Fiche du document numéro 23388

Num
23388
Date
2018
Amj
Auteur
Fichier
Taille
3672411
Urlorg
Titre
Comptes rendus d'audience du procès en appel d'Octavien Ngenzi et Tito Barahira (mai-juillet 2018)
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Source
Type
Transcription d'audience d'un tribunal
Langue
FR
Citation
O. NGENZI & T. BARAHIRA :
Procès en appel à Paris
26/01/2018

[…]
Octavien NGENZI avait succédé à Tito BARAHIRA comme bourgmestre de la commune de Kabarondo (ancienne préfecture de Kibungo, à l’Est du Rwanda) jusqu’au génocide contre les Tutsi en 1994.
Avant le procès de 2016, ils étaient déjà en détention provisoire depuis plusieurs années dans des prisons de la région parisienne. Octavien NGENZI avait été arrêté sur l’île française de Mayotte et Tito BARAHIRA à Toulouse.
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• Archives du premier procès (mai-juillet 2016)
• Les comptes rendus du procès en appel (mai-juillet 2018)
• A travers les les médias…
Le procès en appel :
La Cour d’assises était présidée par Mme Xavière SIMEONI.
Le Parquet
Le Parquet était représenté par l’avocat général, M. Frédéric BERNARDO et Mme Aurélie BELLIOT.
La défense
La défense d’Octavien NGENZI était assurée par Me Fabrice EPSTEIN, Me Benjamin CHOUAI et Me Benjamin BOJ.
La défense de Tito BARAHIRA était assurée par Me Alexandra BOURGEOT.
Les parties civiles
• Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR) et plusieurs personnes physiques parties civiles à nos côtés assistés par Me Michel LAVAL, Me Sophie DECHAUMET et Me Kevin CHARRIER du cabinet ML & A Avocats.
• SURVIE, ayant pour avocat Me Jean SIMON
• Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (F.I.D.H.)
• Ligue des droits de l’Homme (LDH)
• Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (L.I.C.R.A.)
• Ibuka France
• Communauté Rwandaise de France

Assises de Paris: procès en appel d’Octavien NGENZI et Tito BARAHIRA du 2 mai au 6 juillet
26/04/2018

Du 2 mai au 6 juillet se tiendra aux assises de Paris le procès en appel d’Octavien NGENZI et Tito BARAHIRA, tous deux condamnés en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité. Les deux accusés ont changé d’avocats: ils se sont tournés vers les avocats de Pascal SIMBIKANGWA, condamné en appel à 25 ans de réclusion criminelle pour génocide. Nous retrouverons donc pour la défense maître Alexandra BOURGEOT, avocate de Tito BARAHIRA, et maître Fabrice EPSTEIN, pour Octavien NGENZI. Ce dernier sera assisté de maître CHOUAI.
Comme en première instance, le CPCR et plusieurs personnes physiques parties civiles à nos côtés seront assistés par maîtres Michel LAVAL, Sophie DECHAUMET et Kevin CHARRIER du cabinet ML & A Avocats. D’autres associations se sont aussi portées parties civiles: SURVIE, la FIDH, la LDH, la LICRA, Ibuka France et la Communauté rwandaise de France.
Madame Xavière SIMEONI a été nommée pour présider ce nouveau procès d’assises. C’est monsieur l’avocat général Frédéric BERNARDO qui soutiendra l’accusation.
Espérons que ce procès puisse se dérouler dans la sérénité et la dignité. L’expérience des trois procès précédents nous ont montré que ce n’était pas toujours le cas, des témoins venus du Rwanda n’ayant pas été ménagés par la défense, et c’est peu dire.
Ce procès est prévu pour durer jusqu’au 6 juillet. Comme par le passé, le CPCR essaiera de publier chaque jour sur son site les comptes-rendus des audiences. Souhaitons que la presse ait aussi à cœur d’informer tous ceux qui, par le monde, s’intéressent à cet événement. Les rescapés et les victimes du génocide contre les Tutsi ont droit à cette justice.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Précisions. Le procès en appel se déroulera au Palais de justice de Paris, sur l’Ile de la Cité, probablement dans la même salle d’audience qu’en première instance.
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• Présentation du procès
• Tous les comptes rendus du procès en appel
• A travers les les médias…

Procès en appel NGENZI/BARAHIRA. Mercredi 2 mai 2018. J1
02/05/2018
Ouverture du procès en appel au Palais de Justice de Paris
C’est à 10h25 que l’audience est déclarée ouverte par la madame la Présidente de la Cour d’assises qui demande à ce que les accusés entrent dans la salle. Les quatre interprètes sont alors invités à prêter serment. Les accusés, chacun leur tour, déclinent leur identité. Occasion pour madame la Présidente de rappeler que Tite BARAHIRA, incarcéré à Fresnes, vient de faire 5 ans, 1 mois et 21 jours de préventive. Quant à Octavien NGENZI, il en est à 7 ans et 11 mois de prison à Fleury-Mérogis. A noter, pour répondre à ceux qui s’étonnent d’une si longue détention, que monsieur NGENZI est en grande partie responsable de ses années passées en prison dans la mesure où il a usé, et abusé diront certains, des nombreux recours qu’il lui était permis de faire !
Lorsque madame la Présidente annonce que le procès sera filmé, maître BOURGEOT, nouvelle avocate de Tite BARAHIRA, va protester dans la mesure où elle n’aurait pas été avertie de cette procédure (Note du rédacteur : dans les trois procès précédent, les débats ont toujours été filmés pour l’Histoire !) Malgré les contestations de la défense, madame la Présidente déclare que « l’ordonnance est exécutoire » et que l’enregistrement audio-visuel sera bel et bien réalisé, quitte, ajoute-t-elle, si raison est donnée à la défense, à ce qu’on décide de détruire les enregistrements ! Ce qui est peu probable.
Tirage au sort des jurés.
On procède ensuite au tirage au sort des neufs jurés titulaires et des cinq supplémentaires. Ces derniers assisteront à toutes les audiences mais ne participeront pas à la décision finale : ils pourront toutefois être appelés à siéger pour le cas où un titulaire viendrait à devoir se retirer du procès. Six femmes et trois hommes composeront le jury aux côtés de la Présidente et des deux assesseurs. Trois femmes et deux hommes feront partie des suppléants. A noter que la défense et l’avocat général, monsieur BERNARDO, ont usé de leur droit à récuser des jurés : 5 pour la défense et 4 pour l’accusation.
Appel des témoins et experts.
Une bonne partie de la matinée sera ensuite consacrée à l’appel des témoins et des experts. Occasion pour madame la Présidente de faire connaître un certain nombre de dates auxquelles comparaîtront les témoins, et de s’assurer de la présence effective de ces derniers. Certains n’ont pas encore fait connaître leur intention de répondre positivement à leur convocation, d’autres, comme le professeur Filip REYTJENS, ont clairement annoncé leur refus de collaborer avec la justice. Ce dernier a en effet justifié sa décision : il refuse d’être entendu « pour des raisons étiques et juridiques », redoutant « des débats virulents » et dénonçant « une entreprise d’intimidation », ajoutant qu’il n’est « pas en mesure de témoigner sans crainte ». S’il était contraint de venir témoigner, il a manifesté sa volonté « de ne pas prêter serment ». Madame la présidente aura beau faire savoir qu’un témoin ne peut témoigner sans prêter serment, maître EPSTEIN, avocat de NGENZI, a insisté pour que ce témoin comparaisse tout de même ! Ce ne sera tout simplement pas possible, lui fait savoir la Présidente.
Quelques précisions concernant le calendrier des audiences.
Nous apprenons alors, de la bouche de madame la Présidente, qu’il n’y aura pas d’audience les lundis et mercredis après-midi, Tite BARAHIRA devant se rendre à l’hôpital pour raisons de santé. Comme en première instance, ce dernier doit être dialysé trois fois par semaine.
La semaine du 7 au 13 mai sera, quant à elle, banalisée à cause du pont du 8 mai et de l’Ascension. Pas d’audience non plus le vendredi 22 juin et le lundi 25, ainsi que le lundi 21 mai. Ce qui risque de perturber quelque peu le planning (qui sera distribué aux avocats en fin d’audience), d’autant plus que nous apprenons que la défense souhaite faire citer un nombre important de témoins soumis au pouvoir discrétionnaire de la Présidente. Ce qui ne manquera pas de provoquer quelques échanges animés entre madame la Présidente et maître BOURGEOT, manifestement énervée qu’on lui fasse savoir que toutes ses demandes ne pourront peut-être pas être exaucées. Occasion pour la Présidente de manifester une autorité dont elle aura besoin tout au cours du procès.
Avant de déclarer la suspension de l’audience, madame la Présidente annonce que la matinée du 3 mai sera consacrée au rapport d’audience suivi de l’étude des conclusions de nullité que la défense n’a pas manqué de déposer ! L’après-midi, il sera procédé à l’interrogatoire sur le CV de Tite BARAHIRA.
L’audience est suspendue à 11h55 et reprendra demain à 9h30.
Alain GAUTHIER, président du CPCR

Procès en appel NGENZI/BARAHIRA: jeudi 3 mai 2018. J2
03/05/2018
Madame la Présidente commence par annoncer que le juré titulaire N°1 a fait savoir qu’il ne participerait plus au procès pour des raisons professionnelles. L’avocat général demande que lui soit infligée une amende de 1500 euros. La Cour, après en avoir délibéré, ordonne que le premier juré supplémentaire prenne place comme juré N°1. Elle confirme la sanction financière demandée par monsieur BERNARDO.
Quelques informations données par madame la Présidente.
Monsieur GUICHAOUA, cité par le Parquet, essaiera finalement de se présenter devant la Cour.
Monsieur REYNTJENS a fini également par accepter de venir, alors qu’il avait menacé de ne pas prêter serment pour l’occasion où on l’obligerait à témoigner !
Ordonnance de la première présidente de la Cour d’appel concernant l’enregistrement du procès : plusieurs avocats n’ont pas eu connaissance de cette annonce.
Madame NGENZI, citée comme témoin, doit quitter la salle jusqu’à ce qu’elle ait témoigné. Maître EPSTEIN insiste pour qu’elle soit entendue au plus vite.
Lecture de l’ordonnance de mise en accusation.
Le reste de la matinée sera consacré à la lecture intégrale de l’acte d’accusation par madame la Présidente. Elle tient à préciser qu’à ce stade de la procédure, les deux accusés bénéficient de la présomption d’innocence. Madame la Présidente, après avoir rappelé le contexte historique, évoque le rôle des bourgmestres dans l’organisation administrative du pays, celui des gendarmes et du commandant RWAGAFIRITA, extrémiste hutu notoire [1]. Elle continue en évoquant les faits reprochés aux accusés en privilégiant l’ordre chronologique, et ce en fonction des lieux des massacres.
Avant de suspendre l’audience, madame la présidente rappelle les 10 questions qui avaient été posées au jury de première instance, questions auxquelles il avait été répondu positivement par au moins 6 jurés sur 9. Elle termine son intervention par la lecture de la feuille de motivation qui a justifié la condamnation des deux accusés.
Etude des conclusions en nullité déposées par la défense.
Concernant l’enregistrement audio-visuel du procès. Maître BOURGEOT, avocate de Tite BARAHIRA, avance l’idée que la présence des caméras pourrait nuire à la sérénité des débats et perturber certains témoins ! Monsieur l’avocat général commence par rappeler l’intérêt de tels enregistrements pour les chercheurs : il est important de conserver des traces de ce procès. D’autre part, le matériel utilisé est très discret, fixe, et il ne peut y avoir d’atteinte aux droits de la défense. De rappeler ensuite qu’il s’agit d’une ordonnance qui est « exécutoire de droit » et que la décision n’appartient pas à la Cour mais à la première présidente de la Cour d’appel. La Cour se retire pour délibérer : « Il n’appartient pas à la Cour de statuer. La Cour rejette les conclusions de la défense.
Intervention de maître CHOUAI, avocat de Octavien NGENZI.
L’avocat de NGENZI commence par prononcer de graves reproches à l’endroit de la procédure. « Nous plaidons le droit au procès équitable » assène-t-il. Tout en reconnaissant que « le principe de la compétence universelle honore notre pays , il ajoute aussitôt que « telle qu’elle est pratiquée, c’est une farce ! » : il y aurait « une justice quand on est Français et une justice pour les autres, c’est-à-dire une justice indigente ?» Pour lui, les débats sont contaminés. Et de poursuivre : « Nous souhaitons l’annulation de cette procédure. J’aurais aimé que ce procès se tienne, que nous puissions nous battre à armes égales. » De se référer ensuite à l’article 6 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme : égalité des armes = procès équitable. Et pour justifier ses propos, l’avocat de la défense est tout heureux de s’en remettre à monsieur Olivier LEURENT, président de la Cour d’assises dans le premier procès SIMBIKANGWA, qui avait reconnu que ce genre de procès n’était pas adapté à la Cour d’assises.
Maître CHOUAI va alors exposer les cinq griefs qu’il souhaite développer :
• Impossibilité pour NGENZI de préparer sa défense du fait de sa détention. Il en profite pour dénoncer la procédure engagée à Mayotte lors de son arrestation.
• Impossibilité matérielle de citer des témoins. Il regrette que la défense ne puisse citer que cinq témoins, même si l’avocat général leur en a accordé trois de plus ( Nous verrons dans la réponse de l’avocat général que la vérité n’est pas celle-là !)
• Risques pour les témoins à décharge: de citer le courrier de Filip REYNTJENS qui se dit en danger puis d’ironiser sur « les réactions des parties civiles qui se réjouiraient de la non comparution » de ce dernier (NDR. La défense n’a pas à penser à la place des parties civiles. N’a-t-il pas entendu que monsieur REYNTJENS avait fini par accepter de se présenter ? Maître CHOUAI évoque alors le rapport de Human Rigths Watch de 2011 qui révèle que « des témoins auraient même été tués » ! ( Quels témoins ? L’avocat connaît-il les peurs des victimes à venir témoigner au vu et au sus de toute la communauté villageoise, voire des familles des accusés ?)
• Le non-déplacement sur les lieux. Les enquêteurs se sont rendus très souvent au Rwanda, « mais sous la surveillance des autorités locales». On comprend le sous-entendu qui est vite explicité : « Les témoins ne sont pas libres au Rwanda ! » Et d’avouer que les avocats de la défense ont eu la lumineuse idée de profiter de la semaine de « vacances » de se rendre au Rwanda et d’ adresser au Procureur général de Kigali une double demande : soutenir leur demande de visa et faire en sorte que leur sécurité soit assurée une fois arrivés sur place. L’avocat général aura bien vu la manœuvre !
• La présomption d’innocence. S’il n’a rien contre la liberté de la presse, il tient à préciser qu’il « existe des parties civiles qui ont un site inadmissible » (NDR. Suivez mon regard. Visé, le CPCR). L’avocat exhibe alors une photo montrant NGENZI en état d’arrestation ( Cette photo pour laquelle la défense a mis le CPCR en demeure de retirer sous 24 heures. Ce que nous avons fait ! Qu’à cela ne tienne, maître CHOUAI a l’outrecuidance de faire connaître à la Cour qu’il assigne le CPCR à comparaître le 18 mai. Il souhaiterait faire suspendre le site du CPCR. Rien que cela! Pour rappel, Octavien NGENZI a déjà poursuivi le CPCR pour non-respect de la présomption d’innocence : il a été débouté et a perdu de nouveau en appel !

Le troisième avocat de Octavien NGENZI passe alors à la barre pour dénoncer une « contamination de la procédure. Un virus que je vais vous rendre visible : l’abîme qui sépare la défense et l’accusation. » Et de dénoncer à son tour, comme si nous n’avions pas encore compris, l’immense fossé qui existe entre les moyens de l’accusation et ceux de la défense. Sans compter avec le CPCR (Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda) dont « l’activisme est une composante essentielle de l’accusation » De s’apitoyer ensuite sur « la solitude de la défense ». Il met enfin en garde les jurés : si ce procès se tient, ils devront avoir en tête toutes ces questions !
Au tour de maître EPSTEIN d’entrer dans la danse. Et de s’en prendre aussitôt au président du CPCR pour des déclarations qu’il aurait faites à la presse : « J’espère que les magistrats balaieront rapidement leur demande (de nullité) pour qu’on puisse entrer dans le vif du sujet. » L’avocat de NGENZI claironne que « nous sommes dans le vif du sujet dans ces questions de procédure. » Il regrette à son tour de ne pouvoir citer que cinq témoins, de ne jamais être invité dans des colloques après procès, fait lui aussi appel à Olivier LEURENT : à procès exceptionnel devrait correspondre une procédure exceptionnelle ! Et d’ajouter sans sourciller : « Les dindons de la farce, ce sont les avocats de la défense. Plus, c’est l’accusé. C’est lui qui trinque ! » Et toujours sérieux : « L’accusé aurait aimé se rendre au Rwanda, pour montrer sa maison… » (NDR. Tiens donc ! Et pourquoi a-t-il fui en 1994?) Pour lui, « la procédure est totalement viciée. Les témoins qui vont venir de Kigali sont des témoins entraînés ! » (NDR. On connaît la chanson, et on l’entendra souvent dans les jours à venir.) Il ose alors une comparaison : « Cette procédure, c’est comme un héritage. Quand vous le recevez, si le moins l’emporte sur le plus, vous pouvez le refuser. Mon héritage est vicié, pourri : vous le rejetterez. »
Enfin autour de maître BOURGEOT, et toujours la même rengaine : « Je suis convaincue que ce procès ne correspond pas pas aux exigences d’un procès équitable ! » Elle se défend de vouloir faire du dilatoire : si cela avait été le cas, elle aurait demandé la remise en liberté de BARAHIRA. Et d’évoquer les graves ennuis de santé de son client, sa solitude (elle n’est assistée que par une élève avocat). Elle envie les systèmes judiciaires des autres pays bien meilleurs pour la défense (NDR. C’est bien connu, l’herbe est toujours plus verte dans le pré du voisin !) Et de rabâcher les complaintes de ses collègues : risques encourus par les témoins, nombre de témoins cités par la défense insuffisant, absence de transport sur les lieux. Et s’adressant aux jurés : « Monsieur BARAHIRA bénéficie de la présomption d’innocence. Vous devez le regarder comme un innocent ! »
Conclusions des parties civiles.
Maître PARUELLE tient à rassurer les membres de la Cour « Ce procès n’est ni vicié, ni vicieux. » Il rassure aussi les accusés : ils auront droit à un procès équitable. Quant à la question du délai raisonnable, « les victimes attendent depuis 24 ans ! »
Maître LAVAL, qui a déposé ses conclusions, se présente comme l’avocat du CPCR qui s’est donné comme tâche de permettre le fonctionnement des juridictions françaises concernant le génocide des Tutsi. Et d’évoquer la mémoire des centaines de milliers de victimes, « femmes, enfants, vieillards coupés en morceaux à la machette, enterrés vivants, tous morts dans des conditions effroyables, assassinés par tous les moyens que la cruauté humaine peut imaginer, enterrés vivants pour unique raison qu’ils étaient Tutsi. » D’ajouter : « Vous êtes aux portes de l’enfer, dans les jours à venir, vous allez vivre en enfer… J’ai la passion du droit, c’est par le droit que vous allez rendre justice. On vient vous expliquer que le droit n’aurait pas été respecté, que le procès ne serait pas équitable ? Cela ne ressemble à rien. » Et d’asséner : « La défense et les parties civiles ont les mêmes exigences, la même intransigeance sur la question des principes, et en particulier le principe du droit de la défense. » Le procès serait faussé, contaminé ? « Il faut appliquer le droit, tel qu’il existe, le droit positif. » Un seule préoccupation : « Est-ce que les règles de droit ont été respectées, à égalité des armes ? » Maître LAVAL rend alors hommage aux avocats de la défense lors du procès en première instance : « Ce fut un grand procès, un procès de haute tenue. Nous ne sommes pas dans un désert législatif. Les accusés ont été entendus de très nombreuses fois. Aucun des faits n’a été omis. Et chaque fois les accusés ont eu la possibilité de s’expliquer. Comment dire que les droits de la défense n’ont pas été respectés. On a répondu négativement à leurs demandes ? Et alors, c’est la règle du jeu. Dura lex, sed lex ! La loi est dure, mais c’est la loi ! Les accusés avaient le droit de demander des actes à la clôture de l’information judiciaire ils ne l’ont pas fait. Après la publication de l’OMA, ils ont fait appel mais leur demande a été rejetée… La demande de nullité est stupéfiante : la Cour n’a pas la possibilité d’annuler l’arrêt de la Chambre de l’instruction. Si la Cour le faisait, ce serait une grande première.»
Maître Rachel LINDON, pour la LICRA, évoque la demande de visas formulée par la défense : cette demande a été faite le 30 avril. Les délais sont-ils suffisants ? Quant à la pression sur les témoins : « Il y aura des témoins des deux bords ; on pourra leur demander s’ils ont subi des pressions.” Pour clore son intervention, l’avocate fait allusion à l’affaire MUNYESHYAKA qui a bénéficié d’un non-lieu alors que le TPIR aurait pu le juger.
Maître Jean SIMON, pour Survie, se dit avoir été « gêné par les avocats de la défense. » Il partage les demandes de la défense en ce qui concerne les besoins, mais il ne s’agit pas de cela aujourd’hui. Maître SIMON dénonce une posture de la défense. Et de dire aux jurés : « La garantie d’un procès équitable, c’est vous. »
Au tour de l’avocat général, monsieur BERNARDO, de clore les débats. Il se dit fier du système de justice. IL rend hommage aux avocats de la défense mais ils ont développé des arguments identiques. « Nous sommes là pour appliquer la loi française. Il est facile de critiquer notre droit en s’appuyant sur des pratiques étrangères. Je n’ai jamais vu ça ! » Et d’ajouter que le procès doit se tenir car la Cour d’appel a donné tort aux accusés après la publication de l’OMA. La Cour de cassation, saisie, a dit la même chose. Et d’insister sur la prise en charge par l’Etat des frais de justice : « En France, l’aide juridictionnelle, c’est 350 millions d’euros, 13% du budget de la justice. Nous sommes là pour requérir l’application de la loi, pas pour l’accusation, pas pour les victimes. » Et de souligner que les avocats de la défense ont « des talents de prestidigitateurs car ils demandent d’annuler ce qui n’existe pas.»
L’avocat général précise que « c’est un honneur d’être commis d’office : on ne prend que les meilleurs ! » Monsieur BERNARDO se sent obligé de préciser comment s’est passée la citation des témoins supplémentaires de la défense : ce n’est pas la version de ses avocats. De 5 témoins on est passé à 13 pour NGENZI, et à 27 pour BARAHIRA. Il reproche à la défense de prévoir un voyage au Rwanda la semaine prochaine en faisant tout pour que ce soit refusé. « Vous voulez aller au Rwanda pour quoi faire ? Pour prendre des photos et leur faire dire ce qu’on veut ? » ironise-t-il ? Et d’ajouter : « C’est un coup d’audience. » Quant aux témoins, s’ils sont menacés, la Cour peut décider de les entendre à huis clos.
En conclusion, monsieur BERNARDO s’étonne : « La France ne serait pas à la hauteur de juger ces crimes ? C’est un rideau de fumée que veut jeter la défense. Cela évite de parler du fond, de parler de ce qui gêne. La défense cherchait à déplacer les lieux des débats. Elle préfère débattre du fond devant la presse.” Et de dénoncer deux déclarations faites aux journalistes par les avocats de la défense. « Voilà l’estime qu’on a de vous, mesdames et messieurs les jurés. »
L’avocat général requière le rejet des conclusions.
L’audience est suspendue et reprendra demain à 9h30.
Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails.
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Procès en appel NGENZI/BARAHIRA. Vendredi 4 mai 2018. J3
05/05/2018
• Intervention du Dr FINELTAIN, médecin légiste.
• Audition de M. Philippe OUDY, psychologue.
• Interrogatoire de CV de Tito BARAHIRA.

Avis de la Cour sur les « conclusions de nullité ».
Sur l’arrêt de mise en accusation, sur les débats concernant l’inégalité des parties [1], la Cour prononce un rejet.
Intervention du docteur FINELTAIN, médecin légiste.
Le témoin rend compte de l’expertise qu’il a effectuée le 6 avril 2018, suite à une ordonnance qu’il avait reçue concernant l’état de santé de Tito BARAHIRA. Monsieur FINELTAIN a commencé par rappeler tous les antécédents médicaux en rappelant les différents troubles dont souffre l’accusé.
Il est clair que Tito BARAHIRA souffre d’une « insuffisance rénale terminale » ce qui veut dire que seule une greffe des reins pourrait mettre un terme au problème qu’il rencontre.
Lors de l’expertise réalisée en 2013, l’état de santé de l’accusé avait été jugé compatible avec sa détention, sous réserves qu’il bénéficie des soins appropriés. Il avait été transféré de la prison de la Santé à celle de Fresnes. Son état de santé avait été reconnu « correct », même si des réserves sur son état nutritionnel avaient pu être faite par un spécialiste.
Pour sa comparution en premier ressort devant la cour d’assises de Paris, les médecins qui l’avaient examiné et avaient jugé son état de santé « compatible » avec cette comparution, tout en émettant le souhait que les audiences ne puissent pas durer plus de deux heures.
Le témoin a donc vu Tito BARAHIRA le 6 avril dernier à la Pitié Salpétrière. Malgré les troubles divers dont se plaignait l’accusé, monsieur FINELTAIN avait trouvé un homme « robuste » qui a toutefois renoncé aux promenades dans la mesure où, fatigable, il ne peut s’asseoir lors de ces promenades. Le spécialiste reconnaît que BARAHIRA est très bien soigné, qu’il était « peu loquace, avait un bon niveau intellectuel, un bon jugement », et qu’il niait les accusations portées contre lui. Son état était quelque peu dépressif? Peut-être à cause de sa comparution prochaine.
Conclusions : l’état de santé de l’accusé est compatible avec sa comparution à condition de bénéficier d’une salle de repos, de pouvoir prendre ses médicaments, d’être transporté en ambulance plutôt qu’en fourgon et qu’il soit éventuellement accompagné d’un personnel soignant. Le témoin reconnaît que Tito BARAHIRA « est très bien soigné et suivi par des sommités mondiales ». Et de conclure en précisant que depuis 2016 des éléments positifs ont pu être notés (guérison de son hépatite C), que l’accusé comprend très bien le Français et qu’il a « un niveau intellectuel très élevé », ce qui a dessiné un petit sourire sur ses lèvres.
Monsieur l’avocat général cherche à savoir si l’accusé a une pathologie ou un traumatisme en lien avec les événements dont on parle. Le médecin est catégorique : « Non. Il conteste l’accusation et n’a aucune séquelle liée au génocide ».
Au tour de l’avocate de l’accusé de demander si la greffe de son client est compromise par sa situation de détenu. Le témoin reconnaît qu’en prison il n’est pas possible de bénéficier d’un régime alimentaire, ce qui est compensé par un traitement médicamenteux. La greffe est un traitement de choix et l’accusé est bien inscrit sur la liste des personnes qui attendent une intervention.
L’accusé a-t-il perdu des chances de greffe en étant transféré à Paris ? Pas vraiment. La perte de chance d’être greffé est liée au traitement de son hépatite par l’Interferon. Cette complication l’a fait suspendre de la liste. Le gros problème, c’est qu’il n’y a pas de rein disponible. « L’incarcération n’est pas un handicap pour recevoir un rein ». Difficile de savoir si l’incarcération est une perte de chance pour être prioritaire.
L’expert termine son intervention, véritable « cours de médecine pour les Nuls », en redisant que l’accusé nie les faits qui lui sont reprochés et qu’il n’y a « pas d’autocritique : ni remise en cause, ni introspection », et que « les troubles de mémoire qu’il manifeste restent étonnants ».
Le reste de la journée sera consacré à l’interrogatoire de CV de Tito BARAHIRA. Toutefois, comme cet interrogatoire sera interrompu par l’intervention de Monsieur Philippe OUDY, psychologue, qui a réalisé une expertise de Octavien NGENZI, nous faisons le choix de commencer par cette intervention pour garder l’unité de la l’interrogatoire de CV.

Audition de monsieur Philippe OUDY, psychologue.
Le témoin, qui a examiné Octavien NGENZI, commence par dire que l’accusé avait un bon état général, malgré un léger surpoids. Si l’examen a été « très superficiel », c’est parce que l’accusé a eu « un discours peu fourni ». Son niveau intellectuel est « dans la moyenne générale ».
Octavien NGENZI a eu une enfance sans problème, n’a exprimé aucune doléance envers ses proches, parle de la « guerre » (sous-entendu pas de « génocide »). Il n’y a pas de « thématique délirante ».
Sur les faits qui lui sont reprochés. « Je n’ai pas participé à ces choses-là… Je ne comprends pas qu’on soit remonté jusqu’à moi », déclare-t-il. S’il a dû se réfugier en Tanzanie, c’est parce qu’il était « menacé par les escadrons de la mort ». (NDR. Ce terme a d’habitude une tout autre interprétation et est réservé aux proches de madame HABYARIMANA! [2]) L’accusé s’exonère de toute responsabilité et se présente plus comme « victime que coupable ». Il sait toutefois très bien où est la vérité et « il ment de façon consciente et délibérée ».
A la question de madame la Présidente qui cherche à savoir si l’accusé a souhaité bénéficier d’un soutien psychologique, l’expert répond qu’il n’a manifesté aucun affect, que son discours était « désincarné » et qu’il n’avait pas souhaité avoir de support psychologique.
L’accusé n’a « jamais utilisé le mot génocide, seulement guerre et bataille, et qu’il n’a parlé que de la disparition de ses proches. Aucune compassion », ceci en réponse à une question de maître GISAGARA.
Monsieur BERNARDO, avocat général, cherche à savoir si les propos de l’accusé étaient « purement descriptifs ». L’expert confirme, aucune émotion à l’évocation des faits. Seule émotion manifestée à l’évocation de la mort de son père. NGENZI contrôlait très bien son discours. Si son rapport est court (quelques pages), c’est que NGENZI n’avait pas trop envie de parler.
Cette expertise n’a manifestement pas plu à la défense. C’est Maître EPSTEIN qui ouvre le feu. Il veut savoir comment s’est déroulée l’expertise. « Je reçois une ordonnance et je rencontre la personne » se contente de déclarer le témoin. Il a lu le PV de synthèse avant sa rencontre avec l’accusé ainsi que l’interrogatoire de première comparution. Il est possible que les origines culturelles influent sur le comportement. Si l’expert n’a pas pu faire passer des tests projectifs, c’est parce qu’il n’avait pas d’étalonnage des populations. Il n’a pas en effet répondu à la question qui concerne une possible réadaptation tout simplement parce que l’accusé niait les faits. L’avocat fait remarquer à l’expert que Octavien NGENZI était “mis en examen, pas accusé“. Le témoin le concède et reconnaît aussi que le contexte de Fleury-Mérogis n’est pas vraiment adapté à un rapport d’expertise.
« 1h30 d’entretien, ça suffit ? », demande l’avocat. « Je ne l’ai vu qu’une fois, répond l’expert, il avait dit ce qu’il avait à dire » rétorque monsieur OUDY.
Au tour de maître CHOUAI de questionner le témoin. L’avocat est clairement énervé. Il tourne sans cesse autour du témoin, comme un prédateur autour de sa proie encerclée. Il s’étonne que l’expertise ne comporte en réalité que trois pages, décline tous les titres de l’expert, s’étonne qu’il ait abordé des questions juridiques, historiques, politiques. « C’est le fruit de mes lectures » se contente de répondre monsieur OUDY. L’avocat s’étonne aussi que le témoin évoque les termes de « guerre, de bataille », termes employés par NGENZI. « Serait-ce en opposition avec le mot génocide » interroge maître CHOUAI ? L’expert n’a pas eu ce sentiment. Et l’avocat de rappeler qu’en 1990, il y avait bien la guerre, suite à une offensive du FPR. « Des massacres entre ethnies » ajoute le témoin, mal à l’aise.
On peut reconnaître que le témoin aura été bien malmené par les avocats de la défense, très mécontents de ce rapport.

Interrogatoire de CV de Tito BARAHIRA.
BARAHIRA vu par Grumbl
« Pour vous juger correctement, on doit savoir qui vous êtes », commence madame la Présidente. Et de demander à l’accusé de parler de ce que fut sa vie, de manière chronologique, de préférence, hors période concernée par les faits sur lesquels nous reviendrons plus tard. Tito BARAHIRA préfèrerait répondre à des questions, ne sachant pas trop par où commencer.
BARAHIRA né dans une famille de cultivateurs/éleveurs. Huit enfants composent la famille. Un de ses frères aurait été fusillé à Kabarondo en 1994 avec son épouse et ses enfants. « Il paraît que c’est par le FPR » ajoute-t-il. Il lui resterait un frère au Rwanda, frère qui n’aurait pas été retrouvé : on dit qu’il pourrait être en Ouganda. L’accusé aurait eu une « enfance heureuse ». Instituteur pendant une année à Kabarondo, il part en stage à Butare pour pouvoir intégrer la fonction publique : les salaires y étaient meilleurs.Il sera ensuite affecté au Ministère de la Jeunesse et des Sports, en charge de « l’encadrement de la jeunesse ». En 1976, à moins de 26 ans, il sera nommé bourgmestre de Kabarondo par le président HABYARIMANA, sur proposition du ministre de l’Intérieur. (NDR. L’accusé se garde de préciser, mais l’avocat général le lui rappellera plus tard, que le ministre de l’Intérieur n’est autre que le tout-puissant Pierre-Célestin RWAGAFILITA [3]).
L’accusé a été content d’être nommé à ce poste et de pouvoir ainsi servir son village natal comme membre du MRND. On lui demande de préciser le sens des abréviations. BARAHIRA hésite : Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement, parti unique créé par le président HABYARIMANA en 1975, après son coup d’état de 1973.
D’évoquer ensuite les avantages de la fonction : salaire de 11 000 francs rwandais. C’est tout. Mais questionné par madame la présidente, il finira par reconnaître qu’il bénéficie aussi d’un logement de fonction.
A cette époque, BARAHIRA précise qu’il n’y a pas de tensions entre membres de la population, qu’il travaille en lien étroit avec le Préfet. Sa commune est divisée en 12 secteurs divisés en cellules : 12 conseillers de secteur élus et un responsable par cellule. Six policiers sont engagés par le Conseil communal.
Il restera bourgmestre pendant 10 ans. En 1986, il démissionne, préférant « se reposer »[4], dira-t-il. Madame la Présidente évoque des rumeurs selon lesquelles il aurait des problèmes judiciaires : il conteste. Il sera remplacé par Octavien NGENZI. Après quelques mois de chômage, il se fait embaucher comme releveur de compteurs dans la société Electrogaz (NDR. Cette société jouera un rôle important dans le génocide, et ce dans tout le pays, beaucoup de ses employés ayant participé aux massacres.) Il continuera à s’occuper de ses affaires : sa ferme, une maison commerciale qu’il souhaite louer.Le 30 janvier 1994, il revient en politique et devient le président MRND de la commune. Il remplace monsieur KARASIRA, mais pas avant mai 1994.
Les Interahamwe [5])? Il ne les connaissait pas. Il entendait parler d’eux à la radio, mais ils œuvraient seulement à Kigali, selon lui. A Kabarondo, il n’en connaissait pas !
Quelle radio écoute-t-il ? Radio Rwanda. Il y avait bien la RTLM, la Radio Télévision Mille Collines [6], mais il ne l’écoutait pas : il ne pouvait pas la capter. Il ne sait pas du tout ce que disait cette radio.
Quant à ses lectures de la presse, il note le journal IMVAHO et KANGURA[7], un hebdomadaire, « pas un journal de parti », qu’il ne lisait qu’à Kigali.
Il quitte Kabarondo le 17 avril, en direction de Rusumo, la frontière tanzanienne, avec femme et enfants, d’abord dans la voiture d’un voisin, David BUGINGO. Il sera séparé de sa famille à Gatore, suite à des tirs, pour rester seulement avec Patrick, son fils aîné. Victor, un fils de 8 ans, se perd. Il le retrouveront plus tard.
Il finit par renoncer à traverser à Rusumo, la douane ayant déjà été prise par le FPR, se dirige vers le Burundi début mai : séjour dans un camp de réfugiés, puis départ vers la Tanzanie car il apprend qu’un camp vient d’être établi à BENAKO. C’est là qu’il retrouve NGENZI, les gens ayant été regroupés par commune d’origine. Les bourgmestres y ont retrouvé leur autorité.
BARAHIRA occupe un emploi en lien avec le Sida, NGENZI travaille avec le HCR (Haut Commissariat pour les Réfugiés). En décembre, l’accusé apprend que sa femme est retournée au Rwanda. Lui part pour Nairobi où sa femme le rejoint provisoirement avec deux de leurs enfants. Cette dernière rejoindra sa sœur en France en juillet 1997 et obtiendra l’asile en février 1998. Son fils Patrick partira clandestinement au Togo puis réussira à rejoindre à son tour la France.
BARAHIRA passe 8 ans au Kenya. Aidé par Caritas, par des paroisses catholiques et protestantes. Il bénéficie du regroupement familial et rejoint sa femme en France à Balma (à l’Est de Toulouse) en décembre 2004. Au bout d’un an, sa femme lui fait savoir qu’elle préfère vivre seule et elle demande le divorce. « S’agissait-il d’un divorce avec consentement mutuel ?» questionne madame la Présidente. L’accusé ne semble pas trop comprendre. Il a un droit de visite pour son enfant de 13 ans, droit qu’il respecte.
Est évoquée ensuite la situation de ses autres enfants. La présidente lui apprend qu’un de ses fils aurait eu quelques démêlés avec la justice, ce qu’il ignore. Seul Patrick lui rend visite ; ce dernier lui transmets des nouvelles des autres.
Après son divorce, Tito BARAHIRA a logé dans un centre d’hébergement. Il a travaillé à l’Inspection académique de Toulouse, puis dans une société de nettoyage. Pour raisons de santé il a pris sa retraite en 2011.
A Toulouse, il a fréquenté une association, le Club des Rwandais, a voyagé deux fois pour se rendre en Belgique, « pour me détendre », a-t-il ajouté. Il continue à s’intéresser à la vie politique du Rwanda, « en vue d’un éventuel retour ».
Quant à sa santé, il reconnaît qu’elle se dégrade, allant même jusqu’à dire : « Ma vie se dégrade de jour en jour. A cause de ma détention ». Et comme son permis de séjour est périmé, il dit ne plus être sur la liste de ceux qui attendent une greffe. Il souffre aussi de séquelles de deux accidents. Et quand on lui demande s’il a quelque chose à ajouter, il évoque une année de sa scolarité au cours de laquelle, alors qu’il était loin de chez lui, il a souffert de brimades de la part de ses camarades. Pour cette raison, il a arrêté l’école temporairement.
Il a connu NGENZI qui a travaillé sous ses ordres, mais ce n’était pas son ami, simplement des « copains de travail. » Il ne l’a plus revu après BENAKO.
Madame la présidente présente alors des documents sous scellées retrouvés chez BARAHIRA lors de perquisitions à son domicile : acte de mariage, acte de naissance signés de NGENZI. Intérêt ?
BARAHIRA a-t-il eu des condamnations au Rwanda ? « Oui, on a voulu me poursuivre. On m’a dit que j’ai été jugé par les Gacaca [8]» mais il ne sait pas si on l’a accusé, ni de quoi. Madame la Présidente l’informe qu’il a été condamné à la réclusion criminelle sur le secteur de Cyinzovu : il n’était pas informé.
On évoque alors sa détention. Il est seul dans sa cellule, ne pratique aucune activité à cause de sa maladie. Il n’a pas demandé non plus d’aide psychologique. Il reçoit quelques visites de son fils Patrick et de sa sœur. Le rapport sur son comportement est bon : BARAHIRA est “respectueux et peu dépensier.”
C’est au tour des avocats des parties civiles de poser des questions. Pourquoi se présente-t-il aux élections de président du MRND en janvier 1994, connaît-il KANGURA (et de lire quelques extraits du N°6) [7] , pourquoi partir le 17 avril pour la Tanzanie, pourquoi ne pas être rentré au Rwanda comme sa femme ? demande maître PARUELLE.
C’était le MRND du multipartisme, c’est là qu’il se sentait probablement le mieux. KANGURA ? Il était vendu à Kigali et il n’a pas lu ce N°6. Il a fui “à cause de l’avancée du FPR” et il a bien fait de ne pas rentrer car ceux qui l’ont fait ont disparu.
Maître Guillaume MARTINE, pour la FIDH, revient sur les Interahamwe [5]. BARAHIRA élude la question.
Au tour de maître Kevin CHARRIER , avocat du CPCR, d’interroger l’accusé. A la maison, quel langage utilisait-on concernant les relations Hutu/Tutsi ? « J’étais toujours avec les Tutsi, mais c’est un sujet dont on ne parlait pas. On vivait ensemble, nous étions amis. Il y avait des mariages mixtes… »
A la question de savoir pourquoi c’est lui qui a été choisi comme bourgmestre, l’accusé répond simplement : « J’étais apprécié. Et j’étais content de pouvoir servir ma commune d’origine. Je n’avais pas à me demander pourquoi moi ? Après 10 ans, j’ai voulu me reposer.”
Autre question concernant son séjour en Tanzanie. Aurait-il été “confronté à des personnes qui se vantaient d’avoir commis le génocide ?” Il n’a pas rencontré ce problème. A BENAKO, il y avait aussi des Tutsi. La vie à BENAKO, c’était comme au Rwanda. Il existait une bonne entente entre Hutu et Tutsi. Nous étions tous des réfugiés.
« Vous avez forcément rencontré des tueurs ? insiste l’avocat. « Je ne comprends pas ce que vous dites » se contente de dire l’accusé.
Et l’avocat d’insister : « On s’entretue au Rwanda, et en Tanzanie on ne parle de rien ? » Pas de réponse.
Maître GISAGARA revient sur la mort de ses frères « fusillés par le FPR ». « Tués parce que vos frères ? » Il n’a pas voulu savoir. Le FPR a rassemblé des gens et les a tués. Il y avait une incitation à s’entraccuser. Quant à son frère resté au Rwanda, il aurait souhaité qu’il vienne témoigner mais…..
La parole est donnée à madame l’avocate générale.
– Le devoir de la police, demande t-elle ?
– Protéger la population.Votre pouvoir à vous ?
– Pouvoir d’arrêter les gens qui ont commis des délits ou des crimes.
– Les opérations de recensement utilisaient-elles toujours la mention ethnique ?
– Ces opérations étaient à la charge du bourgmestre. Il était toujours indiqué la mention ethnique.
– Pourquoi avez-vous été nommé bourgmestre ? En 1974, pourquoi avez-vous été nommé au Ministère de la Jeunesse. Nommé par qui ? Qui était ministre de l’Intérieur en 1974 ?
– RWAGAFILITA [3].
L’avocat général, monsieur BERNARDO, prend la relève. « Vous avez été nommé bourgmestre à 26 ans ? D’où tient-on son autorité à cet âge-là ? Quelles qualités aviez-vous ? »
Réponse de BARAHIRA. « On a la majorité à 18 ans. On peut donc devenir bourgmestre à 18 ans. A 25 ans, je suis majeur, je peux donc devenir bourgmestre. J’avais les qualités, j’avais les compétences parce que c’était à la fin de mes études. J’étais grand, apprécié dans mes prestations. J’ai été proposé par le Ministre de l’Intérieur qui m’appréciait probablement. »
HABYARIMANA a pris le pouvoir suite à coup d’état en juillet 1973.
– HABYARIMANA est chef du gouvernement et Président. Avait-il un parti politique pour l’aider à diffuser ses idées ?
– Le MRND depuis 1975.
– Pourquoi HABYARIMANA vous choisit-il dès 1976 ?
– Il avait ses services secrets !
– Le lien entre vous et le président, ne serait-ce pas RWAGAFILITA [3]?
– Si c’est lui, il ne me l’a pas dit.
– Vous avez eu un beau parcours. Vos parents sont catéchistes dans L’Église anglicane ?
– Des paroisses anglicanes, il y en avait dans tout le pays avec un pasteur à la tête de chacune d’elle.
– Chargé de l’encadrement de la jeunesse ? Qu’est-ce à dire ?
L’accusé donne des explications fumeuses.
– En 1976, poursuit l’avocat général, il n’y a pas de problèmes entre Hutu et Tutsi ? Comment on se reconnaît ?
– Il n’y a plus de problème d’ethnie en 1976. Chaque ethnie se connaît.
– Hutu et Tutsi, ça correspond à quoi ?
– Je ne sais pas. C’est l’ethnie, mais cela importe peu. Je n’ai découvert cela qu’à l’école secondaire. On ne m’en avait pas parlé auparavant.
– On ne savait pas les reconnaître ?
– Les Hutu étaient comme les Tutsi. Pas de caractéristiques bien définies.
– Comment exerciez-vous votre métier de bourgmestre ?
– J’étais libre d’agir, de suivre les instructions. On était libre tout en suivant les instructions.
– En 1994, vous partez en exil à BENAKO. Où est votre épouse ?
– Elle est rentrée au Rwanda, à Byumba. Je l’ai su le 27 décembre 1994.
– Pourquoi ne pas aller la voir au Rwanda ?
– Ma femme me dit qu’au Rwanda il ne faut pas parler à haute voix. J’avais peur de mourir.
– Certains Hutu sont revenus au Rwanda ?
– On avait demandé à tous de rentrer. Certains l’ont fait, d’autres sont portés disparus. Maintenant, j’ai envie de rentrer mais ne sais pas comment m’y prendre.
– Vous saviez qu’un mandat d’arrêt vous visait depuis le 31 août 2009 ?
– J’avais peur d’avoir des problèmes, peur de me faire fusiller là-bas. Maintenant je pense aller au Rwanda, mais j’ai toujours peur.
– Pourquoi être resté au Kenya alors que votre femme part en France ?
– J’ai attendu que ma femme ait un titre de réfugié pour demander ensuite le regroupement familial.
Maître BOURGEOT, avocate de l’accusé, va poser une série de questions destinées à le faire paraître sous un meilleur jour. Elle tient à préciser toutefois que, contrairement à ce qu’a prétendu un avocat des parties civiles, le MRND n’est pas le parti le plus extrémiste. (NDR. Pour une fois, elle a raison. Il y a la CDR!)
L’avocate continue. « Vous avez vécu pendant 10 ans dans une famille éclatée. Pendant 7 mois, vous ignoriez que votre femme et vos enfants étaient vivants.”
BARAHIRA confirme.
– Et vous avez laissé Patrick seul pendant trois semaines.
– Je l’ai laissé trois semaines dans le camp de Benako pour aller à Nairobi, dit-il !
– Vous avez été malade dans le camp ?
– J’avais la malaria quand je suis revenu.
On revient sur le décès de ses frères et sœur et sur son emprisonnement.
– Pourquoi avez-vous été emprisonné ?
– Il y avait beaucoup de gens emprisonnés sans raison.
– Vous avez envisagé de retourner au Rwanda pour retrouver votre famille ?
– J’en ai eu envie, mais quand j’ai vu ma femme à Nairobi, elle m’en a dissuadé. L’ancien bourgmestre de Kigarama m’en a dissuadé aussi : « Si tu retournes, tu ne survivras pas ». L’ancien maire a été fusillé sur la barrière. » (NDR. Sur quelle barrière ? Par qui ?)
– Vous étiez un bon bourgmestre ?
– On me connaissait comme bon citoyen. Les gens venaient me voir.
– La détention et la greffe sont-elles compatibles ?
– Mon titre de séjour est périmé : je ne peux avancer sur la liste des greffés.
– Vous n’étiez pas au courant de la peine des Gacaca [8] ?
– J’ai appris que mon dossier était dans les Gacaca sur des dénonciations de ceux qui avaient entendu dire !
L’audience est suspendue. Elle reprendra le lundi 14 mai à 9h30.
Alain GAUTHIER

1. Voir les griefs développés la veille par la défense.
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2. “Escadrons de la mort” ou “Réseau Zéro” : une « société secrète » militaire dont l’objectif était d’éliminer les opposants politiques, de développer et d’armer des milices au sein de la population civile afin de déstabiliser le régime et faire échec aux accords d’Arusha.
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3. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails.
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4. Selon l’abbé INCIMATA auditionné le 30 mai, il a été contraint de démissionner suite à un meurtre qu’il a commis. Non seulement il ne sera pas jugé mais il obtiendra même un emploi à Electrogaz.
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5. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. “Glossaire“.
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6. RTLM (Radio-Télévision Libre des Mille Collines), radio privée créée en 1993. Elle répandit une propagande virulente contre les Tutsi, les Hutu modérés, les Belges et la MINUAR. La station est accusée d’avoir créé une atmosphère hostile qui prépara le terrain au génocide et d’avoir diffusé des incitations claires aux meurtres avec des invectives comme « Tuez tous les cafards » (Inyenzi).
Voir FOCUS : les médias de la haine.
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7. Kangura : « Réveille-le », journal extrémiste bi-mensuel célèbre pour avoir publié un “Appel à la conscience des Bahutu”, dans son n°6 de décembre 1990 (page 6). Lire aussi “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).
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8. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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Procès en appel Ngenzi/Barahira. Journée du 14 mai 2018. J4
14/05/2018
La matinée commençant avec une heure de retard, il ne sera pas possible d’entendre le second témoin, monsieur Gilbert BITTI.
Madame la présidente fait part du renoncement du juré N°2 pour raison de santé. Il sera remplacé par le juré remplaçant N°2. Elle verse aussi au dossier l’article de Guillaume ANCEL dans le MONDE du 16 mars dernier.
Audition de madame Anne FOUCHARD, chargée de la récolte d’informations pour MSF, citée par le CPCR.
Le témoin, journaliste pendant 6 ans, était au Rwanda pour MSF en 1994, chargée de la communication. Elle commence par évoquer la date du 19 avril : la section belge de MSF annonce que le génocide commence à Butare (NDR. Suite au discours du président SINDIKUBWABO) Madame FOUCHARD est envoyée sur le terrain début mai 1994, au Burundi d’abord, province de Kirundo, puis en Tanzanie, au camp de Benako).
Au Burundi. Le témoin rencontre des réfugiés qu’elle interroge sur les raisons de leur fuite. Elle est particulièrement impressionnée par un instituteur, Jean, qui lui raconte comment on l’a sorti de sa salle de classe, comment les Tutsi ont été rassemblés ensuite par le bourgmestre pour être exécutés. Sa femme et ses enfants seront tués. Quant à lui, il doit sa survie à un ami hutu qui va le cacher et l’aider ensuite à fuir en traversant la rivière à la nage. Le témoin a été choquée aussi d’assister à la mort d’un enfant dans les bras de son père.
Elle se rend aussi dans un orphelinat tenu par des religieuses et est frappée par l’extrême dénuement de la population. Des enfants portent des traces de machettes sur la tête.
En Tanzanie. Alors que le camp au Burundi était peu peuplé, le témoin souligne le « contraste saisissant » qui existe avec le camp de Benako. La population est estimée alors à 400 000 personnes, estimation surestimée. Le camp est extrêmement bien organisé et discipliné : le témoin évoque même un certain « confort » : coiffeurs, couturiers, panneaux signalant les communes… Le témoin se retrouve en face de gens qui disent avoir fui « la guerre » et elle va interroger un certain nombre d’entre eux. Beaucoup reconnaîtront qu’ils ont participé aux « massacres ». Pas des affrontements, mais des « massacres » auxquels il était « normal » d’avoir participé.
Qui les avait incités à tuer ? Les bourgmestres, les responsables politiques, les militaires… Le témoin évoque une « organisation trop parfaite du camp ». Elle s’adjoint les services d’un chauffeur congolais et propose à la journaliste Corine LESNE (NDR. Du quotidien Le Monde) de l’accompagner. Le pont de la Rusumo est « déserté », les gens traversant le fleuve à gué. (NDR. En fait, les militaires l’avaient fermé, coulant même les embarcations et interdisant aux bateliers de faire traverser les réfugiés Tutsi. Voir le procès GACUMBITSI, maire de Rusumo, au TPIR). Pourquoi les gens fuient-ils ? « On nous a demandé de partir. » On ? « Les autorités…”
A propos de l’aide alimentaire qui est distribuée, elle était détournée de son objectif, des femmes repartant vers un camion pour remettre l’aide reçue. Près de Benako, un camp est réservé aux Tutsi : à peine plus de 1000 personnes.
Quelques tueurs seront bien arrêtés par les autorités tanzaniennes, mais on les retrouvera dans le camp peu après leur libération, malgré l’interdiction qui leur en a été faite. Le témoin précise avoir écrit alors un pré-rapport à partir des témoignages recueillis. En quittant la Tanzanie, elle croise le directeur général de MSF à qui elle remet son pré-rapport dont les propos seront corroborés par le rapport officiel de MSF qui sera remis au Conseil de Sécurité.
Madame la Présidente se livre à une série de questions auxquelles le témoin va répondre avec précision. Madame FOUCHARD dit être restée une semaine dans chaque camp (Burundi et Tanzanie) et précise que Benako se trouve à une quinzaine de kilomètres de la frontière du Rwanda. Le camp de Benako était sous la responsabilité du HCR (Haut Commissariat pour les Réfugiés). Plusieurs associations humanitaires y travaillaient. Un comptage plus précis, basé sur le nombre de vaccinations contre la rougeole avait permis de revoir les effectifs à la baisse : environ 220 000 réfugiés à Benako, la plupart étant des Hutu originaires de l’EST du Rwanda. Beaucoup de familles, d’hommes jeunes…
Les gens se dirigeaient assez spontanément sur Benako, suivant la rumeur. Un employé du HCR se tenait sur le gué et indiquait la direction à prendre. Le témoin de rajouter : « Mais les gens savaient où ils allaient » ! Par contre, des choses peu courantes en pareille situation : beaucoup de véhicules traversaient la frontières et les gens partaient avec les panneaux portant le nom de leur commune ! Il y avait bien un petit camp réservé aux Tutsi. De plus, si les gens se dirigeaient en masse vers la Tanzanie, « c’est qu’il y avait forcément une raison. » On trouvera d’autres camp, le plus important étant celui de Goma, au Zaïre, au moment de l’Opération Turquoise, fin juin.
Benako était très bien organisé. Il s’agissait de mettre les personnes à l’abri du danger mais il était rare qu’on mette des tentes à la disposition des réfugiés ! De plus, l’aide alimentaire est arrivée très vite à Benako (NDR. Elle sera aussi massivement détournée par les autorités : voir le rapport de MSF intitulé « Camps de réfugiés rwandais Zaïre-Tanzanie 1994-1995. »)
Le témoin ajoute qu’elle avait l’impression de pouvoir facilement se diriger dans le camp : panneaux de signalisation… De plus, les messages donnés passaient très bien. Exemple : ne pas boire l’eau de la rivière. Le camp était organisé en fonction des communes d’origine : « impression étonnante de voir des modèles réduits des communes » dira le témoin. Et il était évident que les bourgmestres avaient repris l’autorité qu’ils avaient dans leurs communes : pour preuve la prudence avec laquelle les témoins interrogés s’exprimaient. Contrairement au Burundi où les « gens miraculés » avaient du mal à s’exprimer. Le témoin finira par reconnaître qu’il s’est agit du « recueil d’informations les plus terribles » auquel elle ait eu à procéder, au point de ne plus pouvoir écrire. « A cause de l’horreur ! »
En Tanzanie, madame FOUCHARD a vite compris que c’était « des gens qui avaient participé au génocide », des gens « qui finissaient par reconnaître leur participation à ce génocide . Ils savaient qu’ils n’avaient pas participé à des faits de guerre. » Ils avaient fini par adhérer aux ordres : exterminer les Tutsi. Les petites gens avaient peur d’être poursuivis pour les tueries. Les autorités qui accompagnaient le personnel du HCR lors du recensement avaient par contre une attitude plus « décontractée ». Si la présence d’armes blanches dans le camp était incontestable, le témoin reconnaît ne pas avoir assisté à des heurts entre les occupants. (NDR. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il n’y en a pas eu.)
Dans le camp, le HCR coordonnait les embauches : bourgmestres, responsables politiques, personnes éduquées qui parlaient le Français… Le travail concernait la distribution alimentaire, l’organisation de la sécurité, l’accès à l’eau ou encore l’organisation des campagnes de vaccinations. Ce qui est exceptionnel, c’est que le téléphone continuait à fonctionner dans le camp et que de nombreux échanges s’opéraient avec le Rwanda. Beaucoup de gens faisaient même des allers et retours au Rwanda !
Si MSF est généralement très prudent pour nommer les événements, « le mot génocide a circulé rapidement », dès le 19 avril, et ce sur la base de listes de Tutsi et de la façon dont on assassinait les gens : c’était les Tutsi qui étaient recherchés. Ces listes avaient été établies depuis longtemps par les autorités, les FAR (Forces Armées Rwandaises)…
Pour les parties civiles, maître GISAGARA va poser une série de questions qui vont permettre au témoin de repréciser plusieurs points : sur le témoignage de l’instituteur Jean au Burundi, sur le rôle des autorités sans lesquelles les massacres n’auraient pas eu lieu, il y avait bien un camp de Tutsi à une ½ heure de Benako. Par contre, le témoin ne peut pas affirmer qu’il y avait des Hutu et des Tutsi dans le camp de Benako (NDR. On sait, par d’autres témoignages, qu’il y avait bien des Tutsi dans le camp, ne serait-ce que les femmes gardées comme « esclaves sexuelles ».) Enfin, les gens ont bien été obligés de quitter le Rwanda, « pas par peur du FPR », mais parce qu’on qu’ « on » (bourgmestres ou FAR) l’avaient demandé. « Dans un génocide, il faut impliquer la population. Les gens sont partis avec leurs biens dans une fuite organisée. Ils ne fuyaient pas les massacres du FPR» finira pas déclarer madame FOUCHARD. « On avait affaire à une violence extrême mais aussi à l’extrême organisation dans un contexte qui aurait dû être de panique ».
Madame l’avocate générale intervient alors pour lire les paragraphes 38 et 39 du rapport de René DENI SEGUI et demander au témoin si ces propos coïncident à ce qu’elle a connu à Benako. Madame FOUCHARD de répondre : « Cela me semble assez proche de ce dont j’ai témoigné. C’est tout à fait conforme à ce dont j’avais eu connaissance. »
Monsieur BERNARDO, l’avocat général, commence par dire au témoin : « On entre dans le dossier avec votre témoignage. Pouvez-vous direà la Cour les éléments d’ambiance qui vous ont marquée ? » Madame FOUCHARD de développer : « Quand on a assisté à de tels événements, ça marque. Ce sont les choses les plus fortes auxquelles j’ai pu assister.. J’ai eu une impression surréaliste de « touffeur » au Burundi de voir des gens sortir de l’eau et de la brume. C’était une impression différente à Benako : ambiance de travaux publics avec la construction d’une route par les Chinois, voix sourdes, basses des gens interrogés, regards pleins d’hostilité, de peur, impression de lourdeur. C’est la seule fois où j’ai eu peur pour ma sécurité ! » Et d’ajouter : « Une image me reste, celle des gens qui traversaient au gué au milieu des cadavres qui flottaient. » Par contre, pas vraiment de bruits…
Quant à savoir si les Tutsi ont donné des explications à ce qui leur arrivait, quelle était leur perception de la situation, le témoin ne peut que revenir sur le témoignage de Jean ,l’instituteur : « Jean était la personne la plus cultivée. Il savait ce qui allait se passer. Il éprouvait un sentiment d’enfermement. Avec la chute de l’avion, les gens savaient sans savoir. Il n’était pas imaginable que les choses seraient aussi dramatiques, mais les gens avaient le sentiment d’être piégés ». Pour les personnes moins éduquées rencontrées au Burundi, il y avait le sentiment d’avoir eu beaucoup de chance en échappant aux massacres : « détresse et incompréhension complète des rescapés. »
Les Tutsi n’étaient pas des guerriers vaincus mais des victimes : et le témoin de faire allusion aux pogroms plus anciens. Quant à reconnaître un Hutu d’un Tutsi, le témoin se dit d’en être bien incapable ! Occasion pour le témoin de rappeler aussi la « mention ethnique » sur les cartes d’identité. Mais les gens se connaissaient dans les villages et on savait qui était Tutsi.
Hutu/Tutsi ou Twa mentionnés sur les cartes d’identité depuis 1931 – voir aussi: FOCUS – les origines coloniales du génocide.
Pour la défense, maître BOURGEOT ouvre le feu. Naïvement : « Vous savez qu’il y avait une guerre au Rwanda ? » Le témoin confirme et redit que les gens fuyaient non pas à cause de la guerre mais sur ordre des autorités. Ce n’était pas une insurrection populaire, il n’y avait pas deux camps qui s’affrontaient au moment de la fuite. L’avocate affirme alors : « Dès la chute de l’avion, le FPR attaque ! »
Réponse du témoin : « Je ne comprends pas votre question ! » (NDR. Ce n’est d’ailleurs pas une question, mais une affirmation.)
Maître BOURGEOT insiste : « La population fuit suite à l’attaque du FPR ! »
Réponse cinglante du témoin : « Vous dites ce que vous voulez. Ce dont je témoigne, c’est ce que j’ai vu et entendu. Les gens qui fuyaient n’ont pas vu de soldats du FPR ! »
Suit une question sibylline sur « les mythes » qui seraient nombreux au Rwanda ! Et ce en relation avec les « listes » dont on signale l’existence dès janvier 1994 !
« Des mythes , s’étonne le témoin, vous n’avez qu’à lire le rapport de MSF. » Madame FOUCHARD n’a pas été témoin des massacres mais elle connaît les rapports qui ont été publiés. Elle connaît les massacres qui ont pu être commis par le FPR et ne sait pas si MSF est toujours au Rwanda.
Au tour de maître BOJ, toujours pour la défense, d’intervenir. Il commence par se lancer dans des explications selon lesquelles les bourgmestres n’ont pas incité les gens à tuer : ce sont les FAR et les Interahamwe, manifestant par là une méconnaissance des événements. Le témoin le lui rappelle d’ailleurs sans ménagement : « Vous devriez lire le rapport sur le rôle des autorités politiques et des employés des sociétés rwandaises ! »
Et l’avocat de rappeler les propos de MSF Hollande, soulignant par là que « les autorités civiles avaient perdu le contrôle de la situation ! » (NDR. On voit poindre une ligne de défense consistant à dédouaner les bourgmestres qui ont été dépassés !)
Réponse de madame FOUCHARD : « C’est possible mais pas incompatible. On n’a pas la même expérience. Il est fréquent que MSF suspende ses activités quand ses membres sont en danger. »
Maître BOJ souligne le fait que les gens ont été obligés de tuer sinon leur vie était menacée ! Ce ne serait donc pas une véritable adhésion au projet génocidaire. « Vous avez peut-être raison » se contente de répondre le témoin.
MSF serait une ONG « prudente » alors que dès le 18 avril elle dénonce le génocide, « une dénonciation extrêmement virulente ». « Les membres de MSF sur place n’auraient rien vu venir ? MSF vire de bord en 10 jours et s’est fait une religion bien rapidement ! » s’étonne l’avocat.
Madame FOUCHARD tente d’expliquer que certains membres de MSF, sur place, sont passés à côté de ce qui se passait. Elle rappelle « qu’on n’arrête pas un génocide avec des médecins », mais maître BOJ l’interrompt. Madame la présidente lui demande de laisser répondre le témoin.
Maître BOJ évoque alors la responsabilité du FPR, évoque l’acquittement de BAGOSORA au TPIR concernant l’entente en vue de commettre le génocide, se lance dans des explications erronées et peu compréhensibles. A tel point que son collègue, maître EPSTEIN, lui tire discrètement la robe pour lui signifier d’arrêter ses tentatives de démonstrations !
Maître BOURGEOT, qui a oublié de poser une question, évoque le fait que MSF a été expulsée du Rwanda. « Oui, en 1995, répond le témoin. Mais il faut faire la différence entre massacres et génocide ! »
Maître CHOUAI souhaite intervenir. Madame la présidente lui signale qu’il est l’heure d’arrêter. Il demande 5 minutes pour souligner que madame FOUCHARD n’est restée qu’une semaine dans chaque camp et s’étonner qu’elle n’ait interviewé que si peu de gens : « 20 sur 225 000 à Benako ! » Sans avoir oublié de dire qu’il partageait son indignation.
« Mon rôle était de recueillir des témoignages, des informations, pour permettre aux membres de MSF de travailler. J’ai recueilli 40 témoignages, dont 20 à Benako, effectivement. Mais j’étais seule sur le terrain et je n’ai pas choisi mes témoins. Avec mes autres collègues, nous avons recueilli 120 témoignages. »
« Sur 225 000 personnes, il y avait des innocents ? » ironise l’avocat.
« J’espère » soupire le témoin.
« Et combien de Kabarondo ? »
« Deux, je pense.»
Rapide intervention de maître EPSTEIN à propos des listes dont a parlé le témoin. Elle ne se souvient pas de qui les lui a montrées, mais elle en a vu.
Octavien NGENZI, comme un écolier, lève la main pour demander la parole : il aura peut-être l’occasion de parler de Benako ? Il demande alors une escorte : pour aller chercher des documents ? C’est ce qu’on croit avoir compris.
Il se fait rabrouer par la présidente qui lui fait savoir que sa demande est déplacée.
Madame la présidente clôt l’audience en signalant que l’instruction sur la chute de l’avion est en cours et elle demande au Parquet de se renseigner pour savoir quel est le stade actuel de la procédure.
L’audience est levée et reprendra demain à 9h30 (on espère !)
Alain GAUTHIER, président du CPCR

Procès en appel Ngenzi/Barahira. Journée du 15 mai 2018. J5
15/05/2018
• Audition de M. AUDOIN-ROUZEAU, professeur d’Université et directeur de recherches.
• Audition de Mme Hélène DUMAS, chargée de recherches au CNRS.
• Audition de M. Alvaro MOLEYRO, connaissance de captivité de NGENZI.
• Audition de M. Joseph MATATA, pensionné, s’occupe des droits de l’Homme..

Madame la Présidente annonce les changements du planning :
• Noble MARARA : 29 mai à 14 heures.
• Hassan KAYUMBA : 17 mai à 14 heures en visioconférence
• Jéocomias BARAHIRA : 22 mai à 11h30 en visioconférence
• Jean-Marie MICOMBERO : n’a pu être localisé à ce jour
• Gilbert BITTI : 26 juin à 14 heures
• Jean-François DUPAQUIER : 22 mai à 17 heures
• Filip REYNTJENS : ne souhaite plus être entendu.
Audition de monsieur AUDOIN-ROUZEAU, professeur d’Université et directeur de recherches.
Le témoin commence par appeler qu’il ne découvre véritablement le génocide des Tutsi qu’en 2008 et précise qu’il n’est pas expert de la Région des Grands Lacs. Il est chercheur.
Le témoin présente le génocide des Tutsi comme un « génocide qui n’est pas habilité, qui est enclavé, mal connu et mal interprété. » Il avoue n’avoir « rien compris en 1994 », ne s’être pas intéressé à ce génocide considéré comme une « histoire lointaine, africaine, entre ethnies qui se détestaient depuis toujours. » Aujourd’hui, il a compris son erreur.
voir aussi : FOCUS – les origines coloniales du génocide.
Le génocide des Tutsi est à rapprocher des deux grands génocides du XXe siècle, celui des Arméniens et celui des Juifs d’Europe. A cela, trois raisons.
• Raisons idéologiques. Il n’y a pas de génocide sans idéologie, les sources idéologiques sont les mêmes pour les trois génocides. Une pensée racialiste et raciste au XIXe qui a circulé en Europe et qui a constitué l’arrière-plan des grands massacres du XXe siècle. Une pensée racialisée par les intellectuels allemands. Le Rwanda s’inscrit dans la même pensée, portée par les colonisateurs allemands puis belges. Ils découvrent une société clanique dont ils n’ont pas les clés et racialisent les ethnies : les Hutu sont considérés comme une race inférieure. Alors que les Tutsi sont considérés comme une race supérieure venue d’Éthiopie, d’Égypte, voire du Caucase. En 1959, les colons belges opèreront un retournement de situation au profit des Hutu alors que les différences entre les deux groupes sont quasiment inexistantes.
• La situation de guerre. Il n’y a pas de génocide sans guerre. Une guerre qui produit une angoisse de la défaite, élément déterminant, indispensable que l’on retrouve dans le génocide des Arméniens et celui des Juifs. La guerre modifie l’équilibre de la société, la guerre relève d’un monde de la rumeur jusqu’à la paranoïa avec la peu de l’autre considéré comme un ennemi de l’intérieur, la guerre modifie les sensibilités (la vie humaine n’a pas le même prix en temps de guerre).
• Le rôle de l’État. Il n’y a pas de génocide sans État. Pour tenter d’exterminer les hommes, les femmes, les enfants, il faut les capacités d’un État : gouvernement, préfets, bourgmestres, Forces armées, capacités de renseignements et repérages en vue de l’élimination des opposants, Garde présidentielle, gendarmerie, milices. Sans oublier les moyens de mobilisation idéologiques comme la RTLM (Radio Télévision Mille Collines) avant et pendant le génocide : rôle d’excitation et de dénonciation pour aider les tueurs à cibler les personnes à exterminer.
Ces trois éléments rapprochent les trois génocides : nécessité de ne pas mettre à distance le génocide des Tutsi.
En conclusion, ce qui caractérise les génocides c’est qu’ils ne connaissent pas le temps. A mesure que le temps passe, les génocides, les crimes de masse résistent au temps, prennent de plus en plus d’importance avec le temps. Le génocide des Tutsi n’est pas prêt d’être oublié parce que notre honte augmente.
Madame la Présidente va poser un grand nombre de questions qui vont permette au témoin de préciser les raisons pour lesquelles il n’a pris conscience du génocide des Tutsi que tardivement. Il est clair qu’il y a en France un déficit de connaissance du génocide des Tutsi, beaucoup de gens ne sachant pas qui sont les victimes et qui sont les tueurs. Qui plus est, ce génocide n’intéresse pas les médias absents des débats. Peut-être faudra-t-il du temps pour comprendre le génocide des Tutsi, encore trop récent. Et le témoin de revenir sur le rôle des responsables politiques français de 1994.
Le témoin sera amené à bien distinguer guerre interethnique et génocide, se référant à la définition de 1948 du génocide, définition qui ne convient pas à un chercheur en Sciences sociales. Il préfère une définition plus simple : « Tentative d’éradication complète d’une population pour ce qu’elle est. » La volonté de faire disparaître une population répond à un critère essentiel : le massacre des femmes, des enfants, des bébés.
« Peut-il y avoir un génocide sans planification », interroge madame la présidente ? Hypothèse envisageable, répond le témoin, mais pas concevable. Et d’ajouter que si le FPR n’avait pas gagné la guerre, la totalité des Tutsi aurait été exterminée. Le pays avait été « cadenassé », frontières fermées : impossibilité pour les victimes de fuir. Et de souligner le rôles des autorités locales et des Forces armées, le génocide ne pouvant se faire sans le relai des autorités locales et la collaboration des voisins encouragés par les autorités.
A la question de savoir ce que le témoin attend de ce procès, ce dernier déclare qu’il est important que ce procès se déroule dans de bonnes conditions. Procès peu relayé par les médias mais filmé pour les archives. Ce qui se passe est pour l’Histoire. « Ce qui se passe ici ne s’oubliera pas. Ce qui se joue ici est essentiel pour l’honneur de notre pays. » Malheureusement, en France, on se heurte au refus d’ouvrir un certain nombre d’archives essentielles dans la compréhension du génocide.
Les avocats des parties civiles interviendront à tour de rôle pour faire préciser au témoin un certain nombre de réalités : pas de génocide sans négationnisme, extrême cruauté dans le génocide des Tutsi. Il s’agissait de tuer, mais aussi de faire souffrir le plus possible, physiquement, psychologiquement et symboliquement. L’élément essentiel, est la volonté de couper la filiation : tuer les enfants devant les enfants, viols massifs et publics, découpe des corps, jet dans les latrines, pour bien faire comprendre aux victimes ce qu’ils sont : des excréments. On ne se remet pas de cette coupure de la filiation.
On évoque ensuite les massacres et leur environnement sonore : cris et chants des tueurs, victimes qui supplient et implorent le pardon, bruits des armes à feu…
L’alcool dans la commission du génocide ? Le génocide est une fête. L’alcool coule à flots après les tueries, on mange les vaches que l’on a tuées, ce qui correspond à une manducation symbolique. Les tueurs sont même portés par la prière !
Rappel de maître LAVAL concernant la planification : les victimes sont tuées pour ce qu’elles sont. Par rapport à la définition officielle de 1948, le droit français introduit un élément supplémentaire : l’existence d’un plan concerté. Le témoin explique que c’est une question difficile et que les avis des chercheurs sont différents. Pour lui, le fait que les 2/3 des victimes aient été tuées dans les premières semaines plaide pour le plan concerté, les massacres n’auraient pas eu une telle efficacité : « On est dans une planification. »
Maître LAVAL ajoute que toute la hiérarchie, à de rares exceptions, s’étant transformée en hiérarchie criminelle, cela signifie bien qu’il y a plan concerté. La parole des survivants serait instrumentalisée par le pouvoir politique ? interroge maître ARIGUE. Réponse du témoin : « Qui sommes-nous pour mettre en cause ce que dit le rescapé ? »
Maître GISAGARA évoque la distinction entre Hutu et Tutsi. Selon le témoin, il fallait des repères physiques pour les Européens, les Tutsi étant lus proches d’eux : théorie assimilée par les Hutu et les Tutsi. Sous HABYARIMANA, la ségrégation principale résidait dans les quotas réservés aux Tutsi pour accéder à l’éducation. Si en 1994 il était interdit d’établir de nouvelles cartes d’identité, tout le monde savait à quelle « ethnie » appartenait les gens, et encore aujourd’hui.
Monsieur BERNARDO, avocat général, précise que le négationnisme est consubstantiel au génocide pour masquer la vérité. Le témoin insiste sur le rôle des réseaux sociaux dans la diffusion du négationnisme. Mais on ne peut discuter entre chercheurs que s’il y a un préalable : la reconnaissance du génocide des Tutsi. On ne discute pas avec ceux qui le nient [1].
L’intervention des avocats de la défense va donner un tour différent aux questions des parties. Maître CHOUAI attaque bille en tête et conteste avec agressivité la légitimité du témoin : « Vous n’êtes pas un spécialiste ! Alors que faites-vous ici ? » Le témoin aura beau dire qu’il a été convoqué, l’avocat ne veut rien entendre. Madame la présidente devra intervenir pour ramener un peu de sérénité dans le débat. Monsieur AUDOIN-ROUZEAU rappelle l’erreur qu’il a commise en tardant à s’intéresser au génocide des Tutsi. Il s’étonne même que des familles de victimes juives soient peu sensibles aux victimes des Tutsi. Sur son banc, maître EPSTEIN semble se crisper à cette évocation ! Les échanges entre l’avocat de la défense et le témoin continueront à tourner autour de ce retard du témoin à comprendre. On tourne en rond, en totale incompréhension. Jusqu’au moment où maître CHOUAI lance une affirmation : « Si vous étiez juré, je sais dans quel sens vous iriez ! Si vous étiez juré, pourriez-vous juger sans être allé au Rwanda ?» Réponse du témoin : « Si j’étais juré, j’écouterais. Je n’ai aucun avis à donner sur ce procès. » Ce qui oblige madame la présidente à intervenir : « C’est à la Cour de décider un transport sur les lieux. » Et d’ajouter, malicieusement : « Si monsieur avait été juré, il aurait été récusé ! »
Maître EPSTEIN intervient à son tour, s’étonne qu’on parle de trois grands génocides. « Il y a des petits ? » Le témoin veut parler de trois génocides majeurs. D’ailleurs, même pour Raphaël LEMKIN, l’inventeur du concept de génocide, la notion de génocide a évolué. A la question de savoir comment une Cour d’assises peut comprendre le Rwanda, le témoin répond que la diversité des témoins de contexte pourra éclaire la Cour. L’avocat de la défense s’étonne que le témoin n’ait pas refusé de témoigner comme l’a fait Henri ROUSSEAU. « En conscience, je ne pouvais pas me dérober » sera la réponse de monsieur AUDOIN-ROUZEAU.
Procès historique ? Procès politique ? L’avocat semble reprocher au témoin son engagement politique. « Un discours de Sciences sociales est toujours politique », reconnaît le témoin, « mais politique au sens noble du terme. » Et le témoin de revenir sur la responsabilité de la France dans ce génocide. « Notre pays s’honorerait de reconnaître son rôle dans le génocide des Tutsi. » Il reconnaît avoir été « initié » par les rescapés, par la parole des victimes. Et l’avocat de revenir sur sa marotte : « Mais les témoins, ils mentent ! D’autres subissent des pressions au Rwanda qui les empêchent de venir témoigner ? » Réponse : « Vous avez une vision complotiste du pouvoir rwandais. Je suis sceptique sur cette vision d’un pouvoir totalitaire au Rwanda ! »
Et maître EPSTEIN de rappeler que Serge KLARSFELD ne croit pas aux témoignages ! (NDR. C’est ce que ce dernier m’avait avoué lors d’un entretien téléphonique que j’avais eu avec lieu au moment de créer le CPCR !) Selon l’avocat de la défense, il ne serait pas possible de dénoncer les crimes de masse, ceux du FPR. Or, selon Carla del PONTE, « une victime est une victime ! » « Oui, à condition de ne pas confondre génocide et massacres de masse » précise le témoin. On peut déplorer les actes de vengeance, mais le génocide a été d’une extrême violence, ce qui a pu provoquer des actes de vengeance.
Les mandats du TPIR n’auraient pas été respectés ? Il faut d’abord s’occuper du génocide et de ses victimes.
L’obstruction du pouvoir rwandais serait une façon d’appauvrir la connaissance des faits ? Il ne faut pas oublier les 800 000 victimes.
Vous êtes certain qu’il y a eu planification ? Ce n’est pas ce que dit le procès BAGOSORA ! Il pourrait y avoir un jour des éléments nouveaux qui pourraient permettre un changement !
Les rescapés ont le sentiment d’être maltraités par le pouvoir actuel ! Et pourtant ce sont les Hutu qui sont persécutés, d’après Human Rights Watch, souvent citée par la défense ! Les rescapés perçoivent mal la politique forcée de réconciliation. Ils sont moins protégés qu’on ne pourrait le croire, surtout à la campagne. Par contre, le témoin n’est pas au courant de la construction de dossiers sur des réfugiés rwandais hutu !

Audition de madame Hélène DUMAS, chargée de recherches au CNRS.

Madame DUMAS rappelle qu’elle travaille dans un laboratoire de recherches, « L’Institut du temps présent », en collaboration avec d’autres chercheurs sur les génocides. Rappelle aussi la thèse qu’elle a soutenue « Le génocide au village . Le massacre des Tutsi au Rwanda », publiée au Seuil, sur son expérience des Gacaca.
Tous les témoins avaient investi dans deux dynamiques :
• L’engagement de L’État : armée, transports publics, responsables administratifs…
• La participation des voisins ou des proches.
Dans ce contexte, « les victimes avaient très peu de chance de s’en tirer, comme pris entre deux mâchoires. »
On note une « efficacité symbolique puissante » : non seulement les Tutsi devaient mourir, mais ils devaient souffrir. Son travail de recherche analyse donc le génocide « au ras du sol ». Les survivants sont absents de l’historiographie du génocide. Il fallait donc partir de la parole des victimes pour les considérer comme de véritables acteurs, prendre le témoignage des victimes comme sources de l’histoire du génocide, les survivants subissant une irradiation dans la longueur.
Dans ses derniers travaux, le témoin est resté 6 mois au Rwanda pour se pencher sur une centaine de récits d’enfants de 2006, représentant environ 1 800 feuillets rédigés en kinyarwanda. La plupart de ces enfants étaient originaires de l’Est du Rwanda.
« Travailler sur les enfants, c’est entrer dans la nature profonde du génocide, dira le témoin, car « tuer des enfants, c’est rompre la filiation. » Au Rwanda, les enfants ont été des cibles prioritaires. Selon des statistiques de 2004, 54% des victimes avaient entre et 24 ans, la majorité entre 0 et 14 ans. C’est bien l’avenir de la communauté qui était visé. Selon une expertise médico-légale effectuée à Kibuye sur les cadavres retrouvés à l’église, 66% des corps étaient ceux de femmes et d’enfants.
Rompre la filiation, c’était aller jusqu’à « l’extirpation », l’éventration des femmes enceintes, le fœtus étant racialisé avant sa naissance. Et le témoin d’illustrer ses propos par des exemples précis. On se trouve dans un monde bouleversé, « les orphelins n’ont ni ciel ni terre. » Toute la parenté a été détruite par le génocide. Les enfants ne savaient pas qu’ils étaient Tutsi. C’est à l’école qu’ils vont l’apprendre, les familles ayant gardé le silence sur les massacres antérieurs.
La parole des enfants est sans filtre, leurs témoignages sont transparents à la violence. A cela, plusieurs indices :
• Le retournement de l’enveloppe corporelle : jaillissement du sang, démembrement, viols, assassinat des parents. C’est ce qu’on retrouve dans les écrits des enfants, mais aussi dans leurs dessins.
• Confusion entre la vie et la mort : enfants jetés dans des fosses communes qui boivent le sang des morts, viol de beaucoup d’entre eux ou viol de leurs proches auquel ils assistent
• Inversion de l’intelligence protectrice : le monde des adultes n’est plus protecteur
• Inversion des liens affectifs et de voisinage : enfants secourus par des inconnus alors que ce sont les voisins, qui devaient les protéger, qui les ont tués.
Ces récits sont objectivés par d’autres sources :
• Sources médicales recueillies par exemple à l’hôpital de Gahini, enfants mutiques…
• Annotations des psychologues rwandais, comme à l’hôpital de Ndera où les enfants sont atteints du « syndrome du chasse-mouches », habitués qu’ils ont été à chasser les corps de leurs parents en putréfaction. « Le récit de l’après est un récit de désespoir, pas de résilience. »
• Solitude des enfants, surtout dans les familles d’accueil où ils ont été placés et qui les exploitent. Sans oublier les « enfants chefs de famille » qui s’occupent des plus petits. Ils ne disent pas : « Nous sommes entrés à la maison mais nous sommes entrés dans nos ruines. »
• Crises de traumatismes, surtout depuis la dixième commémoration : maux de tête, de dos, de ventre…. Sans compter qu’il leur est très difficile, dans ces conditions, de poursuivre des études malgré les aides (cf. le FARG, Fonds d’Aide pour les Rescapés du Génocide).
« Ce sont ces récits des enfants qui nous plongent dans le génocide » conclura madame DUMAS.
Madame la présidente interroge le témoin. Comment s’est-elle intéressée au génocide ? Elle était jeune en 1994, mais elle a été élevée dans l’incantation du « plus jamais ça ». Madame la Présidente remarque qu’elle utilise la même terminologie que monsieur AUDOIN-ROUZEAU, ce qui est peu étonnant puisqu’elle a été son élève. Les enfants sur les textes desquels elle a travaillé avaient entre 7 et 12 ans pour la plupart. Les cahiers sur lesquels elle a travaillé aveint été collectés par l’association AVEGA, association de veuves du génocides. C’est à la CNLG qu’elle les retrouvera. Quant aux enfants, elle ne les a pas rencontrés : beaucoup vivent dans un grand dénuement, dans des familles d’accueil, l’État ayant décidé de fermer progressivement les orphelinats. Malheureusement, le Rwanda manque de thérapeutes, malgré les efforts du docteur Nasson MUNYANDAMUTSA disparu récemment.
Vont suivre ensuite de nombreuses questions sur les juridictions Gacaca [2] : leur origine, leur fonctionnement, leur composition. Les avocats des parties civiles reviennent sur les temps forts de madame DUMAS pour lui faire préciser certains points : les objectifs des Gacaca ont-ils été atteints ? La propagande qui consiste à faire passer les Tutsi pour une race de menteurs, comme des diables dont les enfants ont peur. Le plaider coupable existait bien dans les Gacaca et permettait d’obtenir des remises de peine. Retour aussi sur l’environnement sonore du génocide, sur les lieux du génocide. Le témoin n’a jamais rencontré de phénomène de délation à l’instigation d’association : « La parole des enfants ne peut pas être forcée ni manipulée. » Comme dans toute société, le viol est tabou et on utilise un vocabulaire spécifique pour l’évoquer : prendre par la force, atrocité… IL faut savoir décrypter. Dans les Gacaca, il était interdit de parler de viol : ce crime était abordé dans des procès à huis clos.
« Certains accusés, bourgmestre ou pas, finissent-ils par reconnaître progressivement les faits qui leurs sont reprochés » demande maître Kévin CHARRIER ? C’est effectivement ce qui pouvait arriver. Certains témoins allant jusqu’à accuser leur propres parents. Toutefois, d’autres témoins continuent de vivre dans le déni total. En reconnaissant son crime, on obtenait une remise de peine, ou en dénonçant son coauteur.
Madame Aurélie BEILLOT, l’avocate générale, revient sur le vocabulaire utilisé : « travailler » pour « tuer »… Occasion de revenir sur le champ sémantique du génocide : processus d’animalisation, vocabulaire de la boucherie De plus, les pillages ont été fréquents, systématiques. Le témoin de souligner aussi le caractère festif des massacres. Le soir venu, on se repaît de la viande des vaches abattues, on boit à volonté, des boissons étant souvent distribuées par les responsables en guise de récompense. La palette des armes est aussi très étendue.
La notion de tueurs/sauveteurs ne plait pas beaucoup au témoin. Ces sauveteurs restent des tueurs, en opposition à ceux qui ont pris des risques pour sauver leurs voisins (NDR. Une journée est consacrée aux « Justes » en février de chaque année)
Monsieur BERNARDO, l’avocat général, rappelle que le Rwanda n’est pas plus grand que l’Auvergne à cause de l’enclavement, comparaison qu’il préfère à celle de la Bretagne. La topographie a bien favorisé le génocide. On a voulu faire passer l’idée que tous les Tutsi étaient des combattants afin de justifier leur extermination. L’enfant, si on ne le tue pas, deviendra un ennemi en grandissant : il faut donc l’éliminer. Quelques bourgmestres ont refusé d’obéir mais ce sont des cas isolés.
Au tour de la défense de prendre la parole. Maître BOURGEOT revient sur le fonctionnement des Gacaca [2] et sur la collecte des informations, fait préciser la différence entre le nombre de jugements Gacaca et le nombre de dossiers, certains accusés ayant été jugés par plusieurs tribunaux.
Maître CHOUAI dit avoir été ému par le témoignage de madame DUMAS et ajoute avoir été gêné par des questions posées par recherche du sensationnel sur les viols, les éventrations. Tout cela ne concernait par son client. Pour lui, il est clair que « des témoins sont instrumentalisés par certaines parties » (NDR. On aurait pu chercher à savoir quelles sont les parties visées). Quant aux Inyenzi [3], nom que les rebelles se sont donnés eux-mêmes, le témoin précise qu’il n’existe pas d’historiographie suffisante sur le sujet. L’avocat s’étonne que, dans une prison, ce soit un prisonnier qui soit chargé de la collecte des informations.
Il est plus de 18 heures. On s’en tiendra là.

