des gens!
A propos des barrières dans le quartier de Kiyovu, il finira par en reconnaître un nombre un peu plus important que ce qu’il avait dit jusques- là. Quant aux cadavres, il continue de dire qu’il n’en a vu aucun, propos contredits par des textes terribles du TPIR que le président Leurent va lire. “Même l’ambassadeur de France, pas plus que le préfet Renzaho n’ont vu des cadavres! Vous les prenez pour des imbéciles?” répliquera-t-il à maître Daoud. Il finira par dire que sa défense est “solide”: “Vous me cherchez des poux!” Réplique immédiate de l’avocat: “Je parle de morts, monsieur Simbikangwa, pas de poux.” Une nouvelle fois, l’ambiance est tendue.
Pourquoi autant de personnes se sont-elles réfugiées chez Simbikangwa? ” Elles savaient que je les sauverais. Je suis un homme de bien, contrairement à l’opinion répandue. Et puis, j’étais parmi les autorités du pays et j’avais deux hommes armés.”
“Vous avez pris des risques personnels en cachant autant de réfugiés?” renchérit maître Daoud. “Je crois bien. Je suis sûr. Je n’ai jamais été un traître, je suis un citoyen de valeur. Je pouvais mourir avec eux.”
“Et les Hutu modérés, c’était des traîtres?”
“Je ne connais pas les Hutu modérés. Aucun n’était plus modéré que le président Habyarimana. Les modérés, je les appelle des extrémistes!”.
“Et les traîtres, qui étaient-ils?”
Je ne suis pas sûr d’avoir bien entendu la réponse, c’est la raison pour laquelle j’avance prudemment. mais j’ai cru entendre la réponse suivante. “Le traître, c’est Pétain.” La réponse me paraît tellement incongrue que j’hésite encore à la transcrire. Je voudrais m’être trompé et je suis prêt à apporter les corrections nécessaires si on me propose une autre version.
En résumé, c’est pour “des raisons humanitaires que Simbikangwa est resté à Kigali! Comprenne qui pourra.

Quelques mises au point.
27/02/2014
Après trois semaines et demie de procès, il me paraît nécessaire d’évoquer quelques problèmes rencontrés lors du procès de Pascal Simbikangwa.
1) A propos de la méconnaissance de la culture rwandaise.
Un avocat de la défense s’étonne du comportement d’un “zamu”, gardien de maison, qui oserait sortir de la concession pour aller se promener. Il faut savoir qu’au Rwanda beaucoup de propriétés sont gardées par des veilleurs de jour et/ou de nuit. C’est assez souvent le même qui s’occupe aussi du jardin et parfois, lorsque la confiance est établie, il peut lui être demandé de faire le ménage à l’intérieur. Mais il est assez rare qu’un gardien entre dans la maison. La seule clé qu’il possède, c’est souvent celle du portail d’entrée. Un “zamu”, lorsqu’il n’a rien à faire, sort fréquemment de la maison. Il va se promener dans le quartier, à la rencontre des autres gardiens. C’est leur seule véritable détente. Ils se rendent aussi parfois au marché pour acheter les légumes dont ils auront besoin car ils font leur propre cuisine. Il n’est pas rare que le gardien ne connaisse pas le véritable nom de leur “patron”. Ils ne connaissent pas forcément non plus la profession du maître de maison. Ignorer cette réalité risque de faire de fausses interprétations. Or, dans ce procès de Simbilangwa, les témoins sont des Rwandais qui s’expriment devant des jurés français qui ne connaissent certainement que très peu ce pays où s’est déroulé le génocide et leurs habitants.
2) Le comportement des avocats de la défense.
C’est à juste titre que monsieur l’avocat général s’insurge contre le comportement de maître Epstein, avocat de la défense, à l’égard des témoins. Cette façon qu’a l’avocat de se placer le plus près possible du témoin, de gesticuler, “l’insupporte”. Cela fait plus de trois semaines que j’ai confié à ceux qui me connaissent que cette façon de faire était une manière de prendre le pouvoir sur le témoin, de le déstabiliser. Surtout quand il s’agit d’un témoin de niveau social peu élevé, comme un agriculteur ou un gardien. Que dire lorsqu’il s’agit d’un rescapé? N’oublions pas non plus que la plupart des témoins viennent pour la première fois dans un pays occidental, qu’il sont passés en quelques heures de leur commune qu’il n’avait presque jamais quittée à une ville agitée comme Paris. Le même problème peut se poser lorsqu’un témoin rencontre des enquêteurs étrangers.
3) Problème de la traduction.
“Traduction, trahison”. Le proverbe latin est d’une actualité criante dans un procès d’assises. On a pu remarquer qu’un des interprètes était venu à plusieurs reprises au secours de son collègue qui ne traduisait pas correctement soit une question, soit une réponse. Un simple petit exemple sans importance peut illustrer ce problème. Plusieurs fois, l’interprète a traduit que les barrières étaient faites en “bouts de bois”. Il aurait pu traduire aussi par “tronc d’arbre”, ce qui eut été plus fidèle à l’idée. Les traductions ont pu parfois paraître un peu approximatives à ceux qui, dans la salle, connaissent le kinyarwanda. Je me souviens que le problème avait été aussi évoqué au premier procès de Bruxelles, en 2001. On veut bien faire confiance aux interprètes, mais il faut avoir à l’esprit qu’ils peuvent se tromper. Dans une cour d’assises, ce peut être grave.
4) La lecture d’un plan.
On a pu voir aujourd’hui que certains témoins éprouvent des difficultés à se repérer sur un plan. Ce mode de connaissance ne fait pas partie de leur environnement culturel. N’avez-vous jamais entendu dire votre “copilote”, en consultant un plan: “Tourne à droite”, alors qu’il fallait tourner à gauche? Un témoin qui ne connaît son environnement que par la préhension physique qu’il peut en faire aura parfois du mal à se projeter sur un plan. On a vu que la difficulté pouvait être surmontée, mais il ne faudrait pas mal interpréter les hésitations du témoin.
Voilà les quelques réflexions que je voulais partager. Le résultat d’un procès d’assises dépend parfois de peu de choses. Il ne faudrait pas que, dans un sens ou dans l’autre, il bascule pour une erreur minime aux conséquences incalculables.

Procès Simbikangwa: 26 février 2014 après-midi.
27/02/2014
“J’ai assisté à un cinéma”
Après avoir qualifié la semaine passée certains témoignages de comédie, Pascal Simbikangwa ne change pas sa ligne de défense. Il ponctue celui de Diogène Nyirishema, gardien d’une maison située à quelques encablures de son propre domicile (dans le quartier de Kiyovu) pendant le génocide, par un tonitruant et goguenard : “j’ai assisté à un cinéma ! je n’ai jamais rencontré cet homme, je ne le connais pas”.

Pourtant, petit à petit, cette ligne se fracture par endroits : il reconnait avoir écouté la RTLM la veille; et ce jour-là, y être allé, avoir beaucoup circulé pendant le génocide, et concède même avoir vu trois barrières de miliciens.


Il faut dire que la journée a été épouvante pour l’ancien capitaine.

Les deux temoins de l’après midi décrivent sur plan son quartier cerné de barrières, dont une, en face de son domicile.
Si Salomon Habiyakare, lui aussi gardien dans le même pâté de maison, est aussi formel que Diogène Nyirishema, c’est que l’un et l’autre ont tenu une de celles-ci.
Plus ou moins contraints, plus ou moins innocemment, mais tous deux l’affirment : ils ont été témoins de meurtres et ont vu des cadavres, partout autour d’eux.
Ils attestent aussi avoir vu Pascal Simbikangwa fournir au moins un fusil à Jonathan Rekeraho, responsable de la barrière près de la maison de son voisin Abderamane Sadala .

“Je l’ai fait par devoir et parce qu’il y avait des réfugiés chez lui, pour sa sécurité, on l’avait oublié !” s’est défendu l’ex-capitaine. 80 réfugiés, précise-t-il.
“80 personnes chez Abderamane Sadala ? C’est un mensonge !” tonne Diogène Nyirishema à l’adresse de Me Philippart (CPCR).

Comme la veille, Me Epstein s’emploie à attaquer le témoin sur des détails, sans pour autant le déstabiliser. Avec beaucoup de malignité, il lance alors à la salle “on va passer à la question des barrières, c’est un sujet que vous maîtrisez mieux”.



“C’est insupportable ! “

Il est un peu plus de 15h30. Me Epstein s’approche de la barre, de plus en plus près. Il assène question sur question en direction du témoin pour tenter de confondre les contradictions de ses précédentes déclarations. Ce dernier s’agite, s’embrouille.
L’avocat de la défense, toujours plus pressant, pose même alors la main sur la barre. Diogène Nyirishema s’essuie le visage frénétiquement avec son mouchoir, perd ses moyens. Les esprits s’échauffent, la salle s’agite et l’avocat général Bruno Sturlese explose : ” c’est insupportable ! “.

Incident de séance.
Le président Olivier Leurent intervient pour calmer les esprits. Me Epstein lui tourne le dos, tout sourire, face à la salle.
Il revient sur le fond et questionne le témoin sur la nature du fusil donné par Pascal Simbikangwa. Enfin, pour conclure, il cherche à savoir si le témoin ne dissimule pas d’autres intentions, s’il se considère “comme une victime”. Diogène Nyirishema lui répond d’une phrase “Je ne suis coupable de rien et ne vois pas en quoi je serais une victime”.

Diogène Nyirishema a aussi certifié que Pascal Simbikangwa ravitaillait très fréquemment les barrières en vivres et en armes.
Salomon Habiyakare, lui, n’a vu Pascal Simbikangwa sur une barrière que lors de la livraison du fusil à Jonathan Rekeraho. Mais il confesse avoir surtout gardé la sienne de nuit, en lieu et place de son collègue.

Il est 21 heures ce mercredi soir, et Me Bourgeot avoue à la cour sa fatigue, comme celle de son client “qui s’endort”. Le président Olivier Leurent reconnait qu’il est tard, que l’ambulance de Pascal Simbikangwa l’attend et suspend l’audience.

Elle reprendra demain avec l’audition de… Jonathan Rekeraho.

Guillaume Brunero.

Procès Simbikangwa: 27 février 2014.
27/02/2014
Audition de Jonathan Rekeraho, gardien en 1994, aujourd’hui technicien.
Le témoin raconte que pendant le génocide il voyait Simbikangwa circuler sur la route et qui venait leur demander comment il allait. Ordre a été donné aux gardiens de ne pas rester dans les maisons mais de se tenir sur la route sinon ils seraient considérés comme des Inyenzi. Il évoque l’implantation des barrières importantes et ce qu’il appelle les “sous-barrières”. Rekeraho reconnaît qu’il a reçu un fusil de la part de Simbikangwa, arme demandée par son ami Sadala. En réalité, cette arme devait servir à défendre la barrière pour empêcher les Inyenzi de remonter jusques chez Simbikangwa. Le témoin dit aussi que Simbikangwa aurait distribué des fusils à d’autres barrières, en particulier à la barrière qui se trouvait près de la maison des Chinois, en face de chez Protais Zigiranyirazo (frère d’Agathe Habyarimana, NDLR). C’est à cette barrière que beaucoup de personnes auraient été tuées. Des corps auraient même servi à renforcer la barrière, ce qu’avait dénoncé la Croix Rouge qui passait par là.
Rekeraho rapporte aussi une tuerie qui s’est passée dans la maison d’une certaine Jeannine. Alphonse, le gardien de la maison, avait été emmené jusqu’à la barrière des Chinois pour être intimidé. De retour chez Jeannine, les Interahamwe se seraient introduits dans la maison en faisant sauter une porte à l’aide d’une grenade; ce qui provoqua la mort d’un vieillard et … d’un chien. Ensuite, trois jeunes filles Tutsi ont été débusquées et tuées sur la parcelle. Ils ont aussi exécuté le gardien Alphonse à qui ils avaient demandé auparavant de tuer les jeunes filles.
Au cours de la séance de questions, le témoin révèle que Simbikangwa aurait participé à une réunion à l’hôtel Kiyovu, réunion au cours de laquelle des consignes auraient été données sur la conduite à tenir dans le quartier. Comme à l’habitude, ce temps fort des audiences a pour objectif de faire préciser au témoin certaines approximations, voire des contradictions entre les différentes versions lors des entretiens avec les enquêteurs. Rekeraho se défend: “Si mes propos semblent contradictoires, c’est parce qu’ils ont été amputés lors de mes déclarations.” Ce qui sera vérifié par l’avocat général qui va remettre à la cour un extrait du contre-interrogatoire subi par le témoin au TPIR. La défense va dénoncer le procédé et demander d’entrer en possession de tout le document avant de poursuivre les échanges. L’avocat général n’aura alors de cesse de rassurer le témoin, lui expliquant que c’est normal qu’il puisse y avoir des contradictions, vu les nombreux interrogatoires auxquels il a été soumis.
Parole est donnée à la défense. Comme à son habitude, maître Epstein utilise une technique d’interrogation qui est à la limite du supportable. Il excelle en particulier à reformuler une réponse pour troubler le témoin et lui faire dire le contraire de ce qu’il vient d’affirmer. Parfois, avant même d’avoir écouté la réponse, il s’empresse de poser une autre question. On pourrait parler d’une méthode d’interrogation en rafales.
Se pose une nouvelle fois le problème de la traduction. Lorsque maître Epstein évoque le lieu “où le témoin et ses collègues sont réunis”, l’interprète traduit en kinyarwanda par “là où vous étiez en réunion”. Evidemment, le témoin va devoir préciser qu’il n’était pas dans une réunion! Le témoin sera mis en difficulté lorsqu’on lui reposera la question de la remise des armes et de leur nombre.
Audition d’Emmanuel Kamango, gardien en 1994 et actuellement mécanicien.
Le témoin va évoquer deux événements auxquels Simbikangwa aurait été mêlé.
Tout d’abord, Simbikangwa serait venu sur la barrière près de l’église presbytérienne à bord d’une Pajero. A l’arrière de la voiture, deux jeunes gens étaient couchés sur le ventre, deux militaires se tenant debout sur eux. Simbikangwa aurait interpellé les militaires de chez monsieur Z (Zigiranyirazo, frère d’Agathe Habyarimana, NDLR): “Voici deux Inyenzi que nous avons attrapés. Ils sont alors repartis sur la route de la BNR. Les militaires ont demandé l’identité de ce monsieur. “C’est Simbikangwa”, lui a-t-on répondu.
Le deuxième événement concerne la mort d’une personne, près de l’ambassade d’Allemagne où travaillait le témoin. Les tirs seraient partis du côté de la voiture où se trouvait Simbikangwa.
Le témoin va alors être malmené pour ses déclarations contradictoires mais il va confirmer que c’est bien Simbikangwa qui aurait tiré de sa voiture. L’avocat général met le témoin en face de ses contradictions, ce qui réjouit la défense. Maître Bourgeot jubile: “L’accusation reconnaît que le témoin a menti! Je me demande pourquoi ce témoin se trouve ici”, conclut l’avocate.
La journée va se terminer par la traditionnelle séance de questions au prévenu. Quelques citations de Simbikangwa:
– “Cette histoire (celle de chez Jeannine, ndlr), je l’ai apprise dans cette procédure.”
– “La crédibilité de l’avocat général est entamée devant la cour. A elle de voir ce qu’elle en pense!”
– “Ces gens-là (les témoins, ndlr) ont été travaillés, manipulés pour des mensonges extraordinaires.”
– “Jamais personne ne m’avait dit qu’il y avait eu des morts chez Z. Je l’ai appris quand j’étais dehors.”
– “Chez moi, c’était un sanctuaire de réfugiés.”
– “Vous voulez que je voie des morts là où je n’en ai pas vu?”
– “Les morts anonymes, ça me chagrine, comme les autres morts.”
– “Est-ce que j’ai dit qu’il n’y a pas eu de morts? Ma mère est morte..” et d’égrener une liste de disparus de sa famille qui n’ont pas eu de sépulture! Aucune allusion aux centaines de milliers de victimes tutsi…
A chaque réponse, Simbikangwa évoque son humanité. Et de terminer par une expression qui va faire sourire. Devant les difficultés qu’il dit éprouver parfois pour s’exprimer:” J’aurais voulu être Rousseau. Non, Chateaubriand. J’aurais pu bien m’exprimer.”
Simbikangwa ne change pas sa ligne de défense, provoquant parfois le sourire de ses défenseurs. On a le sentiment que le prévenu pourrait parfois se passer d’avocat.

Procès Simbikangwa: 28 février 2014 (partie 1).
01/03/2014
Audition d’Isaïe Harindintwari, veilleur de nuit à Kiyovu en 1994.
Le témoin, un rescapé, commence par dresser un portrait très flatteur du prévenu, ce qui n’est pas courant depuis quatre semaines. Il le présente comme son ami: “Quand j’ai vu qu’il avait un handicap, à son arrivée dans le quartier, j’ai préféré l’aimer. Il m’a aimé aussi. Quand les militaires n’étaient pas là, j’ouvrais son portail.”
Et de continuer: “Même si nous nous rencontrons au tribunal, je veux lui dire merci.” Nous apprendrons que Pascal Simbikangwa lui aurait sauvé la vie trois fois, qu’il lui a permis de faire venir sa femme et ses enfants auprès de lui à Kiyovu et qu’il n’a joué aucun rôle dans la mort de ces derniers.” Le témoin était le “Tutsi de Simbikangwa”, il se sentait “intouchable.” Tout commence bien pour Simbikangwa.
Mais très vite Isaïe Harindintwari va rapporter des événements que d’autres témoins ont déjà évoqués: le prévenu a donné son accord pour qu’il installe une barrière, il a livré des armes aux gens qui gardaient les barrières. Cette livraison sera suivie de nombreuses exécutions. Il avait bien appris qu’on disait du mal de son voisin, mais il n’avait pas peur de lui. Il portait une arme, montrait sa tenue et ses galons, mais c’était un bon voisin, reconnaîtra-t-il lors de la séance des questions. Et puis, il recevait les gens de la CDR (parti le plus extrémiste, NDLR), arborait le drapeau du MRND dans son salon, possédait une tenue d’Interahamwe. C’était quelqu’un de “respectable”, “avait droit de vie et de mort”, ce qui souligne sa toute puissance.
Le témoin va ensuite évoquer l’épisode du massacre dans la maison de Jeannine. Il n’était pas là mais est venu peu après. A la description du vieillard assassiné à qui on a mis le cadavre d’un chien comme oreiller, Isaïe commence à vaciller. Mais le pire est à venir. Il va alors parler de la mort de cette jeune fille Tutsi et, pendant qu’il décrit dans le détail le martyre de la jeune suppliciée, il ne peut contenir ses larmes. “Ce que j’ai vu chez Jeannine dépasse l’entendement.” Grande émotion dans la salle. Simbikangwa, lui, ne bronche pas. La jeune fille agonisera pendant 7 jours.
Simbikangwa a bien participé à une réunion à l’Hôtel Kiyovu et il a accepté de livrer des armes, des armes qui serviront à tuer des Tutsi. Et de répéter, comme pour venir au secours de son “ami”: “Il a distribué des armes pour protéger leur régime, mais moi j’étais intouchable.” “Avant l’installation des barrières, aucun Tutsi n’était mort à Kiyovu. Après, ils ont compris, le Tutsi était un homme à tuer. Des armes étaient bien entreposées chez Simbikangwa.”
A la question de savoir pourquoi Simbikangwa niait avoir distribué des armes, la réponse fuse: “Il n’est pas le seul à nier ce qui s’est passé pendant le génocide. Il doit avoir honte.” Contrairement à ce le prévenu a toujours prétendu, le témoin rapporte que ce dernier sortait tous les jours, “comme s’il partait au travail.” “Bagosora est bien venu chez Simbikangwa”, confirme-t-il, soulignant par là l’importance de Simbikangwa dans le quartier, et peut-être au-delà, pendant le génocide. Quant à affirmer, comme le fait Simbikangwa, que ce dernier logeait chez lui une cinquantaine de réfugiés, cela paraît totalement impossible au témoin. Il connaissait tous ceux qui étaient hébergés chez son voisin.