Audition de monsieur Alvaro MOLEYRO, connaissance de captivité de NGENZI.
L’accusé a fait citer un compagnon de captivité qui vient témoigner de la gentillesse de son codétenu. Ils ont passé ensemble quatre ans à Fleury-Mérogis. Lui-même a purgé 4 ans de prison, « injustement », pour avoir donné une gifle, peut-être trois à, sa compagne. Madame la Présidente doute qu’il ait peu passer en Cour d’assises pour un tel délit! Il y a bien dû y avoir plus que cela. Nous n’en apprendrons pas beaucoup plus. Maître EPSTEIN le remerciera toutefois d’être venu témoigner de la personnalité de NGENZI, regrettant que ce dernier n’ait pu assister au mariage de ses enfants. Il quitte la salle en souhaitant « bon courage » à l’accusé.

Audition de monsieur Joseph MATATA, pensionné, s’occupe des droits de l’Homme.
Un nouveau GANDHI, un nouveau Jésus-Christ !
Que dire du témoin MATATA cité par la défense ? Sa pensée tourne en rond depuis des années, obsédé par la notion « de syndicats de délateurs » qu’il nous sert à chaque rencontre. Mais c’est un plat qui commence à sentir le moisi. Sa seconde obsession, c’est le pouvoir actuel au Rwanda. Monsieur MATATA ne répond pratiquement jamais aux questions qui lui sont posées : il en revient toujours au pouvoir dictatorial de Kigali, dénonçant à longueur d’audience les méfaits du président KAGAME, « le nouveau STALINE » ! Quant à lui, humblement, il n’hésite pas à se prendre pour GANDHI ou Jésus-Christ !
Il n’a de cesse de se présenter comme un défenseur des droits de l’homme, dénonçant à temps et à contretemps toutes les injustices, au risque d’y perdre la vie. « Syndicats de délateurs », mais aussi culture du mensonge, embouchant par là les trompettes d’un PÉAN ou autres négationnistes. Car il s’offusque qu’on le prenne toujours pour ce qu’il est : un négationniste. Génocide des Tutsi ? Génocide des Hutu ? Non, pas deux génocides, mais un seul, celui des Rwandais ! Comme si les victimes avaient été tuées parce qu’appartenant à la nation rwandaise. Et il n’en démord pas. D’ailleurs, il préfère parler de « tragédie », de « massacres », plutôt que de génocide. Et puis, il y a eu plus de victimes hutu que de victimes tutsi !
Il excelle aussi dans la défense de la veuve et de l’orphelin, allant jusqu’à rédiger des attestations en faveur de tous les Rwandais visés par un mandat d’arrêt international. La présidente le questionne longuement sur une attestation qu’il a rédigée en faveur de NGENZI pour s’opposer à son extradition. Connaît-il NGENZI ? Non, il ne l’a jamais rencontré en dehors de ses deux témoignages aux assises. Qu’à cela ne tienne, il témoigne de son innocence.
Il va jusqu’à se permettre, comme il l’a fait en première instance, jusqu’à donner des conseils aux jurés afin qu’ils ne se laissent pas berner par le pouvoir dictatorial de Kigali, ou par les témoins bien formatés par le régime. Pire, et cela ne plaira pas à madame la Présidente, il va jusqu’à parler d’un « procès incorrect » ! Madame la Présidente aura beau lui demander à plusieurs reprises en quoi ce procès serait incorrect, il persiste et signe. Selon lui, toutes les instances judiciaires extérieures au Rwanda sont manipulées. Depuis quand n’est-il pas retourné au Rwanda ? Depuis 24 ans ! Mais il a ses informateurs. Ceux qu’il a rencontrés en juillet 1994 et qui se sont confiés à lui. Pour lui, les débats sont pollués avec les témoins qui viennent du Rwanda. Il va jusqu’à remettre en cause les juges français qui sont allés au Rwanda en commission rogatoire dans la mesure où « le Rwanda s’en mêle ».
Les délateurs ? « On les forme comme des acteurs de cinéma. » Sommé de s’expliquer sur cette formule, il revient sur la pression à laquelle seraient soumis les témoins, sur la terreur qu’on fait peser sur eux, sur la culture du mensonge.
Et de s’apitoyer sur le sort des rescapés tutsi, « misérables, assassinés », pour bien montrer qu’il n’est d’aucun bord. Et de s’offusquer, au passage, qu’on ait pu vendre aux enchères les biens de Félicien KABUGA (NDR. Considéré comme le financier du génocide et toujours en fuite) au bénéfice des dignitaires du régime !
Il a fait de la prison en 1990, considéré comme un complice du FPR ! Il est resté enfermé 75 jours ! Il n’évoque pas tous ceux qui sont restés plusieurs mois dans les geôles de HABYARIMANA.
Il n’y aura que les avocats de la défense pour oser un merci et pour regretter qu’il ait témoigné devant une salle presque vide. Ce qui n’était pas le cas lors du témoignage de monsieur AUDOIN-ROUZEAU ! MATATA en est triste, mais « tôt ou tard l’Histoire (lui) donnera raison ». Le témoin finira par déconseiller à maître EPSTEIN de se rendre au Rwanda, il risquerait d’y laisser sa vie !
Bref, une nouvelle fois MATATA a fait du MATATA. Cela servira-t-il la justice ? Cela servira-t-il le témoin ? A la Cour d’apprécier, mais on peut en douter.
Il est plus de 20 heures, temps de suspendre l’audience.
Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. Depuis janvier 2017, la loi française punit la négation du génocide au Rwanda. Lire dans Jeune Afrique : “Génocide des Tutsis au Rwanda : interview avec l’avocat qui a changé la loi française sur le négationnisme“
2. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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3. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste. Cf. “Glossaire“.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Mercredi 16 mai 2018. J6
16/05/2018
Audition de monsieur André GUICHAOUA, professeur (1re partie).
Le témoin commence son propos par son intention de donner deux éléments d’information :
• Évoquer l’administration territoriale au Rwanda et la responsabilité des uns et des autres.
• Revenir sur le système politique et le positionnement des personnes dans la préfecture de Kibungo.
• Sous la deuxième république, qui repose sur « le dédoublement fonctionnel », l’administration territoriale est réorganisée. (NDR. On apprendra plus loin que le témoin choisit de ne pas parler de la première république). En 1973, l’organisation du pays est refondue dans le cadre du Parti-État mais c’est en 1976 qu’est créé le parti unique qui devait mettre fin à la constitution de la première république. Le fait que les bourgmestres étaient auparavant élus est considéré comme source de désordres. Ils seront désormais nommés. Toute la population est désormais automatiquement membre du parti. (NDR. Il s’agit du MRND que le témoin renonce à citer pour je ne sais quelles raisons). Le président de la République devient président du parti unique et la hiérarchie de l’administration correspond à la hiérarchie du parti.
Le préfet est le représentant de l’État, coordinateur de toutes les administrations : c’est la notion du dédoublement fonctionnel . Le préfet devient « le grand ordonnateur », tout passe par son intermédiaire.
Une nouvelle loi sur sur l’administration territoriale est promulguée qui prévoit l’autonomie des préfectures et des communes. Le bourgmestre devient responsable de la politique de développement de la commune et il applique les mots d’ordre centraux. Deux éléments structurent la vie sociale :
• La fiscalité obligatoire (sur les bovins, pour les écoles…) et la fiscalité locale décidée par les communes.
• Les travaux communautaires une journée par semaine (NDR. L’umuganda). Les églises imiteront cette initiative.
Le système est organisé, rigoureux, contraignant et va donner des résultats jugés performants pendant une quinzaine d’années : ordre, paix, tous les élus sont du parti unique, les règles du jeu sont donc connues.. Les communes bénéficient d’une marge de manœuvre non négligeable. Le maillage de la vie quotidienne est serré : communes, secteurs, cellule, les 10 familles. A noter que ce système n’exigeait aucune « croyance » particulière.
Un président élu avec 99% des suffrages, le préfet étant chargé de « faire parler les urnes ». Pas de véritable contrainte pour la population, une capacité de critique non négligeable. Le bourgmestre est considéré comme un homme d’affaires et il est jugé sur sa capacité à attirer des investissements extérieurs, dans une grande transparence.. En 1987, lors du Jubilé du pays, on parle du Rwanda comme le « Pays aux 1000 ONG », analogie avec le « pays aux 1000 collines ».
A partir de 1987, le climat social se dégrade : mauvaises récoltes, chute des cours du café favorisent les tensions sociales. D’où développement d’un clientélisme et besoin de multipartisme. Dans ce système politique, autour du Président chef de l’État et chef du parti se développe un groupe : « l’œil du président ». (NDR. Beaucoup d’autres historiens ou chercheurs parlent de l’Akazu ! Est-ce ce dont veut parler le témoin ? [1])
Ce sont les « gens du Nord » qui prennent le pouvoir mais il y a peu de diplômés et de cadres, en dehors de l’armée. Se déroule alors une « chasse aux diplômés pour pouvoir les postes importants.. Quelques personnes jouent un rôle déterminant dans la détection des talents : d’où un clientélisme qui se développe. Le président HABYARIMANA (NDR. Que le témoin, étonnamment, désigne toujours par son prénom, Juvénal, ce qui pourrait laisser croire à une grande proximité avec le président !) choisit des gens susceptibles de lui être totalement fidèles.. Existe un noyau tenu par des officiers de Ruhengeri. Il faudra trois ans au président pour se débarrasser de ceux qui auraient des ambitions nationales. HABYARIMANA choisit précisément de s’entourer de personnes qui n’ont aucune ambition nationale.
• Système politique et positionnement des personnes dans la préfecture de Kibungo.
Pierre-Célestin RWAGAFILITA, militaire, commandant de gendarmerie, est mis à des postes qui vont lui permettre de « coller » à ses rivaux et de les éliminer [2].
1. Nommé ministre de la Jeunesse et des Sports
2. En 1975, il est nommé ministre de la Fonction publique (qui dépendait autrefois du ministère de l’Intérieur). Le président HABYARIMANA (NDR. Pardon, JUVENAL!) est réduit au rôle de « porte-plume ». RWAGAFILITA nomme tout le monde.
3. RWAGAFILITA sera nommé chef d’État major adjoint de la Gendarmerie. L’armée doit être neutralisée car c’est là que se trouvent ses rivaux. Dans le parti unique, RWAGAFILITA est le N°4, le N°2 étant un personnage insignifiant et le N+3 une maîtresse femme ! (NDR. Propension du témoin à évoquer des fonctions sans donner le nom de la personne qui exerce les responsabilités.) RWAGAFILITA est devenu incontournable, pivot de la structure. Dans la préfecture de Kibungo, RWAGAFILITA est le grand ordonnateur. A noter que RWAGAFILITA est originaire de Kabarondo, comme le N°2 ! Le témoin évoque aussi le rôle important de la belle-famille du Président. (NDR. Akazu !), dont ZIGIRANYIRAZO, connu sous le nom de monsieur Z (NDR. Actuellement à Arusha en attente d’un pays d’accueil après son acquittement scandaleux en appel au TPIR [3].)
Un autre personnage est sorti du chapeau du Président de la République : le colonel Tharcisse RENZAHO, originaire de Kibungo lui aussi, RWAGAFILITA n’étant plus porteur d’avenir.
Lors de l’attaque du FPR le 1 octobre 1990, le président HABYARIMANA est à l’étranger. Il instaure alors l’état d’urgence et déclenche l’arrestation de milliers d’opposants supposés. RENZAHO est nommé préfet de Kigali, prend le contrôle de la ville, caisse de résonance de la politique qui se mène dans le pays. On voit donc que trois personnages originaires de Kibungo occupent des positions stratégiques, RENZAHO prenant peu à peu la place de RWAGAFILITA.
En 1992 apparaît la notion de « multipartisme et les partis d’opposition cherchent à se partager le pouvoir. Mise en place d’une stratégie sophistiquée dans la répartition des postes. La Défense et l’intérieur reviennent au MRND et ne sont pas vraiment sous contrôle. Impossible désormais pour un officier d’entrer en contact avec le Président sans passer par lui. Un armement lourd est attribué à des officiers non liés au cadre présidentiel, d’où le mécontentement des officiers du Nord.
En mai/juin 1992, les négociations pour former un gouvernement multipartite sont difficiles et le FPR passe à l’offensive. Se produit une tentative de putsch contre le Ministre de la Défense : le ministre dissout des unités du Nord et met à la retraite trois hauts responsables : RWAGAFILITA, BAGOSORA et un troisième qu’étonnamment le témoin ne nomme jamais, Laurent SERUBUGA, chef d’Etat major adjoint de l’armée. (NDR. SERUBUGA est réfugié en France et visé par une plainte de 2000, réactivée par le CPCR qui l’a retrouvé à Escaudoeuvres, petite ville du Nord de la France près de Cambrai). Les proches de la présidence sont décapités. Projet de mettre en place une armée formée des anciens FAR et du FPR.
En août 1993, sont signés les accords d’Arusha qui entérinent le nouveau partage du pouvoir. Le premier ministre et le ministre de la Défense se réfugient en Europe : mise en place d’un gouvernement de transition. Les 2/3 des postes sont attribués aux partis d’opposition (NDR. Le PL, le MDR, le PSD. Rien pour le parti extrémiste, la CDR) et au FPR. Le témoin précise qu’il est souvent présent au Rwanda à cette époque et d’évoquer le rôle de l’Église catholique, co-gestionnaire du pays dans cette période (NDR. Monseigneur PERRAUDIN, de nationalité suisse, a été longtemps archevêque de Kabgayi. Quant à monseigneur Vincent NSENGIYUMVA, archevêque de Kigali et Président de la Conférence des évêques catholiques du Rwanda, il sera membre du Comité central du MRND jusqu’à la visite du Pape JEAN-PAUL II à Kigali en septembre 1990)
Le 4 avril 1994, partis d’opposition et FPR n’ont plus qu’une voix de majorité à l’Assemblée nationale. Le ministre de l’Intérieur vit dans une angoisse permanente à l’idée que les archives de son ministère puissent passer aux mains du FPR ; peur aussi ides poursuites. Tous ces personnels pouvaient imaginer qu’avec un ministre de l’Intérieur issu du FPR leur sort était jeté.
Le témoin demande alors à madame la président de verser au dossier un document dont une partie est consacrée à la préfecture de Kibungo. Les parties et la Cour donnent leur accord.
De 1990 à 1993, monsieur GUICHAOUA évoque l’existence de pogroms couvert par le MRND dans plusieurs préfectures (NDR. Massacres des Bagogwe, Tutsi du Nord, et massacres des Tutsi dans le Bugesera.) A la même époque, se met en place une commission d’auto-évaluation des agents de l’État pour que les responsables des « exactions » soient sanctionnés (NDR. Certains responsables des massacres du Bugesera seront arrêtés puis remis en liberté sans qu’aucune sanction ne soit prise.)
En mars 1993, le FPR est autorisé à présenter ses revendications : dans la préfecture de Kibungo, il demande la démission des sous-préfets, du bourgmestre de Kabarondo, soulignant que « NGENZI s’est vite enrichi mais on ne sait pas comment ! ». Aucune charge ne sera retenue contre lui.
Le 6 avril, tentative de la prise de pouvoir par la famille présidentielle et mise à la retraite de RWAGAFILITA et SERUBUGA.
Le 8 avril, mise en place d’un gouvernement intérimaire, avec un premier ministre originaire du Sud, comme le président de la République. Pour BAGOSORA, « la guerre au Nord, la politique au Sud ».
Le 11 avril, le gouvernement intérimaire décide de reprendre en main l’administration territoriale. Les préfets de Butare et Kibungo sont démis de leur fonction (ils seront assassinés plus tard), le gouvernement nomme les responsables de l’auto-défense nationale, donne des armes à la population pour éliminer les complices du FPR et les Tutsi. (NDR. Date choisie par monsieur GUICHAOUA pour marquer le début du génocide. Et les Tutsi qui ont été massacrés avant, ils ne sont pas victimes du génocide ?)
RWAGAFILITA reprend du service à Kibungo. Selon le témoin, les bourgmestres ne seraient majoritairement pas disponibles pour les massacres. Selon le témoin, AKAYESU, bourgmestre de Taba et premier condamné au TPIR aurait payé son statut de premier accusé [4].
Le gouvernement intérimaire organise la tournée des préfectures insoumises. Le président SINDIKUBWABO prononce son discours de Butare le 19 avril pour demander aux autorités et à la population de s’engager dans le génocide. « Une seule autorité, déclare-t-il, le Préfet qui doit éliminer les Tutsi. » Et d’ajouter : « Monsieur le Préfet, je me mets sous vos ordres ! » [5].
Pour le témoin, il a fallu du temps pour que les bourgmestres basculent dans le génocide. Monsieur GUICHAOUA insinue que l’acquittement du second bourgmestre jugé au TPIR serait une décision « pour compenser la condamnation de AKAYESU » [4].
« Le bourgmestre est celui qui obéit » ajoute le témoin, comme pour diminuer sa responsabilité. « A partir du 16 avril, vous étiez remplacé si vous n’obéissiez pas. »
A Kigali, RENZAHO est devenu le personnage central : il coordonne les massacres et les pillages avec BAGOSORA.
RWAGAFILITA obtient l’auto-défense civile : il fallait quelqu’un pour soumettre les bourgmestres.
André GUICHAOUA termine sa déclaration spontanée par cette déclaration : « Je ne connais pas les accusés et n’ai pas cherché à en savoir plus sur eux. Chaque bourgmestre a réagi en fonction de ce qu’il était. Pour ceux qui ont tenu longtemps, ce fut très difficile. » Et de conclure : « A Kibungo, l’avancée du FPR s’est faite dans un contexte de violence inouïe, ce qui explique la fuite des population vers Benako. »

Questions.
Madame la Présidente invite le témoin à préciser quelles ont été ses activités précises au Rwanda. Elles ont été fréquentes et variées à partir de 1979. Il était spécialiste de questions agraires au Rwanda et au Burundi. Il exercera ensuite des activités politiques liées à sa connaissance des pays, en particulier comme conseiller au gouvernement fédéral suisse pour la Région des Grands Lacs. De 1996 à 2010 il sera attaché au Bureau du Procureur de TPIR. Il précise avoir participé aux demandes d’extradition et avoir découvert des « choses extraordinaires » au Parquet de Kigali.
Le témoin était présent au Rwanda au début du génocide. Il rencontre nombre personnalités et permet l’évacuation des enfants de madame Agathe UWINGILIYIIMANA, la première ministre assassinée dès le 7 avril.
Sur question de madame la présidente, le témoin confirme qu’il y a des barrières dans la capitale et évoque les sauvetages auxquels il a pu participer, dont celui de Jean de Dieu MUCYO. Jusqu’en 2004, il reconnaît avoir pu enquêter en toute liberté.
Il apprend l’attentat le soir même du 6 avril, parle d’une réunion qui a eu lieu la veille à l’ambassade de Tanzanie qui s’est mal passée, rapporte des propos entendus ce soir-là : « S’il doit y avoir 20 000 morts, il y aura 20 000 morts ». Une autre réunion s’était tenue le 29 mars à L’État-major, en présence de Tharcisse RENZAHO sur l’autodéfense civile.
Pour lui, le génocide commence avec le gouvernement intérimaire. Il fixe la date au 19 avril : discours du président SINDIKUBWABO à Butare [5]. A cette époque, l’armée est composée de 20 000 hommes mais très rapidement va se faire un recrutement massif de jeunes que l’on va former en 15 jours. Armée et miliciens vont fusionner assez vite, sous la responsabilité de RENZAHO à Kigali.
Pour en venir à Kibungo, le témoin précise que RWAGAFILITA et RENZAHO sont tout puissants. La préfecture est tenue par un membre de l’opposition mais le MRND garde les communes. Les milices sont recrutées sur place.
Sur question de Maître PARUELLE, monsieur GUICHAOUA précise qu’en octobre 1990 la question ethnique n’est pas d’actualité dans les revendications. Subsiste toutefois la politique des quotas et le témoin trouve cette sélection « insupportable ». Il reconnaît l’arrestation des Tutsi et des opposants, les massacres des Bagogwe et ceux du Bugesera. Le discours de Léon MUGESERA en novembre 1992 est construit sur une idéologie génocidaire [6]. Il reconnaît aussi l’influence de RWAGAFILITA [2] sur les bourgmestres de sa région, jusqu”en 1992 puis à partir du 11 avril.
Journal extrémiste Kangura n°6 (décembre 90)

Maître GISAGARA interpelle le témoin sur les Dix commandements des Bahutu. Ce dernier reconnaît que ce document correspond à la tendance extrémiste MRND-CDR. Il s’agit d’une littérature explicitement raciste. Sans oublier le rôle joué par la RTLM. La diffusion de Kangura est publique mais ce journal n’arrive pas sur les collines, les tirages sont dérisoires. C’est bien avec la RTLM, radio financée par tous les dignitaires du régime, que se diffusent les idées racistes. L’assassinat du président NDADAYE du Burundi va exacerber ce racisme anti-Tutsi.
Questionné sur l’attentat, le témoin préfère ne pas aborder le sujet. La Garde présidentielle est la première informée et elle va alerter les gens de Gisenyi : la mobilisation est immédiate.. Quant au MRND et à l’armée, ils n’étaient « pas génocidaires ».
Au tour de madame Aurélie BELLIOT, pour l’accusation, d’interroger le témoin. Elle aborde le pouvoir des bourgmestres, questionne sur l’idéologie de la première république. Le témoin reconnaît ue la Révolution sociale de 1959 a été déterminante. Le clivage ethnique est contenu dans le Manifeste des Bahutu.. On est dans une période de décolonisation et la Belgique ne veut pas tout perdre : elle joue la carte des Hutu.
Toujours pour l’accusation, monsieur BERNARDO revient sur la situation de 1973 et s’interroge sur la difficulté pour HABYARIMANA de trouver des élites Hutu. Le témoin répond qu’il est allé les chercher au séminaire de Kabgayi (NDR. Ne serait-ce pas plutôt au séminaire de Nyakibanda, le grand séminaire?) Il souhaite aussi le retour des diplômés de l’étranger, en récupère d’autres au Zaïre.
Autre question de l’avocat général : « Pour la composition de son gouvernement, de qui HABYARIMANA avait-il besoin ? »
« Il lui fallait des ministres présentables à l’extérieur. La plupart sortaient du séminaire » répond le témoin. Il avait besoin de ministres gestionnaires, techniques, et de ministres politiques.
Monsieur BERNARDO souligne le rôle important du ministère de la Jeunesse : important d’avoir des proches pour encadre la jeunesse ? Le témoin reconnaît que c’était un poste politique mais pas le plus stratégique. « C’est le ministre de l’Intérieur qui était « le pivot du régime ». Plus de cent communes étaient aux mains du MRND mais ce n’est qu’en 1993 que le MRND rependra vraiment « du poil de la bête ».

Alain GAUTHIER, président du CPCR
Suite des questions à monsieur GUICHAOUA le lendemain, jeudi 20 mai.

1. M. GUICHAOUA avait été amené à parler plus explicitement de “l’akazu” lors de son audition au cours du procès en appel de Pascal SIMBIKANGWA en 2016 : “L’Akazu est régi par des liens familiaux. On parle aussi des OTP, Originaires du Territoire Présidentiel. Tous en effet sont de Karago, et Giciye; ils bénéficient de rentes. Il s’agit d’un clientélisme familial et politique.”
Voir aussi : FOCUS – Les réseaux d’influence
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2. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails.
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3. Frère d’Agathe KANZIGA, également appelé « Monsieur Z », Protais ZIGIRANYIRAZO est considéré comme le véritable patron du réseau Zéro. Désigné comme membre de l’Akazu, il aurait également été en charge de recruter des Interahamwe. En 1992, lors des massacres du Bugeresa, il est désigné par l’ambassadeur SWINNEN comme le dirigeant de l’état-major secret chargé d’exterminer tous les Tutsi. Condamné initialement à 20 ans de prison par le TPIR, la cour d’appel l’a libéré mettant en cause la gestion des preuves de la Chambre de première instance.
Voir aussi : FOCUS – Les réseaux d’influence
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4. Le bourgmestre AKAYESU fût le premier à être condamné par le TPIR. Le second bourgmestre jugé, Ignace BAGILISHEMA avait été acquitté (cf. http://unictr.unmict.org/fr/cases).
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5. Discours du docteur Théodore SINDIKUBWABO, président intérimaire à Butare pour la cérémonie d’investiture du nouveau préfet (Radio Rwanda, 19 avril 1994), archivé sur “francegenocidetutsi.org”
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6. Traduction en français du discours de Léon MUGESERA en kinyarwanda (22/11/1992), archivé sur “francegenocidetutsi.org”
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Procès en appel Ngenzi/Barahira Jeudi 17 mai 2008 J7
18/05/2018
• Audition de M. André GUICHAOUA, professeur (2de partie).
• Interrogatoire de CV de Octavien NGENZI.

Audition de monsieur André GUICHAOUA, professeur (2de partie).
Suite des questions à monsieur GUICHAOUA (l’audience avait commencé la veille).
Maître LAVAL veut revenir sur l’existence d’un plan concerté, reprenant les propos du témoin qui reconnaît des pratiques et une idéologie génocidaires avant le 7 avril sans que cela participe d’un plan en vue de commettre le génocide. Monsieur GUICHAOUA tente une nouvelle fois d’expliquer que tous les événements qui se sont produits avant le la constitution du gouvernement intérimaire, voire avant le discours du président SINDIKUBWABO à Butare le 19 [1], ne relèvent pas d’un plan concerté. Cette réponse ne satisfait pas du tout l’avocat du CPCR. “Dès le 7 avril à Kigali, à Gisenyi, le 8 à Kibungo sont perpétrés des massacres systématiques selon le même mode opératoire, le même discours: faire le travail.”
Le témoin n’a plus d’arguments: “J’ai répondu à ces questions hier. Que vous ne soyez pas satisfait, c’est un fait.”
Maître LAVAL de rétorquer: “Ce que vous venez de dire à la Cour n’est pas exact. La date du 19 avril n’est pas significative car c’est faire l’impasse de ce qui s’est passé au cours de la première semaine. On n’a pas attendu le 19 avril pour commencer les tueries. Il n’y aurait pas de plan concerté?”
Cinglant, GUICHAOUA rétorque: “Je suis étonné de cette rhétorique. Si vous connaissez mes écrits, votre discours est sans intérêt. Je n’ai pas à me justifier.”
L’avocat de la FIDH, maître MARTINE, rappelle au témoin que lors de son audition devant le juge d’instruction en 2012 il a parlé de “guerre totale dès le 12 avril”. Ce qui ne désarme pas le témoin : une série de massacres avant le 19, oui, mais pas d’organisation véritable, pas de mot d’ordre!
L’avocat général intervient à son tour. Les pratiques génocidaires institutionnalisées à partir du 10 avril ne seraient-elles pas l’occasion de structurer des mouvements spontanés? Comment interpréter l’emballement après l’attentat? Dès le 7, fouilles, traques, rassemblements dans les églises, massacres à Kibungo, Gisenyi… Ces massacres sont organisés? GUICHAOUA n’en démord pas: “Le vrai génocide a été une politique des préfets!” Il refuse de reconnaître que l’armée se lance tout de suite dans les massacres. Pour lui, l’isolement de l’État-major était total jusqu’à la nomination de BIZIMUNGU le 18. La discussion tourne en rond, chacun défendant sa position.

Interrogatoire de CV de Octavien NGENZI.
NGENZI vu par Grumbl
Octavien NGENZI est invité à évoquer les grandes étapes de sa vie de manière chronologique pour plus de clarté. Né dans une famille d’agriculteurs, l’accusé parle de ses parents et de sa fratrie. Son père, qui aurait été tué quand lui-même était en Tanzanie, est « réputé être Hutu », sa mère Tutsi. Lui-même est Hutu. Une enfance sans problèmes majeurs : école primaire, deux années « blanches » au cours de laquelle il fera du petit commerce avant de pouvoir intégrer le collège loin de chez lui, dans la préfecture de Gisenyi. Il avait raté l’examen d’entrée alors qu’il était « premier de classe ».
D’évoquer ce qui semble avoir été l’élément le plus traumatisant de cette période. En 1973, considéré comme un Tutsi, il est frappé et chassé de l’école. Il sera réintégré grâce au directeur, monsieur KAREKEZI, qui le prendra sous son aile. Originaire de la préfecture, il aurait été détesté par deux de ses enseignants. « Après ce choc, je me suis battu du côté des Tutsi. » Seuls 5 Tutsi sur 90 élèves dans son collège. Après trois années, il sera orienté en agronomie : il aurait préféré suivre les Humanités (Lycée).
Il sera ensuite admis pour deux ans dans l’école agricole de Nyamishaba, à Kibuye. On lui enseigne l’histoire du pays : la monarchie, la colonisation, la révolution sociale de 1959. Il devient ensuite, pour trois ans, agent de l’État à Kabarondo, responsable du secteur agricole. Il supervise 6 autres agents, travaille auprès des paysans pour les initier au nouveau matériel agricole et leur faire connaître les nouvelles semences. Il s’appuiera sur cette expérience pour justifier sa nomination de bourgmestre quelques années plus tard.
En 1980, il entreprend des études en Sciences forestières au Kenya où il obtient deux diplômes. De 1984 au 6 mai 1986, il est affecté dans un projet de développement rural dans la préfecture de Byumba, jusqu’à sa nomination comme bourgmestre sur proposition du Président de la République alors qu’il n’avait jamais eu d’activité politique! Il remplace Tito BARAHIRA qui a quitté son poste dans des conditions qui restent encore peu claires. NGENZI n’a que 27 ans. Même si l’accusé dit ne pas connaître les raisons de sa nomination, il semble assez clair que l’homme fort de la région, Pierre-Célestin RWAGAFILITA [2], n’y soit pas étranger. Pourtant, NGENZI dit ne pas le connaître véritablement, même s’il est originaire du même secteur que lui. « J’avais les qualités pour devenir bourgmestre » ajoutera-t-il humblement.
Octavien NGENZI est ensuite invité à présenter sa commune : 30 000 habitants environ sur une superficie de 162 km2. Moins de 10% de Tutsi mais le bourgmestre dit n’avoir jamais fait de différence : « Il n’y avait pas de problème d’ethnisme dans la commune. J’étais au service de tout le monde. » Ce que plusieurs témoins confirmeront, le présentant comme un homme bon, accueillant.
On aborde ensuite la question de la sécurité, du pouvoir des policiers communaux, de leur armement. Il arrive qu’un mauvais payeur de ses impôts soit enfermé au cachot communal : la commune a besoin d’argent pour payer ses employeurs.
Madame la présidente s’étonne que, disposant d’une enveloppe personnelle, il ne soit pas venu en aide aux nombreux réfugiés de l’église de Kabarondo : pas tout à fait vrai, selon l’accusé, il a fait livrer du bois pour la cuisine.
Il dispose de deux voitures communales qu’il utilise de temps en temps pour ses besoins personnels. On apprendra un peu plus tard qu’il avait aussi un véhicule personnel qu’il fera passer en Tanzanie lors de sa fuite.
On aborde ensuite ses relations avec les autres autorités de la préfecture, avec les gendarmes. Des Interahamwe [3] à Kabarondo ? Pas vraiment. « Ce sont des groupes d’animation folklorique, des jeunes de 12 à 22 ans. » Ils s’appelleront le nom d’Interahamwe plus tard, mais pas à Kabarondo ! l’année 1991 est une année charnière avec la nouvelle constitution qui instaure le multipartisme, source de tous les maux. Il aurait dû changer de parti politique mais est finalement resté au MRND. Il deviendra membre du Comité préfectoral du MRND de Kibungo, élu en 14ème proposition.
S’ouvre ensuite une discussion pour connaître le sens exact du mot « Interahamwe ». Pour NGENZI, cela signifie « ceux qui se mettent ensemble pour faire le bien », une définition contestée car on traduit souvent par « ceux qui combattent ensemble ». NGENZI choisit l’acception la plus favorable.
Après avoir évoqué la composition de sa famille, on va parler ensuite de sa fuite de Kabarondo qu’il fixe au 15 avril, bien qu’il soit revenu le lendemain pour chercher sa belle-mère qui n’avait pas voulu partir. Il passera la nuit du 15 chez le bourgmestre de Kigarama chez qui il restera jusqu’au 19. Le 15, il a conduit l’abbé PAPIAS, un prêtre hutu qui était « réfugié » chez lui. ( NDR. On reparlera probablement de cet épisode qui ne semble pas avoir été aussi glorieux que ne le prétend NGENZI.) Ce n’est que le 28 avril qu’il traversera la frontière à Rusumo, pour se rendre à Benako avec toute sa famille. En cours de route, il n’a vu « aucun cadavre humain ».
A Benako, le grand camp sous la responsabilité et l’organisation du HCR, on reconstitue les communes. « Pour éviter la propagation du choléra » dira l’accusé, on regroupe les communes de Kabarondo, Murambi et Kigarama et on ouvre un autre camp pour Byumba et Kigali, entre autres ! En fait, cela permet de savoir qui est dans le camp. NGENZI travaille au projet « bois de chauffage » et apprendra que les massacres perpétrés au Rwanda se nomment « génocide ». Apparemment, il ne connaissait pas ce mot !
Alors que l’on projette d’organiser le retour forcé des réfugiés vers leur pays, NGENZI préfère quitter la Tanzanie le 15 septembre 1996 après avoir revêtu les oripeaux d’un bon musulman nommé Omar : c’est plus facile pour passer les points de contrôle. Il se rend au Kenya, y rencontre des connaissances puis décide de partir pour les Comores après quelques mois, sa famille étant restée à Benako. Il espère pouvoir passer à Mayotte, la porte d’entrée pour la métropole française. Travaillant sur le port, il se fait confectionner de faux papiers afin de pouvoir demander l’asile politique. Mal lui en prend car une fois à Mayotte il va se heurter au refus de l’OFPRA [4] de lui reconnaître le statut de réfugié. Sa famille le rejoindra un peu plus tard et pourra même rejoindre la France avant qu’il ne fasse de nouvelles tentatives. Alors qu’il est sur le point de quitter Mayotte, il se fait bloquer puis arrêter. Il faut dire qu’il a beaucoup menti. Dans le box des accusés il tente d’expliquer ses mensonges, hésite pour rendre tel ou tel responsable de ses malheurs. (NDR. Il se retient pour ne pas prononcer le nom du CPCR qui est à l’origine de la plainte qui le vise : « Des individus m’en veulent » se contente-t-il de dire.)
Madame la Présidente lit alors le témoignage donné par sa mère aux enquêteurs français : son fils est innocent et elle accuse l’abbé INCIMATATA, le curé de Kabarondo, de le détester ! Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par plusieurs Gacaca [5] de la préfecture de Kibungo (il ne sait pas de quoi on l’a accusé n’ayant jamais vu de document à ce sujet), il évoque sa vie à la prison de Fleury-Mérogis. Le rapport de détention que lit la présidente est assez élogieux. NGENZI semble être un détenu modèle. Il travaille, vit seul dans sa cellule, fréquente la bibliothèque et le culte. Il a même participé, ironie du sort, au Concours National sur la déportation des Juifs pour lequel il dit avoir reçu le premier prix ! Il reçoit fréquemment la visite de sa famille (Le fils de RWAGAFILITA [2] avait obtenu un permis de visite mais il serait mort avant de venir le voir !)
C’est au tour des avocats des parties civiles de questionner l’accusé. A la question de maître Kévin CHARRIER, il reconnaît avoir rencontré à Benako des gens qui avaient participé au génocide, mais il semble que ce soit un sujet tabou : « Tout le monde faisait semblant de ne rien savoir », même si tout le monde le savait. Dans le camp régnait une sécurité relative (NDR. On sait toutefois que des assassinats ont été perpétrés dans le camp de Benako. Le sujet sera peut-être abordé un jour ?)
Monsieur BERNARDO, l’avocat général, questionne à son tour l’accusé, cherchant à faire réfléchir NGENZI sur la façon dont l’histoire du Rwanda aurait « façonné » sa personnalité. Il est pratiquement né avec la Révolution sociale de 1959. BARAHIRA, qu’il a peu vu au camp, lui a-t-il appris quelque chose ? Pas vraiment, reconnaît-il. Il n’a avait pas vraiment d’affinité entre eux. L’avocat général cherche à savoir aussi quelle réaction a produit à Kabarondo l’attaque du FPR. Essentiellement la peur, dira NGENZI. Il regrette que cette guerre ait été déclarée alors que le retour de réfugiés d’Ouganda était sur le point d’être accepté. Il était d’ailleurs prêt lui-même à céder quelques arpents de terre à quelques familles qui reviendraient ! Preuve qu’il n’a jamais été raciste. Un homme de sa connaissance, RUDASINGWA, le traite « d’extrémiste », ce qu’il réfute vigoureusement.
Il a bien entendu parler du « Club de Kibungo » mais n’en a jamais fait partie. L’avocat revient revient sur les dates qui ont jalonné son départ pour la Tanzanie et rappelle les étapes de son périple vers Mayotte. Il note même beaucoup de parallélismes avec l’itinéraire de BARAHIRA, mais il semblerait que ce soit pure coïncidence.
Madame Aurélie BELLIOT prend à son tour la parole e cherche à faire parler l’accusé sur la situation sécuritaire de la commune de Kabarondo à la veille du génocide. L’avocate générale est obligée de le recadrer afin qu’il réponde précisément à sa question. On va alors passer de longues minutes à évoquer le rapport que le bourgmestre a adressé au préfet suite à des bagarres dans le bar « Bonne Nouvelle ». Malgré les reproches du préfet sur sa façon d’avoir géré la crise, NGENZI défend la position qu’il a prise : il avait réussi à faire se réconcilier les deux protagonistes.
C’est enfin maître EPSTEIN qui clôture la série de questions. Il insiste sur les qualités de son client, évoque les visites qu’il reçoit en prison et le rapport de détention tout à son honneur, revient sur son ascension sociale pas si fréquente à Kabarondo, fait dire à l’accusé qu’il ne connaît rien au maniement des armes (NDR. Probablement pour préparer un épisode qui sera évoqué plus tard lorsqu’on abordera la période du génocide à Kabarondo). Pour lui faire dire enfin que la famille NGENZI était une famille honorable dont les enfants fréquentaient indifféremment Hutu et Tutsi.

Il est 21h25. L’audience est suspendue jusqu’au lendemain 9h30.
Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. Discours du docteur Théodore SINDIKUBWABO, président intérimaire à Butare pour la cérémonie d’investiture du nouveau préfet (Radio Rwanda, 19 avril 1994), archivé sur “francegenocidetutsi.org”
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2. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails.
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3. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA.
Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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4. OFPRA : Office français de protection des réfugiés et apatrides
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5. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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Procès en appel Ngenzi et Barahira. Vendredi 18 mai 2018. J8
19/05/2018
• Projection de « Tuez-les tous » de Raphaël GLUCKSMANN, David HAZAN et Pierre MEZERETTE
• Audition de M. Raphaël GLUCKSMANN, directeur du Nouveau Magazine littéraire
• Audition de Mme Odette KAMPIRE, épouse de Jean MPAMBARA, bourgmestre de Rukara
• Audition de M. Guillaume ANCEL, présent au Rwanda lors de l’Opération Turquoise
La journée commence par la projection du film « Tuez-les tous » de Raphaël GLUCKSMANN, David HAZAN et Pierre MEZERETTE.
Audition de monsieur Raphaël GLUCKSMANN, directeur du Nouveau Magazine littéraire.
Dans l’histoire de l’humanité, on reconnaît trois génocides au XXème siècle, dont deux qui ne font l’objet d’aucune contestation. Le génocide des Tutsi est du même ordre que celui des Juifs. Il a été planifié, avec la volonté d’exterminer jusqu’au dernier. Impossible de confondre les notions de « guerre » et de « génocide » et il est important de parler du génocide des Tutsi avec le même respect que lorsqu’on parle du génocide des Juifs. Le témoin avoue que « ce génocide a fracturé (sa) vie en deux. » Il est important de déterminer les responsabilités de chacun car il y a trop de légèreté, en France quand on évoque le génocide des Tutsi.
Le témoin de préciser qu’un génocide consiste à « la mise à mort de l’Être humain », par une machine de mort organisée. Les tueries ne devaient rien au hasard. Et de s’aligner sur la position de madame Alison Des Forges qui parle de « la propagande en miroir ». (NDR. Posture qui consiste à accuser l’autre des méfaits ou des crimes qu’on a commis soi-même.)
Madame la Présidente demande au témoin pourquoi alors que le parallèle avec le génocide des Juifs d’Europe est bien reconnu, pourquoi le génocide des Tutsi est très peu dans les consciences. Le témoin rappelle les propos du président MITTERRAND : « « Dans ces pays-là, un génocide, ce n’est pas trop important » (NDR. Voir l’article de Patrick de Saint-Exupéry dans le Figaro du 12/01/1998 [1]). En parlant de l’Afrique, on préfère parler de « massacres interethniques », ce qui est une forme de racisme. Et ce n’est pas du tout le cas au Rwanda… Le Rwanda était un pays aussi bien organisé que l’Allemagne des années 20. Et dès son origine, on a mis en place une propagande en vue de nier le génocide. On a parlé du « double génocide », « une forme grise », comme si on accusait l’Armée Rouge d’avoir commis un génocide. Les crimes de guerre par l’Armée Rouge et les alliés occidentaux ne remettent pas en cause le génocide des Juifs. Le FPR a commis des crimes de guerre, mais pas de génocide.
Sur questions de la présidente, le témoin rappelle les caractéristiques communes que l’on peut trouver entre les génocides. (NDR. On peut regretter que le génocide des Arméniens n’ait jamais été évoqué même s’il ne bénéficie pas de la même reconnaissance.) Il ajoute qu’il n’y a pas de génocide sans négationnisme. Posture qui rencontre une peur qui est en chacun d’entre nous. Dire que c’est compliqué, c’est plus facile, ça rassure. En tout cas, ce n’est pas « une affaires de salauds contre d’autres salauds ». (NDR. Allusion à l’émission au cours de laquelle Natacha POLONY, qui débattait avec le témoin, et au cours de laquelle elle a utilisé cette expression inacceptable.)
Toujours sur question de madame la présidente, le témoin évoque les conditions dans lesquelles il a été amené à produire ce documentaire avec deux de ses amis. Raphaël GLUCKSMANN parle ensuite de la situation des rescapés dans le Rwanda actuel, affirmant que leur parole dérange le pouvoir, que ces derniers ne sont pas mis en avant par les responsables politiques, sauf en période de commémorations, qu’ils sont plus misérables que les paysans les plus pauvres. La tristesse des rescapés ne serait pas bonne pour l’image du pays. Le pouvoir actuel de Kigali résumerait la situation ainsi : « Il y avait une très mauvaise gouvernance avant, mais la nation est bonne. Il n’y a donc pas de place pour le ressassement des souvenirs, ce qui, pour les rescapés serait « la double peine ». (NDR. Ces propos , à mon sens, devraient pouvoir être plus nuancés). Et de préciser que, pour le tournage du film, ils n’ont pas rencontré de difficultés particulières. La seule difficulté, « c’est le temps qu’il faut prendre » pour rencontrer les gens.
Quant à prétendre qu’on ne pourrait pas juger des génocidaires si on n’est pas allé au Rwanda, c’est « un raisonnement qui invalide le sens de la justice. Il faudrait être témoin oculaire de chaque crime pour pouvoir juger ? C’est la négation même d’une cour. »
Un des magistrats assesseurs demande à partir de quand s’impose l’idée de génocide. Le témoin répond qu’il est difficile de trouver un moment précis mais que la volonté de se débarrasser des Tutsi est présente depuis très longtemps. L’idée germe au sein de l’Akazu [2], avec la création du Hutu Power en 1993 [3]. Dès l’attentat, ce sont les extrémistes qui prennent le pouvoir.
Maître Michel LAVAL, avocat du CPCR, s’exprime à son tour : « Une question me préoccupe, celle du « plan concerté ». Plusieurs intellectuels ont tout de suite parlé de génocide. En France, il faut prouver un plan concerté. S’il y a eu « plan concerté, pourquoi ? »
Le témoin : non seulement il y a eu un plan, mais il a été exécuté comme il était prévu. Dès le 7 avril au matin les milices sont en route pour tuer. Et de rajouter que tous les témoins qu’ils ont entendus pour réaliser leur firmes leur ont dit qu’ils avaient reçu des ordres. Dans un génocide, il y a obligatoirement une organisation préalable qui implique toutes les composantes de l’État. « La question qui vous préoccupe est la question centrale » car il n’y a pas de génocide sans plan concerté. Ce sont les miliciens qui expliquent le mieux ce plan quand ils donnent les taches qui leur ont été assignées.
Maître Rachel LINDON, avocate de la LICRA, revient sur la propagande en miroir mise en lumière par madame Alison DES FORGES et qui consiste à mettre en parallèle le génocide et les crimes du FPR. Le témoin rappelle que cette propagande en miroir rappelle le génocide des Juifs. Les tueurs de Butare s’inspirent de la propagande nazie. Mettre en parallèle génocide et crimes de guerre, c’est continuer la propagande du génocide.. On renvoie tout le monde dos à dos.
A son tour, maître GISAGARA intervient. « La dernière partie de votre documentaire est consacrée aux rescapés. Vous restituez leur détresse, une détresse qui est toujours intense. Le temps apaise-t-il les cœurs? »
Le témoin : le temps ne change rien à la douleur. Le temps s’est arrêté pour les rescapés entre avril et juillet 1994. Ils ont été exclus de la communauté des hommes et ont réintégré une vie qui n’est plus la leur. Le pouvoir que l’on accuse de fabriquer des témoignages leur demanderait de se taire ? La justice a été en partie sacrifiée. Vous êtes seul et le bourreau vit en famille. Votre violeur vit à côté de vous… Les rescapés sont seuls et pour eux, ça n’ira jamais mieux. Mais on leur demande de tourner la page !
Monsieur BERNARDO, l’avocat général, interroge le témoin à son tour et revient sur l’ambigüité de la France. Les autorités françaises n’auraient-elles pas été elles-mêmes victimes de cette propagande ? Le témoin de préciser que la volonté de l’État français était de s’opposer au FPR et effectivement, nos responsables politiques, les coopérants « se sont fait rouler dans la farine ». Les responsables rwandais n’étaient pas des pantins, ils savaient ce qu’ils faisaient. On trouve aussi la propagande en miroir chez les dirigeants français, et c’est une réaction raciste. Il faut tout de même rappeler que les acteurs du génocide, ce sont d’abord les Rwandais.
Monsieur BERNARDO se demande si la France n’a pas été prise au piège de son propre légalisme ! C’est un reproche majeur que l’on peut faire aux autorités françaises, continue le témoin, celui de n’avoir pas vu que les massacres des années 90/93 étaient un prélude. Elles vont même jusqu’à recevoir en France des envoyés du gouvernement intérimaire (NDR. Qui est en train de perpétrer le génocide !) Elles continuent à livrer des armes ! Il y a là un aveuglement continu des autorités françaises qui refusent toute démarche de demande de pardon.
« Pourquoi les médias ne parlent-ils pas de génocide début avril 1994 » demande l’avocat général ? « C’est une vaste question » reconnaît le témoin.. Certains médias et journaux en ont parlé assez vite. » (NDR. L’Humanité, La Croix (qui relaie en avril un appel au secours que je lance personnellement) ont parlé du génocide, puis Libération et le Figaro). « D’autres, comme mon journal du soir préféré (NDR. Le Monde), ont volontairement désinformé. La gestion générale de l’événement par les médias est calamiteuse. » C’est l’émergence du choléra dans les camps du Zaïre qui va provoquer un emballement en oubliant de rappeler qu’au Rwanda un génocide a été commis. Et monsieur GLUCKSMANN d’ajouter : « On sous-estime le niveau de fainéantise des journalistes. »
Monsieur BERNARDO poursuit. « En avril, on parle de guerre ethnique et pas de génocide. Qu’y a-t-il derrière ce silence assourdissant ? » Le témoin d’évoquer son expérience en Tchétchénie où malgré l’ampleur des massacres, il n’a jamais parlé de génocide. Il y a un « effroi légitime à ne pas employer ce terme ». « Le mot génocide effraie et il est normal d’être précautionneux dans son emploi ». De rajouter que le Rwanda n’était pas un centre d’intérêt pour la presse.
Maître BOURGEOT, avocate de Tito BARAHIRA, précise tout de suite que si des chercheurs nient l’existence du génocide, ce n’est pas le cas de la défense. Et de revenir sur le cas d’Alison DES FORGES pour souligner que ses relations avec le pouvoir rwandais se sont tendues vers la fin. Le témoin confirme et précise que c’est parce qu’elle avait enquêté sur les exactions du FPR. Mais elle n’a pas du tout voulu minimiser le génocide, elle a toujours mené la lutte contre les négationnistes. Pour lui, Alison DES FORGES est la chercheuse la plus sérieuse, la plus honnête. D’ailleurs, personne ne nie les exactions du FPR.
Maître BOURGEOT revient sur le témoignage de monsieur GUICHAOUA qui a évoqué la fabrication des témoignages. GUICHAOUA serait un pseudo-chercheur ?
« Ce que je sais, c’est que les quelques exemples qu’il donnent sont minimes par rapport aux témoignages qui ne sont pas entendus . » De redire que les témoignages dérangent la politique de réconciliation nationale. La logique du « Nous sommes tous Rwandais » entre en conflit avec le témoignage. « Je n’ai pas la connaissance de la pratique de fabrication de faux témoignages. »
Madame la présidente intervient et dit à l’avocate de la défense que, « témoignages fabriqués ou pas, c’est votre appréciation. Il n’est pas compliqué aujourd’hui de recueillir des témoignages au Rwanda. »
Maître BOURGEOT évoque alors le personnage de Janvier AFRICA, « un agent du FPR ». Réponse du témoin : « Dire que Janvier Africa est un agent du FPR, c’est de la pseudo-recherche. »
L’avocate de BARAHIRA revient sur son thème privilégié : « Si on ne va pas au Rwanda, on ne peut pas être un bon juge ? On ne peut pas juger convenablement ? »
Madame la présidente reprend de plein fouet l’avocate avant même que le témoin ne s’exprime.
Maître BOURGEOT veut enfoncer le clou et revient sur le transport sur les lieux et la fabrication des faux témoignages, redit que Janvier Africa était un « témoin instrumentalisé pour prouver l’existence des Escadrons de la mort. » On lui fait remarquer que Janvier Africa n’est pas dans le dossier et qu’on pourrait se dispenser d’en parler.
Maître EPSTEIN, avocat de Octavien NGENZI, vole à son secours, passablement énervé. Le témoin lui fait remarquer que GUICHAOUA passe sa vie à déconstruire l’histoire du génocide.
L’avocat se permet de dénoncer la façon dont le témoin se tient à la barre et reproche à madame la Présidente de ne pas être intervenu. Madame la Présidente demande à l’avocat de retirer ce qu’il vient de dire. A maître EPSTEIN, elle demande de « prendre un ton au-dessous » et menace de suspendre l’audience. Maître EPSTEIN aurait bien voulu être présent à l’audience pour pouvoir interroger le témoin, mais il devait plaider ailleurs.( NDR. Pour cause, il était parti pour avoir assigné le CPCR en référé pour non respect de la présomption d’innocence. L’audience a été reportée au 1er juin, ce qui a provoqué son profond mécontentement).
Le calme revenu, maître EPSTEIN demande au témoin si, aujourd’hui, il referait le même film. Monsieur GLUCKSMANN répond par l’affirmative. Il confirme aussi qu’il n’a jamais été sollicité par le TPIR.
Maître BOURGEOT revient sur le plan concerté en rappelant, une nouvelle fois, que le jugement BAGOSORA réfute la thèse du plan concerté et s’étonne que le témoin puisse continuer à être aussi affirmatif. Ce dernier déclare que sa connaissance du dossier n’a jamais été contredite et que c’est par manque de preuves qu’on n’a pu reconnaître un plan concerté. Cela ne veut pas dire que ce ne fut pas le cas. Et d’ajouter : « Pas de plan ? Comment expliquez-vous alors que les gens reçoivent en même temps les mêmes ordres. Il est impossible de mettre en œuvre un génocide sans plan. Ou alors, ce n’est pas un génocide. »
« Vous n’avez aucun doute sur la culpabilité des accusés ? » se hasarde l’avocate. Question qui laisse le témoin sans voix. Pourquoi il n’a pas écrit de livre ? « J’ai fait un documentaire sur ce que j’avais envie de dire ! » répond le témoin.
Une dernière question de la défense. « Un historien peut-il prendre la parole dans un prétoire ? » Allusion à Henri ROUSSEAU qui avait refusé.
Le témoin de répondre : « Je me suis fait une promesse. Quand une association de rescapés demande ma présence, j’y vais. Quand on écoute la parole des rescapés, on en sort changé ! »

Audition de madame Odette KAMPIRE, épouse de Jean MPAMBARA, bourgmestre de Rukara.
Madame KAMPIRE se présente comme témoin à décharge de NGENZI qu’elle connaît bien. Elle va consacrer le début de sa déposition spontanée en décrivant ses différents déplacements dans la région presque aussitôt après l’annonce de l’attentat. Elle va d’abord chez sa belle-sœur à Kayonza puis passe la nuit du 12 au 13 avril chez Octavien NGENZI à Kabarondo dont l’épouse est une amis de collège. Elle ne voit personne dans la maison car elle reste cloîtrée dans une chambre avec ses enfants. A peine échange-t-elle quelques mots avec NGENZI.
Son mari ayant appris que Kabarondo serait attaqué, il vient la rechercher le 13 en fin de matinée pour repartir en début d’après-midi. Ils aperçoivent bien quelques gendarmes près de l’église, elle a entendu des coups de feu, mais elle ne voit aucun mort en passant près de l’église. Ils se rendent chez l’ex bourgmestre de Kayonza, monsieur BALIGIRA. Le 14, départ pour Birenga, dans un Centre de santé, pour finalement passer la frontière de Rusumo le 28 avril. Puis installation dans le camp de Benako.
En décembre 1996, on rapatrie de force au Rwanda les réfugiés et elle sera emprisonnée pendant quatre ans. Au cours de ce séjour, elle côtoie des prisonniers et rencontre des gens de Kabarondo. Acquittée, elle quitte le Rwanda pour le Kenya, puis Mayotte où elle retrouve NGENZI qui l’accueille avant qu’elle ne trouve un logement. En réalité, elle connaissait beaucoup moins NGENZI que son épouse. Elle quittera ensuite Mayotte pour la métropole.
Le témoin décrit l’accusé comme un homme de bien qui n’avait aucun problème avec la population. Sa femme accueillait tout le monde, toute ethnie confondue. En Tanzanie, elle a bien vu qu’il avait été attaqué parce que complice du FPR. Dans le camp de réfugiés, NGENZI était serviable, comme à Mayotte. Pendant la nuit qu’elle a passé chez lui, elle a trouvé son hôte très inquiet, paniqué, « dépassé par les événements ». La situation était ingérable.
Et de terminer sa déposition : « Quand j’ai su qu’on l’avait accusé, j’ai sursauté mais cela ne m’a pas étonnée car mon mari avait subi le même sort. » Elle souhaite que devant la justice, il tombe entre de bonnes mains.
Madame la présidente va soumettre le témoin à une série de questions concernant ses déplacements au début du génocide, soulignant les contradictions dans les dates qu’elle fournit aujourd’hui et ce qu’elle avait dit aux juges le 3 février 2014. On revient sur le séjour à Kabarondo entre le 12 et le 13 avril. Elle ne sait pas que des gens sont alors rassemblés dans l’église de Kabarondo. Les seuls cadavres qu’elle ait vu, c’est lors de son passage de la frontière : des cadavres flottaient dans la rivière Akagera. Elle confirme que le 13 NGENZI est bien chez lui.
Madame la présidente aborde le cas de son mari qui a été emprisonné et jugé à Arusha. Il a été acquitté après avoir fait 6 ans de prison. Ils habitent Rouen.
Madame la présidente rappelle que son mari a été entendu en premier ressort. Il est d’ailleurs dans la salle. Madame KAMPIRE reconnaît que c’est à la justice de décider du sort de l’accusé mais que « ce serait monstrueux qu’il soit condamné. »
Occasion pour maître GISAGARA d’interpeller le témoin : « Pour vous, NGENZI est innocent ? »
« Je le dis parce que je le connais personnellement. J’ai rencontré en prison des gens qui le défendaient. Si les gens témoignent pour lui au pays, ils sont mal vus. Ceux qui viennent témoigner ici sont formatés. » répond le témoin.
L’avocat reprend la balle au bond : « Vous-même vous avez été acquittée ? » Le témoin rétorque que ceux qui ont témoigné en sa faveur ont eu des problèmes. Certains auraient même quitté le pays. Quant à elle, elle est partie au Kenya car on voulait l’emprisonner à nouveau. Maître GISAGARA lui fait remarquer que son mari a bénéficié de témoins à décharge dont certains sont venus du Rwanda. Et le témoin de redire que ceux qui ont témoigné pour lui ont eu des problèmes ! (NDR. Tout cela reste bien vague !)
Monsieur BERNARDO, l’avocat général, souligne les différences dans ses déclarations successives. Le témoin se contente de répéter ce qu’elle a dit dans sa déposition spontanée. Monsieur l’avocat général s’étonne qu’elle n’ait pas vu de cadavres à Rukara et à Kabarondo. S’étonne aussi que dans le couple on ne parle pas des événements qui sont en train de se dérouler autour d’eux. Elle revient sur la panique générale qui règne chez NGENZI et à Kabarondo, dit une nouvelle fois qu’elle n’aperçoit que quelques gendarmes près de l’église mais pas de corps.
Maître Rachel LINDON s’étonne à son tour. Le témoin confirme.
Au tour de la défense de questionner le témoin. Maître EPSTEIN fait confirmer au témoin le comportement de son client et lui donne l’occasion de dire qu’elle n’a jamais détesté les Tutsi. Elle à même prouvé le contraire. Elle redit que son mari, accusé pour les massacres de l’église de Rukara, a été acquitté.
A maître BOURGEOT elle dit qu’elle ne connaissait BARAHIRA que de vue pour l’avoir rencontré au Kenya. En prison à Kibungo, elle n’a rien entendu dire sur son client. Sur question de l’avocate, elle évoque la situation des témoins à décharge de son mari pour redire ce qu’elle a déjà dit.
Connaît-elle Innocent BAGABO ? Elle le connaît. Il habitait Gahini. Il est venu témoigner en faveur de son mari. Il était responsable d’une association des droits de l’homme et on l’a emprisonné. Elle ne sait pas s’il était considéré comme un juste. L’avocate précise qu’il a fait l’objet d’une demande d’extradition. (NDR. Innocent BAGABO fait partie des 42 personnes réfugiées en France et visées par des mandats d’arrêts internationaux. Elle ont toutes bénéficié d’un refus d’extradition par la Cour de cassation. Voir le site du CPCR à ce sujet [4]).
Plus tard, dans la soirée, madame la présidente lira la déclaration de son mari, Jean MPAMBARA, lors de son audition du 30 août 2011. (NDR. Jean MPAMBARA était venu témoigner en première instance, cité par la défense. L’avocat général l’avait alors accusé d’être venu faire un « témoignage de complaisance ».)
Madame la Présidente demandera à NGENZI s’il connaît les raisons pour lesquelles BARAHIRA a démissionné. L’accusé ne se mouille pas, il n’a pas été intéressé de savoir ! La présidente lui demande s’il a des commentaires à faire sur MPAMBARA. NGENZI s’embrouille dans ses réponses pour terminer en disant que « la situation était difficile.
Madame la présidente lui rappelle qu’il peut être normal de ne pas se souvenir, mais alors mieux vaut le dire ainsi. Elle fait tout de même remarquer qu’il y a trois déclarations différentes sur trois témoins. Qui faut-il croire ?
NGENZI se défend en mettant ces différences sur le compte du traumatisme, sur l’incarcération qui affecte la mémoire.
Maître LINDON signale qu’elle fera verser un document au dossier.

Audition de monsieur Guillaume ANCEL, présent au Rwanda lors de l’Opération Turquoise.
Guillaume ANCEL, officier de l’opération Turquoise en 1994 (document France Culture 2014 – D.R.)
Le témoin se présente comme un ancien officier des Forces d’actions rapides dans une compagnie de la Légion Étrangère au cours de l’Opération Turquoise, du 22 juin à août 1994. Il dit avoir été surpris à l’époque par ce que l’on disait sur l’Opération Turquoise et ce qu’il avait lui-même vécu sur le terrain. Il avait souhaité témoigner auprès de la mission parlementaire mais on le lui avait refusé. Il quitte l’armée en 2005 et souhaitait de nouveau témoigner. A partir de 2014, il accorde une centaine d’interview sur le sujet mais il subit des pressions. On veut effacer ce qu’il dit.
En 2018, il publie son témoignage aux Belles Lettres : Rwanda, la fin du silence. Témoignage d’un officier français. Il raconte au jour le jour l’expérience qui fut la sienne et évoque le rôle réel de la France dans le génocide des Tutsi en 1994.
• Dans la première partie de l’opération, ils avaient l’ordre de remettre au pouvoir le gouvernement génocidaire.
• Ensuite, créer une zone sûre pour favoriser l’exil des génocidaires.
• Le 15 juillet 1994, il assiste à une livraison dans dans un camp du Zaïre.
Il souhaite simplement dire que ce qu’il a fait au Rwanda n’était pas qu’humanitaire ; mais les archives étant toujours « bouclées », il est difficile de savoir ce qui s’est vraiment passé.
Sur question de madame la présidente, le témoin précise qu’il appartenait à une compagnie de la Légion étrangère qui était composée de 150 hommes. Ils étaient arrivés à Goma en vue d’un raid sur Kigali. Comme ils avaient « perdu » des véhicules au Gabon et en Centrafrique, ils ont dû renoncer à la mission.
Le 28 juin, il part pour Bukavu où on les maintient en réserve jusqu’au 30 juin pendant que se joue le drame de Bisesero. Le but était de lutter contre le FPR. Du 28 au 30 juin, ils ne reçoivent aucun ordre pour se rendre à Bisesero.
Du 30 juin au 1er juillet, ils devaient intervenir pour donner un coup d’arrêt à l’avancée du FPR dans la forêt de Nyungwe. L’opération de bombardement sera annulée au dernier moment, alors que les avions étaient prêts à décoller.

Ils seront ensuite missionnés pour protéger le camp de Nyarushishi. Quelques soldats africains participent à l’Opération, « pour la décoration ». Le commandement français se livre alors à un manège qui consiste à détruire feuille à feuille l’ordre qui concernait le raid sur Kigali afin qu’il n’en reste aucune trace. Lors d’une opération humanitaire, ils sauveront environ 150 personnes. Quant aux archives sensibles, il répète qu’elles sont « bouclées », surtout les archives de François MITTERRAND. Et d’ajouter : « Les archives sont ouvertes mais non consultables ». A-t-il reçu des menaces ? Oui, des menaces de licenciement dans son entreprise. Il a reçu aussi un message de la DGSE : « Attention quand vous serez moins médiatisés ! » Il reçoit des insultes de la part de ceux qui ne défendent que l’opération humanitaire.
Madame Aurélie BELLIOT précise que le témoin a été cité par la défense. Elle rappelle qu’on est ici pour juger deux personnes. Le témoin confirme les dates de sa présence au Rwanda et reconnaît qu’il n’est jamais allé à Kibungo. Il évoque alors un épisode rapporté dans son livre aux pages 90 à 93. Alors qu’il se dirige sur la route de Kagano, au nord de Cyangugu, il rencontre un bourgmestre et un prêtre et apprend qu’il n’y a aucun Tutsi dans la commune, « parce qu’ils ne couraient pas assez vite » aurait ajouté le curé. Aucun Tutsi n’avait pu leur échapper. Le témoin demande au bourgmestre ce qu’il ferait si les Tutsi reviennent. « Je suis en charge de la sécurité. J’ai tout ce qu’il faut ». Et de montrer au témoin un arsenal qu’il va lui confisquer. Le témoin veut tout simplement prouver que le bourgmestre joue un rôle clé dans la sécurité. Localement, il est le coordinateur et le décideur. De souligner ensuite le rôle très ambigu de l’Église catholique : des prêtres se vantaient d’avoir participé au génocide !
Monsieur BERNARDO, l’avocat général, s’étonne que le témoin craigne que son témoignage soit supprimé alors qu’on le trouve sur internet. L’ambiguïté de l’Opération Turquoise est connue depuis 2004 avec « Tuez-les tous » ! (NDR. Elle était en réalité dénoncée bien avant).
Le témoin précise que c’est lui qui a publié ce rapport et que lui ne relève pas de secret défense. Il répète que ce qu’il a fait au Rwanda ne correspond pas à ce que l’on dit de Turquoise. En 2014, il a provoqué des réactions violentes : on l’a traité de menteur, de mythomane.
La défense intervient en la personne de maître EPSTEIN. « Qui vous traite de mythomane ? »
Le témoin dénonce un site d’extrême droite sur lequel s’exprime Jacques HOGARD [5] (NDR. Jacques HOGARD est un colonel, ancien officier parachutiste de la Légion étrangère). Des nouvelles du fameux bourgmestre et du prêtre, il n’en a pas eu. Il précise qu’il est resté 50 jours au Rwanda, a participé à 30 opérations d’extraction et a rencontré une quinzaine de bourgmestres. Mais il ne les interrogeait pas car il y avait nécessité d’aller vite pour sauver les gens.
L’avocat de Octavien NGENZI évoque ensuite un article du Monde qui rapporte son envie de témoigner suite à un colloque de la Fondation Jean Jaurès. Le témoin donne des précisions. En 2009, on lui explique que ce qu’il a à dire n’est pas nouveau. En 2012, « la SNCF (le) quitte » et il éprouve le besoin d’écrire : « Vents sombres sur le lac Kivu ». Ce roman dérange : pure fiction ou témoignage réel ? En février/mars 2014, le témoin participe à un colloque présidé par Paul QUILLES. Historiens et juristes affirment que l’on n’a pas vraiment progressé dans la connaissance des événements. Et on lui demande d’intervenir. Alors, « 40 mâchoires se décrochent », dira Guillaume ANCEL. Les participants sont surpris par les réactions. Le directeur adjoint de l’Institut François MITTERRAND prend la parole : « Vous n’avez pas compris les ordres qu’on vous a donnés. Moi, je sais. »
Claudine VIDAL lui explique que son témoignage n’est pas valide car il est le seul à raconter ce qu’il dit ! La discussion commence à se tendre : Paul QUILLES se lève et stoppe les débats avec brutalité. « Je vous demande de ne pas témoigner sur le sujet car vos paroles pourraient déformer la vision que les Français ont de leur pays. » Laure De VULPIAN, de France Culture, publiera alors son témoignage [6]. Et le témoin d’ajouter que règne la culture du silence dans l’armée, et « le silence finit par vouloir dire amnésie ! »
Pourquoi n’a-t-il pas écrit en 1995 ? Le témoin s’est souvent posé la question. Mais dès son retour en France il est directement parti à Sarajevo et on lui a interdit de parler devant la Mission parlementaire ! Il précise qu’il n’a pas de conflit avec l’armée mais, « par le silence, nous n’avons pas à couvrir des opérations décidées au nom de la France ! »
Dans l’article du Monde, le témoin ne cache pas ses propres faiblesses. Le journaliste rapporte un « crime de guerre » qu’il aurait commis. Le 11 juillet, en effet, Guillaume ANCEL participe à une opération de recherche à Cyangugu. Des militaires sont installés dans un bâtiment religieux : il confisque les armes. En quittant le bâtiment, il aperçoit un groupe de miliciens qui ne se soucient pas de leur présence. Ils portent des restes humains autour du cou et l’un est équipé d’un gilet d’un parachutiste belge. Le témoin demande au légionnaire qui l’escorte de récupérer le gilet pare-balles. Ils tuent les 12 miliciens qui leur font face. (NDR. Rwanda, la fin du silence, pages 79 à 82.)
Sur question de l’avocat de NGENZI, le témoin confirme que son livre est préfacé par Stéphane AUDOIN-ROUZEAU.

Les autres témoins prévus au planning étant absents, madame la présidente décide de lire l’enquête de personnalité concernant Octavien NGENZI. Après la lecture faite par un des assesseurs, madame la Présidente rappelle à l’accusé qu’il a été condamné par des Gacaca [7]. A-t-il été condamné aussi à des réparations ? Ses biens continuent à être gérés par des membres de sa famille mais il a appris récemment que des gens étaient venus enquêter à Kabarondo.
A madame la présidente qui s’étonne que l’accusé n’ait pas parlé de l’agression qu’il a subie lors de sa fuite en Tanzanie. « C’est un oubli » se contente de répondre Octavien NGENZI.
L’accusé reprend la parole pour s’excuser d’avoir utilisé de faux documents lors de ses demandes à l’OFPRA.
Il est 20h25. L’audience est suspendue et reprendra le mardi 22 mai à 9h30.
Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. “France-Rwanda : un génocide sans importance” de Patrick de Saint-Exupéry (le Figaro – 12/01/1998) archivé sur “francegenocidetutsi.org”
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2. Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda. L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises d’État. Cf. “Glossaire“.
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3. Terme qui traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et l’autre modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.
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4. A propos de la demande d’extradition d’Innocent BAGABO :
– Affaire Innocent Bagabo: vers une extradition? Wait and see (juillet 2015)
– La Cour de Cassation rejette l’extradition d’Innocent BAGABO (octobre 2015)
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5. Le colonel Hogard ne mâche pas ses mots face à son ancien subordonné : “Je pense qu’il est totalement manipulé, aujourd’hui, par certains réseaux […] de milieux bobos, de bobos de gauche, mondialistes, un peu antimilitaristes… La France s’est peut-être mal conduite ici ou là mais, en âme et conscience, je ne pense pas qu’elle se soit mal conduite au Rwanda.” Ce à quoi Guillaume Ancel répond sur son blog “Ne pas subir” : “Cette confusion française entre l’obligation de réserve, qui relève du secret professionnel, et la culture du silence, qui consiste à cacher ce qui s’est passé, me semble particulièrement nocive. Je lui préfère, comme d’autres avant moi, une culture de la réflexion et de la responsabilité dans l’écrit pour que le silence ne devienne pas amnésie”.
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6. Le 7 avril 2014, 20 ans après le début du génocide, France Culture publiait : “Nouvelles révélations sur l’opération humanitaire française au Rwanda en 1994“.
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7. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Mardi 22 mai 2018. J9
23/05/2018
• Audition de M. Patrick BARAHIRA, fils de l’accusé.
• Audition de M. Jeochonias MUTABAZI, frère de BARAHIRA, en visioconférence.
• Audition de Mme Sandrine CLAMAGIRAND, officier de gendarmerie.
• Audition de M. Pierre PÉAN, cité par la défense.
Audition de Patrick BARAHIRA, fils de l’accusé.
Le témoin commence son audition par un long préambule dans lequel il exprime sa compassion pour les victimes « de cette tragédie qui a frappé notre cher pays… » Il continue en évoquant le besoin de pardonner, de tourner la page en vue d’une réconciliation. Il exprime ensuite sa totale confiance en la justice française en espérant que seront jugés tous les « crimes commis contre le peuple tutsi, le peuple hutu et le peuple twa !».
Le témoin de continuer en évoquant la première fois où il a appris que son père était poursuivi : « Ce fut un choc. » Ce n’était pas le père qu’il avait connu, lui qui n’a jamais montré de haine envers les Tutsi.
Et de conclure sa déclaration spontanée en avouant que ce n’est « pas facile à porter », qu’il fait confiance en la justice française indépendante, « même s’il peut y avoir des pressions ».
La présidente demande au témoin de rappeler les circonstance de leur fuite en Tanzanie, jusqu’au camp de Benako où régnait une sécurité relative : il n’a jamais eu de menaces. Son père ne possédait aucune arme : une machette pour les travaux finira-t-il par reconnaître. Ce n’est que plus tard, en Tanzanie, qu’il entendra parler de génocide.
Madame Aurélie BELLIOT, pour l’accusation, évoque le comportement de son père au cours de la première semaine : quant au comportement de son père pensant la semaine du génocide où ils étaient encore à Kabarondo, il ne peut pas dire grand chose sinon qu’il s’absentait pour aller chercher à manger et surveiller ses biens.
Au tour de monsieur BERNARDO d’intervenir en demandant quelle image il gardait de son père. « Il assumait son rôle protecteur, s’est toujours soucié de nous. Il était apprécié, avait été un maire populaire et respecté. Des gens venaient nous visiter à la maison mais il n’a jamais cherché à nous intéresser à la politique. Je suis fier de lui ». En fuyant, le témoin déclare que le FPR était tout près, mais il n’a pas vu de soldats: des bruits d’armes seulement. Ils ont fui à pieds, au cœur d’une foule.
Maître BOURGEOT, l’avocate de son père, prend des nouvelles de sa mère : elle a assez mal vécu son audition lors du procès en première instance. Elle lui fait aussi préciser la topographie des lieux, l’emplacement de la maison par rapport à la route (NDR. La maison de BARAHIRA était située un peu en-dessous de la route, à gauche en allant sur Kibungo, en dessous d’une petite forêt d’eucalyptus.)
A-t-il perdu des gens de sa famille? Quelques membres de sa famille maternelle. D’autres seraient morts après le génocide! On ne connaît pas les circonstances.
A-t-il gardé des contacts à Kabarondo? Il a contacté des témoins mais ils ont peur de parler. Certains ont refusé de parler!
Son père? Discret, ne parle pas beaucoup, généreux, courageux. Il était ami avec NGENZI.


Audition de monsieur Jeochonias MUTABAZI, frère de BARAHIRA, en visioconférence.
Comme le témoin ne sait pas comment commencer son audition, madame la présidente va le soumettre à une série de questions auxquelles il aura parfois du mal à répondre. Si son frère a démissionné de sa fonction de bourgmestre, c’était “sa propre volonté”. On n’en saura pas plus. Il habitait à Rugazi, près de Cyinzovu, voyait souvent son frère et ne sait rien sur ses activités politiques. S’il n’a pas fui, c”est parce qu’il était malade. C’est aussi pour cela qu’il n’a pas participé à la réunion sur le terrain de foot: il ne sait d’ailleurs pas qui l’a convoquée. Il n’a jamais été blessé, rien ne lui a fait peur. Il n’a assisté à aucun massacre, il est resté chez lui. Les massacres à l’église? Il en a entendu parler, mais plus tard! Il ne se souvient pas combien de gens peuplaient la cellule de Rugazi : il ne pouvait pas les compter. Des morts, il n’y en a pas eu dans la cellule.
La présidente lui apprend qu’il est en train de parler devant la Cour d’assises de Paris : il ne savait pas que le procès était en cours.
Aux questions de maître PARUELLE, il répond que s’il n’avait pas été malade, il aurait fui, comme tout le monde : c’était la guerre, personne ne disait de fuir. Il a bien entendu des bruits de tirs de là où il était.
Monsieur BERNARDO interroge à son tour le témoin. Le témoin a appris l’attentat aux informations. Quant à BARAHIRA, il possédait une forêt et des maisons. La famille a récupéré ses biens qui sont gérés par son neveu, NSENGIMANA.
Maître BOURGEOT cherche à savoir comment il est venu à Kigali. C’est le Parquet qui l’a convoqué. Il ne sait même pas que son frère est dans la salle. Il est amené à dire qu’il est seul dans la salle où se fait la visioconférence. Ce n’est que lors de la collecte d’informations par les Gacaca [1] qu’il a appris que son frère était accusé. On aura du mal à savoir par contre comment seraient morts certains de ses frères! Une de ses sœurs, Juliette TABITA a aussi été incarcérée à son retour, mais il ne sait pas pourquoi. Il termine ne adressant un bonjour à son frère qu’il n’a pas revu depuis 1994.

Audition de madame Sandrine CLAMAGIRAND, officier de gendarmerie.
Le témoin a travaillé sur les dossiers du génocide de mars 2011 à août 2016 au cours de seize déplacements au Rwanda. Elle va développer les conditions dans lesquelles se sont déroulées les auditions de témoins. Ils intervenaient toujours en binômes, se relayant dans les auditions ou la recherche des témoins. Elle évoque sa collaboration avec les membres du GFTU, section du parquet de Kigali en charge des fugitifs. malgré la présence permanente d’un officier de police judiciaire, en la personne de Méthode RUBAGUMYA, ils ont toujours pu travailler en toute liberté et indépendance. L’OPJ rwandais ne participait jamais aux auditions qui se faisaient à partir d’un canevas préétabli. Ils ont toujours fait attention au choix des interprètes. Les enquêteurs avaient le souci de vérifier la véracité des témoignages qu’ils recoupaient souvent entre eux.
Questions de madame la Présidente auxquelles répond le témoin. “Pour aborder un tel dossier, on s’attache aux faits.” Pour se familiariser avec le contexte, on discute sur place avec les policiers du GFTU, on lit des documents, ceux du TPIR, des livres, on regarde des films. Personnellement, elle a surtout travaillé dans l’Est du Rwanda, dont quatre sur Kibungo. Elle revient sur sa liberté totale de travailler: “On arrivait à faire ce qu’on voulait.” Au cours de ses investigations, elle a été amenée à rencontrer des collègues belges, canadiens… Le témoin précise qu’à Kabarondo les lieux n’ont subi que des modifications peu significatives.
Madame la présidente s’étonne qu’on ne possède aucune photo de la maison de BARAHIRA alors qu’on en a beaucoup d’autres. Le témoin reconnaît qu’elle n’a travaillé que ponctuellement sur cette affaire. Elle n’a pas le souvenir d’avoir rencontré des difficultés venant du parquet de Kigali. Par contre, aucune distinction entre Hutu et Tutsi lors des auditions, même si on leur demander de préciser leur “ethnie”. Le témoin de redire qu’ils avaient de bonnes relations avec les autorités locales, question de “rentabiliser les missions“. Et de bien préciser qu’ils étaient soucieux de la confidentialité des auditions. Ces rencontres duraient longtemps.
Des témoins pouvaient répondre pour plaire. Mais habitude de recouper les témoignages. Quant aux récompenses, nous n’en donnions jamais, contrairement à certains enquêteurs étrangers qui avaient donné la mauvaise habitude de “rétribuer” les témoins. Les témoins incarcérés, ils les faisaient généralement extraire de leur prison pour les interroger.
Quand les témoins utilisaient le verbe “travailler”, il s’agissait bien de “tuer”. “Se mettre en sécurité” faisait allusion au fait que les gens se réfugiaient dans les églises, traditionnellement des lieux de protection, ou qu’on les y rassemblait.
Au tour de maître LAVAL d’interroger le témoin. Il souhaiterait connaître l’impression du témoin quant à la crédibilité des personnes interrogées. Madame CLAMAGIRAND reconnaît qu’on pouvait avoir des doutes sur la crédibilité de certains témoins mais ce n’était pas une généralité. A la demande de l’avocat, elle précise la distance entre l’église et le local communal : “100 mètres à tout casser”. Quelqu’un qui se tenait devant la commune pouvait évidemment tout voir ce qui se passait à l’église.
Madame Aurélie BELLIOT cherche à savoir si à Kabarondo on avait utilisé le même mode opératoire. Le témoin de répondre par l’affirmative: rassemblement dans les églises puis jet des corps dans les fosses. Le témoin est amené à préciser qu’ils avaient plus de liberté au Rwanda qu’en Belgique pour auditionner les témoins car c’est eux qui faisaient les auditions. En Belgique, c’était les Belges qui auditionnaient.
Maître BOURGEOT cherche à connaître la formation qu’avait le témoin sur l’histoire du Rwanda. Madame CLAMAGIRAND évoque ses échanges avec d’autres enquêteurs, ses lectures. Et de rappeler qu’elle n’est plus dans les dossiers rwandais depuis deux ans, qu’en tant qu’enquêtrice, elle s’intéressait au factuel. Elle est entrée dans le dossier à partir de la plainte du CPCR mais pas seulement. Surtout à partir des dossiers du GFTU. Suivra une série de questions sur les témoignages recueillis par le GFTU, sur les relations du GFTU avec le CPCR.
A l’avocate qui s’étonne que les enquêteurs aient pu recevoir l’aide d’associations de victimes, le témoin reconnaît au contraire que ces associations les ont beaucoup aidés. Quant à savoir si les témoins étaient “préparés”, l’enquêtrice répond que la trame qu’ils utilisaient les aidait à se sortir des discours stéréotypés.
Maître CHOUAI veut savoir qui a élaboré la trame utilisée lors des auditions alors que le témoin n’a pas reçu de formation. Ce dernier de répondre que c’est les magistrats qui ont fait la trame. Elle a lu la plainte du CPCR et les dossiers du GFTU.
L’avocat fait remarquer que toutes les auditions se terminent pas la même question: “Accepteriez-vous de venir témoigner en France?” Et souvent la même réponse : “Oui, à condition que cela n’ait pas de conséquences pour moi et ma famille“, laissant sous-entendre que les témoins auraient peur!
“- Pourquoi est ce toujours Méthode RUBAGUMAYA qui assure la “supervision” du GFTU?
– C’est lui qui connaissait le mieux le dossier” répond le témoin.
Et de reconnaître que c’était parfois difficile avec les autorités rwandaises. Les enquêteurs avaient des relations avec l’OPJ rwandais qui les assistait dans les missions. Il leur arrivait de manger ensemble. Et maître CHOUAI de lire un échange de courriels entre monsieur GRIFFOUL, enquêteur, et Méthode, courriels qui semblent révéler une “certaine proximité” entre les deux hommes! “Il nous a assistés pour la recherche des témoins” se contente de déclarer madame CLAMAGIRAND.
Et l’avocat de NGENZI de s’étonner que dans les prisons la collecte des informations lors des Gacaca [1] soit confiée à un prisonnier. “Avez-vous eu connaissance de ces taupes?” Le témoin ne sait pas.
Pour clôturer son intervention, maître CHOUAI évoque la parution d’un livre de Philippe LANSON, Le Lambeau, qui évoque son témoignage sur l’attentat du Bataclan pour montrer que le traumatisme peut créer des troubles de la mémoire! On lui fait remarquer à juste titre que c’est un très mauvais exemple car ce monsieur a été fortement blessé lors de l’attentat et qu’il ne peut se souvenir exactement de ce qui s’est passé.

Audition de Pierre PÉAN, cité par la défense.
Le témoin commence par dire qu’il ne connaît pas le dossier traité par la Cour d’assises mais il veut tout de site déclarer que le fait que le pôle génocide participe à la “justice des vainqueurs” est une source d’injustice. Et de rappeler ses “hauts faits” en matière de littérature d’investigation. Et de révéler que s’il s’est intéressé au sujet c’est parce qu’il était proche d’un Africain qui était en relation étroite avec l’unité de missiles qui a tiré sur l’avion (NDR. Il eut été intéressant d’en savoir un peu plus sur cette révélation!)
Pour lui, l’attentat est quelque chose d’essentiel. S’il est avéré que c’est KAGAME qui a fait abattre l’avion, ce dont il est certain, il faudrait réécrire l’Histoire.
Et d’évoquer la publication de “Noires fureurs, blancs menteurs” qui lui a valu tant de malheurs (NDR. Un tissu de mensonges et de calomnies!), ainsi que les autres ouvrages ou articles qu’il a commis par la suite. Les gens qui n’étaient pas d’accord avec lui lui ont “pourri la vie”! Pire, le procès auquel il a dû faire face était porté par SOS Racisme alors qu’il était lui-même parrain de cette association. D’où la réputation de raciste, de négationniste qui lui colle à la peau. Il dénonce la violence des attaques subies : dire qu’on a osé comparer son livre à Mein Kampf! On va même jusqu’à le considérer comme un antisémite! En fait, son analyse repose sur le rapport BRUGUIERE (NDR. Complètement déconsidéré par son manque d’objectivité et démenti par celui du juge TREVIDIC qui a été nommé après lui.), et sur celui de la justice espagnole.
On l’accuse de ne pas s’être rendu au Rwanda? Il s’en félicite plutôt car on ne va pas dans une dictature. Et de commencer à s’en référer à Carla del PONTE et Louise HARBOUR qui n’ont pu mener leurs enquêtes à leur guise, surtout en ce qui concerne les crimes du FPR. La compétence universelle? “Une bonne idée, mais pas avec une dictature et une autre culture.” Lui s’en tient à la dénomination utilisée autrefois: “Le génocide des Tutsi et des Hutus modérés. ” (NDR. En réalité, ce n’est pas tout à fait la bonne formule souvent utilisée autrefois: “le génocide des Tutsi et le massacre des Hutu modérés”. Ce n’était pas une bonne formulation. Mieux valait parler des “Hutu d’opposition.”)
Revenant sur les témoins, il soutient la thèse de la défense qui dit qu’il est difficile de trouver des témoins à décharge, dénonçant au passages “des témoins qui seraient pris en mains pour qu’ils disent ce que veut le Rwanda”. Et de dénoncer violemment le témoin Oreste INCIMATATA, prêtre de la paroisse de Kabarondo qu’il accuse d’avoir fait partie du DMI, les services secrets du FPR. Et de faire allusion au témoignage d’un certain Marcel GERIN qui accuse le FPR d’avoir massacré plus de 30 000 civils à Kabarondo!
Et de clôturer sa déposition par une attaque en règles du CPCR dirigé par Alain GAUTHIER, “le relai du procureur au Rwanda.” Et d’ajouter, sans scrupule: ” GAUTHIER va faire ses emplettes au Rwanda, c’est lui qui maîtrise les cibles.” (NDR. Attaques mensongères et calomnieuses, aussi minables que celui qui les profère.)
Madame la présidente commence par lui rappeler que la Cour d’assises est indépendante et ne dépend pas du pôle crimes contre l’humanité. D’où lui vient d’ailleurs cette dénonciation de “la culture du mensonge“? ” C’est culturel depuis des siècles” répond le témoin. Il a lu beaucoup de spécialistes qui en parlent.
Dans son livre “Noires fureurs – blancs menteurs”, l’outrance des propos de Pierre PÉAN rappelle celle des médias de la haine.
A ce stade, madame la présidente remet maître EPSTEIN à sa place en lui rappelant qu’elle pose les questions qu’elle souhaite poser.
Maître PARUELLE pose la même question. Le témoin de préciser: “Il est dangereux d’enquêter au Rwanda”. Ses travaux s’appuient sur les témoignages des exilés. Pour savoir ce qui se passait en Russie, on s’est basé sur le témoignage des dissidents. Pas besoin d’aller sur place.
Les morts de Kabarondo, à qui faut-il les attribuer? Et le témoin de confirmer ce qu’il a déjà dit. Pour lui, Kabarondo évoque trois choses: ce qu’a dit Marcel GERIN, le rapport GERSONI et les travaux du TPIR.
Maître LAVAL intervient à son tour. Il revient sur la “justice des vainqueurs” et demande au témoin s’il a à l’esprit, dans l’histoire judiciaire récente, des exemples où il a été question de la justice des vainqueurs. Le témoin s’embrouille, dénonce les crimes du FPR… L’avocat du CPCR lui cite alors les deux cas dont il veut parler: le procès de Nuremberg et le procès de Tokyo. Et d’ajouter: “Ce sont les défenseurs les plus ardents des criminels de guerre nazis et japonais qui ont utilisé cette expression! Çà vous assomme?” (NDR. Le témoin est renvoyé dans son camp, décontenancé.) Pour lui, Kigali a raconté une histoire qui ne correspond pas à la vérité.
Maître LAVAL enfonce le clou. “Le TPIR, c’est la justice des vainqueurs? la Cour d’assises de Paris, c’est la justice des vainqueurs?” PÉAN perd pieds : “J’ai dit ce que j’avais à dire.” Et de raconter son engagement auprès de Wenceslas MUNYESHYAKA! Maître LAVAL se doit de lui rappeler où en est la procédure. Quant à l’enquête sur l’attentat, l’avocat du CPCR s’étonne que le témoin parle de la procédure: ” Vous avez eu accès au dossier?”
Maître ARZALIER fait remarquer que quel que soit l’auteur de l’attentat, cela ne change rien sur la culpabilité des accusés.
Maître Kévin CHARRIER, autre avocat du CPCR, rappelle au témoin les raisons pour lesquelles le mandat de Carla del PONTE n’a pas été renouvelé. C’est une décision du Conseil de sécurité qui, à l’unanimité, a voulu que l’on recentre son travail sur l’ex-Yougoslavie. Elle n’était que 30 jours par an à Arusha, une “juge à temps partiel “! Et le CPCR? Ce serait une machine de guerre dangereuse? Combien de procès depuis 25 ans?
Au tour de maître GISAGARA d’intervenir. “Dans votre phrase, si on changeait Tutsi par Juifs, qu’est ce que ça deviendrait?” Madame la présidente le reprend, ce n’est pas le lieu de parler des Juifs. “Il ne faut pas brouiller les pistes.” Et l’avocat de rappeler que depuis janvier 2017 nier le génocide des Tutsi tombe sous le coup de la loi!
Madame BELLIOT, pour l’accusation, précise au témoin que le pôle n’est pas seulement chargé d’affaires rwandaises.
Monsieur BERNARDO, l’avocat général, demande au témoin vers quel message il veut nous amener comme témoin de la défense. PÉAN redit qu’il est difficile de travailler avec un pays qui est une dictature. Même les meilleurs spécialistes le disent. Et d’ajouter que depuis la publication du livre de Judi REVER au Canada, Filip REYNTJENS lui-même sait maintenant qu’il y a eu deux génocides. Et l’avocat général de rappeler qu’on est là pour juger deux hommes et que dans la mesure où l’affaire de l’attentat n’est pas terminée, on ne peut rien en dire.
Maître CHOUAI pour la défense a deux remarques à faire à l’accusation: il est choqué que l’avocat général ait parlé de “présumés responsables” en parlant des accusés, il n’y a que des “présumés innocents”! Quant à parler des élections dans les pays africains qui seraient des “élections de maréchal”, “c’est du racisme ordinaire”. Monsieur BERNARDO demande à l’avocat de bien vouloir retirer immédiatement ses propos!
L’avocat de NGENZI de revenir sur les plaintes de la justice espagnole qui a inculpé James KABAREBE, actuel ministre de la défense. La présidente rappelle qu’en Espagne on bénéficie aussi de la présomption d’innocence!
Maître EPSTEIN demande au témoin comment il fait ses enquêtes. Ce dernier confie qu’il travaille longtemps, qu’il cherche des documents et que son système est basé sur le temps. Il y a consacré quatre ans de sa vie. Et le témoin de confirmer que la défense bénéficie de beaucoup moins de moyens que l’accusation. Il s’inscrit en faux contre les accusations contre la France à Bisesero en particulier. Il finit par se demander s’il a bien fait de s’intéresser au sujet. “Il y avait trop de coups à prendre”. (NDR. IL oublie de parler de tous les coups qu’il a donnés lui-même!)
Interrogé sur le film “Tuez-les tous“, le témoin l’a vu mais il faudrait qu’il le revoie. Il s’est toujours dit en total désaccord avec leurs auteurs. Il préfèrerait que la Cour visionne le film de la BBC: “An untold story“.
La journée se termine par l’étude des conclusions de la défense qui demande un transport sur les lieux. La Cour rendra son avis dans les jours à venir.
Alain GAUTHIER

1. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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Procès en appel de NGENZI et BARAHIRA. Mercredi 23 mai 2018. J10
23/05/2018
Audition de madame Véronique MUKAKIBOGO, partie civile.
Avant l’audition du témoin, madame la présidente fat la lecture d’un courriel reçu de Kigali concernant la non comparution de Méthode RUBAGUMYA. Ce dernier n’est plus affecté au GFTU [1], et il n’a jamais reçu de citation à comparaître. Le courriel commençant par « Bonjour Monsieur Frédéric » (prénom de monsieur l’avocat général), ce dernier fait remarquer à la défense qu’il n’a aucune proximité avec monsieur RUBAGUMYA. C’est une façon fréquente au Rwanda de s’adresser à ses interlocuteurs. (NDR. La défense n’avait pas manifesté son étonnement lorsque monsieur GUICHAOUA parlait de JUVENAL pour désigner le président de la République, sans même le faire précéder de « monsieur »)
Le témoin commence par dire qu’elle est venue dire ce qu’elle sait sur messieurs NGENZI et BARAHIRA qu’elle rend responsables de la mort d’une dizaine de personnes de sa famille. Elle aura l’occasion de répéter que les renseignements qu’elle donne sur la période du 6 avril au 5 juillet elle les tient de nombreuses personnes rencontrées à son retour du Burundi où elle s’était réfugiée, où à partir des informations collectées lors des Gacaca [2].
Elle a bien connu les deux accusés qu’elle accuse d’avoir participé au plan d’extermination des Tutsi. Comme bourgmestre ou ancien bourgmestre, ils avaient une autorité sur la population. Ils ont appliqué les consignes données par RWAGAFILITA, l’homme fort de Kibungo [3], à qui ils devaient leur poste de bourgmestre. C’est à la suite de réunions auxquelles ils participaient que les ordres étaient donnés.
A Kabarondo, l’ambiance a changé avec l’attaque du FPR le 1er octobre 1990.
Le témoin accuse BARAHIRA d’avoir organisé une réunion à Cyinzovu et d’être l’auteur de l’assassinat de son beau-frère François,. Elle donne les détails de sa mort et rapporte les propos que l’ex-bourgmestre aurait tenus : « Voilà, on verra comment tu vas encore mieux parler français ! » BARAHIRA et François étaient les seuls à avoir fait des études. Et d’ajouter en direction des tueurs : « Je viens de vous donner l’exemple. » Toute le famille de François, sa femme et ses cinq enfants seront tués.
Le témoin évoque ensuite la mort de ses neveux. On était venu faire sortir les Hutu de l’église de Kabarondo : c’est là qu’il seront tués. Elle rend BARAHIRA également responsable de la mort d’une de ses sœurs.
Madame MUKAKIBOGO, pour illustrer la méchanceté de BARAHIRA évoque les conditions dans lesquelles il aurait démissionné de son poste de bourgmestre. On l’aurait démissionné pour avoir tué une personne de son entourage qu’il aurait ensuite traîné attaché à l’arrière de sa voiture.
Concernant NGENZI, elle parle de lui comme d’un « acharné » qui a beaucoup changé à partir d’octobre 1990. Il était allé jusqu’à renier ses anciens amis, dont Oscar KAJANAGE à qui il aurait dit : « Ne remets jamais les pieds à mon domicile. Si tu veux ma parler, viens me voir au bureau. »
Les massacres ont commencé à Rubira. NGENZI s’est rendu sur place, alerté par le conseiller Cyprien. Au lieu d’arrêter les tueries, il aurait interpellé les tueurs en leur disant : « Vous ne vous êtes pas encore débarrassé de l’ennemi alors que vous mangez leurs chèvres ! » C’était le 8 avril.
En rentrant de Rubira, NGENZI serait passé au domicile du témoin dont on avait déjà commencé à détruire la maison. Le bourgmestre refusera de transporter la vieille mère du témoin jusqu’à l’église : elle sera tuée un peu plus tard, jetée vivante dans les latrines d’un voisin chez qui elle s’était réfugiée. Le témoin termine sa déposition spontanée en disant qu’elle rend NGENZI et BARAHIRA, responsables de la mort des personnes tuées à l’église et de celle de huit membres de sa famille.
Sur question de la présidente, le témoin parle de ses relations avec BARAHIRA : ils n’étaient pas en mauvaise relation. Sa femme était son amie, quand elle était directrice d’école, l’accusé était bourgmestre. C’est lors de l’umuganda [4] que BARAHIRA lui reprochait de ne pas savoir travailler. Il était de notoriété publique que les bourgmestres étaient soutenus par RWAGAFILITA [3].
De quel parti était-il membre ? Le témoin évoque par erreur le PARMEHUTU, parti politique sous la première république de KAYIBANDA. Le mot MRND ne lui revient pas. (NDR. Il faut dire que le témoin va être interrogé pendant près de trois heures, en Kinyarwanda en début d’audience, alors qu’elle parle très bien français. Peut-être aurait-on pu lui demander dans quelle langue elle souhaitait s’exprimer car la visioconférence et la traduction ne permettent pas toujours de bien rendre compte de ce que veulent dire les témoins.) Quant à ses relations avec NGENZI, elle les qualifie de « superficielles ».
Madame la présidente lui demande à nouveau de redonner les dates qui la concernent. Elle confirme que le 6 au soir elle était à Butare puis qu’elle avait réussi à rejoindre le Burundi d’où elle était revenue le 5 juillet. C’est par la radio qu’elle a appris la mort de HABYARIMANA. Suivent des questions sur les contradictions que l’on peut déceler dans les différentes auditions auxquelles elle a été convoquées. Ce qu’elle sait, c’est que NGENZI a été condamné à 30 ans de prison par les Gacaca [2].
Maître ARZALIER questionne le témoin sur les parties civiles qu’il représente, dont la maman de Mélanie UWAMALYA, partie civile et présente dans la salle. Elle donne des indications sur les circonstances de la mort des membres de la famille de Mélanie.
Sur questions de maître GOLDMAN, avocate de la LICRA, elle redit que les deux accusés devaient leur poste de bourgmestre à RWAGAFILITA et qu’ils participaient aux réunions.
Maître CHARRIER, avocat du CPCR, questionne à son tour le témoin. Il voudrait lui faire redire ce qu’elle avait dit lors d’une audition mais en vain. NGENZI a bien été jugé par plusieurs Gacaca, mais pas par celle où elle participait. BARAHIRA aurait tué de ses mains un habitant de Kabarondo ? Tout le monde le disait. A la question de savoir si les bourgmestres pouvaient désobéir aux ordres, elle reconnaît qu’ils auraient pu faire autrement.
Maître PODONOU, pour la FIDH, revient sur les vexations subies par le témoin lors de l’umuganda [4]. « Il me lançait des piques parce que j’étais Tutsi. » Et de souligner qu’elle ne se laissait pas faire.
Sur question de l’avocat de la LDH, le témoin rappelle que la haine des Tutsi, c’est une longue histoire qui remonte à 1961. Elle a appris la mort des siens en rentrant du Burundi.
Madame Aurélie BELLIOT demande au témoin si, ayant perdu beaucoup de membres de sa famille, elle est retournée chez elle. Impossible, la maison avait été démolie. Elle n’est jamais retournée sur sa colline.. « Ils devaient me tuer le 7 ! » Même aujourd’hui elle a peur de retourner chez elle !
Au tour de monsieur Frédéric BERNARDO, l’avocat général, d’intervenir. A son retour du Burundi, le témoin s’est d’abord retrouvée au camp de Musamvu où on avait regroupé les gens. Elle ne peut pas dire combien il y a eu de rescapés à Kabarondo, mais il y en a eu très peu.. Elle ne sait rien sur les combats du FPR arrivé le 19 avril.
Parole est donnée à la défense. Maître BOURGEOT veut savoir les relations qu’elle a pu avoir avec le président du CPCR lorsque ce dernier s’est rendu à Kabarondo en 2010 : que lui a-t-il demandé ? Quel document lui a-t-elle remis ? Une copie du dossier ? C’est apparemment une question qu’elle aura l’occasion de poser à Alain GAUTHIER. Le témoin ne se souvient plus. Quant à l’assassinat de François, son beau-frère, elle est catégorique : c’est bien BARAHIRA le responsable.
Arrive ensuite une question quelque peu incongrue : « Vous auriez refusé de vous marier avec RWAGAFILITA ? » « C’est la vie privée » répond le témoin ! Et l’avocate d’ajouter : « Il aurait épousé une Tutsi ? » (NDR. Le témoin ne répond pas. Mais qui peut croire qu’il se serait gêné. Combien de hauts dignitaires hutu avaient des femmes ou des maîtresses tutsi ! »
Enfin, BARAHIRA aurait refusé d’héberger un certain Olivier le soir du 13 avril ? Le témoin confirme.
La parole revient enfin à maître CHOUAI qui s’étonne, ironiquement, que le témoin ne connaisse pas le nom de son avocat. (NDR. On évitera de commenter!) Il s’étonne aussi que le témoin ne soit plus en possession des documents concernant cette affaire. Le témoin lui fait savoir que tous les documents ont été envoyés à Kigali après les Gacaca [2]. Et de conclure toujours ironiquement : « Vous avez des souvenirs précis de ce qu’on vous rapporte, mais pas sur les Gacaca auxquelles vous avez participé !”
On s’en tiendra là. Madame la présidente, vu l’heure, doit suspendre l’audience qui reprendra le lendemain à 9h30.
Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. GFTU : “Genocide Fugitive Tracking Unit”, section du parquet de Kigali en charge des fugitifs.
Lire également l’audition de Mme Sandrine CLAMAGIRAND, officier de gendarmerie.
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2. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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3. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails.
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4. Umuganda : travail communautaire, corvées communales obligatoires. Le nom de ces activités d’intérêt général, inscrites dans la tradition du pays (défrichage, entretien des chemins etc…) a été dévoyé par l’idéologie génocidaire pour désigner les tueries contre les Tutsi que les paysans avaient l’obligation d’accomplir (Cf. “Glossaire“).
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Jeudi 24 mai 2018. J 11
25/05/2018
• Interrogatoire de Tito BARAHIRA suite à l’audition de Véronique MUKAKIBOGO.
• Interrogatoire de NGENZI suite à l’audition de Véronique MUKAKIBOGO.
• Audition du lieutenant Olivier GRIFFOUL qui a commandé une unité de recherches au Rwanda.
• Audition de Hassan KALIMBA en visioconférence, cité par la défense.
• Audition d’Oreste NSABIMANA, cultivateur.
• Audition de Florian MUKESHAMBUKA, cultivateur.

Interrogatoire de Tito BARAHIRA suite à l’audition de Véronique MUKAKIBOGO.
L’accusé, qui dit avoir connu le témoin, est fort étonné de ses propos. II a du mal à s’expliquer ses mensonges. Il pense qu’elle est inspirée par les autorités mais ne sait pas si elle a participé à la Gacaca [1] qui la condamné. L’accusé reconnaît avoir eu des contacts téléphoniques avec des amis du pays et personne ne l’a vu commettre des crimes. BARAHIRA déclare ne rien avoir affaire avec la mort du beau-frère du témoin : François NTIRUSHWAMABOKO, le 9 avril. Il a appris sa mort par son voisin SEHENE. Mais il n’en sais pas plus. De toutes façons, tout ce qu’elle dit n’est que mensonges.
Interrogatoire de NGENZI suite à l’audition de Véronique MUKAKIBOGO.
L’accusé connaissait lui aussi le témoin. Il la décrit comme une femme autoritaire : elle peut ajouter ce qu’elle veut à ses déclarations. NGENZI classe les témoins en trois catégories :
• Ceux qui ont participé à l’élaboration des témoignages, comme l’abbé INCIMATATA.
• Ceux qui veulent se racheter auprès du FPR.
• Les parties civiles qui se sont constituées en premier lieu.
Véronique ne lui avait jamais montré d’animosité.
Quant à RWAGAFILITA [2], il n’a jamais eu de « relations intimes » avec lui, de relations privilégiées.
Il aurait participé à des réunions ? Le témoin aurait dû préciser les dates… C’est un montage.
L’accusé déclare n’avoir joué aucun rôle à l’église. La mort de sa mère ? On ne lui a pas donné la bonne version. NGENZI souligne les contradictions de son témoignage.
Il est d’accord avec BARAHIRA. Son témoignage est une « manipulation ». Le gouvernement veut diviser les Hutu et les Tutsi ! (NDR. Cela n’a que peu de rapport avec la politique de réconciliation que tout le monde reconnaît).
BARAHIRA veut reprendre la parole. On l’accuse d’avoir tué quelqu’un : c’est un mensonge. Il ne connaît même pas la victime. Il veut parler aussi de l’ambiance qui régnait lors de l’umuganda [3]. Madame la présidente relativise les propos du témoin.
« Elle devait se marier avec RWAGAFILITA ? » demande la présidente. « Elle avait l’habitude de refuser les maris » lâche BARAHIRA !
Audition du lieutenant Olivier GRIFFOUL qui a commandé une unité de recherches au Rwanda.
Le témoin explique comment il a été amené à travailler sur les dossiers rwandais. Il a fait plusieurs séjours dans ce pays : les missions duraient environ trois semaines. Il avait des liens avec le GFTU [4] dont un officier de police judiciaire qui l’accompagnait, Méthode RUBAGUMYA.
Monsieur GRIFFOUL parle de la compétence universelle au nom de laquelle on peut juger en France des étrangers qui ont commis des crimes à l’étranger (NDR. A condition qu’il soit sur le sol français au moment de la plainte. Important de souligner que c’est presque toujours à l’initiative des parties civiles que les plaintes sont déposées.)
NGENZI aurait changé de comportement à partir de 1990, suite à l’attaque du FPR que certains considèrent comme l’élément déclencheur du génocide. A Kabarondo, c’est l’attentat qui a été l’élément déclencheur : des tueries ont eu lieu assez vite dans les cellules environnantes de Kabarondo. Les Tutsi se sont regroupés à l’église ou on les a rassemblées dans ce lieu de culte traditionnellement inviolable. Très vite, il y aura entre 2000 ou 3000 personnes. Le curé de la paroisse avait commencé à établir une liste pour gérer l’intendance. C’est le 13 avril que l’église sera attaquée.
Le témoin va alors décrire longuement la chronologie des événements pour parler des massacres de l’église, du Centre de Santé et de l’IGA [5]. NGENZI va peu à peu prendre conscience que tous les Hutu ne sont pas partants pour aller tuer. Et le témoin d’évoquer aussi les déplacement du bourgmestre vers Kibungo.
BARAHIRA ? Il avait des activités en périphérie de Kabarondo. Ex-bourgmestre, il a gardé une certaine autorité. Au cours d’une réunion, il a appelé au meurtre des Tutsi. Le FPR serait arrivé autour du 19 avril alors que les autorités locales avaient fui vers la Tanzanie où les communes se sont réorganisées sous l’autorité des bourgmestres.
Sur questions de la présidente, le témoin évoque à la fois les similitudes mais aussi les différences entre les régions du pays. L’Est se sentait délaissé d’où la création du Club de Kibungo, au départ un groupe d’entrepreneurs [6]. Et le témoin de rappeler non seulement l’opposition Hutu-Tutsi, mais aussi l’opposition Hutu du Nord et Hutu du Sud ou de l’Est.
Le témoin confirme, à la suite de madame CLAMAGIRAND, qu’il n’a pas rencontré de difficultés particulières dans son travail d’enquête auprès des personnes qu’il souhaitait rencontrer. Un OPJ rwandais les accompagnait sans participer aux auditions : il leur facilitait leur organisation et leur permettait de retrouver les témoins. Travail en relation étroite aussi avec l’Association d’Aide aux Témoins. Contrairement aux enquêteurs d’autres pays, ils ne rémunéraient pas les témoins. Et d’ajouter que les personnes interrogées n’étaient pas influencées par le pouvoir. Ils avaient la liberté d’aller où ils voulaient et se faisaient aider d’interprètes conseillers le plus souvent par l’ambassade de France. Si une personne se sentait en danger, on l’indiquait dans le PV d’audition. Il a rencontré une quarantaine de témoins par mission. Pas de problème non plus pour accéder aux archives mais elles n’étaient pas toujours de bonne qualité.
Il est alors demandé au témoin de présenter la commune de Kabarondo. On projette cartes et photos. La RTLM était bien captée à Kabarondo où il n’y avait pas de gendarmes. RWAGAFILITA [2]? Il ne sait pas qu’il est mort au Cameroun en 1995. BARAHIRA avait gardé une certaine autorité d’ancien maire. Il était toutefois perçu comme « quelqu’un d’agressif, de violent ». On l’aurait démissionné de son poste de bourgmestre suite à des malversations financières. Si les bourgmestres se sont enrichis ? « C’était incontournable! »
Quant à NGENZI, il a opéré un revirement en 1990 et a conservé son autorité pendant le génocide : sa présence sur les lieux sans condamner les auteurs étaient ressentis comme une incitation à tuer. Il en est ainsi avec les Simba Bataliani [7] qu’il laisse faire.
Les « ABALINDA ? », des gens originaires de Rubira. C’était autrefois des chasseurs : ils avaient gardé leurs armes traditionnelles. Les policiers communaux participent aussi aux massacres. Ils tirent sur les fuyards, ont des fusils, des lance-grenades, des armes de poing. On entend les tirs de loin car on est sur une petite crête. NGENZI va encourager les gens à se rendre à l’église.
BARAHIRA activait la haine à Cyinzovu, c’était un leader charismatique.
NGENZI ? Il rassemble les gens à l’église, refuse d’assister les réfugiés, va chercher les Simba Bataliani et ne les condamne pas et il va chercher les militaires à Kibungo. Enfin, il donne l’ordre aux policiers communaux d’empêcher la fuite des Tutsi.
Monsieur Frédéric BERNARDO interroge le témoin. Il cherche à se faire préciser quels sont les pouvoirs réels des bourgmestres.
1) les moyens qu’il a mis au service de la mort, il aurait pu les mettre au service de la protection des Tutsi. Il aurait pu condamner les tueries.
2) NGENZI a fait venir les Simba Bataliani, des gens belliqueux concentrés sur leur secteur.
3) il aurait pu activer les rouages de l’État. Il avait un véhicule dans un pays où les gens marchent à pieds.
Le Bureau communal aurait pu servir de lieu d’accueil, même s’il n’y avait pas beaucoup de place
Questions de la défense (après une interruption pour entendre un témoin en visioconférence)
Maître CHOUAI a été étonné par un certain nombre d’affirmations du témoin. Il trouve gênant que beaucoup de témoins disent “on m’a rapporté, on m’a dit, je n’ai pas vu…” Monsieur GRIFFOUL se justifie : cela peut permettre d’écarter des témoins. Certains témoins sont juste des “témoins d’orientation” qui permettent d’accéder à d’autres. Quant à Oscar KAJANAGE, c’était une autorité, c’était pour nous un témoin important. Si un témoin vient avec des notes, ce qui peut se concevoir, nous le mentionnons: certains ont besoin d’aides mémoire seize ans après les faits!
Madame la Présidente rappelle à l’ordre maître CHOUAI : il s’approche trop près du témoin au risque de l’intimider. L’avocat cherche à se justifier et fait remarquer à madame la Présidente qu’elle n’a pas repris maître LAVAL qui aurait eu le même comportement!
L’avocat de la défense de s’étonner aussi que les auditions soient parfois interrompues pour des raisons qui ne se justifient pas. Le témoin s’explique et trouve que ce n’est pas choquant. En ironisant, maître CHOUAI fait remarquer que cela ne pourrait pas se passer en France. Monsieur GRIFFOUL acquiesce, mais il précise qu’il tient compte du contexte : “Au Rwanda, nous sommes des étrangers. On pouvait leur accorder une césure!”
“Et quand ils arrivent, c’est un torrent d’accusations” ajoute l’avocat, suspectant le témoin d’être allé se concerter avec d’autres!
Il évoque ensuite le témoignage de Médiatrice UMUTESI. L’origine de l’affaire, c’est la plainte du CPCR, un copier/coller d’un document du Parquet. L’avocat s’étonne que l’enquêteur parte de cette plainte. Et de citer Médiatrice : “Il est venu et je l’ai aiguillé vers des rescapés du génocide!” Monsieur GRIFFOUL fait remarquer que l’audition a été faite par son collègue GEROLD. “C’est le travail de l’enquêteur de commencer par les témoins de la plainte. C’est à lui de vérifier la qualité du témoignage.” ajoute le gendarme.
“La main du témoin tenue par l’association?” continue l’avocat. Et le gendarme de redire que l’enquêteur rencontre le témoin et se fait son opinion. Et maître CHOUAI de revenir sur le comportement de NGENZI lors de sa prise de fonction comme bourgmestre. Il n’y a pas eu de chasse aux sorcières.
Si KAJANAGE, KARAKEZI et INCIMATA n’ont rien reproché à NGENZI en 1990, c’est tout simplement car ils n’ont pas eu à souffrir de lui à cette date. On parle ensuite des différents lieux de la commune où vont se dérouler des massacres. L’homme de loi cherche à minimiser le rôle de son client. Puis il revient sur les liens que l’enquêteur pouvait avoir avec le GFTU [4] et avec Méthode en particulier. Il voudrait y voir une certaine connivence, ce que dément le témoin. Puis arrive la question inévitable : le Rwanda, dictature ou démocratie? L’avocat a son idée, bien sûr mais c’est au témoin de répondre et de reconnaître que c’est un pays sous contrôle, sécurisé.
Maître CHOUAI veut savoir si, du bureau communal on peut voir et entendre ce qui se passe à l’église. Selon le témoin, il était impossible de ne pas voir et de ne pas entendre. IL y a 52 mètres entre les deux!
“NGENZI n’avait pas d’arme!” affirme l’avocat de la défense. “Qu’attendre d’un homme désarmé?” (NDR. Ce n’est pas ce que révèlera un autre épisode qui sera évoqué probablement plus tard!) Et l’avocat d’ajouter: “A supposer que NGENZI ait été armé, qu’aurait-il pu faire face à CYASA et aux Simba Bataliani?” Réponse du témoin: “NGENZI n’avait pas besoin d’une arme pour affirmer son autorité!”
Maître BOURGEOT demande au témoin quels livres il a lu. Il ne se laisse pas influencer par ses lectures. Il a été aidé par des gens qui l’aidaient à décortiquer des documents. “Je n’ai pas une “bible” sur ma table de nuit”.
L’avocate demande au témoin s’il a travaillé sur le dossier SIMBIKANGWA. Pas du tout (NDR. Concernant SIMBIKANGWA, nous avons appris aujourd’hui que la Cour de cassation avait rejeté son pourvoi. Il devient ainsi le premier Rwandais à être définitivement condamné pour génocide. On peut imaginer la déception de ses avocats, maîtres BOURGEOT et EPSTEIN!)
“Et sur Bonaventure” poursuit l’avocate? (NDR. Qui peut comprendre cette allusion? Probablement s’agit-il de Bonaventure MUTANGANA, le “frère” de SIMBIKANGWA à propos duquel le parquet a ouvert une instruction suite au témoignage qui est venu faire lors du procès de son “frère”.)
Maître BOURGEOT parle des gens qui, au Rwanda, “sont surveillés et écoutés“! Le témoin n’infirme pas mais signale qu’il reste au Rwanda des membres de la famille de NGENZI et BARAHIRA et que certains témoins se sentent menacés! Elle refait dire au témoin que la base de ses investigations c’est bien la plainte du CPCR. Monsieur GRIFFOUL confirme mais il ajoute aussitôt qu’une fois sur place il cherche ses propres témoins. “La plainte du CPCR, c’est l’étincelle qui permet de faire démarrer l’instruction.” Son rôle? S’assurer que les témoins disent vrai!
NDR. La suite des questions ne présente pas un intérêt capital pour la compréhension des événements. Sauf bien évidemment le récit rocambolesque de BARAHIRA sur ses activités du 13 avril lorsqu’il aide le responsable d’Electrogaz à réparer le transformateur, récit qu’il avait déjà fait en première instance et sur lequel on reviendra probablement!)
Audition de Hassan KALIMBA en visioconférence, cité par la défense.
Le témoin, détenu, témoigne en faveur de son bourgmestre NGENZI et de son ancien voisin BARAHIRA. Il raconte les deux attaques dont il connaît l’existence : celle menée par MUTABAZI de Kigarama, et celle venue de Rubira, dirigée par MUGARAZI. C’est à cette dernière attaque à laquelle il a participé : il purge une peine de réclusion à perpétuité. Il n’a rien à dire de mal sur les deux accusés.
Monsieur BERNARDO veut avoir plus de détails sur l’attaque à laquelle il a participé lui-même. Il y a eu quatre morts qui ont été tués parce que c’était la guerre!
Maître BOURGEOT fait redire au témoin ce qu’il a déjà dit, revient sur les auditions d’un certain TWAGIRIMANA et ses contradictions. Le témoin ne sait pas qui a tué François. Lors des Gacaca [1] on aurait dit que c’est TURATSINZE, ce qui dédouanerait BARAHIRA. Il n’a pas entendu parler de la réunion au terrain de foot de Cyinzovu, a entendu parler des Interahamwe [8] mais n’en a pas côtoyé. Il confirme que, dans sa commune, il y a eu beaucoup de déplacés à cause de l’attentat et de l’avancée du FPR.
Monsieur BERNARDO demande qu’on lise certains témoignages et demande au témoin où il était lors de l’attaque de l’église. Il était chez lui à 7/8 km du Centre de Kabarondo : il a vu passer un bus qui transportait des militaires et a entendu des détonations.
Audition d’Oreste NSABIMANA, cultivateur.
Le témoin annonce un développement en trois parties, en fonction des dates qui ont précédé les massacres de l’église. Il semble toutefois qu’il se soit systématiquement trompé d’une journée.
Le 7 avril, la guerre a commencé. Le témoin rapporte le fameux événement que l’on pourrait intituler “Les chèvres de TITIRI”. Averti par le conseiller Cyprien, NGENZI serait venu et aurait reproché aux assaillants de tuer et manger les chèvres avant de s’occuper de leurs propriétaires. Il y aura trois morts dans la cellule de Rubira dans des affrontements.
Le 8 avril, les Interahamwe [8] de Gasharu sont venus attaquer Cyinzovu où ils ont trouvé des gens qui ne voulaient pas la guerre. Repartis à Rundu, ils se sont battus avec les habitants. On est allé chercher NGENZI qui est arrivé avec des policiers qui tirent en l’air pour disperser les gens. NGENZI ramènera chez lui le corps de Patrice tué la veille. Il reviendra le lendemain pour l’enterrement. On est en train de détruire sa maison. Le témoin voulait retourner chez lui pour récupérer quelques effets. NGENZI lui demande d’aller se réconcilier avec ses agresseurs.
Sur questions de madame la Présidente, il dit bien connaître les deux accusés. Il reconnaît l’épisode de TITIRI, on le lui a rapporté. Quant aux propos de NGENZI, il fallait y voir un encouragement à tuer. La présidente lit la déposition qu’il a faite devant les gendarmes français le 24 mai 2011. Il confirme l’ensemble de ses propos. Il est amené à préciser que sa femme était Tutsi, raison pour laquelle il voulait fuir.
Maître Loïc PODONOU refait dire au témoin que bourgmestre et ancien bourgmestre avait ardé leur autorité.
Madame Aurélie BELLIOT, pour l’accusation, demande des précisons sur les événements dont a parlé le témoin
Monsieur Frédéric BERNARDO refait dire au témoin qu’il n’était pas présent sur les lieux où se sont déroulés les faits. S’il éloigne sa femme, c’est parce qu’l avait refusé de participer à la ronde nocturne. Il a fui à la demande du conseiller, un membre de sa famille. Et d’ajouter que NGENZI avait le pouvoir d’empêcher les attaques malgré le fait que les gens étaient armés. Il connaissait RWAGAFIRITA [2] mais ne le côtoyait pas.
Maître CHOUAI rappelle au témoin qu’il a prêté serment… (NDR. Insinue-t-il qu’il aurait pu mentir?) et qu’il porte des attaques graves. Il reprend le fil des événements et déclare que “monsieur raconte des histoires qu’il a entendues”. Il s’étonne que NGENZI ne laisse pas finir le travail!
Maître BOURGEOT conclut la série des questions. Le témoin connaît un certain Étienne, ancien bourgmestre. Sait-il distinguer “Hutu entraînés” et “Hutu non entraînés”!!! et pose encore sa question sur l’identité des Interahamwe. Le témoin redit qu’il n’a pas eu connaissance de la réunion sur le terrain de foot.
Audition de monsieur Florian MUKESHAMBUKA, cultivateur.
Le témoin entre en saluant la salle et de commencer: “Je me tiens devant la Cour pour vous dire que j’aime la vie et la vie de mon prochain. Si je mens, je serai puni par Dieu.”
La guerre a commencé à Kigarama: on tuait les Tutsi et on pillait leurs biens. Sa commune est située en face de Kigarama. Avec les autres, il a repoussé les attaquants venus de Kigarama et se sont battus pendant trois jours. Repartis à Kigarama, ils ont volé une vache qu’ils ont tuée. Ils ont arrêtés les voleurs et les ont présentés sur la place devant tout le monde. Ils ont demandé l’aide de NGENZI qui est arrivé trop tard et aurait dit de les laisser aller manger leur vache : signal que les exactions pouvaient continuer. Les Tutsi sont alors se réfugier à l’église de Kabarondo. Le témoin en a hébergé.
Les voleurs sont revenus avec des lances, des arcs: ils criaient. Le témoin croise BARAHIRA armé d’une lance et d’une machette. Ce dernier marche derrière lui qui est accompagné d’un handicapé. Devant, sont partis les Interahamwe [8]. Le témoin profite du fait que BARAHIRA croise un connaissance pour lui fausser compagnie. Il est resté caché chez lui jusqu’à l’arrivée du FPR. Il n’a pas vu de cadavres, Dieu merci.
Madame la présidente lui fait préciser le lieu de son habitation, son ethnie et celle de sa femme: ils sont tous deux Hutu. Si en juin 2013, devant les gendarmes français, il parle de BARAHIRA et pas de NGENZI c’est parce qu’il s’agissait du dossier de l’ancien bourgmestre. On ne lui a pas posé de questions sur NGENZI. Mais il en a parlé en première instance.
Le témoin est ensuite interrogé sur l’épisode du vol des vaches. madame la présidente s’étonne qu’il n’ait pas vu de morts alors qu’il assiste aux massacres. Il se justifie en disant qu’il n”a pas fait partie de l’attaque. Il n’a rien au Centre de Santé et à l’église car il était chez lui. Il a entendu des détonations mais il est parti avec les gens qui venaient de Byumba. Il s’est toujours demandé pourquoi BARAHIRA avait participé alors qu’il avait une femme Tutsi.
A maître MARTINE, de la FIDH, il répond que BARAHIRA était seul, armé, et s’il n’avait pas obéi, il l’aurait tué.
Madame BELLIOT, pour l’accusation, souhaite des précisions sur la rencontre avec BARAHIRA. Il redit qu’il n’a pas parlé de NGENZI car on ne lui avait pas posé de questions sur lui.
Parole est donnée à maître BOURGEOT qui revient sur les Gacaca [1], demande au témoin s’il connaît des personnes dont elle donne les noms. Elle demande aux témoins s’il confirme des propos qu’il a tenus lors d’auditions antérieures: il ne savait pas si BARAHIRA était avec les tueurs et s’il était armé pour protéger sa femme.
Les derniers mots reviennent à maître CHOUAI. Il se lève, passablement énervé et clame: “Un dernier menteur pour la route!” Et de s’exclamer: “Vous êtes le seul à n’avoir pas vu de cadavres!” Réactions sur les bancs de l’accusation et des parties civiles. (NDR. On voit bien que maître CHOUAI est nouveau dans ces dossiers : SIMBIKANGWA n’a jamais vu de cadavres non plus. Il pourra demander à NGENZI combien il en a vu!)
Et de demander au témoin ce que contient l’enveloppe qu’il tient à la main. (NDR. N’ai toujours pas compris pourquoi on l’a laissé ouvrir l’enveloppe!)
Dernière bourde: “On vous annonce que la procédure concerne NGENZI et BARAHIRA et vous ne parlez jamais de NGENZI.” Tollé sur les bancs et dans la salle : c’est complètement faux. Lors de l’audition dont il était question, il ne s’agissait que de l’affaire BARAHIRA. Bien mauvaise fin de soirée.
L’audience est suspendue à 21h50
Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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2. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails.
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3. Umuganda : travail communautaire, corvées communales obligatoires. Le nom de ces activités d’intérêt général, inscrites dans la tradition du pays (défrichage, entretien des chemins etc…) a été dévoyé par l’idéologie génocidaire pour désigner les tueries contre les Tutsi que les paysans avaient l’obligation d’accomplir (Cf. “Glossaire“).
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4. GFTU : “Genocide Fugitive Tracking Unit”, section du parquet de Kigali en charge des fugitifs.
Lire également l’audition de Mme Sandrine CLAMAGIRAND, officier de gendarmerie.
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5. IGA : Centre communal de formation permanente.
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6. Club de Kibungo : au départ un groupe d’entrepreneurs qui avait vocation à dynamiser le commerce, il aurait peu à peu dérivé vers des motivations ethnistes “pro-Hutu de l’Est”.
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7. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, souvent cités pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
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8. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. “Glossaire“.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Vendredi 25 mai 2018. J12
26/05/2018
• Audition de Samson MUSONI, cousin de Tito BARAHIRA.
• Auditions d’Ernest NTAGANDA, Augustin NSABIMANA, Samuel NSENGIYUMVA et de Eliezer NGENDAHIMANA (cultivateurs).

Audition de monsieur Samson MUSONI, cousin de Tito BARAHIRA.
Le témoin, dans sa déclaration spontanée, déclare qu’il a bien rencontré les accusés pendant le génocide, sans préciser de dates. Il a fait un bout de chemin avec son cousin alors qu’il se rendait dans sa bananeraie mais ils se sont très vite séparés. Comme ils avaient entendu des clameurs, BARAHIRA a continué sa route et le témoin est rentré chez lui. Il apprendra qu’une réunion était organisée par son cousin mais quand il est arrivé, la rencontre était terminée et on lui a dit que son cousin était reparti. Il y aurait bien eu des pillages après cette rencontre. Des recommandations avaient été faites : il fallait veiller à la sécurité.
Quant à NGENZI, il dit être allé le voir, en tant que conseiller adjoint de secteur, pour lui signaler que la situation n’était pas bonne. Il a vu aussi l’abbé INCIMATATA. Le bourgmestre n’a pas réagi. Il reverra les deux accusés un peu plus tard à Benako.
On l’interrogera sur son rôle personnel, tout en lui disant que ce n’est pas lui qui est jugé : question de le mettre en confiance et qu’il puisse donner plus de précisions. On sent bien que le témoin est sur la réserve. Toutes les parties souligneront que ses déclarations sont contradictoires.
On retiendra toutefois qu’une réunion a bien eu lieu sur le terrain de football, qu’elle a été suivie de pillages et de massacres dans le secteur de Cyinzovu. Le reste, surtout en ce qui concerne BARAHIRA, il l’apprendra plus tard.
Auditions d’Ernest NTAGANDA, de Augustin NSABIMANA, de Samuel NSENGIYUMVA et de Eliezer NGENDAHIMANA.
Toute la journée sera consacrée à l’audition de témoins venus du Rwanda, tous cultivateurs de Cyinzovu et ses environs. Tous condamnés à des peines de prison qu’ils ont effectuées, ils sont venus donner leur version des faits. Si l’on doit noter un certain nombre de divergences entre les témoignages, c’est avant tout parce qu’ils ne veulent pas assumer les actes qu’ils ont faits eux-mêmes, enclins qu’ils sont à faire porter la responsabilité sur les autres. Ils ont pourtant juré de dire toute la vérité, mais c’est LEUR vérité.
Et puis, il existe aussi de nombreuses contradictions internes à chaque témoignage. Auditionnés à plusieurs reprises, à des dates parfois éloignées les unes des autres, on a du mal à y voir clair. Il suffira peut-être d’essayer de dégager quelques constantes de tous ces témoignages, même des certitudes :
1. Il y a bien eu une réunion qui s’est tenue autour du 13 avril 1994 sur le terrain de foot de Cyinzovu.
2. C’est bien Tito BARAHIRA qui l’aurait convoquée et dirigée.
3. Ce dernier aurait bien donné des consignes assez précises comme « assurer la sécurité ».
4. « Assurer la sécurité » voulait bien dire, dans l’esprit des témoins, « tuer les Tutsi ».
5. Des massacres ont bien eu lieu après cette réunion.
6. De Cyinzovu ou des environs, on a bien entendu des tirs, au loin.
La présence de NGENZI à cette réunion semble bien devoir être écartée. Par contre, un témoin aurait vu passer sa voiture sur la route macadamisée, dans le sens Kibungo/Kabarondo. Peut-être est-ce un point qui pourra être éclairci quand on abordera les témoignages sur les massacres de l’église le 13 avril.
Alain GAUTHIER, président du CPCR

Rejet du pourvoi en cassation pour Simbikangwa: précisions.
28/05/2018
Nous vous avions déjà signalé le rejet du pourvoi en cassation dans le dossier SIMBIKANGWA, ce qui en fait la première personne définitivement condamnée pour génocide en France.
“Devant la Cour de cassation, donc, qui se prononce sur les respect des droits, la défense soulevait notamment deux questions : le fait que la Cour d’assises ne se soit pas transportée sur les lieux et le fait que le récit des audiences ait été relaté sur le site internet d’une association partie civile au procès (NDR. Le CPCR), violant ainsi selon elle, la présomption d’innocence. La Cour de cassation a rejeté ces arguments, confirmant de ce fait la sentence.” (RFI)
Il se trouve que les avocats de SIMBIKANGWA ont repris du service en assurant la défense de Octavien NGENZI (maître EPSTEIN) et de Tito BARAHIRA (maître BOURGEOT). Or, la défense de NGENZI a assigné le CPCR en référé en l’accusant de relater le procès en appel des deux accusés sur son site internet. Il semblerait bien que la justice ait donc déjà tranché. Attendons le 1er Juin, jour où nos avocats plaideront.
En attendant, le procès en appel de NGENZI et BARAHIRA, condamnés tous deux en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité, continue. Depuis deux jours, ce sont les témoins venus du Rwanda qui ont commencé à être entendus. Le verdict est censé être rendu le 6 juillet.
Alain GAUTHIER

Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Lundi 28 mai 2018. J 13
28/05/2018
• Audition de Patrice NGIRUMPATSE, cultivateur.
• Audition de Félicien KAMANA, cultivateur.
• Lecture du PV d’audition de madame Pauline NYIRAMASHASHI, décédée.
Madame la présidente donne lecture du courriel que maître BOURGEOT a adressé à monsieur Méthode RUBAGUMYA, OPJ du GFTU [1] lors des enquêtes, qui ne s’est pas présenté alors qu’il était cité par la défense.
Maître BOURGEOT remet un document de sa fabrication concernant les subdivisions administratives de la commune de KABARONDO. Monsieur BERNARDO fait remarquer que le document contient des erreurs et qu’on ne peut le valider sans examen plus approfondi.
Maître ARZALIER fait part à la Cour qu’il entend citer des parties civiles. Madame la Présidente lui fait judicieusement remarquer qu’on ne peut citer de nouvelles parties civiles en appel.

Audition de monsieur Patrice NGIRUMPATSE, cultivateur.
Le témoin déclare qu’il a participé à la réunion sur le terrain de foot de Cyinzovu, réunion dont il avait appris la tenue par Manassé MUTABAZI. Quand il est arrivé sur place, beaucoup de participants en armes (gourdins, bâtons, lances…) se trouvaient là. Il faut dire que les absents étaient menacés de sanctions sévères. La rencontre était animée par MUMVANO mais BARAHIRA se tenait bien à ses côtés.
« A partir d’aujourd’hui, vous allez commencer à tuer les Tutsi » aurait dit MUMVANO. A quoi BARAHIRA aurait ajouté : « Vous, gens de Rugazi, entrez assurer la sécurité chez vous ! » Après avoir quitté le terrain, le témoin et son groupe sont passés par la Forêt du Projet où ils ont tué trois Tutsi. Il nomme les tueurs en minimisant son propre rôle : il était présent, c’est tout. (NDR. On connaît bien ce système de défense : toujours le même !)
Madame la présidente ne manquera pas de mettre le témoin en face de ses contradictions. MUTABAZI, son grand frère, ne lui avait pas annoncé l’objet de la réunion : on ne questionne pas une autorité !
« Pourquoi tuer les Tutsi ? » interroge la présidente. C’est suite à la chute de l’avion ! Et le témoin d’évoquer la visite du ministre de la justice qui est venu leur demander d’avouer les faits devant les Gacaca [2]. Sur question de madame la Présidente, le témoin affirme qu’il aurait quand même avoué sans la demande du ministre : « C’était lourd ! » Pour lui, « assurer la sécurité », c’était rester chez soi ! Et pourtant, avant de rentrer, ils ont tué trois Tutsi ! C’était dans le plan de tuer les Tutsi : il connaissait les personnes assassinées, mais, étonnamment, il ne savait pas qu’elles étaient Tutsi ! Comprenne qui pourra. Après le meurtre, il est rentré chez lui et est resté trois jours sans manger tellement il était « tourmenté ». Des massacres de l’église, le 13 avril, il ne sait rien. D’ailleurs, il n’a même pas entendu le bruit des armes !
Pourquoi avoir obéi aux ordres, alors ? « On ne peut pas désobéir à un ancien bourgmestre. » « BARAHIRA était aimé et respecté car il avait été un bon bourgmestre pendant longtemps. Nous l’aimions beaucoup et ce qu’il disait, nous devions le respecter » avait-il déjà déclaré dans une précédente audition.
Les avocats des parties civiles font préciser au témoin deux ou trois points restés dans l’ombre.
Monsieur Frédéric BERNARDO, l’avocat général, souhaite savoir combien de temps a duré la réunion. « Environ 1 heure » précise le témoin. A l’avocat général qui veut savoir si la foule est silencieuse : « Comment voulez-vous parler quand une autorité parle ? »
Au tour de maître BOURGEOT, l’avocate de BARAHIRA, de questionner le témoin. Ce dernier a bien participé à une session Ingando [3], pendant un mois, mais il n’a pas appris grand-chose. Beaucoup ont avoué leurs crimes lors des Gacaca [2], pour sortir de prison, mais pas les innocents. L’avocate cherche à lui faire dire que tous ceux qui ne disent pas comme lui sont des menteurs, façon de discréditer les témoignages. « Comment voulez-vous que je sache qui ment ou ne ment pas » reconnaît le témoin.
Le dernier mot revient à maître CHOUAI, avocat de NGENZI. Il pose une question assez incongrue, sûr de l’effet qu’il va produire ! Ayant remarqué, comme tout le monde, que les témoins avaient été habillés avant leur venue, il ose la question : « Elles viennent d’où vos chaussures ? » Le témoin reconnaît que le Parquet de Kigali leur a fourni de nouveaux habits. « Vous ne pouvez pas partir sale et monter dans un avion. On doit se présenter propre devant le tribunal » répond tout simplement monsieur NGIRUMPATSE.

Audition de Félicien KAMANA, cultivateur.
Ce nouveau témoin ne dit rien de bien nouveau. A quelques différences près, il reprend les propos de celui qui l’a précédé. Il a appris l’attentat contre HABYARIMANA par la radio, le 7 avril. Il s’est rendu à la réunion sur le terrain de football avec NGIRUMPATSE. En chemin, il a coupé une branche en guise d’arme. MUTABAZI leur aurait dit alors qu’il s’agissait de tuer les Tutsi. Quant aux pillages, il n’y a pas participé, seuls « ceux qui avaient envie l’ont fait ! ».
Toujours le même discours concernant l’obéissance aux autorités. BARAHIRA n’était plus bourgmestre mais on ne pouvait pas ne pas lui obéir, même s’il n’était plus qu’un fonctionnaire d’Electrogaz. (NDR. Ne pas négliger le rôle que les grandes sociétés nationales ont pu jouer pendant le génocide, et tout particulièrement la société Electrogaz qu’on retrouve dans d’autres affaires.)
Par contre, lui, il a bien entendu les bruits de tirs, les explosions en provenance de l’église.
Vont suivre quelques questions dont une de maître BOURGEOT qui veut absolument faire dire au témoin qu’on leur a demandé de dire que BARAHIRA était présent alors que c’est MUMVANO qui dirigeait la réunion. Le témoin répond par la négative. A l’avocate qui se demande comment savoir la vérité, madame la présidente signale que « c’est le travail de la Cour ! » Le témoin a-t-il perdu des membres de sa famille ? « Oui, ils étaient malades et ils sont morts ». Probablement pas la réponse que maître BOURGEOT attendait.

Lecture du PV d’audition de madame Pauline NYIRAMASHASHI, décédée.
Voir le compte-rendu qui avait été fait de cette même lecture dans le procès en première instance à la date du 23 mai 2016. Préciser peut-être que le témoin accuse NGENZI d’être passé au Centre de Santé et d’avoir demandé qu’on achève les blessés et qu’on jette leur corps dans la fosse. Sans oublier de se battre contre le FPR.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. GFTU : “Genocide Fugitive Tracking Unit”, section du parquet de Kigali en charge des fugitifs.
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2. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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3. Ingando : camps de réinsertion pour ceux qui rentrent du Zaïre après le génocide.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Mardi 29 mai 2018. J 14
30/05/2018
• Audition de Silas MUTABARUKA.
• Audition de François HABIMANA en visioconférence, témoin cité par la défense.
• Nouvelles conclusions déposées par la défense.
• Lecture de deux PV d’audition de Jean-Pierre RWASAMIRERA.
• Audition de Noble MARARA. Transfuge du FPR, témoin cité par la défense.
• Auditions de la famille d’Octavien NGENZI.

L’organigramme administratif de la région de Kabarondo est proposé par la défense mais ne convient toujours pas à Monsieur l’avocat général. Il n’est pas au dossier et contient encore des erreurs.
Est versé au dossier le rejet du pourvoi en cassation de Pascal SIMBIKANGWA définitivement condamné pour génocide.
Une nouvelle fois la défense s’en prend au site internet du CPCR, « comptes-rendus déloyaux et infidèles », dégoûtant. Elle va jusqu’à dénoncer une caricature de NGENZI, agrandie et déformée pour en souligner « l’idéologie racialiste ». D’autant que la photo présentée fait partie d’un montage ignoble… Maître LAVAL dénonce à son tour « une vilaine cabale contre le CPCR ». Jusqu’où va-t-on aller dans ce procès pour lequel la défense appelait autrefois à la sérénité !

Audition de Silas MUTABARUKA.
Comme d’autres témoins, monsieur MUTABARUKA évoque la réunion sur le terrain de football de Cyinzovu et au cours de laquelle Tito BARAHIRA aurait demandé à l’assistance « d’assurer la sécurité ». Le groupe auquel appartenait le témoin tue trois Tutsi à la forêt du Projet : ils se rendaient vers l’église en provenance de Shyanda.
Madame la Présidente va passer à la série de questions traditionnelle. Pour le témoin, la réunion a eu lieu le 11 avril. Il n’en connaissait pas l’objet. Pour faire comme tout le monde, il s’est armé d’un bâton, était présent lors du meurtre et lors de la destruction de maisons. Tout cela s’est passé vers 9/10 heures. Il signale aussi la présence de NGENZI, à l’écart, dans sa voiture blanche. Il précise aussi que l’expression « assurer la sécurité » voulait bien dire « tuer les Tutsi », et qu’il n’a pas entendu MUMVANO prendre la parole.
On projette une courte vidéo sur le terrain de foot. Occasion pour le témoin pour dire qu’il n’a rien fait, qu’il a eu très peur et qu’il a pris ses jambes à son cou. Il sera toutefois condamné à 7 ans de prison après avoir plaidé coupable devant les Gacaca [1]. En prison, il n’a pas eu la visite du ministre de la Justice. Si le 13 avril il ne s’est pas rendu à l’église, il a toutefois entendu des détonations et aperçu beaucoup de fumée. Il signale enfin la présence d’une barrière au pont : des troncs d’arbres abattus.
Madame l’avocate générale cherche à obtenir des précisions sur le nom des tueurs et sur la présence de NGENZI lors de la réunion qui a duré 20 minutes.
De son côté, la défense veut savoir combien de temps il faut pour aller de Rugazi au terrain de foot. Le témoin ne peut répondre. Quant aux détonations, le témoin les attribue aux tirs du FPR. On lui fait remarquer qu’il est le seul à avoir vu NGENZI, dans son véhicule blanc.

Audition de François HABIMANA en visioconférence, témoin cité par la défense.
Le témoin commence par s’étonner de devoir redire ce qu’il a déjà dit en première instance : « Tout se trouve dans la machine » ! Tout au long de l’audition il reviendra d’ailleurs sur cet élément, refusant parfois de répondre.
Il évoque les différents métiers de BARAHIRA pour dire ensuite que les Interahamwe [2] ont détruit la maison de son frère GACUMBITSI. Lors de l’attaque, les vaches avaient fui chez BARAHIRA qui lui signalera les faits.
Sur BARAHIRA : « Il aimait les Tutsi parce que sa femme était Tutsi ! » Il ne sait rien sur les circonstances de la démission de son poste de bourgmestre : tous les problèmes qu’ils ont pu avoir étaient relatifs à la guerre. Il reconnaît des attaques de Tutsi, des pillages après le 7 avril. Il partira très vite en Tanzanie pour suivre les autres. Il n’a revu ni BARAHIRA, ni NGENZI. Il n’a même pas entendu parler des massacres du 13 à l’église [3] : il a simplement vu des réfugiés qui venaient du MUTARA (NDR. Région du Parc de la Kagera).
Monsieur l’avocat général lui fera remarquer que, concernant l’église, il a tenu des propos contradictoires. Très vite, d’ailleurs, il esquivera les questions, pressé d’en finir. (NDR. Encore un témoin qui n’aidera personne à y voir plus clair !)

Nouvelles conclusions déposées par la défense.
Conclusions déposées par la défense concernant un refus de passer outre : monsieur Méthode RUBAGUMYA, à l’époque OPJ du GFTU [4] qui a très souvent accompagné les enquêteurs français, ne s’est toujours pas présenté. La défense demande qu’on prenne toutes les mesures possibles pour le localiser et qu’il soit entendu au moins en visioconférence.
La défense souhaite vraiment l’entendre comme témoin. Maître LINDON lui fait remarquer que Méthode RUBAGUMYA n’est pas un témoin mais un enquêteur.
Ce sera autour de monsieur l’avocat général de faire remarquer que nous avons encore là « une demande particulière qui s’intègre mal dans notre procédure pénale. » Et d’ajouter : « On essaie de faire entrer par la fenêtre quelqu’un à qui on n’a pas ouvert la porte ! » De plus, il est faux de dire que Méthode a participé à l’enquête. Et en direction de la Cour : « Vous allez devoir passer outre ! »

Lecture de deux PV d’audition de monsieur Jean-Pierre RWASAMIRERA
Madame la Présidente va lire un long témoignage de monsieur Jean-Pierre RWASAMIRERA, décédé conseiller de Kabarondo. Elle en lira un second. La première audition date du 24 mai 2011 et la seconde du 16 novembre 2012.

Audition de monsieur Noble MARARA. Transfuge du FPR qui travaille en Grande Bretagne auprès des malades mentaux. Témoin cité par la défense.
Le témoin annonce quatre sujets dont il va parler.
• Le fonctionnement de la justice au Rwanda. « Calamité sans nom, réelle catastrophe au cours de laquelle la population s’est entre-tuée ». Tels sont les termes employés par le témoin qui signale avoir changé de nom pour des raisons de sécurité. Et d’évoquer la situation catastrophique de la justice au Rwanda qui serait gangrenée par une « corruption ineffable », dans un pays où des criminels ont été remis en liberté et où on a inventé des crimes pour poursuivre les intellectuels. Il se présente aussi comme ancien militaire de l’APR, proche du chef de l’Etat ! (NDR. Il semblerait qu’il ait été mécanicien dans un garage de l’armée).
• La guerre de l’APR. Le témoin évoque l’existence de « militaires techniciens » qui auraient infiltré la population et commis des crimes attribués ensuite à l’État rwandais. Il parle de « jugements politiques » où la corruption est omniprésente.
• La peur qui règne au Rwanda. Et de faire un tableau dramatique de l’organisation administrative du pays où l’État contrôle tout, jusqu’aux ministres qui « marchent la tête baissée ». Les élections y sont bien évidemment truquées. Parce qu’il vit en Angleterre, il serait le seul témoin à pouvoir venir témoigner (pour la défense) ! Tout cela a une influence négative sur la justice, même à l’étranger (TPIR)
• Dans le pays, personne n’ose dire la vérité. Et de parler à nouveau de la corruption, de la famine qui régnerait dans le pays.
Le témoin termine sa déclaration spontanée en recommandant à la Cour de « faire usage de bon sens.”

Madame la Présidente remercie le témoin de rappeler ses devoirs à la Cour. Elle l’interroge ensuite sur son parcours au sein de l’APR. Militaire qui travaillait auprès de Kagame ? On peut en douter. Sur les raisons de son arrestation au Rwanda, on peut encore douter :
• Il aurait parlé avec des inconnus !
• Il aurait attenté à l’intégrité physique de Chef de l’État
• Il possédait une radio qui avait une chaîne inconnue
Il restera 15 jours en détention avant de fuir en décembre 2000 en Ouganda puis en France (NDR. Personne ne l’interroge sur son séjour en France. Il se dit qu’il était un des informateurs du juge BRUGUIERE, dont le rapport sur l’attentat a été complètement remis en cause par celui de son successeur, le juge TREVIDIC !)
Combien de victimes ? Il ne peut répondre.
Maître CHARRIER, avocat du CPCR, lui fait remarquer que des témoins sont venus librement du Rwanda en France, certains refusant d’accabler les accusés. « Nous n’avons pas eu le sentiment qu’ils n’étaient pas libres ! » Toute personne qui refuserait d’accabler des présumés génocidaires risque sa vie et sa sécurité ? » interroge l’avocat. Réponse laconique du témoin : « Possible ».
Monsieur l’avocat général va dénoncer le « discours globalisant » du témoin alors qu’on est dans un dossier précis. A une dernière question que tente l’avocat général, le témoin répond : « Je suis venu parler des choses telles qu’elles sont. Je ne fais pas outrage à la justice. »
La défense fait remarquer que les déclarations du témoin déclenchent des rires chez les parties civiles, oubliant de reconnaître que, sur leur banc, on rit aussi souvent !
Sur question de la défense concernant son « ethnie », le témoin, une nouvelle fois, esquive. « Vous êtes Hutu ou Tutsi ? » « Mes parents ont dit que j’étais Tutsi ! » D’évoquer ensuite la période de la guerre : ils ont perdu beaucoup de leurs commandants, leurs chefs se sont soulevés les uns contre les autres. Lui, il a rejoint l’APR en 1991. D’ajouter : « Nos militaires se suicidaient en se jetant dans la rivière Akagera… »
La radio MUHABURA ? C’était la radio de propagande du FPR qui incitait les Rwandais à se désolidariser de l’Etat. (NDR. la RTLM incitait la population à tuer les Tutsi !)
Le CND ? C’était le Parlement en 1994 où, selon les accords d’Arusha, 600 soldats du FPR stationnaient.
Il serait menacé en Angleterre ? C’est ce que les policiers chargés de sa sécurité lui auraient dit, menaces en provenance du Rwanda. (NDR. Quelqu’un a-t-il vu des policiers l’accompagner au Palais de justice lors de sa venue en France ?)

Auditions de la famille d’Octavien NGENZI
La journée s’est terminée par les auditions de Lambert GAHAMA, fils aîné de Octavien NGENZI, de l’épouse et de la plus jeune fille de l’accusé, Justine. Ces trois personnes sont venues déclarer leur amour à leur père ou mari, ce qui est respectable. Tous refusent de croire à sa culpabilité : NGENZI est innocent. On comprend que la vie familiale puisse être perturbée par l’absence d’un père. Lors de son audition, madame NGENZI lit un bref passage d’un livre « N’épargnez pas les enfants » : le bourgmestre de Kabarondo aurait tué femme et enfants. Madame la présidente, qui connaît bien le dossier, fait remarquer qu’il y a eu une erreur de la part de l’auteur. Il s’agirait du maire de Kibungo et pas de Kabarondo !
Les témoins seront interrogés sur ce qu’ils savent des événements qui ses ont déroulés entre le 7 avril et leur fuite le 15/16. On notera beaucoup d’hésitations, d’approximations que seuls les interrogatoires des accusés et des autres témoins pourront dissiper.
En conclusion, on peut rependre les termes de Justine, la fille de NGENZI, qui résument l’état d’esprit de la famille : « Mon père est un héros. Nous savons plus que quiconque qu’il est innocent. » Et s’adressant à la Cour : « On compte sur vous pour qu’il puisse y avoir une vraie justice ! »
Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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2. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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3. Massacres du 13 avril à l’église de Kabarondo : l’abbé INCIMATATA y reviendra longuement lors de son audition.
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4. GFTU : “Genocide Fugitive Tracking Unit”, section du parquet de Kigali en charge des fugitifs.
Lire également les auditions de Mme Sandrine CLAMAGIRAND, officier de gendarmerie et du lieutenant Olivier GRIFFOUL qui a commandé une unité de recherches au Rwanda.
[Retour au texte]

Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Mercredi 30 mai 2018. J 15
30/05/2018
Audition de monsieur Oreste INCIMATATA, vicaire général de Kibungo.
En 1994, monsieur INCIMATATA était curé de la paroisse de Kabarondo.
Monsieur INCIMATATA est invité à faire sa déposition. Il précise qu’il n’est témoin ni à charge ni à décharge : il vient dire ce qu’il a vécu à Kabarondo en 1994.
Avant le génocide perpétré contre les Tutsi, il vivait en bonne harmonie avec le bourgmestre Octavien NGENZI. Il avait été nommé curé de Kabarondo en 1992. A cette époque, la situation était très tendue au niveau politique. C’était le temps du multipartisme et les partis d’opposition avaient pris une place assez importante dans la région. Les bourgmestres étaient toutefois du MRND, l’homme fort restant Pierre-Célestin RWAGAFILITA qui avait décidé « de réduire Kabarondo en poudre »[1].
Si on pouvait parler de discrimination, c’était celle dont les autorités étaient responsables : il n’y avait « pas de persécution visible ». La population tutsi était visée par les autorités : c’était pire avec l’avancée du FPR. Le changement remarqué chez NGENZI ne date que du 11 avril, après une réunion à laquelle le bourgmestre aurait participé. Les Tutsi étaient habitués à être discriminés, exclus des grands postes de la fonction publique. NGENZI avait toutefois des amis tutsi dont le témoin lui-même.
Dès le 6 avril, le curé de la paroisse accueille une première réfugiée originaire de Gasetsa où on a commencé à tuer les Tutsi. Des tueries ont commencé aussi à Bisenga par les Simba Bataliani [2]. Plusieurs autres rescapés arrivent à la paroisse le soir du même jour.
Le 8 avril, NGENZI est allé à Bisenga d’où il ramène quelques blessés pour les conduire au Centre de Santé. Il propose aux réfugiés de la paroisse d’aller à l’IGA [3] mais ils préféreront rester à l’église. Le témoin décide d’enregistrer les noms des réfugiés pour évaluer l’aide à leur apporter. L’abbé INCIMATATA demande alors à NGENZI de lui donner un policier communal pour l’accompagner à Kibungo chercher de la nourriture.
NGENZI participe à une réunion de sécurité à la préfecture de Kibungo avec tous les autres bourgmestres : le préfet ne voulait pas qu’on tue.
Le 9 avril, le curé de la paroisse fait des baptêmes et donne d’autres sacrements. Le nombre de réfugiés de la paroisse a beaucoup augmenté qui viennent de Kayonza et autres communes. Le bourgmestre accompagne le prêtre chez sa sœur.
Le 10, son beau-frère est venu lui demander de transporter sa famille. Le bourgmestre de Kayonza, très actif dans les tueries, s’étonne que NGENZI n’ait pas commencé à travailler.
Le 11, NGENZI vient dire à INCIMATATA qu’il a convié toutes les autorités locales à une réunion de sécurité. Suivra une réunion sur la place du marché vers 10 heures. BARAHIRA est pris à partie car il aurait demandé de tuer les Tutsi. Il est alors décidé d’organiser des rondes auxquelles NGENZI s’opposera dès son retour le soir : la police communale suffit. NGENZI serait allé dire aux habitants de Rubira que la guerre est finie : maintenant, c’est la guerre entre Hutu et Tutsi. L’ennemi, c’est le Tutsi. Dans la nuit du 11 au 12 est organisée une chasse aux Tutsi.
A l’église, on peut évaluer le nombre de réfugiés à plus de 1500, peut-être environ 3000 le 13 : aucun ne possède une arme face aux tueurs. Le témoin ne verra plus le bourgmestre à partir du 12. Le curé de la paroisse assure le ravitaillement des réfugiés alors que NGENZI ne fournit aucune aide. Si on ne trouve aucun réfugié à la maison communale, c’est parce qu’ils n’ont pas confiance aux autorités.
Le 13 avril sera une « journée terrible, inoubliable », celle des massacres dans l’église. Le conseiller RWASAMIRERA propose une réunion sur la place du marché à laquelle seuls les hommes se rendront. Ils reviennent en courant : c’était en réalité un guet-apens. Le témoin de préciser que dans le pays on a déjà beaucoup tué dans de nombreuses églises. Et d’évoquer le massacre du Centre Christus à Kigali le 7.
A l’église, le curé demande aux réfugiés de se défendre. Il organise des équipes pour faire face aux attaquants qui arrivent de toutes parts. Ils sont environ 500.
Le témoin parle des Interahamwe [4] et évoque la mort de son neveu, tué par une grenade et achevé à coups de gourdin. Même la police communale commence à tirer sur les réfugiés. Il aperçoit la voiture de la commune partir vers Kibungo sans voir qui est au volant. Lorsque la voiture revient, militaires et gendarmes arrivent aussi. Ils lancent des grenades sur les femmes, les enfants, les vieillards retranchés dans l’église. On utilise ensuite des roquettes. Le prêtre se réfugie dans son bureau : il ne sera plus témoin de ce qui se passe dehors.
Vers 16 heures, on fait sortir les gens qui sont dans l’église : on demande aux Hutu de s’éloigner. Le témoin racontera ensuite l’attaque des militaires au presbytère. Ce n’est que la nuit qu’il réussira à quitter la paroisse pour partir en direction du parc Akagera. Sur questions de madame la présidente, il évoque le bruit des armes. Selon son neveu, le 14 on viendra achever les rescapés. Les morts seront ensuite jetés dans une fosse commune sur ordre du bourgmestre. Allusion aussi à la rançon que NGENZI ira réclamer à l’évêque de Kibungo en échange de l’abbé Papias, un prêtre hutu que le bourgmestre a hébergé chez lui. On reparlera de cet épisode.
BARAHIRA ? C’était un notable de Kabarondo, beaucoup plus craint que respecté. Sa démission ? C’est suite à un meurtre qu’il a commis [5]. Non seulement il ne sera pas jugé mais il obtiendra même un emploi à Electrogaz. C’était un protégé de RWAGAFILITA [1]. L’ex-bourgmestre a déjà dit qu’il n’est venu à Kabarondo que le 13 vers 17 heures : INCIMATATA ne peut pas l’avoir vu car il se cachait. Il n’a pas vu NGENZI non plus.
Par contre, le témoin affirme que le bourgmestre avait conservé son autorité, même sur les gendarmes. Madame la présidente lui fait savoir que la mère de NGENZI aurait affirmé qu’il détestait son fils. Le prêtre fait connaître qu’il loue une maison du bourgmestre pour une école dont il est responsable. Comment pourrait-il le détester ? De préciser que RWAGAFILITA était un proche du président HABYARIMANA.
Madame la présidente lit alors un courriel que l’abbé a échangé avec Alain GAUTHIER, le président du CPCR, dans lequel monsieur INCIMATATA dit que NGENZI est un planificateur. Comment a-t-il pu écrire ceci ? Le prêtre ne conteste pas l’authenticité du document mais veut bien reconnaître qu’il n’aurait pas dû utiliser ce terme. Et d’ajouter : « Il n’a pas planifié, mais il savait qu’on allait attaquer la paroisse et il n’a pas empêché ce massacre ».
Sur question de maître GOLDMAN, le témoin confirme le « basculement » de NGENZI le 11 avril. Il est allé chercher des gendarmes sans lesquels les assaillants n’auraient pas eu le dessus.
Maître PARUELLE fait confirmer au témoin que de la commune il était impossible de ne pas voir ce qui se passait sur la route, ni d’entendre les bruits. Quant aux policiers communaux, ils ne pouvaient intervenir que sur ordre du bourgmestre qui, lui, n’était pas menacé.
A maître GISAGARA qui l’interroge, le prêtre ne pense pas que sa bonne entente avec NGENZI soit liée à son statut de religieux. Le bourgmestre, après la réunion de Kibungo, s’est « aligné », il a été « opportuniste ». Le témoin redit que NGENZI a participé au plan concerté mais il retire le terme de « planification » qu’il a utilisé dans le courriel qu’il a adressé au président du CPCR.
Sur question de maître MARTINE, l’abbé INCIMATATA reconnaît qu’il est « incompréhensible » que des gens qui vivaient en paix aient pu participer à de tels massacres. Le discours génocidaire est bien antérieur à 1994. Des massacres de Tutsi ont eu lieu en 1959, puis en 1963 (NDR. A propos de ces massacres de Gikongoro : dans l’édition du journal Le Monde du 6 février 1964, le philosophe Bertrand Russel dénonce un « massacre d’hommes le plus horrible et le plus systématique auquel il a été donné d’assister depuis l’extermination des Juifs par les nazis en Europe. » On a même parlé du « petit génocide de Gikongoro ». Les Tutsi étaient « chosifiés ».
L’audience se termine. Le témoin confirme qu’il n’a subi aucune pression. Il est déjà venu témoigner en première instance. Il ne craint pas du tout pour sa vie : « le pouvoir de Kigali n’a rien à voir avec ce procès ».

L’audience est suspendue et reprendra le lendemain à 9h30. On continuera les questions posées au témoin.
Pour conserver l’unité du témoignage, nous faisons le choix de consigner la fin de l’audition à la date de ce mercredi, alors que l’audition a eu lieu le jeudi.
Audition de Oreste INCIMATATA (suite)
Monsieur l’avocat général questionne à son tour le témoin. Ce dernier confirme que les tueries ont commencé tôt dans la région : dès la nuit du 6 à Gasetsa (un lien évident avec RWAGAFILITA [6]), dans d’autres paroisses de la préfecture (Rukara, Kayondo, Kayanza), à l’Économat général et au Centre Saint-Joseph de Kibungo.
Possibilités de fuite de la paroisse avant le 13 avril à Kabarondo ? « Non, c’était impossible. Les réfugiés avaient déjà eu beaucoup de difficultés à arriver. Il y avait environ 1 500 réfugiés le 12 recensés par mes soins. »
On passe ensuite un temps assez long à projeter photos et petits films sur l’église et la paroisse, sur les alentours, en particulier sur la route qui mène de l’église à la place du marché, sur la commune avec les commentaires de l’abbé INCIMATATA. On discute de la présence de NGENZI, de la voiture rouge de la commune que le prêtre voit partir sans pouvoir identifier le chauffeur.
On évoque ensuite les deux réunions qui se sont tenues le 11 avril : à 8 heures sur convocation du bourgmestre avec l’ensemble des autorités civiles et religieuses. Une autre à 10 heures où on décide qu’il ne doit plus y avoir de tueries. NGENZI, à son retour de Kibungo, refuse de mettre en place les rondes qu’on avait décidé d’organiser. C’est de ce jour que le témoin date le revirement du bourgmestre.
Sur question de monsieur l’avocat général, le témoin revient sur la notion « d’obéissance », phénomène culturel qui date de longtemps. « Il en était ainsi à l’époque des rois qui avaient le devoir de protéger la population. Le Rwandais voit dans l’autorité un parent qui veut son bien. C’est encore comme cela aujourd’hui ! » Mais il ne faut pas oublier un second aspect, de cette obéissance aveugle, économique celui-là. C’était un moyen de s’enrichir à peu de frais : « Tuez-les et prenez leurs biens ! » D’autant qu’ils savaient qu’ils ne seraient pas poursuivis. « Nous n’avons fait qu’obéir » disent les paysans. « Si vous ne tuez pas les Tutsi, c’est eux qui vous tueront ! » leur laisse-t-on entendre.
Quant à savoir ce qu’aurait pu ou dû faire NGENZI, il n’est pas facile de répondre. « Il aurait pu nous informer de l’attaque : nous ne serions pas restés à l’église ». Le 13, la ligne de front avec le FPR est relativement proche. Ils étaient arrivés à Kiziguro (NDR. De nombreuses victimes ont été exécutées dans cette église, les corps ayant été jetés dans un puits très profond que l’on peut voir encore ouvert, au sein du mémorial. C’était la région de GATETE, condamné par le TPIR, de Onesphore RWABUKOMBE condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en Allemagne, de Manassé BIGWENZARE visé par une plainte du CPCR, habitant de Bouffémont, auquel Pierre PEAN a fait allusion dans sa déposition).
Il est clair, selon le témoin, que NGENZI pouvait avoir autorité sur les Interahamwe [4], comme il pourrait en avoir aujourd’hui encore.
La défense fait savoir que Oreste INCIMATATA est le témoin qui a été le plus entendu dans la procédure. Et de faire remarquer que le curé de la paroisse ne signale la présence de NGENZI que tardivement. En particulier, il n’en parle pas le 6 mai 1994 lorsqu’il est interviewé par Rakiya OMAR d’African Rigths. Le prêtre fait judicieusement remarquer à son tour qu’il y a une différence entre un entretien avec un journaliste et une audition en présence d’un juge ou d’un gendarme. L’avocat de NGENZI s’attarde sur les relations entre le témoin et le président du CPCR. Il provoque alors un incident quand il fait remarquer que deux lignes du document sont « caviardées ». Maître LAVAL monte au créneau, remet à la présidente le courriel en question dont les lignes n’ont pas été « caviardées » mais au contraire « surlignées ». L’avocat cherchera ensuite à faire ressortir les bons côtés du bourgmestre. Madame la présidente se voit dans l’obligation d’intervenir à son tour pour préciser que l’abbé INCIMATATA n’a pas dit qu’il avait rencontré MBAMPARA le 12 avril, contrairement à ce qu’affirme l’avocat. Le prêtre doit ensuite se justifier sur l’argent qu’il possède à la paroisse et qu’il remet à un militaire qui lui laisse la vie sauve. L’avocat interroge : « Avec cet argent, vous n’auriez pas pu sauver d’autres réfugiés ? », laissant entendre que le prêtre aurait préféré sauver sa propre vie !
Interrogé par la défense de BARAHIRA, le prêtre confirme le meurtre que ce dernier aurait commis et qui aurait justifié sa démission. « C’était de notoriété publique ». Ce n’était pas que des rumeurs.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails.
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2. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, souvent cités pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
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3. IGA : Centre communal de formation permanente.
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4. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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5. Lors de son interrogatoire du 4 mai, Tito BARIHARA explique qu’il avait démissionné simplement pour “se reposer”.
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6. Le colonel RWAGAFILITA était en effet originaire du secteur de Gasetsa (voir note 1 pour plus détails).
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Jeudi 31 mai 2018. J 16
02/06/2018
• Audition de Christine MUTETERI, partie civile.
• Audition de Samuel NDOBA, ancien policier communal, brigadier.
• Audition de Jean-Baptiste GATABAZI, ex-policier communal.

Audition de madame Christine MUTETERI, partie civile.
Le témoin commence sa déposition spontanée en affirmant que NGENZI a été à l’origine du génocide dans sa localité d’origine. Elle rappelle le fameux épisode des « chèvres de TITIRI » dont on a déjà parlé [1]. Et de rapporter, comme d’autres l’ont fait, les propos tenus par l’accusé : « Ne mangez pas le bétail alors que les propriétaires sont encore en vie ». Les tueries ont commencé ce jour-là dans le secteur. Le témoin raconte son départ vers l’église où le prêtre de la paroisse va les accueillir et leur fournir de la nourriture. NGENZI aurait alors empêché les réfugiés de se déplacer pour aller acheter de la nourriture, ce qui était encore possible à cette époque.
Et le témoin d’évoquer une réunion à laquelle le bourgmestre aurait invité le curé de la paroisse le 13 avril. Les choses tournent mal car ils seront accueillis par des gens armés de gourdins et de machettes. INCIMATATA et les autres doivent revenir à l’église en courant. S’en suivra une bagarre avec les réfugiés qui se défendent à leur tour en lançant des pierres. NGENZI serait alors allé chercher des militaires à Kibungo. Toute la journée, ils tireront sur la paroisse à partir de la route. Après leur départ, NGENZI serait revenu à la paroisse pour voir qui était encore en vie. Le témoin a alors reçu un coup de machette sur la tête. Le soir venu, elle a pu se traîner jusque chez Antoine BAKANE. Le lendemain, les tueurs sont venus achever les blessés qui gisaient dans l’église ou sur la cour.
Et le témoin de conclure : « Si NGENZI était reconnu coupable, il devrait nous dédommager à la mesure du mal qu’il nous a fait. »
Sur questions de madame la présidente, le témoin fait savoir qu’elle avait quatre enfants. Deux sont morts avec son mari. Elle était voisine de la mère de NGENZI et témoigne qu’elle avait de bonnes relations avec la famille. C’est elle qui a même enterré la mère de l’accusé. Les questions posées par madame la présidente permettent au témoin de donner un peu plus de précisions sur ce qu’elle a dit dans sa déclaration spontanée.
Arrivée à l’église avec sa famille, c’est INCIMATATA qui les accueille et les enregistre. NGENZI viendra et leur demandera pourquoi ils ont fui. Elle pense qu’il devait y avoir environ 1 500 personnes dans ou autour de l’église. La nuit, les réfugiés allaient s’entasser à l’intérieur. Ils n’avaient même pas d’eau à boire, malgré la présence d’une citerne. (NDR. L’eau de la citerne n’était pas potable. C’était de l’eau de pluie récupérée.)
« NGENZI venait le soir pour nous compter mais il ne nous apportait jamais de nourriture. Nous ne survivions que grâce à la prière. Jusqu’au 13, nous pensions qu’il ne nous arriverait rien car nous étions dans une église. »
Toujours sur question de madame la présidente, le témoin racontera comment elle a vécu la journée du 13 avril. Elle signale la présence de NGENZI aux côtés des militaires. Il n’y aura que peu de rescapés dans l’église, NGENZI ayant demandé aux gens d’aller achever les blessés. Quant à elle, elle a perdu plus de cinquante personnes de sa belle-famille, ses propres enfants ayant été tués vers midi. Quant à elle, si elle est en vie, c’est que Dieu l’a épargnée pour témoigner.
Souhaite-t-elle dire quelque chose à NGENZI ? Elle ne peut pas lui pardonner. Il ne la reconnaît même pas alors que c’est elle, répète-t-elle, qui a enterré sa mère ! BARAHIRA non plus ne la connaît pas.
Maître GOLDMAN, par de courtes questions, lui fait confirmer ce qu’elle a dit, lui rappelant qu’elle s’était cachée sous le cadavre d’une femme.
L’accusation va à son tour interroger le témoin. Dans l’église, il n’y avait pas d’armes. Elle a vu NGENZI lors du tri qui a été opéré dans l’église après l’attaque des militaires. Elle précise l’endroit où elle se trouvait dans l’église. Et d’ajouter : « Lorsqu’une femme a deux enfants survivants, elle peut dire qu’elle en a beaucoup ! » Elle confirme enfin que des gens ont bien été épargnés en donnant de l’argent.
Les avocats de la défense interrogent à leur tour le témoin qui a bien vu NGENZI revenir avec les militaires. Quant à savoir si l’abbé INCIMATATA était au MRND, elle ne peut « connaître le secret des prêtres. » Si elle a refusé d’être prise en photo à la fin de son audition, c’était pour des raisons de sécurité.
Le second avocat de NGENZI s’étonne que le témoin, qui se dit très proche de la mère de son client, puisse ne pas connaitre le prénom de son mari ! (NDR. Au Rwanda, on appelle souvent quelqu’un par son nom rwandais, plus que par le prénom de baptême!) Et d’ironiser lorsque le témoin précise que cette dame était de condition modeste : « Vous ne la fréquentiez pas parce qu’elle est modeste ? » (NDR. Elle vient pourtant de dire qu’elle partageait même des repas avec elle!)

Audition de monsieur Samuel NDOBA, ancien policier communal, brigadier.
Le témoin commence par raconter les deux interventions qu’il a faite en compagnie de NGENZI auprès de la population, d’abord à Rubira, lors de l’épisode des chèvres de TITIRI [1]. Nouvelle intervention le lendemain pour séparer les habitants de Rubira qui avaient attaqué ceux de Rundu. Les bagarres avaient causé la mort de deux personnes. NGENZI est ensuite allé chercher RUHUMULIZA pour savoir pourquoi ils avaient frappé le conseiller GAKWAYA. Ils ont donné 30 000 francs pour que sa femme tutsi soit épargnée. Allusion ensuite aux Simba Bataliani [2] qui avaient commencé à tuer à Bisenga. IL cachera chez lui des Tutsi.
Le 13, alors qu’on tirait sur l’église, le témoin serait aller chercher des médicaments pour les réfugiés qui étaient à son domicile. De passage à la commune, NGENZI lui refuse des munitions dont il aurait besoin. Il raconte alors ce que l’on sait déjà sur l’attaque de l’église mais prend soin de dire qu’il est resté extérieur à tous ces événements. Il a mis toute son énergie à protéger les Tutsi réfugiés chez lui.
Un peu plus tard, il est parti à Murama avec une voiture de la commune. Ils vont subir une attaque au cours de laquelle deux policiers seront blessés par grenade. Conduisant les blessés à l’hôpital de Kibungo, il rencontre NGENZI et lui raconte ce qui s’est passé. Il rentrera chez lui jusqu’à l’arrivée des Inkotanyi [3].
Sur questions de madame la présidente, le témoin dit qu’il n’avait pas eu de problème avec les deux accusés avant le génocide. Il est amené à préciser sa fonction en tant que brigadier : il devait diriger les policiers communaux en suivant les instructions du bourgmestre. Ces derniers pouvaient arrêter des gens mais ne pas les mettre en prison. Seul le bourgmestre pouvait le décider. Il précise ensuite le nombre de policiers en service en 1994, ainsi que le type d’armes dont ils sont en possession. Il évoque ensuite la corruption qui pouvait régner à la commune. RWAGAFILITA [4], il l’a vu deux fois. Autour du 10 et le 13. Ce dernier était bien le chef des Interahamwe [5]. Il n’a pas entendu parler de la réunion au terrain de foot de Cyinzovu. Si BARAHIRA lui avait donné des ordres, il n’aurait pas obéi : « Je connaissais la loi ! » Pour résumer, le témoin a surtout concentré son énergie sur la protection des réfugiés qui étaient chez lui.
Les deux avocats de la LDH vont demander au témoin de donner quelques précisions. BARAHIRA aurait tué un certain Samuel BIZIMANA, accusé de viol. Cette rumeur est crédible car BARAHIRA était « taciturne, parfois énervé, toujours fâché ». Le 13, NGENZI n’était pas abattu : il parlait avec les militaires. Quant à lui, il était bien placé sous l’autorité de NGENZI. Les massacres de l’église n’ont pas pu se commettre sans l’accord du bourgmestre. A la commune, il y avait bien deux voitures : une rouge et une blanche.
Monsieur l’avocat général s’étonne que le témoin ait pu calmer les Simba Bataliani qui étaient venus chez lui pour tuer les Tutsi qu’il cachait. Il leur a donné à boire, leur a fait la leçon… Il connaissait certains d’entre eux qu’il avait formés. Le FPR est arrivé à Kabarondo vers le 20 avril.
La défense de NGENZI s’étonne que le témoin puisse se présenter sous un jour très favorable alors qu’il n’est pas intervenu le 13. Des policiers communaux ont bien participé aux massacres. A la question de savoir pourquoi il n’avait pas fait arrêter son sous-brigadier Manassé MUZATSINDA, il répond qu’il ne l’a pas vu tirer. (NDR. Du Centre de Santé, qui est derrière la commune, on ne voit pas l’église.) Allusions enfin à ceux qui l’avaient accusé devant les Gacaca [6].
Dernière question : « Qu’est-ce que ça fait quand on vient dire des mensonges sur vous ? » « Vous vous expliquez, répond le témoin, les gens chargés de vous juger apprécient. »

Audition de monsieur Jean-Baptiste GATABAZI, ex-policier communal.
Le témoin raconte la journée du 13 avril. Il rapporte à sa façon les événements qu’on connaît assez bien maintenant : présence de NGENZI à la commune le matin, visite du colonel de Kibungo, réunion convoquée par le conseiller, départ de RWAGAFILITA [4] vers Kibungo et retour avec des militaires, tirs des gendarmes à partie de la station-service, tirs sur l’église à l’aide de mortiers. Il évoque, un peu dans le désordre, d’autres actions auxquelles il a participé, dont l’accompagnement de l’abbé INCIMATATA pour aller chercher de la nourriture… Évoque l’enfouissement des victimes, les morts à l’IGA [7] où il accompagne le bourgmestre, et la mort de l’assistant bourgmestre. Puis de parler de l’épouse de KAJANAGE et d’autres malades embarqués vers Kibungo.
Madame la présidente retrace le parcours du témoin, lui fait préciser la nature de l’uniforme des policiers communaux. C’est NDOBA qui lui transmettait les instructions du bourgmestre. Il a accompagné NGENZI à Bisenga dans la voiture communale rouge. Chez NDOBA qui refuse de venir travailler car il protège les gens qui sont chez lui. Il ne sait rien des réunions du 7 au 13. Le témoin prétend avoir participé à des patrouilles autour de l’église. Il finit par reconnaître qu’il a tiré sur la population car il a reçu des ordres : « Ne restez pas là immobiles ! »
Quant à savoir pourquoi il accepte de tirer sur des gans qu’il est sensé protéger ? « On était obligé d’obéir aux militaires qui donnaient des ordres à nos chefs. RWAGAFILITA avait dû donner des ordres au bourgmestre : il y avait bien une connivence entre NGENZI et les militaires. » Il a tiré avec d’autres policiers, dont Manassé, mais n’a pas vu le bourgmestre avec une arme. Il tire lui-même avec une Kalachnikov, ce dont il n’a jamais parlé avant. Le témoin minimise le nombre de tirs qu’il a pu effectuer. « NGENZI était sur la route, positionné comme un dirigeant. Il a dit à la population de se joindre aux militaires. » Et d’ajouter : « Peut-être que NGENZI avait peur que les militaires le traitent d’espion ? » Les blessés ont bien été achevés à la machette et NGENZI n’a rien dit. Par contre, il ne sait rien sur BARAHIRA.
Sur question de la défense de NGENZI, il reconnaît qu’il s’est dénoncé aux autorités, qu’il ne connaît pas le Club de Kibungo [8]. RWAGAFILITA ? « Il était grand, fort, avec une grosse tête… »
Soudain, comme son associé a pu le faire avec un autre témoin, il demande au policier ce qu’il a dans la main, question sans aucun lien avec les questions précédentes. C’est simplement sa convocation !!!
L’audience est suspendue. Il est 22h10.
Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. Des voleurs s’étaient emparés des chèvres d’un certain TITIRI. Averti par le conseiller Cyprien, NGENZI serait venu et aurait reproché aux assaillants de tuer et manger les chèvres avant de s’occuper de leurs propriétaires. Voir également l’audition d’Oreste NSABIMANA.
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2. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, souvent cités pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
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3. Inkotanyi : Combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. “Glossaire“.
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4. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails.
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5. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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6. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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7. IGA : Centre communal de formation permanente.
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8. Club de Kibungo : au départ un groupe d’entrepreneurs qui avait vocation à dynamiser le commerce, il aurait peu à peu dérivé vers des motivations ethnistes “pro-Hutu de l’Est”.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Vendredi 1er juin 2018. J17
03/06/2018
• Audition de M. Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal, neveu de RWAGAFILITA.
• Audition de M. Léopold GAHONGAYIRE, partie civile.
• Audition de M. Eulade RWIGEMA, partie civile.
• Audition de M. Straton GAKWAVU, partie civile.
• Audition de Mme Marie MUKAMUNANA, partie civile.
• Audition de Mme Berthilde MUTEGWAMASO, partie civile.
• Audience de Mme Benoîte MUKAHIGIRO, partie civile.