L’audition du témoin va se terminer par les questions de la défense. Comme à son habitude, l’avocat pose des questions qui, loin d’apporter des éclaircissements, embrouillent et le témoin et les personnes présentes dans la salle… et peut-être les jurés. C’est la technique du harcèlement. Le témoin est malmené. La défense a aussi l’art de poser ce que l’on appelle en Français de fausses questions: la réponse est contenue dans la question. Dans une cour d’assises, le procédé est pour le moins inélégant. Isaïe Harindintwari déclare qu’il n’avait jamais auparavant fait état d’une brève incarcération au mois d’août alors qu’il était soigné à l’hôpital. La raison de cette arrestation qui n’a pas eu de conséquence pour lui, était qu’il avait demandé à des réfugiés de retour des camps s’ils avaient des nouvelles de Pascal Simbikangwa. Le simple fait de demander des nouvelles de cet individu suffisait pour qu’on le soupçonne d’être un extrémiste. C’est dire la réputation de Simbikangwa à peine deux mois après la fin du génocide.
Le piquant de la chose, c’est l’insistance qu’a eu la défense pour faire remonter ce fait à la surface alors qu’il décrédibilise encore plus les propos hallucinants de Simbikangwa.
Le plus extraordinaire reste encore à venir, comme toujours avec Simbikangwa. Alors que monsieur Harindintwari est le premier témoin à voler à son secours et à se présenter malgré tout comme son ami, voilà que notre homme prend ses distances:
– “Je n’ai jamais vu cet homme dans mon salon.”
– “Le témoin pratique la culture de la preuve fabriquée par Ibuka!”
– “Ce n’est pas moi qui ai fait venir sa famille (ce qui l’honorait dans la bouche du témoin, NDLR), je n’avais pas de laisser-passer.”
– Pourquoi n’avoir pas sauvé plus de personnes? l’interroge-t-on. “Si j’en avais vu, je l’aurais fait.”
– “Vraiment, je ne sais pas où ce monsieur a pris cette histoire”, à propos de ses sorties quotidiennes.
Maître Daoud va revenir à la charge, en le brossant cette fois dans le sens du poil: “En tant qu’homme, vous pouviez intervenir puisque vous n’aviez pas d’autorité sur les militaires qui tenaient les barrières!” Réponse du prévenu: “J’ai fait mon devoir d’homme. Beaucoup de gens sont morts par pillage, par des bandits, des représailles… (tout juste si certains ne sont pas morts de crise cardiaque…) Depuis ma naissance, je n’ai pas tué une mouche.” Et de continuer: “Cet homme ne m’a pas rendu service. Je ne veux pas de gratitude, je veux la vérité.” Et de s’en prendre une fois de plus à l’auteur de ces lignes: “Alain Gauthier reçoit beaucoup d’argent pour aller dans les prisons avant les enquêteurs.” Tiens donc, il y avait longtemps…
Et comble de la mauvaise foi:
– “On m’a dit qu’aux barrières il fallait montrer sa carte d’identité. On m’a dit… On m’a dit… Selon ce qu’on m’a dit, les militaires ne tuaient pas les gens sur les barrières.” Tout ce qu’il sait, il le tient de “on dits”. Etonnant!
C’en est trop. Il est temps d’accueillir le dernier témoin de la semaine, un rescapé lui aussi, Jean- Marie Vianney Nyirigira.

Procès Simbikangwa: 28 février 2014 (partie 2)
01/03/2014
Audition de Jean-Marie Vianney Nyirigira, veilleur de nuit à Kiyovu en 1994.
Le témoin est un rescapé et commence par annoncer qu’il a trois choses à dire sur Simbikangwa.
Le prévenu a disséminé des armes au sein de la population, armes destinées à tuer les Tutsi. Ce 15 avril 1994, Simbikangwa est passé à la barrière sur laquelle se trouvait le témoin et a incité les civils et les militaires à ne laisser passer aucun Tutsi. D’autant plus que dans un autre secteur de la ville le FPR avait exterminé les Hutu. Quelques jours plus tard, une camionnette conduite par un certain Benoît est entrée chez Simbikangwa et la quinzaine de personnes qui l’accompagnaient sont ressorties avec des armes. Enfin, le 23 avril, à la même barrière, Simbikangwa est passé et lui a demandé de montrer sa carte d’identité. Il s’agissait d’une carte que le témoin avait falsifiée pour faire croire qu’il était Hutu. Simbikangwa aurait donné l’ordre de le tuer. Et de raconter comment il a fini pas pas fuir et être sauvé par un militaire à qui il avait donné de l’argent.
Le témoin va ensuite se soumettre à une série de questions, d’abord par le président, et donne les précisions que ce dernier souhaite avoir.
L’audition va se poursuivre avec une longue série de questions de la défense. Maître Epstein s’adresse au témoin mais aucune des questions qu’il pose ne permet d’éclairer la situation. Tout le monde est fatigué et on sent bien que l’avocat ne pose des questions que pour essayer de mettre le témoin en danger. Mais rien n’y fait. Monsieur Nyirigira fait front. Maître Epstein demande enfin au témoin s’il fait partie de l’association Ibuka, sous-entendant, selon les propos de son client, qu’il aurait été manipulé. Tout le monde est soulagé quand l’avocat prend la décision de cesser son interrogatoire.
Florilège de Simbikangwa qui termine la journée:
– “Ce monsieur est un grand comédien.”
– “Il raconte les mêmes choses sur tous les gens qu’il accuse, monsieur Z, Benoît…”
– “De quoi aurait-il peur?” faisant allusion à ce qu’a dit le témoin, “c’est de la comédie. C’est un comédien de mauvais goût. C’est un menteur.”
S’exprimant enfin sur la carte d’identité que le témoin a falsifiée en grattant sous la mention ‘Tutsi” et en soulignant la mention “Hutu”: “C’est impossible. Si vous êtes Hutu, seule la mention Hutu est indiquée, si vous êtes Tutsi, c’est pareil.” Malheureusement le prévenu ment et cherche à tromper les jurés. Nous aurons l’occasion de le prouver rapidement.

Procès Simbikangwa: 3 mars 2014 (1)
03/03/2014
Audition de Célestin Gahamanyi, haut fonctionnaire au Ministère de l’Intérieur en 1994.
En visio-conférence de Kigali.
La déclaration spontanée du témoin se résume en peu de mots: “Je n’avais rien de spécial à signaler sur Simbikangwa. Je ne sais pas grand chose car au moment des faits j’étais absent de Kigali. Après le 8 avril, j’étais parti de mon domicile. Je ne connais rien à son sujet.”
Lors de la séance des questions, le témoin, âgé de 75 ans, rappelle que dans les années 90/94 tout était “compliqué”. “La guerre dominait, tout le monde avait peur. Le FPR avançait, présenté comme un ennemi commun. Tout le monde cherchait à savoir comment sortir de Kigali à cause de la RTLM. Les ministres eux-mêmes avaient peur.” Monsieur Gahamanyi, étonnamment, ne connaît pas la réputation de Simbikangwa. Il se contentera de dire que c’était un bon voisin, finira par dire que des militaires sont venus chez lui à deux reprises le 8 avril, “probablement pour nous tuer.” Il demande alors à sa femme et ses enfants de fuir chez les voisins. Lui-même se rend chez un autre voisin, Sebazungu et finira par bénéficier de l’aide du préfet Renzaho qui enverra une voiture pour l’évacuer vers la Préfecture de la ville de Kigali. C’est Simbikangwa qui lui avait conseillé d’appeler le préfet. Il verra des hommes entrer et sortir en armes alors qu’il avait parlé de “distribution d’armes” aux enquêteurs. Quant à sa femme, elle se réfugiera chez un autre voisin, monsieur Nyiragire, que Simbikangwa prétend ne pas connaître, ou si peu. Ses fils iront chez Simbikangwa, mais cela il ne l’apprendra que plus tard. Renzaho, qui se rendait souvent à Gitarama, acceptera de conduire le témoin qui se cachera au séminaire de cette ville. Ses fils et sa femme finiront par bénéficier de l’aide de Simbikangwa, seul Pascal restant chez ce dernier. Le témoin reconnaîtra avoir rencontré le père de Simbikangwa chez lui et au bureau: une affaire de vente de maison à régler au bénéfice de son fils.
Monsieur Gahamanyi répète ce qu’il a dit lors de son audition: “Je souhaite que Simbikangwa soit grâcié.” Il le remercie d’avoir sauvé son fils Pascal, même s’il a vu Simbilangwa en tenue militaire.
A la fin de l’audition, Simbikangwa se penche hors de sa “cage” et tente de faire un signe de la main en direction de monsieur Gahamanyi. En vain. Mais il se félicitera du soutien de son ancien voisin.
La première question du président va embarrasser le prévenu: “Monsieur Gahamanyi vient de vous apporter son soutien alors qu’il est à Kigali. Le témoin ne serait donc pas manipulé?”
Comme à son habitude, Simbikangwa ne va pas répondre à la question mais s’insurger: “Madame le Procureur vient de faire une faute grave contre moi. Ce n’est pas la justice. Elle a dit que monsieur Gahamanyi aurait dit du mal de moi. C’est de la manipulation de l’opinion: c’est inacceptable. J’aurais aimé qu’elle soit juste avec moi.” Et de poursuivre en s’en prenant une nouvelle fois à l’association Ibuka au Rwanda qui organise “une chasse aux sorcières” avec le “Collectif qui lui est affilié.” En disant ce qu’il dit, “monsieur Gahamanyi se protège!”
Le président ayant lu le témoignage de madame Gahamanyi qui parle des nombreuses barrières, le prévenu s’insurge. Il rappelle qu’il a aidé des gens, qu’il a été courageux mais ne peut s’empêcher de redire que “Gauthier, avec son argent, corrompt tout le monde.”. C’est son idée fixe!
Maître Foreman en remet une couche: “Pourquoi monsieur Gahamanyi a-t-il dit qu’il n’a pas eu de pression?”
Réponse énervée: “Vous faites partie de ceux qui créent des problèmes… Votre association, c’est la terreur. Il faut arrêter de diviser les Rwandais.”
Pour se donner le beau rôle, en réponse à une question de l’avocat de la LICRA concernant l’attaque de Gardes présidentiels chez les Gahamanyi: “Ce sont des fous!” Et de réaffirmer, en contradiction avec beaucoup de témoignages, que jamais il n’a porté de tenue militaire.
Fin de la première audition de la matinée.

Lecture de l’audition de Dieudonné Niyitigeka par les enquêteurs.
Nous avions appris que le témoin suivant, Dieudonné Niyitigeka, trésorier des Interahamwe, ne souhaitait plus être entendu en visio-conférence de son exil canadien. Le président décide alors de lire sa déposition. D’avril à mai 1994, il a rencontré Simbikangwa à trois reprises:
1) le 9 avril 1994. Il a rencontré le prévenu à la RTLM et rapporte certains de ses propos: “Il faut être vigilant et se venger contre les Ibyitso. il faut inciter à la haine contre les Tutsi.” Il était en chaise roulante et habillé d’un treillis.
2) fin avril 1994. Il aurait vu Simbikangwa à une barrière, la plus dangereuse de Kigali, en compagnie de Bernard Maniragaba. Le témoin rentrait de Butare à Kigali. Il s’agissait d’une “barrière où passaient beaucoup de Tutsi. Simbikangwa aurait dit de “ne pas se fier seulement aux cartes d’identité.” Des corps gisaient près de la barrière. Simbikangwa semblait avoir de l’autorité sur les gens qui tenaient la barrière.
3) première quinzaine de mai. En repartant pour Butare, à la barrière de Gitikinyoni, près de l’embranchement de la route qui part vers Ruhengeri, le témoin aurait vu Simbikangwa s’entretenir avec le gardien de la barrière, Joseph Setiba, condamné à la réclusion à perpétuité. Le témoin rappelle que tout le monde avait peur du prévenu; c’était plus qu’un major.
Simbikangwa, évidemment, ne connaît pas ce témoin. Il aurait “acheté sa liberté” auprès du TPIR.
A maître Simon, il confesse: “Je sais qu’il y a eu des morts sur les barrières mais j’ai eu la chance de ne jamais en voir”. Puis d’ajouter, évoquant les problèmes du Rwanda: “Les Hutu et les Tutsi, c’est comme les Wallons et les Flamands!”
“Etiez-vous résistant après la mort d’Habyarimana?” demande maître Daoud.
“Avant la mort d’Habyarimana j’étais pour qu’on donne plus de place au FPR! (cf. son interview de Reporters sans Frontières. Selon moi, cette interview était donnée en direction des étrangers. Comme lorsque Habyarimana s’exprimait, ou lorsqu’on utilisait le terme “travailler” pour “tuer”!). Simbikangwa se fait encore passer pour le sauveur de nombreux réfugiés.
Les avocats de la défense feront ensuite la lecture des pages 83 à 89 du livre de Thierry Cruvelier “Le tribunal des vainqueurs” pour souligner le fait que Dieudonné Niyitigeka avait été un témoin hyper protégé et qui avait obtenu de ne pas être jugé pour services rendus au TPIR.

Procès Simbikangwa: 3 mars 2014 (2)
04/03/2014
Audition d’Albert Gahamanyi, fils de Célestin, 15 ans en 1994.
Le témoin, après avoir souligné qu’il vivait en bon voisinage avec Simbikangwa, évoque l’attaque des militaires le 7 ou le 8 avril: “On a eu peur, on s’est enfui. On est allé chez des voisins le temps que les militaires s’en aillent. On est allé chez Simbikangwa en passant par la clôture. Il nous a dit que nous n’avions rien à craindre chez lui. Je suis resté 4 nuits et 5 jours.” Simbikangwa les a alors conduits en voiture, avec sa mère et deux frères, jusqu’à Rambura, chez son père. Puis direction Gitarama. Le témoin s’est ensuite rendu à Butare avec sa soeur, puis à Gikongoro, en zone Turquoise, d’où les militaires les ont aidés à rejoindre le Burundi.
Le témoin rapporte qu’il y avait un “foulard” aux couleurs du MRND au mur du salon de Simbikangwa. Des membres du MRND venaient chez lui. Il n’a jamais vu le prévenu se rendre à des meetings du MRND, mais il l’a vu partir “habillé aux couleurs du MRND” et “revenir en disant qu’il avait participé à un meeting.” Le capitaine recevait des militants civils et des militaires chez lui, il était intéressé par la politique. Il ajoute qu’il “s’énervait, qu’il était toujours de mauvaise humeur, colérique”, mais pas avec lui.
Le président présentera ensuite des photos de la maison de Simbikangwa ainsi qu’un plan du quartier, les quelques maisons autour de chez lui. Le témoin rappelle que sa mère est restée chez Nyiragire alors que Simbikangwa prétendait qu’elle avait logé chez lui! Chez le prévenu, en plus des Gahamanyi, il y avait la famille Higiro, la femme du pasteur hutu Twagirayezu et des enfants. Probablement pas une vingtaine de Tutsi!
Simbikangwa conteste que ses deux gardes aient participé à l’attaque de la famille Gahamanyi. Il a même hurlé aux militaires de ne pas s’en prendre à cette famille qui n’héberge pas d’infiltrés. Albert Gahamanyi atteste que les gardes de Simbikangwa sortaient parfois et revenaient, après avoir tiré, pour nettoyer leur fusil: ils auraient tué des gens dans la rue! Ce que conteste encore Simbikangwa!
Lors du déplacement vers Gisenyi, le témoin évoque le passage aux nombreuses barrières. Généralement, ils passaient sans encombre, sauf à une barrière. Simbikangwa a dû discuter, il avait peur pour sa belle-soeur. Albert signale de nombreux cadavres aux barrières; ils ont même croisé des camions remplis de corps. Mais Simbikangwa est bien le seul à n’avoir rien vu! Les interventions de Simbilangwa étaient très efficaces pour passer les barrières.
Les avocats de la défense vont ensuite poser toute une batterie de questions dont les réponses n’apportent pas un véritable éclairage sur le témoignage d’Albert Gahamanyi. Maître Bourgeot va même poser une question dont la réponse avait pourtant été déjà donnée avec une grande clarté. Il faut dire que l’avocate est parfois un peu distraite!
Simbikangwa, à la barrière, aurait dit en s’en allant, en direction des Interahmwe: “Mukomere”. Simbikangwa va prétendre que c’est une façon de saluer dans sa région. Plus généralement, c’est une façon d’encourager, ici les Interahamwe. Simbikangwa a l’art de jouer sur la bivalence des mots, souvent faite pour tromper les étrangers, les jurés dans ce procès.
A la question du président: “C’est courageux de venir dire aux assises que vous remerciez Simbikangwa de vous avoir sauvé!” “Je ne pense pas, répond le témoin, je suis libre de le faire.” Il rajoute que Simbikangwa l’a sauvé, mais il n’est pas le seul. Albert a été sauvé plusieurs fois pendant le génocide.
Simbikangwa va ensuite être très louangeur à l’égard d’Albert Gahamanyi: “Il a fait un effort extraordinaire d’intégrité, d’honnêteté, mais il y a des petites choses…”
Le prévenu conteste le fait qu’ il y ait eu un petit magasin juste à côté de la cuisine dans sa maison de Kiyovu. Pourtant, pour bien connaître le Rwanda, je peux affirmer que toutes les maisons au Rwanda, quelle que soit leur importance, possèdent ce genre de “débarras” où l’on stocke les provisions, le matériel de cuisine, les légumes, etc…
Pour justifier le fait qu’il n’ait jamais vu de cadavres au barrières, Simbikangwa redit qu’il voyageait un peu allongé pour soulager son dos et qu’il ne se redressait qu’aux barrières. C’est pourtant là qu’il y avait beaucoup de cadavres…
Simbikangwa va revenir sur le témoignage d’Albert: “Je suis agréablement surpris. C’est extraordinaire, sa liberté (de parole) me surprend”. Et d’en rajouter: “En France, on a fabriqué les dossiers. Quant à Albert, sa parole est libre, plus libre que les autres. Si les Rwandais avaient ce courage de faire comme il fait, je serais libéré.”
Maître Daoud va poser une dernière question, malicieusement: “Je confesse que je n’ai pas été très rigoureux. Je n’ai pas lu le rapport psychologique vous concernant. Vous êtes un homme brillant, vous avez un charisme important, une personnalité extraordinaire. Je ne comprends toujours pas que, la présence des cadavres, vous êtes l’un des rares à ne pas en avoir vu! C’est difficile d’affronter l’acte d’accusation?”
Va suivre une longue réponse qui va être écoutée dans un grand silence. Je ne peux résister au “plaisir” de la livrer dans sa quasi intégralité.
“Votre question est complexe. On m’accuse de complicité de génocide et de crime contre l’humanité. A Gisenyi, avez-vous vu un seul mort contre moi? A Kigali? Quelques témoins contre moi, fabriqués, confectionnés, éduqués, nourris par la cupidité d’Ibuka. Ces gens-là se contredisent. J’aurais eu la volonté d’exterminer partie ou totalité des Tutsi? Personne, même si je suis condamné, personne ne me convaincra que j’ai aidé à exterminer la famille de ma mère tout en protégeant celle de mon père. J’ai essayé d’aider. Bagosora ne m’a pas pris comme réserviste. Sindikubwabo, le président intérimaire, était le beau-père de celui qui m’a torturé, Iyamuremye. On m’a accusé d’être le chef de la criminologie. On m’a accusé d’avoir frappé un journaliste. Les Gacaca de Kigali ne m’ont pas condamné, pas plus que les Gacaca de Gisenyi (c’est pourtant faux car Simbikangwa a été condamné à trente ans de prison! ndlr). Tout a été inventé en France. Tout a été amené par monsieur Alain Gauthier. Et on m’accuse d’être complice de crime de génocide et de crimes contre l’humanité?”
Ultime réflexion de maître Daoud: “Vous êtes innocent puisqu’on ne peut pas amener des morts qui peuvent vous accuser?”
“Mon Dieu! Mon Dieu! réplique Simbikangwa. La personne que j’aime sur la terre, c’est le corps de ma mère qui n’a pas eu de sépulture. Ma main n’a jamais trempé dans le sang!”
Ce sera le mot de la fin.
La défense pose à son tour une série de questions peu utiles à la compréhension de la situation. Maître Bourgeot