Audition de monsieur Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal, neveu de RWAGAFILITA [1].
Oncle du témoin, le colonel RWAGAFILITA fut l’un des activistes les plus impliqués dans les massacres autour de Kibungo dont il était originaire [1].Le témoin commence par dire qu’il a déjà témoigné en 2016 et qu’il n’est qu’à consulter l’ordinateur pour savoir ce qu’il a dit. Madame la présidente lui redit que ce n’est pas possible.
Le 13 avril, le témoin rapporte qu’il était à la commune avec deux autres policiers. Quelques jours plus tôt, il avait conduit sa femme, Tutsi, à l’église. Le bourgmestre l’avait envoyé à Murama car des gens en provenance du parc de l’Akagera avaient perturbé la sécurité. Arrivés sur place, des Interahamwe [2] ont lancé des grenades. Deux policiers ont été blessés qui ont été conduits à l’hôpital de Kibungo. C’est là, au Camp Huye, qu’ils ont rencontré NGENZI. Ils lui ont expliqué ce qui s’était passé avant de revenir à Kabarondo. Il ne reviendra travailler que le 12 car il avait laissé un enfant à la maison.
Le 13 au matin, il est revenu tôt à la commune, souhaitant voir son épouse. Il a aperçu le véhicule d’un colonel du Camp Huye qui lui a demandé où fuyaient tous ces gens. On lui dit alors qu’ils se rendaient à une réunion sur la place du marché. S’étant trouvé nez à nez avec des Interahamwe qui les ont attaqués, ils ont couru vers l’église où ils se sont enfermés en attendant l’arrivée du bourgmestre.
Un véhicule Hilux en provenance de Kibungo et transportant des gendarmes est arrivé. Les hommes en armes ont tiré sur l’église. On pouvait se demander pourquoi ceux qui devaient assurer la sécurité avaient tiré sur ceux qu’ils devaient protéger.
Vers 9/10 heures, comme l’avait annoncé le bourgmestre, des militaires, sous le commandement du lieutenant MUGABAHIGIRA, sont arrivés et ont tiré sur les gens qui se trouvaient dans la cour de l’église. « Nous avons été stupéfaits » ajoute le témoin. Ils ont installé un mortier et ont procédé à des tirs d’obus.
A la question de savoir si le bourgmestre était là, le témoin précise qu’il était chez lui car il leur avait annoncé la venue des militaires qui allaient faire leur travail. Ils seraient allés le chercher car la population ne voulait pas leur obéir. Finalement, les Interahamwe sont entrés dans l’église pour tuer les réfugiés.
Le témoin dit alors qu’il a reconnu ses torts et plaidé coupable : il a été mis en prison en 1996. « Quand j’y pense, ajoute-t-il, je trouve que nous avons été co-auteurs sans qu’on le décide nous-mêmes. Ça nous a fait de la peine. » Condamné à 14 ans de prison, il n’en fera que 7. De préciser que tout ce qui s’est passé s’est fait en présence de l’autorité. Et de conclure en disant que NGENZI devrait expliquer son comportement, les choses s’étant déroulées en plein jour.
Va suivre une série de questions qui vont permettre de mieux cerner le personnage : neveu de RWAGAFILITA, il ne l’a pas vu depuis son séjour à Gisenyi. Il ne l’a même pas revu à Kabarondo. N’a jamais vu son oncle avec NGENZI. Son chef était bien le bourgmestre dont il recevait les instructions par NDOBA. Il n’était armé que pendant son service et pendant la guerre, il y avait bien des Kalachnikov dans le local des armes. Ayant été militaire, il savait évidemment s’en servir. De préciser que l’incident de Murama s’est déroulé le 11 avril [3]. Il n’a jamais été au courant des réunions qui étaient organisées à Kabarondo. Il reconnaît avoir conduit sa femme au Centre de Santé après l’église.
Interrogé par madame la présidente qui cherche à savoir comment la sécurité était assurée, le témoin tourne autour du pot, répond à côté de la question. Elle veut savoir si le témoin confirme les propos qu’il a tenus devant les gendarmes français : « Je pense que NGENZI savait que les militaires allaient arriver ». Il confirme les propos du bourgmestre : « Il y a les militaires qui vont arriver, il ne faut pas s’y opposer ! ». Il confirme. D’ailleurs NDOBA était là aussi. Le témoin avait bien compris que de mauvaises choses allaient arriver.
Il reconnaît ensuite avoir tiré une balle à partir de la route. Comprenant qu’on lui avait fait faire une erreur, il a rendu son arme. Pourquoi les militaires sont allés chercher NGENZI ? Pour que les gens le voient et qu’ils se décident ainsi à attaquer et à entrer dans l’église. Ce qu’ils ont fait. Personnellement il n’a pas vu BARAHIRA, mais d’autres l’ont vu.
Le témoin reconnaît avoir été présent lors de l’enfouissement des corps. Si GATABAZI l’a accusé d’avoir demandé à ses collègues de tirer, c’est tout simplement parce qu’il lui en voulait de l’avoir dénoncé en Gacaca [4]. Toujours concernant l’enfouissement des cadavres, NGENZI aurait dit que « celui qui refusera de de jeter les corps dans la fosse sera tué ! » Le témoin s’est rendu à Rubira chercher des fossoyeurs.
Maître MARTINE, avocat de la LDH va poser une série de questions courtes qui permettent au témoin de mettre en cause l’accusé.
Maître LAVAL, avocat du CPCR, intervient à son tour, sur la condamnation qu’il a eue en Gacaca. Le témoin rapporte : « J’ai présenté mes excuses. L’État nous a fait commettre des actes répréhensibles. Nous avons demandé pardon à nos victimes. Dieu nous a pardonnés. »
L’avocat du CPCR rappelle ses déclarations. Le 13 avril, il aurait tiré sur une personne considérée comme un démon, sorte de revenant, et pour la mort duquel il aurait été condamné ! Il a avoué et a demandé pardon à toute la population !
Maître PADONOU de la FIDH veut savoir si NGENZI avait connaissance de l’arrivée des militaires. Le témoin confirme. Par contre, il ne sait pas si le bourgmestre a averti le curé de la paroisse. Mais il n’a pas averti les réfugiés.
Sur question de madame l’avocate générale, le témoin précise qu’entre le 11 et le 13, il est resté chez lui car on avait commencé à tuer dans son secteur. Quant à savoir si la maison de NGENZI était protégée, le témoin répond par la négative, ce qui contredit ce qu’il avait déclaré (cf. l’audition de Donatien MUNYANEZA dont on demande la lecture.)
Monsieur l’avocat général cherche à y voir plus clair dans l’emploi du temps du témoin. Il s’étonne qu’on puisse l’envoyer à Murama alors qu’on organise des réunions sur la sécurité. Et de demander des explications sur sa rencontre de NGENZI au Camp Huye de Kibungo. Le 13, les militaires sont bien allés chercher NGENZI, mais il n’était pas menacé. Quelques précisions sont souhaitées concernant l’arrivée du FPR.
Un avocat de la défense pose alors une série de questions sur la fuite du témoin à Benako où il a retrouvé NGENZI, sur les voitures de la commune. Le témoin redit qu’avant 1994 NGENZI était un bon bourgmestre. Il voudrait bien lui faire dire que « NGENZI a eu peur, comme tout le monde ! » Le témoin ne peut confirmer.

Lecture sera faite ensuite de la déclaration de Donatien MUNYANEZA, autre policier communal, comme madame l’avocate générale l’avait demandé.

Audition de monsieur Léopold GAHONGAYIRE, partie civile.
Le témoin commence par évoquer l’existence d’une lettre de HABYAKARE qui disait en substance : « Pourquoi vous épargnez toujours les familles de Gacumbitsi alors qu’ailleurs on a déjà commencé à tuer ? » Cette lettre aurait fait peur à son père et ils sont partis chez BARAHIRA pour lui demander clémence et pour que rien ne leur arrive.
Madame la présidente s’étonne qu’à aucun moment de l’instruction il n’ait évoqué l’existence de cette lettre. Ce qui n’amène aucune réponse. Il a connu BARAHIRA. Quant à la réunion qui se serait tenue, elle aurait eu pour but de décider de ramener les Hutu de l’église.
Madame la présidente fait dire au témoin qu’il est Hutu. Pourquoi donc se réfugier à l’église ? En réalité, nous apprendrons qu’il est Tutsi mais que son père avait obtenu une carte d’identité avec la mention Hutu. Après une semaine passée à l’église, ils ont donc pu en sortir. A leur retour, ils seront encerclés par des gens en armes qui leur demandent des comptes : « Pourquoi vous êtes partis alors que vous êtes Hutu ? » Les agresseurs ont réclamé 30 000 francs, pour finir par se contenter de 5000. Il connaît aussi NGENZI. Quant aux policiers, il dit qu’ils ne les protégeaient pas.
Maître LINDON, avocate de la LICRA, pose quelques questions pour chercher à y voir un peu plus clair dans des déclarations un peu compliquées. Il confirme que BARAHIRA a bien donné l’ordre de séparer Hutu et Tutsi. Lui-même a été sauvé mais il a perdu beaucoup de membres de sa famille à l’église.
Monsieur l’avocat général « ose une question » : il veut savoir si BARAHIRA était le chef des Interahamwe [2]. Et le témoin de parler à son tour du meurtre commis par BARAHIRA et pour lequel il n’a jamais été poursuivi [5].
L’avocate de BARAHIRA veut savoir pourquoi son client les a sauvés. « Il nous considérait comme des Hutu » sera la réponse. Et l’avocate de glisser ces mots : « C’est plus facile aujourd’hui de dire qu’on est Tutsi ! »
L’avocat de NGENZI, toujours soucieux de diminuer la responsabilité de son client, fait redire au témoin que la réunion sur la place du marché a bien été convoquée par le Conseiller.

Audition de monsieur Eulade RWIGEMA, partie civile.
Madame la présidente pose aussitôt des questions pour essayer de gagner un peu de temps car il commence à se faire tard et il reste d’autres témoins à entendre. Le témoin s’est constitué partie civile parce que NGENZI n’a pas assuré sa sécurité et celle de sa famille : il a failli à son devoir. Et d’ajouter que ses blessures son morales pour avoir perdu sa femme, deux filles et d’autres membres de sa famille. Il avait pourtant de bonnes relations avec le bourgmestre à qui il vendait du lait. Monsieur RWIGEMA rappelle qu’il avait déjà signalé en première instance que NGENZI avait changé depuis 1990.
A partir du 7 avril, on commence par voler les troupeaux. Les employés de la commune se désolidarisent des citoyens le 8. Sa maison sera brûlée le 12. Le témoin raconte ce qu’il a vu le 13 à l’église : attaque de l’église, tirs de loin car les assaillants prétendaient que les réfugiés étaient armés. Ce qui était faux.
« Vous n’avez pas vu NGENZI, le 13, comment savez-vous qu’il a donné des ordres ? » demande madame la présidente. « Les ordres viennent d’en haut. Les autorités avaient déserté ! » Il n’a pas vu non plus BARAHIRA dont il rappelle la méchanceté : et de souligner la situation de stress dans laquelle ils se trouvaient. Il a témoigné en Gacaca [4] et a remis son témoignage au CPCR.
Maître Kévin CHARRIER, l’avocat du CPCR, pose quelques questions au témoin. Il a vu des gens attaquer sa maison mais ils avaient peur et ils n’ont pas pu reconnaître les auteurs. BARAHIRA était le chef des Interahamwe [2] à Kabarondo. Les dirigeants étaient derrière les attaques mais ils ne voulaient pas qu’on les voie.
Le 13 avril, le témoin dit que RWASAMIRERA était présent à la réunion à laquelle ils ont été convoqués sur la place du marché. Mais NGENZI aussi. Monsieur RWIGEMA accuse NGENZI de ne pas avoir empêché le génocide à Kabarondo et d’avoir organisé la réunion sur la place du marché.
Monsieur l’avocat général demande au témoin de raconter sa fuite. « J’ai couru sans savoir où j’allais. J’ai voulu retourner chez moi mais tout était détruit. Je suis descendu comme un suicidaire. Je suis arrivé chez un voisin qui m’a donné à boire et à manger mais il avait peur de me cacher. » Il se rend alors chez son ami BUGINGO à deux heures du matin. « Pourquoi tu viens me causer des ennuis ? demande son ami. Mais je te prends au risque de mourir avec toi. » Il m’a conduit chez son frère où je suis resté jusqu’à l’arrivée du FPR.
Maître CHOUAI ose alors ces quelques mots : « INCIMATATA, menteur comme vous… » Madame la présidente le reprend vertement : « Vous n’avez pas à insulter les parties civiles ! » Le ton monte et l’avocat tente de justifier l’injustifiable. Ce n’est pas la première fois qu’il se fait rappeler à l’ordre.
Maître BOURGEOT revient sur la notion d’Interahamwe. (NDR. Le témoin avait dit qu’il n’y avait pas d’Interahamwe dans sa cellule de Rurama. Or, l’avocate parle de la cellule de Kabarondo !)

Audition de monsieur Straton GAKWAVU, partie civile.
Le témoin évoque la mémoire de tous ceux qu’il a perdus, ce qui justifie sa décision de se porter partie civile. Le 12, il est allé chez son voisin Eulade pour qu’il lui donne un peu de lait. Il confirme que les Interahamwe se sont battus pour se partager les vaches. Le 13, il se rend à l’église vers 6 heures du matin. Là, il voit bien RWASAMIRERA avec l’abbé INCIMATATA. Le témoin raconte à son tour la réunion, l’attaque des Interahamwe, le repli à l’église puis l’arrivée des militaires. Il recevra un coup de machette sur la main. Il n’a pas vu NGENZI.
Le témoin considère que NGENZI est bien responsable de ce qui est arrivé : « Quand on a des enfants sous sa responsabilité, on doit être prêt à mourir pour eux. Il aurait dû empêcher les gens de tuer ». NGENZI a changé en 1994, on a découvert sa méchanceté. Dès 1990, il avait fait arrêter les complices du FPR ! Monsieur RWIGEMA reconnaît que Manassé MUZATSINDA a bien tiré sur eux.
Sur BARAHIRA, qu’il n’a pas vu, il rapporte ce que tout le monde a dit avant lui.
Qu’aimerait-il dire à NGENZI ? « Je lui demanderais de ne pas laisser ses enfants dans l’ignorance, qu’il leur dise la vérité ! »
Les questions de la défense ne permettront pas d’apporter de nouvelles révélations sur le rôle des accusés.

Audition de madame Marie MUKAMUNANA, partie civile.
Vue depuis la route, l’église de Kabarondo aujourd’hui : les murs sont toujours là mais la toiture éventrée au cours des attaques du 13 avril a bien-sûr été entièrement refaite (photo: Diocèse de Kibungo).

Le témoin commence par dire qu’elle a rejoint l’église avec sa famille le 9 avril. Jusqu’au 13, ils ne mangent presque pas et vivent dans la peur. Seul l’abbé INCIMATATA veille sur eux. Du 9 au 12, elle voit NGENZI plusieurs fois. Elle n’a vu BARAHIRA que lorsqu’on a procédé au tri entre Hutu et Tutsi. Qui a dit qu’il fallait tuer les Tutsi ? « Tous le disaient, même NGENZI et BARAHIRA. On a fait asseoir ceux qui n’avaient pas de carte d’identité. Les militaires nous ont tiré dessus. » Pour économiser les balles, on utilise alors les machettes et les gourdins. Elle évoque alors ses nombreuses blessures et déclare que les accusés étaient armés et ont tiré.
Le témoin est alors invitée à parler de la mort des siens : ses 7 enfants, son mari, sa belle-famille. A-t-elle eu d’autres enfants après le génocide : « Je les aurais fait avec qui ? » se contente-t-elle de répondre. Ce n’est que vers 3 heures du matin qu’elle a repris connaissance. Beaucoup d’enfants pleuraient autour d’elle. Elle ne retrouvera pas le corps des siens ! Elle sera soignée à Gahini où les Inkotanyi [6] l’ont conduite.
Maître LINDON demande au témoin si on lui a demandé d’accuser quelqu’un. Elle répond par la négative. Elle a bien vu NGENZI plusieurs fois qui venait demander à l’abbé de les chasser. Le bourgmestre a d’ailleurs été très actif. Et de parler ensuite du fait que lorsqu’elle a repris connaissance, elle était quasiment nue. Les femmes des Interahamwe étaient venues les déshabiller pour ne lui laisser que sa culotte. Comment survit-elle aujourd’hui ? Elle fait travailler ses champs et elle partage la récolte. La situation de NGENZI et BARAHIRA est meilleure que la sienne. Ils ont leurs enfants !
NGENZI est invité à donner sa réaction. « Que ressentez-vous ? » demande madame la présidente. « J’exprime des regrets de ce qui s’est passé dans notre commune. C’était le mal absolu ! »
Et BARAHIRA ? « J’éprouve un sentiment de tristesse. Mais ce dont on m’accuse est faux. Je n’étais pas là. Je lui demande de patienter, de comprendre ce qui s’est passé. Pour se réconcilier. »

Audition de madame Berthilde MUTEGWAMASO, partie civile.
Le témoin, invitée à donner son témoignage, donne à peu près la même version que madame MUKAMUNANA. Elle précise qu’en sortant de l’église, une balle a atteint le bébé qu’elle portait dans le dos. Son mari et ses enfants ont été tués : elle a perdu 5 enfants, son mari et des beaux-frères. Son bébé a survécu mais il est infirme. Après les massacres, ceux qui pouvaient courir ont couru. Elle-même est partie vers Rutagara où elle est restée jusqu’à l’arrivée des Inkotanyi [6].
Ce qu’elle sait de BARAHIRA, elle l’a appris par son mari qui avait travaillé avec lui. Elle l’a bien vu tuer quand elle est sortie de l’église. Les deux accusés étaient là, ils se tenaient l’un à côté de l’autre, une arme à la main. Si elle a survécu, c’est grâce à Dieu. Elle est restée couchée au milieu des cadavres, considérée comme morte, et ce jusques vers 19 heures. « Les Interahamwe [2] passaient encore pour taillader les gens. »
Le témoin révèle qu’elle est Hutu et que son mari était Tutsi. Comme Marie, on l’avait déshabillée. Sur ce qui s’est passé le 14, on le lui a raconté car elle était partie se cacher dans les buissons. Elle dit une nouvelle fois qu’elle a bien vu et entendu les bourgmestres donner des ordres. Ils ont aussi prêché par l’exemple. Elle évoque ensuite sa situation actuelle, à Kabarondo.
« Comment expliquez-vous que BARAHIRA, proche de votre mari, ait pu agir ainsi ? » demande madame la présidente. « Même aujourd’hui il nous fatigue, ne fait pas d’excuses. Il nous nargue. Nous sommes affligés quand nous repartons d’ici. Il devrait reconnaître les faits ! »
« Ce que j’attends de cette audience ? La justice. Que cette Cour voie ce qu’ils méritent. » Et d’évoquer les nombreux témoins qui accablent les accusés, sa belle-sœur et ses 10 enfants tués à l’église. « On survit. La justice appréciera. »
Maître CHARRIER a trois questions à poser. « BARAHIRA a été vu avec un fusil. Est-il possible qu’il ait été vu avec une lance ? » C’est tout à fait possible.
« Est-il possible de confondre NGENZI et son conseiller de secteur ? » Impossible de les confondre.
« Avez-vous l’impression qu’il vous narguait ? Les tueurs qui reconnaissent leurs crimes, cela vous permet de faire votre deuil ? » « Il existe une journée au Rwanda. Il faudrait qu’ils puissent nous demander pardon » répond le témoin.
Le témoin répond ensuite aux questions de la défense, celle de BARAHIRA d’abord. Son mari avait des frères dont certains vivent à l’étranger. BARAHIRA était bien présent de 7 heures à 18 heures. Elle a bien travaillé avec l’association des veuves AVEGA qui organisait des groupes de paroles.
Au tour de la défense de NGENZI de demander des précisions quant à la réunion sur la place du marché. Pour elle, elle a vu et le conseiller et le bourgmestre, même si ce n’est pas ce qu’à dit Oreste INCIMATATA qui s’est caché peut-être à partir de 15 heures. Elle n’est pas vraiment certaine de l’heure. Elle n’était pas au Centre de Santé et à l’IGA [7]. Ceux qui y étaient lui ont raconté.

Audience de madame Benoîte MUKAHIGIRO, partie civile.
Il se fait tard et la question se pose de savoir si on va pouvoir entendre le dernier témoin. La défense de BARAHIRA demande qu’on arrête dans l’intérêt de son client. Mais madame la présidente ne voit pas comment cela serait possible dans la mesure où les témoins repartent pour le Rwanda le lendemain. On va donc continuer l’audience, après avoir perdu 15 minutes dans les discussions.
Le témoin est originaire de Rubira, comme RWAGAFILITA [1] et NGENZI. Elle s’excuse pour la voix qui est la sienne : elle est ainsi depuis le génocide.
Le témoin revient sur les événements de Rubira : l’attaque des Abalinda [8], les chèvres de TITIRI [9], les morts ce jour-là. Elle trouve alors refuge dans le secteur de Rundu. Elle arrive à l’église le 11 : NGENZI y vient régulièrement. Elle rapporte les propos du bourgmestre : « Tous les hommes qui sont ici sont des chiens. Les vrais hommes sont chez eux. »
Elle raconte à son tour ce qui se passera à l’église le 13, sa version ne différant pas fondamentalement des autres. Elle a vu les accuser participer au tri entre Hutu et Tutsi mais ne les a pas vus tirer. C’est à l’extérieur de l’église qu’elle sera blessée par balle, éclats de grenades, pierres. Quand elle a repris connaissance, elle a vu un Interahamwe couper la gorge de quelqu’un et avoir du mal à retirer sa machette de la blessure. Elle glissait sur le sang mais a réussi à s’enfuir dans une bananeraie où elle s’est cachée jusqu’à l’arrivée du FPR.
Comme les autres témoins, elle évoque la mémoire de ceux qu’elle a perdus : 6 neveux et nièces dans l’église, 2 enfants, 5 belles-sœurs, un beau-frère. Elle n’a vu BARAHIRA à l’église que ce jour-là.
Maître CHARRIER a deux questions à poser.
« Qu’avez-vous ressenti quand NGENZI a qualifié les hommes de « chiens », ou « lâches » ? Elle a alors compris qu’elle ne pouvait plus compter sur lui, il n’y avait plus d’espoir. Il n’a rien fait pour sauver les siens, il a fait assassiner la femme et les enfants de KAJANAGE !
« NGENZI allait chercher les gens pour les conduire à l’église. En fait, c’est pour qu’ils y soient tués ? » Le témoin confirme et ajoute : « NGENZI tué nos gens mais il a aussi tué notre culture » faisant allusion aux formules de salutations d’autrefois qu’on ne peut plus utiliser. « Dieu est le père des veuves et des orphelins. Il devra répondre devant le Seigneur. »
L’avocat général met le témoin en face de ses contradictions concernant la convocation à la réunion de la place du marché. Pour elle, c’est NGENZI qui a envoyé RWASAMIRERA. Tous eux sont venus ce jour-là à des moments différents.
Un des avocats de NGENZI met en relief les contradictions du témoin, en soulignant le fait qu’elle a apporté aujourd’hui des éléments dont elle n’avait jamais parlé avant, comme le tri des Hutu et des Tutsi.
Il est 23 heures 05. Madame la présidente suspend l’audience, à la grande satisfaction de l’ensemble des personnes qui sont encore dans la salle.
Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails.
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2. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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3. selon Samuel NDOBA, également policier municipal, ils se sont rendus à Murama car des gens perturbaient la sécurité. Ils vont alors subir une attaque au cours de laquelle plusieurs policiers seront blessés par grenade.
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4. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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5. Voir l’audition de M. Oreste INCIMATATA, vicaire général de Kibungo.
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6. Inkotanyi : Combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. “Glossaire“.
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7. IGA : Centre communal de formation permanente.
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8. Abarinda : dans le secteur de NGENZI, ce groupe avait repris le nom traditionnel “des gens qui savent chasser” pour l’appliquer à la traque des Tutsi.
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9. Des voleurs s’étaient emparés des chèvres d’un certain TITIRI. Averti par le conseiller Cyprien, NGENZI serait venu et aurait reproché aux assaillants de tuer et manger les chèvres avant de s’occuper de leurs propriétaires. Voir également l’audition d’Oreste NSABIMANA.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Lundi 4 juin 2018. J18
05/06/2018
Madame la présidente fait part de la décision de la Cour : elle rejette la demande de la défense d’un transport sur les lieux.
Interrogatoire de Tito BARAHIRA.
On pourrait très bien résumer cette audience à un seul mot : COMPLOT.
Monsieur BARAHIRA est tout d’abord interrogé sur le meurtre qui aurait justifié sa démission de son poste de bourgmestre en 1986. Il évoque le cas d’un militaire renvoyé de l’armée et qui aurait commis des actes de banditisme. Cette personne aurait été arrêtée, serait tombée malade et serait décédée à l’hôpital. Mais le témoin parle d’une affaire qu’il aurait trouvée à son arrivée comme bourgmestre. Madame la présidente a beau lui redire qu’on parle d’un meurtre qui aurait eu lieu vers 1986, peu avant sa démission, BARAHIRA n’en démord pas. Pour lui, les témoins sont « manipulés ».
Sa démission en 1986 relève d’un choix personnel. Il a renoncé à ses fonctions « pour convenance personnelle ». « Je me suis assis chez moi pendant plus d’une année ! » Il a trouvé ensuite du travail à Electrogaz.
« Vous avez gardé une certaine autorité ? » demande la présidente. Pas du tout. Il est redevenu simple citoyen. Et s’il a pu garder quelques contacts avec le préfet, il n’y avait rien d’officiel. Quant à son successeur, Octavien NGENZI, il ne l’a jamais sollicité. Il n’a gardé aucune fonction officielle.
Le Club de Kibungo [1] ? Il en a simplement entendu parler.
Les Interahamwe [2] ? « Je n’ai pas connu. Il n’y en avait pas. J’en ai entendu parler sous le multipartisme, mais il n’y avait pas d’Interahamwe à Kabarondo. »
Les Simba Bataliani [3] ? Il en a aussi entendu parler. « C’était plutôt les combattants du FPR ! »
RWAGAFILITA [4], Il l’a connu en 1972 quand il était commandant de la place du Camp de Kibungo lors d’épreuves sportives. Il le verra ensuite chez ses parents. Lorsque ce dernier est devenu ministre, il lui a demandé de l’aider à trouver une école qui puisse lui permettre d’accéder à l’Université. Comme bourgmestre, il l’a rencontré, mais pas régulièrement. Il venait parfois avec un ministre ou un ambassadeur, mais pas à la commune. Il l’a aidé pour la construction du Centre de Santé et l’a même introduit auprès de l’ambassadeur de France au Rwanda qui lui a accordé une aide financière.
Il connaît Adrien MUVUNYI mais il ne l’a jamais rencontré chez RWAGAFILITA.
Et Ananie SIMUGANWA (qu’on retrouve dans une procédure belge) ? Il aurait participé à la création du Rassemblement Hutu auquel auraient participé BARAHIRA et NGENZI sous la responsabilité de l’homme fort de Kibungo. « C’est faux » se contente de dire l’accusé.
Après 1986, BARAHIRA vivait du produit de ses champs. Son épouse travaillait aussi. S’il s’est porté candidat à la Présidence du MRND local en janvier 1994, c’est parce qu’on le lui avait demandé. Par contre, il ne sait pas très bien par qui ni comment il a été élu. Il a battu les quatre autres candidats, sans faire campagne. Il devait prendre son poste en mai 1994, succédant à KARASIRA.
C’est par la radio qu’il va apprendre l’attentat contre le président HABYARIMANA. Comme le demandait le communiqué officiel signé de BAGOSORA, ministre de la Défense, il est resté chez lui après être allé avertir ses ouvriers de rentrer chez eux. Lecture faite de ce communiqué [5] par madame la présidente.
La mort de François NTIRASHUWAMABOKO, qu’il apprend par son voisin SEHENE, le choque : c’est Augustin KAYIBUMBA qui lui apprendra les circonstances de ce meurtre. Tout comme le choquera la mort de la premier ministre Agathe UWINGILIYIMANA ou encore celle des 10 Casques Bleus belges : « C’était effrayant » se contente-t-il de dire.
Personne ne va le consulter pour savoir ce qu’il conviendrait de faire. Il ne sera même pas informé des premiers massacres à Bisenga, Rubira et Rundu. Entre le 7 et le 12, il s’occupe de sa ferme et de sa maison : il ira faire des courses à Kabarondo le 9.
Du 9 au 12, il va tailler sa haie de cyprès, travail qu’il terminera le 13 avant d’aller chercher du foin pour ses vaches. Sur la route, il rencontre des « fuyards » originaires de Byumba qui lui signalent une épaisse fumée dans le lointain.
Ne lui parlez pas de la réunion du terrain de foot de Cyinzovu. Non seulement il n’y a pas participé, mais elle n’a même pas existé. Tous les témoins qui sont venus en parler sont des « menteurs », c’est un « complot » qu’on a monté contre lui. Madame la présidente évoquera les nombreux témoins qui sont venus en parler [6] : COMPLOT. Il dément aussi les propos qu’on lui prête concernant les femmes tutsi marées à des Hutu. Il les désapprouve même.
« Je déclare devant la Cour que depuis que j’ai quitté l’administration je n’ai jamais organisé de réunions sur Kabarondo. Ceux qui m’accusent l’ont fait pour obtenir des réductions de peine dans les Gacaca [7]. Ce sont des gens manipulés par les autorités en place et corrompus qui ont accusé des innocents comme moi ! »
S’il a fui, c’est à cause de la guerre entre le FPR et l’armée rwandaise.
Madame la présidente d’évoquer ensuite les conditions dans lesquelles il a été arrêté à Toulouse. N’ayant pas répondu aux sommations des policiers qui venaient l’arrêter, ces derniers ont défoncé la porte de son appartement dans lequel il s’était barricadé. « On vous a retrouvé sous votre lit ! » souligne madame la présidente. BARAHIRA conteste cette version des faits.
Plusieurs avocats des parties civiles vont l’interroger à leur tour concernant son élection comme président du MRND, l’existence ou non d’Interahamwe à Kabarondo, l’autorité qu’il aurait gardée après sa démission, le rôle des bourgmestres à Benako : rien ne pouvait se faire sans leur accord. En tout cas c’est à eux que les ONG confieront des responsabilités. Et de redire que la réunion au terrain de foot n’a pas eu lieu. On lui fait remarquer qu’il aurait pu se rendre chez son ami François quand il a appris sa mort (NDR. C’est une mort que plusieurs témoins lui attribuent !), qu’il a changé de versions quant à l’existence même du terrain, que se disant « modéré », il a choisi le MRND pour en devenir président, un parti qui ne comptait pas parmi les plus modérés.
Maître CHARRIER s’étonne qu’en tant que président élu du MRND il ne se préoccupe pas de ce qui se passe à Kabarondo, même s’il n’a pas encore pris ses fonctions ! « On était en deuil et je suis resté chez moi ! » se contente-t-il de dire. Preuve qu’il n’y a pas eu de réunion sur le terrain de foot, c’est que les gens de Rugazi devaient passer devant chez lui pour s’y rendre : il n’a vu personne.
Monsieur l’avocat général reviendra en quelques questions sur les « comploteurs ». On parle de la réunion à Rugazi II et à Cyinzovu on aurait peur d’en parler ? Et de dire que les témoins dont parle l’avocat général ou bien il ne les connaît pas, ou bien ce sont des menteurs.
« Tous des menteurs ! C’est un complot monté contre BARAHIRA ! » On pourrait résumer ainsi l’interrogatoire de l’accusé.
PS. La défense n’a pas eu le temps d’interroger à son tour son client, l’interrogatoire reprendra mardi matin. Nous en transcrivons la synthèse ci-dessous pour garder l’unité du témoignage.
Interrogatoire de Tito BARAHIRA (suite et fin).
Information donnée par madame la présidente. Il est décidé de passer outre à l’audition de maître Éric GILLET.
La défense pose enfin des questions à Tito BARAHIRA en la personne de maître BOURGEOT. Elle revient sur les rumeurs qui font état du meurtre que l’accusé aurait commis et qui aurait été à l’origine de sa « démission ». Ce n’est qu’en première instance qu’il a eu connaissance de ces faits, dans la bouche de Véronique MUKAKIBOGO. D’autres témoins auraient alors repris l’accusation. Tout cela n’est que mensonge.
La liste des génocidaires publiée par la Parquet, qui « fluctue d’année en année », serait à la base des mensonges proférés dans les Gacaca [7]. L’accusé parle à nouveau de « complot » : « Je dis la vérité, c’est ce qui compte ! Ce sont des accusations arbitraires, mais le génocide a eu lieu. » BARAHIRA de dire ensuite que le MRND n’était pas un parti ségrégationniste.
Pour en revenir au « terrain de foot de Cyinzovu », il était à environ trois kilomètres de chez lui et n’était pas vraiment aménagé. Par exemple, il n’y avait pas de but : ce qu’ont contesté certains témoins [8]. D’ailleurs, les réunions ne se tenaient pas là mais à l’école primaire de Kabarondo, chez HABIMANA. Quant au CERAI, il était à environ 1 kilomètre du terrain, ce qui contredit les approximations de l’avocate.
Enfin des témoins qui disent la vérité : ceux qui disent que BARAHIRA n’était pas à l’endroit où a été tué François NTIRUSHWAMABOKO. L’accusé considère le compte-rendu de Méthode RUBAGUMYA comme un faux et déclare n’avoir jamais eu connaissance du fait que les Tutsi étaient exclus des postes importants. « Les Tutsi exclus des écoles ? J’en doute. » Il évoque toutefois un ex-employé d’Electrogaz, Jérôme, dont le père, Tutsi Mugogwe aurait été tué parce que Tutsi. (NDR. Les Bagogwe étaient des éleveurs tutsi du Nord qui avaient été victimes de massacres en 1991, sorte de galop d’essai du génocide.) L’accusé déclare être intervenu en faveur de Augustin RUHIGIRO, arrêté lors de l’attaque du FPR en octobre 1990. L’accusé aurait supplié le Procureur de le libérer.
Lors de l’audition de François HABIMANA, en visioconférence, on a senti ce témoin très réticent pour répondre aux questions qui semblaient le gêner, et pressé d’en finir. Serait-ce par peur, son fils ayant aidé BARAHIRA à transporter ses effets personnels jusqu’à BENAKO ?
Quant à Marie MUKAMUNANA qui l’aurait vu jeter des corps dans la fosse, c’est faux. Ce jour-là, il n’a fait que passer à l’église. Et d’ajouter : « J’ai eu très peur ! » (NDR. On ne saura pas de quoi !)
TOTO et BIENFAITEUR ? « Leur maman est ma cousine. J’ai eu BIENFAITEUR comme agent de recensement de la commune. Je l’ai écarté pour avoir détourné des fonds. TOTO avait été gendarme et il s’est mal comporté. Je l’ai chassé. »
« Votre femme était Tutsi ? » demande l’avocate. « Dans notre région, on n’en parlait plus. Le MRND était au service de tous. Les Tutsi de Kabarondo n’avaient pas de problème. Elle avait un père Hutu et une mère Tutsi ».
Enfin, s’il est resté chez lui les premiers jours qui ont suivi l’attentat, c’est parce qu’un communiqué l’avait demandé. On devait rester chez soi pour le deuil mais on se déplaçait chez nos voisins. « Je n’ai pas su ce qui se passait à Kabarondo, j’étais fatigué ». Le 11, il avait accueilli sa belle-mère qui était malade. Il y avait beaucoup de « fuyards » sur la route.
C’est ainsi que se termine l’interrogatoire de BARAHIRA sur la période du 7 au 12 avril.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.

1. Club de Kibungo : au départ un groupe d’entrepreneurs qui avait vocation à dynamiser le commerce, il aurait peu à peu dérivé vers des motivations ethnistes “pro-Hutu de l’Est”.
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2. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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3. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, souvent cités pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
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4. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.
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5. Communiqué officiel annonçant la mort du Président HABYARIMANA diffusé sur Radio Rwanda dans la nuit du 6 au 7 avril (archivé sur “francegenocidetutsi.org“)
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6. Voir entre autres l’audition de Silas MUTABARUKA.
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7. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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8. Réunion du terrain de foot de Cyinzovu : comme d’autres témoins, Silas MUTABARUKA évoque une réunion au cours de laquelle Tito BARAHIRA aurait demandé à l’assistance « d’assurer la sécurité », c’est-à-dire « tuer les Tutsi », mais l’accusé conteste l’existence de cette réunion ainsi que celle du terrain de foot lui-même.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Mardi 5 juin 2018. J19
06/06/2018
• Audition de Pierre NDAZIRAMIYE, agriculteur, cité par la défense.
• Audition de Jean-Damascène RUTAGUNGIRA, partie civile.
• Audition de Francine UWERA, partie civile, en visioconférence. Commerçante.
• Audition de Jean-Pierre NSENGIMANA, commerçant, neveu de BARAHIRA. Cité par la défense.

Audition de Pierre NDAZIRAMIYE, agriculteur, cité par la défense.
Le témoin souhaite parler de ce qu’il a vu le 13 avril à l’église de Kabarondo. Il est parti à l’église car une attaque le visait. Ses grands frères avaient été tués par les Simba Bataliani [1]. Un autre frère était mort sous les coups de HABIMANA, alias CYASA, à l’IGA [2]. Son nom aurait figuré sur une liste. On lui reprochait d’avoir une femme tutsi et de posséder un livre sur les Inkotanyi [3]. Son domicile sera attaqué, ses biens pillés pour un montant de 1 700 652 francs rwandais. Il s’est donc enfui le 12 vers l’église, avec femme et enfants. Il trouve là un autre grand frère, Aloys, « un Tutsi pur-sang. »
Le témoin raconte alors sa journée du 13 où l’on tue ceux qui ont une carte d’identité tutsi. Il réussira à repartir chez lui, « dans (ses) ruines », comme il dit et se cachera chez un voisin, Moïse KIMONYO, avant de partir, comme tous les autres, vers la Tanzanie. C’est à Benako qu’il retrouvera femme et enfants. Plus tard, lorsqu’il reviendra au pays, les tueurs se grouperont en association pour l’accuser. Il fera 19 ans de prison, prétendant que s’il avait été jugé par une juridiction traditionnelle et non en Gacaca [4], il aurait été acquitté.
Madame la présidente interroge le témoin sur la destruction de sa maison le 12 avril et non le 11, sur les Simba Bataliani [1]. Et de préciser que s’il est Hutu, c’est parce que ses grands-parents, en 1959, avaient changé de carte d’identité. Il n’est pas allé à la réunion sur la place du marché le 13, réunion animée par le conseiller RWASAMIRERA. Il en a simplement entendu parler. Lorsque les militaires arrivent, vers 9/10 heures, il est sur la cour de l’église. Il va participer à la bataille en lançant des pierres et des morceaux de briques. Il y avait entre 2000 et 3000 personnes dans ou autour de l’église, beaucoup d’Interahamwe [5] venus de partout et une quinzaine de militaires qui ont installé trois mitrailleuses.
Il est demandé au témoin s’il connaît les accusés et de les nommer. Le terrain de foot existait avec des buts qui y avaient été plantés [6]. Le 12 au soir il a vu NGENZI venir à la paroisse avec des policiers communaux. Par contre, il n’a pas vu BARAHIRA. Madame la présidente souligne les contradictions du témoin en lisant en particulier le PV d’audition de Jean-Pierre KIMONYO : le témoin ne veut pas reconnaître qu’il a fait partie des Hutu évacués par BARAHIRA.
Monsieur l’avocat général s’étonne que le témoin donne des heures précises : il avait une montre. Il lui demande même s’il n’a pas fait partie des attaquants, ce qui déclenche une protestation sur les bancs de la défense. L’avocat général lui fait remarquer malicieusement qu’il s’est déclaré cultivateur alors qu’il n’a pas une tenue de cultivateur ! Tout cela pour montrer que, même témoin de la défense, il a eu droit à une tenue neuve de la part du Parquet ! (NDR. Allusion au fait que maître CHOUAI, voici quelques jours, s’était étonné qu’une partie civile porte des « chaussures neuves ! »)
Maître CHOUAI, avocat de NGENZI, demande au témoin s’il a perdu des proches : il décline le nom de ses frères tués. L’avocat de faire remarquer, suite aux propos de l’avocat général, que dans ce procès il y a « une émotion, une empathie à géométrie variable. » Sur question de l’avocat, le témoin précise que le contrôle des cartes d’identité était fait pas les militaires.
Ayant terminé ses questions, l’avocat de NGENZI porte à la connaissance de la Cour qu’ils ont reçu une réponse favorable du Parquet de Kigali suite à leur demande de pouvoir se rendre au Rwanda ! « La question est de savoir si vous irez » demande l’avocat général.
Avant de poursuivre, la défense, par maître BOURGEOT, dépose une nouvelle fois des conclusions. Elles concernent le refus de passer outre de monsieur Anaclet GAHAMANYI. L’avocat général aura beau dire : « Après l’embrouille, la prestidigitation », la défense n’en démord pas.

Audition de Jean-Damascène RUTAGUNGIRA, partie civile.
Le nouveau témoin évoque la mort des siens : une épouse, trois enfants, sa mère, ses frères et sœurs, ses oncles et tantes paternels et leurs enfants. Il a eu d’autres enfants mais maintenant il est vieux pour les élever. Le génocide a rompu le lien social dans la mort des voisins. Les siens sont morts à Cyinzovu et à l’église. Il raconte ensuite le périple effectué par les tueurs de Cyinzovu.
Il connaît BARAHIRA et précise aussitôt qu’il était méchant. Évoquant le meurtre qu’on reproche à l’ex-bourgmestre, il précise que s’il n’a pas été puni, c’est parce qu’il était soutenu par RWAGAFILITA [7]. Par contre, le témoin est le seul à évoquer une peine de 5 ans de prison ! On lui fait remarquer que, confronté à BARAHIRA en 2013 il n’avait même pas évoqué ce meurtre. On ne lui avait posé des questions que sur le génocide.
Il y avait bien des Interahamwe [5] dans le secteur. Il y a bien eu une attaque le 8 avril, mais pas de victimes. Même s’il régnait un certain calme, il s’est rendu en famille à l’église où il pensait trouver la sécurité. Madame la présidente lui fait alors raconter sa journée du 13 à l’église, récit qui ressemble à tous ceux entendus jusqu’à ce jour [8], même si l’on peut trouver des contradictions avec ses déclarations antérieures. Il évoque les Interahamwe qui défoncent la porte de l’église et le tri qui suivra entre Hutu et Tutsi, en présence des deux accusés. BARAHIRA avait une lance et NGENZI « peut-être un pistolet. »
Le témoin apporte alors l’épisode de Joséphine MUKARUGIRA qui sera bousculée par BARAHIRA et assommée ensuite d’un coup de gourdin. On lui ôtera aussi ses vêtements. Après avoir fait agenouiller les rescapés, l’ordre sera donné de les découper.
Maître Kévin CHARRIER fait remarquer au témoin qu’il a souvent été interrogé sur BARAHIRA. Et de rappeler les paroles prêtées à NGENZI. « Il est venu nous ridiculiser lorsqu’il a dit que les hommes devaient être chez eux. » Propos qui corroborent ceux d’un autre témoin : « Les vrais hommes restent chez eux. Vous, les réfugiés, vous êtes des lâches, des chiens. » (NDR. Autre traduction possible : « Vous êtes des bons à rien. »
L’audition du témoin a été interrompue car il fallait assurer la visioconférence à l’heure dite. L’audition reprend donc après celle de Francine UWERA.
Toujours sur question de maître CHARRIER, le témoin confirme que les propos de NGENZI avaient pour but de se moquer des réfugiés mais aussi de les faire sortir pour être tués. Ce qu’il a ressenti alors ? « Nous avons compris qu’il nous avait lâchés, nous avions peur. » Quant au témoin, Pierre NDAZIRAMIYE, entendu le matin, il était bien venu comme attaquant, pas comme réfugié ? Le témoin confirme à nouveau. Il n’avait aucune raison de fuir. « Nous avons d’ailleurs appris qu’il avait tué ! Quand on a ouvert l’église, il avait une hache. Il est parti en exil avec BARAHIRA et NGENZI ! Son frère Apollinaire, par contre était un juste. Il a été tué par CYASA. »
Maître ARZALIER cherche à savoir comment sont mort les membres de la famille de Mélanie UWAMALIYA. Sa maman est morte à l’église ; elle a été dépouillée de ses vêtements.
L’avocate générale revient sur la chronologie des faits de la journée du 12 en précisant que trois témoins rapportent les mêmes faits. S’il peut parler des massacres de Cyinzovu, c’est parce qu’il observe de la colline en face.
Maître CHOUAI : « Après vous avoir entendu, les pistes sont particulièrement brouillées ». Et de souligner les déclarations contradictoires. Il lui reproche d’avoir parlé de l’IGA [2] alors qu’il n’y était pas, de n’avoir jamais parlé de NGENZI dans l’audition avec Méthode RUBAGUMYA. IL s’étonne aussi du nombre d’assaillants fourni par le témoin. (NDR. Lors des manifestations en France, alors qu’on possède des moyens de compter les personnes, on nous dit toujours : 100 000 selon les syndicats et 15 000 selon la police. Pas étonnant ?) L’avocat de dire au témoin qu’il est le seul à parler de barbelés qui entoureraient la place du marché, seul à parler de NGENZI à Cyinzovu ! « Serait-ce l’inspiration du jour ? » Lui reproche enfin de n’avoir pas parlé des rondes : madame la présidente le contredit.
Maître BOURGEOT s’étonne à son tour des propos du témoin concernant le meurtre dont on accuse son client, la mort de François NTIRUSHWAMABUKO ou encore sa présence à l’IGA.
Madame la présidente demande à BARAHIRA ce qu’il pense des déclarations du témoin. Comme on pouvait s’y attendre, c’est un menteur qui « continue à propager des mensonges. » Il fait partie des comploteurs !

Audition de madame Francine UWERA, partie civile, en visioconférence. Commerçante.
En 1994, elle avait 14 ans. Si elle s’est constitué partie civile, c’est parce qu’elle a perdu des proches, dont ses parents morts tous deux à l’église. Elle a perdu aussi des frères et des sœurs.
Au début, madame UWERA dit avoir passé des nuits dans la bananeraie avant de partir pour l’église, convaincue que rien ne leur arriverait. Il n’était pas facile de trouver une place car il y avait beaucoup de monde. Même des blessés arrivaient là car les massacres avaient commencé dans plusieurs secteurs. Le véhicule de la commune déposait parfois des gens.
Le 13 au matin, alors que les enfants jouaient dans la cour, une grande clameur s’est faite entendre. Tous sont rentrés dans l’église qu’ils ont fermée à clé. La peur s’est emparée de tous : « Priez car ils veulent vous exterminer. » Avec l’arrivée des militaires, le témoin pensait être sauvée : mais ce fut le contraire, ils ont commencé à tirer sur l’église : beaucoup de bruit, de poussière. Après l’attaque, « nous étions couchés parmi les cadavres, deux de mes sœurs été mortes, une autre avait les jambes coupées, les blessés gémissaient. » Ordre est donné aux survivants de sortir de l’église les mains en l’air en tenant leur carte d’identité. Les militaires ont encerclé les rescapés après les avoir fait asseoir par terre et ont commencé le tri. Propos entendus : « Vous n’avez pas de chance. Nous n’avons plus de balles, on va vous tuer avec des pierres. » Le témoin sera blessée à la tête. Ceux qui le pouvaient se sont mis à courir, sous le tir fourni des militaires qui les poursuivaient avec des chiens. Francine réussira à se cacher chez une vieille.
Madame la présidente se hasarde à demander comment on vit après un tel drame familial. Pas facile en effet. Après un passage dans un orphelinat, elle sera récupérée par une tante maternelle. Elle raconte alors les circonstances de la mort de son papa.
Elle connaît NGENZI mais c’est surtout lors des commémorations qu’elle a entendu parler de lui. Pour elle, les gens étaient amenés à l’église pour y être tués. Sur question de madame la présidente, le témoin confirme qu’elle a témoigné dans des Gacaca [4] qui concernaient un pasteur, KAYITARE, et un certain KARANGWA. Ils ont été relaxés.
A l’école, dans sa classe, elles étaient deux Tutsi. « Les autres se moquaient de nous mais pas les professeurs. Mon père, directeur d’école, avait été dégradé. Il était redevenu simple enseignant ».
Plusieurs questions seront posées par la défense sur BARAHIRA qu’elle ne connaissait pas, sur le tri fait par les Interahamwe ou le transport des Tutsi vers l’église par NGENZI.

Audition de Jean-Pierre NSENGIMANA, commerçant, neveu de BARAHIRA. Cité par la défense.

Voilà le genre de témoin dont on peut légitimement se demander ce qu’il est venu faire devant la Cour. Il n’a vraiment rien à nous apprendre. Il connaît son oncle mais ne nous dit presque rien de lui. Il a entendu parler de NGENZI ! Si, il nous révèle qu’il jouait au foot à Cyinzovu, qu’il y avait des buts mais pas de filet [6]. Comme beaucoup, il a fui en Tanzanie. Quant aux terrains de BARAHIRA, certains sont toujours là, d’autres biens auraient été saisis. Depuis les Gacaca, on ne parle plus de BARAHIRA à Kabarondo.

Pour clore la journée, madame la présidente lit un PV d’audition de Félix MUTABAZI, ex policier communal.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, souvent cités pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
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2. IGA : Centre communal de formation permanente.
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3. Inkotanyi : Combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. “Glossaire“.
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4. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
[Retour au texte]
5. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
[Retour au texte]
6. Réunion du terrain de foot de Cyinzovu : comme d’autres témoins, Silas MUTABARUKA évoque une réunion au cours de laquelle Tito BARAHIRA aurait demandé à l’assistance « d’assurer la sécurité », c’est-à-dire « tuer les Tutsi », mais l’accusé conteste l’existence de cette réunion ainsi que celle du terrain de foot lui-même.
[Retour au texte]
7. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.
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8. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Mercredi 6 juin 2018. J 20
06/06/2018
Interrogatoire de Octavien NGENZI suite aux différents témoignages entendus jusqu’à ce jour.
Octavien NGENZI est invité à décliner son emploi du temps du 7 au 12 avril 1994.
7 avril 1994. Après avoir entendu la nouvelle de l’attentat, « une nouvelle terrible », l’accusé dit avoir pensé directement à la sécurité » et évoque un « pays décapité ». Il ne pensait pas que les troubles arriveraient jusqu’à Kabarondo. Il a alors l’idée de s’entourer par les personnes responsables de la commune, représentant les différents partis : Etienne MUKIZA du MDR, Jean-Marie Vianney MUNYANGAJU du PL, Isaïe IRYIVUZE du PSD, le conseiller RWASAMIRERA ainsi que le brigadier NDOBA. Ils se sont tous réunis à la commune le 7 en début d’après-midi. Le bourgmestre lit le communiqué du ministre de la Défense, BAGOSORA [1], puis leur propose de se déplacer chaque jour dans les différents secteurs. Mais le projet ne s’est pas réalisé.
Madame la présidente fait remarquer à l’accusé que ce qu’il dit diffère de ce qu’il a dit aux gendarmes français. NGENZI prétendant que le communiqué interdisait toute circulation, madame la présidente relit le communiqué [1]. Le bourgmestre évoque ensuite les démarches qu’il a faites dans Kabarondo auprès de la population. Il demande aux personnes contactées de rentrer chez elles : peu convaincant.
Pourquoi n’est-il pas allé à l’église [2] ? Il n’avait pas de raisons d’y aller. Les réfugiés étaient en sécurité et il ne voulait pas que sa visite n’augmente le stress des réfugiés. Il ne se souvient pas d’avoir fait une démarche auprès du préfet : selon lui, c’était au préfet de donner ses consignes s’il en avait. Étonnant !
8 avril 1994. Le matin, il rencontre l’abbé INCIMATATA qui souhaite avoir une escorte pour l’accompagner à Kibungo chercher de la nourriture. NGENZI lui accorde un policier car le curé, en tant que Tutsi, pourrait être en danger.
KAJANAGE était passé chez lui à 9 heures. Comme il est à la commune, son ami le rejoint à son bureau. Il lui annonce que sa famille a été assassinée à Rubira : « Tu dois y aller en tant que bourgmestre, lui dit-il, et en tant qu’ami. » Sa mère, son frère, sa belle-sœur et leurs enfants ont été tués. KAJANAGE lui remet 1000 francs pour offrir à boire après les obsèques. Deux policiers l’accompagnent, en arme. Lui n’est pas armé.
Sur question de madame la présidente, il précise qu’il n’y a pas de Kalachnikov à la commune. Il trouve un attroupement devant la maison d’Antoine BAKAME. Des Interahamwe [3] s’acharnaient pour faire sortir un « fugitif » tutsi, Gervais RUKINGA. Il se fait insulter mais finit par faire entendre raison aux assaillants. On lui remet un blessé qu’il transportera au Centre de Santé : c’est le fils de GASHAYIJA. L’enterrement des membres de la famille KAJANAGE est terminé quand il arrive : en fait, les corps ont été jetés dans les latrines. « Vous appelez cela un enterrement ? » s’offusque la présidente.
Le fameux épisode « des chèvres de TITIRI » est évoqué [4] mais NGENZI refuse de reconnaître qu’il était présent et n’accepte pas qu’on lui prête les propos qu’il aurait tenus : « Vous mangez les chez alors que leurs propriétaires sont encore vivants ? »
Le préfet avait convoqué le Comité préfectoral de sécurité composé entre autres du commandant de l’armée, du président de première instance de Kibungo, le président de la première chambre de Rwamagana. Tous les bourgmestres sont invités mais lui ne participera pas. Personne ne l’avait même averti ! Le soir, il rencontre le préfet à 17 heures.
9 avril 1994. NGENZI convoque une réunion du Comité mais demande au conseiller de l’animer. Quant à lui, il part à Bisenga avec deux policiers. Et de raconter sa rencontre avec les Simba Bataliani [5] qui le menacent. Il leur dit que ce n’est pas à eux de faire la loi.
Madame la présidente demande à l’accusé s’il connaît Pauline NYIRAMASHASHI. Elle lui fait remarquer que les déclarations de cette femme ne correspondent pas à ce qu’il dit lui-même de leur rencontre. NGENZI dit l’avoir prise dans sa voiture… « Je les ai sauvés mais elle doit m’accuser ! » se contente de dire l’accusé.
Il se rend ensuite au bureau communal et se rend compte que la situation se dégrade. Il va alors au Centre de Santé pour voir de quels secteurs sont les blessés. Il y rencontre un certain Félicien, de la famille du curé de la paroisse. Il se rend ensuite au presbytère pour rencontrer le prêtre. Version différente de celle donnée par l’abbé INCIMATATA. A Kibungo, il voit le préfet à qui il demande des forces armées. Il en profite pour ramener deux stères de bois. Dans la cour de l’église, il voit les réfugiés : environ 300 ! Il avait dit 150 à l’instruction.
10 avril 1994. NGENZI se rend à Rundu et Rubira pour séparer des combattants. Il se rend à nouveau à Kibungo, toujours pour demander des réquisitions.
Sur question de madame la présidente, il refuse de reconnaître le sens des expressions « assurer la sécurité » et « travailler ». Pour lui, il emploie ces termes au sens propre ! (NDR. Pour tout le monde, « assurer la sécurité » c’est tuer les Tutsi et « travailler », c’est tuer. »
La présidente lui rappelle que Sylvestre GACUMBITSI, jugé au TPIR, a parlé d’une livraison d’armes après une réunion au Camp militaire. Bien sûr, il n’en a pas entendu parler.
Madame la présidente montre à l’accusé un bloc-notes bleu récupéré lors de perquisitions. A la page 37, et à la date du 9 avril, NGENZI a écrit : « Distribution d’armes avec GATETE. » L’accusé prétend avoir écrit cela après avoir reçu des courriers à Mayotte ou après avoir consulté internet. Encore une fois pas très convaincant.
Il aurait souhaité que le préfet se déplace pour juger de la situation, mais il n’a pas osé lui demander pourquoi il n’était pas venu sur place !
11 avril 1994. NGENZI réunit les responsables de la commune et invite Oreste INCIMATATA ainsi que des commerçants et des « intellectuels ». On lui demande d’aller chercher des militaires. Le prêtre avait souhaité qu’on organise des rondes autour de l’église mais le bourgmestre s’y oppose. Et NGENZI de dire qu’il utilisait le mot selon l’acception anglaise. On lui fait remarquer que c’est le même sens qu’en français ! De toutes façons, il interdit les patrouilles.
S’il n’a pas fourni de la nourriture aux réfugiés, c’est tout simplement parce qu’il n’y avait pas de budget pour cela. Il précise que le calme règne à Kabarondo et que le 11 avril, ce n’est pas son « basculement » mais le « basculement de la situation ». Le calme règne ? Difficile à croire lorsqu’il évoque la présence des déplacés de guerre ne provenance du Nord, « affamés, en haillons ». Et d’ajouter : « Peut-être ont-ils participé aux massacres ? »
Madame la présidente souligne une contradiction. Dans son audition du 14 novembre 2011, il avait déclaré que les gens de l’église étaient protégés par la police communale. Il nous dit aujourd’hui qu’il avait refusé que les policiers assurent cette sécurité. Comprenne qui pourra. Et d’ajouter : « La patrouille militaire je pouvais l’arrêter, mais pas la patrouille communale ! » Étonnant tout de même pour quelqu’un qui dit avoir perdu son autorité. Plus étonnant encore, plus d’autorité sur les militaires que sur les policiers communaux ?
A maître EPSTEIN qui se hasarde à donner des conseils à madame la présidente sur les questions à poser, cette dernière lui rétorque qu’elle refuse les conseils de la défense et elle lit la déposition de NGENZI.
Sur question de la présidente, l’accusé reconnaît qu’il n’a avait pas de réfugiés au bureau communal après le 13, mais « s’ils avaient voulu, ils auraient pu venir. Je les aurais reçus. »
12 avril 1994. Ce jour-là, il conduit INCIMATATA u bureau communal de Kigarama : il verra sa famille pour la dernière fois. Le prêtre, dans l’après-midi croise le bourgmestre à qui il demande où on pourrait enterrer une personne qui vient de mourir. NGENZI de commenter : « Je faisais le bien et il transforme mes actions en mal ! »
L’accusé ne sait pas combien on peut dénombrer de morts à Kabarondo le 12 au soir. Six policiers étaient en exercice effectif à cette date.
Et d’ajouter, sur invitation de madame la présidente : « J’ai donné tout ce que j’ai pu pour les Tutsi. J’ai aidé les humains, sauvé des vies, rendu des services ! » (NDR. Pas sûr toutefois qu’il ait convaincu la Cour.)
Maître PADONOU lui fait préciser ce qu’il entend par « fugitifs tutsi ». « C’est quoi un fugitif pour vous ? » Il veut bien reconnaître que c’est un rescapé !
Comme il est presque l’heure de suspendre l’audience, maître LAVAL demande à la présidente que les parties civiles puissent se concerter avant de poser des questions à l’accusé. Madame la présidente suspend donc l’audience jusqu’au lendemain. On continuera alors les questions à l’accusé.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.

1. ommuniqué officiel annonçant la mort du Président HABYARIMANA diffusé sur Radio Rwanda dans la nuit du 6 au 7 avril (archivé sur “francegenocidetutsi.org“)
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2. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
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3. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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4. Des voleurs s’étaient emparés des chèvres d’un certain TITIRI. Averti par le conseiller Cyprien, NGENZI serait venu et aurait reproché aux assaillants de tuer et manger les chèvres avant de s’occuper de leurs propriétaires. Voir également l’audition d’Oreste NSABIMANA.
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5. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, souvent cités pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Jeudi 7 juin 2018. J 21.
08/06/2018
• Interrogatoire de Octavien NGENZI (suite).
• Audition de Paul NGIRABANZI, agriculteur, membre des Abalinda.
• Audition de François NZIGIYIMANA.
• Audition d’Oscar KAJANAGE, partie civile en visioconférence.
• Audition d’Etienne GAKWAYA, agriculteur, ancien conseiller du secteur de Rundu.

Interrogatoire de Octavien NGENZI (suite [1])
Maître LAVAL prend la parole et revient sur la journée du 8 avril. NGENZI a pris la décision de ne pas se rendre à la réunion organisée par le préfet. Mais connaît-il les instructions qui ont été données ?
L’accusé n’a pas entendu la convocation des bourgmestres à la radio : il avait décidé de se rendre à Rubira. Il se serait rendu chez le préfet, le soir, à son domicile, après être passé par l’hôpital. Mais il est incapable de donner les instructions données. Maître LAVAL va les lui rappeler en se référant au jugement de GACUMBITSI, le bourgmestre de Rusumo, au TPIR. Selon l’accusé du TPIR, « chaque bourgmestre a fait le point sur la sécurité dans sa commune. » Aucun problème à Rusumo. Mais les consignes données aux bourgmestres ont été précises :
• Assurer la sécurité en organisant des réunions.
• Instaurer un couvre-feu.
• Organiser des rondes nocturnes avec participation de la population.
Ces décisions, claires, ont été diffusées sur Radio Rwanda.
NGENZI de répondre qu’il devait s’exécuter et tente de se justifier. Il manquait de moyens pour appliquer ces instructions. Son choix a été d’aller « calmer les têtes chaudes » là où il y avait de l’insécurité. Il a sauvé RUKINGA.
Maître LAVAL se voit obligé de lui rappeler qui était Godefroid RUZINDANA : membre du PSD, Hutu modéré, considéré comme un complice du FPR qui avait été emprisonné 9 mois en 1990. Il était hostile au génocide, a été destitué et l’a payé de sa vie, lui et toute sa famille.
Qu’a fait l’accusé le 8 avril ? Il est intervenu là où on lui a demandé de venir. Il a utilisé la police communale, demandé la réquisition des forces armées. « Les tueurs étaient des chiens enragés ! Les chiens enragés, on les tue. Mais les hommes ? Est-ce que je pouvais les tuer ? »
Maître LAVAL d’insister : « Non seulement vous ne prenez aucune mesure de protection mais, pire, vous êtes opposé aux rondes ! »
Faisant allusion aux accusations adressées à BARAHIRA, « organiser une réunion était un crime ! Jamais je ne pouvais refuser d’appliquer les instructions. J’ai calmé la population là où je suis allé. Quant aux rondes, ceux qui ont organisée l’auto-défense civile ont été condamnés. J’avais peur de réunir les Hutu et les Tutsi ! » (NDR. NGENZI confond rondes et auto-défense civile ! Il sait bien ce qu’il fait.)
A maître LAVAL qui lui fait remarquer que ne pas mettre en pratique les instructions lui fait porter de lourdes responsabilités dans les massacres de l’église, NGENZI proteste : « Pas du tout. Je comptais aussi sur les forces unies des Tutsi qui se sont défendus. Je ne pouvais pas combattre les FAR ! »
Maître ARZALIER interroge l’accusé sur le sort réservé à la famille KAJANAGE. NGENZI reconnaît avoir revu son ami une fois au bureau communal. Il déclare que KAJANAGE a toujours voulu le salir. Il adopte la chronologie de ceux qui lui en veulent. Pour lui, l’accusation amène l’embrouille dans l’esprit de ceux qui vont les juger.
Maître MARTINE fait remarquer au bourgmestre qu’on ne peut comparer la réunion organisée par BARAHIRA (réunion pour inciter à tuer) et une réunion prévue pour protéger les réfugiés. « Ce n’est pas le même type d’organisation : il y a une réunion pour tuer et une réunion pour sauver. » NGENZI ne peut que redire qu’il n’a pas eu les moyens d’arrêter le génocide.
Pourquoi alors ne pas avoir désarmé les assaillants porteurs d’armes traditionnelles ? « Je ne pouvais pas le faire sans risquer ma vie et celle des policiers. »
« Et pourquoi ne pas disposer les policiers autour de l’église ? » insiste l’avocat de la LDH, ce qui pouvait être un signal donné aux tueurs. « Je ne voulais pas priver les réfugiés du peu de liberté qu’ils avaient ! » (NDR. Liberté d’aller et venir, d’aller acheter un peu de nourriture…)
Madame l’avocate générale soumet à son tour l’accusé à une série de questions. Le conseiller et le brigadier ne parlent pas de la réunion du 8 avril ! Le 11, il n’est pas allé à Kibungo mais au bureau communal de Kigarama. Il a ramené du bois de chauffage. « Pourtant, Manassé MUZATSINDA vous a vu ? » insiste l’avocate générale. « Tous les témoins hutu devaient mentir pour avoir une réduction de peine. C’est pour me charger ! » répond l’accusé. Quant aux vaches tuées à Rugenge, contrairement à ce qui disent deux témoins, il n’est pas allé sur place. Simon MUSONI n’est pas venu le voir pour demander de l’aide. A propos de Rubira, INCIMATATA ment : « Comment le saurait-il ? Je ne suis pas allé encourager les Hutu à tuer les Tutsi. D’ailleurs, j’avais sauvé un Tutsi ! » NGENZI se défend comme il peut.
Monsieur l’avocat général cherche à savoir si la réunion du 7 avril était une réunion politique. NGENZI a du mal à s’en sortir. Il évoque la pratique du « Kumuhoza », le débauchage des autres partis à l’époque du multipartisme, mais ne répond toujours pas à la question. Il finit par dire qu’il devait se faire aider par les représentants de tous les partis.
« Et pourquoi pas convoquer le Conseil communal ? » insiste l’avocat général. Les 12 conseillers étaient éparpillés, il était difficile de les réunir. « Mais il n’y avait pas d’urgence », reprend monsieur BERNARDO. Et comment se fait-il qu’il n’y ait pas de représentant du MRND ? « Je pouvais représenter le parti moi-même. Je recherchais la neutralité. J’étais à la hauteur ! » Pourtant, un représentant du MRND aurait pu canaliser les Interahamwe [2] !
NGENZI était en voiture mais ne possédait pas d’autoradio. Son souci était de circuler dans la commune pour voir sur place ce qui se passait. S’il a déposé RUKINGA entre l’église et la commune, c’est parce que son passager le voulait ainsi. Il ne jouait pas le rôle de taxi mais de secours ! Être allé au Centre de Santé le 10 lui permettait de se renseigner sur ce qui se passait dans tous les secteurs ! Le préfet RUZINDANA n’a joué aucun rôle dans le génocide, il lui a manqué des moyens.
A madame la présidente, il répond qu’il n’a pas vu BARAHIRA entre le 7 et le 12 avril. Ce dernier confirme.
La défense va clôturer la série des questions. A maître BOURGEOT, il confirme qu’il n’a pas participé à une réunion sur le terrain de foot [3]. Il a d’ailleurs du mal à situer ce terrain sur une carte.
Maître CHOUAI tente de voler au secours de son client. Né en 1958, il a connu la persécution contre les Tutsi. D’ailleurs, on l’a pris pour un Tutsi en 1973 ! En 1994, il a bien sûr le souvenir des persécutions antérieurs. Il se souvient évidemment des lieux où se réfugiaient les Tutsi : les églises. S’il conduit les Tutsi à l’église, c’est pour les sauver ? NGENZI confirme. Et l’avocat, en se référant à l’OMA des juges d’instruction, page 10, rappelle que les déplacements de NGENZI n’avaient pas pour but de tuer les Tutsi. Et s’adressant à la Cour : « Gardez à l’esprit les conclusions des magistrats professionnels ! » (NDR. N’empêche que les juges d’instruction ont quand même pris la décision de déférer les deux bourgmestres devant la Cour d’assises. Ils avaient donc de vraies raisons pour prendre cette décision.)
Et de rappeler que NGENZI a sauvé RUKINGA, qu’il a sauvé Pauline NYIRAMASHASHI, qui l’accusera tout de même. (NDR. C’est un argument qu’on retrouve dans tous les procès des personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide : le fait d’avoir sauver un ou plusieurs Tutsi ne peut les exonérer des crimes qu’ils auraient commis !) Selon l’accusé, « après le génocide, on a obligé les rescapés, « on » étant le régime en place, à témoigner contre moi ». L’avocat de poursuivre, se référant toujours à l’OMA, page 28, que le témoignage de Pauline ne vaut rien.
GACUMBITSI [4] ? C’est un témoin qui accuse tout le monde ! Le bloc-notes, tenu entre 2007 et 2009, rapporte à la date du 9 avril une distribution d’armes avec GATETE ? C’est en consultant internet qu’il a noté cela, alors qu’il était à Mayotte. Madame la présidente a beau demander quel intérêt il pouvait bien y avoir à noter cette distribution d’armes, la défense n’en démord pas : ce devait être en vue d’une question éventuelle à la CNDA (Cour Nationale du Droit d’asile).

Audition de Paul NGIRABANZI, agriculteur, membre des Abalinda [5].

Le témoin revient sur le fameux épisode des « chèvres de TITIRI » [6]. Les massacres ont commencé après l’intervention du bourgmestre.
Puis il évoque la réquisition des habitants de Rubira pour aller enterrer les victimes de l’église et du Centre de Santé. Quatre voitures sont venues les chercher : arrêts pour se procurer pelles et pioches, fossoyeurs répartis en deux groupes un à l’église et un autre au Centre de Santé. Après l’enterrement, une collation était prévue mais il n’a pas le souvenir d’avoir partagé une bière.
Madame la présidente revient sur la condamnation du témoin et les conditions de son interrogatoire par les enquêteurs français. C’est bien lui qui a été interrogé dans une voiture, non parce qu’il avait peur mais parce que les enfants faisaient trop de bruit à la maison.
S’il a participé à l’attaque qui a causé la mort de trois personnes, c’était par obéissance au bourgmestre. Par contre, il n’a pas participé à l’attaque de l’église. Si NGENZI est venu les chercher alors qu’ils se trouvaient dans un petit centre de négoce, c’est parce que les gens de Kabarondo avaient refusé d’enterrer les corps. Il n’était pas question de discuter les ordres de l’autorité. Ils embarquent dans quatre véhicules, une quinzaine de personnes dans chaque voiture. Certains étaient armés de gourdins. Et lui, il était armé ? « Comment voulez-vous que je puisse partir les mains vides ? » (NDR. Difficile d’obtenir des réponses par oui ou non. Question de culture.)
Des victimes, il y en avait partout, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’église, hommes, enfants, femmes dont certaines étaient dévêtues. 150 à 200 estime-t-il. L’enterrement a duré plusieurs heures et NGENZI se tenait tout près de là, à regarder. (NDR. Une centaine de fossoyeurs à jeter les corps pendant près de trois heures ? Le nombre des victimes est évidemment largement sous-estimé !) Ceux qui étaient au Centre de Santé ont achevé les blessés. Le fait que NGENZI ait assisté aux massacres sans rien dire est une preuve qu’il était d’accord.
Pourquoi fallait-il se dépêcher d’enfouir les corps ? Pour que les Inkotanyi [7] ne les trouvent pas en arrivant à Kabarondo. S’installe alors un dialogue de sourds entre la présidente et le témoin. La première souligne les nombreuses contradictions entre la déposition devant les gendarmes français et celle de ce jour devant la Cour. Quand le témoin parle de l’exhumation des corps au Centre de Santé, il évoque le moment où, plusieurs années plus tard, on a rassemblé le corps des victimes pour les enterrer dignement. Madame la présidente voulait parler du jour de l’enterrement au Centre de Santé. Difficile de se comprendre dans ces conditions.
Le témoin dit qu’il n’a pas achevé de blessés. « Et si vous en aviez trouvé ? » demande la présidente. Réponse qui glace le sang : « Je ne les aurais pas épargnées ! »
Maître CHOUAI, un peu découragé, renonce à poser des questions : « On s’incline devant l’inconstance du témoin. »

Audition de François NZIGIYIMANA.

Le témoin fait partie des gens réquisitionnés par NGENZI pour enterrer les corps. A peu près la même chronologie que le témoin précédent. Lui est affecté au Centre de Santé. Il souligne l’état de décomposition des corps exposés depuis trois jours. Il avoue qu’ils ont achevé les blessés. Ils ont dû creuser une fosse, contrairement à ceux qui travaillaient à l’église. Si NGENZI est venu les chercher, c’est parce que le bourgmestre était originaire de ce secteur. On devait lui obéir, c’était leur autorité.
Ont-ils reçu l’ordre d’achever les blessés au Centre de Santé ? « Non, ils agonisaient, on les a achevés. C’est un crime que nous avons commis et pour lequel nous avons demandé pardon. » Il a écopé 24 ans de prison mais n’en a fait que 12.
A cinq reprises, madame la présidente demande au témoin si NGENZI leur a demandé d’aller à l’IGA [8]. Il finit par dire oui mais il ne s’y est pas rendu. Ce sont ceux qui étaient à l’église qui y sont allés.
A maître MARTINE qui fait remarquer au témoin qu’il aurait pu refuser d’aller enterrer les corps : « Est-ce que je pouvais ne pas obéir ? » S’il avait refusé, il l’aurait puni, enfermé au cachot.
Devant maître CHARRIER, le témoin reconnaît que pendant le génocide, tout était permis, même tuer les Tutsi. Il a tué des Tutsi parce qu’il savait que le bourgmestre ne le punirait pas. Il aurait obéi de la même façon si NGENZI leur avait dit de rester chez eux, même si la radio leur demandait de tuer. Ils auraient obéi au bourgmestre plus qu’aux Interahamwe [2]. Par contre, NGENZI ne semblait pas triste à cause des massacres. Il avait surtout peur que le FPR voie les cadavres.
« Vous en voulez à NGENZI de vous avoir incité à tuer et à enterrer les corps ? » demande l’avocat. « C’est une leçon pour nous. Aujourd’hui, on ne peut pas tuer. Nous vivions en sécurité. On nous a conduits vers des crimes qu’on ne connaissait pas. Cela nous a fait de la peine. C’était comme tuer des chèvres. »
A la présidente qui reprend la main, le témoin avoue que leur chef était NGENZI, pas le chef des Abalinda [5]. Quand le bourgmestre est venu les chercher, il savait qu’il avait affaire aux Abalinda : car leur centre de négoce était voisin du leur. Ces derniers n’avaient pas de tenue particulière.
Comme il se doit, la parole sera donnée à la défense pour clôturer cette audience.

Audition d’Oscar KAJANAGE, partie civile en visioconférence.
Monsieur KAJANAGE commence par évoquer la question des dommages et intérêts. Madame la présidente lui fait savoir que ce n’est pas l’objet de cette audition.
Le témoin poursuit en rappelant les liens qui unissaient les deux hommes. Bien que le père de NGENZI fût soupçonné d’avoir tué celui du témoin, ils étaient devenus amis. Le témoin raconte alors longuement le cursus du bourgmestre : la présidente doit lui rappeler de s’en tenir au sujet. C’est à partie de 1990 que leurs relations vont être perturbées. De rappeler toutefois le rôle joué par RWAGAFILITA [9] dans la nomination de NGENZI au poste de bourgmestre. A partir de 1990, le bourgmestre a demandé à son « ami » de ne plus venir le voir chez lui, mais au bureau communal.
Puis de raconter la mort de sa mère et celle des autres membres de sa famille (une douzaine de personnes) dont on connaît déjà en partie l’histoire. KAJANAGE demande à NGENZI d’aller enterrer les siens pour éviter qu’ils ne soient dévorés par les chiens ou les rapaces.
Le 11, le témoin conduit femme et enfants à l’église. Lui viendra le lendemain. De raconter ensuite l’attaque de l’église. Il dit s’être caché dans une pièce du presbytère où ils se sont enfermés à clé (NDR. Dans son témoignage, l’abbé INCIMATATA avait parlé de cette chambre fermée à clé sans préciser qui était à l’intérieur.)
Le dialogue avec le témoin est difficile. Il se perd dans des détails qui perdent probablement jurés et assistance. Madame la présidente donne lecture de ses dépositions précédentes qui contredisent ce que le témoin dit devant la Cour. Il veut surtout montrer la responsabilité du bourgmestre dans les massacres de l’église.
BARAHIRA, il l’a vu à la réunion du 8 avril, puis l’a revu à l’église le 13 : il supervisait les massacres.
Maître ARZALIER voudrait aider le témoin à remettre de l’ordre dans ses déclarations mais il finira par renoncer.
La défense ne manquera pas de mette le témoin en face de ses contradictions. Maître EPSTEIN veut surtout lui faire dire que NGENZI n’a jamais manifesté de haine envers les Tutsi. Il reproche au témoin de rapporter des faits dont il n’avait jamais parlé avant.
Maître BOURGEOT reviendra quant à elle sur ce que le témoin connaît de son client BARAHIRA.
« Que voulez-vous dire à NGENZI qui vous écoute », demande la présidente ? KAJANAGE se contente de ces mots : « La peur tue l’intelligence. »

Audition d’Etienne GAKWAYA, agriculteur, ancien conseiller du secteur de Rundu.
Le témoin rapporte que quand la guerre a éclaté, il est allé voir NGENZI pour qu’il vole à leur secours : un autre secteur avait attaqué le leur. Il est venu avec des policiers qui ont tiré des balles en l’air. La population s’est calmée. Le bourgmestre a conduit un blessé à l’hôpital, remis un mort à sa famille. Quant à lui, on est venu le prendre pour le conduire à la commune. Il s’est caché jusqu’à l’arrivée des Inkotanyi [7].
Sur question de madame la présidente, le témoin précise qu’il était conseiller de secteur du parti PSD. Il avait quitté le MRND. Il n’a pas été invité à la réunion du 11 avril et n’était pas présent à l’église le 13. De retour chez lui, ce qui l’a marqué c’est qu’on avait tué une famille de Rundu et qu’on avait jeté les corps dans ses latrines. Il ne connaît pas les tueurs.
Il connaît RUHUMULIZA : il est un de ceux qui l’ont destitué de son poste de conseiller. Il a distribué des grenades aux réservistes qui avaient quitté l’armée. Il voulait le tuer mais il a payé pour échapper à la mort. Deux des frères de NGENZI, MUSONI et MUSONERA faisaient partie des Abalinda [5].
Il connaît aussi BARAHIRA : il dirigeait les Interahamwe [2], 200 à 300 à Kabarondo.
Monsieur l’avocat général interroge sur l’organisation administrative de la commune et revient sur les conditions de sa destitution.
Maître EPSTEIN veut savoir si le fait que le témoin ait changé de parti posait des problèmes à NGENZI. Ce dernier lui a demandé pourquoi. : « J’ai quitté librement le MRND comme je l’avais intégré librement » aurait répondu l’ancien conseiller. Par contre, il n’a pas vu de changement dans le comportement de NGENZI entre 1990 et 1994.
Maître BOURGEOT, enfin, veut savoir s’il a été emprisonné et relâché sans procès à cause de son rôle de conseiller. « Quand on avait occupé un poste, on était inquiété » demande l’avocate. Le témoin confirme.
Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. Voir l’interrogatoire d’Octavien NGENZI sur son emploi du temps du 7 au 12 avril 1994.
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2. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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3. Réunion du terrain de foot de Cyinzovu : comme d’autres témoins, Silas MUTABARUKA évoque une réunion au cours de laquelle Tito BARAHIRA aurait demandé à l’assistance « d’assurer la sécurité », c’est-à-dire « tuer les Tutsi », mais l’accusé conteste l’existence de cette réunion ainsi que celle du terrain de foot lui-même.
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4. Au cours de la première partie de l’interrogatoire, madame la présidente rappelait que Sylvestre GACUMBITSI, jugé au TPIR, a parlé d’une livraison d’armes après une réunion au Camp militaire.
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5. Abalinda ou Abarinda : dans le secteur de NGENZI, ce groupe avait repris le nom traditionnel “des gens qui savent chasser” pour l’appliquer à la traque des Tutsi.
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6. Des voleurs s’étaient emparés des chèvres d’un certain TITIRI. Averti par le conseiller Cyprien, NGENZI serait venu et aurait reproché aux assaillants de tuer et manger les chèvres avant de s’occuper de leurs propriétaires. Voir également l’audition d’Oreste NSABIMANA.
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7. Inkotanyi : Combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. “Glossaire“.
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8. IGA : Centre communal de formation permanente.
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9. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Vendredi 8 juin 2018. J 22.
09/06/2018
• Audition de Jovithe RYAKA.
• Audition de Anaclet RUHUMULIZA, commerçant, éleveur et agriculteur (en visioconférence).
• Audition de Constance MUKABAZAYIRE, agricultrice, partie civile.
• Audition de Pélagie UWAGIRINKA, commerçante, partie civile.

Audition de Jovithe RYAKA.