Procès Simbikangwa: 4 mars 2014 (1)
05/03/2014
Audition de Michel Gahamanyi, comptable.
“J’ai connu Simbikangwa comme voisin. Il nous arrivait de nous rendre chez lui pour regarder la télévision ou un film. C’était un bon voisin.” C’est ainsi que commence la déposition spontanée du témoin. Il n’a pas vraiment connu le prévenu avant le génocide car il était interne dans un collège en dehors de Kigali. Le témoin rappelle que pendant la journée du 7 avril ils sont restés chez eux, conformément aux consignes diffusées par la radio. Le 8 au matin, des soldats tentent de rentrer dans la maison de la famille Gahamanyi en escaladant le portail. Le père de famille demande alors à ses enfants de fuir chez les voisins. Seul Pascal, un des fils, est revenu dans la maison à la recherche de sa mère qu’il croyait à l’intérieur. Les militaires ont plaqué le jeune homme à terre et lui ont mis une arme sur la tempe. La maman est alors arrivée pour demander la grâce de son fils. De chez Sebazungu, le père de famille a appelé Simbikangwa pour voir s’il pouvait faire quelque chose. Le témoin, accompagné de son frère Albert, d’un certain Jean d’Amour et du “boy” se rend chez Simbikangwa. Le papa s’est fait transporter à la préfecture de la ville de Kigali sur ordre du préfet Renzaho que Simbikangwa avait conseillé d’appeler. Parmi les assaillants du matin, Pascal, le frère du témoin, a reconnu les deux gardes du corps de Simbikangwa, ce que ce dernier va contester. Contrairement aussi à ce que le prévenu prétend, la maman, Thérèse, ne logera jamais chez lui puisqu’elle s’est réfugiée chez un autre voisin.
Michel Gahamanyi, après avoir signalé les visites du frère de Simbikangwa, Bonaventure Mutangana, va relater l’épisode d’une livraison d’armes en donnant des détails fort précis. Simbikangwa est venu avec des armes et une fois qu’elles ont été prêtes, il est reparti avec. Pour les distribuer? Il décrit aussi l’exécution de deux personnes sur la barrière dite des “Chinois”, à une centaine de mètres plus bas. Il observe la scène du jardin de Simbikangwa et signale qu’il a vu passer des camions avec des cadavres entassés à l’arrière. Son récit continue par la relation de deux tentatives de départ pour quitter Kigali. La voiture dans laquelle il se trouve est arrêtée à une grosse barrière et il doit rebrousser chemin: il revient chez Simbikangwa. Ce dernier, quant à lui, arrivera à passer cette barrière sans trop de difficultés. A la seconde tentative, il réussira à passer et restera chez sa tante à Kabaya. Le jeune Pascal, plus grand et “trop Tutsi” restera l’hôte de Simbikangwa pendant toute la durée du génocide. Le témoin retrouvera finalement sa mère et ils pourront partir en Suisse jusqu’à leur retour au Rwanda fin 1995.
A Kiyovu, Pascal, selon son frère, vit dans la terreur, à la fois des gardes de Simbikangwa qui ne rêvent que de le tuer, et du frère de ce dernier, Bonaventure Mutangana, qui veut aussi sa mort (Mutangana vit aujourd’hui dans la région parisienne, ndlr).
Va suivre alors la traditionnelle séance de questions destinées à éclairer des zones qui sont restées un peu obscures. Nous apprendrons que, selon le témoin, Simbikangwa avait le pouvoir de le laisser en vie ou de le laisser mourir. Il n’est pas rare, lors de cette étape de l’audition, que les témoins soient mis en face de leurs contradictions: problèmes liés à la mémorisation des faits près de 20 ans après, ou bien au traumatisme causé par la situation de stress dans laquelle se trouve alors le témoin. Ou pour d’autres raisons encore.
Maître Bourgeot, pour la défense, se hasarde à une explication: ” C’est un cas de conscience, pour vous, de venir témoigner pour Simbikangwa?” Réponse du témoin: “Pas du tout. Je voulais participer à la justice. S’il m’a sauvé mais qu’il en a fait tuer d’autres!” La façon de procéder de l’avocate irrite une nouvelle fois l’avocat général: “Vous faites durer pour durer”, faisant allusion aux questions répétitives de l’avocate, questions qui ne font en rien progresser les débats.
Et lorsque son tour de parole revient, Simbikangwa retrouve ses vieux démons. Commentant le témoignage qu’il vient d’entendre: “Je viens d’assister à une scène fictive. A Gisenyi, personne n’a reçu d’arme de Simbikangwa. A Kiyovu non plus… Michel tient le même langage qu’Ibuka, même langage qu’Alain Gauthier… C’est une cabale… Ibuka ne veut pas la réconciliation nationale… Ibuka fait le recensement de tous les Tutsi au Rwanda pour rétablir les divisions…”
L’audition se termine sur ces paroles. Restera à entendre le dernier témoin de la journée, Pascal Gahamanyi, le frère des précédents. Ce témoignage est attendu car c’est le seul de la famille Gahamanyi qui est resté chez Simbikangw jusqu’à la fin du génocide.

Procès Simbikangwa: 4 mars 2014 (2)
05/03/2014
Audition de Pascal Gahamanyi, demeurant aujourd’hui en Suède où il travaille.
Pascal Gahamanyi est le dernier membre de la famille à être entendu par la Cour d’assises: témoin important puisqu’il a passé les trois mois du génocide sous la” protection” de Pascal Simbikangwa.
Le témoin commence par reconnaître, comme son père et ses frères qui ont déjà témoigné, les rapports de bon voisinage qu’il entretenait avec le prévenu, avant le génocide.
Dès la chute de l’avion du président Habyarimana, il se terre avec les siens dans leur maison de Kiyovu, à Kigali: c’est la consigne reçue des autorités via la radio nationale. Dès le 7 avril au matin, leur demeure est attaquée par des militaires: la famille se disperse mais le témoin décide de revenir pour savoir où se trouve sa maman. Il se fait plaquer à terre, le fusil sur la tempe et ne devra son salut qu’à l’arrivée de sa mère, Hutu, qui supplie les agresseurs de ne pas tuer son fils. A peu près en même temps, Pascal Simbikangwa, alerté par son domestique, aurait crié aux assaillants de ne pas s’en prendre à cette famille. Le jeune Pascal va se rendre alors chez Simbikangwa où il reconnaît les deux gardes du corps de ce dernier: ils faisaient partie de ceux qui avaient voulu l’éliminer quelques instants plus tôt.
Va commencer alors pour le jeune Pascal ce qu’il va appeler ses trois mois “d’enfer” au contact permanent des deux gardes qui ont voulu le tuer et qui ne cesseront de le menacer jusqu’à la fin du génocide. S’organise alors la première fuite relatée par ses frères mais à cause de sa taille, et probablement “trop Tutsi”, il ne fera pas partie du voyage: c’est ce qu’a décidé Pascal Simbikangwa. Ce n’est que début juillet qu’il rejoindra le Zaïre, avec l’aide de son hôte à qui il faussera compagnie à cause de la menace que le propre frère de Simbikangwa, Bonaventure Mutangana, fera encore peser sur lui. Contrairement à ses frères et à sa maman, il ne se rendra pas en Suisse mais il reviendra au Rwanda où il va vivre jusqu’en 1999 avant de décider de rejoindre la Suède où il vit actuellement.
Les questions du président seront pratiquement les mêmes que celles qu’il a posées à ses frères: présence d’un drapeau du MRND dans le salon? Le témoin confirme. Livraisons d’armes? Là encore, Pascal Gahamanyi confirme, même si sa version des faits n’est pas tout à fait semblable à celle de son frère Michel. Simbikangwa avait-il des problèmes de couple? Le témoin confirme encore: à plusieurs reprises il a entendu la femme de son voisin crier suite à une querelle. Simbikangwa tenait-il des propos anti-Tutsi? “Il ne se gênait pas pour dire que les Tutsi étaient des ennemis.” D’autres questions sur la raison pour laquelle leur famille avait été attaquée: “Ils cherchaient mon père pour nous tuer tous ensemble.”
Une affirmation revient, lancinante, dans la bouche du témoin: “Les gardes de Simbikngwa voulaient me tuer.” On a d’ailleurs l’impression que cette peur habite encore Pascal Gahamanyi, vingt ans après. Et toujours ce frère militaire, Mutangana, qui ne supporte pas sa présence. Pendant la durée de son séjour, le témoin rapporte que Simbikangwa sortait souvent, comme s’il partait au travail. Il dénonce le comportement des gardes qui se vantaient d’aller tuer dans le quartier. Il leur arrivait d’ailleurs de revenir mains et habits tachés du sang de leurs victimes. Ils auraient même tué le chauffeur de Simbikangwa qui ne semble pas avoir réagi d’une manière tellement efficace! Pourquoi n’est-il par resté chez sa tante à Kabaya avec son frère lors d’un voyage dans le Nord avec Simbikangwa? Sa présence risquait d’attirer des ennuis aux autres membres de la famille. Le témoin évoque aussi la fausse carte d’identité que va lui procurer Simbikangwa: vraiment utile, car c’est un faux assez grossier?
Et toujours cette question sur la présence de cadavres que Simbikangwa n’aurait jamais vus pendant toute la durée du génocide. “Impossible” se contente de dire le témoin.
Pascal Gahamanyi reconnaît que Simbikangwa lui a sauvé la vie, mais on sent comme un regret qu’il a du mal à exprimer: “Il aurait pu faire plus, me conduire dans une zone plus sûre, à Butare, par exemple!”
Autre question: “Les témoins ne peuvent pas dire des choses positives sur Simbikangwa, ils courent des risques?” La réponse est immédiate: “Ce n’est pas dangereux sinon je ne l’aurais pas dit. J’ai dit ce que j’ai vu. Si j’avais parlé à partir de ce que j’ai lu sur Simbikangwa, j’aurais dit beaucoup plus.” “Pourquoi Simbikangwa vous a-t-il sauvé la vie?” “Il a fait ce que tout le monde aurait dû faire. Je ne sais pas s’il voulait rendre service à mes parents. Il n’y avait pas de relations particulières entre eux. Il ne m’a pas sauvé par affection, j’étais simplement son petit voisin.”
L’avocat général va rappeler au témoin les propos plus précis qu’il a tenus devant les enquêteurs du TPIR, surtout concernant les propos de Simbikangwa aux barrières: “Simbikangwa était reconnu. Il s’adressait aux gardiens:”Nous vaincrons, il faut combattre les Tutsi et ne pas laisser passer les Inyenzi!”. Pascal Gahamanyi confirme en ajoutant que Simbikangwa n’a jamais sauvé personne aux barrières.
Vont suivre enfin les traditionnelles questions de la défense au témoin. Maître Epstein débite une série de questions en rafales mais on le sent moins combatif. Il donne l’impression de se résigner peu à peu. Le comportement de son client y est-il pour quelque chose? Maître Bourgeot, quant à elle, a toujours le chic de faire des réflexions déplacées, sans pour autant qu’elle s’en rende compte: ” Vous n’êtes pas parti avec vos frères à cause de votre physionomie de Tutsi que je laisse à l’appréciation de la cour!” Que sous-entend-elle en terminant ainsi son intervention? Une dernière question/affirmation cependant: “Vous avez vécu trois mois d’enfer. Je ressens une certaine colère en vous.”. Réponse du témoin:” Vous vous trompez, je n’ai pas de colère.” Le ton était cette fois presque compatissant. La défense baisse-t-elle la garde?
Comme à l’accoutumée, lors de la séance de questions au prévenu, Simbikangwa va sa lâcher et reprendre tous les poncifs qu’il nous a donné l’occasion d’entendre si souvent. Il a l’art de ne jamais répondre aux questions qui lui sont posées, d’embrouiller tous ceux qui aimeraient savoir. Au détour d’une périphrase, il nous apprend que sa soeur était amoureuse du témoin, à son insu, met presque en doute la mort de son chauffeur… Quant aux témoins, “ils ne mentent pas, ils récitent. Ils développent une stratégie de manipulateurs”. Tout cela, c’est bien sûr la faute “d’Ibuka avec le fameux Alain Gauthier qui est là et qui a beaucoup d’argent. Il entretient la haine.” Une obsession! Et parlant du témoin: “Cet homme, je l’ai sorti du cercueil. Il aurait dû me rendre le peu de services que je lui ai rendus. Ce n’est pas un homme libre. C’est la haine (qui l’habite), la haine de ceux qui ne veulent pas que les hommes se réconcilient. J’ai beaucoup aimé cet enfant. Il a manqué de forces. Ma soeur (aimée par un militaire mais amoureuse du témoin, ndlr) a choisi le prince et pas le chevalier. Je suis déçu. Il m’a déçu mais je ne regrette rien.”
Probablement troublé, l’accusé va conclure en confondant les couleurs du drapeau rwandais de l’époque avec les couleurs du MRND… “Pour un officier…” glissera malicieusement l’avocat général.

Procès Simbikangwa: 5 mars 2014 (1)
07/03/2014
Le témoin de ce jour se nomme Martin HIGIRO, commerçant. Il a été hébergé pendant le génocide chez Pascal S, dont il ignorait tout de lui.
Il est nécessaire de rappeler les conditons d’audition de ce témoin devant la Cour : le témoin n’a pas pu se déplacer en France pour des raisons médicales. Cette audition a donc eu lieu par visio-conférence, et un interprète français-kynyarwanda sur place traduisait les questions posées au témoin.
Tout d’abord, Martin Higiro, soucieux de ne pas se contredire et de vérifier que les interprètes aient bien interprétés ses mots, répète la requête qu’il avait formulée depuis qu’il témoigne devant les différentes juridictions : avoir une copie de ces dépositions.
Martin Higiro s’est retrouvé chez PS puisque son locataire se trouve être le frère de Simbikangwa, Bonaventure Mutangana, et qu’une forte résistance s’est présentée à la barrière dite « des Chinois », à côté du domicile du prévenu.
Bonaventure décide de laisser Martin, sa femme et ses deux enfants chez son frère, Pascal, le temps qu’il aille vérifier qu’à la prochaine barrière, c’est-à-dire celle de la Banque Nationale Rwandaise, le passage se fasse plus aisément.
Seulement, le frère de Simbikangwa ne reviendra jamais les chercher et la famille Higiro sera donc hébergée durant le génocide chez Pascal Simbikangwa. L’identité de ce « protecteur », comme PS aime bien se qualifier, demeurera secrète pour la famille Higiro : ce sera en effet dans la procédure que le témoin saura que PS était le frère de Bonaventure.
Il situe son arrivée le lendemain de la chute de l’avion présidentiel, avant midi. Durant son séjour, il se souvient de la présence d’un autre jeune réfugié, Pascal, mais non de celle de ses petits frères.
Il souligne le fait d’avoir été très discret sur son ethnie, en affirmant qu’il ne s’en « vantait pas à ce moment- là » : sa famille et lui avaient d’ailleurs pris l’habitude de rester dans l’une des chambres qui leur était destinée et ils ne restaient pas avec PS, ils avaient peur de lui.
Martin Higiro confirme également ce que beaucoup de témoins à la barre (ou en visio-conférence en l’occurence) nous avaient déjà annoncé : des objets rappelant son adhésion au MRND étaient présents à son domicile et le capitaine portait un habit militaire durant le génocide.
Martin relate une scène témoignant de toute l’allégeance de PS envers celui qu’il admirait tant : le président H. PS se serait courbé, comme s’il implorait Habyarimana et, en pleurant, se serait interrogé : « Si le président ressuscitait et trouvait des Tutsi chez moi, qu’est- ce qu’il me dirait ? »
Le lendemain de cette scène, Sadala, qu’il connaissait depuis 1976 et qui était également un des voisins de PS, aurait amené Martin et sa famille à l’hôtel des Mille Collines, et Martin précisera bien qu’il est parti de chez PS sans lui dire au revoir. A ce propos, en répondant à la question du premier président de la Cour lui demandant s’il considérait que Ps lui avait sauvé la vie, Martin répond :« Je ne dirais pas que PS m’a sauvé la vie, c’est la chance que j’ai eue. (…) Je me suis rendu au Mille Collines, il n’est pas venu là- bas pour savoir si j’étais sain et sauf, il ne m’a pas amené à manger et à boire. Je reconnais tous les jours que j’ai passé chez lui, mais je reconnais également qu’il n’est pas venu voir ce qui se passait à ce moment- là.