Le témoin déclare qu’il s’est porté partie civile parce que le bourgmestre, Octavien NGENZI, n’a pas protégé les siens.
Les relations entre les deux hommes ont été bonnes jusqu’en octobre 1990. Ils avaient même des liens assez étroits. Au retour d’un pèlerinage à Zaza, par exemple, il a été arrêté une journée avec 7 autres personnes et exposé au soleil toute une journée : sans raison.
Le témoin rapporte un autre exemple. Alors qu’il avait perdu son laisser-passer et sa carte d’identité, il est retourné au bureau communal où un agent, NDAYAMBAJE, lui propose une carte d’identité avec la mention Hutu. NGENZI déchirera le document. Le fonctionnaire écopera d’une amende. Le témoin travaillait alors à l’Économat général de Kibungo et avait besoin de ses papiers pour passer une barrière.
Le témoin évoque des événements les 7 et 8 avril avec l’attaque des Abalinda [1] armés de lances et de gourdins et l’épisode des « chèvres de TITIRI » [2]: « On pensait que c’était le grand frère de NGENZI qui avait abattu les chèvres ! » Le bourgmestre est alors arrivé en voiture. On connaît la suite de l’histoire.
Jovithe RAKYA évoque ensuite la mort de SENKWARE et de son grand frère André par des Interahamwe armés de lances et de gourdins et habillés de feuilles de bananiers [3]. Le jeune PILOTE sera blessé par Patrice HABYARIMANA et achevé par d’autres.
Le témoin passe la nuit du 8 chez BILINDA. Le lendemain, il voit BARAHIRA qu’il entend dire : « L’ennemi c’est le Tutsi. Vous ne devez pas vous retourner les uns contre les autres. Il faut tuer les Tutsi. » Il faut rappeler que les habitants de Rubira avaient attaqué ceux de Rundu.
Le témoin entend MUGARASI dire à BARAHIRA : « Tu nous demandes de tuer les Tutsi mais de quelle ethnie est ton épouse ? » L’ex-bourgmestre lui remettra de l’argent pour le faire taire. Des tueries se produiront alors.
Madame la présidente souligne les contradictions du témoin. Aux enquêteurs français, en 2011, il n’avait pas mentionné la présence de BARAHIRA.
Le témoin se rend alors à l’église le 12 et va narrer la journée du 13 : réunion sur la place du marché en présence du conseiller RWASAMIRERA, l’attaque des Interahamwe, l’attaque à la grenade, l’arrivée des militaires dont il pensait qu’ils venaient les protéger. Il évoque en pleurant la mort de sa mère qui sera atrocement torturée et mutilée: elle sera énuclée. Il réussira à s’échapper et à se cacher. Il aura perdu un grand nombre de membres de sa famille dans l’église : sa maman, trois sœurs, son père, son épouse, ses deux fils. Un certain nombre d’informations qu’il donne vient des Gacaca [4].
Sur questions de madame la présidente, il revient sur les méfaits de NGENZI à partie de 1990 :
• Il s’est approprié un champ de son père, récupéré en 1995.
• Allusion à son arrestation au retour de Zaza.
• Il a persécuté les Tutsi mais aussi les membres du PL (Parti libéral).
• Il l’a giflé sans raison et mis en prison.
• Il a perdu son emploi à Kibungo pour avoir abattu un arbre.
Le témoin dit peu de choses sur BARAHIRA si ce n’est qu’il détestait les Tutsi. Il fait allusion au meurtre de BIZIMANA qu’il aurait tué avant de perdre son poste de bourgmestre. De rappeler aussi qu’à deux reprises il n’a pas pu obtenir un travail sous prétexte qu’il aurait oublié de mettre son nom sur les tests de sélection. Tout cela parce qu’il était Tutsi. Depuis l’arrivée du FPR, le témoin est devenu membre du parti.
Maître Kévin CHARRIER fait préciser au témoin qu’une carte d’identité avec mention Hutu pouvait sauver la vie, que la vie des Tutsi était difficile. Effectivement : « Un Tutsi qui avait étudié ne pouvait être qu’enseignant ou prêtre. »
Et NGENZI ne facilitait pas les choses ? Le témoin de rappeler qu’avant 1990, tout allait bien. De dire aussi que depuis 1959 aucun Tutsi n’a eu vraiment la paix.
Il a bien pu confondre des dates, le temps pouvant créer des confusions. « Il y a beaucoup de mauvaises choses dans nos têtes : pertes de repères, surtout quand nous arrivons dans un lieu comme celui-là ! » S’il n’a pas vu NGENZI et BARAHIRA, cela ne veut pas dire qu’ils n’y étaient pas.
Qu’a-t-il envie de dire à NGENZI ? « NGENZI, pose-toi la question. Tu n’as pas eu pitié de ton parrain pour sauver au moins un enfant. Tu es partie en exil en laissant ta mère. Aie de la compassion. Ton père a tué le père de KAJANAGE et pourtant il est resté ton ami. Tu ne l’as pas aidé en retour. Dis à tes enfants ce que tu as fait et laisse-les venir au Rwanda vivre avec nous ».
Un des avocats de LDH souhaite revenir sur l’animalisation des victimes dans le langage courant avant le génocide. Il est vrai que le Tutsi était traité de cafard, de serpent. Comme l’avocat avait parlé du témoin NZIGIYIMANA, Jovithe raconte l’épisode au cours duquel ce dernier avait écrasé les testicules d’un enfant puis planté une épée dans son cœur, et ce dans les bras de sa mère !
Madame la présidente reprend la main. Si RYAKA a adhéré au PL c’est parce que c’est dans ce parti qu’il y avait le plus de Tutsi, le MRND ne partageant pas le pouvoir. La présidente souhaiterait y voir un peu plus clair entre ce que le témoin a vu et ce qu’il a entendu !
Les avocats généraux reviendront à leur tour sur les contradictions entre ce qu’il a dit lors des auditions avec les gendarmes, les confrontations avec NGENZI et ce qu’il déclare devant la Cour.
L’avocate de BARAHIRA cherche aussi à y voir clair. Elle essaie de démêler le vrai du faux en respectant la douleur du témoin. Il n’a pas été témoin du meurtre de BIZIMANA mais « tout le monde en parlait. » Et le témoin de redire que les Tutsi étaient persécutés depuis 1959. Quant à RUHUMULIZA, il recevait bien des ordres de NGENZI. Quant à donner des éléments précis, qui on a vu ou pas, c’est très difficile car chacun cherchait à sauver sa vie.
Au tour de maître EPSTEIN d’interroger le témoin. Des militaires sont bien venus rôder autour de chez lui avant 1994. Ils avaient été envoyés par NGENZI et BAKAME. Bien sûr, NGENZI ne pouvait pas persécuter l’abbé INCIMATATA qui disait du bien de lui. Si ses propos ne correspondent pas à ce qu’a dit Etienne GAKWAYA, c’est un fait. Mais ce n’est pas ce que le témoin a entendu dans les Gacaca [4] !

Audition de Anaclet RUHUMULIZA, commerçant, éleveur et agriculteur. Entendu en visioconférence.

Le témoin évoque l’attentat contre l’avion du président qui est tombé lors de son retour d’Arusha. « Toute la nuit, nos voisins tutsi ont marché pour se rendre à l’église de Kabarondo ». Les jeunes Hutu Interahamwe [3] seraient partis ensuite pour s’emparer du bétail des Tutsi. Le conseiller Cyprien a alors appelé NGENZI au secours. Le bourgmestre aurait remis au fils de TWABUHAYA, Tutsi, le bétail mort qu’on lui avait volé en lui demandant d’aller le vendre.
Le lendemain, les Interahamwe étaient furieux. Ils se sont lancés à la poursuite de la population et ont pris PILOTE, un maçon qui travaillait pour lui. PILOTE sera ensuite tué. Allusion à l’intervention des militaires le 13. Le 14, NGENZI a demandé aux gens de Kabarondo d’aller enterrer les morts de l’église [5] : ils ont refusé. Le bourgmestre se rendra à Kabura pour enrôler des fossoyeurs. On a pour cela réquisitionné son propre véhicule. Lui-même souhaitait revenir à son bar.
Ordre a été donné d’aller tuer au Centre de Santé. NGENZI avait promis de donner un bœuf : il finira par remettre 15 000 francs.
A cause du temps passé en prison, le témoin dit avoir oublié de dire qu’à une date qu’il a oubliée, les Interahamwe sont allés à Rundu pour piller les biens des gens qui avaient fui leurs maisons. Ils se sont battus entre eux car ils n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur le partage des biens pillés. Un certain Patrice a été blessé et NGENZI l’a conduit à l’hôpital.
Le témoin termine sa déposition spontanée en évoquant les tueries au Centre de Santé le jour de l’enterrement et le transfert de rescapés à Kibungo où ils seront tués. Il fuira en Tanzanie parce que les Inkotanyi [6] arrivaient à Kabarondo.
Madame la présidente interroge alors le témoin. En 1994, il habitait Rubira mais avait un bar dans le centre de Kabarondo qu’il louait. C’était un simple bar où la population venait boire un verre, membres du PL ou du MRND. Pour être en paix, il appartenait au MRND. Les Interahamwe [3], il a du mal à en reconnaître l’existence à Kabarondo. Les Abalinda [1] ? Il y en avait à Rundu et Rubira. Lui-même était considéré comme un de leurs membres mais il n’a jamais dirigé quoi que ce soit. S’il a été condamné, c’est pour avoir prêté son véhicule pour transporter les fossoyeurs. Si NDOBA a prétendu qu’il était le chef des Abalinda, c’est tout simplement pour plaider sa cause. Il a vaguement entendu parler des Simba Bataliani [7] et ne sait rien du Club de Kibungo [8] .
Le témoin répond à une série de questions sur RWAGAFILITA [9] qui a favorisé la nomination de NGENZI. Il n’a participé à aucune réunion en 1994, hésite pour dire qu’il était présent lors des pillages de Rundu, refuse de reconnaître qu’il a participé à une distribution d’armes. Ce sont les rescapés qui l’ont accusé. Quant à la distribution de grenades, c’est NDAYAMBAJE qui en a remis au conseiller Cyprien, contrairement à ce qu’a dit GAKWAYA qui l’a calomnié.
L’enterrement des corps, il n’y a pas participé, il n’est pas allé à l’église. S’il s’est rendu à l’IGA [10], c’est parce que RWAMUHUNGU lui a demandé de venir car on risquait d’y tuer des Hutu. Les réfugiés de chez NGENZI ? Selon ce dernier, ils auraient été tués à Kibungo.
Un avocat de LDH revient sur les Abalinda[1]. Les pères et grands-pères de NGENZI et NZIGIYIMANA étaient des Abalinda. En 2011, il avait pourtant dit que NGENZI faisait partie des Abalinda. Il aurait dit aux juges qu’il n’avait pas participé à l’enterrement ! Le témoin ne se souvient que du 16 avril quand ils ont transporté les fossoyeurs.
Sur questions de maître GISAGARA, le témoin confirme qu’on l’a appelé au secours à l’IGA parce que CYASA allait tuer des Hutu. De décrire alors l’omniprésence de ce dernier lors du génocide et sa qualité de chef des Abalinda. C’était « un grand tueur ». L’avocat s’étonne alors que le témoin, citoyen de base, ait pu donner des ordres à CYASA, un grand tueur ! Probablement qu’il était autant craint que CYASA.
Un des avocats de NGENZI, maître CHOUAI, s’empare d’un document qui est dans le dossier, un document écrit sous la dictée car il ne sait ni lire et écrire. L’avocat entreprend la lecture d’un post-scriptum qui termine les déclarations du témoin : « … l’OPJ qui m’accompagnait… je pense qu’il en sait beaucoup plus… » « Je vous dirai qui parle ! » Et d’ajouter : « Vous vous souvenez d’Alain GAUTHIER qui est venu vous voir, vous faire écrire un document alors que vous ne savez pas écrire ? » Le témoin d’expliquer : « Je suis allé dans le bureau des assistants sociaux qui ont écrit mon témoignage. Les gens qui viennent me voir en prison ont obtenu l’autorisation ».
Maître BOURGEOT cherche à savoir ce qu’est une perpétuité spéciale. INCIMATATA a témoigné dans le procès NGENZI en Gacaca. Quant à KARASIRA, il est décédé de diabète en prison. « Emprisonné car il était président du MRND ? » interroge l’avocate. Quant à savoir quand il sortira de prison, « seul Dieu le sait. »

Audition de Constance MUKABAZAYIRE, agricultrice, partie civile.

« Quand quelqu’un est devenu mauvais, cela a des répercussions sur ses enfants ». Telles sont les premières paroles du témoin. Elle évoque sa rencontre avec Mélanie, partie civile au procès, ce qui lui a rappelé les événements de 1959 au cours desquels KAYIHURA, le père de Mélanie a péri dans sa maison en feu. En 1994, ce sont ces enfants qui ont commis les mêmes crimes. Constance voudrait supplier les accusés de « ne pas léguer leur mauvais métier à leurs enfants ».
D’en venir alors à sa propre histoire. Le 12 avril 1994, elle arrive à l’église, sa famille ayant déjà été tuée. Il lui reste trois enfants, dont un qu’elle porte au dos. Ses 5 autres enfants ont été tués dès les premières heures. Leurs corps ont été jetés dans des latrines, apprendra-t-elle plus tard. Sa fille aînée a été tuée après avoir subi un viol. On lui a dit plus tard que ses enfants auraient été tués par un certain MUKASA.
Le témoin est arrivée à l’église alors qu’il faisait déjà nuit. Le 13 au matin, elle retrouve les enfants de son frère près de la Banque actuelle, à côté de la place du marché. NGENZI tenait une réunion avec NDOBA, Anaclet RWAMASIRERA et Anaclet BIZIMANA. Elle aurait entendu le bourgmestre tenir les propos suivants : « Il faut aller tuer les Tutsi pour qu’on se demande plus tard à quoi ressemblait un Tutsi ! » De raconter ensuite l’arrivée des militaires qui vont se mettre à tirer sur l’église. Elle reconnaîtra un certain MUHIRE et ALOYS, qui est maintenant devenu fou. Par les fenêtres de l’église, elle voit les militaires tirer et tuer. Une femme, Athanasie, meurt sous ses yeux.
Les militaires font sortir les rescapés de l’église et demandent aux « cafards » de s’asseoir sur la Cour. Elle remet son enfant chez Joséphine et va vivre une journée d’errance, va passer la nuit chez MUSA. A son retour, son enfant aura été tué chez Spéciose.
Elle s’adresse alors à NGENZI lui-même. Pourquoi, alors qu’il aurait caché des Tutsi, n’a-t-il pas caché KAJANAGE ou KAGABO ?
Elle vivra ensuite dans la brousse avec ses deux enfants, jusqu’à l’arrivée des Inkotanyi. Elle avait même pensé à se suicider. Elle est arrivée chez NDAGIJIMANA dont la femme était sa filleule.
Sur questions de la présidente, elle reconnaît avoir vu NGENZI deux fois. Il se comportait toujours en dirigeant. Par contre, elle n’a pas vu l’abbé INCIMATATA.
Elle ajoutera : « Hier, j’ai entendu NGENZI nier ce qu’on lui reproche. J’ai eu peur. Et quand j’ai entendu RUHUMULIZA dire que BARAHIRA n’a pas vu de cadavres, j’ai ressenti de la frayeur. C’est parce que j’ai entendu les mensonges de NGENZI que je l’ai supplié de ne pas transmettre cela à ses enfants. Même s’il nie ici, Dieu va le juger. »
Maître GISAGARA interroge le témoin qui a témoigné à décharge dans un procès Gacaca [4] . Preuve qu’elle est capable de défendre quelqu’un accusé injustement. Elle confirme qu’elle a entendu dire que son frère François NTIRUSHWAMABOKO avait bien été tué en présence de BARAHIRA. Elle évoque ensuite sa situation de rescapée : elle est malade, n’a personne pour l’aider. Elle ne peut s’empêcher de comparer sa situation à celle de la famille NGENZI. Elle souffre surtout au moment des commémorations auxquelles elle évite de participer : « Je demande à ces gens de redevenir humains et pas des animaux. »
Monsieur l’avocat général lui demande de revenir sur la chronologie des événements. Quant à maître BOURGEOT, elle interroge le témoin sur la responsabilité de BARAHIRA dans la mort de son frère François. Par contre, elle ne connaissait pas RWAGAFILITA [9].
Maître CHOUAI revient sur l’OMA des juges d’instruction qui précise qu’on ne peut pas retenir le fait que NGENZI ait pu être à la fameuse réunion.
Madame la présidente lui demande de poser des questions et de ne pas revenir sur l’OMA à laquelle la Cour n’est pas tenue de se référer. L’audition se termine par la lecture d’un plan. L’avocat prétend que le témoin ne peut pas avoir entendu NGENZI de là où elle se trouvait.

Audition de Pélagie UWAGIRINKA, commerçante, partie civile.

Le témoin est la sœur de Dative, l’épouse de KAJANAGE qui est décédée avec ses trois enfants, ainsi qu’avec une nièce. Elle a assisté la veille à l’audience, mais elle a dû partir plus tôt très affectée, ne pouvant supporter ce qu’elle entendait.
Même lors des premières Gacaca [4] de Kabarondo, elle n’a pas pu rester jusqu’à la fin. Elle a essayé de prendre ses distances avec les événements. De rappeler alors le souvenir de sa sœur qui était aussi son amie. Elle reproche surtout à NGENZI et BARAHIRA de n’avoir rien fait pour sauver sa sœur alors que cette dernière avait travaillé pour eux.
NGENZI était leur voisin immédiat, leurs enfants avaient le même âge et jouaient ensemble. S’ils avaient pu au moins en sauver un ! Aujourd’hui, il n’existe aucune descendance de sa sœur. NGENZI est responsable.
Pélagie vivait à Kigali. Elle s’est réfugiée à la paroisse Saint-André, dans le quartier de Nyamirambo.
A-t-elle quelque chose à rajouter ? Elle dit en direction des accusés qu’après ce procès sur terre, il y aura un autre procès dans lequel ils ne pourront plus se défendre.
« Qu’attendez-vous de ce procès » lui demande madame la présidente ? « C’est vous qui allez dire la vérité, sans partialité. »
L’audience se termine par la remise de photos de Dative à la Cour.

Alain GAUTHIER, président du CPCR.

1. Abalinda ou Abarinda : dans le secteur de NGENZI, ce groupe avait repris le nom traditionnel “des gens qui savent chasser” pour l’appliquer à la traque des Tutsi.
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2. Des voleurs s’étaient emparés des chèvres d’un certain TITIRI. Averti par le conseiller Cyprien, NGENZI serait venu et aurait reproché aux assaillants de tuer et manger les chèvres avant de s’occuper de leurs propriétaires. Voir également l’audition d’Oreste NSABIMANA.
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3. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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4. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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5. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
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6. Inkotanyi : Combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. “Glossaire“.
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7. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, souvent cités pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
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8. Club de Kibungo : au départ un groupe d’entrepreneurs qui avait vocation à dynamiser le commerce, il aurait peu à peu dérivé vers des motivations ethnistes “pro-Hutu de l’Est”.
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9. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.
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10. IGA : Centre communal de formation permanente.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Lundi 11 juin 2018. J 23
11/06/2018
• Audition de Jean Bosco GATERA, beau-frère de BARAHIRA, cité par la défense.
• Audition de Jean-Damascène MATABARO, en visioconférence.

Audition de Jean Bosco GATERA, beau-frère de BARAHIRA, cité par la défense.

Le témoin commence par rendre hommage à « toutes les victimes touchées par la guerre. » Il faut tourner la page, connaître la vérité, rendre la justice pour aller vers le pardon et la réconciliation. « Je fais confiance en la justice française. »
Le témoin est venu dresser un portrait élogieux de son beau-frère. Il le connaît depuis 1977 : encore jeune il venait rendre visite à sa sœur, épouse de l’accusé. En 1986, il part aux études pour ne revenir que six ans et demi plus tard, en février 1992. « Je suis revenu pour tomber dans la guerre qui a fait des victimes des deux côtés » ajoute-t-il.
BARAHIRA, il l’a toujours connu gentil, serviable, sociable. C’est lui qui le conseillait pour trouver du travail. Respectueux de tous, il aimait les gens entre lesquels il ne faisait aucune distinction. Si bien que lorsqu’il a appris son arrestation, il n’a pas compris. Il ne comprend toujours pas comment il aurait pu changer : tout le monde le prenait pour quelqu’un d’exemplaire. Personnellement, il l’a toujours apprécié. Il ne reverra son beau-frère qu’après 2006. De préciser que lui-même n’était pas à Kabarondo pendant « la guerre ». Il a essayé de se renseigner auprès de sa femme et de leurs enfants : BARAHIRA ne s’occupait que de ses biens.
Ce n’est que sur question de madame la présidente que le témoin va commencer à utiliser le terme de « génocide ». Son beau-frère, il l’a vu pour la dernière fois à Kigali, une semaine avant le génocide. Le témoin reconnaît avoir rendu visite à BARAHIRA à Toulouse. Ce dernier viendra le voir à son tour en Belgique à l’occasion de la Confirmation de ses enfants. Par contre, il n’est jamais allé le voir à la maison d’arrêt où il est incarcéré.
Personne ne souhaitant interroger le témoin, c’est l’avocate de BARAHIRA qui va tenter d’obtenir des réponses. En vain, monsieur GATERA ne donnera à aucun moment la version des faits qu’elle attend. A la question de savoir pourquoi il a quitté le Rwanda, le témoin répond qu’il voulait « se reposer », que « c’était (son) choix. » Il envisage même de retourner dans son pays, ne craignant aucun problème de sécurité.
Maître BOURGEOT lit alors une lettre que le témoin a adressée à son beau-frère en 2001. Dans ce courrier, il évoque la situation d’une jeune femme qui a souhaité rentrer au Rwanda où elle avait trouvé un poste au Ministère de l’Éducation. Il aurait tenté de la dissuader, trouvant cette décision prématurée. « Elle le regrettera » confie-t-il à BARAHIRA.
Un second extrait de la lettre évoque des plaintes qui auraient visé le témoin. L’avocate cherche à en savoir plus : « C’est mon problème personnel » déclare GATERA. Manifestement, il ne souhaite pas en dire davantage. Serait-ce parce qu’il a encore sa mère et sa sœur au Rwanda qu’il ne serait pas libre de parler ? C’est apparemment ce que l’avocate aurait voulu entendre, mais le témoin n’en dira pas plus, tout en ajoutant qu’il se sent tout à fait libre de dire ce qu’il veut. Pas plus non plus sur les « fausses accusations » qui seraient monnaie courante au Rwanda depuis le génocide !
Connaîtrait-il un ouvrage sorti récemment, « Bad News » ? Non seulement il ne l’a pas lu mais il n’en a même pas entendu parler. L’avocate tente d’expliquer ce dont il s’agit mais madame la présidente lui fait gentiment remarquer que ce n’est peut-être pas la peine d’en dire plus. (NDR. L’auteur, Anjan SUNDARAM, fait un constat sans appel sur la situation des journalistes indépendants qui serait catastrophique au Rwanda. L’auteur était venu former des journalistes de 2009 à 2016.)
Revenant sur ces fameuses « plaintes » qui l’auraient visé, le témoin finit pas dire que c’est « de la méchanceté infondée liée à la jalousie. Les services chargés de ça ont conclu que je n’avais rien fait ». On se contentera de ces explications.
On peut dire que ce nouveau témoin n’aura pas répondu aux attentes de la défense.

Audition de Jean-Damascène MATABARO, en visioconférence.

Son témoignage concerne les meurtres au Centre de Santé et à l’IGA [1]. NGENZI les a trouvés à Rubira, à Cyaburindwa, où il est venu avec trois policiers communaux. Les quatre étaient armés et le bourgmestre leur a intimés l’ordre de monter dans la voiture. En cours de route, d’autres habitants ont été réquisitionnés : trois voitures supplémentaires étaient là : celle de RUHUMULIZA, celle de KABASHA, la dernière appartenant à David MUNYAKAZI.
Une fois dans le véhicule, ils ont demandé le lieu de leur destination. Arrivés à Cyinzovu, ils se sont arrêtés au CERAI où ils dû charger des houes et des pioches. Quand ils ont atteint l’église de Kabarondo, ils se sont trouvés en présence de gens morts depuis trois jours, un certain nombre de corps étant dans un état de décomposition avancé. Les morts ont été jetés dans la fosse qui se trouvait derrière l’église (cette fosse avait été préparée en vue de l’agrandissement de l’édifice religieux) [2]. Les voitures sont parties si bien que les fossoyeurs devront rentrer chez eux à pieds.
La besogne terminée, ils se rendront à la commune et y ont trouvé NGENZI qui leur aurait dit : « Vous êtes venus pour nous aider mais il reste des personnes au Centre de Santé. Pourquoi ne pas aller les prendre ? »
Pour les remercier, le bourgmestre remet 15 000 francs à Samuel MULIHANO pour qu’il aille boire une bière. RUHUMULIZA a pris cet argent à Samuel, et s’adressant au responsable de la commune : « NGENZI, tu es un idiot, tu continues à donner de l’argent alors que la guerre continue ! » RUHUMULIZA ne remettra que 5 000 francs aux fossoyeurs.
NGENZI aurait alors dit qu’il y a aussi d’autres personnes à l’IGA [1]. Certains y sont allés. C’est alors que CYASA, le chef des Interahamwe [3] de Kibungo, qui a tué deux personnes pour donner le signal des massacres. Une fois les victimes inhumées, les personnes qui avaient été réquisitionnées sont rentrées chez elles. Le témoin ajoute que d’autres meurtres seront commis à CYABATWA où il y a des ravins anti-érosion. C’est chez SENGIYUMVA qu’ils iront se désaltérer avec les 5 000 francs qu’on leur avait laissés.
Le témoin ne sait rien sur BARAHIRA.
Madame la présidente cherchera à obtenir des précisions sur la date de l’enfouissement des corps, le nombre de fossoyeurs, celui des victimes. A la question de savoir pourquoi NGENZI s’est rendu à Rubira pour réquisitionner les gens, c’est tout simplement parce qu’il était originaire de là. Il leur a dit qu’il fallait venir l’aider à enterrer les corps parce que les Inkotanyi [4] étaient proches. Avaient-ils le choix ? « Non, c’était un ordre ! » répond le témoin.
A plusieurs reprises le témoin va répondre à côté des questions. Il semble toutefois que tout le monde ait oublié que ce dernier avait signalé qu’il avait quelques problèmes d’audition. Il finira tout de même par donner quelques précisions, en particulier sur les événements du Centre de Santé où des blessés de l’église « se sont traînés à quatre pattes ! » Le groupe auquel il appartient se rendra au Centre où les blessés seront achevés, sur ordre de NGENZI : « Allez là-bas, débarrassez-moi de ces gens » aurait ordonné le bourgmestre. Le témoin dit n’avoir pas participé aux tueries : il a même sauvé trois Tutsi qu’il a cachés au magasin de son frère avant de revenir sur les lieux.
Quant à l’IGA, MATABARO dit n’y être pas allé mais il a pu voir ce qui s’y passait d’où il se trouvait. CYASA aurait donc tué deux personnes et aurait demandé aux policiers communaux d’exécuter les autres. Pendant ce temps, NGENZI serait resté au bureau communal.
Le témoin reconnaît avoir été condamné à 14 ans de prison puis avoir été innocenté lors des Gacaca [5]. Lui-même a témoigné à deux reprises dans des Gacaca concernant NGENZI.
RWAGAFILITA [6], il le connaît mais contrairement à ce qu’a prétendu l’épouse de ce dernier, il n’a hébergé aucun membre de sa famille : un colonel ne pouvait pas être caché chez un paysan.
Maître GISAGARA revient sur la réunion sur le terrain de foot [7]. Ce n’est qu’en prison que le témoin en a entendu parler. Quant à NGENZI, s’il a fait disparaître les corps, c’est bien pour que les Inkotanyi [4] ne les voient pas.
Monsieur l’avocat général revient sur le personnage de CYASA sans obtenir les précisions qu’il souhaiterait avoir sur le personnage. Il voudrait en particulier comprendre ce qu’a voulu dire le témoin lorsqu’il dit que « CYASA faisait les Gacaca en prison ». (NDR. Lors du procès en première instance, on avait appris que c’est à CYASA qu’on avait confié la collecte des témoignages à la prison de Nsinda en vue de l’organisation des Gacaca. Ce qui pouvait paraître étonnant).
Les dernières questions reviendront à maître CHOUAI. Devant les trous de mémoire du témoin, l’avocat s’étonne : « Il est hypermnésique quand il s’agit des autres, mais quand il s’agit de lui… » Ce qui est certain, c’est qu’il a témoigné contre NGENZI après sa libération (NDR. Il n’a donc pas été libéré pour avoir témoigné contre le bourgmestre). L’avocat de revenir sur l’armement de NGENZI et des policiers : madame la présidente lui fait remarquer que la question a déjà été posée. C’est bien NGENZI qui leur a demandé de prendre des armes traditionnelles avant de se rendre à l’église.
L’avocat s’étonne que le témoin n’ait pas dit tout cela aux gendarmes français : « Pourquoi aujourd’hui vous chargez la mule » demande-t-il ? Et MATABARO de redire qu’il a été malmené par les policiers, plusieurs personnes cherchant à quitter les lieux à cause de la puanteur : « J’ai été brutalisé. S’ils avaient pu, ils m’auraient même tué. »
Et l’avocat de conclure : « Vous n’êtes pas à l’IGA [1]. Donc vous n’êtes témoin de rien. » Et de s’étonner que CYASA ait pu participer à la collecte d’information à l’intérieur de la prison.
L’audience est suspendue jusqu’au lendemain 9h30.

Alain GAUTHIER, président du CPCR.

1. IGA : Centre communal de formation permanente.
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2. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
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3. nterahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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4. Inkotanyi : Combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. “Glossaire“.
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5. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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6. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.
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7. Réunion du terrain de foot de Cyinzovu : avec d’autres témoins, Silas MUTABARUKA évoque une réunion au cours de laquelle Tito BARAHIRA aurait demandé à l’assistance « d’assurer la sécurité », c’est-à-dire « tuer les Tutsi », mais l’accusé conteste l’existence de cette réunion ainsi que celle du terrain de foot lui-même.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Mardi 12 juin 2018. J24
13/06/2018
• Audition de Jean RWIZIBUKIRA, beau-frère de monsieur KAREKEZI qui sera entendu plus tard.
• Audition de Emmanuel HABIMANA, alias CYASA.
• Audition de Félicien KAYINGA, partie civile.
• Audition de Donatille KANGONWA, partie civile.

La journée commence par un incident rapporté par la défense : NGENZI aurait reçu des menaces qu’il a consignées dans une lettre ! Monsieur l’avocat général a demandé un rapport.

Audition de Jean RWIZIBUKIRA, beau-frère de monsieur KAREKEZI qui sera entendu plus tard.

Le témoin commence par rapporter ce dont il a été témoin à l’IGA, un des lieux de massacres à Kabarondo [1]. Le bourgmestre l’aurait convoqué avec d’autres à une rencontre à l’IGA. Arrivé sur place avec les autres, le témoin trouve NGENZI en compagnie de CYASA, le « président des Interahamwe de Kibungo » [2]. Monsieur RWIZIBUKIRA pensait qu’il s’agissait d’une réunion pour ramener la sécurité. En réalité, c’était pour y exécuter les Tutsi qui avaient trouver refuge en ces lieux et qu’on a fait asseoir contre un mur : ZIRAGUMA, MUNYESHYAKA, SEBATUZI, RUZINDANA et un jeune vendeur d’essence. Un certain KAYIRONGA sera sorti du groupe, ainsi que MUNYESHYAKA (c’est Moussa BUGINGO qui intervient en faveur de ce dernier).
NGENZI tenait un pistolet, à droite de CYASA. Le président des Interahamwe aurait alors commencé à dégoupiller une grenade, ce qui provoque la panique parmi les gens présents. Après avoir remis la grenade dans sa poche, il va exécuter deux rescapés. Les autres qui étaient assis seront fusillés à leur tour. Pris de panique, le témoin est alors retourné chez lui.
NGENZI aurait alors dit : « Même si vous partez, nous irons fouiller le domicile de ceux qui ont des femmes tutsi ».
Le témoin raconte alors les perquisitions qui seront effectuées d’abord chez lui par NGENZI et BARAHIRA : ils étaient à la recherche de Tutsi qui aurait pu être cachés chez eux. Ils sont ensuite allés chez un voisin, RUZINDANA chez qui ils n’ont trouvé personne. Puis ils se sont rendus chez son beau-frère, Osée KAREKEZI. Le témoin les suit car il pensait que ses propres enfants se trouvaient chez leur oncle. Là encore, les responsables des fouilles n’ont trouvé personne. Ils sont enfin allés chez Jérôme MUNYANEZA.
Comme à l’ordinaire, le témoin sera soumis à une série de questions, d’abord par madame la présidente qui lui fait préciser un certain nombre de ses déclarations. Le témoin de confirmer la présence de NGENZI qui ne protègera pas son assistant bourgmestre, David MUGENDASIBO. Il connaît bien CYASA qu’il considère comme le chef des Interahamwe de Kibungo et qui aurait été mêlé aux meurtres de l’évêché. Par contre, il ne sait pas grand-chose sur BARAHIRA. L’objectif des fouilles consistait bien à débusquer les Tutsi. Ils n’en ont pas trouvé, « mais s’ils en avaient trouvé, ils les auraient tués. Ils auraient aussi tué les Hutu qui les auraient cachés » ajoutera le témoin. Madame la présidente fait remarquer au témoin que lors des différentes auditions (23 mai 2001/8 octobre 2012/confrontation du 8 octobre 2013) il n’avait pas parlé des perquisitions !
Sur question de l’avocate générale, monsieur RWIZIBUKIRA déclare que NGENZI n’avait pas peur : « Il était furieux, agressif ! » Et c’est bien le bourgmestre qui semblait avoir autorité sur CYASA. D’ailleurs, c’est bien NGENZI qui l’avait fait venir à l’IGA. Et de préciser qu’aucun militaire ne participait aux fouilles. De rajouter que personne ne lui a demandé de charger NGENZI et BARAHIRA. Le témoin dit être parti en exil le 19 avril, le FPR n’étant pas encore arrivé à Kabarondo. En exil, il a revu NGENZI à Kabare avec un autre bourgmestre, MUGIRANEZA. Il voulait que les gens retournent à Kabarondo pour enterrer les morts et aider les militaires en creusant des tranchées où ces derniers pourraient se cacher. Il s’agissait ainsi de combattre le FPR. Des Interahamwe sont retournés à Kabarondo. Quant aux deux bourgmestres, ils avaient trop peur. Ils ont continué leur route vers l’exil !
Un des avocats de NGENZI interroge à son tour le témoin et fait remarquer que lors de la confrontation ce dernier avait confondu NGENZI et BARAHIRA. Monsieur RWIZIBUKIRA va attribuer cette confusion au fait qu’il est malvoyant : et de présenter la carte qui en atteste. L’avocat laisse entendre que le témoin doit sa libération au fait qu’il a accusé son client. Le témoin confirme qu’il est parti pour cacher son épouse tutsi. Donne le sens du surnom CYASA, « celui qui casse tout » (NDR. CYASA donnera une autre explication qui lui a valu ce surnom !) L’avocat émet des doutes quant à la présence du témoin à l’IGA.
Maître BOURGEOT revient alors sur les problèmes de vue du témoin qui va expliquer les conditions dans lesquelles il a perdu son acuité visuelle.

Audition de Emmanuel HABIMANA, alias CYASA.

Il s’agit d’un témoin dont on a beaucoup entendu parler depuis le début du procès. Il a toujours été présenté comme un des grands tueurs de Kibungo. Il ne sait pas pourquoi on l’a convoqué, il ne peut donc faire sa déclaration spontanée. Madame la présidente lui dit qu’il s’agit de NGENZi et BARAHIRA.
Le témoin revient longuement sur une réunion qui se serait tenue le 1er avril 1994, présidée par un certain RWATORO, et à laquelle participaient tous les grands responsables de la préfecture, dont les bourgmestres. Le bourgmestre de Birenga était là aussi, monsieur NTAHIMANA, ainsi que MUNYANGABE Jean de Dieu, alias Padri. C’est le député MUTABARUKA qui va prendre longuement la parole en précisant l’objet de la réunion de laquelle tous les Tutsi avaient été écartés : il s’agissait d’étudier la question de la guerre imposée par les Inkotanyi [3]. Le député va dire : « A partir de maintenant, lorsqu’un Hutu mourra, il aura été tué par un Tutsi ». Avant d’enterrer le Hutu, il faudra tuer tous les voisins tutsi. Après les applaudissements d’usage, est mis en place un comité directeur du Rassemblement hutu. Ceux qui le pouvaient verseront leur cotisation. A l’issue de cette réunion, il sera lui-même nommé responsable de la sécurité pour Kibungo. Une collation est servie : c’est Etienne NZABONIMANA qui ravitaille l’assistance en bières.
Certains participants sont allés à l’Économat Général du diocèse dans le but de perturber la sécurité, sous la direction de Melchias NTAHIMANA.
Le témoin rapporte que le 13 avril, NGENZI est bien venu à Kabarondo pour demander le renfort des militaires pour aller tuer les Tutsi à Kabarondo. Il l’a rencontré au camp Huye où lui-même avait été affecté sur ordre de RWAGAFILITA [4]. Il reverra NGENZI à l’IGA [1]. Il raconte les événements selon son point de vue.
Le 19 avril, nouvelle réunion à la préfecture de Kibungo : seul le bourgmestre de Rukira est absent. Il s’agit de destituer le préfet Godefroid RUZINDANA, opposé au génocide. Il le paiera de sa vie quelques jours plus tard. A cette réunion, chaque bourgmestre devait dire comment s’était déroulé le génocide dans sa commune. Suivra une réception au Camp Huye.
CYASA aurait revu NGENZI lorsqu’ils sont allés combattre les Inkotanyi [3] après que ces derniers eurent pris Kabarondo. Battus par les soldats du FPR, ils se sont enfuis le 21 avril. A partir de ce jour, CYASA n’a plus revu NGENZI qui avait fui en Tanzanie. Quant à lui, il avait pris le chemin du Congo.
Madame la présidente demande à son tour au témoin le sens de son surnom. En fait, CYASA serait un nom inspiré du coréen, Emmanuel HABIMANA ayant été instruit par ces derniers dans l’art du Shyatsu. Et de revenir sur son rôle véritable pendant la période du génocide : son adhésion forcée au MRND, sa participation active aux réunions, l’entraînement des Interahamwe. La réunion du 1 avril avait pour objectif de préparer le génocide. C’est RWAGAFILITA [4] qui fera distribuer des armes aux Interahamwe, distribution à laquelle il a lui-même participé. De confirmer aussi que les bourgmestres se rendaient bien au Camp Huye, contrairement aux affirmations de NGENZI qui prétendait qu’aucun civil ne pouvait y entrer. De confirmer aussi que chaque commune avait bien reçu des Kalachnikov que NGENZI est bien venu réclamer des renforts le 13 avril et qu’on lui a remis des armes et des munitions. Les militaires qui viendront à Kabarondo ont exécuté les ordres donnés par NGENZI.
Monsieur l’avocat général demande au témoin quel intérêt il a de dénoncer les autres. « Je ne le dis pas pour avoir une réduction de peine. J’ai été peiné par le génocide commis contre les Tutsi. Je ne peux pas couvrir ces massacres. Je ne peux pas ne pas dénoncer ceux qui y ont pris part » déclare le témoin.
RWAGAFILITA [4] ? « Il est venu de Kigali, a logé chez Callixte MATABARO, est retourné au Camp Huye où il a remis son uniforme et ses étoiles de colonel. Il était le représentant de la défense civile avec le colonel Anselme NKURIYEKUBONA. Il avait été démobilisé mais a repris du service ». (NDR. Comme Laurent SERUBUGA visé par une plainte et résidant dans le Nord de la France, ou encore BAGOSORA). Quant à savoir pourquoi lui-même a été mis en cause, HABIMANA répond sèchement qu’il n’est pas venu pour parler de lui.
Maître BOURGEOT signale que c’est le témoin qui a donné le plus de témoignages dans ce procès : 1500 côtes. Il connaît BARAHIRA mais n’a rien à dire sur lui.
Maître EPSTEIN revient sur la réunion du 1er avril. Interrogé par le TPIR en 2005, il n’avait pas dit que NGENZI y participait ! « NGENZI fait partie des bourgmestres ! » s’étonne le témoin. Le Club de Kibungo [5] c’est donc le Rassemblement des Hutu ? Le témoin confirme. L’avocat fait remarquer que l’OMA n’incrimine pas NGENZI pour les réunions qui ont précédé le 7 avril. Le témoin confirme aussi que les Interahamwe [2] ont bien été entraînés par des militaires français avant le génocide.
À maître CHOUAI qui s’étonne que le témoin, dans sa liste qu’il a donnée au TPIR dans l’affaire BIZIMUNGU et alias, ne figurait pas NGENZI, CYASA ne se laisse pas impressionner : « Le crime de génocide ne vieillit pas. Je n’avais pas terminé ma liste ». Quant à l’expression de « témoin professionnel » dont l’affuble l’avocat CYASA redit qu’il a décidé de ne pas couvrir ceux qui avaient participé au génocide.

Audition de Félicien KAYINGA, partie civile.

Le témoin raconte son arrestation alors qu’il se trouve chez son grand-père : ce sont les Simba Bataliani [6] qui lui demandent de le suivre. D’autres sont arrêtés à leur tour et on les conduit jusqu’à un centre de négoce à Rugazi.
Demande leur est alors faite de se séparer : « Quiconque se sait Tutsi doit aller de ce côté » leur dit-on. Ils sont 7 à se mettre à l’écart. Après une courte concertation, la décision est prise de les tuer : « Gardez courage, dit un ancien militaire, c’en est fini pour vous. On va vous tuer ! » Ils se sont alors assis sur la route, entourés d’Interhamwe [2]. Au coup de sifflet, les tueurs exécutent leur sale besogne. Félicien esquive le coup de gourdin qui devait l’atteindre : il sera laissé pour mort blessé à la tête d’un coup de machette et de gourdin. Tous les autres seront tués, dont son père et un oncle paternel.
Sur questions de madame la présidente, le témoin donne des précisions. Il sera transporté au Centre de Santé où il reçoit des soins de la part d’une infirmière, Goretti, et de GATETE. D’autres blessés arrivent à leur tour. Deux jours après son arrivée, Goretti est partie se cacher, puis ce sera le tour de GATETE. Des points de sutures lui avaient été faits sans anesthésie, mais très vite ses plaies vont commencer à pourrir. Il n’y avait aucune sécurité en ces lieux.
Se souvient-il d’autres événements graves qui se seraient produits avant ? le témoin évoque le viol de jeunes filles qui revenaient en pleurant. Au Centre, il n’y avait rien à boire ni à manger. Le 13 avril, il a clairement perçu les bruits de tirs en provenance de l’église, et ce à partir de 11 heures, jusqu’au soir [7]. Une centaine de personnes, blessées ou pas, sont venues se réfugier au Centre de Santé en provenance de l’église. Du personnel de la Croix Rouge est passé et leur a remis de la pénicilline.
Il pense que l’attaque du Centre de Santé s’est déroulée le 17 avril, mais sans certitude. De raconter alors les bruits qu’il entendait : bruits de houes lors du creusement de la fosse où ils devaient être enterrés. Les rescapés ont alors été sortis : ceux qui ne pouvaient pas marcher ont été portés vers la fosse. NGENZI se serait trouvé là, tout près de la citerne, et aurait donné l’ordre de tuer les Tutsi car il fallait nettoyer le Centre de Santé. Une cinquantaine de personnes seront tuées ce jour-là, sur instruction de NGENZI.
Comment a-t-il pu s’en tirer ? Arrivé devant la fosse, il a dit qu’il était Hutu et que s’ils le tuaient, ils le tueraient pour rien. Madame la présidente lui fait remarquer qu’en confrontation il avait nié la présence de NGENZI ! Est-il vraiment sûr de l’avoir vu ? « Je n’aurais aucun intérêt à venir calomnier NGENZI » déclare le témoin.
Avant le génocide, le témoin avait souhaité entrer dans l’armée mais il avait été refusé à quatre reprises parce que Tutsi. Quant aux massacres de l’IGA [1], il en a entendu parler. Il ne connaît pas BARAHIRA. Il ne souhaite qu’une seule chose : que la justice soit correctement rendue.
Maître PADONOU souhaite que l’on projette un petit film des lieux. Cette projection n’apportera pas grand-chose à la compréhension des événements. Il a bien témoigné en Gacaca [8], mais pas à Kabarondo. Il a d’ailleurs été lui-même mis en cause : on avait voulu lui faire tuer un Tutsi mais avait refusé. Par vengeance, un Interahamwe [2] l’avait accusé d’avoir tué un certain Berckmans. De l’attaque qu’il a subie, il garde des séquelles. Les cicatrices qu’il porte sur la tête en attestent. Le 17, il confirme avoir vu NGENZI et avoir entendu les propos qu’il a tenus. Et d’ajouter : « C’est pénible d’entendre NGENZI nier ce que je dis. Il essaie de se défendre. Monsieur BAGOSORA n’a jamais rien reconnu non plus. C’est toujours difficile d’avouer. »
Maître CHOUAI s’étonne que le témoin parle aujourd’hui de « planification » concernant les réunions d’avant 1994. Il parle ensuite des propos de l’abbé INCIMATATA qui aurait dit que Félicien (le témoin) était mort. (NDR. Personne ne se souvient de cela. Il faudra vérifier). L’avocat souligne une fois de plus les contradictions qu’il note entre ses déclarations devant les gendarmes français et les propos qu’il tient aujourd’hui. L’avocat lui fait remarquer qu’il avait témoigné en Gacaca : faux, il a témoigné devant un tribunal de canton.

Audition de Donatille KANGONWA, partie civile.

Le dernier témoin de la journée évoque les événements des 7/8/9 avril : attaque des Simba Bataliani [6] et pillage des habitations, intervention de NGENZI, la mort de ses parents le 9 suite à une nouvelle attaque des Simba Bataliani. Le témoin s’est réfugiée dans la brousse avant d’être transportée dans la voiture du bourgmestre vers le Centre de Santé. Elle se rendra à l’église car il n’y a pas de médicaments au Centre de Santé. Au cours de l’attaque de l’église le 13 avril [7], elle sera grièvement blessée. La nuit, elle va se traîner tant bien que mal jusqu’au Centre de Santé où elle sera soignée pendant deux jours. Des instructions avaient été données de ne plus soigner les blessés. Madame KANGONWA parle ensuite des tueries perpétrées en ces lieux : tout le monde sera tué, les victimes dépouillées de leurs vêtements. Elle-même devra sa vie à un Interahamwe, MUSONERA, qui dit qu’elle est Hutu. Elle sera alors transportée sur un « brancard » jusque chez son beau-frère. Elle rejoindra ensuite le Camp de Kabarondo, puis l’hôpital de Kiziguro (NDR. Localité qui se trouve au nord de Kabarondo, au-delà de Murambi, où de nombreuses victimes sont mortes à l’église quelques jours plus tôt)
Le témoin raconte ensuite sa journée du 13 avril. Sortie de l’église, elle va essuyer le tir des militaires. Madame la présidente lui rappelle ses propos en présence des juges français : « Les autorités de Kabarondo ont dit d’arrêter les soins. NGENZI a pris tous les médicaments pour les enfermer au bureau communal. » Elle tenait cela de l’infirmière Goretti qui s’était excusée de n’avoir pu soigner les blessés. Elle recevra bien des soins à base de plantes médicinales chez son beau-frère : des vers pullulaient dans ses plaies. Avec l’arrivée des Inkotanyi [3], elle sera soignée à Kiziguro.
Sur questions de maître PADONOU, elle rapporte les propos anti-Tutsi de NGENZI à son père : « Arrêtez avec vos vaches. Il faut cultiver maintenant ! » Des gens demandaient à être achevés ? « Oui, même moi je l’ai demandé ! » Si elle a témoigné assise, c’est bien à cause de ses blessures qu’elle détaille et qu’elle voudrait montrer.
Sur question de l’avocat général, elle déclare qu’elle connaissait peu NGENZI : « Je ne pouvais pas lui parler. Il était très haut ! » C’est-à-dire qu’ils n’étaient pas du même niveau social. Elle revoit l’Interahamwe qui lui a sauvé la vie : il habite toujours à Kabarondo.
Intervient maître BOURGEOT. Elle ne connaît pas BARAHIRA. Par contre, elle connaît KANAMUGIRE, le témoin qu’elle demande de faire citer depuis le début du procès. Mais le témoin de préciser qu’il est en prison pour viol !
Maître EPSTEIN termine la série des questions. Il affirme que le témoin aurait dit que NGENZI avait apporté de la nourriture et du bois de chauffage. Non, c’est l’abbé INCIMATATA qui les a approvisionnés. La voiture de la commune a été utilisée, mais ce n’est pas NGENZI qui était là.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. IGA : Centre communal de formation permanente.
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2. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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3. Inkotanyi : Combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. “Glossaire“.
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4. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.
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5. Club de Kibungo : au départ un groupe d’entrepreneurs qui avait vocation à dynamiser le commerce, il aurait peu à peu dérivé vers des motivations ethnistes “pro-Hutu de l’Est”.
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6. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, souvent cités pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
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7. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
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8. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Mercredi 13 juin 2018. J25
13/06/2018
• Lecture des auditions de Marie-Goretti MUKAYIRERA.
• Interrogatoire d’Octavien NGENZI.
Lecture des auditions de Marie-Goretti MUKAYIRERA
Madame la présidente donne lecture des déclarations de Marie-Goretti MUKAYIRERA, infirmière au centre de santé de Kabarondo, entendue à deux reprises lors de l’enquête : le 23 octobre 2007 par un OPJ rwandais, et le 20 mai 2011 par les gendarmes français dans des locaux de Kibungo.
Marie-Goretti confirme qu’elle accepterait de témoigner devant une juridiction française.
Elle se décrit comme une veuve, dont le mari est décédé au cours du génocide le 13 avril dans les alentours de Kabarondo, mais pas à l’église. Elle est Tutsi, a fait des études d’infirmière, et a été affectée au centre de santé de Kabarondo, qui se situe à proximité immédiate du bureau communal, en 1982. A l’époque, elle n’était affiliée à aucun parti politique. En 1994, elle vivait à Kabarondo, déjà à la même adresse. Octavien NGENZI le bourgmestre, était l’un de ses voisins les plus proches. Il n’a rien fait lorsque sa maison a été saccagée.
Au moment du génocide, le directeur du Centre de santé, nommé Christophe, était en congé. Elle était donc responsable du centre en son absence. Lorsque les tueries ont commencé, Marie-Goretti s’est cachée dans une chambre du Centre de santé avec sa fille et une autre enfant.
Dans ce génocide, elle a perdu son frère Aimable, son époux Benoit, tué le 13 avril à coup de machette dans une petite forêt, et sa fille de 11 ans, morte dans la nuit du 19 au 20 avril.
Avant le génocide, Octavien NGENZI était selon elle une autorité ordinaire. Il saluait tout le monde, n’avait pas l’air méchant. Il n’était pas autoritaire mais n’aimait pas être contredit. Il faisait partie du MRND, mais elle ne sait pas s’il exerçait une fonction à responsabilité dans ce parti politique. En revanche, il entretenait des liens avec le pouvoir en place en tant que bourgmestre, et était l’ami du colonel RWAGAFILITA [1], qui venait souvent à son domicile.
Au cours du génocide, elle a vu NGENZI entre 4 et 5 fois.
Le 12 avril au Centre de santé. Un habitant lui a demandé de quoi faire face aux incendiaires de son secteur. NGENZI lui aurait répondu : « Je ne peux rien faire quand les gens aiment pas les autres ».
Le 14 avril, c’est lui qui est venu lui annoncer la mort de son époux, lui répétant la même phrase. Il lui a aussi demandé comment elle se nourrissait, et lui a fait porter des beignets et du sucre. Lorsqu’elle lui a demandé s’il était vrai que les blessés du Centre allaient être tués, il aurait répondu : « Tu penses qu’il leur reste grand-chose ? »
Le soir du 17 avril, deux hommes sont venus au Centre et la cherchaient. Elle a entendu l’un deux dire : « Laisse-la, elle mourra demain ».
Elle a décidé d’aller se cacher avec une de ses filles chez Médiatrice UMUTESI. Deux soldats les ont vu et ont demandé à Médiatrice UMUTESI de les faire sortir. Elle leur a donné 10 000 Francs rwandais, somme que Médiatrice UMUTESI a complétée. Après leur départ, elle a quitté cette maison pour ne pas mettre son hôte en danger et est allée se cacher dans la brousse.
Sa fille, elle, a échappé à la rafle de chez Médiatrice, mais elle a dans sa fuite croisé NGENZI qui lui a fait rebrousser chemin pour être embarquée avec les autres. Elle a été emmenée à Kibungo mais pas exécutée, et a pu rejoindre sa mère le 19 avril. Elle était alors mal en point, avait manqué d’insuline. Sur son lit de mort, elle a raconté à sa mère que NGENZI l’avait ligotée, battue avec du câble électrique, et avait piétiné son ventre.
Parmi les personnes qui étaient au Centre de santé avec elle, deux ont été tuées, une a survécu. Peut-elle impliquer directement NGENZI dans les massacres du Centre de santé ? Elle n’était pas sur place, tout le monde lui conseillait de se cacher de lui. Et quand, lassée de se cacher, elle a voulu se livrer à des policiers, ils ont refusé de la tuer, préférant attendre un ordre du bourgmestre. C’est lui qui décidait à Kabarondo.

Interrogatoire d’Octavien NGENZI
Interrogé par la présidente, Octavien NGENZI est prié de donner sa version de la journée du 13 avril.
Avant le 13 avril, Octavien NGENZI a conduit trois personnes à l’église, ce dans l’intention de les protéger des tueurs. L’église lui paraissait être le seul endroit sûr. Il n’a pas conduit de réfugiés au bureau communal car c’était le choix des victimes, qui préféraient rejoindre les autres à l’église. Selon NGENZI, jusqu’au 12 avril, tout le monde était convaincu que la sécurité serait assurée dans l’église et ses environs.
Il aurait aussi transporté au moins trois blessés au centre de santé. Notamment le 8 avril, et le 10 avril, où il a emmené le neveu de Patrice HABYARIMANA qui était transpercé par une flèche à deux crochets qui peuvent déchirer les organes – une arme traditionnelle utilisée par les chasseurs. Il l’avait trouvé parmi les blessés lors d’une « accalmie ». Il l’a amené au Centre de santé, mais il a fallu le transférer à l’hôpital de Kibungo. Il ne sait pas s’il a été sauvé. Un homme de l’hôpital qu’il a retrouvé peut confirmer sa présence à l’hôpital.
Il a essayé de sauver qui il pouvait avec les moyens à sa disposition.
NGENZI n’aurait pas vraiment écouté la radio après le 7, car en tant qu’autorité, ce n’est pas la radio qui lui donnait les instructions. Et ce n’était pas un moyen d’assurer la sécurité de Kabarondo. La présidente fait remarquer que la réunion du 8 à la préfecture de Kibungo avait été annoncée à la radio : a minima, la radio annonçait donc les réunions, et peut-être les massacres qui avaient eu lieu dans d’autres églises du pays… Mais NGENZI n’a rien entendu de tel. Pour lui la radio relayait surtout ce qui se passait à Kigali, et n’était pas toujours fiable. Ce qui le préoccupait était son secteur, et il suivait uniquement les instructions du préfet qu’il voyait tous les jours.
La présidente insiste : malgré son entourage, les policiers de secteurs ou sa propre famille, qui eux écoutaient éventuellement la radio, pouvait-il vraiment penser que les habitants seraient en sécurité à l’église ? NGENZI se justifie : l’insécurité totale régnait au Rwanda, il a bien entendu certains communiqués et était informé des hostilités du FPR – ça tout le monde était au courant. Mais sans détails. A-t-il été informé des massacres de Kayonza par son ami bourgmestre ? Non, ce sont des informations qui lui sont parvenues après.
NGENZI nie s’être rendu avant le 13 avril au camp militaire de Kibungo pour chercher des hommes ou des armes qui devaient tuer les gens de l’église, comme certains témoins l’affirment. Ceux qui témoignent en ce sens, et qui disent l’y avoir vu en compagnie de RWAGAFILITA [1], sont des HUTU qui veulent le charger.
A l’église, NGENZI s’est rendu 2 fois. La première fois le 9, la deuxième fois le 11. Il y a apporté du bois de chauffage et de la nourriture. Mais par respect pour la dignité des femmes, il ne s’est pas introduit à l’intérieur de l’église ou dans les chambres, et s’est contenté de rester dans la cour ! Il avait une relation de confiance avec l’abbé INCIMATATA jusque- là, qui pouvait l’informer si besoin.
NGENZI estime que le 11 au soir, quelques 300 personnes s’étaient réfugiées dans l’église (lors des interrogatoires précédents, il avait parlé de 150 à 200 personnes).
Le 12 avril, l’abbé INCIMATATA parle d’un afflux massif à l’église : il aurait même cessé d’enregistrer les arrivées. NGENZI confirme que les réfugiés étaient nombreux, mais après avoir tergiversé, il se dit incapable de donner une estimation. Il n’a pas été curieux d’obtenir un chiffrage, ne serait-ce que pour organiser l’approvisionnement : il était surchargé et n’a pas pu assurer ce décompte. En tout cas, cette arrivée massive des réfugiés à l’église le soulage : cela signifie qu’ils seront sauvés.

Le 13 avril
Le 13 avril, Octavien NGENZI se serait rendu tôt le matin chez le préfet de Kibungo.
Car, le 11 et le 12, les réfugiés Tutsi et les déplacés de guerre avait afflué sur la commune de Kabarondo. La situation dépassait ses capacités de Bourgmestre et le soir du 12 il y avait eu une bagarre entre trois individus. NGENZI est allé remettre en main propre au préfet un rapport sur cette bagarre, qui impliquait des déplacés de guerre, ce qui montrait que la situation pouvait dégénérer, et qu’il lui fallait des renforts. Le préfet était inquiet et apeuré, il a assuré qu’il ferait le maximum, mais n’a pas donné suite. Certains le décrivent comme sans pouvoir, discrédité ? En tant que Bourgmestre, NGENZI considérait que le préfet gardait son pouvoir et qu’il devait respecter sa hiérarchie.
NGENZI est ensuite rentré autour de 9 heures chez lui. Ce 13 avril, il dit n’avoir pas eu connaissance de la réunion tenue le matin place du marché : on n’a pas souhaité le mettre au courant. Il a été averti de l’attaque de l’église depuis chez lui par le bruit des armes, autour de 10 heures 30 du matin. Il a alors pris peur et est resté chez lui, jusqu’à ce que le policier communal Anaclet vienne le trouver 15 ou 20 minutes plus tard, pour l’informer que l’église était attaquée par les militaires. Mais il n’a pas donné de détails et NGENZI n’en a pas demandé : l’armée nationale tirait sur les réfugiés, il n’y avait pas de moyen d’agir.
Il a fini par se rendre au bureau communal qui est situé à 300 mètres environ de chez lui. Sur le chemin, à pied, il n’a rien vu d’anormal… Les tirs continuaient, il a vu les soldats de l’État, au moins une trentaine. Ils avaient déposé leur stock de munitions à la commune, et passaient devant le bureau communal pour recharger leurs armes, les mêmes qu’utilisées sur le front, automatiques. Lui-même n’avait pas d’arme.
Il se serait posté à l’extérieur du bureau communal, ne voyant qu’un seul policier dans la salle de garde à travers la porte entrouverte. Il n’ose pas aller vers ses concitoyens. Les militaires formulent en effet des reproches à son encontre : il aurait dû tuer ces Tutsi bien avant, il n’a pas prévenu que certains réfugiés étaient armés, il est considéré comme leur complice. Le bourgmestre reste sur place, à leur disposition. Il est comme « pris en otage ». Face à la mort possible, il n’a pas osé fuir.
Il refuse de dire qu’il « assiste » au massacre, car l’église est située dans un creux. Sommé d’éclaircir ce qu’il a vu ou non compte-tenu de plusieurs déclarations contradictoires, NGENZI précise qu’il ne voit pas, mais qu’il voit passer les militaires puis entend les détonations. Une haie fait en effet obstacle à la vue mais pas à l’ouïe… Il nie avoir donné instruction aux policiers communaux d’aller tuer. Ils ont sûrement obéi directement à des militaires haut-placés. Lui est resté posté devant le bureau communal jusqu’à environ 15 heures, au départ des militaires.
La population a alors commencé à piller les biens des Tutsi morts. Les déplacés de guerre aussi se sont servis. Et on a achevé les blessés. Lui-même ne peut pas préciser si ces civils qui ont pris le relais étaient armés, puis finalement si – des machettes et des fusils.
Lui n’a pas approché – « cela aurait été une forme de suicide ». Puisque l’armée est intervenue, cela annule selon lui toute initiative de l’autorité civile. Il est resté un peu sur place, avant de retourner à Kibungo à la rencontre du préfet. Il n’a pas pu vérifier s’il y avait des gens à sauver, car il avait trop peur, les militaires l’ayant directement traité de complice. Il évaluait le risque de perdre sa propre vie à 80%, car beaucoup souhaitaient le remplacer en tant que bourgmestre. Et la population avait pu observer tout ce qu’il avait fait pour les Tutsi et pourrait rapporter qu’il s’opposait aux tueries.
Pour le bourgmestre, l’élément déclencheur de l’attaque de l’église est l’erreur de l’abbé INCIMATATA et du conseiller de secteur, qui a été de rassembler les Tutsi et les Hutu lors de la réunion place du marché. Si l’abbé n’avait pas perdu confiance en lui, il l’aurait informé, et il aurait pu positionner la police en sécurité.
Après 15 heures, NGENZI est immédiatement allé voir le préfet, pour l’informer que les réfugiés avaient été massacrés par l’armée nationale. Il y est allé physiquement à défaut d’autres moyens de communication. N’y avait-il pas d’action plus urgente que de faire un rapport administratif, comme par exemple sauver des blessés ? Non, c’est à la hiérarchie d’apporter ses instructions.
La présidente souligne que NGENZI a parlé de cette visite du 13 avril chez le préfet très tardivement, en janvier 2011. Elle demande si le préfet a préconisé des actions pour secourir les blessés, ou organiser les obsèques… Non, la situation de guerre était trop préoccupante et le préfet ne pouvait jouir de tout son pouvoir. Au niveau national, c’est au président de la république, aidé par le chef d’état-major de l’armée, et de la gendarmerie de décider : NGENZI ne sait pas si le préfet répercutait leurs ordres. Il se plaint que cela retombe sur le bourgmestre aujourd’hui, alors que le chef d’état-major de la gendarmerie a lui été libéré par le TPIR.
Après la visite au préfet, NGENZI serait retourné, toujours aussi isolé, au bureau communal. Il y avait beaucoup de témoins attroupés par curiosité, d’autres qui pillaient. Et certains remontaient vers le Centre de santé. Lui n’est pas rentré dans l’église. Il ne peut vraiment pas estimer le nombre de victimes. Il n’adhère pas à l’estimation de 2000 morts dans et autour de l’église, car ce chiffre n’est fondé sur aucune donnée. NGENZI répète : il était seul, démuni, et l’idée ne lui est pas venue de compter les victimes.
Face au juge dans un interrogatoire précédent, NGENZI avait déclaré : « Le soir du 13, j’étais détruit, perturbé, 300 personnes étaient mortes d’un seul coup, des civils innocents qui étaient là pour se protéger. Je suis resté chez moi comme quelqu’un qui a perdu un proche, je les considérais comme les miens. » Il aurait aussi parlé de centaines de cadavres et non pas de milliers. Mais il refuse désormais de se prononcer sur un chiffre.
Ce soir-là, NGENZI est resté sur les marches du bureau communal, sans savoir que faire. Contrairement à d’autre témoins, il n’a pas vu le colonel RWAGAFILITA [1]. Il n’a pas vu non plus Tito BARAHIRA qui doit se tromper sur sa présence à ses côtés et veut sûrement assurer ainsi sa défense.
La présidente demande directement à Tito BARAHIRA de préciser ce point. Il confirme qu’il a vu NGENZI arriver du côté du centre de santé vers 17 heures 10 et entrer directement dans le bureau communal, mais à distance, puisqu’il se tenait lui-même sur la route asphaltée en contrebas avec les gens de son groupe. Des civils étaient venus voir ce qui se passait. Les tirs avaient cessé. Il y avait beaucoup de gens devant l’église, mais lui a fini par quitter les lieux car le chef d’Electrogaz est arrivé.
La présidente demande à NGENZI s’il souhaite ajouter quelque chose au sujet de l’attaque de l’église [2]. L’accusé dit que beaucoup de charges sur sa participation à cette attaque n’avaient pas convaincu au départ le juge d’instruction. Mais la jonction de son dossier avec celui de BARAHIRA a rajouté des témoins « allant trop loin dans leur vérité », avec par exemple l’anecdote de la victime piétinée – il y aurait confusion sur la personne. Ces témoins l’ont chargé parce que c’était leur mission. Quant à l’abbé Oreste INCIMATATA, il n’apporte pas de preuve. C’est le gouvernement rwandais qui porte ces accusations. Avec fermeté, la présidente réaffirme l’indépendance de la justice française.
Elle demande enfin si NGENZI connaît Paul BISENGIMANA. Ce bourgmestre de la commune de Gikoro a témoigné devant le TPIR et a reconnu que sa présence même à l’église était de nature à encourager les massacres. NGENZI juge cette action monstrueuse, mais ne veut pas être comparé à lui : si on a de bonnes intentions et qu’on les manifeste, ou si on a peur, on n’est pas coupable de la même manière.

Questions de maître PARUELLE
Jusqu’au 13, NGENZI s’est rendu 2 fois à l’église. L’abbé lui a signalé un flot de réfugiés, mais il n’est pas allé voir ce qui s’y passait ?
Kabarondo était un petit territoire du Rwanda qui venait de vivre la mort de son président. L’insécurité y régnait à Kabarondo, il y a eu des morts dès le 8. Mais jusqu’au 12, il n’y a pas eu de mort dans l’église. Il a pris ses renseignements auprès du préfet.
L’avocat tente de matérialiser pour les jurés la distance qui séparait l’observateur NGENZI des massacres qui avaient lieu jusque sur la route – soit environ la salle d’audience, puisqu’il y avait seulement 52 mètres entre le mur du bureau et celui de l’église. NGENZI serait donc resté immobile plusieurs heures, statique, à quelques mètres des massacres ? L’accusé répond en rappelant qu’il faut prendre en compte la topographie du terrain et la haie vive qui sépare le bureau communal de la route. Il n’y a pas selon lui de charges pour l’accuser d’avoir participé au massacre.
Quand la population cesse-t-elle les massacres ?
NGENZI ne peut pas le préciser, mais reconnaît que les assaillants comme les rescapés parlent de massacres jusqu’au soir. Il redit la nécessité de partir informer sa hiérarchie immédiatement, quitte à « abandonner les siens ».
Quand il est rentré de chez le préfet, NGENZI est-il repassé devant l’église ?
Oui, car la route passe entre l’église et le bureau communal. Mais non, il ne s’est pas interrogé beaucoup, sachant déjà qu’il y a des morts comme des tueurs : c’est le chaos total, il est démuni pour réagir. Il n’y a pas eu de combats mais un génocide. Il ne pouvait rien y faire, cela aurait été un suicide de s’opposer à l’armée nationale. Seul Rambo dans les films peut s’opposer à l’armée nationale ! Il s’agissait de chiens enragés. Au moment où la population a pris le relais sans arme à feu, il aurait peut-être été possible de parler, mais à l’église c’était impossible car il y avait une population civile qui ne le connaissait pas en tant que bourgmestre.

Questions de Maître Laval pour le CPCR

Le 8 avril NGENZI a manqué la réunion convoquée par le préfet (préfet assassiné le 15 avril car totalement hostile au génocide), parce que, dit-il, il n’était pas informé de la réunion et qu’il trouvait de toute façon plus important d’assurer la sécurité de Kabarondo. Il est donc attaché à la hiérarchie et à la loi, mais peut y faire entorse. Pourquoi le 13 avril, face au massacre de masse de l’église, dont il a connaissance, reste-t-il à la disposition de ces militaires hors-la-loi qu’il juge criminels ? Et pourquoi être allé cette fois chez le préfet à Kibungo au moment même où sa population est exterminée ?
NGENZI réaffirme qu’il a été pris en otage, et que malgré ses opinions, il a dû rester immobile. Il n’a pas eu les moyens d’assurer la sécurité, ou le ravitaillement : il n’avait aucun moyen d’assurer ses missions de bourgmestre. Aller chercher de l’aide chez le préfet aurait pu apporter des solutions.
Pourquoi réclamer à un préfet hostile au génocide des renforts pour assurer la sécurité, puisque ce sont les forces de gendarmeries et les forces armées elles-mêmes qui sont en train d’exterminer les Tutsi de l’église de Kabarondo ?
Dépourvu de téléphone, NGENZI ne pouvait pas imaginer d’éventuelles solutions sans y aller en personne.
Maître LAVAL égraine les nombreuses victimes des jours précédents, par les Forces Armées Rwandaises dans le ressort de Kabarondo.
Le préfet, hostile donc au génocide, réunissait les bourgmestres. NGENZI l’aurait rencontré le 8, le 9, l0, le 11, deux fois le 13 avril. Le 13, les Forces Armées Rwandaises et les gendarmes sont des forces d’extermination: vous allez voir un préfet hostile au génocide pour réclamer une aide qui vient de massacrer la population, tempête l’avocat. Vu le palmarès des massacres perpétrés avec le concours des forces armées à ces dates, comment prétendre être allé le voir pour réclamer leur intervention ?
NGENZI ne peut apporter de réponse cohérente, et préfère reparler de l’attentat commis selon lui par le FPR sur l’avion du président.

Il est l’heure de suspendre l’audience car Tito BARAHIRA doit se rendre à l’hôpital pour sa dialyse. L’interrogatoire reprendra demain avec les questions des parties civiles, celles de l’accusation et celles de la défense.


Alain GAUTHIER, président du CPCR.

1. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.
[Retour au texte]
2. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
[Retour au texte]


Ordonnance de référé: NGENZI est débouté de ses demandes.
15/06/2018
En marge du procès en appel de messieurs Tito BARAHIRA et Octavien NGENZI, condamnés en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité, la défense de ce dernier avait assigné le CPCR en référé pour avoir diffusé sur son site internet une photo qui aurait porté atteinte à la présomption d’innocence de l’accusé. Une seconde demande consistait à vouloir faire interdire la publication journalière de comptes-rendus du procès sur le site de notre association, toujours pour atteinte à la présomption d’innocence. La décision est tombée ce jour: Octavien NGENZI est débouté de ses demandes : “Le principe de publicité des audiences autorise la publication des comptes-rendus d’audience, y compris sur un site se présentant comme étant celui d’une partie civile”.
Le CPCR se réjouit de cette décision de justice et continuera à informer quotidiennement ceux que ce procès intéresse. Nous remercions nos avocats maîtres Michel LAVAL et Kévin CHARRIER pour la combativité dont ils font preuve dans cette affaire. Est-il nécessaire de rappeler qu’il s’agit d’un procès pour GÉNOCIDE ?
Alain GAUTHIER, président du CPCR

Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Jeudi 14 juin 2018. J26
16/06/2018
• Interrogatoire de Octavien NGENZI (suite)
• Audition de Osée KAREKEZI, retraité.
• Audition de Jean Ides KAYIHURA NDIZEYE, partie civile.
• Audition de Jacqueline KANSORO, épouse KAREKEZI.
• Audition de Mélanie UWAMARIYA, partie civile.
• Audition de Aline KAGOYIRE, victime.
Madame la présidente donne lecture d’un courrier du MINAFET (Ministère des Affaires Étrangères) du 30 avril concernant une demande d’entraide internationale : les délais de citation concernant plusieurs « témoins » n’ont pas été respectés.
Lecture également d’une lettre de l’Ambassade de France au Rwanda concernant James KABAREBE, Franck NZIZA et Jean-Loup DENBLYDEN. « Il appartient aux seules autorités rwandaises d’apprécier… ».

Interrogatoire de Octavien NGENZI (suite – voir la première partie ici).
Sur question de maître PADONOU, le témoin confirme qu’il a amené nourriture et bois de chauffage aux réfugiés de l’église, les 9 et le 11 avril. Allusion ensuite à une bagarre qui s’est produite entre un résidant et deux déplacés de guerre le 12 au soir, bagarre qui a occasionné un déplacement du bourgmestre à Kibungo. Ce dernier précise qu’il a passé la semaine au bureau mais qu’il pouvait se déplacer à tout moment. Le week-end, il était à son domicile où on pouvait le joindre facilement. Il ajoute pourtant que la semaine du 7 au 13 le bureau communal est fermé. Quant à Donatille KANGONWA, si elle l’a vu à l’église le 13 au matin, elle s’est trompée.
NGENZI considère toujours l’invitation à participer à une réunion sur la place du marché organisée par INCIMATATA et le conseiller comme l’élément déclencheur des massacres de l’église ? « Je ne peux pas affirmer que les massacres de l’église n‘auraient pas eu lieu, les massacres ayant été commis partout » reconnaît l’accusé.
L’avocat met l’accusé en face de ses contradictions : c’est la première fois qu’il voit les militaires le 13 à Kabarondo. Or, les militaires lui auraient reproché de ne pas leur avoir dit que les réfugiés étaient armés. « Quand auriez-vous pu le leur dire puisque c’est la première fois que vous les voyez ? » Pas de réponse.
Maître GISAGARA n’arrive pas à savoir si l’accusé était un ami ou une simple connaissance du bourgmestre Jean MPAMBARA. De quoi ont-ils parlé ? NGENZI de déclarer : « J’étais déjà en panique. Il était venu récupérer sa femme et ses enfants. C’est lui qui m’a informé que les militaires allaient s’en prendre à moi. Je décide d’aller à la commune ! »
L’avocat de poursuivre en disant que la déclaration de MPAMBARA devant le TPIR ne fait pas mention de cette visite. « Il ne parle de cette visite que depuis que vous êtes poursuivi. Qui ment ? » NGENZI de répondre : « Je n’ai aucune raison de mentir à cette cour. Il a déposé sa femme le 12 et est revenu la chercher le 13. Il n’y a pas de mensonge de ma part, il n’y a pas de mensonge de sa part ! »
Quant à savoir pourquoi MPAMBARA n’a pas été cité comme témoin par la défense dans ce procès, l’accusé explique : « Il avait peur de comparaître de nouveau. Il avait été questionné de façon violente et avait peur de retourner en prison. » (NDR. Il faut dire que vu les mensonges qu’il avait proférés, l’accusation ne l’avait pas ménagé : voir son interrogatoire).
Madame la présidente intervient pour dire qu’il ne risquait rien en sa qualité de témoin.
Au tour de madame l’avocate générale de questionner l’accusé. « L’erreur de INCIMATATA et RWASAMIRERA serait « l’élément déclencheur » des massacres du 13. » NGENZI confirme.
« Or, ce n’est pas ce que vous dites dans vos déclarations du 26 janvier 2011. L’élément déclencheur, c’est la grenade lancée sur les militaires qui se rendaient à Mutara dont vous êtes le seul à parler ! » L’accusé confirme les deux versions ! Quant au rôle de l’armée, il avait déclaré qu’il regrettait que les militaires aient abattu la population « par mauvaise compréhension » ? NGENZI a encore une réponse : « Ils ont pensé que le FPR avait infiltré les gens de l’église. Je ne peux pas connaître les motifs de l’armée ! » Par contre, il n’a pas vu le témoin Donatille KANGONWA, le 8 avril. Il n’a vu que Pauline NYIRAMASHASHI ! Il serait venu à l’église et aurait traité les hommes de « lâches, chiens » ? Ces mots n’appartiennent pas à son vocabulaire : « Les gros mots n’existent pas sur ma langue. »
Le 13 au matin, si on l’a vu à la commune, c’est parce qu’il était venu chercher la camionnette au bureau communal. Ceux qui le disent le font pour leur défense ! « Pas leur défense, leur témoignage » lui fait remarque madame l’avocate générale. Pourtant NDOBA disait qu’il voulait des renforts ? Il n’a pas vu NDOBA ! Si Manassé MUZATSINDA prétend que le bourgmestre lui aurait dit que les militaires allaient arriver et qu’il fallait les laisser faire, c’est pour se défendre en l’accusant. « Les Hutu qui ont témoigné échangent leur liberté contre la mienne. NDOBA n’a pas été condamné mais il doit se racheter ! » Tout ce que dit le brigadier n’est que mensonge.
L’avocat général intervient. « Vous étiez le chef des policiers ? » « Chef de la sécurité, pas de la police » répond l’accusé, je n’ai pas été aux côtés des militaires ». Jovithe RYAKA l’aurait vu aussi ! L’accusé doute que ce témoin ait été à l’église. Il avait rejoint le FPR depuis plusieurs mois. Sur question de l’avocat général, NGENZI que s’il n’a pas ouvert le bureau communal car ceux qui quittaient l’église ne pouvaient pas s’y rendre : ils auraient eu à faire face aux militaires. Malgré ce que peuvent dire beaucoup de témoins, il ne s’est pas rendu à l’église le 13 au matin. Ni au marché d’ailleurs. Même argument concernant tous ceux qui l’accusent d’avoir participé au tri entre les réfugiés : « Je n’étais pas à l’église. Ces témoins sont contre moi. Si les faits n’avaient pas été commis, ils ne diraient pas cela ! Ils ont tout perdu. Ils ont de la haine, de la jalousie et aspirent à la vengeance. Depuis ce jour, je partage leur douleur. Je tremblais moi aussi. Après avoir tout perdu, ils doivent chercher le coupable, le bourgmestre. Je n’ai jamais eu les moyens pour pouvoir être efficace ! »
L’accusé est alors questionné sur son agenda des 11 et 12 avril. L’avocat général s’étonne qu’il ait pu faire aussi peu de choses. Il se contentera en fait de « courir après les urgences, de secourir les personnes en danger. » N’avait-il pas mieux à faire ? Organiser la paix par exemple ? L’accusé de revenir, un peu hors sujet, sur les quatre éléments qui ont conduit au génocide : l’invasion du FPR et l’assassinat de Fred RWIGEMA, le multipartisme, les infiltrations du FPR qui a tué partout, l’attentat contre HABYARIMANA ! Monsieur l’avocat général lui rappelle qu’on parle de Kabarondo ! Et ce dernier de conclure : « Vous faites le taxi, l’ambulancier, le livreur de bois mais pas le bourgmestre ! » NGENZI d’oser affirmer qu’il n’avait pas le pouvoir et qu’il s’est trouvé du côté des victimes. Quant à CYASA qui le voit au Camp militaire de Kibungo, « il a tué partout et il continue à tuer ! »
Maître BOURGEOT, l’avocate de BARAHIRA fait remarquer que CYASA apparaît dans plus de 1500 côtes dans le dossier ! (NDR. Vérification faite par un autre avocat, ce ne serait pas exact : environ 250 !)
Le témoignage de BATSINDUKA du 74e bataillon qui le voit au Camp de Kibungo ? « C’est faux, c’est un montage ! »
« Le matin du 13, poursuit l’avocat général, BICAMUMPAKA vous voit à Bisenge avec des hommes armés qui doivent participer aux massacres. Il vous voit aussi avec RWAGAFILITA [1]. Philippe NSANZABERA dit avoir été forcé d’aller chercher TOTO, BIENFAITEUR [2] et les Simba Bataliani ! [3] » Réponse de l’accusé : « BICAMUMPAKA doit se défendre d’avoir attaqué à Kigarama. Il doit accuser pour avoir une remise de peine. Je dois payer à sa place les crimes qu’il a commis. »
L’avocat général s’étonne que, paniqué, il aille s’enquérir de l’état de sa voiture chez le garagiste ! Quelqu’un le voit avec le bourgmestre de Kigarama le 20, il harangue les gens pour aller se battre contre le FPR à Kabarondo ! NGENZI conteste tout. « Je souffre encore, je partage la douleur des rescapés. J’ai un cœur de chair qui souffre. Ma mémoire m’oblige à partager la douleur de l’autre. Je ne savais pas à qui on avait donné la mission de m’éliminer. J’étais assis sur les marches, je souffrais. J’étais seul. J’avais besoin de partager ma douleur avec le préfet. J’ai résisté mais n’ai pas été tué ! »
« Si les militaires avaient voulu vous tuer, ils l’auraient fait ? » insiste l’avocat général. Il ne sait pas pourquoi il est encore vivant.
Madame la présidente lui fait remarquer que depuis le 7 avril les administrations sont fermées. Pourquoi aller voir le préfet tous les jours ? « C’est une autorité » se contente de répondre l’accusé.
Maître BOJ intervient pour la défense. Il lui rappelle que les églises étaient autrefois des lieux inviolables. NGENZI répond qu’en 1994, les réfugiés sont allés d’eux-mêmes à l’église.
Madame la présidente demande si la radio n’a jamais annoncé qu’on avait tué dans les églises. L’accusé n’a pas entendu la RTLM. Il n’avait pas à suivre les médias. Il ne savait pas qu’un génocide était perpétré le 13 avril.
La défense reprend la main. « Pourquoi faire appel si souvent au préfet ? »
« Ça m’aidait psychologiquement, ça me soulageait un petit peu. Le préfet n’avait plus aucun moyen. L’armée était occupée au front ! » se contente de dire l’accusé. « Fuir la mort ? « Courir aurait précipité mon exécution et les militaires étaient nombreux devant le bureau communal. On me considérait comme un complice du FPR, on m’aurait assassiné si j’avais fui vers Rusumo. Et fuir vers le nord-est, c’était me jeter dans les bras du FPR ! »
Maître CHOUAI d’intervenir et de revenir sur le témoin RYAKA Jovithe après avoir rappelé que beaucoup de témoins ont tracé de lui un portrait peu flatteur : comment se fait-il qu’il revienne dans la commune de quelqu’un qui le déteste tant ? « C’était un ami du FPR depuis longtemps ! » L’avocat de revenir ensuite sur le rôle de l’armée qu’on l’envoie chercher le 11, sur le rôle du bourgmestre : et de lire le jugement du TPIR concernant le bourgmestre de Taba, AKAYESU, sur le rôle de la gendarmerie. De rappeler l’expertise de Filip REYTJENS à propos du procès du maire de Butare, Joseph KANYABASHI : « Le seul bourgmestre innocent, c’est le bourgmestre mort ! De revenir aussi sur les Abalinda [4], tous natifs de Rubira et Rundu
Puis de jouer sur un autre registre : « Plusieurs témoins et parties civiles ont commencé leur déposition ainsi : NGENZI, si tu veux être pardonné, tu dois avouer. Tu as de la chance, tu as ta femme, tes enfants, avoue et ils pourront rentrer au Rwanda. »
Réponse de NGENZI : « J’ai de la compassion pour les personnes qui ont tout perdu mais avouer ? Je ne peux pas porter la responsabilité des autres. Je me sens innocent. Je ressens de la douleur jusqu’à aujourd’hui. Je souffre comme eux. Je n’ai rien à avouer. »

L’audition en visioconférence de Géraldine UWAMAHORO, fille du couple KAREKEZI est reportée au jeudi 21 juin, le témoin étant malade.

Audition de Osée KAREKEZI, retraité.
Le témoin déclare bien connaître les deux accusés qu’il a connus au temps de leur scolarité. Il va rappeler le parcours scolaire de NGENZI, ses propos correspondant à ce que l’accusé avait dit lui-même lors de l’étude de son CV. BARAHIRA, il a été son enseignant au tronc commun de Shyogwe. A l’un comme à l’autre, il n’a rien à reprocher sur leur période scolaire ou professionnelle, ni sur la période où ils ont été bourgmestres.
Par contre, ils avaient changé pensant la période du génocide. Le 18 avril 1994, ils ont attaqué son domicile. Les accusés sont arrivés à bord du véhicule communal en compagnie de nombreux Interahamwe [5], vers 13 heures. Ils ont perquisitionné la maison à la recherche de Tutsi qu’il aurait pu cacher. NGENZI avait un révolver à la ceinture et est resté à l’arrière de la maison. Lui est resté debout près de la porte de la cuisine, par peur. Les Interahamwe sont ressortis avec une caisse de bières qu’ils ont amenée à BARAHIRA resté un peu à l’écart. Ils se sont partagé les boissons.
Entretemps, deux militaires lui ont réclamé de l’argent : il leur a remis 20 000 francs. Ils sont allés ensuite chez un voisin chez qui ils ont tué une jeune femme. Ils sont alors repartis à Kabarondo. Selon ce qu’il a vu, NGENZI était bien le chef suprême des Interahamwe [5]. BARAHIRA, président du MRND communal, était aussi un chef.
Madame la présidente va alors interroger le témoin. Elle lui fait remarquer que dans toutes ses auditions il a peu parlé de BARAHIRA. Effectivement, il n’a constaté chez lui aucune discrimination ethnique. Ne sais pas non plus ce qui a motivé sa démission en 1986 : il a entendu des rumeurs qu’il évoque alors.
De revenir sur l’épisode de 1973 lorsque NGENZI a été chassé de l’école pour avoir été pris pour un Tutsi. Il confirme ce qu’a dit l’accusé sur ces faits. Le témoin ne considère pas que l’accusé ait été vraiment perturbé par cet événement, ce qui contredirait ses précédentes déclarations.
Leurs relations se sont brouillées au moment du multipartisme. Lui-même avait adhéré au MDR modéré, trouvant le MRND dictatorial, persécutant les Tutsi.
Madame la présidente, après avoir fait remarquer que le témoin parlait français, revient sur l’attaque du 18 avril. Aujourd’hui, le témoin est convaincu que c’est bien la bonne date, même s’il n’a pas toujours dit cela : c’était après l’attaque de l’IGA [6]. Du 7 au 18, le témoin dit n’avoir pas quitté son domicile, mais il voyait passer sur la route la camionnette « rougeâtre » de la commune. Le 13, il a bien entendu des bruits d’armes et a vu passer la population qui partait attaquer l’église. Il reconnaît avoir été obligé de suivre les Interahamwe et après avoir appris qu’ils allaient tuer, il a réussi à quitter le groupe pour revenir chez lui vers 9 heures. Le matin, trois Interahamwe étaient passés chez lui : TOTO, BIENFAITEUR et TURATSINDZE. Il entendra parler de la réunion sur la place du marché. Si c’est la première fois qu’il en parle, c’est tout simplement qu’on ne lui avait pas posé la question. Il n’a vu ni NGENZI ni BARAHIRA.
Du 13 au 18, après les massacres de l’IGA, il voit passer sur la route des réfugiés en provenance de Mutara et de Rukara, en marche vers la Tanzanie.
Il n’écoutait pas la radio, ne connaît pas le nombre de victimes de l’église.
A propos des fouilles de sa maison le 18, il dit que les gens cherchaient sa fille aînée, Claire, qu’ils considéraient comme une Inkotanyi [7] car elle apprenait à ses élèves des chansons de Cécile KAYIREBWA ; Mais leur fille n’est pas à la maison. Le témoin n’a pas cherché à parler à NGENZI car il avait peur : il avait les yeux rouges. Il n’a pas menacé sa femme, simplement demandé de l’argent. Il considère qu’il a été sauvé par Dieu et par l’argent !
En confrontation, NGENZI avait prétendu qu’il était venu pour le protéger : le témoin réfute ses paroles. Mais « si Claire avait été présente, ils l’auraient tuée comme complice du FPR. »
C’est bien NGENZI qui avait autorité sur le groupe, BARAHIRA s’étant contenté de rester près de la porte d’entrée.
Madame la présidente revient sur les « GACACA collectes d’informations » (NDR. Expression qui n’est pas correcte. Avant les GACACA [8], on a procédé à des collectes d’informations en vue de préparer les procès.) Le témoin a témoigné dans son propre procès car une femme avait prétendu l’avoir vu. Bien qu’il ait fait 5 ans et demi de prison, il a été acquitté.
Sur questions de maître GISAGARA, le témoin dit que s’il n’avait pas évoqué le bout de chemin qu’il avait fait avec les tueurs c’est parce qu’il avait oublié. Par contre, personne ne lui a demandé d’accuser NGENZI. Concernant les « syndicats de délateurs », il n’en a pas entendu parler : « Notre gouvernement ne pourrait pas rassembler les gens pour les inciter à mentir ! »
Sur question de madame la présidente, le témoin dit avoir bien connu RWAGAFILITA [1]. Il avait fait ses études au Collège du Christ Roi à Nyanza pendant que lui étudiait à Astrida (NDR. Butare ensuite) Il le saluait chez sa mère pendant les vacances. Il les aidait à trouver des fonds pour réaliser des projets. Ils ne se sont plus vus à l’approche du génocide.
Questions de la défense : maître BOURGEOT commence. Elle présente un plan de Kabarondo pour savoir où habitait le témoin, évoque un certain RADJABU mais madame la présidente signale que ce témoin n’a pas été entendu et qu’on ne peut parler de lui. Les témoignages sont différents ? « Chaque personne a vu les choses à sa manière. Même ma femme ne dit pas la même chose que moi. » Le témoin maintient la date du 18 alors que BARAHIRA a quitté Kabarondo le 17 avril !
Au témoin qui a fait plus de 5 ans de prison suite à un faux témoignage, l’avocate lui fait remarquer qu’il n’est pas rancunier, « car ici, quand on fait 5 ans de prison pour rien… » Monsieur KAREKEZI se contente d’ajouter : « Je ne peux pas dire qu’elle a voulu mentir. Il s’agissait de récolter des informations pour trier les gens. Les innocents peuvent être accusés. »
L’avocate de rappeler que c’est très grave de faire des faux témoignages en France. « Je ne peux pas mentir. J’ai prêté serment. Mentir c’est un péché ! » « Ici ce n’est pas un péché, c’est un délit » reprend l’avocate.
Au tour de maître EPSTEIN d’interroger le témoin. Il revient sur le fait qu’il ait choisi de répondre en Kinyarwanda alors qu’il connaît parfaitement le français ! Il a été professeur de français, d’anglais, d’histoire-géographie et sous-préfet ! L’avocat revient sur le fait que le témoin avait dit que NGENZI avait été psychologiquement marqué par les événements de 1993 : il dit le contraire aujourd’hui ! « On m’a interrogé à l’improviste, je n’ai pas eu le temps de penser à ce que j’allais dire. » Idem pour ce qui concerne le rôle de NGENZI en cette journée du 18. A chaque question suivante, le témoin dira qu’il a continué à réfléchir, à analyser : « C’est l’Histoire ! »
S’il le témoin n’a pas évoqué l’histoire des Interahamwe qu’il a suivis, c’est qu’on ne l’a pas interrogé là-dessus. Pourquoi n’a-t-on pas tué sa femme Tutsi ? Pas de réponse. (NDR. Un petit rappel qui vaut peut-être explication. Il a été rapporté à plusieurs reprises les propos de BARAHIRA concernant les femmes tutsi qui avaient épousé des Hutu qu’elles n’avaient pas d’ethnie et qu’il fallait les épargner !)
Maître CHOUAI pose une question déjà évoquée et à laquelle le témoin a répondu : « Vous restés enfermés chez vous par sécurité et vous faite une « ballade » avec les Interahamwe ! Pourquoi n’en avoir pas parlé ? »

Audition de Jean Ides KAYIHURA NDIZEYE, partie civile.
Le témoin avait 11 ans en 1994 et n’était pas à Kabarondo au moment des massacres. Il s’est caché chez une famille où deux garçons avaient été tués, famille qui le renvoie quinze jours plus tard à Rugenge. Arrivé là, il trouve la maison familiale détruite et ne voit plus personne. Il est accueilli chez GATABAZI. Il apprend la mort de sa grand-mère, de sa mère. Il apprend aussi que sa mère, Marie, a été emmenée à Kabarondo par NGENZI. Plusieurs autres membres de sa famille faisaient partie du convoi. Le bourgmestre a croisé sa mère à deux reprises ce jour-là. En fait, c’est de la bouche de Jacqueline MUGUYENEZA qu’il apprendra le plus de détails.
Le témoin souhaite poser des questions à NGENZI. S’établit alors un face à face émouvant. Jean Ides veut savoir pourquoi le bourgmestre n’a pas sauvé sa mère qui lui manque tant aujourd’hui. Alors qu’il a fait sa vie, qu’il a grandi, il ne peut plus prononcer le mot « maman » ! C’est aussi en participant aux commémorations de Kabarondo en 2000, à travers le témoignage de Jacqueline, qu’il va apprendre l’essentiel de l’histoire de sa famille.
Madame la présidente interroge NGENZI. Il connaissait très bien la maman du plaignant. Et de raconter sa version des faits. A Kabarondo, des militaires faisaient la chasse à l’homme. Certains sont même venus chez lui et l’ont obligé à les suivre. Il a suivi à pieds leur voiture en direction de la maison de madame UMUTESI. Il rencontre Jacqueline MUGUYENEZA qui lui dit que madame UMUTESI a donné de l’argent aux soldats. Il pense alors au comptable pour payer une rançon et remet 50 000 francs. Lui serait parti avec l’abbé Papias. Les autres personnes ont été transportées par les militaires pour être tuées. « Pour les militaires, j’avais commis un crime pour avoir caché des Tutsi. » (NDR. Il ne semble pas que l’abbé Papias ait été Tutsi !)
« Que dites-vous à ce jeune homme », poursuit madame la présidente. « Je partage votre peine. Votre maman, je la connaissais. Dans ma cellule, je souffre trop. J’ai eu le malheur de vivre cette époque. Je connais la douleur ! »
Brèves questions de la partie civile qui veut savoir :
« Est-ce que vous avez conduit ma mère ? » « Non ».
« Savez-vous où elle est ? » « Non ».
« Pourquoi n’avez-vous pas négocié pour les enfants de 2 et 5 ans ? » « Le temps ne m’a pas été donné ! »
Quant à savoir comment les militaires ont connu les maisons, l’accusé dénonce TOTO et BIENFAITEUR d’avoir été les informateurs [2].
Maître ARZALIER, son avocat, rappelle le retour de jean Ides à Kabarondo, cite les propos de Alphonse GATABAZI qui a dit que NGENZI avait conduit sa maman à Kibungo… Le jeune homme reconnaît que s’il a tant tardé à savoir, c’est parce qu’il avait mis « une barrière » pour oublier… et pouvoir continuer à vivre. Sa maman n’a pas demandé « pardon » à NGENZI (problème de traduction), mais a plutôt « imploré sa pitié ». Une photo de la famille de la partie civiles est remise à la Cour.