Martin rapporte également que des fusils se trouvaient dans le « magasin », le débarras, près de la cuisine, et que des militaires s’étaient rendus à plusieurs reprises chez PS et que c’est au cours de ces visites que la distribution d’armes se serait réalisée.
L’Avocat général soulignera plus tard durant l’audition la constance du témoin concernant la présence d’armes chez PS : « Vous avez toujours dit que vous ne pouvez pas être précis ni sur les détails ni sur les dates : vous avez dit également que jusqu’à votre mort, vous étiez sûr d’avoir vu des armes dans le domicile de PS, est-ce exact ?
“Je vous précise que j’ai vu ces fusils dans la chambre qualifiée de magasin chez PS. affirme une nouvelle fois le témoin»
Il fait part également à la Cour des objets provenant de pillages que PS aurait ramenés à son domicile : télévision, radio et autres.Corroborant les inquiétudes des témoins précédents, Martin nous fait part de la «méchanceté » des gardes du corps, et de sa grande méfiance à leur égard.
Vient le tour des jurés, qui, prenant leur rôle de juge toujours autant à coeur, posent des questions pertinentes au témoin auditionné dans le but de la manifestation de la vérité.
Vient le tour de la défense, et là, les choses se compliquent : à plusieurs reprises, l’interprète à Kigali est obligé de demander à Maître Epstein de répéter, lui qui, comme à son habitude, enchaîne questions sur questions. Il pousse le témoin vers plus de précision, ce qui semble parfois bien inutile : pourquoi avoir appelé Bonaventure, pourquoi ne pas avoir pensé à l’intervention de Sadala, pourquoi ne pas téléphoner à PS (alors qu’il avait déjà précisé qu’il ne le connaissait pas …), la marque de la voiture de Bonaventure, si Martin lisait l’ancien et le nouveau testament, etc …
L’interrogatoire de la défense s’éternise, et la salle ainsi que la Cour semblent perdre patience.
Maître Epstein soulève les contradictions qui existent entre les différentes auditions du témoin, et Maître Bourgeot va s’attacher à ce que le témoin localise le lieu qu’il dénomme le « magasin », où PS aurait caché les armes, sur l’un des plans incorporés dans la procédure. C’est alors que la connection sera coupée à deux reprises…
Finalement, l’audition du témoin prend fin à 14h.
Claire Bruggiamosca

Procès Simbikangwa: 5 mars (2)
07/03/2014
L’après-midi débute par les questions posées par le président à PS, tout surpris que Martin Higiro, le témoin de ce matin, ait affirmé devant la Cour que PS lui faisait peur.
Comme à son habitude, PS discrédite le témoin en nous indiquant qu’« il a voulu affabulé. Ce ne sont pas des gens libres qui parlent ! (…) il récite ! ». Il prétend également que Martin était un ami à lui et qu’il buvait des bières ensemble, bien avant le génocide.

Maître Foreman rappelle que la fréquence des sorties de l’accusé dont tous les témoins attestent ne coïncide en rien avec ses propos :
« Ils (les témoins) disent que vous sortiez tous les jours de chez vous.
Est-ce que vous continuez à prétendre que vous ne sortiez jamais de chez vous ?
(…) Aujourd’hui, vous admettez que vous sortez relativement souvent ? Vous allez vous rapprocher de ce que disent tous les témoins, c’est- à- dire tous les jours ? »
Ayant réponse à tout sans que pour autant il soit crédible, PS s’exclame : « Tous les jours pour quoi faire ? J’ai ravitaillé les gens qui étaient chez moi. »

L’Avocat général tente vainement de comprendre la « psychologie de l’amitié » de PS : « C’est votre ami depuis 1992, vous vous êtes occupé de lui, pendant un mois, un mois et demi, vous savez qu’il est au Mille Collines, pourquoi vous ne cherchez pas à avoir des informations sur lui en vous rendant à l’hôtel ? »

En interrogeant son client, Maître Epstein laisse sous-entendre que la scène où PS s’interrogeait sur la réaction de Habyarimana s’il apprenait la présence de « Tutsi » à son domicile était une pure invention de la part de Martin :
« Est-ce que vous êtes du genre à vous mettre à pleurer, comme ça ?
Depuis ma naissance, je n’ai pas pleuré, je ne crois pas, je ne crois pas que je puisse pleurer. »

S’en suit l’audition de Pierre Célestin HAKIZIMANA, cité par le Ministère public. Les raisons de cette citation sont encore un mystère en ce qui me concerne. Ce témoin a décrit les quatre moments où il aurait été amené à rencontrer PS. Dans son point 2, il nous indique qu’il a trouvé PS à la barrière au secteur, qui s’assurait que les gardiens demandent les cartes d’identité aux passants. PS aurait également, d’après ses dires, donné des instructions et des fusils à ces gardiens. Seulement, lors de l’audition en 2013 auprès des enquêteurs, il n’avait pas fait état de cette distribution d’armes, et prétend que les instructeurs n’avaient pas retranscrit ses dires.
Aucune question n’est posée au témoin, et Maître Bourgeot conclut en indiquant que ce témoignage était peu crédible et qu’il avait prononcé un témoignage identique sur l’épisode de la frontière (le point 4) au procès de Protais Z.

Le témoignage de Béatrice NYIRASAFARI, citée cette fois-ci par la défense, débute dans l’après- midi. Réfugiée chez PS durant quelques semaines pendant le génocide, elle prévient la Cour de ses difficultés concernant les dates et les périodes. Durant son audition, elle justifie cet oubli : « J’ai essayé d’effacer. Je n’aime pas revoir ce qui s’est passé alors j’arrête. Je ne me rappelle pas des précisions, des jours, des dates, des heures. »

Sa soeur et son beau-frère connaissaient PS : une amitié était née entre les deux hommes du fait de leur handicap commun. Le couple avait demandé de l’aide à PS, mais ce dernier avait refusé. C’est le mari de l’ex-femme de PS qui leur permettront de quitter Kigali. Mais Béatrice, du fait de son apparence « trop tutsi » est contrainte de rester à Nyamirambo, toute seule. Elle décide de tenter sa chance auprès de PS, mais il refuse une nouvelle fois. Sans prévenir, il débarquera chez elle et l’amènera sous son toit.

Durant ce trajet, Béatrice répond au président que PS détenait une autorité certaine sur les Interahamwe des différentes barrières de la ville : « Ils (les Interahamwe) le laissaient passer tout de suite. A Kigali, ils ne m’ont pas contrôlé, ils ouvraient les barrières; il (PS) demandait comment ça marchait. (…) Il avait une autorité, il les saluait. »
Au passage à la barrière de Nyamirambo, elle témoigne avoir vu « des gens (qui) étaient brûlés avec les pneus. »

Chez PS, Béatrice fait la connaissance de Pascal Gahamanyi et de Martin. Cependant, le matin même, Martin avait indiqué à la Cour qu’il ne se rappelait pas de Béatrice.

Durant son séjour, elle avait demandé à PS une carte d’identité pour sa mère, d’origine tutsi. Alors que celui-ci avait accepté avec enthousiasme, sa demande est demeurée sans suite. Aussi, le témoignage de Béatrice corrobore les dires de Pascal : ce dernier ressentait bel et bien de la peur envers les deux gardes de PS.

Durant son séjour chez PS, elle n’a pas fait attention à des objets qui pourraient supposer l’adhésion de PS au parti politique MRND, ni à des armes. Cependant, elle indique à la Cour que PS était vêtu d’une veste militaire, kaki, et qu’il tenait des propos négatifs envers les Tutsi : « Oui, il faisait souvent sortir ce mot (tutsi) (…) Je n’ai pas pu suivre les conversations mais les mots sortaient. ».
Sur une question de Maître Bourgeot, Béatrice répond une nouvelle fois : « Il disait qu’il n’aimait pas les Tutsi. »

Sur le trajet durant lequel PS amenait Béatrice à Gisenyi, elle fait état d’un arrêt à Gitarama, où « il y avait le gouvernement, il s’est arrêté là et il a parlé. ». Sur une question du jury s’agissant de savoir si PS avait discuté avec un membre de ce gouvernement, Béatrice répond : « Oui, il y avait le gouvernement là- bas, alors on s’est arrêté, il a parlé avec eux.
Avec eux, c’est-à-dire ?
Avec quelqu’un, je n’ai pas suivi. Il voulait rencontrer quelqu’un du gouvernement provisoire. »

Le témoignage de Béatrice achevé, PS est interrogé au sujet des propos anti-tutsi : « Quand on est vaincu, on est exposé à toutes les calomnies, aux diffamations.
Je remercie Madame Béatrice de sa bonne volonté, mais je lui dis que c’est très difficile de supporter cela, dans mon coeur. Ce n’est pas mon genre, ce n’est pas la façon de traiter les hommes. »

Il ne nie pas avoir une autorité aux barrières, du fait de son grade de capitaine. Il arrive néanmoins un tour de passe-passe concernant l’habit militaire en affirmant au président : « C’est le léopard zaïrois. Une chemise léopard ! » Et il justifie le passage à Gitarama par le souhait qu’avait Pascal Gahamanyi de voir son père.

Maître Foreman soulève les nombreuses contradictions qui subsistent autour du capitaine : le fait que l’armée ait accepté que deux gardes soient réquisitionnés par PS en période de guerre, et la curieuse ressemblance entre son parcours et celui du colonel Bagosora. Fuyant les réponses à ces différentes questions, PS se permet de remettre en cause la dignité de l’avocat, qui s’empresse de lui rétorquer :
« Les leçons de dignité, je les accepte de beaucoup de personnes, mais pas de vous, on en reste là. »

La journée se termine par une demande formulée par la défense de :
-se déplacer sur les lieux, au motif que les plans et les données GPS ne sont pas assez précises
-réouvrir l’instruction

Les parties civiles et le ministère public réfutent en bloc cette demande, au motif que la demande de la défense aurait pu être faite avant et que l’intérêt est minime. Comme le dit Maître Philippart : « La RTLM n’existe plus, la maison de PS, non plus. Ça n’apporterait rien de nouveau. »
L’Avocat Général renchérit et résume cette demande par « l’art de demander des choses inutiles. » Il soulève également une impossibilité juridique, puisqu’aucune loi internationale ne régit cette situation.

La Cour fera part de sa décision sur cette demande le lendemain.

Claire Bruggiamosca.


Procès Simbikangwa: 7 mars 2014 (1)
09/03/2014
Audition des Parties civiles, synthèse par Claire Bruggiamosca
Cette matinée dont nous connaissons tous l’importance commence par la décision du président d’accepter la requête de l’avocat général de poser la question subsidiaire : si la Cour décide que PS n’est pas coupable en tant que complice des faits qui lui sont reprochés, elle pourra le faire subsidiairement en tant qu’auteur.

La matinée est consacrée à l’audition des parties civiles.
Les présidents de la FIDH et de la LDH n’étant pas présents, 4 personnes vont être aujourd’hui entendues à la barre:
-le président de l’association Survie, TARRIT Fabrice
-le président de l’association LICRA, JAKUBOWICZ Alain
-le président de l’association CPCR, Alain Gauthier
-et Dafroza Gauthier, en tant que témoin et membre du CPCR.

Le président de Survie ouvre la voie. Il débute en présentant son association, qui lutte contre la Françafrique et le néocolonialisme mais aussi combat la banalisation et la négation du génocide des Tutsi rwandais. Monsieur TARRIT nous rappelle que l’ancien président de Survie, Jean Carbonare, avait alerté la communauté internationale mais surtout la France au journal télévisé de Bruno Masure sur Antenne 2 qui alerta dès le 24 janvier 1993 du risque de génocide au Rwanda, un an avant sa commission. Il rappelle le rôle des parties civiles à ce procès, qu’il qualifie comme un « combat citoyen avant tout », et qu’ « il n’y a pas de complot, comme on a pu l’entendre au cours de ce procès ». Il évoque également le choc qu’il a ressenti lorsqu’il est question de la négation de PS à avoir vu des corps : « on sème le doute sur la réalité des corps qui jonchaient les rues de Kigali. D’entendre quelqu’un le nier, cela m’a choqué. » Il réfute toute idée d’un génocide purement ethnique et nous rappelle toute la dimension économique, politique de ce génocide.
Arrive le tour du président de la LICRA, Maître JAKUBOWICZ Alain. Après nous avoir rappelé l’histoire de la création de l’association LICRA, il explique que la place de la LICRA à ce procès est « une place naturelle », puisque son utilité sociale est de combattre le négationnisme et d’être au côté de toutes les formes de racisme.
Maître JAKUBOWICZ, qui représentait le Consistoire israélite de France aux procès Barbie, Touvier et Papon, cite l’un de ses confrères, Maître André Frossart qui avait donné une définition du crime contre l’humanité : « le crime contre l’humanité, c’est le crime d’être né ». Il nous interpelle sur l’universalité du crime contre l’humanité et indique aux jurés que « le génocide des Tutsi, ce n’est pas l’affaire des Tutsi, c’est l’affaire de tous. » Il les alerte également sur les risques du négationnisme en citant Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix, qui avait indiqué au cours de son audition au procès Barbie que « le tueur tue deux fois. La première fois en tuant et la seconde fois en essayant d’effacer les traces de son meurtre (…). La seconde ne serait plus de sa faute mais de la nôtre ». Enfin, il rappelle aux jurés : « vous écrivez l’histoire au cours de ce procès (…) votre décision sera rendue au nom du peuple français. »
Alain Gauthier se déplace à la barre.
A. Gauthier semble très ému, ses mains et sa voix tremblent. Le poids de toutes ces années de lutte se fait sentir, et c’est comme si, à ce moment précis, il nous le transmettait. Après avoir passé plus de 5 semaines en silence malgré les innombrables calomnies proférées par PS à son encontre, A. Gauthier a cette fois ci la parole.
Il commence par présenter l’association, et indique que « sans la plainte que le CPCR a déposée en 2009, et c’est peut-être le seul point sur lequel je suis d’accord avec lui (PS), ce procès n’aurait pas eu lieu. » Très humblement, il s’excuse auprès des jurés de les « avoir entraînés dans cette aventure» et leur rappelle qu’ils vont « exercer une responsabilité très importante en tant que juré. Ce sera sans doute la décision la plus importante de votre vie. »
Sur le déroulement du procès, A. Gauthier souligne très justement le caractère théâtral de ce procès d’assises :
« C’est la 1ère fois que je participe à un procès. Des faits m’ont étonné (…) ; le prévenu a souvent utilisé le terme de comédien, j’ai eu l’impression qu’on était un petit peu au théâtre parfois. (…) J’ai également été choqué par des propos indignes: la question posée à Maître Gillet, « et vous aussi vous avez une petite amie ? » En sous-entendant une petite amie tutsi. (…) J’évoque également le sourire incessant alors qu’on évoquait des témoignages difficiles à entendre. (…) Autant de techniques qui ne permettaient pas de faire avancer les débats. »
A. Gauthier reprend les différences culturelles auxquelles les jurés ont été confrontés durant le procès : la traduction des témoignages, la mémoires des témoins, la méfiance des témoins à l’égard des enquêteurs, la lassitude des témoins … Ces points ont été repris dans un article publié sur le site (voir Quelques mises au point.Posté le 27/02/2014 par Alain Gauthier)
A. Gauthier nous retrace également son propre parcours, se mêlant avec l’Histoire du Rwanda. Il évoque l’avant génocide. Son premier voyage au Rwanda, sa rencontre avec Dafroza, les deux lettres envoyées au Président de la République de l’époque, François Miterrand, une première fois pour tirer une sonnette d’alarme, en octobre 1990, et la seconde pour lui indiquer qu’un génocide se prépare au Rwanda, en mars 1994.
La période du génocide. L’annonce de la mort de la mère de Dafroza à sa femme, les appels lancés depuis le Rwanda, l’inertie en France. L’après génocide avec ces phrases lourdes de sens : « Un choc au moment du retour : un vide; la vie ne sera plus la même. Parce que la marque d’un génocide ce n’est pas la furie, c’est le silence des nôtres. »
Il relate ensuite la naissance du CPCR et indique aux jurés que pendant de nombreuses années, « Nous (le CPCR) nous sommes substitués à la Justice, et je sais que beaucoup de gens nous le reprochent. ». Il rappelle également les mots d’ordre de l’association : « la justice, pas la vengeance. » Il rend un hommage à ses avocats, mais surtout, à leurs enfants, qui ont été remplis de patience depuis 20 ans, puisque « pas un jour ne s’est passé depuis 20 ans sans que nous parlions du génocide à la maison ». Il répond indirectement à PS qui a allégué durant tout le procès que l’association avait des moyens colossaux, et rappelle que la CPCR est la plus petite des associations présentes au procès.
Puis, en tant que président et représentant des parties civiles, il devient le porte- parole des victimes. Il signale aux jurés une date importante pour le couple : l’ouverture de la fosse commune de la paroisse où la mère de Dafroza a été assassinée. Une sépulture digne y a été organisée. Il mentionne que même si dans ce procès les morts sont anonymes, « pour nous, les victimes ont des noms. ».
A. Gauthier décrit la position de PS tout au long du procès : « Pendant tout ce procès, je l’ai souvent regardé, j’ai rêvé qu’un jour, il finirait pas baisser la garde. » Puis, évoquant un goût partagé avec PS pour la littérature, Monsieur Gauthier cite un poème de Victor Hugo, La conscience, qui reprend le mythe de Caïn et Abel, métaphore explicite du génocide des Tutsi rwandais. Caïn, après avoir tué son frère Abel, fuit l’oeil de sa conscience. Il cite les cinq derniers vers du poème, à l’adresse du prévenu:
” On fit donc une fosse et Caïn dit: “C’est bien!”
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn.”
Enfin, il finit par s’adresser directement à PS : « Une chance a été donnée à l’accusé de réintégrer la communauté des hommes, en acceptant de regarder en face sa responsabilité : je ne suis pas sûr que vous ayez été capable de la saisir. »

Dès les premiers mots de Dafroza Gauthier, une très grande émotion est palpable et la salle devient silencieuse.
Un seul mot pour décrire Dafroza Gauthier : la dignité.
Je ne peux retranscrire les mots qu’elle a prononcés. Je n’ai pris aucune note durant son intervention.

Comme le disait son mari durant son intervention, les victimes ont des noms, et l’une des victimes de ce génocide porte le nom de Dafroza Gauthier.
Elle nous retrace sa vie, entremêlée de sanglots lorsqu’elle aborde les moments douloureux qui la jonchaient : sa petite enfance au Rwanda, sa fuite précipitée, sa rencontre avec Alain Gauthier, leur vie ordinaire qu’ils menaient en France : « métro, boulot, dodo » comme elle l’indique à la Cour, la naissance de leurs enfants, et puis le génocide.
Elle a perdu une grande partie des membres de sa famille, dont sa mère, et comme pour leur donner la place qui leur est due dans ce procès, elle cite leurs noms.
Elle remercie également ses avocats et ses enfants.
Elle regarde PS et dit qu’elle partage cette Histoire avec lui sans haine et ni vengeance. Elle lui indique également que les victimes n’ont plus peur et ne vont plus se taire.
Enfin, elle cite et remercie l’association Ibuka, qui a été tellement injuriée par PS durant le procès, en traduisant sa signification en français : « Souviens-toi. »
Ce fut la grande intervention d’une femme qui, malgré l’horreur d’un génocide, a su garder la tête haute.

Pour reprendre Maître Alain JAKUBOWICZ, je ne parle pas en tant que juriste, ni en tant que membre du CPCR, mais en tant que citoyenne française : le couple Gauthier est exemplaire pour sa simplicité, sa ténacité, sa dignité et son courage. Sans eux, ce procès n’aurait pas eu lieu : donc merci.

Claire Bruggiamosca


Procès Simbikangwa: 7 mars 2014 (2)
09/03/2014
Vendredi 7 mars après-midi. Synthèse de Claire Bruggiamosca
L’après-midi devait être suspendue, mais la défense, après l’audition des parties civiles a fait connaître à la Cour qu’un témoin de dernière minute allait être cité : il s’agit de Bonaventure Mutangana, le petit frère de Pascal Simbikangwa. Encore sous la lourde émotion du matin, nous écoutons donc le dernier témoin être scrupuleusement interrogé par le président, qui avait annoncé sa présence d’une voix fluette, après le témoignage de Dafroza Gauthier.

Le témoin commence par justifier sa venue après avoir pris connaissance des témoignages de Pascal Gahamanyi et de Martin Higiro : « Je ne comprenais pas, c’était atroce, il fallait bien que je vienne. » A noter que dans son témoignage, Pascal Gahamanyi avait signalé à la Cour que Bonaventure Mutangana l’avait menacé de mort. Il avait même ajouté : « Son frère (Bonaventure Mutangana) m’en voulait, s’il avait eu un moyen, il m’aurait tué. ». Il évoque ensuite les morts de sa famille, comme l’avait fait PS, mais ajoute : « Je ne vais pas énumérer les noms comme l’a fait Madame Dafroza Gauthier. »
Il continue en décrivant son parcours, son amitié avec Martin Higiro, son engagement auprès des para-commandos durant le génocide, sa fuite, son arrivée en France.
Et sur la détention de son frère pour génocide, il indique : « Quand j’ai su qu’il était accusé de génocide, cela m’a écoeuré, sachant le risque qu’il a pris pour sauver des Tutsi. Ça m’écoeure qu’il soit jugé pour cela. J’ai compris qu’il y avait des familles qui voulaient fouiller dans la vie des gens ».

Le président commence par lui poser des questions puisqu’il veut avoir un éclaircissement sur le nom de son frère : PS s’était présenté avec le nom de Safari.
Puis, au cours de l’audition, nous apprenons que ce n’est pas son frère biologique, mais en fait son cousin : les parents de Bonaventure aurait adopté PS après la mort de ses parents.
Il ne reconnait pas d’engagement politique à son « frère ». Il ne l’aurait vu qu’habillé en civil pendant le génocide.
Les mêmes arguments évoqués par PS fusent : la pression, sous-entendue gouvernementale, empêcherait Martin Higiro de dire la vérité.
L’état de santé de son frère l’aurait également empêché de voir les cadavres dans les rues de Kigali : « Dans son état de santé, il ne peut pas voir, il ne peut pas se lever. ». C’est donc son handicap qui l’empêchait de voir sur le côté de la route les cadavres. Cela me paraît d’autant plus grossier de l’entendre d’une autre personne…
Sur la chemise léopard, il répond instinctivement et catégoriquement qu’il n’a jamais vu son frère porter une telle chemise, et revient aussitôt sur sa réponse après avoir entendu les réactions de la salle d’audience.
L’avocat général décide de donner acte des déclarations qu’il vient de faire.
Il termine son audition en regardant son frère et en lui disant : « Je suis désolé ».
Plusieurs lectures complémentaires sont réalisées par la défense, et elle désire incorporer des lectures supplémentaires lundi, alors que les parties civiles commencent leur plaidoirie.
Le président répond à cette demande quelque peu osée : « Procéduralement, ce n’est qu’à l’issue de la parole laissée à l’accusé que les débats sont clos, donc procéduralement, ce n’est pas interdit, mais concernant la loyauté des débats et du principe du contradictoire, je ne peux pas interdire aux parties civiles et au Ministère public de demander un temps supplémentaire pour en prendre connaissance. »
PS ne pourra pas reprocher à ses représentants d’être tenaces.
L’après-midi se finit par une question de Maître Daoud à l’accusé :
« Alain et Dafroza Gauthier vous ont tendu la main ce matin, qu’est- ce que vous en faites de cette main tendue ? »
L’accusé répond : « Je n’ai pas été sorti de la communauté des hommes, j’ai été du côté des bons. »

Claire Bruggiamosca

Plaidoiries des parties civiles: 10 mars 2014
10/03/2014
Plaidoirie de Maître Baudoin au nom de la FIDH et de la LDH
« C’est avec humilité et fierté que je me présente devant cette cour d’assises, fierté de participer à un premier procès de présumé génocidaire, une avancée pour la justice française et internationale ». C’est par ces mots que maître Baudoin commence son intervention.
Après avoir excusé maître Tubiana, avocat de la LDH, absent pour des raisons de santé, maître Patrick Baudoin va ensuite faire l’historique de ces deux associations, justifiant ainsi leur présence comme parties civiles dans ce procès. De l’affaire Dreyfus au procès des Khmers rouges… la FIDH et la LDH œuvrent depuis de longues années pour que justice soit rendue partout dans le monde.
Les crimes les plus barbares étant les moins punis, c’est la raison d’être de ce combat contre l’impunité. Il est nécessaire de « resserrer les mailles du filet pour que les bourreaux n’échappent pas à la justice. » La CPI ne jugera pas tous les bourreaux ; il faut donc avoir recours à la compétence universelle : « Juger des étrangers qui ont commis des crimes à l’étranger sur des étrangers », à condition qu’ils résident en France au moment où la plainte est déposée. « L’impunité est une menace constante pour la paix » continuera maître Baudoin.
Il faut bien reconnaître que la France, pour diverses raisons, « a été peu vertueuse en matière de compétence universelle, mais ne pas poursuivre les bourreaux, c’est continuer à les encourager. » Sans l’obstination des parties civiles, ce procès n’aurait jamais eu lieu. Et de rappeler que la première plainte déposée en France contre l’abbé Wenceslas Munyeshyaka date de 1995 et que la France a été condamnée en juin 2004 par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) pour retard apporté à rendre la justice… L’abbé Munyeshyaka n’est toujours pas jugé !
Maître Baudoin va alors préciser les nombreuses attentes d’un tel procès qui n’est pas le procès du génocide mais le procès d’un homme. Mais la « recherche de la responsabilité pénale d’un homme oblige à une plongée dans le génocide. » Par ses interventions, la défense a voulu semer le doute, la confusion. L’attentat contre l’avion du président Habyarimana a été « un accélérateur plus qu’un déclencheur » : « Le feu couvait, il ne manquait qu’une étincelle. » Et de rappeler qu’il n’y a eu qu’un génocide, le génocide des Tutsi. Le négationnisme professé par l’accusé est « révoltant, insupportable. »
La défense, en s’en prenant au FPR et aux exactions qu’il aurait commises, utilise une manœuvre de diversion, « tactique classique des génocidaires et des bourreaux. » En invoquant un soi-disant « défaut de procès équitable, la défense se trompe de procédure. L’instruction a duré des années, ce qui a laissé à la défense le temps d’intervenir. » Et de reconnaître que l’accusé a eu longuement la parole, que les droits de la défense ont été respectés.
Autre tactique de la défense qui doit être dénoncée : discréditer les témoins par un contre-interrogatoire agressif, sans tenir compte des problèmes de mémoire, de langue, de culture… Et d’ajouter : « L’important, c’est la substance essentielle des témoignages et non de savoir si la cuisine était à gauche ou à droite, s’il était 9 heures ou 11 heures ! »
Maître Baudoin reviendra ensuite sur la personnalité du prévenu. Pascal Simbikangwa n’a eu de cesse de se présenter comme un petit bureaucrate. Or, cette présentation « n’est pas crédible », même s’il existe des bel et bien des « criminels de bureau (Papon). Dans ses écrits, « Simbikangwa distille sa haine du Tutsi. » Et de rappeler la notion du « tueur/sauveteur » car si Simbikangwa a sauvé quelques Tutsi, il en a fait envoyer d’autres à la mort. Le prévenu est « toujours dans le déni et le mensonge de façon invraisemblable. » Il n’a jamais vu de cadavres : mais de qui se moque-t-on ? Simbikangwa est un menteur, un dissimulateur. Il se complait dans la manipulation, n’éprouve aucune compassion, ose se présenter comme un « juste ».
L’avocat de la FIDH termine sa plaidoirie en s’adressant aux jurés : « Votre cour va rendre justice au nom du peuple français, au nom de l’humanité toute entière. Le verdict sera rendu au nom de l’humanité. Tous les êtres humains sont concernés par ce crime des crimes, chaque victime de ces crimes nous concerne. Pas de vengeance, mais la justice qui est seule garante de la paix. »

Plaidoirie de maître Daoud.
10/03/2014
Plaidoirie de maître Daoud pour la FIDH.
S’il est difficile pour un avocat de prendre la parole devant une cour d’assises, maître Daoud va toutefois exprimer trois convictions qu’il a acquises depuis le début du procès :
– Il y a eu un génocide, celui des Tutsi.
– Il ne s’agissait pas d’une « guerre ethnique. »
– Simbikangwa est un des artisans de ce génocide.
Et d’avouer que le soir, en rentrant chez lui, il éprouvait un sentiment d’irréalité, sentiment qui a fini par disparaître. Malgré « l’apparente banalité de l’accusé », ce procès fut une plongée dans le génocide. Quant à la question de savoir « comment cela a-t-il bien pu se réaliser » : tout cela nous dépasse et nous submerge. Et de dire aux jurés qu’ils ne sont pas « des magistrats de seconde zone mais des juges à part entière. » Puis, se tournant vers Simbikangwa : « Capitaine, quand on s’adresse à ses juges, on ne leur ment pas. Si l’accusé a droit de mentir, c’est à ses risques et périls. »
Maître Daoud va à son tour revenir sur la personnalité de l’accusé et sur sa biographie. « Un homme banal ? » Pas du tout, un homme brillant, un combattant. Lettré et écrivain, l’accusé « manie le verbe comme un charmeur de serpent ». Mais Simbikangwa ne répond pas aux questions, il plaide, mais pas comme un avocat, il plaide mal… » C’est un homme capable de persuasion qui a toujours la volonté de convaincre. Ses seuls moments de sincérité ? Quand il parle de sa famille.
Professionnellement, Simbikangwa a eu un parcours de vie exemplaire. Il aime commander et atteindra la consécration suprême en devenant garde du corps de son père/président. Après son accident de 1986, il va être capable de rebondir même s’il éprouve beaucoup de ressentiment, jusqu’à aujourd’hui. Sans cela, il serait devenu colonel : d’où une certaine rancœur, une dévalorisation de l’image de soi. Comme l’a rappelé un expert, « sans la présidence, le capitaine n’est rien. » Mais toujours cette capacité de rebondir : après son éviction de l’armée, à Mayotte où il devient « pivot d’un important trafic ». Et toujours selon les experts, Simbikangwa est une « personne manipulatrice organisée autour du déni et élevé dans la haine du Tutsi. »
Au cours du procès, l’accusé veut nous convaincre de son insignifiance : il ne fait pas partie de l’akazu, ni des escadrons de la mort, a traversé les trois mois du génocide sans voir de cadavres. Il pratique « la stratégie du profil bas, du déni, du mensonge. » Sa défense n’est pas crédible, avouera l’avocat : il a reconnu le génocide des Tutsi du bout des lèvres, mais il ne faut pas oublier « le génocide des Hutu par le FPR ! » Quant aux victimes, c’est d’abord celles de sa famille qui importent. Et puis, l’association Ibuka a manipulé les témoins : c’est son leitmotiv.
Dans les déclarations du prévenu, « tout est invraisemblances et mensonges ». C’est ce que va s’efforcer de démontrer maître Daoud. Pour terminer par ce cri du cœur : « Mais de qui se moque-t-on ? », qui deviendra un peu plus tard : « C’est du foutage de gueule ! » Et de rappeler les mensonges de l’accusé quant à ses occupations pendant le génocide : pas de sorties, pas de cadavres…
Puis maître Daoud va rappeler les noms des victimes qu’il ne peut oublier, qu’il ne pourra jamais oublier, ces jeunes filles exterminées chez Jeannine, dans des conditions atroces. Et « cet homme, avec le plus grand des cynismes, va revendiquer le titre de Juste ? » Et de poursuivre, presque en colère : « Vous n’êtes pas un Juste, vous êtes un assassin, capitaine, et l’accusation le démontrera ! »
La vérité ? Simbikangwa nous l’a refusée. « J’espérais qu’il veuille bien demander pardon, poursuit l’avocat, il ne l’a pas fait. » Et citant la fin du livre de l’accusé, La guerre d’octobre, « vous avez refusé ce respect à vos victimes ! »
Ses derniers mots sont pour la cour : « Par votre verdict, vous abattrez la muraille de mensonges derrière laquelle monsieur Simbikangwa s’est abrité. »

Plaidoirie de maître Simon pour Survie.
11/03/2014
Plaidoirie de maître Simon pour Survie.
Maître Simon commence par reconnaître qu’il partage les positions des deux avocats qui ont plaidé avant lui. Même si c’est difficile d’être là, il a des choses à dire.
Ce génocide des Tutsi est une étape importante pour l’association Survie. Et de remercier Laurence Davidowich qui l’a beaucoup épaulé dans la préparation de ce procès. Survie étant une association de jeunes citoyens bénévoles engagés, même si l’ombre de Jean Carbonare plane encore, sa présence comme partie civile dans ce procès est tout à fait légitime. D’autant que monsieur Carbonare était un des membres éminents de la commission des droits de l’homme qui s’étaient rendus au Rwanda début 1993 pour dénoncer les crimes perpétrés, déjà, contre les Tutsi.
Maître Simon rappelle que ce procès n’est ni le procès du génocide, ni celui di TPIR, ni encore celui de Bagosora ou de monsieur Zigiranyirazo, c’est le procès de Simbikangwa.
L’avocat de Survie se présente non comme « un expert, ni comme in chercheur ou un historien », mais comme « un citoyen » qui a besoin de donner son ressenti, un ressenti « accablant pour Simbikangwa ».
Dans un procès, la parole est essentielle. Mais ici, le silence était pesant, « le silence des victimes, celui des morts anonymes. » Si maître Simon prend la parole, « c’est pour ceux qui ne l’ont pas eue. » Et de reconnaître que Simbikangwa a eu cette parole tout en soulignant « la patience folle de la cour ». Simbikangwa a bien eu la possibilité de se défendre.
Les éléments à charge reposaient en grande partie sur les témoignages. Les réponses de l’accusé ont beaucoup choqué : les témoins auraient été tous « travaillés », ils seraient venus « pour faire une récitation », ce ne sont « pas des hommes libres ». Et pourtant, les éléments les plus à charges sont venus de ceux que Simbikangwa prétend avoir sauvés ! Il n’existe aucune preuve de pression sur les témoins.
Maître Simon souhaite revenir sur plusieurs points qui lui paraissent importants.
– L’autorité de Simbikangwa : elle ressort des débats alors que le capitaine veut nous faire croire le contraire. C’est une position qui ne tient pas la route. Simbikangwa avait une totale liberté de circuler, il lui suffisait de se montrer pour passer les barrières où on lui obéi.
– Simbikangwa avait une parfaite conscience de l’épuration ethnique sui se passait aux barrières. Et ce n’est pas en affirmant qu’il a sauvé des Tutsi, qu’il a de la famille tutsi que ce dernier va nous convaincre. « Sauver un Tutsi était une tactique, une stratégie », ajoute l’avocat. Et que dire du fait que le protégé du capitaine, Pascal Gahamanyi, n’était tranquille que quand Simbikangwa et ses gardes n’étaient pas là !
– La personnalité de Simbikangwa s’articule autour du déni. Des morts, il n’en a pas vu ! Et pourtant, près de cent mille à Kigali ! Simbikangwa en aurait dénombré trois à Gisenyi ! Et encore, c’est ce qu’il a appris plus tard ! Il y a chez Simbikangwa « l’impossibilité de reconnaître la réalité : pour lui, le génocide, « c’est tuer et effacer les traces ». De toute façon, les victimes hutu sont « plus nombreuses que les victimes tutsi ! » Grâce à la lecture du livre de Ruzibiza (informateur du juge Bruguière dont l’ordonnance a été discréditée, ndlr), Simbikangwa a compris qu’il y avait eu un génocide. Mais c’était quand il était à Mayotte, en 2008 ! Pire, Simbikangwa s’étonne de ne pas être considéré comme un « Juste » !
Tout cela ne cadre pas avec sa personnalité. Sa haine du FPR est plus forte que tout. Et d’affirmer que « Simbikangwa est coupable des faits qu’on lui reproche. »
En conclusion, maître Simon anticipe sur ce que le président dira aux jurés avant de partir en délibération en faisant appel « à leur intime conviction », l’intime conviction de « chacun des jurés ». La décision est entre leurs mains.