Audition de Jacqueline KANSORO, épouse KAREKEZI.
Le témoin reconnaît connaître les accusés et donne sa version de l’attaque de leur maison le 18 avril. Sa version des faits n’est pas tout à fait la même que celle de son mari. Elle dit que NGENZI est venu s’asseoir près d’elle sur un muret à l’arrière de la maison. Il portait « un petit fusil ». Le bourgmestre aurait demandé des nouvelles de leur fille Claire et il aurait cherché à savoir si elle avait rejoint les Inkotanyi [7]. Personnellement, elle n’a pas vu BARAHIRA, mais on lui a dit qu’il était là. Son mari a remis 20 000 francs aux militaires avant leur départ.
Sur questions de la présidente, le témoin dit que ses enfants, au nombre de 7, ainsi que son mari étaient présents. Sa vieille maman était là aussi : elle habitait une petite annexe. C’est leur fille aînée qui serait aller fermer le portail en voyant arriver les militaires. Ces derniers auraient défoncé le portail et auraient demandé sa carte d’identité à la jeune fille.
Selon elle, NGENZI était bien le chef, il ne pouvait être venu sous la contrainte. Elle ne dit pas toutefois que les militaires étaient sous son autorité. Comme l’avait dit son mari, elle doit la vie à Dieu et à l’argent versé. Bien sûr qu’ils auraient tué leur fille si elle avait été présente. Par contre, elle n’a pas vu son mari parler avec NGENZI.
Que pense-t-elle de NGENZI ? « Son arrivée m’a chagrinée. Il avait été un enfant de la maison. J’ai été stupéfaite de le voir à la tête de l’attaque ». En fait, rien d’étonnant : des hommes ont bien tué leur femme. Elle ne demande qu’une chose : que la cause soit jugée et clôturée.
Sur question de l’avocat général, elle dit ne pas être allée à l’église mais s’être réfugiée dans une autre maison qu’ils possédaient non loin de là.
La parole revient à la défense. Maître BOJ de rappeler des déclarations antérieures du témoin en date du 5 juin 2013 : « Il n’a rien fait de mal même si c’était le leader ! » « NGENZI était un bon garçon. Ce qu’il a fait de mal, je ne le sais pas. » NGENZI était le leader parce qu’il était bourgmestre. Ce n’est pas ce que dit son mari ? « Je ne pense pas comme lui ! » L’avocat cherche alors à savoir ce qu’a fait son mari ce jour-là. Il est bien parti mais est revenu avant l’attaque de l’église.
Maître BOURGEOT cherche à savoir si la femme qui a témoigné contre son mari a été punie pour son faux témoignage qui lui a valu plus de 5 ans de prison. « Elle aurait pu être poursuivie ! » Elle ne sait pas, par contre, si beaucoup de faux témoignages ont été faits au Rwanda.

Audition de Mélanie UWAMARIYA, partie civile.
Madame UWAMARIYA exprime sa douleur d’avoir perdu les siens à Kabarondo, de n’avoir pu les enterrer, de ne pas pouvoir faire le deuil. Pour elle, venir devant cette Cour d’assises, c’est une sorte de thérapie.
Mélanie évoque ensuite la vie des siens à Kabarondo, sa maman, Jean Ides, son neveu, son frère Bernard, sa sœur Marie et ses deux enfants, Ignace et Yvonne âgés de 2 ans et demi et 5 ans. Devant la Cour d’assises, elle cherche à savoir. Et de se mettre à parler de la vie à Kabarondo autrefois.
Madame la présidente souhaite qu’elle se concentre sur 1994. D’évoquer toutefois le fait qu’elle a été chassée de l’école en 1973. Elle cherche que justice soit rendue. Elle va alors souligner la grande responsabilité de NGENZI. De rappeler que ce dernier, en 1992 lui a refusé une attestation de naissance pour sa fille qui devait partir en Europe. Elle s’est rendue chez le préfet RUZINDANA qui a donné l’ordre au bourgmestre de délivrer ce document : il n’a pas obtempéré.
Madame UWAMARIYA se dit avoir été choquée par les propos de l’épouse du bourgmestre en parlant de l’enterrement des corps : jeter les corps dans une fosse commune, ce n’est pas un enterrement. C’est lors des commémorations à Kibungo qu’elle a beaucoup entendu parles des deux accusés. Son souhait : qu’on arrête de nous traiter de délateurs.
Elle évoque aussi l’audition de monsieur GUICHAOUA qui a osé dire qu’il n’y avait eu de planification et qui date le début du génocide au 19 avril ! Et ceux qui sont morts avant ? Pareil pour l’intervention de Joseph MATATA dont le témoignage heurte les rescapés.
NGENZI est allé à Kibungo avec sa sœur. Elle ne demandait pas pardon, elle demandait clémence. De continuer en disant : « Que NGENZI et BARAHIRA me disent comment ils ont tué les gens, dépouillé ma mère et ce que lui ont dit tous ces corps en putréfaction ! »
Elle-même n’a pas pu participer aux Gacaca [8]. C’est douloureux pour les rescapés. Ça a permis aux tueurs de parler, aux survivants de connaître la vérité. Quant aux enfants des tueurs, eux, ils vivent et construisent leur avenir. Il faut qu’ils comprennent que leurs parents ont commis des crimes.
De terminer en disant qu’elle fait confiance à la justice française, justice qu’elle remercie pour avoir mis beaucoup de moyens pour prendre les parties civiles en charge.
Sur question de son avocat, madame UWAMARIYA redit qu’elle attend la justice et qu’elle souhaite être reconnue comme victime. Venir à ce procès l’aide à comprendre. Et d’évoquer son dernier séjour à Kabarondo en janvier 1994 : il était temps de partir, mais partir où ?

Audition de Aline KAGOYIRE, victime.
Aline KAGOYIRE se présente comme témoin de contexte, sa famille ayant été massacrée. Il est important pour elle que justice soit rendue. Pendant le génocide, elle habitait Butare. La situation a été calme jusqu’au 19 avril. Avec sa sœur, elle était cachée dans l’école où travaillait sa maman. Le 30 avril, « ils ont tué tout le monde ». Elle-même est restée trois jours dans une fosse commune. Elle sera évacuée par la Croix Rouge, soignée : « J’étais défigurée, mon corps était pourri, des vers sortaient de mes plaies. Quand je suis revenue, ma sœur ne m’a pas reconnue ». Elles seront ensuite évacuées vers le Burundi, puis vers la France.
Sa mère, qui a été tuée à l’école, avait en fait été dénoncée par un collègue de travail. Les gens avaient changé de comportement : ce sont les gens qui vous connaissaient qui vous tuaient. Un de ses oncles a été tué par son meilleur ami qui se promenait ensuite avec le crâne de sa victime.
Le témoin dit avoir besoin de se réconcilier avec sa propre image : elle travaille actuellement dans un centre anti-cancéreux. Sur questions de son avocat, elle reconnaît qu’en témoignant en première instance, elle avait pu mettre des mots sur sa souffrance. D’évoquer sa sœur, un peu plus jeune qu’elle, et qui est pour elle une ressource [9]. Et de rappeler que le génocide a bien évidemment été planifié, que des fosses avaient été creusées à l’avance.
Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.
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2. Célèbres Interahamwe de Kabarondo, souvent cités au fil des audiences. Les Interahamwe sont « ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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3. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, souvent cités pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
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4. Abalinda ou Abarinda : dans le secteur de NGENZI, ce groupe avait repris le nom traditionnel “des gens qui savent chasser” pour l’appliquer à la traque des Tutsi.
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5. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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6. IGA : Centre communal de formation permanente.
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7. Inkotanyi : Combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. “Glossaire“.
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8. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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9. Aline KAGOYIRE est la sœur d’Annick KAYITESI-JOZAN dont on a vu le témoignage dans le film « Tuez-les tous » de Raphaël GLUCKSMANN, David HAZAN et Pierre MEZERETTE. Annick KAYITESI-JOZAN est également l’auteur de Même Dieu ne veut pas s’en mêler, Paris, Seuil, 2017.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Vendredi 15 juin 2018. J27
17/06/2018
• Lecture du PV d’audition de Penina KAREKEZI, entendue le 18 novembre 2012.
• Audition du premier témoin sous X entendu sous le N°47.
• Audition de Jean CHATAIN, ancien journaliste à L’Humanité, en visioconférence.
• Audition du second témoin X, entendu sous le N°48.
Lecture du PV d’audition de Penina KAREKEZI, entendue le 18 novembre 2012.
Le témoin évoque des perquisitions effectuées par NGENZI à son domicile. Beaucoup de personnes étaient venues à pied. Cela s’est passé en présence de voisins. Le bourgmestre lui aurait demandé qui était caché chez elle : elle avait caché les beaux-parents de son fils alors qu’une certaine Blandine lui aurait dit que c’était dangereux de cacher des gens. NGENZI aurait fouillé toutes les chambres, cherchant même sous les lits. Alors qu’elle était en train de fabriquer du vin de banane, le bourgmestre lui a demandé du jus. Il a pris son pistolet et a obligé le témoin à servir du jus frais à tous les assaillants. Seul un policier communal était là : pas de militaires. Elle a revu NGENZI à Benako.

Conclusions d’incident concernant deux témoins sous X.
La défense conteste le fait que des témoins puissent témoigner sous X. Échanges d’arguments avec monsieur l’avocat général qui demande à la Cour de rejeter cette demande. La Cour ayant délibéré rejette la demande de la défense. Les deux témoins sous X pourront être entendus.

Audition du premier témoin sous X entendu sous le N°47.
NGENZI est venu chez lui et a regardé par une fenêtre. Il a demandé les clés de la maison, a ouvert la porte de la chambre dans laquelle se trouvait une personne qui était cachée. Tout le monde est sorti et est monté un peu au-dessus de la maison. Alors que quelqu’un venait de demander qu’on les fusille, l’un des assaillant a fait remarquer que le témoin avait un frère militaire ! Il fallait donc se méfier. NGENZI l’aurait obligée de jurer de ne plus jamais mettre au monde que des enfants hutu. Il l’a fait reculer d’un coup de coude et elle a fui dans la brousse.
Sur question de la présidente le témoin refuse de dire où elle habite. Elle ne se souvient pas non plus de la date à laquelle cela s’est passé. Elle reconnaît qu’elle a commencé à se cacher à partir du 13 avril et déclare que 8 personnes de sa famille ont été tuées à l’église dont ses parents, sa sœur, un cousin germain, une nièce, son frère et se s deux enfants, ainsi que la femme de son frère. Elle déclare qu’elle est Tutsi.
Toujours sur questions de la présidente, le témoin raconte à nouveau les faits en donnant un peu plus de précisions. Les assaillants étaient bien venus chercher les Tutsi qui auraient pu être cachés. Elle finit par dire que la personne cachée chez elle était sa sœur. Elle n’a pas été témoin de la mort de sa sœur car elle avait fui mais elle sait qu’on l’a enterrée tout près. Quant à savoir si NGENZI était là, comme il est au tribunal, c’est à lui de répondre.
Madame la présidente fait la lecture de ses déclarations en date du 10 octobre 2012. Son mari n’est arrivé qu’un peu plus tard mais il était là lorsqu’on a mis à mort sa sœur. Il était parti acheter du sucre. Mariée à un Hutu, elle se croyait protégée. Elle avait déclaré que c’est TURATSINZE qui avait porté les premiers coups, son mari étant à côté. Le reste correspond globalement à sa déposition du jour.
Madame la présidente se dit quelque peu étonnée qu’on ait tué sa sœur alors qu’elle a été épargnée. « J’étais affligée, répond le témoin, mais chacun tient à la vie. Il aurait mieux valu qu’on me tue, il ne me restait qu’elle. »
Elle reconnaît que son mari a été accusé du meurtre de sa sœur, qu’il a été arrêté et détenu. Quant à savoir s’ils en ont parlé ensemble après, il suffira de lui poser la question puisqu’il va témoigner après elle. NGENZI était le meneur du groupe ? Le témoin répond, selon la culture rwandaise, par une autre question qu’on appelle une « fausse question » dans la mesure où on connaît la réponse : « N’est-ce pas NGENZI qu’ils avaient à leur tête ? Ils avaient été entraînés, ils savaient ce qu’ils avaient à faire ». Combien de temps a duré l’attaque ? Elle n’a pas d’idée, mais elle avait indiqué 40 minutes environ dans sa déposition de 2012.
Toujours sur question de la présidente, elle reconnaît qu’elle a été entendue sous anonymat lors de l’instruction et aujourd’hui, et qu’elle se sent toujours menacée. Elle n’a d’ailleurs dit à personne où elle allait. Elle a simplement dit qu’elle allait veiller quelqu’un à Kanombe (NDR. Quartier de l’aéroport de Kigali.) Madame la présidente note que c’est la première fois qu’elle évoque le fait que quelqu’un était en possession d’une grenade. De répondre qu’elle ne savait pas qu’on allait lui poser ces questions, qu’elle n’a pas mis ses idées en ordre comme pourrait le faire un élève. Elle a été entendue dans le procès de BIENFAITEUR [1] mais ne sait pas s’il a été condamné.
Les réponses du témoin ne satisfont pas madame la présidente qui voudrait qu’elle soit plus précise. Elle n’a vu la mort de sa sœur qu’en regardant au-dessus de son épaule : elle a simplement vu qu’on machettait sa sœur.
Maître CHOUAI lui fait remarquer que c’est la première fois qu’elle mentionne la présence des déplacés de Byumba parmi les assaillants. Le témoin répond qu’il ferait mieux de poser la question à MUGENZI : elle-même ne pouvait pas savoir qui était qui. A plusieurs reprises, refusant de répondre, elle dit qu’on doit demander à son mari.
La dernière question concerne sa fuite à Benako. « Vous fuyez quoi » questionne l’avocat ? « Vous ne devriez pas me poser cette question. Tous les Rwandais n’ont-ils pas fui ? Ils ont fui la guerre. Nous avons fui quand nous avons entendu les balles siffler autour de nous. » Elle n’en dira pas plus.

Audition de Jean CHATAIN, ancien journaliste à L’Humanité, en visioconférence.
Jean Chatain (à droite) avec deux militaires du FPR sur le pont de Rusumo, au Rwanda, en mai 1994 (source: L’Humanité – Photo : Collection Jean Chatain)
Monsieur CHATAIN déclare qu’il a fait deux séjours au Rwanda en 1994 : le premier en avril/mai et le second en juin/juillet.
Il souhaite commencer par le second séjour à Kigali et parle surtout d’une ville morte avec des « quartiers charniers ». Il se souvient des bulldozers qui remplissaient les fosses communes, à Nyamirambo par exemple, « le quartier musulman » de Kigali. Il évoque « cette sensation de marcher sur des tapis de vertèbres et de corps mutilés ». De rajouter que « les crimes sadiques sont des crimes racistes ». Il doutait alors que le pays puisse se remettre, se reconstruire.
D’évoquer ensuite son séjour d’avril/mai dans l’Est du pays. Il n’était pas le seul journaliste, car il y en avait beaucoup à Kigali, mais il était seul à opérer depuis Mulindi, le QG du FPR. Il s’est déplacé de la frontière ougandaise jusqu à Kibungo, préfecture et évêché. Il a rencontré l’évêque du lieu, monseigneur Frédéric RUBWEJANGA, qui lui parle des 800 personnes tuées à la machette et au gourdin clouté dans son évêché. Il lui a aussi parlé de Kabarondo : « Je vais vous présenter un prêtre que nous avons dû racheter, l’abbé Papias . » (NDR. Il s’agit de l’abbé Papias MUGOBOKANCURO, vicaire de la paroisse de Kabarondo). Ce dernier raconte comment il s’est caché chez le bourgmestre où un officier lui a dit : « Tu peux sauver ta peau pour 100 000 francs à transmettre au bourgmestre qui partagera. »
Le témoin parle aussi des massacres à l’église de Rukara et du bourgmestre des lieux accusé par une des victimes. Il se souvient d’un jeune Tutsi soigné et opéré sans anesthésie pendant l’interview qu’il qualifie de « très éprouvante ». Ce n’est que deux jours après que l’abbé Papias remettra l’argent au bourgmestre car il n’a pas réussi à rassembler en une fois la somme demandée : il manquait 40 000 francs. Le journaliste se souvient que le prêtre se demandait combien le bourgmestre avait gardé pour lui. Une dizaine de religieux étaient présents lors de cette interview.
Sur question de la présidente, monsieur CHATAIN précise bien que ce qu’il sait de Kabarondo il le tient de l’abbé Papias qu’il dit avoir rencontré vers le 25 avril. La présidente se réfère à l’article publié dans L’Humanité en date du 30 avril 1994 [2]. Elle cherche à savoir si c’était une pratique courante de remettre de l’argent pour éviter la mort. Le journaliste prétend que c’est courant « du côté des membres du clergé », mais précise aussi que certains payaient pour être tués par balle. (NDR. Beaucoup de victimes, selon des témoignages, ont acheté la balle qui devait les abattre). Le témoin donne l’exemple d’une religieuse près de l’église de la Sainte Famille (NDR. Eglise où officiait l’abbé Wenceslas MUNYESHYAKA, poursuivi en justice depuis l’année 1995 et qui a bénéficié d’un non-lieu dont on attend le résultat pour le 21 juin).
Quant à savoir s’il existait une proximité entre le bourgmestre et les militaires, le témoin note que les bourgmestres ont très souvent eu un rôle d’organisateurs des massacres. Comme à Bisesero, par exemple (NDR. Colline célèbre à l’Ouest du pays, dans la zone Turquoise).
Sur question de maître ARZALIER, le témoin précise que Papias n’éprouvait aucune gratitude à l’égard du bourgmestre. Il avait plutôt « la claire conscience d’être victime d’un maître chanteur ». Ce sauvetage pourrait se situer autour du 18 avril. La libération de Kibungo par le FPR, vers le 20, à peu près à la même date que Kabarondo. A cette période on note un afflux de miliciens vers Rusumo. Les gens qui ont fui n’avait pas spécialement besoin d’argent pour financer leur exil, il s’agissait plus « d’un désir de s’enrichir ». Le témoin précise, sur question de la présidente, qu’il a dû mettre fin à son premier séjour à cause du paludisme qu’il avait contracté.
Pour la défense, maître CHOUAI essaie de faire préciser quelques dates concernant le séjour de Papias chez son client. Le prêtre a présenté le bourgmestre comme « un instrument de chantage ». N’est-il pas paradoxal d’aller se réfugier chez celui qui a attaqué l’église ? Le témoin concède en ajoutant : « Un notable se réfugie chez un notable ». Il est retourné plusieurs fois au Rwanda depuis : il ne pensait pas que ce pays se relèverait.
Au tour de maître EPSTEIN d’interroger le témoin. « Bourgmestres et religieux appartiennent au monde des notables » précise le témoin. Interrogé sur le rôle de l’église, monsieur CHATAIN précise que l’archevêque a été longtemps membre du Comité Central du MRND jusqu’à la visite d’un envoyé du Vatican. (NDR. En fait, c’est à l’occasion de la visite apostolique du Pape Jean-Paul II au Rwanda du 7 au 9 septembre 1990 que l’archevêque de Kigali démissionnera. Il gardera des liens privilégiés avec la famille présidentielle, plus encore avec l’épouse du président, Agathe HABYARIMANA, elle aussi visée par une plainte du CPCR à l’instruction au pôle crimes contre l’humanité. Elle n’a obtenu ni droit d’asile, ni titre de séjour, elle a fait appel à la CEDH qui tarde à se prononcer). Selon le témoin, c’est l’Église catholique qui serait à l’origine des quotas. Par contre, il existait un antagonisme évident entre l’archevêque et l’évêque de Kibungo.
Jean CHATAIN a entendu parler du bourgmestre de Rukara, Jean MPAMBARA, acquitté par le TPIR [3]. Et de parler ensuite des Gacaca [4]. Il ne veut pas prendre en compte le terme de réconciliation, « mot difficile à utiliser ». « Il fallait qu’une justice passe et c’est ce qui s’est produit. »
Toujours pour la défense, la parole revient à maître BOURGEOT. Le témoin a-t-il été témoin des massacres au stade de Byumba le 23 avril par le FPR ? Jean CHATAIN a « plutôt vu des systèmes d’urgence se mettre en place ». Il n’est pas convaincu par l’affirmation de l’avocate concernant les brimades de journalistes rwandais. Et les Droits de l’Homme ? « Des ONG, sous-marins des services français, ont été mises à la porte du Rwanda après le génocide » rétorque le témoin. Il ne connaît pas un des derniers livres publiés sur le Rwanda : Bad News.
Madame la présidente procède à un rapide interrogatoire de NGENZI. L’abbé Papias n’a passé chez lui que la nuit du 14 au 15 avril. Pourquoi chez lui ? « C’était son choix car le presbytère avait été attaqué. Nous sommes partis ensemble à l’évêché à la demande du lieutenant qui était venu chez moi » dira le bourgmestre. Par contre, il n’a pas entendu les propos du lieutenant à Papias : « 100 000 francs pour sauver ta peau ! » A l’évêché, il n’obtiendra que 50 000 francs. Le compte n’y est pas mais son objectif était que le prêtre arrive en vie. Si c’est lui qui va à Kibungo, c’est tout simplement parce qu’il était un des rares à pouvoir circuler. « C’était aussi une façon pour moi de fuir » ajoute-t-il. Papias est rentré à l’évêché, m’a ramené une partie de l’argent que je devais remettre au lieutenant. Il prétend avoir complété la somme. (NDR. On verra la version des faits qui sera rapportée par les prêtres ou évêques entendus le 20 juin).
Se produit alors un incident qui étonne la salle. « Si cela n’intéresse pas les avocats » s’exclame madame la présidente en direction du banc de la défense !!! Maître LAVAL précise que ça intéresse les parties civiles. Madame la présidente suspend l’audience.

Audition du second témoin X, entendu sous le N°48.
Comme il a pu le dire en première instance, le témoin rapporte que NGENZI a mené une attaque à son domicile. Il est venu en compagnie de BIENFAITEUR [1] et TURATSINZE. Il avait caché quelqu’un chez lui et a dû aller lui chercher à boire. À son retour il assiste à une attaque dirigée par le bourgmestre de Kabarondo armé d’un pistolet. Ils avaient déjà sorti sa belle-sœur de sa cachette. BIENFAITEUR disposait d’une grenade. Le témoin dit s’être placé en face d’eux. Il reconnaît avoir posé beaucoup de questions : il avait même perdu la tête. On lui a demandé comment cette personne était venue chez eux. Bienfaiteur RWANTALINDWA a dit alors en français : « Exécutez ! » Le témoin de poursuivre : « Ils m’ont remis une épée dans la main en me demandant de tuer ma belle-sœur. Je n’y suis pas parvenu. TURATSINZE m’a arraché l’épée et l’a enfoncée dans la personne. Les gens l’ont rouée de coups et sont repartis. »
Sur question de la présidente, le témoin ne peut dire quel jour cet épisode s’est produit. Après le 13 sans doute. Et de redire qu’il est arrivé après le groupe d’assaillants parmi lesquels des déplacés de guerre. Il était allé acheter du sucre pour préparer la bouillie. La plupart des gens qui étaient là étaient armés de gourdins et de couteaux. NGENZI avait un pistolet à la main qu’il pointait « sur une dame » ! Interrogé sur l’identité de cette « dame », le témoin répond qu’il ne peut donner plus de précisions « pour des raisons qui (lui) sont propres ».
Son épouse était-elle menacée ? « Je ne me souviens pas de ce que j’ai déclaré mais je devais parler de notre pensionnaire ». C’est NGENZI qui dirigeait : il avait une arme à feu. Il était responsable de la commune. Madame la présidente veut savoir s’il s’agit de sa belle-sœur dont il parle : sa réponse est sibylline. Lui veut parler de NGENZI. Quant à BIENFAITEUR, ce dernier le toisait en disant « Exécutez ». Le témoin semble gêné de parler. Il n’a pas protesté à la mort de sa belle-sœur : « Mettez-vous à ma place. Je n’aurais pas pu affronter ces gens. »
Madame la présidente ose des questions difficiles : « Votre belle-sœur a-t-elle été décapitée, attachée à un arbre ? » Le témoin répond par la négative. Les tueurs sont partis après lui avoir intimé l’ordre d’enterrer le corps. Mais il prétend que comme il avait perdu la tête, ce sont les déplacés de guerre qui se sont chargés de l’enterrement. Le témoin ne sait pas pourquoi sa femme a été épargnée. Il a fui pour revenir plus tard, à Benako. S’il est parti c’est à cause des massacres. Il n’était pas sûr si cela allait l’atteindre dans la mesure où il avait caché.
Le témoin refuse de répondre aux questions de la présidente. Il est sur la réserve. Cette dernière lui rappelle qu’il a été accusé en Gacaca [4] d’avoir tué sa belle-sœur. Il a bien été emprisonné en 1996, à son retour.
De nouveau interrogé sur NGENZI, il déclare que le bourgmestre s’occupait de ses affaires personnelles, qu’il aimait beaucoup l’argent : « Tout le monde savait qu’il utilisait l’argent de la commune à des fins personnelles. C’était un homme malin qui aimait beaucoup s’enrichir. Avec son salaire, il n’aurait pas pu avoir tout ce patrimoine ».
Le 13, il a entendu les bruits de balles mais il avait refusé de suivre BIENFAITEUR qui était venu le chercher. Pour les autres questions, il adopte la même attitude : il ne veut pas en parler, élude celles qui le gênent. C’est pour des raisons personnelles qu’il a voulu témoigner sous X. Il n’a pas eu peur de témoigner et souhaite que justice soit rendue.
Sur questions de monsieur l’avocat général, il dit ne plus se souvenir des dates de l’attaque, même si devant les gendarmes français il a évoqué 3 ou 4 jours après les massacres de l’église. Pareil pour les tueries au Centre de santé et à l’IGA. D’autres domiciles ont bien été attaqués ce jour-là.
La défense va clôturer la série des questions. Maître CHOUAI souligne les différences entre son récit et celui de son épouse : « Ce que ma femme dit, ça la regarde, ça n’engage qu’elle ». L’avocat de faire allusion à un conflit qu’il aurait eu avec BIENFAITEUR à propos de sa femme avec laquelle il travaillait. Le défenseur de NGENZI fait une hypothèse : « Vous étiez peut-être à l’église le 13 ? » « Pour y faire quoi, réplique le témoin, Je vous ai dit clairement que j’ai tout dit à la magistrate. »
L’avocat assène un dernier coup en lisant un document qui rapporte des propos du témoin : « J’ai coupé la tête de mon beau-frère ! » Incompréhension ! Il faudra que l’interprète explique qu’en kinyarwanda le mot beau-frère ou belle-sœur peut s’appliquer à la même personne.
En l’absence du dernier témoin qui a averti madame la présidente qu’il avait eu peur de témoigner, cette dernière propose que l’on procède à la projection de deux petits films. Le premier, Confronting Evil, qui rapporte l’analyse de deux membres de Human Rigths Watch, dont madame Alison DES FORGES.
Le second document, sans paroles, montre l’agonie d’un nombre important de victimes : à la limite du soutenable.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. BIENFAITEUR : célèbre Interahamwe de Kabarondo, souvent cité au fil des audiences. Les Interahamwe sont « ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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2. Jean Chatain, « Voyage au bout de l’horreur », article publié dans L’Humanité du 30 avril 1994 (archivé sur “francegenocidetutsi.org“)
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3. Voir l’audition de son épouse, Odette KAMPIRE.
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4. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Lundi 18 juin 2018. J28
18/06/2018
• Audition de Moïse DUSENGIMANA, vacher chez le témoin X en 1994.
• Audition de Gérard NSHIZIRUNGU, agriculteur.

Audition de Moïse DUSENGIMANA, vacher chez le témoin X en 1994.
Le témoin déclare qu’il travaillait comme vacher chez J. Quand NGENZI est arrivé chez J., on avait déjà sorti de la maison la propre femme de J. NGENZI l’aurait placée au milieu d’eux et lui aurait fait prêter le serment de se ranger à leurs côtés. La femme ayant prêté serment, on l’aurait laissée tranquille. NGENZI se serait éloigné un peu en direction de la route.
TOTO, BIENFAITEUR et autres Interahamwe [1] ont débusqué une autre personne de la maison de J., sa belle-sœur. Les tueurs auraient alors rappelé le bourgmestre pour savoir ce qu’ils devaient faire. Des propos durs sont alors tenus par BIENFAITEUR : « Les militaires Inkotanyi [2] sont sur le point de prendre Rusumo, vous tous qui souhaitez la clémence, vous ne serez pas épargnés. » Décision est prise de la tuer.
TURATSINZE [1] aurait alors remis une épée à J. et quand il allait l’enfoncer dans le corps de sa belle-sœur, il a eu peur et s’est blessé à l’index avec l’arme. L’épée est tombée par terre. TURATSINZE l’a ramassée et l’a mise à sa ceinture. Il a pris un arc et a tiré une flèche dans la nuque de la victime qui s’est écroulée. NGENZI serait reparti. Moussa BUGINGO serait alors arrivé et aurait fait enterrer le corps. Comme la femme respirait encore, un déplacé de guerre lui a asséné plusieurs coups. La femme respirait encore et on l’a enterrée.
Madame la présidente rappelle au témoin que les personnes dont il parle ont témoigné sous X et qu’il ne peut donc donner leur nom. (NDR. Les noms ont pourtant été donnés et seront répétés tout au long de l’audience. Pour éviter toute polémique, nous faisons le choix de n’utiliser que des initiales) La présidente souhaite avoir un peu plus de précisions que lui donnera le témoin. NGENZI est arrivé sur les lieux juste après le groupe, un pistolet à la ceinture. J. n’était pas encore là. NGENZI se retrouvera nez à nez avec les tueurs lorsqu’ils faisaient sortir de la maison la femme de J. Ils sont alors entrés dans la maison et ont trouvé N cachée dans le plafond d’une chambre. BIENFAITEUR a dit qu’il fallait la tuer. Bien qu’il ait été stupéfait, NGENZI n’a rien fait pour la sauver. BIENFAITEUR aurait alors obligé J. à tuer sa belle-sœur. En Gacaca, J. aurait été accusé mais acquitté pour ce crime : le témoin l’a défendu.
Quant au témoin, il déclare ne pas avoir peur d’être venu témoigner devant cette Cour d’assises. Le 13, il a bien vu des gens se rendre à l’église pour tuer. Il a vu aussi des militaires arriver en bus vers 13 heures. Personnellement, il est resté à la maison. Il a entendu parler des tueries à l’IGA [3] : c’était le même jour, avec les mêmes personnes. Un de ses voisins, Samuel, y a été tué. Le témoin finit par ajouter que si la femme de J. est encore vivante aujourd’hui, elle pourrait témoigner que NGENZI lui a sauvé la vie !
Monsieur l’avocat général voudrait en savoir un peu plus sur les réfugiés de Byumba qui ont participé au meurtre. Ce sont des gens qui « campaient » au bord de la route sur le chemin de l’exil. Selon ses dires, ils auraient été là depuis une semaine ou deux ! Il le sait parce que les déplacés cherchaient à savoir à combien de kilomètres de la frontière tanzanienne ils se trouvaient. Des badauds, hommes, femmes et enfants étaient aussi présents. Les tueurs qui se rendaient à l’église venaient de Bisenga et Rundu, mais aussi de Remera, comme de Kigarama.
Madame l’avocate générale veut revenir sur le rôle de NGENZI. Elle s’étonne que le bourgmestre sauve la femme de J. et qu’il laisse tuer sa belle-sœur. Pour le témoin, BIENFAITEUR n’était pas content que la femme de J. soit en vie. Mais NGENZI n’a pas dit : « Ne la tuez pas ! » Ce dernier était en position d’autorité même s’il n’avait plus d’autorité ! Mais il était là en tant que chef.
Maître BOURGEOT, dont le client n’est pas concerné par cette attaque, veut savoir si le témoin a été averti qu’une réunion se tenait sur le terrain de foot. Ce dernier répond que non.
Maître CHOUAI veut savoir si J. était à l’église le 13 [4]. Le témoin ne sait pas. L’avocat de lui rappeler ses déclarations devant les gendarmes français qui contredisent ce qu’il dit ce jour. Le témoin n’a pas vu la voiture de NGENZI mais le véhicule d’un certain Philippe ainsi qu’une Nissan jaune dont il ne connaît pas le propriétaire. Il avoue aussi que lors de l’audition avec les gendarmes, il était très fatigué et n’avait pas eu le temps de réfléchir. De là viendraient les contradictions.
Sur question de l’avocat, le témoin évoque un différent qui existait entre BIENFAITEUR et J. à l’époque directeur d’école. BIENFAITEUR s’était plaint que sa femme ait été mutée à un autre endroit plus éloigné de leur domicile.
Combien de temps pour aller chez la sœur de J. ? C’était à 300 mètres, 4 à 5 minutes. Après son retour à Kabarondo, le témoin n’a plus travaillé chez J. Ce dernier aurait avoué avoir tué sa belle-sœur devant les Gacaca [5]. Le témoin ne sait pas ce qu’il a avoué mais lui a témoigné en sa faveur.

Audition de Gérard NSHIZIRUNGU, agriculteur.
Le témoin était chez J. quand on a tué une femme, madame N. Ceux qui l’ont tuée étaient dirigés par NGENZI. C’est d’ailleurs lui qui avait amené les tueurs. Lorsque J. est arrivé chez lui, on lui a donné l’ordre de tuer sa belle-sœur mais « il n’y est pas parvenu. » Elle sera tuée par un des attaquants.
Sur questions de madame la présidente, le témoin dit qu’il travaillait chez J. chez qui il logeait à demeure. L’attaque a eu lieu après le 13. La voiture Stout rouge de NGENZI était restée sur la route. Pour lui, les attaquants portaient des armes traditionnelles et NGENZI un pistolet à la main. Il a reconnu TURATSINZE. Les assaillants étaient bien venus pour débusquer les derniers Tutsi. Le bourgmestre aurait dit qu’il recherchait des gens. Le témoin rappelle sa version de la mort de la jeune femme : NGENZI n’est pas intervenu, bien qu’il fût en possession d’une arme. La victime bougeait encore quand elle a été enterrée.
Une nouvelle fois madame la présidente va mettre le témoin en face de ses contradictions. Aux gendarmes français il avait dit qu’il avait conduit l’enfant du couple chez la sœur de J. et qu’il s’était absenté 30 minutes. Aujourd’hui, il dit qu’il a pratiquement été toujours présent, qu’il aurait remis le bébé à la sœur de J. et qu’il serait revenu aussitôt. « Si on a tué la jeune femme alors que la femme de J. a été épargnée, c’est parce que son mari était Hutu » demande la présidente ? Le témoin confirme. Il n’a plus jamais travaillé chez J.
Maître CHOUAI s’étonne qu’ayant sauvé l’enfant du couple attaqué, des liens plus forts n’ont pas résisté au temps. Et de dire au témoin : « Tout ce que vous avez raconté aujourd’hui, vous ne l’avez pas vu ! A qui mentez-vous ? Aux gendarmes français où ici aujourd’hui ? » Le témoin de répondre : « J’étais jeune, je ne peux pas tout retenir ! » « Surtout quand on n’est pas présent » rétorque l’avocat.
Madame la présidente interroge alors NGENZI. Ses explications se révéleront incompréhensibles. L’accusé se perd dans une chronologie qui ne correspond en rien à tout ce qu’on connaît. On sent qu’il improvise ses réponses. Il parle d’un « groupe de voyous » pour désigner les Interahamwe raconte que la femme était déjà morte quand il est arrivé, fait allusion à BIENFAITEUR qui aurait eu des comptes à régler avec J.
« La femme a été tuée parce qu’elle était rescapée de l’église ? » interroge la présidente. « Je n’ai pas fait cette analyse », pour ajouter qu’elle a été tuée parce qu’elle était Tutsi. Le bourgmestre s’en tient aussi à son emploi du temps. Pour lui, l’assassinat a eu lieu le même jour que l’IGA, et « l’enterrement » des corps de l’église le 15. Madame la présidente lui fait remarquer qu’il n’est pas sûr que ce soit la chronologie reconnue par tous ! Elle se demande d’ailleurs pourquoi NGENZI se trouvait chez J. ce jour-là. Le bourgmestre répond qu’on l’avait averti d’une attaque chez KAREKEZI après l’IGA : « C’était irrésistible. Je devais y aller. Tuer sa femme, c’était comme tuer ma mère. » Il a ensuite suivi le groupe des assaillants chez J. mais « seul, sans arme, que faire en face de voyous ? » De continuer : « Je n’avais pas d’autorité mais ma présence aurait pu être respectée. » Devant la femme décapitée, il a posé des questions mais il avait peur. « Je devais sauver la femme de J. » « Et il fallait sauver J qui venait de décapiter une femme ? » insiste la présidente. NGENZI s’embrouille dans ses explications.
Maître MARTINE veut vraiment savoir si NGENZI était absent lors du meurtre de la jeune femme. Le bourgmestre confirme. L’avocat s’étonne alors que le témoin de ce matin ne le charge pas, que c’est presque un témoin à décharge : « Alors, il ment ? » L’accusé, à bout d’arguments, se contente de redire qu’il n’était pas présent au moment du meurtre, conteste avoir fait prêter un serment à la femme de J. « Ce n’est donc pas grâce à vous que la femme de J. a été sauvée ! » conclut l’avocat. On rapporte ces paroles pour l’accuser. Maître MARTINE dit simplement qu’il ne l’accuse pas mais qu’il essaie de comprendre. Acculé, NGENZI bredouille : « J’avais une conviction morale. J. vit, sa femme vit. J’aurais dû faire mieux ! »
Maître CHARRIER interroge le témoin à son tour et cherche à savoir pourquoi l’accusé a parlé d’un groupe de voyous et pas d’Interahamwe. « C’était des garçons désœuvrés du centre de Kabarondo. Ils étaient devenus des tueurs, et donc des Interahamwe ! » finit-il par reconnaître.
Maître GISAGARA évoque la liste des gens en danger dont a parlé NGENZI, liste qu’on lui aurait remise à la commune après les massacres de l’IGA [3]. « Ce n’était pas une liste écrite, mais verbale. » Quant à savoir qui est ce mystérieux informateur, il ne sait pas, « une personne de bonne volonté, de bonne foi. Quelqu’un qui est venu au bureau et qui attendait probablement de moi une intervention ! »
Monsieur l’avocat général tente une question. « Après l’IGA, tous les Tutsi sont morts, avez-vous déclaré. On peut donc dire qu’il s’agit d’un projet accompli ? » Madame la présidente reprend la main en rapportant d’autres propos du bourgmestre qui avait dit que 95% des Tutsi de la commune étaient morts à l’église. Or, la commune comptait plus de 2000 Tutsi. On est loin des 300 victimes reconnues par le bourgmestre ! Il en restait donc une cinquantaine à débusquer ! NGENZI de redire qu’il a sauvé deux personnes en allant chez J. Quant à BIENFAITEUR, c’était un extrémiste, « une tête chaude » comme il aime à le répéter.
Monsieur l’avocat général finit par cette question : « Le point commun de ces trois perquisitions, c’est BIENFAITEUR ou c’est vous ? Pour moi, l’élément commun, c’est vous : il s’agissait d’un règlement de compte avec ceux qui n’avaient pas voulu participer au nettoyage de la commune. » NGENZI cherche à se sortir de la nasse dans laquelle il se sent pris : « Ma présence n’était pas celle d’un attaquant. Ce sont les autorités rwandaises qui m’accusent ! »

Comme il est déjà 13h15, il est temps de suspendre l’audience car BARAHIRA doit se rendre à ses soins. Les questions de la défense seront posées le lendemain matin.
Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. Célèbres Interahamwe de Kabarondo, souvent cités au fil des audiences. Les Interahamwe sont « ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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2. Inkotanyi : Combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. “Glossaire“.
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3. IGA : Centre communal de formation permanente.
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4. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
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5. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Mardi 19 juin 2018. J29
20/06/2018
• Fin des questions posées à NGENZI par les avocats de la défense.
• Audition de Médiatrice UMUTESI, partie civile.
• Audition de Jacqueline MUGUYENEZA, partie civile.
• Audition de Augustin NSENGIYUMVA.
• Audition de David TANAZIRABA, assistant bourgmestre en charge de l’administration en 1994.
Madame la présidente évoque le versement au dossier de deux documents :
• Délibéré déposé par le CPCR concernant le référé auquel la défense a assigné le CPCR (NDR. Rappel : monsieur NGENZI a été débouté.)
• Extraits de l’ouvrage Bad News [1], déposés par la défense.
Fin des questions posées à NGENZI par les avocats de la défense.
Maître CHOUAI commence par évoquer les perquisitions évoquées par plusieurs témoins. NGENZI répond qu’il s’est placé à côté de la femme tutsi de KAREKEZI pour la sauver des griffes des tueurs.
« Un homme de bonne volonté est venu vous avertir que des perquisitions allaient s’effectuer chez plusieurs couples mixtes. Que vous dit-il exactement ? » demande l’avocat. « Il avait l’intention d’intervenir lui-même mais comme il connaissait les liens que j’avais avec la famille KAREKEZI, il est venu me donner des noms des familles concernées. Madame KAREKEZI m’avait protégé en 1973 quand j’avais été chassé de l’école, je ne pouvais pas laisser attaquer sa maison. Je me suis précipité avec ma camionnette jusque chez eux et me suis placé à côté de madame KAREKEZI. Ils devaient même venir chez moi après, et chez BARAHIRA. »
L’avocat : « Comment faites-vous pour convaincre les tueurs de ne pas tuer la femme de KAREKEZI ? »
NGENZI : « Le groupe de tueurs était déjà là et je me suis assis à côté d’elle. Tous me voient assis pour la protéger. Ils ont donc hésité. Je n’avais plus de pouvoir mais j’ai gardé une influence sur ces jeunes gens que j’ai connus avant. Je suis un homme qui n’aime pas la violence. KAREKEZI dit vrai quand il dit que je l’ai protégé. Pour le reste, il doit être du côté de l’accusation. J’étais une autorité mais suis resté impuissant par manque de moyens. Le couple KAREKEZI n’arrive pas à dire que j’ai fait quelque chose de bien. Ils sont vivants mais on ne sait pas ce qui serait arrivé sans ma présence. Ils ne veulent pas être témoins à décharge. Ils sont pourtant convaincus que je leur ai sauvé la vie. »
Concernant son intervention chez Jérôme, il redonne sa version des faits, en gardant sa chronologie des faits qui est totalement contraire à celle des autres témoins. Il évoque ensuite l’arrivée de l’abbé Papias à son domicile, très tôt le matin du 14. De rajouter : « Il était moitié Hutu, moitié Tutsi. » Si Papias est venu chez lui c’est parce qu’il a été abandonné par l’abbé INCIMATATA. Il ose la remarque suivante : « Il devait savoir que Papias était en danger. Il a payé pour lui seul ! Il est venu à mon domicile parce qu’il avait confiance en moi jusqu’à ce que je le dépose à l’évêché. »
Maître BOURGEOT demande pourquoi on doit aller fouiller chez BARAHIRA. « Il était considéré comme un homme riche et on disait que sa femme était Tutsi. C’est l’erreur de tous les Rwandais. Mais sa femme savait que son domicile serait attaqué. »

Audition de madame Médiatrice UMUTESI, partie civile.
Le témoin évoque la situation des Tutsi au Rwanda, même avant 1990. Dès l’attaque du FPR le 1er octobre 1990, beaucoup de Tutsi sont arrêtés et considérés comme complices. A Kibungo, on déplore la mort de deux enseignants dont l’un sera crucifié sur un arbre. Tous ces faits sont connus du public. Des perquisitions seront aussi organisées chez des gens qui n’avaient pas la confiance du pouvoir. Le témoin évoque alors une fouille pratiquée à son domicile par des militaires en présence de NGENZI. Alors qu’elle venait d’accoucher, un militaire lui a donné un violent coup de pied dans le dos.
BIENFAITEUR [2] venait souvent lui soutirer de l’argent ou du matériel de construction en la menaçant si elle ne s’exécutait pas. « Comme j’étais de Nyanza, il me reprochait mes origines royales ! » Leurs relations avec la famille NGENZI se sont détériorées au point que ses enfants ne pouvaient plus se rendre chez le bourgmestre pour jouer ou regarder la télévision.
A l’ère du multipartisme, son mari créera la branche PL [3] de Kabarondo, ce qui lui vaudra l’animosité grandissante de NGENZI et des membres du MRND.
Sur questions de madame la présidente, le témoin évoque à nouveau la « visite » de NGENZI à son domicile, accompagné de gendarmes. « C’était une façon de nous perturber dans le cadre de la préparation du génocide. » C’est le bourgmestre qui avait conduit les gendarmes à son domicile.
De nombreux meetings politiques étaient organisés à Kabarondo par les différents partis. Ceux du MRND rassemblaient les Hutu attachés au régime, sans oublier les Interahamwe [4]. Tout cela se terminait souvent par des bagarres : les Tutsi qui passaient se faisaient agresser.
Après avoir évoqué la mort de son mari en mars 1993, le témoin évoque les événements directement liés au génocide. Elle dit comment, revenant de Kigali chercher de l’argent à la banque pour payer ses ouvriers, elle verra au loin de la fumée. Ce n’est que le lendemain matin qu’elle apprendra l’attentat qui a coûté la vie au président HABYARIMANA. Madame UMUTESI parle ensuite de la RTLM, « une radio pyromane, qui prônait le divisionnisme et incitait les Interahamwe à tuer. » C’est alors que les Tutsi de collines ont commencé à venir à l’église. Personnellement, elle habitait une maison que BARAHIRA avait vendue à la commune, tout près du bureau communal, du Centre de Santé et de l’église. D’évoquer ensuite la date du 13 avril, jour de l’attaque de l’église [5]. Elle héberge chez elle près d’une vingtaine de personnes, et autant dans les annexes de la maison. C’est chez elle que viennent se ravitailler un certain nombre de rescapés qu’elle ne connaissait pas tous.
Le témoin parlera ensuite assez longuement de la visite de BIENFAITEUR [2] qui vient lui proposer de lui rapporter une dizaine de cartes d’identité avec mention « Hutu », en échange d’une forte somme d’argent. Il ne reviendra pas.
Puis ce sera l’attaque de sa maison par des militaires, en présence de NGENZI, « armé, les cheveux en bataille et qui fumait beaucoup. » Le témoin se serait approché de NGENZI pour implorer sa clémence : il lui a répondu par un crachat. Les militaires sont entrés dans la maison et ont out cassé : NGENZI observait à l’extérieur. Un militaire lui a demandé si elle n’avait pas d’argent. Elle lui remet une forte somme. Le militaire la laissera dans la maison pendant que toutes les autres personnes sont invitées à monter dans les voitures. Les tueurs iront les exécuter. Une des voitures était conduite par un militaire, l’autre par NGENZI. La suite, elle l’apprendra par des rescapés, dont Jacqueline qui témoignera après elle. Et de rappeler le rôle important du bourgmestre dans ces massacres. Contrairement à ce que dit l’accusé, elle prétend qu’il n’était pas venu pour les protéger.
Elle retrouvera NGENZI à Benako, mais ils n’ont pas fui ensemble : elle a emprunté une autre route d’exil. Quant à BARAHIRA qu’elle connaissait, elle ne l’a pas vu pendant le génocide, étant elle-même restée enfermée chez elle. Ce qu’elle a pu raconter sur l’ex-bourgmestre, elle l’a entendu dire soit en Gacaca [6], soit par d’autres personnes. Elle avait toujours eu de bonnes relations avec lui : c’était le parrain de deux de ses enfants. Madame la présidente cherche à savoir dans quelles circonstances elle s’est portée partie civile. Comme Médiatrice se lance dans des explications un peu hors sujet : « Je vais vous le dire, continue la présidente. Et de lire sa déposition devant les gendarmes français : « Alain GAUTHIER est venu au Rwanda avec un policier rwandais. Il nous a fait signer un papier mais je ne me souviens pas de lui avoir donné mon témoignage. »
Maître CHARRIER, pour les parties civiles, revient sur le jour où le témoin a reçu un coup de pied de la part d’un militaire. NGENZI était resté au salon, mais il a fui ses responsabilités car ils étaient voisins et qu’ils avaient de bonnes relations.
Pourquoi NGENZI serait alors venu à l’enterrement de son mari en 1993 ? « C’est la tradition au Rwanda. Même si vous ne vous entendiez pas avec votre voisin, vous y allez ! »
RTLM ? C’était bien la radio des tueurs. Elle donnait des informations précises sur le déroulé des massacres. Après l’attentat, il était impossible d’ignorer les massacres et les lieux où ils étaient commis.
Comment se fait-il que l’abbé INCIMATATA ait pu dire que le bourgmestre n’avait pas de sentiment anti-Tutsi avant 1994 ? « NGENZI n’avait rien en commun avec le prêtre qui était respecté. Le bourgmestre n’allait pas révéler son fond au prêtre. Si les réfugiés sont allés à l’église c’est aussi parce que INCIMATATA était respecté ».
Quant aux listes de Tutsi ou de complices avant 1994, pour le témoin, c’est une question politique, elle-même ne travaillait pas pour l’État. Ils ont simplement constaté comment on tuait les Tutsi. Le témoin de rappeler enfin que NGENZI n’avait pas l’intention de cacher les enfants de son ami MURENZI mais il avait bien le plan de les tuer. Selon elle, le bourgmestre n’a sauvé personne.
Maître ARZALIER interroge le témoin à son tour. NGENZI ne lui a pas sauvé la vie, l’infirmière Marie-Goretti est bien venue chez elle. Le bourgmestre l’a-t-il sauvé ainsi que sa fille ? Elle ne sait pas.
Madame l’avocate générale cherche à obtenir des précisions sur la vie du témoin entre le 7 et le 12 avril. De nombreuses personnes viennent chez elle pour obtenir du secours, même des réfugiés de l’église. Sa maison était la plus proche de l’église, qui plus est une maison de la commune, même si elle était habitée par une Tutsi. Elle reparle de la visite de BIENFAITEUR qui lui faisait miroiter l’obtention d’une carte d’identité hutu. Quand les véhicules ont emmené les personnes qui étaient chez elle, le témoin précise : « Je ne savais pas où j’étais moi-même. J’étais comme morte. Je souhaitais également la mort ». Ce qu’elle sait du Centre de Santé ? On le lui a raconté après même si elle entendait de chez elle les enfants pleurer.
Au tour de l’avocat général de questionner madame UMUTESI. Elle rappelle que son mari était le responsable du PL : « Les gens instruits étaient chagrinés par le pouvoir en place, ils espéraient une vie meilleure. On ne donnait des places qu’aux Hutu, même s’ils n’étaient pas compétents. On avait toutefois commencé a donné des responsabilités à des Tutsi. Exemple du préfet de Butare ! (NDR. Qui sera destitué après le discours du président SINDIKUBWABO le 19 avril, puis assassiné.)
Le 17 avril, le témoin était bien dans sa maison fermée à clé, rideaux tirés ? « Oui, c’était un coup monté, cette visite de BIENFAITEUR. A part lui, personne ne savait que la maison était habitée. On était tellement terrifiés qu’on n’osait même pas regarder par la fenêtre. Sans compter les bruits des armes provenant de l’église ! » Contrairement à ce qu’il prétend, NGENZI n’a pas sauvé des vies : « La femme de Jérôme, je ne sais pas, mais s’il avait été ami de Jérôme, il ne serait pas allé chez lui pour tuer la sœur de sa femme. Il est parti avec des Interahamwe[4] qui étaient comme des chiens enragés ! Tant qu’il était là, il avait encore le pouvoir. Il a circulé avec les militaires et les Interahamwe pour les conduire dans les maisons. BIENFAITEUR, de la CDR avait un pouvoir mais seule une personne bien implantée à Kabarondo pouvait savoir où vivaient les Tutsi. »
Maître EPSTEIN, pour la défense, veut aborder à son tour trois thèmes : la fouille de 1990, les relations du témoin avec NGENZI et la période du génocide. A propos de la fouille, le témoin souligne que NGENZI faisait toujours en sorte que le mal qu’il faisait ne venait pas de lui. Malgré les propos qu’il aurait tenus aux militaires : « Du calme, il faut la laisser », le témoin poursuit : « Je n’appelle pas cela me défendre. C’est lui qui a conduit les militaires chez un ennemi du pays. Il ne pouvait pas m’arrêter, je venais d’accoucher. NGENZI était hypocrite (NDR. Malin selon l’interprète).
De revenir sur les relations qu’elle entretenait avec le bourgmestre. (NDR. Que l’interdiction de jouer avec ses enfants vienne de qui que ce soit, l’important est que le témoin confirme le fait. Il existe effectivement des contradictions avec des déclarations antérieures !) Mais l’ambiance avait bien changé.
Maître EPSTEIN lit enfin ses déclarations aux gendarmes français. Elle confirme ce qu’elle a dit. Elle ne pensait pas que les événements pouvaient les atteindre à Kabarondo : « Les choses ont dépassé l’entendement. Personne ne croyait que ça allait venir à Kabarondo, à la campagne. D’ailleurs, les gens de Kigali ont envoyé leurs enfants à la campagne. Personne ne pouvait penser qu’une autorité pouvait faire tuer sa population. » (NDR. Ce fut le cas aussi à Butare. On disait aux gens de fuir vers le Burundi, mais personne ne croyait que le Sud du pays serait atteint !)
Si NGENZI est allé chercher des gens à Rubira, ce n’était pas pour les protéger mais pour les rassembler à l’église où ils seraient tués, les rassembler pour qu’aucun n’échappe. C’était un plan des autorités.
L’avocat d’évoquer « les volets fermés » dans la maison du témoin ! (NDR. Il n’y a pas de volets aux fenêtres au Rwanda !)
L’avocat souhaiterait que le témoin dise que les personnes venaient chez elle parce qu’elle était une « commerçante prospère ». Non, c’était tout simplement parce que « les réfugiés ne savaient pas où aller, c’était l’endroit le plus proche de l’église. »
L’avocat de la défense revient à son tour sur les contradictions du témoin concernant la personne qui l’aurait avertie de l’arrivée de militaires chez elle. Il existe des contradictions entre ses différentes dépositions, c’est vrai, on peut se tromper. Pour elle, ce n’est pas BIENFAITEUR qui a fait venir les militaires, mais bien NGENZI : l’Interahamwe n’avait pas autorité pour faire venir des militaires. L’important c’est de reconnaître que NGENZI est venu chez elle avec des militaires et qu’ils ont emporté des Tutsi.
L’avocat de revenir sur le rôle de l’argent dans le génocide. Il parle de « l’argent sauveur ». Le témoin ne confirme pas. Elle reconnaît qu’elle avait très peur et qu’elle a donné de l’argent.
Maître CHOUAI cherche à savoir pourquoi le témoin s’est constitué partie civile. Madame la présidente lui avait déjà posé la question. Madame UMUTESI n’en dira pas plus. Il n’obtiendra pas la réponse qu’il attendait.
Maître BOURGEOT revient sur les relations du témoin avec son client, BARAHIRA. Oui, ils se sont invités à des fêtes familiales. Mais si elle fait aujourd’hui un « portait mauvais » de son client, ce n’est pas parce qu’il est accusé de génocide : « Je ne peux pas tenir des propos qui ne sont pas vrais. Je ne raconte que ce que je sais. » Le témoin s’entendait bien avec la femme de BARAHIRA. Même encore aujourd’hui, elles se voient. En 1994, elle ne savait pas si cette dame était Hutu ou Tutsi.
Et d’évoquer ensuite le rôle de BARAHIRA dans l’animation de réunions en tant que président du MRND. Pour le témoin, l’ex-bourgmestre avait encore de l’autorité. Des membres de sa famille ont été tués. Jean-Marie Vianney MUNYANGAJU lui a appris que c’est NSABIMANA qui était l’auteur des crimes. Elle l’a appris lors des Gacaca [6].
L’avocat d’accuser le témoin : tout ce qu’elle a dit sur BARAHIRA, elle l’a entendu dire.

Audition de Jacqueline MUGUYENEZA, partie civile.
Le témoin commence par évoquer les années 1992/1993, époque du multipartisme. Le PL [3] s’était divisé en deux : les « orthodoxes » qui avaient suivi LANDO et le PL Pawa sous la houlette de MUGENZI. Elle aborde ensuite la période du génocide. Le 7 avril, alors qu’elle est venue au bord de la route, elle aperçoit BARAHIRA à vélo : il se dirigeait vers Kibungo. Elle se rendra ensuite chez Médiatrice qui l’invite à venir chez elle : « Viens, on meurt ensemble ! » Jusqu’à sa mort, elle se souviendra de cette journée du 13 avril : des gens de sa famille mourront à l’église. De raconter ensuite les conditions de vie chez madame UMUTESI. Elle confirme que son hôte a remis de l’argent à BIENFAITEUR [2].
Elle a bien dit qu’elle était sortie pour nourrir les rescapés de l’église, mais cela se passait dans l’enclos de la maison. Ce sont les rescapés qui venaient. Le 17, le chauffeur, Callixte BIDELI, est venu les avertir qu’une réunion s’était tenue : il s’agissait de débusquer les Tutsi qui avaient survécu. On lui fait remarquer que lors d’une audition précédente elle avait dit que c’était MUNYANGAJU qui était venu ! Le témoin trouve qu’on va trop vite en besogne : elle a beaucoup de choses à dire.
Madame la présidente se sent obligée de dire au témoin qu’on est en train de juger deux personnes qui risquent la réclusion criminelle à perpétuité : « Si on ne sait pas on ne sait pas. On ne va pas trop vite en besogne. Je souligne vos contradictions ! » Madame MUGUYENEZA reprend le récit de ses souvenirs, confirme qu’on leur a fait lever les bras en l’air. Les gens étaient malmenés par les militaires. L’un d’eux a voulu entrer dans la maison : il a réclamé de l’agent à Médiatrice. Elle ne sera pas obligée de suivre les autres dans les véhicules. Ceux qui étaient cachés dans les annexes ont été débusqués à leur tour. MUNYANGAJU, revenu sur les lieux, serait intervenu pour qu’on épargne les femmes qui ne combattaient personne. Tous les gens ont été embarqués dans les camionnettes en direction de Kibungo. Après être passés par le Camp Huye où se trouve CYASA, Jacqueline expliquera dans le détail comment elle réussira à échapper à ses bourreaux au moment où son tour était venu d’être découpée, l’abbé Papias ayant été sorti du groupe.
Madame la présidente demande une nouvelle fois au témoin de ne pas perdre les jurés dans les détails qu’elle donne. Le témoin a du mal à suivre les conseils qu’on lui donne, c’est sa façon de répondre aux questions. Elle acquiesce toutefois et continue. Elle avait accepté de mourir mais a trouvé assez de ressources pour se mettre à courir et à se cacher dans la brousse alentour.
Maître CHARRIER interroge le témoin. Elle confirme que c’est NGENZI qui conduisait la rafle chez Médiatrice. Elle confirme aussi qu’on lui a rapporté les propos du bourgmestre aux hommes de l’église qu’il aurait traité de « lâches ». L’avocat lui demande d’expliquer à la Cour combien il est difficile de se souvenir à cause du temps qui passe et du traumatisme. De ce procès, elle attend la justice.
Maître PADONOU revient sur la précision que le témoin avait donnée lorsque, cachée dans la brousse, elle entendait les enfants pleurer alors que les adultes se taisaient. « Les adultes avaient accepté la mort » déclare Jacqueline.
Madame l’avocate générale revient sur le déplacement à Bisenga, le parcours suivi, le comportement des gens dans la voiture, le temps pris pour se rendre sur les lieux des massacres. Concernant l’évêché, c’est Papias qui lui racontera ce qui s’y est passé.
Sur question de monsieur l’avocat général, Papias ne parlait pas dans la voiture. Tout le monde se taisait. Par contre, elle ne sait pas pourquoi il a fallu payer pour qu’il obtienne sa libération.
Sur questions de maître BOURGEOT, le témoin confirme qu’elle a fait un stage à la commune quand BARAHIRA était bourgmestre. Elle était jeune et le respectait mais elle précise qu’on ne l’abordait pas facilement. L’avocate souligne les contradictions du témoin concernant une réunion du 17 avril. D’ailleurs, à cette date, BARAHIRA était déjà parti. Si elle n’a parlé de BARAHIRA que tardivement, elle n’en a parlé que lorsqu’on lui a posé des questions à son sujet.
Maître BOJ, toujours pour la défense de NGENZI, fait remarquer au témoin qu’il n’est pas facile de la suivre et qu’elle a fait des déclarations contradictoires : « C’est dommage, car vous portez des attaques sévères ! »
Il interroge madame MUGUYENEZA sur des témoignages qu’elle aurait donnés en Gacaca [6] en 1999 ! Pas de chance, à cette date, les tribunaux populaires n’avaient pas encore commencé à fonctionner ! L’avocat évoque une audition du 17 mai 1999 dans laquelle elle ne mentionne toujours pas le nom de NGENZI, puis une autre une semaine plus tard. Madame la présidente lui fait remarquer qu’à quelques mots près, c’est le même PV d’audition avec une date différente. Peu probable qu’elle ait été entendue à une semaine d’intervalle sur la même affaire !
En date du 7 octobre 2008, devant les autorités judiciaires rwandaise, évoquant la rafle, NGENZI n’est toujours pas cité, seulement comme conducteur ! « Je n’ai pas perdu la tête à ce point, s’exclame le témoin, je ne cherche pas à lui causer tort ! »
D’évoquer enfin deux déclarations du témoin qui seraient contradictoires : le fait qu’elle ait dit, le 10 mai 1999, qu’elle soupçonnait NGENZI d’avoir ramené les gens à l’église pour faciliter leur massacre, et en date du 20 mai 2011, que le bourgmestre aurait demandé aux réfugiés de retourner chez eux. (NDR. L’avocat n’a pas compris que le témoin rapportait les propos de NGENZI qui avait accusé les hommes de l’église d’être des lâches, propos que lui avait rapportés la vieille Dancilla. C’était une façon de se moquer d’eux mais pas de les inciter à rentrer chez eux !)
Au tour de maître CHOUAI de terminer les questions au témoin. Elle a parlé du procès de Théophile TWAGIRAMUNGU, condamné à la peine capitale puis acquitté ! Jamais de NGENZI. « Il faut que Méthode vienne vous voir ? Que d’autres viennent vous voir ? » Pas de réponse.
L’avocat revient sur la déclaration de madame UMUTESI qui a dit être seule quand elle a donné de l’argent à un militaire. Le témoin prétend l’avoir vue ! « Moi, je vous parle de ce que je sais » déclare Jacqueline.
Et l’avocat d’affirmer : « Il y a une chose en commun entre vous deux. Une personne française est venue vous voir pour obtenir vos dépositions à une association : Alain GAUTHIER ». C’est dit !

Audition de Augustin NSENGIYUMVA.
Le témoin est venu de Kigali le 6 avril au soir et va rester chez madame UMUTESI. Le 13 avril, il entend des tirs à l’église. Il dira un peu plus loin, qu’il est sorti ce jour-là pour voir ce qui se passait à l’église et qu’il aurait vu NGENZI. Peu avant, madame UMUTESI avait partagé à plusieurs l’argent qu’elle avait retiré à la banque le 6 avril pour le cas où il pourrait en avoir besoin.
Du 13 au 16 avril, il note que certains venaient chercher de l’argent chez son hôte. Le 17, prenant son courage à deux mains, il est sorti dans la cour avec Jacqueline et Médiatrice. C’est alors que des militaires ont sauté par-dessus la clôture, d’autres sont entrés par le portail et leur ont intimé l’ordre de lever les bras en l’air. NGENZI les accompagnait et aurait déclaré que le bourgmestre lui aurait demandé de lui remettre les gens qu’elle cachait chez elle, lui-même ayant donné ceux qui étaient chez lui, dont les enfants de MURENZI. Le bourgmestre possédait deux armes dont un pistolet. Il fumait une cigarette.
« On nous narguait : « Vous savez bien mettre les mains en l’air : c’est ainsi que les Inyenzi [7] dansent ! » De donner ensuite sa version des faits concernant la rafle des personnes qui étaient là. Il embarque avec les autres mais arrivé à la commune, un militaire aperçoit l’argent qui dépasse de ses poches. Il lui demande de descendre de la voiture, de lui remettre cet argent et de déguerpir. Il reviendra ensuite à la maison de madame UMUTESI. Avant cela, il avait vu sortir de la commune la secrétaire et ses deux enfants. Ce qui s’est passé plus tard à Kibungo, c’est Jacqueline qui lui racontera.
Sur questions de madame la présidente, le témoin dit qu’il était venu en vacances à Kabarondo le 6 avril et qu’il ne connaissait vaguement NGENZI comme bourgmestre. En mai 2011, en présence des gendarmes français, il avait évoqué des « propos ségrégationnistes » à l’égard de ceux qu’il accusait d’être des complices.
BIENFAITEUR [2], il le connaissait. Il l’avait vu plusieurs fois chez Médiatrice chez qui, ces jours-là, il n’y avait pas moins de 20 personnes. Le 9 avril, NGENZI serait venu remettre un message au gardien, accompagné d’un certain NINJA. Le 13, il a tenté une sortie pour voir ce qui se passait vers l’église [5], mais il s’est arrêté au portail. Il a vu beaucoup de gens qui gisaient dans la cour de l’église et sur la route. Il avait donné une autre version : il avait fui dans la forêt et avait vu NGENZI en compagnie de gendarmes.
Le 17, chez Médiatrice, il est bien monté dans une voiture. Il reconnaît NGENZI et Théophile TWAGIRAMUNGU car il faisait des livraisons au Camp de Kibungo. Au bureau communal, il remet de l’argent à un militaire. Ce qui l’a sauvé ? « La chance m’a souri » se contente-t-il de dire. Madame la présidente lui fait remarquer qu’il avait donné une autre version de sa fuite : il avait sauté de la voiture et couru !
Maître MARTINE demande au témoin à quelle heure il aurait vu NGENZI devant l’église, le 13 avril. Il précise que c’est au moment des tirs, vers 10 heures, et encore après. L’avocat lui fait remarquer que NGENZI a prétendu être chez lui à cette heure-là. Mais le témoin confirme. Quant aux militaires, ils se concertaient avec le bourgmestre.
Les dernières questions reviendront à la défense. Maître BOJ a deux questions à une première question concernant les relations de sa cousine avec le bourgmestre. Le 15 mai 2011, il avait dit que ce dernier avait « de bonnes relations avec Médiatrice car elle était commerçante » alors que madame UMUTESI évoque des problèmes depuis 1990 ! Le témoin de répondre : « Vous ne pouvez pas tout savoir. Le mari de Médiatrice avait créé son parti. NGENZI ne pouvait pas le regarder d’un bon œil. Eux seuls géraient ce problème. »
Lors de sa dernière intervention, l’avocat de NGENZI confond les dates du 13 et du 17. Évoquant la rafle, il décrit le comportement du bourgmestre devant l’église ! Incohérence dont pas grand monde ne se rend compte. La démonstration tombe à l’eau. (NDR. Il faut dire qu’il est déjà tard et qu’il y a encore un témoin à entendre.)

Audition de David TANAZIRABA, assistant bourgmestre en charge de l’administration en 1994.
Le témoin commence par évoquer les premiers massacres à Kabarondo à partir du 7 avril 1994 : secteur de Bisenga, puis Rundu et Rubira. Du 7 au 12 avril, il parle de l’arrivée massive de réfugiés à l’église de Kabarondo. Le 12 ou le 11 avril, une réunion de sécurité se tient sur la façon d’assurer la sécurité. Une autre réunion a lieu à la préfecture pour tous les bourgmestres. De retour, NGENZI n’éprouve pas nécessaire d’organiser des rondes.
Le 13, « date rouge », l’attaque de l’église par les Interahamwe et les militaires [5]. Du 14 au 18 se déroulera le ratissage des maisons des Hutu mariés à des femmes tutsi, ce que l’on appelle aussi des « perquisitions ». Des Tutsi sont réfugiés chez NGENZI, Médiatrice : ils seront conduits à Kibungo et massacrés là-bas. Le 18, ce sera l’attaque de l’IGA [8] conduite par CYASA. Le 19 ce sera l’arrivée du FPR à Kabarondo. Le témoin partira en exil.
Monsieur TANAZIRABA précise qu’il était alors assistant bourgmestre depuis le 8 mars 1990, chargé des affaires administratives. Il est Hutu et est alors un agent de l’État : ce n’est pas NGENZI qui l’a employé.
Concernant l’attitude de NGENZI avant 1994, le témoin évoque la période des « complices », après l’attaque du FPR le 1er octobre 1990. Par contre, il a pu se tromper de date concernant la réunion de sécurité : l’essentiel, c’est qu’elle a eu lieu. Le témoin explique clairement la situation telle qu’il l’a connue : chaque commune avait des armes, une par policier, le ratissage a bien eu lieu mais il ne sait pas qui a donné l’ordre. Si des gens se sont réfugiés à la maison communale, c’est qu’ils s’y sentaient en sécurité. Il n’y avait que Dative et ses enfants, ainsi que le comptable. NGENZI devait savoir qui se trouvait là. Concernant l’enlèvement des personnes réfugiées chez madame UMUTESI, il en a entendu parler par Jacqueline, mais il a vu lui-même passer NGENZI : il habitait tout près.
Sur question de maître MARTINE, le témoin dit qu’il cachait chez lui une vingtaine de Tutsi. Heureusement que le bourgmestre ne le savait pas.
Maître CHARRIER fait confirmer au témoin que NGENZI était à une réunion à Kibungo le 11 avec tous les bourgmestres.
Au tour de maître GISAGARA. La suppression des rondes, c’était bien une mauvaise décision ? Le témoin confirme. Qui a décidé les ratissages ? Il ne sait pas mais NGENZI y participait avec les Interahamwe [4]. Lui-même n’a jamais été poursuivi en Gacaca [6]. NGENZI dit qu’il est poursuivi parce que Hutu et bourgmestre ? « Ce n’est pas mon problème mais c’est faux ! » affirme le témoin.
Maître PADONOU veut savoir si, selon lui, le bourgmestre avait gardé son autorité en 1994. « Tous les bourgmestres ont gardé leur fonction. Il était chef de la sécurité, il avait autorité. Sauf les bourgmestres qui ont refusé. » A Benako, il confirme que les bourgmestres avaient repris du service. Il confirme aussi les déclarations de MACUMU qui dit que ce dernier croyait que les gens qui partaient à Kibungo étaient sauvés. C’est bien David, le témoin, qui était avec lui, qui lui a déconseillé de monter à bord.
Monsieur l’avocat général déclare que c’est lui qui l’a fait citer mais il aimerait bien que le témoin fasse la distinction entre ce qu’il a vu et ce qu’il a entendu dire. C’est bien ce l’ancien assistant bourgmestre avait déclaré en introduction de sa déposition. Et de revenir sur un certain nombre d’événements : vu ou entendu dire ?
Sur nouvelle question de la présidente, le témoin reconnaît qu’il a caché une vingtaine de Tutsi mais personne ne le savait, sauf son épouse et son petit frère qui assurait le ravitaillement. Certaines de ces personnes sont encore en vie. Sa femme, directrice adjointe de l’IGA est restée à la maison mais elle avait remis les clés au planton pour qu’il ouvre la porte aux Tutsi.
Maître BOURGEOT : « La réunion du 11 était bien un comité de pacification ? » Le témoin confirme. « Eh bien non ! ce n’est pas ça. Vous ne citez pas BARAHIRA. Vous prêtez serment et vous ne dites pas la vérité à cette Cour. C’est grave. » Le témoin de répondre : « Non, je ne mens pas. »
Maître BOJ veut savoir comment il a appris la rafle chez UMUTESI. Le témoin répond avoir vu passer NGENZI devant chez lui pour aller chez Médiatrice. NGENZI aurait-il nié y être allé ? L’avocat lui fait remarquer qu’il y a une différence entre aller chez UMUTESI et organiser la rafle ! « Vous tirez des conclusions hâtives ! » Pour lui, le témoin n’a rien vu : il raconte ce qu’on lui a rapporté : « La Cour appréciera ! » Si RUZINDANA n’a rien pu faire, c’est parce qu’il était du PSD.
La parole est prise enfin par maître CHOUAI. « Quelque chose me chiffonne. Vous cachez vingt Tutsi, c’est courageux ! Pourquoi être allé à Benako ? » Le témoin de répondre : « Je n’avais aucune relation avec le FPR, n’appartenait à aucun parti politique. J’ai quitté le pays à cause de la guerre qui, avant, était encore loin. »
Ironique, l’avocat enchaîne : « Dommage ! Vous auriez été célébré par le FPR. » « J’étais civil, pas militaire. J’étais technicien, un agent de l’Etat. Je suis resté chez moi. » L’avocat de poursuivre : « D’aucuns disent que l’État était génocidaire. NGENZI, derrière moi, le serait parce qu’il était bourgmestre ! » Le témoin : « Tous les agents de l’État n’ont pas été génocidaires. »

Fin de l’audience à 23 heures!

Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. Anjan Sundaram, Bad news, Paris, Marchialy, 2018 (Traduit de l’anglais (Inde) par Charles Bonnot).
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2. L’un des célèbres Interahamwe de Kabarondo, souvent cités au fil des audiences. Les Interahamwe sont « ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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3. Parti Libéral. Voir “Glossaire“.
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4. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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5. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
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6. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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7. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste. Cf. “Glossaire“.
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8. IGA : Centre communal de formation permanente.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Mercredi 20 juin 2018. J30
20/06/2018
• Audition de Félicia KANTARAMA, en visioconférence.
• Lecture de la déposition d’Innocent RUKAMBA.
• Audition de Philippe RUKAMBA, évêque de Butare.
• Audition de Anastase MUGIRANEZA, gérant de société.
• Audition de Frédéric RUBWEJANGA, moine en Belgique, ancien évêque de Kibungo en 1994.
Audition de Félicia KANTARAMA, en visioconférence.
Le témoin n’a en réalité rien à dire. Elle se cachait et ce sont les Inkotanyi [1] qui l’ont sortie ! Elle n’a donc rien vu. A tel point que personne ne souhaite lui poser des questions, si ce n’est la défense de BARAHIRA.
Maître BOURGEOT voudrait lui faire dire que son mari, Etienne NGIRUMUKIZA, a été tué par le FPR alors qu’elle n’en sait rien. Le témoin jure qu’elle ne sait rien de la mort de François : elle se cachait car elle était pourchassée. L’avocate insiste : « Votre mari ! Vous n’osez pas dire que c’est le FPR qui l’a tué ? C’est ce qu’on aurait dit à BARAHIRA ! » Le témoin est étonnée. Et d’insister encore : « C’est compliqué de dire qu’on est victime du FPR ? » Madame KANTARAMA dit une nouvelle fois qu’elle ne sait pas comment est mort son mari.
Dernière intervention de maître BOURGEOT. Elle exprime ses regrets au témoin d’avoir dû dormir sur place. En réalité, ce n’est pas le cas. Elle a passé la journée d’hier au Parquet de Kigali mais le soir venu elle est allée dormir chez un de ses enfants.
On s’en tiendra là.

Lecture de la déposition d’Innocent RUKAMBA en date du 20 mai 2011 et pour lequel il a été décidé de passer outre. Le témoin ne peut comparaître pour des raisons de santé.
Le témoin a été curé de Kabarondo pendant quelques mois entre fin 1994 et mai 1995. Il était en même temps chancelier de l’évêque de Kibungo. Il a été entendu par des enquêteurs norvégiens et en Gacaca [2] dans le dossier d’un prêtre, Charles MUDAHINYUKA.
Ordonné prêtre le 4 août 1991, après les tueries de l’évêché il a rejoint le groupe des religieux. Son frère Martin HABIMANA a été tué. Il compte beaucoup de morts dans sa famille.
Il connaissait NGENZI comme bourgmestre de Kabarondo. C’était un militant actif du MRND lors des meetings à l’occasion desquels on insultait les membres des autres partis. On disait qu’il était soutenu par RWAGAFILITA, un des « compagnons du 5 juillet » [3]. L’évêque Frédéric RUBGWEJANGA avait envoyé chercher des militaires pour protéger les réfugiés du Centre Saint-Paul. L’Interahamwe CYASA est venu en personne à l’évêché. S’il a eu lui-même la vie sauve, c’est par chance : un militaire a demandé d’arrêter les tueries alors qu’il était lui-même Interahamwe [4] !
Il ne connaît pas vraiment le Club de Kibungo [5]. Il sait toutefois que le préfet RUZINDANA avait convoqué tout le monde à une réunion. Il était présent : des insultes ont été échangées par le MRND et le MDR Pawa à l’encontre des membres des partis PL et PSD.
Il n’a rien à dire sur NGENZI avant 1994 et connaît très bien Oreste INCIMATATA qu’il n’a plus revu après le 6 avril. Le témoin raconte alors qu’il a vu NGENZI venir un jour à l’évêché, pistolet à la main, après le 15, en compagnie de l’abbé Papias. Le bourgmestre avait un pantalon très sale. NGENZI a dit qu’il fallait racheter le prêtre avec lequel il était venu, sinon il le tuerait. Les prêtres présents ont réussi à rassembler 50 000 francs. NGENZI est reparti avec des bouteilles de bières qu’il avait prises dans le bureau du prêtre. Selon Papias, le bourgmestre aurait tué la fille d’Edouard MURENZI.
Les prêtres s’étaient rassemblés au Centre Saint-Joseph. On soupçonnait les réfugiés de posséder des armes. En réalité, il fort probable que ces armes avaient été amenées par les militaires eux-mêmes pour justifier leur intervention.
Le témoin a entendu dire que NGENZI était devenu musulman et qu’il aurait fait de la chirurgie plastique ! Pour lui, il est clair que c’est lui qui aurait tué Papias s’il n’avait pu recevoir l’argent demandé.

Audition de Philippe RUKAMBA, évêque de Butare.
Selon le témoin, NGENZI est venu à l’évêché avec le prêtre Papias. Si on voulait revoir le prêtre vivant, il fallait qu’on lui remette une somme d’argent qu’ils ont pu négocier à la baisse. Il avait connu le bourgmestre de Kabarondo dans la mesure où ils participaient à des réunions communes : réunions de travail sur les écoles, la vie sociale… Il était lui-même curé de Kibungo.
Concernant les relations entre INCIMATATA et NGENZI, le témoin avait l’impression qu’ils s’estimaient. C’est ce qu’il avait dit aux gendarmes français le 10 juillet 1992. La question des listes ? Ce n’était pas nouveau dans le pays. Mais il n’a pas vu de liste lui-même : on en parlait. C’est le pouvoir qui, forcément, établissait ces listes. Les personnes ciblées étaient les Tutsi qui avaient fait fortune, les commerçants. A partie de 1990, ces listes concernaient les « complices ».
Les églises étaient des lieux de refuge. C’était les seuls endroits ouverts : on aidait les gens. L’évêque était allé demander de la nourriture aux militaires. Des réfugiés se sont rassemblés du 7 au 22 avril. On chassait même les gens avec des chiens. Deux ou quatre gendarmes ont été affectés au Centre Saint-Joseph, mais ils ont disparu dès l’attaque.
Les prêtres avaient connaissance des massacres dans les autres églises, surtout par le bouche à oreilles. Pour les gens, il n’y avait pas la possibilité de quitter l’église. Il y avait des barrières partout. « On attendait la mort ».
Les réfugiés étaient-ils armés ? L’évêque de rapporter les mêmes faits décrits par Innocent RUKAMBA : les militaires sont venus fouiller le presbytère. Ils sont revenus avec un sac rempli de munitions et d’une dizaine de vieux fusils. C’est probablement eux qui les avaient cachés pour accuser les réfugiés de posséder des armes. Tous les rescapés seront rassemblés ensuite au Centre Saint-Joseph.
Madame la présidente fait ensuite allusion à un document que l’évêque aurait signé concernant la découverte d’armes. Le témoin précise qu’il ont été obligés de signer qu’il y avait des cartouches et des armes au presbytère !
Madame la présidente lit un document que le témoin aurait signé. Le témoin arrête la lecture en disant qu’il n’a jamais signé ce texte. Tout le monde en convient.
Madame la présidente lit alors la déposition d’Innocent RUKAMBA, un homonyme. Ce dernier déclare que les militaires sont allés directement dans la première chambre : ils avaient eux-mêmes cachés les armes. Le témoin confirme.
Vient alors le moment d’évoquer la visite de NGENZI le 15 ou le 16 à l’évêché. Arrivé dans une camionnette blanche d la commune en compagnie de Papias, il aurait dit : « Je vous le donne si vous me donnez de l’agent ». L’évêque était absent. On est allé chercher ce qu’on avait comme argent. Nous étions 3 ou 4 prêtres, dont Dominique, Athanase MUTABAZI et l’abbé Charles MUDAHINYUKA. Papias était un peu hébété. Quant à NGENZI, il était très nerveux : « J’avais l’impression qu’il avait bu. » C’était dans l’après-midi vers 15 heures. Il n’y a pas eu véritablement de discussion : « Si vous ne me donnez pas l’argent, je le donne aux tueurs. » Il demandait 100 000 francs : on lui en a remis la moitié. Il avait vraiment l’air déterminé. Papias ne disait rien.
Comme il l’avait dit aux gendarmes français, l’argent était probablement pour lui, il était hargneux : il a voulu gagner de l’argent facilement. NGENZI les menaçait bien d’une arme à feu. Étonnant qu’on demande une rançon pour Papias qui était Hutu ? « Papias n’aurait pas dû être inquiété. NGENZI avait besoin d’argent ».
Maître MARTINE demande des précisions. Les gendarmes avaient fui : la voie était libre pour les tueurs ? Le témoin confirme : les gendarmes avaient peut-être eu peur aussi. Autre question de l’avocat : « Un bourgmestre pouvait ignorer les massacres dans les communes voisines ? » « Non. C’est eux qui organisaient les massacres. Ils suivaient l’avancée du FPR » répond l’évêque.
Au tour de maître LAVAL de prendre la parole. A la question de savoir s’il était allé à Kabarondo, le témoin répond par la négative : « Après l’attentat, on a commencé à mettre des barrières. Il était impossible de se déplacer ». Mais comment expliquer que NGENZI ait pu venir plusieurs fois à Kibungo sans être inquiété ? « Les officiels, bourgmestres, Interahamwe circulaient. NGENZI était bourgmestre. » Maître LAVAL enfonce le clou : « Les bourgmestres et NGENZI bénéficiaient de l’impunité des Interahamwe [4] aux barrières ? » Effectivement, chaque commune avait ses Interahamwe.
Madame l’avocate générale veut simplement savoir la date de la visite de NGENZI. Après les massacres de Saint-Joseph.
Exceptionnellement, la défense n’a pas de question à poser.