Plaidoirie de Maître Reingewirtz pour la LICRA.
11/03/2014
Plaidoirie de Maître Reingewirtz, pour la LICRA.
Maître Reingewirtz commence par rappeler que la LICRA était présente au procès de Nuremberg en la personne de Joseph Kessel. Les dignitaires nazis passaient pour « de bons pères, de bons maris, ils niaient tout en bloc, n’avaient jamais un regard pour les victimes… » Etranges ressemblances avec les présumés génocidaires rwandais ! Il s’agissait de juger les organisateurs. C’est alors qu’a été reconnue la notion de « crime imprescriptible » comme garde-fou : plus jamais ça !
En rappelant la fameuse expression de Staline, un connaisseur en crimes de masse : « La mort d’un homme est une tragédie, la mort d’un million est une statistique », l’avocat de la LICRA va affirmer qu’il existe des points communs à tous les génocides. Et de rappeler que « ce n’est pas le nombre de victimes qui fait un génocide, mais la façon dont elles sont mortes »
Plus, il existe la « solitude du rescapé, sa culpabilité d’en être revenu », solitude qui peut conduire au suicide (Primo Levi, ndlr). Dans un génocide, on assiste à une « inversion des valeurs : « Le Tu ne tueras point devient Vous devez tuer. » Pour faire le Bien, « il faut se débarrasser des Tutsi. » Le fait qu’il n’existe chez le bourreau aucune empathie, cela favorise le crime de masse.
Maître Reingewirtz va alors se lancer dans une implacable démonstration en soulignant l’existence de cinq principes récurrents dans un génocide :
– Le Tutsi est tué parce qu’il est né Tutsi, après qu’on l’eut animalisé, déshumanisé. Simbikangwa fait partie des encadreurs, des professionnels. Il a de l’autorité à l’intérieur et à l’extérieur du système. Aigri par son accident et ses conséquences, Simbikangwa n’est pas là pour arrêter le génocide. Déçu par sa femme tutsi partie avec le chauffeur, déçu par le multipartisme qui oblige à partager le pouvoir, il ne lui reste plus qu’à servir : « La fierté de souffrir pour mieux servir » comme il le rappellera dans son livre L’Homme et sa croix. Le moment venu, Simbikangwa reprendra ce qu’il sait faire : commander, encadrer.
– « Aucun témoin ne doit survivre », il ne faut pas laisser de traces, enlever les corps pour que les étrangers ne les voient pas : « On ne saura plus à quoi ressemblait un Tutsi. » D’où la difficulté de trouver des témoins. Simbikangwa a utilisé son autorité et après vingt ans de cavale, il connaît la stratégie : tout nier, son nom, ce qu’il a fait, ce que les autres ont fait… pas de cadavre, pas de génocide. Simbikangwa a construit son identité sur un déni et comme tout manipulateur, il est incapable de dire oui ou non. Les images de cadavres ? « C’est la propagande américaine, ce sont les cadavres du FPR ! » Et Simbikangwa va multiplier les contradictions et les incohérences : cabale montée contre lui au Rwanda, avalanche de mensonges… Simbikangwa est un génocidaire et un menteur.
– Inversion des valeurs et victimisation des génocidaires. La seule victime, c’est lui. Il éprouve une haine viscérale pour les femmes, les femmes tutsi. Ce qu’il déteste chez les Gauthier, c’est
la femme tutsi, conformément aux Dix commandements des Bahutu :
• Commandement 1 : « Tout Hutu doit savoir qu’une femme tutsi, où qu’elle soit, travaille à la solde de son ethnie tutsi… »
• Commandement 8 : « Les Bahutu doivent cesser d’avoir pitié des Batutsi. »
Tout est de la faute d’Ibuka. D’où le discours victimaire de Simbikangwa. Et l’avocat de citer PASCAL, le penseur français : « Jamais on ne fait le mal si pleinement que quand on le fait en conscience. » Le sauvetage du jeune Gahamanyi, ce n’est pas un acte d’héroïsme ; Simbikangwa ne prend aucun risque, il n’est ni un juste, ni un sauveur. C’est simplement pour pouvoir se justifier après le génocide. Avoir un Tutsi avec lui pendant tout le génocide, c’est une sorte de sauf-conduit pour le cas où le FPR le croiserait sur sa route.
– L’oubli ou la justice. Pour Maître Reingewirtz, « l’antonyme de l’oubli, ce n’est pas la mémoire, c’est la justice. » Et de citer la phrase d’Hitler en 1939 : « Qui se souvient du génocide des Arméniens ? »
Pour conclure, l’avocat de la LICRA va déclarer qu’il « espère que ces victimes ne sont pas mortes pour rien. » Et s’adressant aux jurés : « Votre jugement aura une portée historique. » On aurait attendu un regard, un geste de Simbikangwa. On attend toujours et on risque d’attendre longtemps. Et de citer Primo LEVI : « Même si quelques-uns en réchappent, le monde ne les croira pas ! »
Commentaire du rédacteur de cette synthèse :
C’est bien là tout l’enjeu et les limites du témoignage. Si l’on veut pourtant que justice soit rendue, il faut que les témoins courent le risque de ne pas être crus. La justice a besoin des témoins.

Plaidoiries de Maîtres Philippart et Foreman pour le CPCR
11/03/2014
Un procès dû à l’infatigable constance du CPCR
L’audience s’ouvre sur la plaidoirie de Me PHILLIPART rendant hommage au CPCR, dont elle « a l’honneur de porter la voix » et à Dafroza et Alain GAUTHIER, sans lesquels ce procès n’aurait pas eu lieu, eux qui, tout au long de ces vingt dernières années ne se sont jamais découragés, menant un travail titanesque de collecte de témoignages face à une justice française débordée (avant que le pôle génocide ne soit créé, les plaintes pour crimes contre l’humanité étaient suivies par des magistrats instructeurs en charge de dossiers de droit commun), mais aussi une justice entravée plusieurs années durant par la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda.
Les témoins sont crédibles
Tout au long de ce procès est revenue la question lancinante de la crédibilité des témoignages, « matière première de la preuve », alimentée par l’acharnement de la défense à faire passer les témoins pour des menteurs.
Une tactique systématiquement employée par les accusés de génocide, lors des procès de Bruxelles comme de ceux du TPIR.
A Paris, nous avons eu droit, comme un disque rayé, à l’opprobre jetée sur l’association IBUKA, soupçonnée d’avoir soudoyé ou préparé les témoins.
Me PHILLIPART rappelle qu’au Rwanda, IBUKA -« Souviens-toi »- est une ONG de rescapés assistée par l’Etat, chargée de célébrer les commémorations du génocide et d’apporter une assistance psychologique aux rescapés.
La moindre des choses dans un pays ou le lien social est aussi profondément et violement déchiré, où rescapés et anciens bourreaux sont contraints de se côtoyer chaque jour, à la ville comme aux champs.
Critique-t-on, en France, les cellules d’assistance psychologique mises en place après un attentat ou un accident de train ?
Et un génocide, ce n’est, comme l’avait dit Dafroza GAUTHIER la semaine dernière, ni un tremblement de terre, ni même un tsunami.
Or les témoins à décharge sont venus librement, ils ont même pu, pour quelques uns d’entre eux, remercier Pascal SIMBIKANGWA.
Certains étaient Hutu, d’autres Tutsi. Ceux qui ont le plus manifesté leur crainte de parler venaient du fameux « terroir présidentiel », où plane encore l’ombre de l’ancien régime. On les a obligés à se remémorer des moments qu’ils s’efforcent depuis vingt ans d’oublier pour pouvoir survivre.
Si, comme l’expliquait la chercheuse Hélène DUMAS, les témoins du génocide ont généralement beaucoup de mal à se repérer dans le temps, la mémoire spatiale elle, reste encore vive malgré les violences subies. Ici encore, ce fut le cas, et les témoins, bien que parfois imprécis dans les dates, ne l’étaient plus du tout lorsqu’il s’est agi de décrire les lieux des crimes.
Pascal SIMBIKANGWA : relais du génocide dans son quartier de Kiyovu-les riches
Les lieux du crime, c’est d’abord le quartier de Kyiovu.
« Aujourd’hui, c’est Beverly Hills », et l’opulence de ce quartier contraste avec l’image d’obscur fonctionnaire que Pascal SIMBIKANGWA voudrait donner de lui. C’est le quartier où les massacres ont commencé, là où les gardes présidentiels ont fouillé les maisons, à la recherche de Tutsis, dès le 7 avril au matin.
C’est le quartier où Pascal SIMBIKANGWA, membre de l’AKAZU et des escadrons de la mort, ancien commando et garde du corps de son cousin le Président Habyarimana, « supporter » du parti extrémiste MRND avait son logement de fonction, entretenant la confusion sur son statut de militaire versé dans le civil, exerçant son autorité sur les militaires et les Interahamwes postés aux barrières.
Des sauvetages rares et ciblés
Pascal SIMBIKANGWA n’a pas sauvé une cinquantaine de Tutsi comme il aimerait nous le faire croire : tout au plus Martin HIGIRO, qui s’est échappé dès qu’il a pu (dès que l’accusé a eu le dos tourné), la famille GAHAMANYI, dont le père bien que Tutsi, était un haut fonctionnaire du régime, responsable local du MRND qui se réfugie le 8 avril à la Préfecture, haut lieu de l’organisation du génocide… et Isaïe, le « zamu », le gardien, « le Tutsi de Pascal SIMBIKANGWA », sa chose…
Pour Me PHILLIPART, ces actes de sauvetage ne peuvent absoudre Pascal SIMBIKANGWA de ses crimes, lui, qui prétend n’avoir pas vu de cadavres pendant le génocide : « Si, dans l’histoire de Pascal SIMBIKANGWA il n’y a pas eu de morts, dans celle du CPCR et de toutes les victimes, il y en a eu beaucoup ».
Au moins huit cent mille.
Le soutien symbolique de représentants des victimes de la Shoah
Lorsque Me FOREMAN prend à son tour la parole, c’est pour saluer la présence dans la salle de plusieurs représentants d’associations de déportés des camps de concentration nazis. Des hommes et des femmes qui se sont, non sans mal pour certains, déplacés pour témoigner de leur solidarité avec d’autres humains, d’autres victimes, celles d’un autre génocide, marquant ainsi l’universalité de ce crime imprescriptible, extraordinaire, qui par sa nature même concerne l’humanité toute entière.
A quoi sert un procès ?
Un procès est une théâtralisation, un processus visant à rejouer le crime dans la salle d’audiences, en réunissant ses protagonistes, en exerçant une catharsis grâce à laquelle le juge et les jurés remettent à l’endroit l’ordre social bouleversé par le crime.
Comment se livrer ici à pareil exercice ? Comment mettre en scène le génocide, ce crime des crimes, incommensurable- impossible à mesurer- impossible à faire tenir dans un récit ?
C’est par un récit, celui de sa visite au mémorial de Murambi que l’avocat va redonner vie à quelques unes des centaines de milliers de victimes anonymes.
A Murambi comme dans bien des villages, les autorités locales avaient enjoint les Tutsi à se réfugier dans l’école construite au sommet de la colline. Plusieurs milliers de victimes y furent massacrées. Ce mémorial figure parmi les plus anciens du Rwanda. Il témoigne de la volonté de ses créateurs, dès 1996, de lutter contre le négationnisme.
Et pour cela, une seule solution : montrer les morts.
Ils sont là, ces corps que Pascal SIMBIKANGWA refuse de voir, allongés sur des tables, conservés dans la chaux, figés dans la position qu’ils avaient au moment de leur assassinat.
Le génocide est trop grand pour tenir dans une salle d’audience, mais, s’il est impossible de le résumer à des arguments rationnels, on peut, comme l’a expliqué le chercheur Jacques SEMELIN, rendre compte de ses mécanismes, en analyser les processus et les responsabilités : cet effort de ré-individualisation des responsabilités fait pendant à la ré-individualisation des victimes anonymes à laquelle se livrent les rescapés et familles de disparus.
Et c’est bien de cela qu’il s’agit dans ce procès, qui n’est pas celui du génocide mais celui de Pascal SIMBIKANGWA.
Une stratégie de défense vouée à l’échec
Pascal SIMBIKANGWA a usé de tous les ressorts classiques de la défense des génocidaires, épuisant de fait son potentiel de crédibilité. On retrouve ainsi :
– l’accusation en miroir, avec la théorie du double génocide, qui s’inscrit dans la logique génocidaire, pour laquelle le génocide va de pair avec sa négation concomitante (« il n’y a pas de génocide sans négation du génocide », comme l’a expliqué l’historien Stéphane Audoin Rouzeau)
– la critique des témoignages et les accusations de mensonge des témoins, qui renvoient en miroir aux mensonges de l’accusé. Comme l’explique Me FOREMAN,
« C’est le devoir de Pascal SIMBIKANGWA de mentir… même sur des choses insignifiantes… il ne peut pas participer à ce procès de plain pied, il ne peut pas donner sa part de vérité, celle qui permettrait de reconstruire… ».
Pascal SIMBIKANGWA ne fait jamais appel à sa mémoire, il ne puise que dans le dossier d’instruction.
« Je n’ai pas vu un seul mort » : un mensonge central
En octobre 1943, HIMMLER expliquait aux cadres SS, dans son discours de Poznan :
«La plupart d’entre vous savent ce que cela signifie quand 100 cadavres sont alignés les uns à côté des autres, quand il en a 500 ou quand il y en a 1000. Avoir tenu bon face à cela – abstraction faite de faiblesses humaines exceptionnelles – et être resté correct pendant ce temps-là, cela nous a rendus durs. C’est une page glorieuse de notre histoire, une page qui n’a jamais été écrite et qu’il ne faudra jamais écrire.»
Pascal SIBIKANGWA est un dur.
Quand il dit, « je n’ai pas vu un seul mort », cela veut dire « je n’ai pas eu un seul regard pour ces morts », pas plus qu’il n’a eu, drapé dans son mépris cynique, un regard pour Isaïe, le gardien qui l’aimait, le gardien qui venait pourtant lui donner une parcelle d’humanité.
Pascal SIMBIKANGWA avait les moyens et la liberté d’agir
Il n’a pas reçu d’instructions formelles, il a, de lui même, usé de sa capacité de projection pour sillonner les routes rwandaises pendant ces 100 jours où le pays était à feu et à sang.
Il a traversé le génocide. Il l’a fait de son plein gré et sa responsabilité en est d’autant plus grande.
Un « entrepreneur identitaire »
Comme l’a expliqué J. SEMELIN, tous les discours incendiaires ne mettent pas le feu, mais certains y parviennent. Avec son livre, la Guerre d’octobre, qui véhicule l’équivalent anti-tutsi du protocole des sages de Sion, avec les journaux KANGURA puis UMURAVA, qu’il a créés, distillant la haine pour les femmes Tutsi, avec la radio des Mille Collines, qu‘il a financée et « stimulée », Pascal SIMBIKANGWA a incarné la figure de l’ « entrepreneur identitaire », qui catalyse les angoisses de populations déboussolées par la crise économique et la guerre.
« Il réclame la médaille des Justes ? A vous de répondre à ce cynisme insupportable,
Au nom de la communauté internationale, on l’a dit, au nom du peuple français, de Rousseau et de Chateaubriand, qu’il dit admirer, à vous de dire à cet homme s’il s’est bien comporté, ou s’il a failli à la loi des hommes. »
Stéphanie Monsénégo