Audition de Anastase MUGIRANEZA, gérant de société.
Le témoin se présente comme un témoin de contexte concernant BARAHIRA qui était son instituteur d’école primaire. Il a gardé de bons contacts avec lui. Il dit avoir quitté son pays depuis 1989 pour la Belgique. Selon lui, Tito BARAHIRA n’est pas à sa place : il est à la place de quelqu’un d’autre. Il ne se sont pas revus depuis leur participation commune à un mariage. Il était un très bon instituteur, d’ethnie hutu. Il ne sait pas pourquoi il a fixé ses fonctions de bourgmestre.
Seule maître BOURGEOT interroge le témoin. A-t-il encore de la famille au Rwanda. Il confirme mais n’est pas retourné dans son pays depuis 1993. L’idée ne lui venait pas de rentrer au Rwanda où il a perdu une partie de sa famille à Kabarondo. Il a entendu dire qu’ils avaient été tués par le FPR, mais c’est compliqué de le dire. A-t-il l’impression qu’au Rwanda la parole est libre ? « Difficile à juger mais j’ai l’impression que c’est le cas ». Il a encore des frères et sœurs au pays mais il n’a pas informé sa famille qu’il témoignait. Ça se saura peut-être !

Audition de Frédéric RUBWEJANGA, moine en Belgique, ancien évêque de Kibungo en 1994.
Le témoin se dit heureux de participer à cette tâche de justice et de paix. Il a deux épisodes à évoquer. Il a rencontré une première fois NGENZI avant le génocide fin 93. Une altercation s’’était produite entre un jeune homme et un groupe de la CDR, des Interahamwe [4] qui étaient entrés à la paroisse de Kabarondo. NGENZI avait alors apaisé la situation.
Concernant le second point, il fait allusion à un rapport qu’il avait fait à Kibungo. Le dimanche 17 avril, il avait donné la parole à Papias lors de l’homélie et il avait raconté son histoire, comment NGENZI l’avait sauvé. Il avait obtenu qu’il soit échangé contre une rançon. Il est lui-même passé par Kabarondo en route vers Murambi après le sauvetage du FPR. C’est là qu’ils ont mis par écrit leurs souvenirs., l’évêque voulant maintenir le moral des prêtres. Et d’évoquer au moins 2000 morts à Kabarondo. C’est bien ce qui a été publié dans le bulletin du diocèse de Kibungo. La rançon versée pour Papias n’est pas la seule : INCIMATATA a dû payer aussi. (NDR. Ce n’est tout de même pas le même type de transaction !)
Madame la présidente propose alors de lire le document écrit par l’évêque. Elle en fait une lecture exhaustive même s’il manque deux pages au document. Elle finira par les lire lorsque le témoin les lui remettra.

Nouvelle pièce versée au débat. Le courriel adressé à madame la présidente : le témoin Justin KANAMUGIRE aurait été retrouvé. Il purge une peine de prison pour viol. Une incertitude quant à son prénom : Justin ou Augustin ?
Autre pièce versée au dossier. Le courrier de la directrice de la prison de Fleury-Mérogis concernant « l’attaque » dont aurait été victime NGENZI de la part d’un certain Pacifique HABIMANA, citoyen de Rouen condamné le 14 juin 2017 pour vol, aujourd’hui mis en examen pour viol ! Affaire à suivre ?

L’audience est suspendue vers 12h45.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. Inkotanyi : Combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. “Glossaire“.
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2. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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3. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.
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4. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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5. Club de Kibungo : au départ un groupe d’entrepreneurs qui avait vocation à dynamiser le commerce, il aurait peu à peu dérivé vers des motivations ethnistes “pro-Hutu de l’Est”.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Jeudi 21 juin 2018. J31
23/06/2018
• Audition de Moussa BUGINGO, en visioconférence.
• Audition de Géraldine UWAMAHORO, fille des KAREKEZI, en visioconférence.
• Audition de Radjabu SIBOMANA, en visioconférence.
• Audition de Viateur RUMASHANA, travaille à la Commission européenne.
• Audition de Ignace BAGILISHEMA, agent de sécurité.

Audition de Moussa BUGINGO, en visioconférence.
Le témoin commence par dire qu’il n’a jamais vu NGENZI mal se comporter. « J’entends dire que NGENZI est poursuivi pour génocide, mais je ne le vois pas ainsi ». Les 7 et 8 avril, le bourgmestre est parti dans les secteurs de Rundu et Cyinzovu pour stopper les massacres : s’il avait trempé dans les tueries, il n’aurait pas demandé d’y mettre fin. Il leur disait de ne pas s’entretuer car ils étaient frères et sœurs. Malheureusement, « les tueurs ne l’écoutaient comme bourgmestre. »
De retour à l’église, il a constaté que les gens étaient venus vers l’église. Il a vu que la situation le dépassait et a organisé une réunion pour savoir comment donner à manger aux réfugiés. Du 7 au 13, ils ont aidé les réfugiés de l’église : « Chacun donnait ce qu’il pouvait. »
En fait, les rescapés veulent lui causer du tort en le poursuivant en justice ; beaucoup de gens voulaient lui faire du mal. Si NGENZI avait été un assassin, il n’aurait pas permis que des gens soient accueillis au Centre de Santé et à l’IGA [1]. On a fait appel à CYASA qui a commencé par tuer les veilleurs de l’IGA. Ce dernier aurait : « Je veux voir le bourgmestre, je dois lui faire subir le même sort car c’est un complice » (des Inkotanyi [2]). Il serait intervenu pour l’empêcher de tuer le bourgmestre. CYASA a conduit ensuite les gens à Kibungo et les a tués.
« Je ne sais pas si les témoins qui sont en liberté ont témoigné comme moi. Si ce n’est pas le cas, cela veut dire qu’ils ont d’autres objectifs. Je saisis l’occasion si INCIMATATA a bien expliqué les choses. Tel que je vois les choses, NGENZI était méprisé jusqu’à son arrivée en Tanzanie : les gens avaient changé de visage. »
Sur questions de madame la présidente, le témoin précise qu’il est à la prison de Rwamagana. Il avait des relations de voisinage avec le bourgmestre. Lui-même ne faisait pas de politique, il était simple agriculteur. NGENZI était un bon bourgmestre, il ne pratiquait aucune discrimination entre Hutu et Tutsi. Ce qu’il connaît sur le comportement de NGENZI, il le sait par un codétenu avec qui il était à Benako, Manassé RUZATSINDA. NGENZI n’était bourgmestre que de nom. La réunion du 8 a eu lieu sur la place du marché. INCIMATATA était là aussi.
On évoque alors l’objet de la réunion, la décision de faire des rondes auxquelles il a lui-même participé, sans être armé. Les Simba Bataliani [3]? « C’est mon grand frère, Philippe NSANZABERA qui les a amenés.” Madame la présidente met le témoin en face de ses nombreuses contradictions. Le 13, il faisait paître ses vaches quand on est venu le chercher. Il est parti sous la menace. Les tueurs s’étaient organisés en trois groupes. Le témoin évoque ensuite l’arrivée des militaires alors qu’il arrivait à la maison communale. Un ancien militaire, TOTO [4], a lancé une grenade. Il y a eu 4 morts.
Les militaires ont installé 8 mitrailleuses au bureau communal. Le témoin a du mal à reconnaître qu’il a lui-même participé aux tueries. Il n’a vu NGENZI que le soir quand il a conduit des rescapés au Centre de Santé et à l’IGA. « En tant que dirigeant, il ne pouvait pas rester les mains croisées. » Madame la présidente lui fait remarquer que cela ne correspond pas à ce que le bourgmestre a dit lui-même. S’il est en prison, c’est une erreur, car il n’a rien fait ! Il est pourtant condamné à perpétuité ! C’est Kassim HAVUGIMANA qui l’a chargé sur conseils de KAJANAGE avec qui il avait un conflit depuis longtemps. Quant à BARAHIRA, il le connaissait, mais il ne l’a jamais vu ces jours-là. Le 14, le témoin n’était pas à l’IGA [1], il participait à l’enterrement d’un de ses neveux.
Pourquoi il a fui à Benako ? Il est parti comme tout le monde. Dans le camp, aucun bourgmestre n’avait retrouvé son autorité. Les Interahamwe [5]? C’était des voyous : c’est eux qui avaient l’autorité. D’ailleurs, il n’y en avait pas à Kabarondo, ils étaient tous venus d’autres endroits.
Maître BOURGEOT évoque le statut du témoin, sa condamnation et les conditions dans lesquelles il a été condamné : c’est la faute de KANAJAGE. On apprendra qu’il avait eu un avocat français, maître Daniel WEBER ( ?) dont il n’a pas voulu suivre les conseils : il a refusé de plaider coupable car il se sentait innocent. Le témoin répète qu’il n’a pas vu BARAHIRA.
Maître BOJ. L’avocat de la défense souhaite faire confirmer au témoin que NGENZI a bien organisé une réunion le 8 pour ravitailler les réfugiés de l’église, qu’il avait conservé son titre mais pas son autorité. S’il s’était rebellé ou s’il avait fui, que lui serait-il arrivé ? « Ça allait mal se passer pour lui. » Il a dit que lorsqu’il a croisé NGENZI le 14, ce dernier était « effrayé ». L’avocat demande de préciser. « Si vous avez bien suivi, il n’était pas tranquille car il voyait ce qui se passait dans sa commune qui était devenue du sang ». Et le témoin d’accuser INCIMATATA.
Maître CHOUAI souligne le fait que KAJANAGE aurait menti. (NDR. L’avocat parle de ce dernier comme d’un professeur de français alors qu’il était commerçant. Maître ARZALIER rectifiera : il y a erreur sur la personne.)
L’avocat de NGENZI parle ensuite des courriers confidentiels qu’on fait parvenir aux détenus et qui, même en France, sont ouverts par l’administration pénitentiaire. D’ajouter, fidèle à ses idées : « Au Rwanda, qui n’est pas connu comme un modèle de démocratie, le courrier doit bien être ouvert ! »
Maître BOURGEOT tient à intervenir une dernière fois pour aborder le cas de Bonaventure MUTANGANA, frère de Pascal SIMBIKANGWA, qui était venu témoigner pour son frère : une instruction à été ouverte au pôle crimes contre l’humanité. (NDR. Rapport avec le procès en cours ?)

Audition de Géraldine UWAMAHORO, fille des KAREKEZI, en visioconférence.
Le témoin raconte les perquisitions que les Interahamwe [5] ont effectuées au domicile de ses parents. A l’arrivée des assaillants, elle est allée fermer le portail de la concession, mais elle n’a pas pu empêcher quelqu’un de l’ouvrir. On lui a demandé de mettre les mains en l’air et les « visiteurs » ont entouré la maison. NGENZI était avec eux, pistolet en main. Il a demandé où était sa grande sœur Claire. Les Interahamwe étaient aussi à la recherche de MACUMU, l’ami de Claire. A la fin de la perquisition, NGENZI aurait dit : « Partons, nous reviendrons plus tard ! » Il a repris sa voiture. Plus tard, le témoin rejoindra le camp du FPR qui avait repris la région. Les Interahamwe avaient fui vers la Tanzanie.
Madame la présidente va demander au témoin de préciser un certain nombre d’éléments dont elle avait parlé devant les gendarmes français et qu’elle n’a pas abordés dans sa déposition spontanée. Si on recherchait sa sœur Claire, c’est parce qu’elle on la considérait comme une complice : institutrice, elle apprenait les chansons de Cécile KAYIREBWA à ses élèves : péché mortel ! NGENZI était bien le meneur, il était énervé. Comme elle l’avait dit aux gendarmes français, il avait « les cheveux en bataille, avait l’air d’un fou, les yeux grand ouverts. » Elle confirme qu’il n’était pas soigné comme avant. Si Claire avait été là, ils l’auraient tuée, c’est une évidence. D’ailleurs, ils étaient venus pour tuer mais l’argent leur a suffi. Elle n’a revu ni NGENZI ni BARAHIRA depuis.
Maître BOJ, avocat de NGENZI, va longuement interroger le témoin sur son identité. Il pense qu’il n’est pas en présence du bon témoin ! Géraldine UWAMAHORO évoque sa maladie : l’avocat veut en savoir davantage : « C’est le secret médical. » Comme il insiste, madame la présidente le rappelle à l’ordre : « C’est un secret médical ».
Maître BOJ finit par conclure : « Vous avez prêté serment. Mentir est un délit en France ! » Le témoin de rétorquer : « Je ne suis pas venue pour mentir ».

Audition de Radjabu SIBOMANA, en visioconférence.
Le témoin commence sa déposition spontanée en accusant NGENZI d’avoir organisé une réunion pour inciter les gens à tuer les Tutsi. Ils ont attaqué alors les réfugiés de l’église qui les ont repoussés. Le bourgmestre serait alors allé chercher les Simba Bataliani [3]. Les jours précédents, des fusils avaient été distribués à la population. SIBOMANA affirme qu’ils ont exécuté le plan qui avait été préparé. Après l’enfouissement des corps, ordre leur a été donné d’aller fouilles des habitations où se cachaient des Tutsi. Le témoin évoque les fouilles chez Jérôme. Ce dernier ayant eu peur de tuer sa belle-sœur c’est NGENZI qui l’aurait fait. Puis ils seraient allés chez KAREKEZI. On lui fera remarquer plus tard qu’il est le seul à donner cette chronologie !
Pour lui, NGENZI a trahi les Tutsi qu’il avait cachés. « S’il n’avait pas donné d’ordre, aucun Tutsi ne serait mort. Les policiers communaux étaient de connivence avec lui ». Les meneurs, TOTO, BIENFAITEUR, MUNYANEZA étaient des intimes du bourgmestre. C’est eux qui leur répercutaient les consignes, à nous qui faisions les rondes. Seul le bourgmestre circulait la nuit à la recherche des Tutsi. Le témoin aurait même reçu l’ordre d’aller chez MUNYANGAJU pour le tuer. Mais ils ne l’ont pas trouvé.
Sur questions de madame la présidente, le témoin va être amené à préciser quel a été son propre rôle le 13 à l’église [6]. Les faits qu’il rapporte sont confus. Il avait précisé avant que RWAGAFILITA [7] avait fait livrer des armes à NGENZI, à TOTO et à d’anciens militaires. Il était présent lors des massacres de l’IGA [1], le bourgmestre les ayant rassemblés pour une « réunion » : ce dernier les avait menacés d’un pistolet s’ils n’obéissaient pas. Le 14, il vendait des objets qu’il avait pillés dans les maisons des Tutsi. C’est bien après les tueries à l’IGA qu’il participera aux fouilles des maisons. C’est NGENZI qui donnait des ordres. CYASA leur aurait dit qu’on ne peut pas discuter les ordres du bourgmestre : il fallait lui obéir.
BARAHIRA ? Il ne l’a jamais vu dans le centre de Kabarondo. Moussa BUGINGO ? C’est son oncle maternel. Sa condamnation à 30 ans de prison pour les faits de l’église ? « Oui. J’ai d’ailleurs écrit aux membres de la famille RWIYEMULIRA pour demander pardon. C’est la seule personne que j’ai tuée. »
Sur questions de l’avocat général, le témoin confirme qu’il était un Interahamwe actif [5]. (NDR. A ce moment-là, le témoin se lève, fait des exercices d’assouplissement qui déclenchent des rires dans la salle. L’audition peut reprendre !)
Il a participé à des entraînements. Dans les meetings, on leur enseignait la division. On leur disait que les Tutsi venaient d’Abyssinie ! L’avocat général lui fait remarquer que cela ne suffit pas pour tuer les Tutsi ! En fait, comme ses amis avaient des armes et allaient tuer les Tutsi, il a suivi pour piller les biens. On reprochait aux Tutsi d’avoir abattu l’avion du président. Il est devenu Interahamwe car c’était les instructions du MRND, le parti des Hutu. A Kabarondo, les Interahamwe s’appelaient les « Abaticumugambi », à Rundu et Rubira, les « Abalinda » et à Bisenga, les « Simba Bataliani ».
Le témoin confirme les propos de l’avocat général quand il lui dit : « Vous êtes un Interahamwe. Quand on vous dit d’aider les Tutsi, vous le faites, quand on vous dit de les tuer, vous le faites aussi ! » A Cyinzovu, il y avait des Interahamwe, mais ils ont travaillé chez eux. Il ne sait pas qui était leur chef. Si c’est BARAHIRA, il ne l’a pas vu. NGENZI n’a pas suivi des ordres, c’est lui qui les donnait.
Questions de maître BOURGEOT. Le témoin était bien à l’église quand les tirs ont cessé. Il y avait encore des survivants. Il a même failli être tué lui-même mais la balle ne l’a pas atteint. Il confirme qu’il n’a pas Vu BARAHIRA
Questions de maître CHOUAI. L’avocat demande au témoin comment se passent les détentions au Rwanda. « On est bien, au Rwanda, le détenu a sa liberté ! » S’il a fait des exercices tout à l’heure, c’est tout simplement qu’il était resté assis longtemps. (NDR. Ce n’est pas le résultat de sévices qu’il aurait pu subir, si c’est ce que l’avocat voulait sous-entendre !)
Maître CHOUAI fait remarquer au témoin que ce qu’il a dit devant la Cour n’a rien à voir avec ce qu’il avait dit il y a cinq ans devant les gendarmes français : « J’ai l’impression que vous faisiez un Best off de ce que NGENZI a fait ! Pourquoi tant de discordances ? »
Le témoin : « Laissez-moi vous répondre. Pensez-vous que vous pouvez vous souvenir mot à mot de ce que vous avez dit ? Pour moi, il n’y a aucune différence. » Il confirme que NGENZI était bien le chef des Interahamwe [5]. Il avait pourtant dit voici 5 ans que les chefs étaient TOTO et BIENFAITEUR ! La plupart des questions portent sur les contradictions du témoin. L’avocat demande pourquoi le témoin a changé de discours. Il trouve toujours le moyen de se justifier, sans désarmer.
« Vous avez prononcé trois fois l’expression « exécution d’un plan » alors que vous n’en dites pas un mot devant les gendarmes. Pourquoi ? » demande l’avocat. Le témoin n’a pas de commentaire à faire : il sait ce qu’il a dit et le répète.
« Je vous soumets une hypothèse, continue l’avocat. Vous mettez des pièces du puzzle bout à bout et je pense que quelqu’un vous a briffé et vous n’avez rien retenu : vous mentez ! » conclut maître CHOUAI.
Réponse du témoin : « Je dis ce que je sais et ce que j’ai vu. Est-ce que vous étiez avec lui pour raconter ce qu’il a fait ? »
A ce stade, madame la présidente souhaite avoir la réaction de NGENZI après ces dernières auditions. L’accusé se contente d’affirmer que ce dernier témoin fait partie de ceux qui ont pillé et qu’il ne dit rien de vrai.
« Pourquoi ment-il ? » demande la présidente.
L’accusé : « Je n’étais pas à l’IGA au moment des massacres. Il m’accuse parce que je suis bourgmestre. Aujourd’hui je suis en conflit avec lui. Il exagère, il va trop loin dans ses accusations. S’il me charge, c’est qu’il a peut-être eu une promesse de réduction de peine ! »
Madame la présidente demande à l’accusé comment les autorités judiciaires peuvent savoir ce qui se passe dans cette Cour. Elle lui tend une perche qu’il hésite à saisir : « Il y aurait un espion dans la salle ? »
Octavien NGENZI hésite. Un nom lui brûle les lèvres, nom qu’il finit par prononcer d’une manière quasiment inaudible : celui du président du CPCR. Son avocat l’encourage à parler. Il n’aura pas la force de le faire. Et NGENZI d’oser poursuivre : « Ils reçoivent des rapports régulièrement. Il y a une partie civile qui prend des notes qu’elle publie sur leur site. Le rapport de ce jour sera transmis dès ce soir. Au procès de première instance, le verdict a été transmis au Rwanda avant qu’il ne soit prononcé officiellement par la Cour. Pareil à l’occasion du procès de SIMBIKANGWA ! » Vives réactions dans la salle !
C’en est trop. Madame la présidente élève la voix : « Je ne peux pas laisser dire cela ! c’est IMPOSSIBLE » martèle-t-elle. Et elle suspend aussitôt l’audience.

Audition de Viateur RUMASHANA, travaille à la Commission européenne.
Monsieur RUMASHANA se présente comme « un témoin de contexte de BARAHIRA ». Il l’a connu alors qu’il fréquentait l’école primaire. C’était un jeune homme proche de ses élèves, intègre, et qui animait des activités théâtrales. Devenu bourgmestre, il a fait beaucoup de choses pour sa commune : écoles, bureau communal… Il avait de bonnes relations avec la population. Par contre, il ne connaît rien sur lui sur la période des « événements » ! En 1990, le témoin est parti 7 ans en Union Soviétique. Il ne restera que quelques mois au Rwanda qu’il quitte pour la Belgique en mai 1998. Lorsqu’il apprendra que BARAHIRA est à Toulouse, il lui rendra visite. En 2007, c’est l’ancien bourgmestre qui viendra assister au mariage de son beau-frère. Le témoin n’était pas au Rwanda pendant « les événements » de 1994. Et de redire que BARAHIRA était « quelqu’un de bien ».
Sur questions de madame la présidente, le témoin déclare qu’il ne connaît pas les raisons de la démission de l’accusé en 1986. Probablement pour raisons personnelles. Il n’a jamais entendu de rumeurs sur son compte. Dans la commune, l’autorité était détenue par le bourgmestre mais c’est le conseil de secteur qui prenait les décisions. NGENZI a bien fait libérer son comptable qui avait été arrêté en 1991. Il n’appartient à aucun parti politique, « ça ne sert à rien ».
Quand la présidente souhaite évoquer le frère du témoin, ce dernier hésite : il ne souhaite pas en parler. C’est « trop fort émotionnellement ». Il était en Union Soviétique quand son frère est mort. Il avait été nommé préfet à la place de Godefroid RUZINDANA après sa destitution, mais il ne connaît pas les conditions de sa nomination. Son frère aurait fui en Tanzanie, aurait été arrêté à son retour, libéré puis tué en avril 1998. Il n’était resté préfet qu’une semaine.
NGENZI ? Il était bon. Le seul terrain de foot qu’il connaisse à Kabarondo, c’est celui de la place du marché. Maître GISAGARA rappelle que le témoin a quitté le pays le 13 octobre 1990, 13 jours après l’attaque du FPR. Il ne sait donc rien sur NGENZI et BARAHIRA entre 1990 et 1994. NGENZI, il l’a revu lors de vacances de deux semaines qu’il a passées au Rwanda.
RWAGAFILITA [7] ? Il le connaît de nom et il n’avait aucune autorité sur le bourgmestre. On lui fait remarquer qu’il avait dit le contraire lors d’une audition en visioconférence.
Monsieur l’avocat général aimerait savoir comment on fait pour devenir préfet, voire sous-préfet. C’est le président de la République qui procède aux nominations. C’est comme cela que ça s’est passé pour son frère lorsqu’il a été nommé sous-préfet de Birambo, dans la préfecture de Kibuye.
Sur questions de maître BOJ, un des avocats de NGENZI, le témoin jure qu’il n’a jamais dit qu’il avait vu le bourgmestre avec une arme, que ce dernier n’a jamais eu un comportement ségrégationniste : « La mention ethnique ? On s’en foutait ! » (sic). NGENZI ne faisait pas de militantisme : « On naissait dans le parti MRND. Toute l’Afrique était dirigée ainsi. C’était le temps des coups d’État. Le militantisme commencera avec la Conférence de La Baule. » Les membres de sa famille ont bien été tués après l’arrivée du FPR.
Maître BOURGEOT cherche à savoir pourquoi le témoin a quitté le Rwanda en mai 1999. Il est parti clandestinement par l’Ouganda, à cause de la mort de son frère. Il a cherché à savoir mais on lui a conseillé de ne pas apparaître dans le dossier. « C’était sauve qui peut ! »
Il voulait obtenir la justice ? Le témoin se contente d’éclater de rire. « Au Rwanda, tout le monde se taisait. Il ne fallait pas poser de questions. » Quant à savoir si les témoins qui viennent du Rwanda peuvent facilement dire la vérité, il préfère ne pas répondre.

Audition de Ignace BAGILISHEMA, agent de sécurité.
Le témoin se présente comme le premier acquitté du TPIR. Il avait été arrêté en 1999 et sera libéré en 2001. Le bourgmestre de la commune de Mubanza, à l’Ouest du Rwanda, dans l’ancienne préfecture de Kibuye, raconte comment il a passé la période des « événements ». « Pendant la « guerre », le pouvoir était dans la rue. Ce sont les bandits qui avaient le pouvoir ».
Madame la présidente lit des extraits de son jugement au TPIR à propos du rôle des bourgmestres. Elle cite l’expert du Procureur, André GUICHAOUA. Le témoin réagit : « En 1994, on a perdu le pouvoir. J’ai personnellement pensé démissionner mais les autorités religieuses m’en ont dissuadé. La population s’est réfugiée au bureau communal, la paroisse m’a procuré de la nourriture. Par contre, le Préfet ne m’a pas aidé. » Le témoin précise que les bourgmestres n’avaient aucune autorité sur les gendarmes.
Dans le jugement AKAYESU, bourgmestre de Taba, il était pourtant dit que les gendarmes étaient placés sous l’autorité des bourgmestres. Ce n’était pas le cas dans sa commune. D’ailleurs, ceux qu’on avait affecté à sa commune étaient partis au front. Si on lui avait demandé de tuer, il aurait évidemment refusé.
A ce stade, maître ALIMI fait remarquer qu’il a versé au dossier l’intégralité du jugement BAGILISHEMA. Pour lui, la défense n’a fourni que des extraits, des extraits « tronqués ». Et l’avocat de la LDH de demander au témoin d’expliquer à la Cour les actes qu’il a posés pour sauver des Tutsi. Monsieur BAGILMISHEMA s’exécute en précisant qu’il était lui-même menacé. S’il avait assisté à des massacres, il n’aurait jamais été acquitté. L’avocat le remercie d’avoir des personnes.
Madame la présidente reprend la main. Il ne recevait pas vraiment d’informations des autres communes, il avait assez à faire chez lui. Il précise qu’il n’est plus jamais retourné au Rwanda depuis son exil : « C’est impossible. Des acquittés du TPIR croupissent encore à Arusha ». (NDR. Plusieurs acquittés du TPIR n’arrivent pas à trouver de pays d’accueil. On peut se demander pourquoi ! C’est le cas de Protais ZIGIRANYIRAZO, alias Monsieur Z, frère d’Agathe HABYARIMANA, qui souhaitait rejoindre les siens en France).
Sur question de maître GISAGARA, le témoin déclare que le génocide n’a pas été planifié ! C’est l’attentat qui a mis le feu aux poudres.
Sur question de maître LINDON, le témoin précise que d’autres bourgmestres ont été jugés et acquittés au TPIR « pour ce qu’ils avaient fait ».
Sur questions de monsieur l’avocat général, si les gens sont venus se réfugier au bureau communal, c’est parce qu’ils avaient confiance en lui. La population voulait se venger de la mort d’HABYARIMANA et il a organisé des rondes. Il a collaboré avec le curé de la paroisse mais il n’a pas pu établir des listes des réfugiés de la commune. Ils étaient venus avec leurs vaches ! La commune avait accueilli assez tôt des réfugiés de Gisenyi où les massacres avaient commencé plus tôt. Il a participé à une réunion de sécurité à la préfecture : « Impossible pour un bourgmestre de ne pas y participer ». Et d’aborder ensuite des questions concernant l’hygiène et la fourniture d’alimentation aux réfugiés., le rôle du préfet KAYISHEMA, condamné et mort en détention.
Monsieur l’avocat général aborde enfin une question annexe : l’utilisation du tampon de la commune qui aurait pu servir à fabriquer de fausses cartes d’identité. En fait, ce tampon pouvait servir à sauver des Tutsi. Le remettre, comme l’a fait l’assistant bourgmestre de Kabarondo, ce pouvait être aussi pour empêcher que quelqu’un s’en serve.
Monsieur l’avocat général fait remarquer au témoin que des Tutsi sont venus témoigner pour lui à Arusha : aucun n’est venu témoigner en faveur de NGENZI ! « Ça dépend des moyens dont disposent les avocats. C’est le problème de l’égalité des armes ! »
Sur question de madame la présidente, le témoin reconnaît qu’en temps de paix un bourgmestre pouvait démissionner s’il ne se sentait plus capable d’assurer sa fonction !
Maître BOJ intervient à son tour. Il lit le §723 page 15 du jugement du témoin pour souligner qu’il faut tenir compte du contexte pour accuser un bourgmestre. Il cherche à savoir ce qu’il aurait fait si les militaires l’avaient contraint : « N’était-ce pas dangereux ? » La réponse est dans la question.
Maître CHOUAI fait remarquer que ce qui a sauvé le témoin, c’est la décision d’un transport sur les lieux. Il y avait plus de 80 témoins à charge. « Après le transport sur les lieux, le Procureur a eu honte : il a dû retirer beaucoup de témoins. »
Pourquoi inventer des histoires ? « Il y avait des délateurs payés, ou qui voulaient se venger. Tout cela pour asseoir l’autorité du FPR. Il fallait éliminer les opposants. Toutes les anciennes autorités du Rwanda doivent être accusées, même tuées » ajoute le témoin qui évoque ensuite toutes les étapes de sa fuite. Et de parler ensuite des raisons pour lesquelles il était accusé. « J’étais devenu un démon, Satan, quelqu’un qui éventrait les femmes ! J’étais un bon bourgmestre. Comment serais-je devenu mauvais en quelques jours ? »
Le témoin suit-il le procès de NGENZI ? Il dit que non tout en ajoutant que chacun a la possibilité de lire les comptes-rendus de quelqu’un dans la salle. C’est par la radio qu’il a appris le verdit du procès en première instance.

La défense dépose de nouvelles conclusions concernant la non comparution de messieurs KABAREBE et NZIZA, « témoins essentiels » dans cette affaire. Et pour étayer sa démonstration, maître BOJ ne trouve pas mieux que de s’appuyer sur le dossier espagnol dans lequel « on apprend des choses intéressantes sur James KABAREBE, un proche relais du président KAGAME ». Et d’énumérer les griefs : organisation de l’attentat contre HABYARIMANA, massacres de 2000 Tutsi à Byumba et autres tueries, bombardement de Kigali, attaques de camps de réfugiés… À la présidente qui fait remarquer qu’il n’y a pas eu de jugement dans cette affaire, l’avocat rétorque qu’elle a le pouvoir d’exiger leur comparution en usant de son pouvoir discrétionnaire. La défense refuse de passer outre pour ces deux témoins dont l’audition est indispensable à la vérité.
Maître LAVAL intervient. « La défense s’organise comme elle veut, mais c’est un faux procès dans le procès. Je le dirai en temps voulu. Personne ne sait qui a commis l’attentat et l’information judiciaire n’est pas terminée. Il est anormal d’aller chercher des arguments au-delà des Pyrénées. C’est une mauvaise distraction aux questions qui nous concernent. »
S’adressant à la Cour, monsieur l’avocat général déclare : « Dans ces conclusions de procédure on essaie de vous impressionner. Les témoins seraient essentiels ? On remet en cause un génocide. Ce n’est pas le débat. On dresse devant vous un rideau de fumée en prenant un dossier sans vérité judiciaire. Aller chercher un dossier en Espagne ! Prétendre que ce sont des témoins essentiels, c’est déplacé. La défense n’a fait aucune démarche jusqu’à ce jour et se manifeste à 15 jours de la fin du procès. On cherche à enrayer ce procès. Un lapin sorti du chapeau du magicien ! C’est dilatoire. Les choses sont simples : les témoins ont été cités par voie diplomatique, le Rwanda a refusé ! Est-ce que la France accepterait d’envoyer ses ministres dans une procédure étrangère ? (NDR. La cour d’appel de Paris a confirmé, le 31 octobre 2017, le refus du juge d’instruction d’auditionner l’ex-amiral LANXADE et son adjoint de l’époque, l’ex-général GERMANOS dans l’enquête sur les possibles responsabilités de l’armée française lors du génocide de 1994 au Rwanda ! En novembre 2016, Kigali a lancé une procédure contre 22 officiers français. La France acceptera-t-elle de les envoyer au Rwanda ?) Je vais faire citer le président des États-Unis, le Secrétaire général de l’ONU ? Ce n’est pas sérieux. Les témoins étaient acquis aux débats. Et il faudrait décerner un mandat d’amener ? Ce n’est pas possible, ils sont à l’étranger. Je vous demande de passer outre et de rejeter ces conclusions. »
Maître BOURGEOT intervient à son tour et fustige l’accusation pour qui aucun témoin de la défense ne serait essentiel, pour qui les conclusions déposées par la défense sont toujours dilatoires : « Il n’y a pas de rideau de fumée dans mes demandes de conclusions. Le Parquet général a le devoir de faire venir les témoins cités par la défense ».

La journée se termine par l’annonce d’un nouvel aménagement du planning : il sera communiqué mardi matin, à la reprise des audiences. Il est 21 heures.

Alain GAUTHIER président du CPCR

1. IGA : Centre communal de formation permanente.
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2. Inkotanyi : Combattant du FPR (terme utilisé à partir de 1990). Cf. “Glossaire“.
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3. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, souvent cités pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
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4. célèbre Interahamwe de Kabarondo, souvent cité au fil des audiences (voir également note 5 ci-dessous).
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5. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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6. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
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7. Le colonel RWAGAFILITA était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Mardi 26 juin 2018. J32
27/06/2018
• Audition de Jean-François DUPAQUIER, journaliste et expert auprès du TPIR
dans l’affaire des médias du génocide.
• Audition de Gilbert BITTI, juriste en droit pénal international.
• Audition de Bertrand PHESANS, expert psychologue.
• Audition d’Adeline KAYISENGERWA, partie civile.
• Audition de Géraldine NYINAWUMUNTU, partie civile.
• Audition de Daniel ZAGURY, psychiatre.
• Audition de Gérard LOPEZ, a procédé à l’expertise psychologique de NGENZI.
• Audition de Jeanne MUREKATETE, ex épouse de BARAHIRA.
• Audition d’Augustin NTARINDWA, partie civile.
• Audition d’Alexandra STRANO.
Madame la présidente rend les décisions de la Cour à propos de deux conclusions d’incident déposées par la défense.
• La Cour rejette la demande de la défense qui exigeait que l’on fasse comparaître le témoin Méthode RUBAGUMAYA, OPJ rwandais ayant auditionné un certain nombre de témoins. La Cour décide de passer outre.
• Même décision concernant deux autres témoins cités par la défense et qui n’ont pu être entendus : Anaclet GAHAMANYI et Joas NSHIMINYIMANA.

Audition de Jean-François DUPAQUIER, journaliste et expert auprès du TPIR dans l’affaire des médias du génocide.
Le témoin de contexte commence par évoquer son parcours personnel en lien avec le génocide. Il décrit la situation du Rwanda telle qu’il avait pu l’appréhender lors de son séjour au Burundi comme coopérant au début des années 70 : le Burundi était « une dictature », le Rwanda « une république fasciste » à propos de laquelle il souligne le rôle capital de la carte d’identité ethnique. Lorsqu’il a voulu présenter un livre sur la région, il a eu le sentiment de prêcher dans le désert.
Le mot génocide n’est pas vraiment nouveau puisqu’il sera utilisé dès février 1961, mais surtout par un coopérant suisse en 1963 à propos des massacres de masse dans l’ancienne préfecture de Gikongoro (NDR. Il s’agit de Bertrand RUSSEL et d’un article du Monde). En février 1964, Radio Vatican parlera du « premier génocide après la Shoah ». Quant au président KAYIBANDA, dans un discours dans lequel il fustige les Tutsi, il emploiera le mot à 23 reprises pour en rendre ces derniers responsables. De citer aussi un responsable rwandais de l’époque : « Si nous n’exterminons pas les Tutsi, c’est eux qui nous extermineront. » Sans oublier le fameux numéro 6 de la Revue Kangura de décembre 1990 et son non moins célèbre Appel à la conscience des Bahutu ! Tout cela pour dire que la réalité du génocide est présente depuis longtemps au Rwanda.
Conclusion de “l’appel à la conscience des Bahutu”, page 8 de la revue Kangura n°6 publiée en décembre 90.
Le témoin évoquera son rôle de témoin expert au TPIR et parlera de l’ouvrage qu’il a écrit avec deux collègues : Les médias du génocide [1]. Pour lui, le génocide est une option politique, comme il le fut en Allemagne. Il n’hésite d’ailleurs pas à comparer Kangura à Main Kampf. Au début des années 90, et plus encore en 1994, HABYARIMANA, qui rentre de Dar Es Salam pour ratifier enfin les accords d’Arusha, sera devenu un obstacle au génocide : il faudra l’assassiner. Impossible dans ces conditions de parler du génocide comme d’une colère populaire spontanée.
Sur questions de madame la présidente, le témoin parle des différentes radios du Rwanda en 1994 : Radio Rwanda, RTLM pour les extrémistes et Radio Muhabura, la radio du FPR dont l’audience est restreinte. Pendant le génocide, contrairement à ce que prétendent les accusés, l’administration a continué à fonctionner. Les faux témoins ? Ils sont plutôt du côté de la défense, comme au TPIR : « La peur n’est pas dans le camp qu’on vous a dit. »
Sur questions de maître PARUELLE, le témoin confirme que le Burundi et le Rwanda ne présentent pas d’enjeu stratégique. Son article « Rwanda : La France au chevet d’un fascisme africain » n’aura que peu d’échos. D’ailleurs, ce procès est boudé par les journalistes : il y a un besoin d’amnésie après le génocide. Ce qui laisse libre cours à la propagande négationniste, en particulier avec la thèse du double génocide. Quant à RTLM, ce fut le haut-parleur du génocide.
Maître LINDON évoque l’accusation en miroir qui, pour le témoin, sort directement des théories de Goebbels. Et de souligner les travaux d’Alison Des FORGES.
Maître GISAGARA questionne le témoin sur les Gacaca [2] qui ont permis de juger plus d’un million de personnes alors qu’en Allemagne seuls 6 500 personnes seulement ont été jugées. Dans ces Gacaca, il y avait autant de témoins à décharge que de témoins à charge. Par contre, pas de témoins d’alibi car tout le monde se connaissait.
Sur questions de monsieur l’avocat général, le témoin revient sur l’option politique qu’aura été le génocide. Est abordé aussi le rôle de BAGOSORA, à l’origine d’un putsch [3] : il fallait se débarrasser du président HABYARIMANA. « Je rentre au Rwanda pour préparer l’apocalypse ! » déclarera l’ancien chef d’État-Major de l’armée. L’attentat sera l’étincelle qui mettra le feu aux poudres. De préciser que sous les deux premières républiques, à l’école, les jeunes élèves tutsi devaient se manifester alors qu’à la maison on ne leur avait même pas dit qu’ils étaient Tutsi. Quant au rôle de la France dans ce génocide, il est évident : la France savait dès 1990 ce qui se fomentait. De revenir enfin sur la notion de « défense civile ».
Sur questions de maître CHOUAI, le témoin évoque le rôle de la MINUAR : environ 4 000 hommes sous le commandement du général DALLAIRE : l’intervention des forces onusiennes se fait sous le Chapitre 6, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent faire usage de leurs armes que si elles sont attaquées. À aucun moment elles ne seront autorisées à passer sous Chapitre 7. (NDR. Le témoin a omis de préciser que cette force internationale sera drastiquement réduite dès le début du génocide. Le message pouvait être clair pour les tueurs.)
Le témoin est interrogé ensuite sur ce qu’il pense de GUICHAOUA. Pour lui, l’expert du TPIR a dû être « victime d’un stress post-traumatique » : vu ses fonctions au Rwanda, il n’a pas vu arriver le génocide. « Pour lui, le génocide commence quand il monte dans son avion ! » Il a toutefois permis d’évacuer, avec d’autres qui le revendiquent, l’évacuation de la première ministre Agathe UWILINGIYIMANA. Les ouvrages de GUICHAOUA font-ils autorités ? Le témoin pense que non. REYNTJENS, LUGAN, STRISEK ? Pas davantage. Jean-Pierre CHRETIEN, par contre, est un bon expert. Et l’avocat de revenir sur le cas BAGOSORA et la notion d’entente à commettre le génocide pour laquelle il n’a pas été condamné. Monsieur DUPAQUIER souligne alors « l’incurie du TPIR », « la stupidité de certains enquêteurs » : Carla del Ponte limogera 9 procureurs adjoints à sa prise de fonction ! Maître CHOUAI fera alors remarquer que BAGOSORA [3] et GUICHAOUA sont d’accord pour fixer le début du génocide au 12 avril, date de la fuite du gouvernement intérimaire pour Gitarama ! Mais le témoin de rajouter que l’incurie dont il parle se trouvait aussi du côté de l’accusation : voir l’acquittement incompréhensible de Protais ZIGIRANYIRAZO, alias monsieur Z, frère d’Agathe HABYARIMANA [4].
Les questions de l’avocat de NGENZI se termineront par la situation politique au Rwanda concernant la liberté de la presse. Le témoin de préciser que s’il y a un régime autoritaire au Rwanda, « c’est qu’on n’avait pas le choix. » Bad News [5] ? Le témoin connaît mais en conteste les propos.
Reste maître BOURGEOT, l’avocate de BARAHIRA. Elle commence par contester le titre d’expert que se donnerait le témoin. Elle demande ensuite s’il est un proche d’Alain GAUTHIER ! « Je ne me suis pas mis d’accord avec lui, mais c’est un ami, même s’il y a longtemps qu’on ne s’est vus ». Inutile d’aller plus loin, même si l’avocate permet au témoin de redire que Bad News est « une authentique ineptie. »
Madame la présidente reprend la main pour parler du fameux Jean-Pierre, cet Interahamwe [6] qui avait alerté le général DALLAIRE sur la présence d’une cache d’armes. Il s’agit effectivement de Jean-Pierre TURATSINZE, un chef Interahamwe.

Audition de Gilbert BITTI, juriste en droit pénal international.
Le témoin travaille à la CPI depuis 15 ans et donne des précisons sur l’historique de cette institution. La CPI n’intervient que si les instances nationales ne se saisissent pas d’une affaire. D’évoquer ensuite la notion de compétence universelle. Selon lui, le TPIR aurait traité environ 60 dossiers de génocidaires. (NDR. En réalité : le TPIR a inculpé 93 personnes. 5 affaires ont été renvoyées devant des juridictions nationales dont deux en France, MUNYESHYAKA et BUCYIBARUTA, 14 personnes ont été acquittées, 2 actes d’accusation retirés.)
Le témoin revient sur la définition du génocide, selon la Convention de 1948, et selon la définition française qui y a ajouté l’existence d’un plan concerté, le génocide s’inscrivant dans une responsabilité collective. Le plan concerté dans le droit français suppose une attaque contre une population civile conformément à la politique d’un État ou d’une organisation. Ce programme peut se retrouver dans des écrits, mais dans les pays où priment les témoignages, on en déduit l’existence d’un programme dans la répétition d’actes dur le terrain. Ce qui est le cas pour le Rwanda.
On peut utiliser les discours d’hommes politiques pour définir un « plan concerté ». A la CPI, on s’en sert, précise le témoin, dans une affaire concernant les Philippines. Au Rwanda aussi. (NDR. Ce sera le cas dans l’affaire Léon MUGESERA, extradé du Canada vers le Rwanda pour le discours qu’il a prononcé à Kabaya en 1992).
Avec l’affaire KAREMERA au TPIR, en juin 2006, le génocide n’est plus à prouver : il s’agit du constat judiciaire de faits connus.
Maître LINDON revient sur la notion de plan concerté dans l’arrêt BAGOSORA, condamné pour génocide mais pas pour entente en vue de commettre le génocide. Monsieur BITTI précise que dans une affaire on évalue toujours les preuves dans leur ensemble. Certaines parties d’un témoignage peuvent être incohérentes, sans pour autant que tout le témoignage soit déprécié.
L’avocat général précise qu’au TPIR on fait appel à la notion de « au-delà de tout doute raisonnable » qui équivaudrait à « l’intime conviction » des jurés dans un procès d’assises en France. Le témoin confirme qu’il n’existe pas une grande différence, effectivement, mais la première expression est une notion de droit anglo-saxon et non de droit romain germanique.
Maître BOURGEOT rebondit sur cette dernière remarque et demande si l’expression de droit anglo-saxonne ne serait pas plus laxiste ! Monsieur BITTI de répondre : « La certitude absolue n’existe pas. Les deux notions ne sont pas fondamentalement différentes. Ceci dit, éliminer un certain nombre de preuves n’avantage pas forcément la défense. »
L’avocate demande au témoin si, en plus de deux mois de Cour d’assises, on a examiné les preuves avec assez de soins. Monsieur BITTI souligne que la procédure anglo-saxonne est beaucoup plus longue. Il ne confirme pas les propos de l’avocate. Ce sont deux procédés différents.
Maître BOJ évoque les moyens financiers du TPIR, ce qui donne l’occasion au témoin d’expliquer le budget du Tribunal Pénal International. On a dépensé une fortune en frais de traductions et d’interprétation, ainsi que pour la protection des témoins, leur logement, frais d’école pour leurs familles… Pour l’avocat de NGENZI, la Cour d’assises n’a pas assez de moyens pour fonctionner : la défense surtout ne bénéficie pas d’une aide suffisante. Monsieur BITTI que dire que nous ne sommes pas dans le même système : en France, l’enquête est à la charge des juges d’instruction. À l’avocat qui s’étonne que le Rwanda étant une administration paperassière, il est étonnant qu’on n’ait pas plus de documents ! Cela est dû à la destruction de la plupart des documents.
Maître CHOUAI, quant à lui, revient sur le transport sur les lieux. Selon le témoin, la CPI s’est transportée sur les lieux dans deux affaires : une en RDC, l’autre en Ouganda. C’est effectivement utile pour vérifier certains témoignages. (NDR. Les juges d’instruction français, dans l’affaire SIMBIKANGWA, ont pu prononcer des non-lieux partiels en se rendant sur les lieux, à Kesho en particulier. Ce qui n’a pas forcément convaincu les parties civiles.)
La notion de complot ? « C’est un crime en lui-même pour les Anglais, une façon de poursuivre plus de personnes pour les Américains » précise le témoin. Et d’ajouter qu’à la CPI aucun dossier ne concerne le Rwanda dans la mesure où ce pays n’a pas ratifié les statuts de la CPI.
Le témoin, interrogé sur l’acquisition de la nationalité rwandaise, refusera de répondre.

Audition de Bertrand PHESANS, expert psychologue.
Le témoin a procédé à l’expertise psychologique de Tito BARAHIRA. Il n’a constaté aucune affection mentale particulière, aucune névrose constituée. Son discours est marqué par une attitude défensive, évasive. L’accusé ne se pose aucune question sur ce qui lui arrive : études, ascension sociale, nomination comme bourgmestre. Il était satisfait de travailler pour son pays. Il ne développe aucune pensée personnelle : il a travaillé pour le bien général.
Tito BARAHIRA ne parle pas de Hutu et de Tutsi, mais de « Rwandais de l’intérieur et de Rwandais de l’extérieur, les rebelles. » L’expert d’ajouter : « Il était loin du pouvoir, il ne pensait pas ! »
Sa démission en 1986 ? Il voulait se reposer dans une période où on critique le système HABYARIMANA. Le fait qu’il soit bien payé dans sa fonction de releveur de compteur à Electrogaz lui suffisait.
Quant au génocide, il ne reconnaît rien. Pour lui, ce n’est pas un génocide organisé ! Il a été accablé par la disparition d’HABYARIMANA et il n’a fait qu’attendre les consignes. Puis il a fui. Il n’a aucun traumatisme lié au génocide. Il ne donne aucune explication sur sa démission en 1986, pas plus que pour son élection comme président du MRND local en 1994. Un génocide ? Il ne reconnaît pas le terme : « Pour moi, je vois un massacre » dira-t-il. Il ne parle jamais des victimes. Ce qui l’accable, c’est la mort du père de la nation, le président HABYARIMANA. BARAHIRA a subi toute sa vie. Il ne savait même pas pourquoi il avait été nommé bourgmestre. Il était séduit par l’idéal de la deuxième république. Il conteste avoir vu quoi que ce soit à l’église. Il n’a pas participé : on est venu le chercher, il n’a rien vu !
Maître GISAGARA demande à l’expert si ce profil psychologique est répandu. « C’est sa personnalité, répond le témoin. Du déni ? pas vraiment. Il ne veut rien savoir. C’est plus une forme de fatalisme : il a accepté sa vie comme elle venait. Il était convaincu qu’il serait libéré après son procès.

Audition d’Adeline KAYISENGERWA, partie civile.
Le témoin explique pourquoi est s’est constituée partie civile : plusieurs personnes de sa famille sont décédées, soit à leur domicile, soit à l’église. Elle s’est réfugiée à l’église le 12 avril au soir avec sa mère et sa sœur. Le lendemain, elle a vu NGENZI vers 7/8 heures : il est arrivé avec des Interahamwe, a fait un tour et est reparti. Le témoin parle de la bagarre qui a suivi, les réfugiés lançant des pierres sur les assaillants. NGENZI est revenu avec des militaires : les gens ont cherché à entrer dans l’église. A 16 heures, les tirs ayant cessé, on les a fait sortir dans la cour. Certains rescapés ont donné de l’argent aux Interahamwe afin qu’ils aient pitié. BARAHIRA était présent et aurait rudoyé une vieille femme. Sa grande sœur avait été blessée au ventre par balle. Elle a pu quitter les lieux et a retrouvé le cadavre dénudé de la vieille femme, ainsi que celui de sa sœur.
Ce génocide a eu de graves conséquences pour sa vie personnelle : elle n’a pas pu poursuivre ses études, ses enfants lui demandent toujours où sont les autres membres de la famille.
Sur questions de la présidente, le témoin évalue le nombre des Interahamwe à 200, armés de machettes, de lances et de petites houes. Elle précise qu’elle a vu NGENZI deux fois, sans arme. Elle ne l’a plus revu après l’arrivée des militaires. BARAHIRA, elle ne l’a vu que le soir, vers 16/17 heures. Elle avait précisé qu’elle était bien la fille de Constance MUKABAZAYIRE et la nièce de François tué en présence de BARAHIRA. Elle n’a jamais participé aux Gacaca et ne sait pas si quelqu’un a été condamné pour ce meurtre.
Sur questions de maître GISAGARA, le témoin précise qu’elle ne connaissait pas NGENZI mais que c’est sa mère qui lui a dit que c’était lui. INCIMATATA n’a pas vu NGENZI ce jour-là ? « Tout le monde ne voit pas les mêmes choses. Certains réfugiés se trouvaient sur la cour, d’autres dans l’église : ils ne peuvent pas avoir vu la même chose. Elle reconnaît qu’elle est allée une fois aux Gacaca mais qu’elle n’a pas supporté : « C’était très difficile pour moi de voir qu’il ne me restait plus que ma mère. Ça me rappelait trop ce que j’avais vu. » Aujourd’hui, elle se sent capable de parler de cette période. Après lui avoir fait raconter la mort de sa grande sœur, l’avocat lui demande si elle a un message pour les accusés. « Ce qu’ils ont fait a eu des conséquences pour moi. Ce qui fait mal aux victimes, c’est qu’ils ne reconnaissent pas leurs actes. S’ils avouaient, cela pourrait alléger nos cœurs. »
Maître BOURGEOT semble lui reprocher de donner les mêmes informations que sa mère : elle aurait bien assimilé cette histoire ! Le témoin ne confirme pas les suppositions de l’avocate.

Avant d’entendre le nouveau témoin, madame la présidente prononce un « passer outre » pour le témoin Jean Bosco NGENDAHIMANA.

Audition de Géraldine NYINAWUMUNTU, partie civile.
Le témoin énumère les victimes de sa famille, tuées ailleurs qu’à l’église. Après les massacres de l’église, elle signale que tous se sont dispersés à partir de 17 heures, quand les tirs ont cessé. Les tueries continuaient toutefois à l’aide de gourdins. Certains sont allés au Centre de Santé, d’autres chez Médiatrice UMUTESI. Sa mère adoptive, Dative, était au bureau communal avec deux enfants. Elle- même est allée au Centre de Santé car sa sœur était blessée.
Le témoin raconte son séjour au Centre de Santé, l’attaque par les gens de Rubira amenés par NGENZI. Ce dernier aurait demandé de trouver d’abord l’infirmière Goretti avant de tuer quiconque. On les a fait sortir du Centre et elle doit la vie à un Interahamwe qui a demandé d’épargner les enfants de KAJANAGE. C’est NGENZI qui donnait des ordres. Les victimes ont été enterrées dans une fosse derrière le Centre de Santé. Le témoin rapporte alors que NGENZI serait venu à l’église vers le 10 et qu’il aurait demandé à quelqu’un de Rubira ce qu’il avait fui.
Maître ARZALIER demande au témoin de redire les conditions de sa survie. L’Interahamwe qui l’a sauvée l’a conduite ne Tanzanie. Elle serait partie avec un petit frère de NGENZI, MUSONI, qui aurait révélé sa présence à son frère. Elle sera ensuite conduite au camp de Kayonza.
Maître CHOUAI souhaite connaître le nom de sa mère biologique. Elle s’appelait Immaculée NDAMURANGE. Selon l’avocat, le frère de NGENZI n’a jamais rejoint la Tanzanie. Il serait mort tué par le FPR. On n’en saura pas davantage.

Audition de Daniel ZAGURY, psychiatre.
L’expert a rencontré l’accusé BARAHIRA le 15 juin 2013 à Fresnes. Il s’est présenté comme un homme abattu, usé, las, malade. Interrogé sur les faits, l’accusé déclare que les vainqueurs du conflit armé voulaient lui nuire. Pour lui, pas de génocide, mais guerre, massacres. Pour lui, les accusations sont fabriquées. Après un périple en Tanzanie et au Kenya, où il rencontre un bienfaiteur américain, il arrive en France en 2004, à Toulouse où sa femme est déjà installée.
Il n’a aucun antécédent judiciaire ni psychiatrique. Il se définit comme un être ordinaire qui n’a jamais été mêlé aux massacres. Il y a chez l’accusé une forme de fatalisme, il se présente comme une victime de la guerre, victime d’un véritable acharnement. Il ne présente aucune altération du discernement.
Sur questions de madame la présidente, BARAHIRA ne parle pas de génocide, mais de massacres. Aucun mot pour les victimes ! Monsieur ZAGURY a procédé à l’expertise d’autres Rwandais. Chez l’accusé, il n’a noté aucun signe de dépression. Il a trouvé un homme écrasé par le destin qui ne s’est pas plaint de sa détention.
Maître BOURGEOT fait remarquer à l’expert qu’on ne parle pas de « présumé génocidaire » mais de « présumé innocent » ! Elle s’étonne qu’en 2014, le Monde publie un de ses articles « Les génocidaires, des hommes ordinaires » illustré par une photo de SIMBIKANGWA (NDR. C’est elle-même qui assurait la défense du condamné. Condamnation définitive depuis le rejet du pourvoi en cassation). Le témoin répond que ce n’est pas lui qui a choisi la photo. Il se doit de préciser aussi qu’à aucun moment, dans son rapport, il ne dit si la personne est coupable ou non.

Audition de Gérard LOPEZ, a procédé à l’expertise psychologique de NGENZI.
Le témoin commence par dire que l’accusé prétendait avoir fait tout son possible pour éviter ce qui s’est passé. Il se dit « victime d’un complot ». Il ne présente toutefois pas de trouble psychologique. Il dit avoir sauvé des Tutsi massacrés par les militaires. La plainte déposée contre lui ne visait qu’à le disqualifier. Pour lui, c’est un règlement de compte politique basé sur de faux témoignages. La théorie du complot est fréquente quand on veut se disculper. C’est sa ligne de défense : il a des remords mais pas des regrets. En détention, il s’inquiétait pour sa famille.
L’expert s’est intéressé à la biographie de l’accusé : il n’a été ni maltraité ni frappé physiquement. Et monsieur LOPEZ de mentionner l’ouvrage de Pierre LASSUS, La violence en héritage, qui développe l’idée que tous les grands criminels ont été maltraités dans leur enfance. Par contre, l’accusé n’a jamais fait allusion à l’attaque dont il aurait été victimes lors de sa fuite en Tanzanie.
A maître GISAGARA qui fait remarquer au témoin que NGENZI s’était inventé une identité pour demander l’asile, l’expert précise qu’il s’agit d’une stratégie pour obtenir des papiers. C’était pour lui une façon d’échapper à son passé. Et de faire un parallèle avec les nazis qui se sont réfugiés en Amérique latine.
Maître CHOUAI veut savoir combien de temps il a passé avec NGENZI. « Le temps qu’il faut pour se faire une idée. J’essaie de détecter un trouble psychologique qui pose la question de la responsabilité. L’entretien s’est déroulé dans le parloir de la prison, dans de bonnes conditions, en toute confidentialité. L’avocat s’étonne que son rapport ne fasse que 4 pages alors que celui de monsieur ZAGURY en fait 11 ! Avant de rencontrer l’accusé, il n’a rien lu si ce n’est la plainte qui le visait.
Maître CHOUAI s’étonne aussi que l’expert ait parle du rapport de MILGRAM qui n’a pas de rapport avec notre affaire. Monsieur LOPEZ signale simplement qu’il veut montrer qu’une personne ordinaire peut se soumettre à l’autorité.
Et l’avocat de déclarer : « Dans votre travail, il n’y a rien d’objectif ! »

Audition de Jeanne MUREKATETE, ex épouse de BARAHIRA.
Le témoin commence par parler de sa décision de divorcer de son mari quand ce dernier l’a rejointe à Toulouse. Ils avaient vécu séparés depuis longtemps. C’était pourtant un homme exemplaire, un bon père. Ce n’est que lors de son audition avec les gendarmes français qu’elle a appris les accusations contre son mari. Elle rappelle les conditions de leur fuite en avril 1994. Séparée de son mari, elle se retrouvera dans un camp de Kibungo. Et de refaire l’éloge de son mari. Elle arrive en France le 27 juillet 1997 : une de ses sœurs était déjà là.
Sur questions de madame la présidente, elle reconnaît que son mari a mal accepté sa décision de divorcer. Ce sera pourtant effectif en juin 2006. Le témoin va toutefois surprendre la présidente : madame MUREKATETE ne sait absolument rien de son mari, de ses engagements politiques, de son emploi du temps le 13 avril ! Ce qu’elle sait, c’est que ce jour-là il est resté à la maison : il ne s’est absenté que pour aller chercher de quoi manger. Employée du Centre de Santé, elle n’est plus retournée travailler à partir du 7 avril. Elle n’a entendu aucun bruit de tirs le jour de l’attaque de l’église. Il a bien fait un petit déplacement à Kabarondo le soir du 13 mais à son retour, il n’a rien dit. Elle n’avait pas le temps de parler avec son mari ! Ils n’ont même pas parlé de l’attentat !
Elle reconnaît qu’elle est Hutu : père Hutu et mère Tutsi. Son mari le savait-il ? « Il connaissait mes parents. Il savait ce que j’étais. » Lors de leur fuite, elle n’a vu aucune barrière sur la route.
Depuis 1994, le témoin se rend de temps en temps au Rwanda, à Kabarondo : aucun problème. Ils possèdent encore quelques propriétés. Les Interahamwe ? C’était des jeunes du MRND mais elle ne sait pas s’il y en avait à Kabarondo. Elle a perdu plusieurs personnes de sa famille. Les informations les concernant, elle les a glanées au camp de Kibungo. Le frère de son mari, veilleur au Centre de Santé aurait été tué mais elle ne sait pas dans quelles conditions.
Madame la présidente lui demande si elle désire s’adresser à son ex-mari. « Qu’il garde courage ! » se contente-t-elle de conclure.
Maître GISAGARA lui demande pourquoi elle ne s’est pas exprimée en Français. « Dans la salle il y a beaucoup de Rwandais » ose-t-elle dire. (NDR. En fait, à l’heure où elle témoigne, il n’y a presque plus personne dans la salle, ni Rwandais, ni personne d’autre.) Elle a pourtant la nationalité française et donc elle parle français.
Sur question de l’avocate générale, le témoin revient sur les étapes de sa fuite. De son mari, elle ne dira rien de plus
Maître BOURGEOT fait remarquer au témoin que son ex-mari avait fait libérer le comptable de la commune en 1990. Madame MUREKATETE confirme les liens amicaux qui existaient entre leur famille et Médiatrice UMUTESI. Les accusations contre son mari ? Elle se dit très étonnée. Il ne pouvait pas faire de telles choses.

Audition d’Augustin NTARINDWA, partie civile.
Le témoin commence par décrire l’ambiance qui régnait en famille peu après l’attentat. Ses parents étaient angoissés, lui-même avait peur. Après avoir passé une première nuit dans les bananeraies, ils ont fini par se réfugier à l’église.
Le 13 avril, le témoin jouait dans la cour de l’église avec d’autres enfants. Les Interahamwe sont alors arrivés en chantant. Alors que les femmes et les enfants s’étaient réfugiés dans l’église, son père et les autres hommes et jeunes gens se sont défendus en lançant des pierres sur les assaillants. Les militaires sont alors arrivés en compagnie du bourgmestre. Le père d’Augustin sera tué dans les premiers. L’enfant s’est alors réfugié dans l’église : sa mère l’a caché près de l’autel. Le sang ruisselait partout, la fumée remplissait l’église dont le toit était endommagé. Ses sœurs s’étaient réfugiées dans la sacristie : une d’elle était morte, l’autre avait eu les jambes coupées. C’est alors qu’on a fait sortir les survivants de l’église. Augustin voit sa mère qui ne bougeait plus. Ils se sont rassemblés dans la cour et les tueurs ont commencé à achever les survivants.
Le témoin a couru se cacher derrière l’église sur le chemin qui mène à sa maison. Il dormira ce soir-là chez un voisin. Après quelques jours, il est parti avec sa sœur en direction d’une église protestante en construction, à Shyanda. Ils sont restés là jusqu’à l’arrivée du FPR. Les enfants seront confiés à une femme venue d’Ouganda, puis à une de leur tante.
Sur questions de madame la présidente, le témoin dit bien n’avoir pas vu NGENZI et BARAHIRA, mais il était jeune et ne les connaissait pas. On lui a simplement dit que le bourgmestre était là avec les militaires. Il y a bien eu un tri sur la cour de l’église mais n’a pas vu l’abbé INCIMATATA le 13. Quant au nombre des Interahamwe, il lui est difficile de les évaluer.
Maître CHARRIER lui demande si des gens armés se trouvaient dans l’église. Augustin répond par la négative. Les réfugiés avaient seulement des cailloux. Il n’y avait pas de rebelles du FPR à l’intérieur. Les réfugiés ne pouvaient pas résister. Il n’a pas vu non plus d’officiel de la commune apporter du secours. Il était impossible d’ignorer ce qui se passait à l’église. Ce qui a choqué le plus le témoin, c’est de voir des cadavres dénudés.
En l’accueillant, les Hutu se sont mis en danger mais ils ne pouvaient pas les garder plus longtemps. Augustin en profite pour les remercier.
Comment on se reconstruit après un génocide ? « On ne se reconstruit pas. Plus le temps passe, plus tu te poses des questions sans réponse. »
Monsieur l’avocat général demande au témoin si les enfants réalisaient ce qui allait arriver alors qu’ils jouaient sur la cour ! « On savait qu’on était réfugiés. Nos parents nous avaient expliqué. »
Maître CHOUAI fait dire au témoin qu’il est le frère de Francine UWERA qui a témoigné en visioconférence. Il s’étonne que sa sœur n’ait pas vu les mêmes choses que lui. Elle ne parle ni de NGENZI, ni des véhicules ! Augustin réplique que ses sœurs se trouvaient dans la sacristie. A l’avocat qui s’étonne aussi qu’il ait pu reconnaître les véhicules, le témoin rétorque qu’au Rwanda, 90% des voitures étaient des Toyota. Même un enfant pouvait les reconnaître.

Audition d’Alexandra STRANO.
Avec beaucoup d’émotion, le témoin commence par dire que 1994 a été pour elle un tournant. Beaucoup de gens de sa famille sont morts dans le génocide : sa grand-mère, sa ante Marie, sa cousine Yvonne, son cousin Ignace, son oncle Bernard. Elle-même vivait à Kigali.
En 1991, elle se souvient que, voisins de BAGARAGAZA, elle avait perçu des tensions. Sa maman était nerveuse, elle sentait des présences dans la nuit. Une femme, un soir, s’était présentée chez elle, la gorge tailladée. IL y avait eu des tueries chez leur voisin. Sa mère avait eu beau appeler la police : en vain. Elle reconnaît qu’elle doit la vie à son passeport italien.
Vingt-quatre ans après, elle dit être toujours à la recherche de la vérité. Elle a été choquée d’entendre la famille NGENZI regretter l’absence du père qu’elle ne voit que quelques minutes au parloir : « Nous tous aimerions avoir une minute au parloir ! »
Ce qu’elle attend de ce procès ? « Une vérité. J’ai pu apprendre quelques éléments. Cela m’aide à recoller certains morceaux. C’est important que le coupable soit nommé. »
Il est 21h20. L’audience est suspendue.

Alain GAUTHIER, président du CPCR.

1. “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).
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2. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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3. Chef de cabinet du ministre de la défense du gouvernement intérimaire, désigné comme membre de l’Akazu et du Réseau Zéro, le colonel BAGOSORA est un des piliers du pouvoir. Il a contribué à armer les Interahamwe à partir de 1991 et a joué un rôle clé dans l’organisation des milices début avril 94. Après l’attentat du 6 avril, il prend la tête d’un comité de crise et installe au pouvoir les extrémistes Hutu. Condamné par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), à la prison à vie en 2008 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sa peine a été réduite à 35 ans de prison en appel en 2011.
Voir le glossaire pour plus de détails.
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4. Frère d’Agathe KANZIGA, également appelé « Monsieur Z », Protais ZIGIRANYIRAZO est considéré comme le véritable patron du réseau Zéro. Désigné comme membre de l’Akazu, il aurait également été en charge de recruter des Interahamwe. En 1992, lors des massacres du Bugeresa, il est désigné par l’ambassadeur SWINNEN comme le dirigeant de l’état-major secret chargé d’exterminer tous les Tutsi. Condamné initialement à 20 ans de prison par le TPIR, la cour d’appel l’a libéré mettant en cause la gestion des preuves de la Chambre de première instance.
Voir aussi : FOCUS – Les réseaux d’influence
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5. Anjan Sundaram, Bad news, Paris, Marchialy, 2018 (Traduit de l’anglais (Inde) par Charles Bonnot).
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6. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Mercredi 27 juin 2018. J33
28/06/2018
• Lecture de l’enquête de personnalité concernant Tito BARAHIRA.
• Audition de Jean-Marie MICOMBERO, témoin de contexte, transfuge du FPR.
• Audition de Justin KANAMUGIRE, en visioconférence.

La journée commence par la lecture d’un PV concernant un témoin que la défense souhaite entendre. Il s’agit d’un certain Justin KANAMUGIRE, actuellement détenu au Rwanda pour un viol qu’il conteste avoir commis sur la personne d’une jeune fille mineure : la fille de son frère. Il se dit injustement accusé par la femme de ce dernier. Le témoin sera entendu dans la matinée concernant le génocide perpétré contre les Tutsi.
Madame la présidente donne lecture de l’enquête de personnalité concernant Tito BARAHIRA. Ce rapport a été réalisé le 5 juillet 2013 et rapporte l’étonnement de l’accusé lorsqu’il a appris son arrestation. Son ex-épouse a refusé, dans un premier temps d’être entendu. Retenons que l’accusé est arrivé à la prison de Fresnes le 4 avril 2013 alors qu’il avait quitté le Rwanda le 17 avril 1994.

Audition de Jean-Marie MICOMBERO, témoin de contexte, transfuge du FPR.
Le témoin ne connaît rien de l’affaire dans laquelle il intervient, ne connaît rien sur les accusés. Son témoignage sera essentiellement centré sur sa propre expérience en tant que juge militaire et sur les griefs qu’il reproche a un système dont il aura bien profité pendant de longues années avant de se décider à quitter le Rwanda où il se sentait en danger.
Pour lui, il est toujours difficile de savoir la vérité dans des dossiers de génocide.
Né au Congo, il rejoint le FPR en janvier 1991. Après sa formation, il deviendra garde du président KAGAME puis garde des VIP du FPR. Très vite, il deviendra chef des renseignements, en 1994, pour être affecté à la présidence de la République. Après avoir fait des études de droit jusqu’en 1997, il est affecté à la Cour d’appel militaire comme juge, puis comme cadre supérieur au Ministère de la Défense. Il travaillera là de 2003 à janvier 2006. Enfin, il travaillera comme Secrétaire général dans ce même MINADEF.
Le témoin aborde ensuite une période moins faste pour lui puisqu’il évoque un séjour de deux ans en prison : il n’explique pas vraiment les raisons pour lesquelles il a été incarcéré. A sa libération, il sera envoyé au Soudan comme conseiller de police au sein des forces onusiennes. En 2011, il décide de se réfugier en Belgique où il vit actuellement.
Il souhaite faire part de son expérience en tant que cadre de la défense pour aborder ensuite les défis que son ancien pays doit affronter.
En 1994 ; il fallait amener la Communauté internationale à une certaine compassion pour le Rwanda qui venait de connaître le génocide. Il fallait aussi traquer les présumés génocidaires des Forces Armées Rwandaises, et donc mettre en place des mécanismes : travailler sur des dossiers de génocide, créer des organes comme le Genocide Desk au sein de l’Auditorat militaire, créer un service pour les civils au Parquet (Gérald GAHIMA, Jean de Dieu MUCYO, Martin NGOGA seront les premiers Procureurs généraux), créer des services pour aider ces derniers, approcher les chercheurs, les journalistes…
Jean Carbonare au JT d’Antenne 2 le 28 janvier 1993 (archive INA)
Il cite alors comme exemple monsieur Jean CARBONARE, de SURVIE, qui avait sensibilisé la population française (NDR. Jean CARBONARE était intervenu sur Antenne 2 le 28 janvier 1993 dans le Journal de Bruno MASURE. De retour d’une mission au Rwanda, il avait dénoncé des crimes qui avaient été commis dans le Nord du Pays contre les Bagogwe, pasteurs Tutsi qui vivaient quelque peu en marge de la société. Ce sera une sorte de « galop d’essai » dans la préparation du génocide.)
Le témoin de rajouter qu’au Rwanda rien n’est possible sans l’armée.
Monsieur MICOMBERO aborde ensuite la seconde partie de son exposé qui concerne les défis qui se présentent au Rwanda dans le domaine judiciaire. Il évoque alors la fabrication des dossiers, de témoins par le DMI, un groupe de personnes qui encadraient les personnes lors des procès à l’étranger, autrement dit des témoins préparés. Il évoque alors spontanément des dossiers dans lesquels il a travaillé : celui du capitaine Théophile TWAGIRAMUNGU, au cours duquel il ordonnera une « descente sur le terrain » à Butare pour vérifier la véracité de certains témoignages. Il s’avère que l’association IBUKA préparait les témoins pour leurs dépositions ! Parle en suite du cas Laurent MUNYAKAZI, un général major que l’on retrouve en compagnie de l’abbé MUNYESHYAKA à la Sainte-Famille. MICOMBERO est étonné, au cours de l’instruction, de voir tant de personnes venir témoigner contre lui. Il y avait une fabrique de témoins à charge et il était difficile d’en trouver à décharge. (NDR. L’abbé MUNYESHYAKA sera jugé en même temps que MUNYAKAZI et condamné aussi à la réclusion criminelle à perpétuité, en son absence.)
En conclusion, le témoin dénonce la forte pression exercée par la pouvoir judiciaire en place. Si on veut arriver à la réconciliation, on a besoin d’une vraie justice. Pour juger, et probablement pense-t-il à la Cour devant laquelle il dépose, il est important de comprendre le contexte. Et d’ajouter, sans qu’on comprenne vraiment pourquoi : « Malheureusement, au Rwanda, le FPR est construit sur un mensonge ».
Madame la présidente s’étonne qu’ayant été juge à la Cour militaire le témoin ne soit pas tenu par le secret. MICOMBERO tente une explication : « Normalement oui, mais au Rwanda je ne suis pas lié par le secret car je ne suis plus en fonction ». Maître GISAGARA lui démontrera un peu plus tard que ce n’est pas vrai. Mais le témoin ne se sent pas lié par les textes juridiques de son ancien pays. Il veut faire passer la morale avant toute chose.
Sur questions de la présidente, MICOMBERO confirme que, même dans le procès d’assises auquel nous participons, des témoins ont pu être fabriqués, préparés. Pour comparaître aujourd’hui, il avoue qu’il est protégé car il est traqué, entre autres, pour avoir témoigné dans le dossier de l’avion [1].
Maître PARUELLE fait remarquer au témoin que deux arrêts infirment ses dires, deux accusés du TPIR ayant été extradés vers le Rwanda. D’autre part, le Canada, les USA, en extradant des ressortissants rwandais, ont estimé qu’ils bénéficieraient au Rwanda d’un procès équitable. (NDR. Contrairement à la France qui s’est opposée au renvoi de 42 Rwandais réclamés par la justice de leur pays. Voir sur le site l’analyse du professeur Damien ROETS). Pour le témoin, la justice rwandaise n’est pas neutre. Il suffit pour cela de relire les rapports de Human Rights Watch ou encore d’Amnesty International. La Grande-Bretagne a refusé aussi les extraditions. Pour lui, la peur règne sur les collines et même au niveau des juges. Et de donner l’exemple du colonel Diogène MUDENGE.
L’avocat note que des acquittements sont prononcé au Rwanda, qu’il y en a eu dans les Gacaca [2] !
Maître GISAGARA voudrait revenir sur ce qu’a dit le témoin concernant le FPR qui serait construit sur un mensonge. Et MICOMBERO d’énumérer : mensonges sur le plan judiciaire, les gens étant intimidés, mensonges sur les statistiques concernant le développement du pays, mensonge concernant la famine qui perdure au Rwanda dirigé par le FPR.
« Mensonge aussi en 1994 ? » insiste l’avocat. Jean-Marie MICOMBERO de répondre : « C’était catastrophique ! Beaucoup ont fui le Rwanda, certains ont même été assassinés. De nombreux cadres du FPR ont fui ! J’ai quitté le système en 2011, ne pouvant plus accepter le mensonge. Mais dans mon cœur, je l’avais quitté en 2003 ».(NDR. Il serait intéressant de connaître les véritables raisons de leur fuite : elles ne sont pas toutes louables pour ce que nous pouvons en savoir ! S’interroger aussi pourquoi le témoin a mis 8 ans pour partir du pays à partir du moment où son cœur l’avait décidé !)
S’il a fait deux ans de prison, c’est pour avoir milité pour l’indépendance de la justice, surtout au sein de la Défense. « La gestion du budget de la défense était catastrophique. Beaucoup d’argent disparaissait. Je me suis opposé à Jacques NZIZA. J’ai été emprisonné pour corruption et condamné ». Étonnamment, à sa sortie de prison, il sera promu au rang de colonel.
Maître GISAGARA lui fait remarquer que si TWAGIRAMUNGU a été acquitté, c’est que le système marche ? Le témoin souligne le rôle qu’il a joué dans cet acquittement : « Il a été acquitté parce que nous avons été actifs. Cette décision a d’ailleurs été confirmée par la Cour suprême. Mais le système est très malade ! »
Concernant IBUKA, le témoin précise que « politiquement, il fallait des associations qui représentent les victimes. Elles ont parfois déraillé, trébuché, participé au montage des témoignages ».
Le témoin confirme qu’aujourd’hui il fait de la politique, comme opposant du FPR.
Maître MARTINE fait remarquer à l’intervenant que quand des témoins disent la même chose, ne serait-ce pas parce qu’ils ont vu la même chose ? Ils n’en sont pas pour autant des témoins fabriqués ? Devant cette Cour d’assises, certains témoins ont été interrogés plusieurs heures ! Monsieur MICOMBERO dit avoir une grande confiance en la justice française.
Monsieur l’avocat général fait remarquer au témoin qu’il a parlé des imperfections de la justice rwandaise. Mais il ne connaît ni les accusés, ni les faits, ni les enquêteurs dans l’affaire qui nous occupe. « Vous témoignez sur un conteste rwandais : donc vous ne connaissez rien ? » soulignant par là le peu d’utilité de ce témoignage.
Maître EPSTEIN fait dire au témoin qu’il est réfugié politique en Belgique, qu’il était magistrat dans l’affaire TWAGIRAMUNGU et que dans ce dossier il y avait beaucoup de copier/coller. « Comme dans ce procès ! » ajoute-t-il sans sourciller, un petit rictus aux lèvres. « Un tel est méchant mais on n’arrive pas à le prouver ? » Le témoin dit que c’est comme cela au Rwanda. Le témoin confirme aussi qu’on ne fait « pas de différence entre ce qu’on a vu et ce qu’on a entendu dire ».
« Les associations de victimes sont entièrement politiques ? » questionne l’avocat. « Les associations sont victimes de manipulations politiques, les enquêtes des chercheurs sont encadrées, des gens sont complices de la tragédie rwandaise ». Certains ont même des résidences privées au Rwanda ! « C’est donc que Kigali écrit sa propre histoire » continue l’avocat Le témoin confirme une nouvelle fois. Et de conclure : « Il n’y a aucune différence entre le régime d’avant l’attentat et celui d’après ? » « Sous certains aspects, oui » confirme une nouvelle fois le témoin.
Maître CHOUAI demande au témoin s’il a travaillé avec le GFTU [3]. Ce dernier répond par la négative.
Et INTORE, qu’est-ce que c’est ? « C’est la jeunesse du FPR que l’on encadre. On instruit les jeunes de l’extérieur comme ceux de l’intérieur » « C’est donc une milice comme les Interahamwe [4] ? » ose l’avocat. Et le témoin, sans sourciller, confirme : « Les Intore, c’est comme les Interahamwe ! » (NDR. La véritable définition sera peut-être à reprendre un jour ! »

Audition de Justin KANAMUGIRE, en visioconférence.
L’interprète traduit un PV d’audition concernant le témoin incarcéré depuis quelques semaines pour vengeance.
Il est là pour parler de NGENZI. Le 8 avril, le bourgmestre est venu à Mutumba en voiture et a incité les gens à tuer les Tutsi. Il en a transporté quelques-uns à l’église. Il a ensuite envoyé des attaquants de Rubira vers le lieu de culte. Le bourgmestre collaborait avec BARAHIRA.
Le témoin raconte à sa façon l’attaque de l’église le 13 [5] : bagarre avec les Interahamwe [4] ; arrivée de renforts sous la responsabilité de NGENZI , tirs sur l’église. De la cour de l’église où il se tient, il voit NGENZI debout sur la route asphaltée entouré d’Interahamwe. Viateur RUTABONA, qui est à ses côtés, est blessé : il le transportera à la sacristie. De retour, il cherche à s’enfuir en contournant l’église. Il dit être en compagnie de l’abbé INCIMATATA et d’une autre personne : ils vont se séparer. Il va prendre la direction de l’église pentecôtiste mais le pasteur leur refuse l’entrée : il ne veut pas de sang dans son église. Caché dans la brousse, il a échappé à ceux qui le pourchassaient. Vers 16 heures, NGENZI aurait remis une récompense aux tueurs. (NDR. Ne fait-il pas une confusion avec le jour de l’enfouissement des corps ?) Les Interahamwe auraient pillé les vêtements du prêtre. Lui-même a marché toute la nuit pour rejoindre son lieu d’habitation à Mutumba.
Madame la présidente n’aura de cesse de mettre le témoin en face de ses contradictions. Elle s’étonne qu’il ait pu parler de 17 500 réfugiés à la paroisse. Il a vu les militaires qui tiraient. Il a vu BARAHIRA avec NGENZI le 13 : il avait dit le contraire aux gendarmes français. Madame la présidente a du mal à comprendre un témoin qui semble si peu fiable. Elle lui rappelle qu’il a juré de dire la vérité. Or, sa vérité du jour n’est pas celle de 2013 !
Par de courtes questions, maître BOURGEOT lui fait remarquer que ses déclarations sont contradictoires et qu’il est un faux témoin.
Il est l’heure de suspendre l’audience. Maître CHOUAI, qui n’a pas eu le temps de questionner le témoin, demande à la présidente qu’on puisse de nouveau l’entendre le lendemain. On tentera de le faire, lui promet-elle, mais sans certitude.
La défense n’avait pas pu poser ses questions au témoin la veille. Pour une meilleure compréhension, nous faisons le choix d’insérer cette partie de l’audience qui a eu lieu le lendemain.
Maître CHOUAI remercie la Cour d’avoir accepté de reprendre cette audition et pose ses premières questions. Il veut savoir pourquoi le témoin avait refusé, dans un premier temps, d’être entendu par les gendarmes français. KANAMUGIRE ne souhaitait pas qu’on l’auditionne au milieu de la population. Il craignait pour sa sécurité : les rescapés redoutent parfois des représailles lorsqu’ils ont témoigné.
L’avocat de NGENZI revient sur la journée du 13 et met le témoin en face de ses contradictions : sa présence à l’église, l’heure de son départ, la présence de NGENZI, le nombre de réfugiés (17 000 selon le témoin !) En fait, c’est un peu un dialogue de sourds entre les deux protagonistes.
Maître BOURGEOT intervient à son tour. Elle doute aussi que le témoin dise la vérité et le soupçonne que quelqu’un lui ait « rafraîchi la mémoire ! »

Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. Attentat du 6 avril 1994 contre l’avion présidentiel. Voir également : FOCUS – Avril – juin 1994 : les 3 mois du génocide.
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2. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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3. GFTU : “Genocide Fugitive Tracking Unit”, section du parquet de Kigali en charge des fugitifs.
Lire également les auditions de Mme Sandrine CLAMAGIRAND, officier de gendarmerie et du lieutenant Olivier GRIFFOUL qui a commandé une unité de recherches au Rwanda.
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4. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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5. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Jeudi 28 juin 2018. J34
30/06/2018
• Audition de Marcel KABANDA, président d’IBUKA France.
• Interrogatoire de Tito BARAHIRA.
• Audition d’Alain GAUTHIER, président du CPCR.
Après avoir versé plusieurs pièces au dossier, madame la présidente demande de passer outre pour trois témoins qui n’ont pu être entendus :
Théophile TWAGIRAMUNGU/Prosper MUGIRANEZA/Tite MUGABO MUTABAZI
La fin de l’audience consacrée à l’audition de Justin KANAMUGIRE est retranscrite au mercredi 27 juin.

Audition de Marcel KABANDA, président d’IBUKA France.
Cérémonie du 7 avril 2018 (photo : ibuka-france.org – D.R.)