Réquisitoire de l’avocat général, Bruno Sturlese: réclusion à perpétuité.
13/03/2014
Réquisitoire de l’avocat général : perpétuité requise.
« Je ne pourrai jamais être le même homme. Vous et moi (s’adressant aux jurés) nous sommes en communion. » C’est ainsi que Bruno Sturlese, l’avocat général, pâle et manifestement ému, commence son réquisitoire.
« Ce procès est bien notre affaire à tous. Historique, il l’est à plus d’un titre. Il s’insère dans l’Histoire avec un grand H, pas seulement l’histoire du Rwanda. Le génocide des Tutsi concerne l’histoire de l’humanité, une page effrayante de l’humanité. » Historique, ce procès l’est aussi parce que c’est la première fois qu’une cour d’assises française est saisie d’une telle affaire, et ce crime « entre bel et bien dans notre code pénal. » Vingt ans après les faits, un tel procès est très utile en France, précise l’avocat général.
Pourquoi juger Pascal Simbikangwa ? Et de faire l’historique de du dossier Simbikangwa, de sa fuite du Rwanda en juillet 1994 jusqu’à son exil à Mayotte où il sera arrêté pour trafic de faux papiers. C’est alors que le Procureur de Kigali, ayant eu connaissance de la présence de Simbikangwa à Mayotte, le fera rechercher. A noter que le TPIR avait précédemment remis son dossier aux autorités judiciaires du Rwanda, en vertu de son mandat qui entrait dans sa phase d’achèvement. Les autorités judiciaires françaises ayant décidé de refuser l’extradition de Simbikangwa vers son pays, la justice française avait donc compétence pour le juger : « Aut dedere, aut judicare », ou le livrer, ou le juger.
S’adressant à la Cour, Bruno Sturlese précise : « Votre compétence est à vivre comme une fierté, comme un rouage indispensable contre l’impunité. Cette compétence va de soi pour éviter que notre territoire devienne un sanctuaire pour génocidaires (ce qu’il est déjà, ndlr). Et d’ajouter, lyrique : « Juges de tous les pays, soyez fiers de vous donner la main pour lutter contre l’impunité. Ceux qui ont voulu assassiner un peu d’humanité doivent être convaincus que, où qu’ils se cachent, ils auront des comptes à rendre à la justice humaine. » En effet, « ces crimes sont insupportables, et donc imprescriptibles. »
Pourquoi juger Simbikangwa vingt ans après ? Tout simplement « parce que Simbikangwa s’est caché pendant treize ans. Il n’y a eu dans cette affaire ni lenteur, ni atermoiement de la justice française. Ce n’est pas non plus un procès expéditif. »
En reconnaissant le rôle d’aiguillon du CPCR et en rendant un hommage au Procureur Marc Brisset-Foucault, alors en poste à Mayotte, l’avocat général va rappeler la chronologie des faits et rappeler aux jurés qu’ils doivent juger Simbikangwa « au regard d’une seule exigence : l’appréciation honnêtes des preuves.
Quant aux témoins, la défense « s’est acharnée à vouloir les faire chuter à tout prix. Ce seraient tous de faux témoins, des récitants selon le mot de Simbikangwa. Et de bien rappeler aux jurés de « distinguer les mensonges en tenant compte du décalage culturel, des failles de la mémoire. Les contradictions, les différences entre les témoins, c’est mieux que les discours formatés de Simbikangwa et de sa défense. »
« Il faut juger Simbikangwa au nom de la loi et non au nom de la mémoire ou de l’émotion » rappellera l’avocat général. « On ne juge pas l’Histoire, mais on ne peut occulter le contexte » ajoute-t-il. Et de poursuivre : « Ce procès a mis l’accusé face à ses actes, face aux survivants de ses actes, face aux porte-parole des victimes. »
Et de souligner aussi la « force et la puissance de la négation de ces crimes aveuglants et dissimulés », la négation étant partie intrinsèque du génocide, bien que certains témoins et l’accusé lui-même « aient ergoté et ramené le crime de génocide au rang des autres crimes. »
Monsieur Sturlese ne manquera pas de rappeler que ce procès est un « remède contre l’oubli et qu’il sera utile pour les générations futures. » Il devait donc se tenir. Mais juger Simbikangwa « exige une plongée dans l’innommable, c’est une descente aux enfers et il est nécessaire de montrer le déni d’humanité des bourreaux. » S’appuyant sur les propos d’Elie Wiesel : « Se taire est interdit, parler impossible », Bruno Sturlese rappelle que ce procès « ravive les douleurs des victimes et la culpabilité d’avoir survécu. » D’où la nécessité, pour les jurés, de « tenir à distance cette émotion, ce qui est à la fois difficile et surhumain. »
Bruno Sturlese continue ses mises en garde : « Juger Simbikangwa oblige à comprendre le contexte, simplement comprendre, pas écrire ou réécrire l’Histoire du Rwanda. » Sur le contexte, « tous les éclaircissements ont été donnés : entre avril et juillet 1994, il y a bien eu le génocide des Tutsi au Rwanda, l’attentat contre l’avion d’Habyarimana n’a pas été l’élément déclencheur, tout était en place avant. Nous avons assisté à l’aboutissement d’une propagande haineuse. Les autorités ont tout fait pour faire participer la population d’une manière massive. Et de conclure provisoirement : « Ces éléments suffisent pour votre appréciation sur les responsabilités de Simbikangwa : ce n’est pas le procès du génocide, mais bien celui d’un homme, Pascal Simbikangwa. »
L’avocat général va ensuite s’adresser directement au prévenu en faisant apparaître la caractéristique majeure de la personnalité de Simbikangwa : le mensonge érigé en système, « lui qui exècre le mensonge. Simbikangwa ment, manipule la réalité. Sa force ? Dire tout et son contraire, toujours avec le sourire. Il va jusqu’à nier le génocide des Tutsi même si, « sous la pression avisée de ses conseils, il va finir par reconnaître le génocide des Tutsi tout en ajoutant aussitôt qu’il y a eu un génocide des Hutu. »
Bruno Sturlese continue ses attaques en direction du prévenu : « Simbikangwa jongle brillamment, avec jouissance, avec les armes de la dialectique et de la rhétorique. Il a choisi le camp de ceux qui ont choisi la stratégie perverse, ralliant le camp des assassins de la mémoire. »
Et d’asséner trois questions : « Quand faut-il le croire ? Comment le croire ? Peut-on encore le croire ? »
En effet, lui qui dit parler au nom de la vérité, il a tout fait pour torpiller la vérité : « Vous êtes un grand falsificateur de votre petite histoire et de la grande histoire. En réclamant la médaille des Justes, vous devenez un grand usurpateur ! » Il n’y a donc rien à attendre de Simbikangwa dans la recherche de la vérité.
Le Simbikangwa d’avant 1994 explique celui du temps du génocide : il n’a pas changé. C’était un dignitaire puissant, intouchable, qui bénéficiait de privilèges réservés aux grands du régime. Il avait des relations avec des personnalités éminentes de la société rwandaise, des ministres, des proches d’Habyarimana. Même Filip Reyntjens, cité par la défense, en atteste. Simbikangwa fait partie des « indispensables d’Habyarimana. » Simbikangwa s’est positionné idéologiquement dans le camp des extrémistes, c’est un « fanatique du président ». Simbikangwa est tout, sauf le personnage « neutre » pour lequel il veut se faire passer : sa neutralité est un « mythe » à faire tomber. Bruno Sturlese va évoquer alors le personnage controversé de Ruggiu, de la TRLM. La simple évocation de ce nom irrite Simbikangwa. Il ne supporte pas les propos que l’animateur de la RTLM a pu tenir à son égard : son rôle d’épurateur, son racisme à l’égard des Tutsi, la violation de son statut de militaire lorsqu’il fonde un journal, sa contribution financière à la RTLM. Finalement, Simbikangwa est « une figure publique qui agit en coulisse ». Simbikangwa avait un charisme évident : il a dû fasciner certains, fait peur à d’autres. Son passage au SCR, Service Central de Renseignements, lui a fait une réputation de tortionnaire, la réputation d’un homme qui nage en eaux troubles, glauques, pour intimider ceux qui ne pensent pas comme lui. « Manipulation de la presse, intimidations des journalistes, menaces à l’égard de monsieur Kavaruganda, le président de la Cour suprême, qui mourra le premier jour du génocide ! Voilà ce qui caractérise Simbikangwa qui aurait pu être poursuivi pour ses actes de torture. Il a eu de la chance : ce sont des actes prescrits.
Et de terminer son réquisitoire à l’adresse de Simbikangwa : « A la veille de ce génocide, on est loin de l’image lisse que vous voulez donner. C’est une imposture. » Simbikangwa est un homme terrifiant, agissant toujours masqué, un dignitaire mêlé aux basses œuvres d’un régime capable du pire.
« Comment cet homme si puissant aurait-il, le 6 avril, devenir autre ? »
La séance est alors suspendue. Il reviendra à Aurélia Devos de reprendre dans le détail tous les faits reprochés à Simbikangwa. Bruno Sturlese, en fin de journée reprendra la parole pour rappeler aux témoins des éléments juridiques concernant la qualification pénale du comportement coupable de Simbikangwa, et pour évoquer la peine qu’il va demander. A ce moment de la journée, on sent bien que la magistrat va demander la peine maximale, la réclusion à perpétuité. Nous reviendrons sur cette fin de journée chargée d’émotion et de solennité.

Réquisitoire de madame Aurélia Devos.
13/03/2014
Réquisitoire de madame Aurélia Devos, vice-procureur.
Madame Aurélia Devos semble tendue avant de prendre la parole, concentrée en tout cas. Elle commence par rappeler avec émotion le fait que, en juillet 1994, le choléra qui sévit dans les camps du Zaïre prend toute la place jusqu’à occulter le génocide des Tutsi perpétré au cours des trois mois précédents.
Elle lance ensuite une lourde charge contre la stratégie de la défense : « Pour détourner le regard, on vous a parlé de l’après-génocide, du TPIR, des Ingando (camps de réinsertion pour ceux qui rentrent du Zaïre, ndlr), du nouveau pouvoir à Kigali… Propos tronqués, mensonges… Peut-être demain entendrez-vous de quoi vous divertir, entendrez-vous parler des traîtres qui ont plaidé coupable… »
En citant Audouin-Rouzeau, témoin de contexte qui est intervenu au début du procès, elle ajoute qu’on « transforme aujourd’hui les victimes en bourreaux ». L’historien parlait du « feu sous la cendre. »
Hommage est alors rendu à tous ces témoins qui « n’en rajoutent pas, qui ont peur d’accuser, peur de s’accuser en en disant trop. Tant de victimes sont mortes, éteignant la parle et le souvenir. Le plus souvent, seule reste la parole de ceux qui ont tué. » Hommage à ces témoins venus pour la première fois en Europe, intimidés par la défense, questionnés parfois avec ironie. Madame Devos évoque tous les problèmes posés par la traduction, demande de prendre en compte la dimension culturelle, l’effet évolutif de la mémoire. D’avoir à l’esprit ces témoins entendus par le TPIR au Rwanda par des enquêteurs qui ne notent que ce qui les intéressent. Entendus aussi au TPIR lors d’audiences, par les enquêteurs français, par les magistrats instructeurs, entendu devant nous avec la peur qui les habitait. Une défense qui pose des questions qui comportent déjà les réponses, des questions alambiquées pour faire chuter le témoin. Elle dénonce l’ironie des avocats de la défense, leurs manœuvres pour discréditer les témoins. Est-ce anormal que des rescapés se regroupent dans des associations qui les soutiennent ? Allusion aux propos du prévenu qui n’a cessé de s’en prendre à l’association Ibuka.
Et de demander : « Simbikangwa serait le seul à dire la vérité ? »
Madame Devos va ensuite décrire le Kigali de 1994, comme si elle donnait une leçon de géographie politique, rappeler l’attentat du 6 avril, pour ajouter aussitôt : « Les Tutsi sont devenus des cibles. » Redire qu’un génocide spontané n’existe pas, rappeler les propos des nombreux témoins de contexte qui ont fait part de leur vécu à Kigali alors que le génocide battait son plein. Elle va ensuite évoquer longuement les principaux acteurs présents chez Simbikangwa pendant le génocide, principalement monsieur Higiro et Pascal Gahamanyi, tous deux partis sans dire au revoir… Ce jeune Pascal Gahamanyi, « le Tutsi utile, otage de son sauveur qui porte à jamais la perversion de celui qui l’a sauvé ! » Des propos lourds de sens.
Et tous les gardiens de Kiyovu ! Isaïe, « son Tutsi qui croyait être son ami et qui le croit toujours ! » Et Simbikangwa, ce sauveur qui refuse de le reconnaître, qui refuse les remerciements, qui, avec cynisme, s’attribue le titre de « Juste » ! « On sauve par calcul, par prévision. Les vrais sauveteurs ne sont pas dans ce box. » Et de dénoncer les mensonges du prévenu qui avoue d’abord n’être jamais sorti de chez lui puis qui finira par reconnaître qu’il sortait pour prendre soin de ses réfugiés… Pour s’occuper de ses vaches, « en plein génocide » s’offusquera madame Devos !
« Simbikangwa va faire sa guerre contre le front intérieur, contre le complice du FPR, contre le Tutsi », sa guerre contre des vieillards, des femmes des enfants, « pas contre des combattants. » Si on ne peut prouver les faits qui lui sont reprochés à Gisenyi, par contre, à Kigali, le prévenu s’active. Tous les témoins le disent. Simbikangwa est « le bras radiophonique d’une politique génocidaire ». Et de rappeler le témoignage de Valérie Bemeriki dont le témoignage en soutien à son patron Ferdinand Nahimana au TPIR ne sera pas retenu parce qu’elle a menti. Madame Devos va parler de ce témoin Higiro qui se prend les pieds dans le tapis lors de déclarations contradictoires. Mais ce témoin était habité par la peur. Peu importe où les armes étaient cachées. Des armes étaient entreposées chez Simbikangwa, il s’en souviendra « jusqu’à sa mort » Les gardiens, si malmenés par la défense, attestent aussi des livraisons d’armes. Madame Devos s’en prend à nouveau aux avocats de la défense qui s’acharnent sur un homme, un rescapé qui a perdu toute sa famille, et qui vont jusqu’à oser la question : « Vous avez été poursuivi ? » Un rescapé ! Des armes qui serviront à tuer, et pas seulement à Kiyovu !
L’acquittement de Protais Zigiranyirazo au TPIR dans son procès en appel agité par la défense ? Et la révélation du nom d’un témoin protégé ? De quoi Z était-il accusé ? « Le témoin BCW l’a vu le 12 et le 17 avril 1994. Neuf témoins disent, en première instance, l’avoir vu à Rubaya, dans le nord, entre le 11 et le 17. La Chambre de première instance n’a pas jugé ces témoins crédibles. La Chambre d’appel dit que la Chambre de première instance a mal évalué la crédibilité des témoins. Elle ne peut être sûre de la présence de monsieur Z à Kigali, au-delà de tout doute raisonnable. C’est le Procureur qui n’a pas été au bout de sa démonstration. Jamais la Chambre n’aura dit que le témoin BCW a menti. » Il fallait rétablir la vérité devant la Cour.
Madame Devos continue son implacable démonstration en rappelant le rôle central de Simbikangwa dans le génocide, dans la ville de Kigali. Le prévenu circulait avec ses gardes du corps dont il n’a pas condamné les crimes quand ils rentraient les mains pleines de sang ! Simbikangwa a eu un rôle essentiel aux barrières : il les visite, encourage les tueurs pour qu’ils fassent « un bon travail ». Tout cela montre bien l’autorité du prévenu. Des corps, il n’en a jamais vu. Il n’a même pas senti l’odeur de brûlé qui se dégage lorsque les tueurs décident de se débarrasser des cadavres en les déposant sur des pneus en flammes ! Et que dire du rôle de Simbikangwa dans la dénonciation de Jean Marie Vianney Nyetegeka, ce gardien Tutsi dont il a demandé la mort et qui, par miracle, aura la vie sauve, et au sujet duquel la défense tiendra une nouvelle fois des propos « choquants » : « Pourquoi ne vous ont-ils pas tué avant ? Pourquoi être revenu sur la barrière ? Vous avez eu de la chance ! » ironise maître Epstein.
Pour terminer ce long réquisitoire d’une qualité exceptionnelle, madame Devos s’explique : « Simbikangwa n’a pas vu de mort exécuté devant lui ? Peut-être. Mais parce qu’il est un donneur d’ordre. Le plus grand responsable n’est-il pas celui qui encourage ? La responsabilité ne se compte pas en nombre de morts. La volonté d’exterminer dépasse le nombre des victimes. Le crime qui a été commis est un crime contre l’humanité… Simbikangwa sera l’un des derniers à quitter Kigali. Sa détermination aura été totale, aura duré trois mois. »
Les derniers mots seront pour les membres de la Cour : « Aucun d’entre vous ne sortira indemne de cette cour d’assises. Mais vous aurez compris ce qu’aura été le rôle de Simbikangwa. Et rappelez-vous « qu’aucun témoin ne devait survivre. »

Fin des réquisitions de l’avocat général, Bruno Sturlese: perpétuité requise contre Simbikangwa
13/03/2014
Fin des réquisitions de Bruno Sturlese.
La journée se termine par la fin des réquisitions de l’avocat général. Deux questions se posent :
– Comment qualifier pénalement le comportement coupable de Simbikangwa ?
– Quelle sanction faut-il envisager ?
La première question est d’ordre juridique. Pour condamner Simbikangwa, il faudra qualifier pénalement ces faits. L’ordonnance de mise en accusation des juges d’instruction, l’OMA, considérait que deux crimes devaient être reprochés à Simbikangwa : complicité de crime de génocide et complicité de crime contre l’humanité.
De rappeler que c’est la première fois qu’une cour d’assisses française va statuer sur le chef d’accusation de génocide, d’où certains atermoiements. « Votre décision fera date, confie-t-il à la cour. Pour l’avenir, pour les futurs dossiers, il est important de donner l’exacte qualification des faits. Vous avez le pouvoir de requalifier les faits par une question subsidiaire. »
L’avocat général, pour justifier cette demande de requalification, en passant de complicité de génocide à génocide, fait la distinction entre le crime de génocide et le crime contre l’humanité.
Le génocide, crime contre l’humanité par excellence, est la résultante d’une organisation collective, d’un plan concerté, ici contre les Tutsi, qui doit tendre à la destruction totale ou partielle d’un groupe social, racial, religieux… Le mobile réside dans le fait qu’on veuille participer à l’extermination de ce groupe.
Le crime contre l’humanité répond à une définition quelque peu différente : il s’agit d’une pratique massive d’extermination contre une population civile.
Les crimes de Simbikangwa s’inscrivent dans le cadre de l’extermination de la population tutsi, mais aussi dans celui du massacre ou de la répression contre des Hutu d’opposition ou d’autres victimes civiles. Il est donc indispensable de retenir le cumul de ces deux incriminations.
Concernant la nature de la participation de Simbikangwa à ces deux crimes. Les juges d’instruction demandaient d’étudier les crimes de Simbikangwa en rapport avec la complicité : c’est incontestable pour les crimes contre l’humanité. « Vous condamnerez donc Simbikangwa pour complicité de crimes contre l’humanité à Kigali, mais pas à Gisenyi ! (cette distinction des lieux ne satisfait pas du tout les parties civiles, ndlr).
Pour ce qui est du génocide, c’est différent. Doit être condamné pour génocide celui qui commet, mais aussi celui qui fait commettre le génocide. Et de préciser que l’article 212/1 du code pénal efface la distinction entre l’auteur et le complice. La responsabilité du complice est la même que celle de l’auteur. « Exécutants et instigateurs sont tous des génocidaires. »
Simbikangwa doit donc être considéré comme un instigateur, plus qu’un complice. « Je vous invite à requalifier dans ce sens pour remettre Simbikangwa à sa véritable place pénale », conclura l’avocat général.
Concernant la sanction. La responsabilité de Simbikangwa est d’autant plus écrasante qu’elle est non assumée. C’est le sale boulot laissé au petit peuple, aux gardiens des barrières. Simbikangwa est tout, sauf un petit. L’avocat rappelle l’immense responsabilité de Simbikangwa dans ce génocide. Et ce ne sont pas les quelques Tutsi qu’il aurait sauvés qui ne sauraient diminuer le poids énorme sa responsabilité. D’autant que « Simbikangwa n’éprouve aucun remords. Il a refusé de se repentir et cela l’a contraint à tenir des propos insoutenables qui ont rouvert les plaies des victimes. Jamais le langage de l’émotion, jamais d’empathie sauf sur lui-même, sauf sur lui-même ou sur ses proches ».
S’adressant au prévenu : « Vous n’avez pas voulu tomber votre masque d’inhumanité. Les crimes que vous avez commis ébranlent les fondements de la société. »
Et de conclure : « La loi, de façon universelle, punit ces crimes de la peine la plus lourde : la réclusion à perpétuité. »
Et à la Cour : « La cour d’assises de Paris juge toutes sortes de criminels. Vous ne pouvez pas prononcer une peine comme pour un crime (de droit commun). Par souci de cohérence, alors qu’un tueur d’un diamantaire a été récemment condamné à 25 ans de prison, on ne peut donner à Simbikangwa une peine semblable. Je n’ai rien trouvé chez Simbikangwa pour atténuer la sentence. Je vous demande la réclusion à perpétuité. La société attend de vous un message fort qui fasse sens pour tous, les morts, les vivants, les générations futures. »
Restera à attendre les arguments de la défense ce jeudi, puis le verdict vendredi. Jusqu’où la cour suivra-t-elle les arguments de l’accusation ? Seule une lourde peine nous permettrait de penser qu’en poursuivant Simbikangwa nous ne nous serions pas trompés de cible.

Plaidoirie de Maître Bourgeot, pour la défense.
14/03/2014

Nous avions quitté un Pascal Simbikangwa plutôt éteint, à la différence de l’ordinaire, après la réquisition de la peine à perpétuité demandée par l’Avocat Général, la veille.
Nous retrouvons ce matin- même un Pascal Simbikangwa avec le sourire que nous lui connaissons depuis plusieurs semaines. La tâche paraît être d’autant plus lourde pour les deux avocats de la défense, Maîtres Bourgeot et Epstein, après la si brillante réquisition du Vice- Procureur Aurélia Devos.
Maître Alexandra Bourgeot va ouvrir la voie de la défense.
Elle commence par décrire ce procès « hors-norme », « lourd », dont les fondations ne seraient pas solides, et s’apparenteraient à « un château de cartes ».
Après cette mise en situation, Maître Bourgeot introduit son propos en évoquant ses premiers contacts avec l’accusé. Elle évoque ses premières réactions, sa propre ironie lorsque Pascal Simbikangwa évoquait le FPR et Ibuka : «Nous aussi, on a ironisé ! C’est comme devenu une blague. Nous aussi, ça nous a fait rigoler ! ».
Ce serait à partir des confrontations prévues dans la procédure entre Pascal Simbikangwa et les témoins, que Maître Bourgeot aurait considéré que le prévenu ne disait pas « totalement faux », et c’est à ce moment qu’elle l’a « vraiment écouté en fait ».
En reprenant les idées de son client, elle indique à la Cour que le déclenchement du génocide est dû au FPR, que leur défense n’est pas une défense en miroir, et qu’aucune soustraction n’a été établie.
Concernant la théorie du double génocide évoquée par son client, Maître Bourgeot explique : « Ce n’est pas vrai, il n’a pas nié le génocide. Mais, il dit également que lui aussi, son peuple, parmi les siens, il y en a qui sont morts. Est-ce un discours négationniste ? Je ne crois pas. »
Concernant Ibuka, elle évoque le fait que Filip Reyntjens, constitutionnaliste et politologue belge, avait mis en garde les jurés, lors de son intervention, contre les faux témoignages.
Elle poursuit en indiquant à la Cour les éléments de procédures qui ont lancé les poursuites pour génocide contre son client, et la plainte non retenue d’une victime, pour conclure cette idée sur ces mots : « Ce dossier se construit, il ne reste plus rien. »
Elle continue la ligne de défense de son client : « On trouve des témoins qu’on construit. (…) Ça n’arrive jamais d’avoir des témoins aussi fragiles », et cite une nouvelle fois Filip Reyntjens : « il ne faut pas être vigilant, il faut être suspicieux. »
Maître Bourgeot poursuit en énumérant les témoins qui ont été cités devant la Cour et tente de discréditer leur témoignage les uns après les autres, puisque, comme elle le dit : « Ce régime à Kigali n’accepte pas les acquittements ».
Hussein LONGO LONGO, dont le témoignage a été lu durant le procès, José KAGABO, l’historien aux anachronismes surprenants pour un enseignant, Pierre- Célestin HAKIZIMANA, qui a réalisé une audition en quatre parties, Martin HIGIRO qui « ment comme un arracheur de dents », Théoneste HABARUGIRA, le « Mitterrand » comme il est surnommé à Karago, qui a suivi le programme « ingando » et qui aurait subi la « lobotomisation à la rwandaise ». Tous sont des menteurs. Concernant la déposition de cet homme sur les entrainements des interahamwe auxquels Pascal S y aurait prodigué des conseils, Maître Bourgeot estime : « Je ne sais pas si c’est un scénario d’Ibuka, mais c’était un peu hallucinant. »
Elle continue en poussant les jurés à s’interroger : « Comment vous faites le tri ? Ce dossier est vicié. (…) Ce n’est pas ça, une Justice française » et reprend ce qui s’apparente à une épiphore si nous étions dans le registre de la poésie : « C’est un château de cartes qui ne peut pas tenir. »
Elle poursuit son énumération :
Venance MUNYAKAZI, le technicien en imprimerie à Kigali, qui s’arrogerait des droits, et qui d’après les notes de l’avocate, serait « un témoin totalement perdu » ;
Valérie BEMEKIRI, journaliste à la RTLM en 1994, « c’est un peu une star. », qui papoterait « dans la rue alors que la RTLM vient de se faire bombarder, ça ne tient pas beaucoup la route. » Georges RUGGIU, collègue de Valérie BEMEKIRI : « Vous ne pouvez pas non plus vous fonder sur ses témoignages à lui aussi. »
Dieudonné NIYITEGEKA, trésorier du MRND : « On nous dit qu’il a peur, ce n’est pas vrai, il a négocié, il a été payé 30 000 dollars, il n’a pas peur du tout, il n’a pas envie de venir. »
Concernant les Gardiens à Kiyovu, le même argument est soulevé :
Diogène NYIRISHEMA, ironiquement présenté comme « celui qui a subi des violences insupportables de (Maître) Epstein. », Joël GASARASI, Salomon HABIYAKARE, Jonathan REKERAHO : « Ce sont des contradictions énormes, » et l’avocate appelle les jurés à ne pas retenir leur témoignage.
Concernant Isaïe, « le tutsi de Pascal Simbikangwa », Maître Bourgeot affirme que la cour d’assises n’est pas là pour juger les règles de bonne conduite : « Je ne sais pas si Pascal Simbikangwa traite bien ses domestiques, et vraiment, je m’en fiche. »
Sur Jean-Marie Vianney NYIRIGIRA, qui ne serait pas non plus crédible et qui aurait été remis en cause par le TPIR.
Enfin, le réfugié Pascal Gahamanyi qui en « veut à mort à Pascal Simbikangwa ».
L’un des seuls témoignages solides serait pour Maître Bourgeot celui de Béatrice NYIRASAFARI : elle n’a pas vu d’armes dans le magasin de Pascal Simbikangwa, et elle corrobore le fait qu’il y avait effectivement d’autres réfugiés chez le prévenu, en plus des Gahamanyi et des Higiro.
Maître Bourgeot finit sa plaidoirie sur la même phrase : « On vous a demandé de prendre une décision, elle doit être solide, ce ne doit pas être un château de cartes. »
Après 6 semaines et les auditions de 21 experts et de 30 témoins, si je résume le propos de Maître Bourgeot, un seul expert serait audible et un seul témoignage serait crédible.
On peut légitimement se poser la question de savoir quelle est la partie au procès qui a construit un château de cartes…
Claire Bruggiamosca.
(Crédits: AFP)

Plaidoirie de Maître Epstein, pour la défense.
14/03/2014

Maître Epstein, tant attendu du fait de sa réputation de grand orateur, commence sa plaidoirie cette après-midi sur ces mots: « Il est toujours difficile devant une Cour d’assises de trouver le ton juste (…). Vous allez devoir prendre une décision : vous devrez en être fièrs ; elle est importante pour vous, pour Pascal Simbikangwa, pour les parties civiles, pour notre société. »
L’avocat général requérait la veille la peine perpétuelle, aujourd’hui, l’avocat de la défense exige l’acquittement.
Maître Epstein commence par dénoncer « un procès en sorcellerie », mené par l’Accusation et les parties civiles. Reprenant Maître Foreman sur sa langue qui aurait fourché en confondant le FPR avec le Front Populaire, Maître Epstein nous dit : « (…) Et bien, pour moi, c’est pareil, je vois peu de différence, seulement peut-être les lunettes. »
Il en vient à fustiger « une dictature intellectuelle » menée par les historiens cités à la barre : Jean-Pierre Chrétien, Stéphane AUDOUIN- ROUZEAU et José KAGABO et il donne ses impressions à la Cour : « J’ai eu la sensation d’être dans une église. Et d’ailleurs, Monsieur l’Avocat Général, n’est-ce pas votre première phrase : vous ne dites pas que vous étiez en communion ? »
Il évoque la place de la parole dans ce procès en indiquant que pour les témoins de l’accusation, « leur parole, c’est un dogme ». Dans ce procès, ce sera «un peu parole contre parole. »
Il indique à la cour que le contre-interrogatoire mené durant les audiences était « la seule chose que nous pouvions faire », et ajoute qu’il ne défend « que des intellectuels, pas des bandits. »
Il s’adresse directement au parquet en lui signalant qu’ils ont choisi la voie la plus simple, et que la « morale n’a pas sa place dans une Cour d’assises. (…). Nous recherchons la vérité judiciaire et simplement celle-ci. » Pour finir sur ce point par « (…) On voulait avoir des aveux, on voulait faire dire ce que l’accusation voulait entendre. On a refusé. »
Il invite donc les jurés à répondre non aux questions posées, puisque d’après l’avocat « Rien ne permet d’établir avec certitude cette infraction. Le dossier a été construit de toute pièce. » Et d’évoquerce que le juge d’instruction a écarté, petit à petit, au fil de son information judiciaire.
Il poursuit en reconnaissant deux points : qu’il n’a pas de scénario à nous fournir puisque c’est le rôle de l’accusation et qu’à son sens, elle ne l’a pas fait ; que le contre-interrogatoire ne permet pas la recherche de la vérité, mais « de torpiller ».
Il avise les jurés en leur signalant : « Si vous condamnez, il faudra justifier. Il faudra expliquer clairement qu’il est coupable, que c’est sûr et certain. »
Il prétend également que le parquet de Paris pavanerait devant les autres parquets de France avec cette décision, et ajoute : « C’est un acte de faiblesse ou de peur. Vous avez peur que Pascal Simbikangwa ne soit pas condamné. »

Concernant les preuves que Pascal Simbikangwa soit un « épurateur avant l’heure », il indique qu’il croyait « que c’était la preuve qui était au cœur de cette audience. » et que « devant cette cour, nous avons un faisceau d’indices. »
Pour affirmer que Pascal Simbikangwa était un dignitaire du régime, l’accusation n’aurait « rien de probant, rien de pertinent », pour affirmer que le prévenu est un dignitaire du régime : « L’argument imparable : l’appartenance à l’akazu.(…) C’est un terme qui a été inventé par l’opposition politique. »
Maître Epstein justifie le fait que peu de témoins ont été cités par la défense en ces termes : « Personne n’a le courage de venir à cette barre pour ne dire que du bien de Pascal Simbikangwa. »
Sur l’adhésion de Pascal Simbikangwa au MRND, son représentant la remet en doute au motif que les témoins n’auraient pas identifié précisément si Pascal Simbikangwa détenait une écharpe, un foulard ou un drapeau chez lui. Il continue ce qu’avait commencé sa prédécesseur en portant le discrédit sur les témoignages des deux journalistes de la RTLM.
Il indique que Pascal Simbikangwa ne peut être un idéologue du génocide parce que le financement par lui du journal Kangura n’a pas été prouvé.
L’accusation se trouverait donc « dans une volonté de condamner, de faire mal. »
Sur ce volet, Maître Epstein discrédite ce qu’il appelle « la bande » de JP Chrétien et « l’expert qui n’en est pas un » Monsieur Dupaquier. Il dénonce également les positions prises par d’autres historiens qui mettaient en perspective les différents génocides du XXème siècle, et évoque la « honte infligée à un petit fils de déporté. »
Il poursuit sur la RTLM en affirmant que bien que Pascal Simbikangwa soit actionnaire, il n’était pas censé « écouter jour après jour l’idéologie de la radio. »
Ensuite, il répond au point avancé la veille par l’accusation sur le fait que Pascal Simbikangwa agisse en « homme de l’ombre ». Après avoir indiqué qu’on se croirait « dans des romans. (…) Il n’y a rien, à part un fantasme, pour le nourrir. » Il indique que l’accusation « aurait bien voulu avoir un ou deux meurtres. »
Il reprend la phrase employée par son client pour accuser les témoins : « Mentez, il en restera bien quelque chose « , tout en reconnaissant avoir pris « un certain plaisir à contre-interroger les témoins.»
Puis, après avoir balayé les rapports d’expertise, qui « ne valent rien », Maître Epstein s’attaque aux parties civiles, qui ont fait « un procès spectacle », en évoquant les comparaisons avec les procès Barbie et Eichmann. Maniant le verbe, il indique : « Grossir le trait, c’est que l’on doute. ». L’accusation aurait « déshumanisé » son client, alors qu’il reconnaît que Pascal Simbikangwa est une personne « très dure à appréhender. Insaisissable. ».
Sur l’accusé, il nous livre qu’ « il a peur, c’est la raison pour laquelle il ment, et il a le droit de mentir. ». D’après lui, Pascal Simbikangwa ne serait pas dans le déni : il n’aurait pas distribué les armes. Il reconnaît seulement à son client une responsabilité morale : celle de n’avoir pas plus sauvé de réfugiés.
Enfin, il développe des points de droit, concernant d’après lui, « le nœud du problème » : l’exigence de plan concerté dans la définition du génocide inscrite dans le Code pénal, reprenant la jurisprudence du TPIR qui ne reconnait pas l’entente, alors que l’accusation nous avait bien précisé la veille que l’entente, c’était une infraction à part entière.
Il revient sur les comparaisons faites entre les différents génocides du Xxème siècle : « ça, c’est le virus. (…) Et concernant le génocide des juifs : là, on y va, à bras le corps ! »
Il indique que concernant l’accusation pour complicité de crime contre l’humanité : « l’élément matériel n’est pas constitué. »
Enfin, dernière partie de sa plaidoirie, il revient sur les fondements d’une condamnation :
« Pour condamner, il faut avoir des preuves, pleines et entières. Ce qu’on a fait, ce que font les experts, c’est de donner de la coloration. » Et sur la notion de l’intime conviction : « Le corolaire de l’intime conviction, c’est le doute, qui doit profiter à l’accusé. »
Il souligne que « le destin d’une Cour d’assises, c’est reconnaître la vérité quand elle est là. »
Après une rhétorique sur le doute et l’Etat, il tente de sensibiliser les jurés sur leur vote, et évoque la réquisition de la peine à perpétuité la veille par l’Avocat Général : « Pour Pascal Simbikangwa, pour lui, il faut la perpétuité, il faut sa tête. Vous ferez du théâtre judiciaire sinon. »
Il continue avec cette phrase : « Il n’y a pas à jouer dans cette salle. (…) Vous êtes les juges de Pascal Simbikangwa, ne vous comportez pas en bon élève. (…) Ceux qui prennent les bonnes décisions, ce sont ceux qui disent non. ».
Alors, orateur ? Oui, et un grand. Théâtral ? Egalement. Talentueux ? Sans nul doute. Convaincant sur la non-culpabilité de son client ? …
Durant leurs plaidoiries, je remarque que les deux avocats de la défense n’auront prononcé le mot «innocence » que pour énoncer le principe si cher à notre procédure pénale qui est la présomption d’innocence : seulement à ce moment- là…

Claire Bruggiamosca.

(crédits: Martion/AFP)


Procès SIMBIKANGWA: condamnation pour génocide
02/04/2014
Le procès de Pascal Simbikangwa, qui s’est terminé comme prévu le 14 mars 2014, peut être considéré comme historique. Pour la première fois en France un prévenu est condamné pour génocide. Cette décision d’un jury populaire ouvre la voie à d’autres procès qui ne sauraient manqués de venir devant une cour d’assises. Deux présumés génocidaires sont actuellement détenus, tous deux anciens bourgmestres de la commune de Kabarondo dans l’Est du Rwanda. Octavien NGENZI va terminer sa quatrième année de détention provisoire et les juges d’instruction vont devoir prendre la décision, soit de décréter un non lieu, ce que nous n’osons croire, soit de le déférer à son tour devant une cour d’assises. Son compère Tito BARAHIRA devrait l’accompagner dans cette procédure.
Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, nous avons appris l’arrestation, la semaine dernière, de Charles TWAGIRA, visé par une plainte du CPCR depuis 2009, et qui avait retrouvé un poste à l’hôpital de Vire, en Normandie. Charles TWAGIRA est soupçonné d’avoir participé au génocide des Tutsi à Kibuye. Un documentaire rediffusé la semaine dernière sur France Ô raconte son histoire: La Grande Traque: des tueurs parmi nous? de Manolo D’Arthuis. Le livre de Maria MALAGARDIS, Sur la piste des tueurs rwandais, publié chez Flammarion, pourrait aussi vous éclairer utilement. Probablement Charles TWAGIRA demandera-t-il sa remise en liberté! Rappelons que tout prévenu est présumé innocent tant qu’il n’a pas été jugé.
Concernant SIMBIKANGWA, ce dernier, par l’intermédiaire de ses avocats, a décidé de faire appel de sa condamnation à 25 ans de prison. Un nouveau procès sera donc organisé dans une autre cour d’assises, avec un autre président, d’autres jurés… On ne peut pas dire que cette décision nous ravit mais nous saurons une nouvelle fois faire face.
Le combat continue donc. Nos appels à aide financière ont été entendus par des personnes que nous remercions une fois encore. Mais nous sommes loin de pouvoir faire face à toutes les charges qui vont nous incomber. Merci d’avance à tous ceux qui seront sensibles à notre appel. Tout don donne droit à un reçu fiscal pour déduction d’impôt pour ceux qui ont leur foyer fiscal en France. Grand merci encore aux nombreux témoignages de soutien que nous avons reçus après le procès SIMBIKANGWA.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024