Le témoin commence par dire qu’il pense aux victimes, aux rescapés, à ceux de Kabarondo et ceux de tout le Rwanda qui souffrent moralement et physiquement. Il remercie aussi le CPCR qui, par son travail, a rendu ce procès possible. Ce qu’il demande, c’est la vérité, pas la tête des accusés.
Le témoin explique les objectifs de l’association IBUKA, mémoire et soutien aux rescapés. Il récuse les différentes critiques que l’on fait à cette association, celle en particulier d’être à la solde du FPR : « Les témoins n’ont pas besoin du FPR ».
Sur questions de madame la présidente, monsieur KABANDA précise que son association est « partie civile incidente » dans cette affaire : ils sont entrés dans la procédure après la plainte initiée par le CPCR. IBUKA assure aussi un soutien psychologique aux rescapés.
Sur questions de maître PARUELLE, le témoin souligne l’importance de la mémoire pour les rescapés qui ont besoin de savoir pour se reconstruire. Il rappelle aussi le rôle fondamental de la justice qui donne son statut à la victime : « La justice participe à la reconstruction des rescapés ». Il poursuit en parlant des « Justes » qui sont reconnus au Rwanda, ceux qui n’étaient pas menacés et qui ont pris des risques en cachant des Tutsi. De revenir ensuite sur les relations d’IBUKA avec le pouvoir rwandais : les objectifs de l’association, c’est lutter contre le déni, permettre que les victimes de viol soient soignées, aider les rescapés et combattre l’idéologie qui a conduit au génocide. La prochaine mission d’IBUKA, c’est la préparation de la 25ème commémoration.
Maître GISAGARA aborde la question essentielle du soutien psychologique aux victimes, ce qui permet au témoin de rappeler la mémoire de Nasson MUNYANDAMUTSA, un psychiatre qui a beaucoup aidé à former des psychologues. Il s’agit aussi de briser l’isolement dans lequel se renferment les rescapés. Il ne faudra pas oublier aussi les nouvelles générations, les enfants et petits enfants des victimes. L’association peut être fière d’avoir obtenu l’érection de stèles par plusieurs municipalités en France, à la mémoire des victimes du génocide perpétré contre les Tutsi. Sans oublier des interventions dans le milieu scolaire.
Monsieur l’avocat général revient sur la question des enfants nés après le génocide ou ceux qui ont touché la mort de près. IBUKA a commencé à élaborer des projets, à organiser des rencontres mais elle n’a pas assez de moyens pour faire plus. Et quand on parle des enfants, il s’agit des enfants des victimes et ceux des tueurs. Au Rwanda, un gros travail se fait pour que tous les gens aient conscience d’appartenir à la même nation. Sans oublier le rôle des familles !
Madame la présidente évoque le viol comme arme du génocide, jamais abordé dans ce procès. Que sont devenus les enfants nés du viol ? C’est étonnant que cette question n’ait pas été abordée, mais c’est lié à la culture rwandaise où le sujet est tabou. Les femmes ont pu faire le choix d’avorter sans qu’elles soient poursuivies. Il faudrait des programmes spécifiques pour traiter cette question.
Pour la défense, maître BOURGEOT demande au témoin comment on peut expliquer les contradictions de ceux qui sont venus témoigner. Marcel KABANDA évoque ses propres enquêtes au Rwanda. Il est vrai que les événements sont rapportés de façon différente. Il ne faut pas s’en tenir à un seul témoignage mais mettre bout à bout l’ensemble des témoignages. Et puis, le témoin évolue et le fait de parler aux assisses débloque parfois des souvenirs. C’est trop facile de les traiter de menteurs !
Madame la présidente fait remarquer que la contradiction n’est pas un mensonge.
Maître BOURGEOT demande au témoin s’il est facile, pour un citoyen ordinaire, d’aller en prison pour interroger un tueur. « Je suppose qu’il faut une autorisation. Des journalistes le font, des documentaristes le font ». Et les PV d’enquêtes déjà rédigés, il est facile de les obtenir ? « Il y a des procédures à suivre ! » (NDR. Toutes ces questions visent bien sûr les démarches du CPCR pour l’élaboration des plaintes). Quant aux pressions qui seraient exercées par le GFTU [1] et le Service de protection des victimes pour que des témoins ne soient pas entendus, le président d’IBUKA dit que ce n’est pas de sa compétence. Et s’il y a des pressions, elles sont surtout exercées sur les témoins à charge.
Maître CHOUAI s’étonne que Freddy MUTANGUHA, qui fut directeur de Mémorial de Gisozi ait pu menacer de ne plus envoyer de témoins à Arusha après l’acquittement de Protais ZIGIRANYIRAZO [2]. Il consulte l’arrêt sur son portable ! Marcel KABANDA justifie cette réaction car l’acquittement de Monsieur Z. avait été possible pour une question de procédure : le procureur n’avait pas vérifié un alibi !
Madame la présidente rappelle que ce document dont parle l’avocat n’est pas au dossier : « Une pièce qui sort d’un portable, je ne l’accepte pas ! »
Maître CHOUAI de revenir sur le livre N’épargnez pas les enfants qui rapportait que le bourgmestre de Kabarondo avait tué son épouse (page 52). Il s’indigne de la réponse qu’un des auteurs a pu faire à la fille de l’accusé. L’avocat exige du président d’IBUKA qu’il présente ses excuses à la famille de NGENZI dans la mesure où le logo d’IBUKA illustre la couverture. « Je suis le responsable d’IBUKA France ! » se contente de répondre monsieur KABANDA. (NDR. En date du 29 mai 2018, lors du témoignage de madame NGENZI, madame la présidente avait fait remarquer qu’une erreur s’était glissée dans cet ouvrage : il s’agissait du bourgmestre de Kibungo et non de Kabarondo. Il semblerait que l’avocat ait oublié ce moment d’audience !)

L’après-midi commence par une intervention de maître GISAGARA concernant une pièce versée au dossier : un avis de la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour laquelle il n’y a pas de violation du droit si une extradition vers le Rwanda est prononcée.

Interrogatoire de Tito BARAHIRA.
BARAHIRA vu par Grumbl
L’accusé reconnaît qu’il a rencontré deux experts, dont le psychologue à trois reprises. Ce dernier insistait pour qu’il parle du génocide mais pour lui il s’agissait de massacres. Le mot génocide ne faisait pas partie de son vocabulaire. Ce n’est qu’à Benako qu’il a appris qu’il s’agissait d’un génocide. Par la radio ! Il a alors consulté un dictionnaire ! D’ailleurs, l’expert n’a pas vraiment traduit ce qu’il avait dit.
Il aurait pu se faire assister d’un interprète, s’il l’avait souhaité ! En fait, c’est son avocat de l’époque qui n’a pas donné suite à sa demande. « Je répondais à tort et à travers. Le juge m’aidait à formuler mes réponses ! » ajoute l’accusé. Il met ses problèmes de mémoire sur le compte de sa dialyse, mais il connaît bien la différence entre « massacres » et « génocide ».
« Et 24 ans plus tard, poursuit madame la présidente, quelle est votre analyse ? » « L’ethnie tutsi a continué à marquer les esprits de tout le monde, répond l’accusé. J’ai continué à me demander pourquoi ça s’était passé. J’avais œuvré comme bourgmestre avec une population qui s’entendait bien. Je n’ai pas compris qu’on se retourne contre les Tutsi après la mort d’HABYARIMANA. Sans attentat, il n’y aurait pas eu de génocide. Le président avait œuvré pour la bonne entente. »
« HABYARIMANA était un père pour vous ? » « C’était un homme aimé par la population. Moi aussi je l’ai aimé. Il fallait continuer à s’entendre. HABYARIMANA avait conduit le pays dans la paix, le développement. Il a tout fait pour que la race hutu et la race tutsi s’entendent ». Madame la présidente lui rappelle quand même l’existence de la carte d’identité ethnique.
Carte d’identité “ethnique” : la mention Tutsi figure sous la photo.
Et les Dix commandements des Bahutu dans KANGURA ?
Conclusion de “l’appel à la conscience des Bahutu”, page 8 de la revue Kangura n°6 publiée en décembre 90.
L’accusé n’a entendu parler de ce texte que devant la Cour. Pour lui, ce sont des commandements insupportables. Il n’en connaît pas l’origine mais cela ne vient pas du gouvernement. Peut-être des journalistes ? « Moi, j’ai travaillé avec les Tutsi. Ces commandements ont été introduits par des saboteurs, des ennemis de la paix qu’on avait au Rwanda. KANGURA n’était pas un journal du gouvernement ». Ce numéro de la revue, il ne l’a pas lu.
On aborde alors la journée du 13 avril [3]. Ce jour-là, comme il l’a toujours dit, il a vaqué à ses occupations à la maison. Alors qu’il allait chercher du foin pour ses vaches, il rencontre des gens de Byumba qui fuyaient vers la Tanzanie. Ces fuyards lui disent que de la fumée s’échappe du toit de l’église. Il demande où était cette église ! Il est alors allé se changer et est parti à Kabarondo à pieds, sa voiture étant en réparation et comme il y avait le couvre-feu, il ne pouvait pas prendre son vélo. Le centre de Kabarondo était désert. Par contre, près de l’église, il y avait beaucoup de monde le long de la route. Il apprend alors que les militaires avaient fusillé les gens de l’église le matin. Il voit des taches noires sur le toit de l’église. On lui apprend aussi qu’on a entendu des tirs : « Probablement des tirs du FPR ! » Concernant la fumée qui sortait du toit ? « Je croyais que les réfugiés faisaient la cuisine ! » (Stupeur mêlée de sourires dans la salle). Il se dit choqué, comme il avait été choqué par la mort de son ami François. Il n’est pas allé chez François pour prendre des nouvelles, c’était trop loin. Quant à l’église, il pensait que c’était à l’autorité de s’en occuper. De toutes façons, de chez lui, il n’a pas entendu le bruit des tirs, c’était trop loin.
Arrivé à l’église vers 17 heures, on lui apprend qu’il y a des morts. La porte de l’église était fermée. On l’informe aussi qu’il y a des blessés au Centre de Santé. Mais la foule l’empêche de voir le parvis de l’église. On lui fait remarquer que NGENZI est au bureau communal : c’est alors qu’arrive le chef d’Electrogaz, une panne d’électricité s’étant produite. Il accompagne le chef pour aller détecter la panne : sinon, il n’y aurait pas de courant le soir au Centre de Santé.
Madame la présidente lui demande quelle es la priorité : secourir les gens ou rétablir l’électricité ? « Les blessés ! mais il fallait rétablir l’électricité ! » Il voit 5 morts mais toujours cette obsession de la panne à réparer. Et d’ajouter : « Tout l’entourage de Kabarondo pensait que c’était les rebelles du FPR ! » Il ne sait pas si les militaires étaient encore là, mais il avait l’intention d’aller rencontrer le bourgmestre pour voir ce qu’il était possible de faire.
Que pense-t-il du choix qu’il a fait à l’époque ? Et le témoin de revenir sur sa rencontre avec le chef d’Electrogaz, sur le suicide du responsable du transformateur avec une branche de manioc retrouvée sur place. Il participe à la réparation en passant les outils à son chef, Augustin KANA. Vers 18 heures, l’électricité est rétablie ; Il aurait aimé rencontrer le bourgmestre, mais son chef était pressé. Avant de rentrer, ils sont passés par le Centre de Santé en empruntant un chemin de terre pour vérifier si l’électricité avait été rétablie. Arrivé chez lui, il échange quelques mots avec sa femme qu’il dit plus choquée que lui !
BARAHIRA redit qu’il a bien vu NGENZI entrer dans son bureau. C’est l’arrivée du chef d’Electrogaz qui l’a empêché d’aller voir le bourgmestre. Si on prétend qu’il a parlé avec lui dans le PV d’audition des juges, c’est qu’on l’a mal compris ! « Votre avocat étant pourtant là. Et vous l’avez redit en confrontation ? » poursuit la présidente. « Je ne l’ai pas dit comme ça. C’est pourquoi j’ai changé d’avocat ! Je vous demande pardon, madame la présidente » répond BARAHIRA. Cette dernière d’ajouter : « Vous n’avez pas à me demander pardon, c’est votre procès ! »
Pourquoi n’a-t-il rien fait à l’église ? Tout simplement parce qu’il n’était pas une autorité ! A la place de NGENZI, il aurait demandé aux militaires de ne pas bombarder l’église.
Aux questions qui lui seront posées ensuite par madame la présidente sur son rôle actif à l’église selon plusieurs témoins, les déclarations de l’accusé sont peu compréhensibles. Il finit par dire que les témoins sont manipulés, qu’ils fabriquent des mensonges.
Interrogé sur ce que les victimes ont à gagner en racontant ces mensonges, l’accusé poursuit : « Ça dépend ce qu’on leur a promis dans les Gacaca [4]. Ils sont manipulés par les autorités politiques. C’est un coup monté contre moi. On m’accuse à tort ». Jean-Damascène RUTAGUNGIRA, Constance MUKABAZAYIRE, KAJANAGE : tous des menteurs.
BARAHIRA n’a aucune idée sur le nombre de victimes à l’église. « Je n’ai aucune idée car ça m’a fait très peur. Je ne pouvais pas compter les morts ».
Maître PADONOU pose à l’accusé une série de questions. La foule l’empêchait bien de voir les cadavres mais pas de voir la porte fermée de l’église. Le chef d’Electrogaz n’avait pas trouvé l’électricien responsable du transformateur mais c’est lui, BARAHIRA, qui a rejoint son chef. Fuyards ? Rebelles ? Il fait la différence. « Les fuyards sont ceux qui ont quitté leurs biens pour se réfugier en Tanzanie, Hutu ou Tutsi. Les rebelles, ce sont les Rwandais qui ont fui leur pays suite à la révolution de 1959 ». Il confirme que tous ceux qui ne disent pas la même chose que lui font partie d’un complot. L’avocat s’étonne qu’il se mette à contester ce qui est dans la procédure à quelques jours de la fin du procès ! « J’étais malade pendant la procédure. Je n’avais pas mes lunettes pour lire la déposition. C’est la faute de mon avocat ! »
Sur questions de maître LINDON, il dit qu’il n’a pas parlé à NGENZI parce qu’il ne l’a pas vu. Il aurait souhaité le voir ! Il n’a pas traité Marie MUKAMUNANA de « menteuse » en confrontation. Il a dit qu’elle était « manipulée ». (Il avait bien dit « menteuse » !) Pourquoi, si son avocat et les juges ont failli, n’a-t-il pas engagé des poursuites contre eux ? Il s’est contenté de changer d’avocat.
Monsieur l’avocat général de revenir sur le meurtre de François qui l’a beaucoup affecté. « Je suis choqué. J’en garde encore des séquelles ! » Il reconnaît ne pas être allé voir la famille. Il avait d’autres amis Tutsi mais il ne leur a pas proposé de les héberger ? « Je pensais approcher les autorités communales et religieuses car c’était lamentable. Je ne savais pas qu’il allait se produire un drame. J’avais l’intention de quitter la maison pour me rapprocher de Kabarondo ! »
« Ma question n’est pas de savoir si vous aviez l’intention de déménager » rétorque l’avocat général. Et l’accusé d’ajouter que si un Tutsi était venu chez lui, il aurait pu l’accueillir. Quant à ses amis tutsi, ils habitaient trop loin de chez lui pour aller leur proposer un asile. Et puis, il était ancien bourgmestre et était redevenu un citoyen ordinaire.
Toujours sur question de l’avocat général, il répète qu’il habitait trop loin de l’église pour entendre les tirs, au milieu d’une forêt. L’accusation lui fait remarquer qu’un témoin qu’il a fait citer et qui habitait encore plus loin que lui a entendu des bruits de tirs. L’accusé s’embrouille, revient sur la nature de la fumée qui sortait de l’église pour évoquer de nouveau la cuisine que les rescapés auraient pu faire !
Réponse de l’avocat général : « Il y a à boire et à manger dans ce que vous dites ! »
« Vous prenez votre temps pour vous rendre à l’église ! » s’étonne encore l’avocat général.
« Dans la coutume rwandaise, que ce soit lors d’un événement heureux ou malheureux on va rendre visite. Je croyais que c’était la fumée de la cuisine ! » répète l’accusé, ne comprenant pas qu’il s’enfonce. L’avocat général lui fait remarquer qu’il n’y a pas de cohérence dans ce qu’il dit. Il s’étonne aussi que l’accusé ne soit pas entré dans le Centre de Santé après la réparation de la panne.
Madame la présidente s’étonne à son tour : « Comment se fait-il, alors que plus personne ne travaille au Centre de Santé, ou presque, que vous n’y entriez pas, que vous ne disiez pas à votre femme qu’il y a beaucoup de blessés. Le devoir de tout individu n’est-il pas de sauver son prochain ? » Pour BARAHIRA, la priorité était de rétablir l’électricité.
« Mais on ne soigne pas avec l’électricité ! » insiste la présidente.
A ce stade, l’audience est suspendue à la demande de l’avocate de BARAHIRA.
A la reprise, la présidente reprend la main « Vous avez donné une version constante des faits, sauf sur NGENZI. Quand on est accusé, la moindre contradiction peut avoir de graves conséquences ! Y aurait-il un problème culturel dans la façon de répondre ? » L’accusé prétend qu’il n’est pas capable de parler français, ce que conteste la présidente qui lui fait remarquer qu’il se débrouille très bien en Français.
L’avocat général intervient. « On a vu des fumées, vous rapporte-t-on. Sincèrement, quand vous partez à l’église, vous avez conscience qu’il s’y passe quelque chose de grave ? » Et BARAHIRA de reparler une nouvelle fois de la fumée que font les rescapés en cuisinant.
Maître BOURGEOT est désespérée. Elle interpelle son client : « Ça ne passe pas cette histoire de cuisine. Ce n’est pas la peine d’inventer des justifications qui n’ont pas de sens ! »
A la question de savoir pourquoi c’est si important de rétablir l’électricité, l’accusé s’embrouille, fait une réponse vaseuse. Avant il était revenu, à la demande de son avocate, sur la définition d’Interahamwe [5] : « Des voyous, des bandits, des voleurs ! »
« A l’église, la foule vous empêche de voir quoi ? » questionne l’avocate. L’accusé reconnaît qu’il a commencé à bien voir lorsqu’il est monté dans la camionnette de son chef pour aller au transformateur. S’il y a une contradiction dans les propos qu’il a tenus en présence des juges et ce qu’il dit aujourd’hui, c’est qu’on a mal retranscrit ce qu’il avait dit.
Joséphine ? « C’est une dame que j’aimais, qui m’avais aidé pour mon mariage ».
KANGURA et les Dix commandements des Bahutu ? Il n’a pas lu ce numéro 6, n’en a même pas entendu parler. « Ce n’était pas un texte officiel. On aurait dû interdire ce numéro ». L’accusé se reconnaît comme un homme de la deuxième République qui a été favorable aux Tutsi.
« Le juge a-t-il poussé assez loin ses investigations ? » poursuit l’avocate. « Non. Ce qui m’a tué, ce sont les menteurs, les manipulateurs. Pourquoi continuent-ils à s’acharner. Je ne comprends toujours pas. »
Si on a fait de lui un portrait peu flatteur, cela ne correspond pas à la réalité. « Je ne parle pas beaucoup, c’est vrai. Mais j’ai le sentiment de faire le bien. Je déteste le mal. Mon tempérament ne va pas jusqu’à la violence. Je n’exprime pas beaucoup mes émotions, c’est vrai. C’est mon caractère. Je n’ai pas besoin de parler à tout le monde. »
Madame la présidente revient sur le fait qu’il n’a pas vu l’abbé INCIMATATA, s’étonne qu’il soit resté chez lui le 13. Elle revient sur les « fouilles », les perquisitions, les rafles. Il n’en a entendu parler que sur le chemin de l’exil à Benako par Jean Damascène RUZIBUKIRA qui n’a pas parlé de NGENZI. Quant aux accusations qu’on porte contre lui, elles sont fausses. Pour lui, les perquisitions n’ont pas eu lieu. Les témoins mentent. Il n’était pas chez KAREKEZI, légalement, c’était interdit. NGENZI lui a parlé des personnes embarquées à Benako, mais pas de Papias.

Il est déjà tard, mais décision est prise de projeter le film de la BBC : Un untold story. Après la projection, elle souhaite entendre le président du CPCR.

Audition d’Alain GAUTHIER, président du CPCR.
Compte-rendu rédigé à partir des notes d’un adhérent du CPCR.
Portrait © Francine Mayran, collection “PORTRAITS MÉMOIRES DU GÉNOCIDE DES TUTSI AU RWANDA”
« Je voudrais commencer mon intervention par préciser que je ne peux dissocier ma vie personnelle du génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda. J’interviens en tant que président du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda mais aussi comme famille de victimes, mon épouse ayant perdu une grande partie des siens.
Permettez-moi donc de commencer par l’année 1970. En effet, mon premier contact avec le Rwanda date du début septembre 1970. Alors que j’ai fait le choix de partir en coopération, je suis envoyé comme professeur de Français à Save, à une dizaine de Kilomètres de Butare, la ville universitaire de l’époque, au sud du pays.
Je vais apprendre assez vite que l’évêque du lieu, monseigneur Jean-Baptiste GAHAMANYI, m’a nommé au petit séminaire de Save pour tenter de réconcilier deux groupes qui vivent là : les professeurs rwandais et les membres d’une communauté religieuse flamande, les Frères Vandales. Très vite, je me rendrai compte que je ne peux en aucune façon faire l’intermédiaire entre les deux groupes. Je serai rejeté par les religieux dans le groupe des enseignants rwandais.
Un épisode important marquera mon séjour. Le 1er mai 1972, j’entre au Burundi pour y disputer un match de football. C’est le jour où un coup d’État a été déjoué : beaucoup de Burundais seront tués. Je pourrai revenir au Rwanda au bout d’une semaine, escortés que nous sommes par l’armée en direction de la frontière zaïroise : Uvira, Bukavu puis entrée au Rwanda par Cyangugu.
Juillet 1972, je rentre en France où j’entreprends des études de Lettres modernes, renonçant aux études de Théologie que j’avais commencées à l’Université de Strasbourg.
Été 1974, le Père BLANCHARD, curé de Save avec qui j’étais devenu ami, me signale qu’une jeune fille rwandaise que j’avais connue à Save vient lui rentre visite à Ambierle, petite ville près de Roanne. Je viens donc à mon tour la rencontrer. Fin 1994, ce sera le commencement d’une aventure qui dure depuis plus de quarante ans. Mariés en 1977, nous aurons trois enfants. Jusqu’en 1990, nous menons la vie ordinaire d’une famille classique. Nous essayons de nous rendre au Rwanda chaque fois que nous le pouvons, jusqu’en 1989, date de notre dernier voyage.
Le 1 octobre 1990, c’est l’attaque du FPR en provenance d’Ouganda. Cet événement nous inquiète dans la mesure où nous avons la conviction que les Tutsi de l’intérieur risquent d’en subir de graves conséquences. En janvier 1993, nous sommes interpellés par la déclaration de Jean CARBONARE sur Antenne 2 au cours du Journal du 20 heures animé par Bruno MASURE. Le président de Survie, de retour du Rwanda, alerte la population française : des massacres ont été commis au Rwanda. Il ne faudrait pas laisser la situation se détériorer.
J’écris au président MITTERAND pour lui demander d’intervenir auprès de son homologue le président Rwandais. Copie de mon courrier est adressé au Ministre des Affaires étrangères. Réponses me seront faites que la France fait son maximum pour que la paix revienne dans le pays. Le 4 août, nous fêtons les accords d’Arusha.
Fin février 1994, mon épouse se rend au Rwanda pour visiter sa maman. La situation étant dramatique, elle reviendra au plus vite, sur l’insistance de sa mère. Elle sait qu’elles ne se reverront plus.
Le 7 avril au matin, nous apprendrons l’attentat contre l’avion du président HABYARIMANA et nous sommes bien évidemment inquiets. Le vendredi 8, alors que je cherche à avoir des nouvelles des nôtres, j’appelle la paroisse Saint-André à Nyamirambo, un quartier populaire de Kigali, où le Père BLANCHARD a été nommé curé. Son collègue allemand me répond que le curé se repose : je dois rappeler plus tard. En fin d’après-midi, avant de quitter mon bureau du Collège Jeanne d’Arc que je dirige à Reims, je rappelle et Henri BLANCHARD m’annonce que la maman de mon épouse a été tuée le matin même dans la cour de l’église. Me reste l’impérieux devoir de l’annoncer à la famille. Notre fils de 11 ans se contentera de dire : « Maman, je te vengerai ! »
Nous passerons les trois mois du génocide à chercher à savoir qui peut bien être encore en vie. Nous tentons d’alerter en écrivant des articles. Nous organisons même une manifestation à Reims mi-juin. Un seul slogan : « Rwanda, la Honte ».
Ce n’est qu’a l’été 1996 que nous reviendrons au pays : l’absence des nôtres, de nos amis se fait sentir. L’année suivante, nous commençons de recueillir les témoignages de plusieurs rescapés de l’église de la Sainte-Famille de Kigali, une de nos cousines étant elle-même rescapée. Ces témoignages concernent le rôle de l’abbé MUNYESHYAKA, vicaire de la paroisse.
Au printemps 2001 se déroule à Bruxelles le premier grand procès contre des personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide : un directeur d’usine, ancien ministre, un professeur d’université et deux religieuses. A l’issue du procès, un ami nous lance : « Et vous, qu’est-ce que vous faites en France ? » Nous décidons alors de créer le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda et déposons les statuts en novembre 2001.
Les statuts du CPCR précisent le premier objectif : « Poursuivre en justice les personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi et qui vivent en France ». Nous prévoyons aussi, le jour où nous le pouvons, de venir en aide concrètement aux rescapés.
N’ayant pu enquêter encore nous-mêmes, nous décidons de nous porter partie civile incidente dans trois plaintes déjà déposées contre l’abbé Wenceslas MUNYESHYAKA, contre le docteur Sosthène MUNYEMANA et contre Laurent BUCYIBARUTA, ex-préfet de Gikongoro. Nous déposerons nous-mêmes environ 25 plaintes auprès des autorités judiciaires françaises. Depuis, deux non-lieux ont été prononcés, une personne a été extradée vers la Belgique où elle sera jugée et un prévenu est décédé.
Concernant l’affaire de Kabarondo, je me suis rendu seul sur les lieux du crime pour y recueillir le témoignage de victimes et de tueurs. Un OPJ du GFTU [1] m’accompagnait pour me servir d’interprète. Une dizaine de victimes décident de se constituer parties civiles à nos côtés.
Pour chacune des affaires que nous avons initiées, nous procédons de la même manière. Dès que nous avons connaissance de la présence en France d’une personne qui serait soupçonnée d’avoir participé au génocide, nous nous rendons sur les lieux pour recueillir les témoignages qu’une fois traduits nous remettons à nos avocats qui se chargent de rédiger la plainte. Depuis 2012, date de la création du pôle crimes contre l’humanité au TGI de Paris, c’est là que nous déposons nos plaintes.
Comme la question me sera posée par la défense, je signale que j’ai obtenu la nationalité rwandaise en 2009, tous les membres de ma famille, enfants, petits-enfants étant déjà Rwandais. Mon épouse et moi-même avons été décorés par le président Kagame le 18 novembre dernier pour en reconnaissance pour le travail de justice que nous avons entrepris. A son tour, le 3 février dernier, le maire de Reims me remettait la médaille de la Ville pour notre engagement au service de la justice.
Pour terminer ma déposition spontanée, je voudrais préciser que le CPCR vit essentiellement des dons de ses adhérents (environ 300) et de nos amis. Nous lançons aussi des appels sur les réseaux sociaux à chaque procès dans la mesure où nous tenons à défrayer nos avocats qui travaillent très souvent bénévolement à nos côtés depuis près de quinze ans. Nous avions bénéficié aussi de l’aide d’une Fondation, OAK Foundation, en 2016. Au Rwanda, une association, Les Amis du CPCR (ACPCR) informe sur nos activités et tente de recueillir des fonds auprès de la société civile. »
Sur questions de la présidente, le président du CPCR précise que son association est à l’origine des 25 dernières plaintes. Concernant les trois premières, il s’agissait de plaintes incidentes. (En fin d’audition, madame la présidente fera remarquer que dans le cadre de la plainte contre Octavien NGENZI, le CPCR s’est constitué partie civile juste après les poursuites engagées par le Parquet).
Comment a procédé le CPCR dans la plainte contre NGENZI ? Après avoir appris la présence de l’accusé à Mayotte, le président du CPCR s’est rendu au Rwanda, à Kabarondo, à la rencontre de témoins potentiels, victimes ou auteurs. Il a également eu accès aux dossiers Gacaca [4] qui, à cette époque, étaient entassés dans une armoire dans une salle fermée à clé. En feuilletant les dossiers, monsieur GAUTHIER est tombé sur le nom de Tito BARAHIRA, ce qui lui a permis, ultérieurement, d’orienter ses recherches.
Le témoin précise la façon dont procède le CPCR pour repérer les génocidaires potentiels. Il donne l’exemple d’une personne qui travaille à l’Université de Rennes et qui harcelait les étudiants Tutsi. Certains d’entre eux ont écrit à l’association qui s’est mise au travail. Alain GAUTHIER d’ajouter qu’il n’est pas rare que lui et les siens fassent l’objet de menaces graves. Il précise aussi que NGENZI lui-même ne se prive pas de poursuivre l’association en justice. Il a été débouté à trois reprises.
Un léger incident se produit dans la salle. Madame la présidente menace de de faire évacuer si cela se reproduit.
Le témoin précise qu’aujourd’hui cela ne serait plus possible puisque tous les dossiers Gacaca [4] sont entreposés à Kigali, sous bonne garde. On est en train de les numériser.
Et comment peut-on obtenir des PV d’audition ? Au GFTU [1], les autorités du parquet ont bien conscience qu’elles n’ont aucune possibilité de pouvoir poursuivre les auteurs du génocide en France, d’autant qu’à 42 reprises la Cour de cassation a refusé d’extrader vers le Rwanda. Bien sûr, cela ne serait pas possible en France. Mais nous sommes dans un autre contexte. Et puis, ce n’est pas le CPCR qui traduit les personnes soupçonnées en justice. « Nous sommes des lanceurs d’alerte ». C’est le procureur qui publie son réquisitoire et les juges d’instruction l’Ordonnance de non-lieu ou de mise en accusation.
Maître CHARRIER, l’avocat du CPCR, interroge le témoin. « Quels sont vos liens politiques avec le régime du président KAGAME ? » Si l’avocat pose cette question, c’est parce qu’il est convaincu que la défense l’aurait posée. Alain GAUTHIER commence par dire que le ministre actuel de la Défense, James KABAREBE, a épousé une cousine de son épouse. (NDR. C’est un secret de polichinelle, cette question ayant été posée par maître MATHE en première instance.)
« A Kigali, on vous livre les témoins sur un plateau ? » Pas du tout. Le CPCR a d’ailleurs longtemps travaillé seul, sur les collines. Mais il n’est pas anormal de travailler avec le GFTU [1]. « Ce ne sont pas de petits délinquants que nous poursuivons mais des génocidaires. Nous avons consacré 25 ans de notre vie à ces poursuites. Vous imaginez ce que ça représente ? »
« Et vos rapports avec les autorités judiciaires françaises, continue maître CHARRIER, sont-elles plus compliquées qu’il y a 10 ou 15 ans ? » Le témoin ne répond pas directement à la question lorsqu’il dit qu’il est de plus en plus difficile, au Rwanda, de trouver des témoins. Il revient à la question en affirmant que depuis la création du pôle crimes contre l’humanité, que le CPCR avait appelé de tous ses vœux, les choses se sont améliorées. Depuis 2012, trois juges d’instruction à temps plein ont été nommés, assistés de gendarmes lors des commissions rogatoires. Pendant trop longtemps, les juges ne restaient que quelques années et n’étaient pas déchargés des autres dossiers. Les choses ne pouvaient pas avancer. Sans oublier la période 2006/2009, qui correspond à la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays suite à l’ordonnance du juge BRUBUIERE dont les conclusions ont été contredites par le juge TREVIDIC.
Monsieur l’avocat général demande au témoin dans quel établissement scolaire il travaillait. Alain GAUTHIER confirme qu’il a été directeur d’un collège et lycée professionnel privés à Reims, l’Institution Jeanne d’Arc, avant de démissionner en 1995. Il reprendra des services de direction dans le nouvel établissement où il sera affecté.
Occasion pour le président du CPCR de dire combien son association insiste sur l’éducation. Et d’énumérer un certain d’activités qu’il mène auprès des établissements scolaires, un peu partout en France. Même pendant le procès, il a fait une intervention auprès d’un lycée parisien. Tout dernièrement, c’est l’inspecteur pédagogique d’Histoire Géographie de Rouen qui l’a contacté pour une formation des professeurs d’Histoire. Pour le CPCR, la question de l’éducation est fondamentale.
Le témoin profite d’une question concernant la réaction de son fils : « Maman, je te vengerai », pour rappeler que le CPCR a inscrit au fronton de son site la formule de Simon WISENTHAL : « Sans haine ni vengeance. » Et l’avocat général de s’intéresser au cursus universitaire d’Alain GAUTHIER qui doit précise qu’il a fait des études de Théologie avant de renoncer à son projet de vie.
Une question de la présidente, quelque peu surprenante : « Gaël FAYE est aussi membre de votre association ? » Le témoin de préciser qu’il est effectivement secrétaire du CPCR et leur gendre.
Le témoin va être soumis ensuite aux questions de la défense. C’est maître EPSTEIN qui ouvre le feu. Elle revient sur les massacres de 1972 au Burundi au cours desquels beaucoup de Hutu ont été tués. Le CPCR ne peut pas être dans tous les dossiers, en particulier dans le dossier Bonaventure MUTANGANA, frère de SIMBIKANGWA. Le CPCR n’a ni le temps ni les moyens d’être partout. Monsieur GAUTHIER n’a pas de commentaire à faire sur cette affaire.
Madame la présidente intervient. Bonaventure MUTANGANA, elle ne connaît pas, ni elle, ni la Cour.
Maître BOURGEOT revient à l’affaire qui concerne son client. Elle rappelle l’historique de cette affaire dont le témoin ne se souvent pas vraiment. Elle revient aussi sur l’obtention des PV du GFTU : « Je reconnais que cela ne pourrait pas se passer ainsi en France. Mais ce sont les juges d’instruction qui ont enquêté et qui ont déféré BARAHIRA devant la Cour d’assises.”
Maître BOJ intervient à son tour pour NGENZI. Il concentre ses questions sur l’article que le témoin a écrit dans Les Temps Modernes à l’occasion de la vingtième commémoration. Le témoin confirme tout ce qu’il a écrit dans ce texte.
« Que pensez-vous du refus de la Cour de se transporter sur les lieux ? »
« Je respecte la justice ! » se contente de répondre le témoin. Il en profite, sur question de l’avocat, qu’il confirme les propos qu’il a tenus : la défense cherche à déstabiliser les témoins. Il confirme aussi qu’il a dit qu’un procès, s’il est fait pour les victimes, est aussi fait pour les accusés. « Le procès peut être rédempteur pour les accusés, à condition qu’ils reconnaissent les faits ! »
Maître CHOUAI, revenant sur l’article des Temps Modernes, rapporte l’anecdote selon laquelle Serge KLARSFELD lui aurait dit qu’il ne croyait pas aux témoignages. Le témoin ne peut que confirmer. Que voulait-il dire ? « Je n’ai pas compris » répond Alain GAUTHIER.
« A propos de vos enquêtes en prison, vous dites qu’il faut mettre les témoins en confiance. Qu’est-ce à dire ? »
« C’est vrai. Ils doivent comprendre qu’on ne vient pas pour leur dossier. On a besoin qu’ils nous disent ce qu’ils savent. Mais ils peuvent refuser. Quant aux faux témoignages, on n’est pas à l’abri d’en recueillir. C’est à nous d’être vigilant. »
Et l’avocat de revenir sur la rencontre avec l’abbé INCIMATATA. Alain GAUTHIER parle sans problème de sa rencontre avec le responsable de Caritas à l’époque. S’il lui a envoyé un courriel un peu plus tard, c’est parce que le prêtre lui avait promis de lui envoyer son témoignage. Le président du CPCR souligne le courage qu’a pu avoir le prêtre de témoigner : ce n’est pas toujours bien vu au sein de l’Église. C’est la même chose pour Monseigneur RUKAMBA.
Maître CHOUAI veut interroger le président du CPCR sur l’identité de la fille de KAREKEZI qu’il soupçonne ne pas être le vrai témoin attendu. « Je suppose qu’au Parquet de Kigali ils ont vérifié son identité ! » L’avocat ne peut s’empêcher de critiquer le site du CPCR. Il trouve que les audiences sont mal retranscrites ! (NDR. C’est son problème. Que dire alors de celui de la famille NGENZI ?)
Il est 22 heures 20. La présidente suspend l’audience.


1. GFTU : “Genocide Fugitive Tracking Unit”, section du parquet de Kigali en charge des fugitifs.
Lire également les auditions de Mme Sandrine CLAMAGIRAND, officier de gendarmerie et du lieutenant Olivier GRIFFOUL qui a commandé une unité de recherches au Rwanda.
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2. Frère d’Agathe KANZIGA, également appelé « Monsieur Z », Protais ZIGIRANYIRAZO est considéré comme le véritable patron du réseau Zéro. Désigné comme membre de l’Akazu, il aurait également été en charge de recruter des Interahamwe. En 1992, lors des massacres du Bugeresa, il est désigné par l’ambassadeur SWINNEN comme le dirigeant de l’état-major secret chargé d’exterminer tous les Tutsi. Condamné initialement à 20 ans de prison par le TPIR, la cour d’appel l’a libéré mettant en cause la gestion des preuves de la Chambre de première instance.
Voir aussi : FOCUS – Les réseaux d’influence
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3. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
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4. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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5. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Vendredi 29 juin 2018. J35
01/07/2018
La journée commence par le dépôt d’une nouvelle conclusion de la défense. Maître BOURGEOT, avocate de BARAHIRA, demande un supplément d’information. Pour elle, l’instruction de son client a été trop rapide. D’autre part, la demande qu’elle formule résulte des débats : il est des documents auxquels on n’a pas eu accès, des témoins qui n’ont pas été entendus. A son tour elle réclame un transport sur les lieux. Le dossier BARAHIRA ne repose que sur des témoignages et il est nécessaire de trouver des preuves matérielles, en consultant par exemple les archives d’Electrogaz ou la copie du procès de Moussa BUGINGO.
Monsieur l’avocat général met en garde la Cour qui doit bien comprendre que cette demande d’un supplément d’information implique un renvoi du procès. Contrairement à ce que prétend la défense, l’instruction de l’affaire BARAHIRA n’a pas été en 2013 mais en mai 2010 puisque le nom de l’accusé apparaît dans le dossier NGENZI : « Dire que BARAHIRA n’a pas été assez entendu, les bras m’en tombent ! Il avait toutes les possibilités de demander des actes, il ne l’a pas fait. La défense s’est contentée de demander la remise en liberté de son client. Une défense qui se faufile, à force de se faufiler on en devient transparent ! »
Entendre le témoin Olivier SOGOKURU ? Pourquoi ne pas avoir fait la demande lorsque Véronique MUKAKIBOGO en a parlé au début du procès ? Se transporter sur les lieux en vue d’une reconstitution ? Cela pose des problèmes de sécurité, mais pour les accusés. « On vous fait miroiter l’espoir d’une preuve absolue qui, en justice, n’existe pas ! »
Pour l’avocat général, cette demande est dilatoire et n’est déposée que pour que les accusés échappent à cette juridiction. Il conviendra donc de la rejeter.

Audition de Dafroza GAUTHIER, membre du CPCR, épouse du président de l’association.
Texte à venir.

Il est ensuite procédé à la lecture de l’audition de plusieurs témoins : Jean-Baptiste KARONGA, Jean Bosco GASHIRAMANGA et Marie-Claire MUTETERI qui a eu peur de venir témoigner devant la Cour.
L’après-midi devait être consacrée entièrement à l’audition de Octavien NGENZI, mais la défense de BARAHIRA avait demandé que l’on procède à la lecture de l’audition d’Alice UWIMPFURA, réfugiée chez NGENZI dont elle a quitté le domicile le même jour que la famille du bourgmestre.
Toujours à la demande de la défense, on parle du procès en Allemagne d’Onesphore RWABUKOMBE qui était dans un premier temps poursuivi aussi pour le massacre de l’église à Kabarondo. (NDR. Le 18 janvier 2011, s’ouvre en Allemagne le procès du bourgmestre de Muvumba pour des charges limitées aux massacres de l’église de Kiziguro et l’accusé est condamné à 14 ans de prison le 14 février 2014. Un nouveau procès sera organisé et le 29 décembre 2015, RWABUKOMBE sera condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. L’ex-bourgmestre de Muvumba est le neveu de Manassé BIGWENZARE poursuivi en France pour génocide suite à une plainte du CPCR).

Interrogatoire d’Octavien NGENZI.
Difficile de rendre compte des déclarations de l’accusé qui, pendant tout l’après-midi, va tenter d’expliquer pourquoi il est innocent. Ses propos sont très souvent confus, contradictoires, ses réponses loin des questions qui lui ont été posées. A tel point que je n’irai pas au bout de ma prise de notes. Comme beaucoup, je décrocherai vers la fin, d’où ce compte-rendu incomplet.
C’est madame la présidente qui mène l’interrogatoire.
NGENZI vu par Grumbl
« Chaque témoin essaie de m’impliquer. »
« Les Dix commandements des Bahutu [1], je crois en avoir entendu parler mais je n’avais pas le temps de lire. Je prends mes directives dans le Journal Officiel. KANGURA datait du multipartisme, les Hutu n’ont jamais eu de commandements ». Faux, le numéro 6 est de décembre 1990 [1] !
« J’en ai entendu parler mais ne connais pas l’auteur. On en parlait de bouche à oreilles. C’était choquant ! »
« Dans la soirée du 13, j’arrive d’une visite au préfet de Kibungo où je m’étais rendu pour avoir de l’aide. J’étais détruit moralement, terrorisé. J’ai pensé à fuir. Je suis allé chez le garagiste pour y chercher ma voiture Toyota Hilux de couleur verte. C’est alors qu’arrive une Suzuki de la Croix Rouge qui apporte des médicaments. Madame NYIRABATSINDA dit d’ailleurs qu’elle m’a aidé à les décharger au Centre de Santé. Il était aux environs de 18 heures, l’infirmière Marie Goretti était là et l’électricité fonctionnait. Il y avait une trentaine de blessés mais l’infirmière avait très peur. On soignait les gens qui étaient soignables. Il aurait fallu transférer les blessés les plus graves mais je n’avais aucun moyen. Ce n’était plus possible ».
NGENZI revient chez lui vers 20h/21h.
« Je n’ai pas vu BARAHIRA. Il s’est trompé. Ce n’est pas le seul témoin qui s’approprie le témoignage d’un autre. Je rentre chez moi et mon épouse me dit qu’Édith est arrivée avec deux enfants. Il y a aussi deux garçons de Byumba » (NDR. Deux jeunes qui travaillent à son service : le « zamu » ou gardien et peut-être un vacher ou un serviteur).
« Le 14 arrive l’abbé Papias qui a été chassé du presbytère par des assaillants. Je vais au bureau communal et constate que le presbytère a été pillé. Je vais ensuite au centre commercial pour y chercher deux chauffeurs. Je constate que les boutiques sont pillées par des voyous de Kabarondo ».
« Je ne passe pas à l’église car j’avais peur de quiconque aurait eu la mission de m’éliminer. Je vois des corps dans la cour, entre 80 et 100. Je ne rentre pas dans l’église, il n’y a aucune chance d’y trouver des survivants. La fraîcheur de la nuit avait redonné de la vigueur aux rescapés ».
Madame la présidente lui fait remarquer qu’il y avait deux policiers avec lui. Il aurait pu faire surveiller l’église par respect pour les morts ? L’accusé reconnaît qu’il ne fait rien.
NGENZI ne parle pas des corps avec Papias. « Il était plus abattu que moi. Nous avons chargé les bagages pour la fuite. J’entends alors la fusillade à l’IGA [2] où je me rends. Je vois les hommes armés et les corps mais ne rentre pas. C’était trop dangereux pour moi. Je remonte au bureau communal. »
Chronologie des faits qui ne correspond en rien avec ce qu’ont dit d’autres témoins : « Ils assurent leur défense. »
Averti par un informateur « de bonne volonté », il se rend chez KARAKEZI. Il a précisé auparavant qu’il ne voit CYASA qu’au garage où il est venu récupérer le camion dont ce dernier a parlé lors de son audition.
« Je rédige un rapport sur l’IGA, rapport destiné au préfet ou pour celui qui lui succèdera comme bourgmestre afin que les malfaiteurs soient poursuivis le moment venu ! » Cette déclaration étonne évidemment la présidente !
« Le 15 au matin, je sors de chez moi en direction de Kibungo. Je vois un chien et des chats qui mangent les corps. J’imagine mon propre corps dévoré par les chiens ! »
Lui vient alors l’idée d’aller chercher 50 à 60 personnes pour enterrer les corps de l’église. « Dans l’homme, il y a un animal. »
NGENZI n’a pas vu le massacre du Centre de Santé. Il en entendra parler à … Benako.
Le bourgmestre sera soumis ensuite aux questions des avocats des parties civiles.
Sur question de maître PARUELLE, l’accusé dit qu’il prend un chemin de terre pour se rendre au garage. Il ne sait que répondre quand on lui fait remarquer qu’il sécurise ses biens et pas l’église. La destruction des maisons, il l’apprendra en audience. Il tente de redonner les dimensions de la fosse.
Maître LINDON souligne les mensonges qu’il a faits à la CNDA et lui fait confirmer que sa demande d’asile a précédé les poursuites. « C’est GAUTHIER qui m’a dénoncé » se contente-t-il de répondre. « Je n’ai jamais nié le génocide. Je devrais être libéré à la fin de ce procès. »
Maître LAVAL : « Vous êtes mis en examen le 6 juin 2010. Vous avez été interrogé 15 fois par des juges d’instruction, avez participé à 10 confrontations. Cela fait 8 ans et 25 jours que vous êtes pris dans les filets de la justice. Et aujourd’hui, ce convoi du CICR ! »
« Je me suis souvenu de ce fait aujourd’hui. Ce génocide est géant ! »
Maître LAVAL : « Pour moi, le 14 est une énigme. Comment expliquer que le 8 vous allez voir le préfet, le 9, le 10, le 11, deux fois le 13 pour remettre un rapport alors que les massacres sont finis ? Et pas le 14 ! » Réponse : ni le 11 ni le 14. Et concernant l’enfouissement des corps, NGENZi précise que la commune ne délivre pas de permis d’inhumer.
« Vous n’avez plus de moyens, plus d’autorité, et vous recrutez 70 personnes ! Et sujet le plus grave. Vous êtes bourgmestre de Kabarondo, avez été marié par l’abbé INCIMATATA, vous êtes chrétien ! Comment laisser jeter les corps comme de la viande sans même donner la moindre bénédiction ? Papias était là lors de l’enfouissement ? »
« C’est difficile d’expliquer ce qu’on a vu. L’homme qui fuit la mort ! » NGENZI n’en dira pas plus.
Maître MARTINE : « Vous êtes au bureau communal de 13 heures à 17 heures. BARAHIRA vous voit. Vous pas ! »
NGENZI : « C’est difficile d’être cru quand on est ici. »
L’avocat : « Pourquoi vous restez là à regarder les tirs ? BARAHIRA ment ? »
NGENZI : « Je ne sais pas. Il était là parce qu’il le dit. Je n’ai regardé ni les morts ni les vivants, j’étais mort moi-même. »
Maître PADONOU revient sur le témoignage de l’assistant bourgmestre, David TANAZIRABA, qui a déclaré qu’on n’était pas obligé de rester là. Sinon on démissionne ! Il a rajouté que le bourgmestre avait gardé son autorité, même à Benako. « Et vous ? »
NGENZI : « Qui devait me démettre. Je reste bourgmestre et c’est pourquoi je suis ici. Vous avez mal compris l’exposé de David. Il était impossible de se faire remplacer. Il se trompe et il ment ».
Maître GISAGARA questionne le témoin sur l’autorité qu’il aurait conservée dans son secteur d’origine, sur Alice !
NGENZI : « Je n’ai pas conservé mon autorité et Alice, vous l’avez traumatisée en 2016 ».
L’avocat général rappelle à l’accusé que la femme dont il a rappelé le témoignage ne dit pas la même chose que lui concernant la livraison des médicaments par le CICR. Pire, elle dit que NGENZI s’est opposé à ce que ces médicaments soient utilisés pour soigner les blessés du Centre de Santé. Puis, sur les autres questions de monsieur BERNARDO, il conteste le témoignage du policier qui dit avoir protégé NGENZI et non le Centre de Santé. Il redit qu’il n’a eu connaissance des massacres du Centre qu’une fois arrivé à Benako. « Les victimes ont intérêt à m’accuser. C’est une façon de satisfaire l’autorité en place, de mettre sur les dos des autorités tous les morts. Il y a une volonté de vengeance des rescapés ».
Toujours sur questions de l’avocat général, NGENZI répond qu’il avait peur, peur de la situation. Il était seul. On l’avait déclaré complice du FPR.
« Complice ? Mais les militaires vous auraient tué ! » assène l’avocat général.
NGENZI ne conteste pas le génocide, mais là encore, il l’a appris à Benako de la bouche d’un Américain.
L’avocat général énumère les grands massacres de la préfecture de Kibungo :
• Le 10 avril : 700 morts à Zaza
• Le 11 avril : 800 morts à Kibungo
• Le 12 avril : 1500 morts à Rukara
• Le 12 avril : 500 morts au Petit Séminaire de Zaza
• Le 12 avril : 2000 morts à Mukarange
• Le 12 avril : 300 morts à Rukara
• Le 12 avril : 500 morts à Zaza
• Le 14 avril : 1000 morts à l’IGA de Birengo
• Le 15 avril : 1500 morts à Kigarama
• Le 15 avril : 1200 morts au Centre Saint-Joseph de Kibungo.
• Le 16 avril, 1000 morts à Mbare et plusieurs milliers à Nyarubuye.
« Et vous, vous n’êtes pas attentif à la situation ? Or vous savez qu’il y a des massacres. Qui est derrière tout ça ? Le préfet ? RWAGAFILITA [3] ? » insiste l’avocat général.
« C’est moi ? » balbutie l’accusé.
A madame la présidente qui lui fait remarquer qu’il a été entendu 7 fois, qu’il dit avoir des témoins à décharge dont il n’a jamais communiqué les noms, NGENZI répond que c’est « par oubli » !
Pour la défense, maître EPSTEIN tente de voler au secours de son client. « Je vais vous faire un reproche. Pourquoi vous on veut vous enlever les gens que vous avez sauvés ? »
NGENZI : « Il est injuste de comparer les bourgmestres. Allusion à BAGILISHEMA ; Celui qui a sauvé plus a peut-être eu plus de moyens. Papias était Hutu. L’enterrement ? Mon cœur ne pouvait pas accepter. J’aurais voulu cacher les morts ? Mais les cacher de qui ? Démissionner ? J’aurais exposé mon corps à la mort. » Et de regretter d’avoir perdu la population. Il ne pouvait pas faire plus.
Maître BOJ, autre avocat de l’accusé, le questionne à son tour. NGENZI rappelle qu’il a été contraint par les militaires : « C’était la mort, la mort, le sang qui coule… »
L’avocat revient sur les perquisitions. Maître BOJ s’étonne que, étant en danger, il se rend tout de même à la rencontre des assaillants !
NGENZI redit ce qu’il a déjà déclaré. Concernant Médiatrice, « une Tutsi bien prononcée, avec des traits de Tutsi, le nez, la taille ! » il n’a pas pu faire autrement que de se rendre chez elle.
Il sauve HIGIRO, le comptable, mais pas Dative et ses enfants ! Étonnant ? « Je n’ai pas fait de choix. J’ai conduit Papias sous la contrainte, j’étais pris en otage. Je n’ai pas fait de tri, comme le dit Innocent GATERA. J’ai appris que ceux qui étaient chez Médiatrice seront tués par CYASA et les Interahamwe.
Maître CHARRIER, avocat du CPCR : « Médiatrice UMUTESI a un discours nuancé sur vous avant 1994. Comment expliquez-vous que les dates ne concordent pas. Le 15 pour vous et le 17 pour elle. Quel intérêt a-t-elle à mentir ? »
NGENZI : « Elle a sa vérité, j’ai ma vérité. »
A l’avocate générale qui fait allusion à la déclaration de l’ancien évêque de Kibungo, Frédéric RUBWEJANGA, qui parle aussi du 17, NGENZI rétorque : « La vérité se trouve dans ce que je dis. » Il dit une nouvelle fois qu’il n’est jamais allé à Birenga, contrairement à ce que dit Jacqueline et un policier municipal.
NGENZI : « C’est un criminel qui me charge. J’ai sauvé Papias. »

Comme je l’avais dit au début de ce compte-rendu de l’interrogatoire de NGENZI, à ce stade, je n’ai plus pu prendre de notes, les propos du bourgmestre devenant très confus.

Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. Kangura : « Réveille-le », journal extrémiste bi-mensuel célèbre pour avoir publié un “Appel à la conscience des Bahutu”, dans son n°6 de décembre 1990 (page 6). Lire aussi “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).
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2. IGA : Centre communal de formation permanente.
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3. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.
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Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Lundi 2 juillet. J36
02/07/2018

Madame la présidente a deux arrêts à rendre concernant des conclusions déposées par la défense.
La première conclusion concerne la demande de la défense de NGENZI. Elle souhaitait la comparution de James KABAREBE et celle de Franck NZIZA : la défense avait refusé de passer outre. La Cour rejette la demande : l’attentat contre l’avion d’HABYARIMANA ne concerne pas cette affaire, la demande d’entendre les témoins n’a jamais été faite au cours de l’instruction, la Cour n’a aucun pouvoir de contrainte sur des témoins résidant à l’étranger.
Concernant la seconde conclusion, celle de maître BOURGEOT, la Cour la rejette pour les mêmes arguments donnés lors de la réponse au transport sur les lieux, demande faite par la défense de NGENZI. En ce qui concerne la demande d’un supplément d’information, la Cour fait part de son rejet.

Madame la présidente donne lecture de plusieurs PV d’audition de témoins à la demande de la défense de BARAHIRA : Anaclet GAHAMANYI, Joas NSHIMYIMANA et Jean BALIGIRA.
Enfin, est donnée lecture d’une lettre que BARAHIRA a reçue de sa belle-mère.
Monsieur l’avocat général souhaite qu’on visionne un extrait d’une confrontation entre BARAHIRA et plusieurs témoins du Rwanda, dont Osée KAREKEZI. Dans ce court extrait, BARAHIRA déclare clairement que, le 13 avril, il a bien parlé avec NGENZI, ce qu’il conteste aujourd’hui.
Les accusés sont alors invités à réagir. BARAHIRA revient donc sur ses déclarations. Quant à NGENZI, il confirme que ce jour-là il n’a pas vu l’ex-bourgmestre et qu’il n’a donc pas pu lui parler. Si BARAHIRA a pu dire le contraire, il ajoute : « Ses déclarations ne sont pas les miennes. »
BARAHIRA avait prétendu qu’il n’avait pas pu lire ses déclarations car il avait des problèmes de lunettes, alors qu’il en porte sur la vidéo. « Ce sont des lunettes qu’on m’avait prêtées ! » déclare l’accusé, déclaration qui provoque des rires dans la salle.
L’avocat général demande à BARAHIRA s’il a eu des contacts avec NGENZI pour harmoniser leurs dépositions. L’accusé reconnaît qu’il a téléphoné à son épouse mais qu’il n’a pas eu de contacts avec son mari. Sur insistance de l’avocat général, BARAHIRA concède qu’il a bien eu les coordonnées de NGENZI, puis finit par reconnaître qu’il a dû l’appeler une fois à Mayotte. (NDR. Accouchement douloureux !)
A NGENZI de donner sa version. « BARAHIRA ne m’a pas dit qu’il quittait Benako. Je ne me souviens pas que BARAHIRA m’ait appelé. Il n’a jamais été mon ami, juste une connaissance. Je n’ai pas le souvenir d’avoir échangé avec lui par mail. » Il avait pourtant son adresse.
Maître CHOUAI vole au secours de son client et déclare sans sourciller : « Ce que dit l’avocat général, c’est du pipeau, c’est du pipeau (sic). »
Madame la présidente annonce qu’elle va bientôt clôturer l’instruction et demande aux accusés s’ils auraient quelque chose à dire. Elle veut s’assurer qu’ils ont bien dit tout ce qu’ils avaient à dire.
NGENZI commence par dire qu’il s’inquiète de la sécurité politique du pays ! (NDR. Ce n’est pas trop ce qu’on lui demande !) « Sur les faits, je pense que c’est suffisant. »
Au tour de BARAHIRA de s’exprimer : « Je demande à la Cour de bien me comprendre. Je n’ai pas parlé avec NGENZI. Je n’ai fait que rapporter les paroles du groupe. » Il revient sur l’épisode de la réparation électrique : il a réparé une panne avec Augustin KANA. « J’espère que la Cour a compris la véracité de cette panne ! » (NDR. Ce n’est pas sûr du tout. C’est une histoire qui a surpris beaucoup de monde. »
« D’ailleurs, demande madame la présidente à NGENZI, l’électricité était vraiment revenue ? » NGENZI déclare qu’à ce moment de la journée, il n’avait pas besoin d’électricité !
Madame la présidente déclare que l’instruction à l’audience est terminée. A partir de maintenant, il ne sera plus possible de revenir sur les débats. Place aux parties civiles pour leurs plaidoiries.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.


Procès Ngenzi/Barahira. Mardi 3 juillet 2018. J37. Plaidoiries des parties civiles.
04/07/2018
• Plaidoirie de maître PARUELLE, avocat d’Ibuka.
• Plaidoirie de maître Sabrina GOLDMAN, avocate de la LICRA.
• Plaidoirie de maître Rachel LINDON, avocate de la LICRA.
• Plaidoirie de maître Loïc PADONOU, avocat de personnes physiques parties civiles.
• Plaidoirie de maître ARZALIER, avocat de personnes physiques parties civiles.
• Plaidoirie de maître Arié ALIMI, avocat de la LDH.
• Plaidoirie de maître Jean SIMON, avocat de SURVIE.
• Plaidoirie de maître Richard GISAGARA, avocat de personnes physiques.
• Plaidoirie de maître Guillaume MARTINE, avocat de la FIDH.
• Plaidoirie de maître Kévin CHARRIER, avocat du CPCR et de personnes physiques.
• Plaidoirie de maître Michel LAVAL, avocat du CPCR.
Plaidoirie de maître PARUELLE, avocat d’Ibuka.
« J’aurais pu reprendre mes notes du procès en première instance mais rien ne s’est passé comme prévu. J’ai eu l’impression d’avoir changé de système juridique, d’être passé dans le système anglo-saxon. Mais les derniers interrogatoires ont remis les choses en place : il fallait qu’on parle des faits, de Kabarondo. »
« Un génocide oublié » a-t-on pu dire. Il est vrai que la presse aura manifesté peu d’intérêt à ce procès. Un million de personnes vont disparaître dans des conditions effroyables, le génocide le plus rapide de l’histoire : 10 000 morts par jour, 1 000 morts par heure, des hommes, des femmes, des enfants mutilés… »
« Je voudrais tenter de vous convaincre de la réalité de ce qui s’est passé au Rwanda ». L’avocat remercie monsieur et madame GAUTHIER, à l’initiative de cette affaire et de tant d’autres. De préciser ensuite que l’avocat des parties civiles n’est pas l’accusation, ce n’est pas à lui de requérir.
L’avocat des parties civiles est la voix des sans voix, sans haine, sans esprit de vengeance. Et s’adressant aux jurés : « Vous participez à un procès historique. » Et de souligner que le travail de mémoire est très important. C’est le thème développé par le président de l’association Ibuka. Il s’agit de se remémorer pour pouvoir vivre ensemble.
Au Rwanda, on a besoin des voisins. Après le génocide, il y avait le devoir de vivre ensemble.
Maître PARUELLE évoque alors son enfance et ses visites annuelles à Oradour-sur-Glane avec sa sœur et sa grand-mère. Après avoir évoqué les travaux d’Hélène DUMAS et de monsieur AUDOIN-ROUZEAU, pour qui la découverte tardive du génocide des Tutsi fut un choc. Ce choc, l’avocat l’a eu lui aussi en 1994 : « Il faut avoir connu le génocide pour en parler. »
NTARAMA, à quelques kilomètres de Kigali : 5 000 morts. « Si vous me demandez quel jour, à quelle heure, avec qui je m’y suis rendu, je ne sais plus. Mais j’y suis allé ! »
Un peu plus loin, à une dizaine de kilomètres, à NYAMATA, ce fut le même spectacle : des cadavres partout dans l’église, du sang sur les murs… « Quand, le même jour ? Avec qui ? Je ne sais plus, mais j’y étais ! »
MURAMBI, dans une école, 50 000 morts dont certains étalés sur des tables d’écoliers. « J’y suis allé en 1994. Était-ce avant NYAMATA, avec qui ? Je ne sais pas, mais à MURAMBI, j’y étais ! »
« Il en est ainsi de la mémoire. De temps en temps, nous oublions une partie de ces faits pour en conserver l’essentiel. Si vous essayez de vous souvenir d’un événement important de votre vie, vous ne vous souviendrez plus des détails. » Et citant le président d’Ibuka : « Sur la pellicule de leur mémoire, plusieurs pellicules se sont superposées. Le temps et le traumatisme ont brouillé leur mémoire. »
Il est important pour l’avocat que tous rendent compte de leurs responsabilités. Il est injuste qui ceux qui avaient pu s’échapper puissent s’expliquer. Ce génocide n’a pu se perpétrer que parce qu’il y avait un modus operandi : on rassemble les gens et on les massacre parce qu’ils sont Tutsi, comme on a exterminé les Juifs parce qu’ils étaient Juifs.
A Kigali, la vie continue pendant le génocide. On évite les cadavres sur les trottoirs. L’administration fonctionne, du haut en bas de l’échelle.
Maître PARUELLE revient sur l’extrait du livre Bad News qu’il a fait verser au dossier, qui souligne le rôle des bourgmestres et que la défense n’avait pas fait citer pour cela [1].
« Vous devez juger les faits qui se sont produits à Kabarondo. C’est le procès de NGENZI et BARAHIRA, par le procès du président KAGAME. En 1994, on ne pouvait pas laisser ces crimes impunis comme c’était le cas lors des événements précédents. Il fallait que cesse cette culture de l’impunité. Il n’y avait pas d’amnistie possible au Rwanda : plus de justice, plus de magistrats, plus d’avocats. Il aurait fallu de 150 à 200 ans pour juger 120 000 personnes emprisonnées. Il fallait trouver autre chose : on a remis en place les Gacaca entre 2005 et 2012 [2]. Environ 1 200 000 personnes jugées. Bien sûr, ce n’est pas une justice qui correspond aux critères internationaux. Les juges, personnes intègres, étaient des gens comme vous. Les Gacaca ont permis de juger un maximum de personnes, beaucoup de tribunaux composés de Hutu dans la mesure où les Tutsi avaient été exterminés. Il fallait nommer les victimes et désigner les bourreaux, dans un but de reconstruction nationale. On a ainsi pu vider les prisons (NDR. Parfois au grand dam des rescapés qui voyaient revenir les tueurs des leurs sur la colline.) Les Gacaca n’ont pas été parfaites, mais les témoignages n’ont pas été fabriqués. »
D’évoquer ensuite la décision du TPIR et de nombreuses instances nationales d’accepter d’extrader vers le Rwanda des personnes contre lesquelles des mandats d’arrêts internationaux avaient été lancés. (NDR. La France a refusé à ce jour d’extrader 42 Rwandais soupçonnés d’avoir participé au génocide et un nombre important d’entre eux n’a pas fait l’objet de poursuites judiciaires !)
L’avocat précise qu’il représente à ce procès l’abbé INCIMATATA qui n’a jamais varié dans ses déclarations et qui a perdu beaucoup de membres de sa famille. Il représente aussi l’association Ibuka dont il lit l’objet, association qui n’est pas aux mains du pouvoir. D’ajouter que le temps du procès est le temps du génocide : demain, 4 juillet, sera célébrée la fin du génocide.
« On fera appel à votre intime conviction. Vous aurez à répondre à des questions simples. Vous vous souviendrez que ça fait 24 ans que les rescapés attendent que justice soit rendue : ils ont besoin d’être reconnus en leur qualité de victimes. Les accusés n’ont jamais émis le moindre regret. Si vous hésitez encore, pensez à ces enfants de la salle que le Mémorial de Gisozi à Kigali leur a réservée : des portraits d’enfants avec des informations sur leurs goûts, leurs rêves, leur mode d’exécution… Vous penserez aux enfants du Rwanda, aux enfants de Kabarondo. »

Plaidoirie de maître Sabrina GOLDMAN, avocate de la LICRA.
Maître GOLDMAN commence par rappeler que le 19 mai dernier la Une des journaux annonçait le mariage princier à la Cour d’Angleterre. À l’ouverture de ce procès, elle a eu honte : il n’y avait personne à la tribune réservée aux journalistes ! « Et ici, nous parlions d’un million de morts ! Qui s’y intéresse à part vous, à part nous ? » Au procès BARBIE, il y avait 800 journalistes venus du monde entier en 1987 ! Et de citer MITTERRAND : « Que peut faire la France lorsque des chefs d’État africains règlent leurs comptes à la machette ! » Ou encore Charles PASQUA : « Il ne faut pas croire que le caractère horrible de ce qui s’est passé là-bas a la même valeur pour eux et pour nous ». De citer aussi AUDOIN-ROUZEAU qui a découvert tardivement le génocide des Tutsi et qui reconnaissait « n’avoir rien vu parce qu’il n’avait pas voulu voir ! »
Au Rwanda, ce fut le même mécanisme que dans les grands génocides du XXe siècle.
Maître GOLDMAN représente la LICRA qui est légitime parce que l’association combat l’antisémitisme et le racisme, définition légale du génocide. « Tuez-les tous pour ce qu’ils sont. Ils n’ont ni le droit d’exister, ni droit à une sépulture. »
De faire allusion ensuite au procès de Samuel SCHWARZ BART, un Juif qui avait assassiné un leader nationaliste ukrainien qui vivait en France en toute impunité. La Cour d’assises va l’acquitter parce que la justice n’avait pas fait son travail en ne jugeant pas le criminel. C’est là qu’est née la LICRA.
« Vous allez rendre la justice au nom du peuple français, au nom du principe de la compétence universelle car le génocide est un crime grave qui porte atteinte à l’Humanité toute entière. C’est donc à l’Humanité de juger ces crimes. »
L’avocate de faire allusion alors à la rafle des 44 enfants juifs d’Izieu. Et de citer Ernest HEMINGWAY : « Tout homme est un morceau du continent, une part du tout. » (NDR. En épigraphe de son roman Pour qui sonne le glas, il cite lui-même John DONNE : « Nul homme n’est une île, entière en elle-même ; tout homme est un morceau du continent, une partie de l’ensemble. Si une motte de terre était emportée par la mer, l’Europe en serait diminuée, aussi bien que si c’était un promontoire, aussi bien que si c’était le manoir de tes amis ou le tien propre : la mort de tout homme me diminue, parce que je fais partie du genre humain, et en conséquence, n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas ; il sonne pour toi. »
Maître GOLDMAN revient sur le procès BARBIE : « Personne n’est sorti du procès BARBIE comme il y était entré. Il en sera ainsi de nous tous. » Un nouveau vocabulaire a été utilisé : machetter, se faire tuer plusieurs fois. Et de rappeler le témoignage de Jean CHATAIN de retour à Kigali : « On avait l’impression que le sol vomissait des corps. »
L’avocate de la LICRA souligne la dignité des rescapés qui sont venus témoigner. Elle ne pourra oublier Christine MUTETERI, qu’elle représente. Et de rappeler les mots d’Elie WIESEL : « Le tueur tue toujours deux fois : la première fois en donnant la mort, la seconde fois en essayant d’effacer les traces de son meurtre. »
Et de conclure : « Ces neuf semaines de procès ont permis d’éviter cette seconde mort. Il faut que justice soit rendue. »

Plaidoirie de maître Rachel LINDON, avocate de la LICRA.
« Vous essayez de m’embrouiller » avait déclaré Marie MUKAMUNANA, que l’avocate représente et qui a perdu ses sept enfants « découpés à la machette parce qu’il fallait économiser les balles ! ». La défense a essayé de nous transporter le plus loin possible de Kabarondo. Nous sommes en présence de crimes qui ne s’expliquent pas. Les accusés nient pour pouvoir continuer à vivre. Et de s’en prendre à la défense des accusés.
Le manque de moyens ? Monsieur BITTI a répondu. Nous sommes dans des systèmes différents.
Pas le temps ? Si on n’en avait pas perdu à parler du FPR, on aurait eu le temps de parler de Kabarondo.
On vous redemande des actes, on veut vous entraîner ailleurs. On refuse de passer outre !
On vous demande un transport sur les lieux ? La question a déjà été tranchée.
Et que dire de cette demande d’aller au Rwanda deux jours après le début du procès. Le Rwanda a répondu !
Il faudrait être Rwandais pour juger ?
La compétence universelle ? Oui mais…
Les tribunaux rwandais ne peuvent pas juger ! C’est une dictature.
On loue le TPIR ? Oui, mais il est fermé !
L’attentat [3] ? On veut faire porter aux victimes une partie du poids du génocide.
PEAN !!!
Le génocide n’a pas été le résultat d’une colère populaire !
Un génocide ? Oui, mais !
Pas d’entente en vue de commettre le génocide ? On sait que le génocide a eu lieu et à l’origine du génocide, il y a un plan préparé. Il y a eu exécution d’un plan concerté. Pas nécessaire de trouver des documents pour le prouver, il suffit d’exécuter ce plan.
Pas des massacres, pas une guerre : un génocide !
Un génocide ? Oui mais, il y a eu les crimes du FPR !
Les crimes de Staline annuleraient le génocide des Juifs ?
Aucun parallèle possible entre le génocide et les crimes qui ont suivi.
L’accusation en miroir était déjà une stratégie nazie. Chez HABYARIMANA on a trouvé des films sur HITLER !
A Kabarondo, là encore, oui mais…
• Tous des menteurs comme le dit PEAN.
• Des faux témoignages au TPIR ? Oui, c’est arrivé. Mais cela ne remet pas en cause tous les témoignages.
• On n’est pas là pour juger le FPR !
• Les prêtres mentiraient à l’église ! Par vengeance ?
Pour la défense, un témoignage ça ne vaut rien, sauf si c’est un témoignage à décharge !
Odette KAMPIRE a donné sa quatrième version à l’audience : elle a menti.
Et si tous les témoins mentent, on va garder la parole des accusés ? Eux aussi mentent !
NGENZI a menti de la CNDA. Les accusés n’ont pas lu le N°6 de Kangura [4]. La radio, ils la ferment. Ils ont gardé de l’influence mais pas d’autorité.
Et les belles actions ! Pourquoi personne ne vient témoigner en leur faveur. D’autres bourgmestres ont sauvé des vies mais personne ne parle de NGENZI !
Il y aurait un complot généralisé ? C’est un peu facile.
Il y a un problème de mémoire ? On ne peut pas se souvenir de tout quand on a vécu cela. Monsieur BITTI a rappelé qu’on ne jette pas tout dans un témoignage.
Maître LINDON représente la LICRA mais aussi Léopold GAHONGAYIRE et Marie MUKAMUNANA. Quel intérêt cette dernière aurait à mentir ?
Monsieur NGENZI, vous connaissez la côte, mais vous ne connaissez pas cette femme ! Et pour vous, monsieur BARAHIRA, il faut se réconcilier ?
« Je suis handicapée mais je ne suis pas née handicapée » avait rappelé Marie MUKAMUNANA.
Et maître LINDON de conclure : « Vous avez essayé de nous embrouiller : c’est votre seule défense possible. Messieurs, vous n’avez pas réussi votre travail jusqu’au bout. »

Plaidoirie de maître Loïc PADONOU, avocat de parties civiles.
« Le 13 avril 1994, la mort courait sur Kabarondo. NGENZI et BARAHIRA ont-ils des responsabilités dans les événements de Kabarondo ? C’est la question qui vous sera posée. » Ainsi commence la plaidoirie de l’avocat de la FIDH.
« On voulait des témoignages parfaits ? Cela n’existe pas. C’est d’ailleurs celui dont tout le monde se méfie ! »
De régler son compte ensuite à Pierre PEAN qui est venu comme témoin de la défense.
BAGILISHEMA serait une référence pour la défense ? Mais il y a des différences de taille entre les deux bourgmestres. BAGILISHEMA a eu des témoins qui ont démontré qu’il les avait sauvés. De plus, il a écrit des courriers signés et a demandé que ces courriers soient lus lors des interrogatoires. « Il était contre les massacres ! » La posture de BAGILISHEMA est à l’opposé de celle de NGENZI.
Maître PADONOU signale qu’il est aussi l’avocat de deux personnes physiques parties civiles : Félicien KAYINGA et Donatille KANGONWA.
« Mes clients seraient des délateurs ? » demande l’avocat. Quel intérêt auraient à témoigner à charge des témoins condamnés à perpétuité ? Mes clients ont précisé que NGENZI les aurait aidés. Ce sont des parties civiles. Mais s’ils sont aussi témoins à charge, ce sont des menteurs ! »
Et puis, il ne faut pas oublier les mensonges des accusés. Tous les témoins ont entendu parler de cette réunion au terrain de foot de Cyinzovu. Dans son planning du 13 avril, BARAHIRA déclare passer devant l’église avec le chef de l’Electrogaz : il ne voit que 5 cadavres [5] !
NGENZI parle d’un « homme de bonne volonté » qui vient l’avertir des rafles chez KAREKEZI et autres habitants. Il connaît les côtes des dossiers, mais pas le prénom du témoin anonyme !
La défense a déposé beaucoup de conclusions et ce n’est pas dilatoire. Mais quand les avocats de la défense disent souhaiter aller au Rwanda et qu’ils n’y vont pas, c’est une posture d’audience. Maître PADONOU révèle être le dernier à être allé à Kabarondo pendant le procès : il raconte ce qu’il a vu.
De revenir ensuite sur l’histoire des parties civiles qu’il représente. Donatille ? « Plus tard j’ai compris ce qui s’est passé » dira NGENZI. En fait, il est venu la chercher à Bisenga et au moment où elle est sur le parvis de l’église, elle recevra des grenades, des balles dans le bras… Quant à Félicien, il recevra des coups de machette, de massues, sous les sifflets des Interahamwe. Et l’avocat d’ajouter : « Vous vous souviendrez des déclarations de l’assistant bourgmestre. »
Et de conclure en faisant une hypothèse. « Imaginons que NGENZI ait conduit les rescapés à l’église dans un mauvais dessein, imaginons qu’il soit allé chercher les militaires, imaginons qu’il ait tiré sur les fuyards : dire que mes clients sont des menteurs, c’est la forme la plus aboutie du négationnisme. »

Plaidoirie de maître ARZALIER, avocat de personnes physiques parties civiles.
L’avocat commence sa plaidoirie par une citation d’Arthur KOESTLER : « Les statistiques ne saignent pas. Savez-vous ce qui compte? Le détail. Le détail seul compte. »
« Je suis devant vous pour défendre des victimes, la famille de Mélanie UWAMARIYA, sa fille Alexandra et la famille KAJANAGE. Un génocide, ce n’est pas un million de morts, c’est un mort, plus un mort, plus un mort… et à chaque mort c’est une famille qui est détruite. »
D’évoquer alors la mort des familles de ses clients et des conditions dans lesquelles elles ont disparu. Aucun corps n’a été retrouvé, ce qui augmente la souffrance des familles. Dans son témoignage, Dafroza GAUTHIER a évoqué « le vertige et le néant » ! Quand des survivants disent : « Ils nous ont tués ! », cela veut dire que quelque chose est mort en eux. « Les morts ne mentent pas, ils n’ont pas intérêt à mentir. »
Les mensonges des accusés sont une véritable ignominie. BARAHIRA parle de ses vis platinées, de sa brouette chargée de foin, de fumées de cuisine. Quant à NGENZI qui veut se faire passer pour un sauveur, il prétend avoir sauvé Papias alors qu’il a racketté l’évêché.
Dans son audition, Oscar KAJANAGE a dit : « La peur tue l’intelligence ! » NGENZI a eu peur de perdre ses pouvoirs, ses richesses ? » En fait, il a perdu sa liberté, son pays, ses amis qui se considéraient comme ses frères.
De conclure par ces mots : « J’ai plaidé pour mes clients, pour les détails du génocide des Tutsi, pour leurs enfants qui sont morts ! »

Plaidoirie de maître Arié ALIMI, avocat de la LDH.
Maître ALIMI commence par évoquer la mémoire « des hommes, des femmes, des enfants qui sont morts sans savoir pourquoi ! »
Le rôle d’une partie civile ? : « Contribuer à la manifestation de la vérité. Et pour plaider, une partie civile doit être recevable. »
L’avocat retrace rapidement l’historique de la LDH. Et de rappeler l’événement fondateur, la lettre d’Emile ZOLA, J’accuse, publiée dans le journal L’Aurore le 18 janvier 1898 : lettre adressée à Félix FAURE à l’occasion de l’affaire DREYFUS. L’auteur des Rougon Macquart sera traduit devant la justice et son défenseur émettra le souhait de créer une Ligue de défense des droits de l’Homme.
Sous l’Occupation, la LDH paiera un lourd tribut.
Partie civile au procès Maurice PAPON EN 1997, la LDH se veut être « une vigie dans cette nuit de l’humanité. » Le génocide des Tutsi est le résultat d’un long processus.
« NGENZI et BARAHIRA, vous faites partie de l’humanité et vous avez participé à son exécution au Rwanda en usant de votre pouvoir. » Les crimes contre l’humanité n’ont pas de frontières. Et l’avocat de faire allusion à Hannah ARENDT.
Les crimes du FPR, le rôle de la France ne font pas l’objet de ce procès. Le rôle de la justice est de déterminer la responsabilité individuelle des accusés : participation active/passivité criminelle ? L’histoire ne sera jamais totalement guérie : même passivité en Syrie !
« L’humanité sombre dans la Méditerranée ! »
Une dernière adresse aux jurés : « Puisse votre décision contribuer à sauver cette humanité si imparfaite. »

Plaidoirie de maître Jean SIMON, avocat de SURVIE.
Maître SIMON présente l’association SURVIE qu’il représente : créée en 1984, avec comme objet « la réforme de l’aide au développement » et « la résolution de la faim dans le monde ». L’association dénonce aussi la politique pratiquée par rapport aux pays d’Afrique, la « Françafrique ».
Concernant le génocide, l’avocat évoque l’intervention de Jean CARBONARE au Journal de 20 heures en janvier 1993 : un génocide se prépare au Rwanda. Billet d’Afrique du début 1994 dénonce à son tour ce qui se passe au Rwanda. Tout en parlant du travail de SURVIE pendant le génocide, maître SIMON évoque le souvenir de Sharon COURTOUX et du travail de François-Xavier VERSCHAVE. (NDR. Sharon COURTOUX a été pendant de nombreuses années une amie du CPCR avec laquelle nous avons beaucoup travaillé. Sa santé précaire l’a éloignée de nous depuis quelques temps). Des marches sont organisées à Paris en juin 1994. L’association participera activement à la Commission d’enquêtes Citoyenne. SURVIE continue encore aujourd’hui à alerter l’opinion publique sur les grands événements dramatiques dans le monde.
SURVIE est légitime dans ce procès : aux assises, on juge des étrangers qui ont commis des crimes à l’étranger. On abolit les limites territoriales, on abolit le temps : le génocide est un crime imprescriptible.
L’avocat évoque les auditions des chercheurs, des experts qui ont bien précisé les spécificités de ce génocide : il s’agit d’un génocide de proximité, entre voisins, commis en en temps record avec l’extermination d’une population qu’on a déshumanisée. Sans oublier le négationnisme qui est inhérent à tout génocide.
Une question s’impose et à rejeter : pourquoi vouloir mettre en face du génocide les crimes de guerre qui ont été commis après ?
Il faudra décider en quoi les accusés sont coupables des faits qu’on leur impute.
Les dossiers sont construits sur des témoignages. « Nous prenons la parole pour les sans voix. Contrairement aux accusés qui ont pu s’exprimer, réagir, se défendre. » Ce dont on doit se féliciter.
Lors de l’audition du gendarme GRIFFOUL, on a appris que les magistrats instructeurs fonctionnent comme un filtre : cf la confrontation de BARAHIRA dont on a vu un extrait la veille.
Un second filtre : « C’est faire insulte à la Cour quand on vous dit que vous êtes face à des menteurs que vous ne pouvez pas juger. Il faut reconnaître que c’est une chance que ces faits soient jugés par une Cour française. »
En conclusion, l’avocat de SURVIE fait remarquer qu’on exige la vérité des témoins ! Mais que penser de la parole des accusés ? BARAHIRA n’a pas vu NGENZI… il aurait voulu rencontrer un interprète mais il n’en a jamais demandé un !
Des contradictions chez les témoins ? Et les contradictions des accusés ? Le 13 avril, BARAHIRA reste chez lui, part à Kabarondo, s’approche de l’église [5], suit le chef d’Electrogaz ! La parole des accusés n’est pas crédible, NGENZI avait toujours de l’autorité.
Aux jurés : « Vous rendrez la justice ! »

Plaidoirie de maître Richard GISAGARA, avocat de personnes physiques.
« La société nous a confié une tâche difficile : rendre justice pour mettre fin à l’impunité. » C’est en ces termes que maître GISAGARA s’adresse à la Cour. Il évoque alors le cas de sa cliente, madame MUKABAZAYIRE.
De dire ensuite qu’il est demandé aux jurés de se prononcer sur des faits anciens, avec des problèmes de culture, de langue. « Et la défense prétendra que vous ne pouvez pas juger ! La défense va marteler que les témoins ne sont pas crédibles ! » Bien sûr qu’il y a des problèmes de mémoire pour des gens qui étaient pourchassés. Qui pourrait se rappeler avec précision ce qu’il a vécu dans des conditions extrêmes. Il y a des divergences, des incohérences, des contradictions ! c’est vrai.
Mais il n’y a pas de complot de la part venant du gouvernement rwandais. Les témoins ne sont pas préparés par les autorités. « Vous devez accorder aux témoignages leur juste valeur. Vous êtes capables de faire le tri entre les informations. La vérité, il faut la rechercher. Les variations dans les témoignages sont normales. Elles sont dues au temps et aux traumatismes : c’est ce qu’a rappelé Gilbert BITTI. »
Si les témoins avaient été formatés, il n’y aurait pas d’incohérence, ni de contradictions
NGENZI est un menteur. Il a menti devant l’OFPRA : « Pour échapper aux tueurs du FPR ? NGENZI fuyait son passé, il sait ce qu’il a fait, c’est pourquoi il ne regrette rien. » L’avocat de lire alors un extrait du document de la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile) concernant l’accusé.
Maître GISAGARA reprend les mensonges de BARAHIRA : « J’ose espérer qu’il se moque de nous et non de la Cour ! » Constance MUKABAZAYIRE a droit à ce qu’on reconnaisse sa qualité de victime. De citer Yves TERNON à propos du négationnisme qui minimise les victimes.
Ce n’est pas le procès du FPR qu’on demande de faire.
Plusieurs témoins de contexte ont défilé : PEAN, GUICHAOUA, MICOMBERO ! Cités par la défense. Ce dernier vient régler ses comptes avec le FPR dont il s’est nourri. Il en a même oublié le secret qui aurait dû entourer ses déclarations.
L’avocat de madame MUKABAZAYIRE rappelle les nombreuses victimes de sa famille : plus de 60 personnes, dont son frère François, le plus aisé, le plus cultivé, qui aurait pu aider les autres. « Sa retraite, c’était ses enfants ! »
« Ce génocide auquel nous ne comprenons rien… est en réalité tout proche de nous…comme celui des Arméniens et des Juifs. »
De rappeler enfin que la négation du génocide des Tutsi tombe sous le coup de la loi. A l’heure où Simone VEIL entre au Panthéon, alors qu’on répète sans cesse le « Plus jamais ça », cela s’est reproduit au Rwanda. « Vous devez faire en sorte que ces crimes ne restent pas impunis. » Ce seront ses derniers mots en direction des jurés.

Plaidoirie de maître Guillaume MARTINE, avocat de la FIDH.
« Au moment où se referme ce procès, je repense aux heures où il s’est ouvert. Deux mois, presque une éternité. La défense avait annoncé que ce procès serait une farce. Deux mois après, ce ne fut pas une farce, mais un grand procès » commence maître MARTINE.
Ce procès a en effet prouvé l’efficacité du mécanisme de la compétence universelle.
De souligner ensuite le rôle de la FIDH : combattre contre la violation des droits de l’homme. La FIDH est légitime à se constituer partie civile dans ce type de procès.
Maître MARTINE évoque le rapport de 1993 sur les massacres au Nord du Rwanda. Dès 1995, l’association participe à des actions en justice (NDR. En particulier dans les dossiers MUNYESHYAKA et MUNYEMANA. Ce dernier a fait l’objet d’un réquisitoire du Parquet qui demande à ce qu’il soit déféré devant la Cour d’assises.)
Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’on ne savait pas, que tout cela a émergé de nulle part. L’avocat de faire allusion aux travaux d’Alison DES FORGES. La FIDH ne craint d’ailleurs pas dire qu’aujourd’hui, au Rwanda, les droits de l’Homme ne sont pas toujours respectés.
Aux jurés : « L’objet de votre décision, c’est dire quelle est la responsabilité de ces deux hommes dans la perpétration du génocide. On vous a fait une annonce : vous allez voir ce que vous allez voir. Les témoins, comme des acteurs, sont capables de pleurer à la demande. Ils appartiennent à des syndicats de délateurs ! »
Maître CHOUAI est allé jusqu’à faire ouvrir une enveloppe qu’un témoin tenait à la main. On a demandé au témoin, lors d’une visioconférence, s’il était bien seul dans la salle.
Des témoins à charge et à décharge ont menti. Un complot ? « C’est le plat qui nous a été servi ! »
Quand des témoins disent la même chose, c’est un complot pour la défense. Si les témoignages sont différents, encore un complot !
Les accusés seraient pourchassés par le régime ? Ils ont conservé leurs biens à Kabarondo. « Avec le complot, on peut répondre à tout. »
Il n’y a pas de recette, mais une méthode. Comme disait le témoin MICOMBERO, il faut prendre chaque témoignage et voir ce qui peut être acceptable. Dans cette Cour, on a étudié chaque témoignage ?
Il n’y a pas eu de massacres spontanés. Des paysans, du jour au lendemain, prennent la machette ! La RTLM est mal entendue à Kabarondo ? Mais qui donne les ordres, alors ? BARAHIRA serait une autorité absente, NGENZI une autorité intermittente ! « On veut vous dévier de l’essentiel : l’écrasante responsabilité des accusés. »
Le soir, ils rentrent chez eux. Sans doute ont-ils trouvé le sommeil quand des centaines de personnes agonisaient, quand des enfants pleuraient… Certains auraient encore pu être sauvés.
« Ce fut un grand procès et vous êtes en capacité de juger. Vous jugerez ces deux hommes pour ce qu’ils on fait, strictement pour ce qu’ils ont fait. Et la France ne sera lus un territoire d’impunité. La décision que vous allez rendre participera à la lutte contre l’impunité des crimes commis hier, peut-être aussi ceux commis aujourd’hui. » Tel est le dernier message adressé aux jurés.

Plaidoirie de maître Kévin CHARRIER, avocat du CPCR.
Madame la Présidente,
Messieurs les Conseillers,
Mesdames et Messieurs les Jurés,
C’est avec beaucoup d’émotion, d’honneur et de fierté que je me présente devant vous aujourd’hui au soutien des intérêts de 11 parties civiles personnes physiques.
11 hommes et femmes tous soumis au même destin : celui de la mort de leurs proches
La mort des êtres chers assassinés au mois d’avril 1994 sur une terre du bout du Monde – la Commune de KABARONDO.
Leur histoire c’est celle du Rwanda.
Leur histoire c’est celle de ce Pays des Mille Collines, décrit unanimement comme le joyau de l’Afrique.
Cette Afrique verdoyante des Grands Lacs – ce pays qui un soir d’Avril 1994 est devenu fou.
Ce pays qui un soir d’Avril 1994 a décidé d’abattre les cloisons entre l’enfer et la terre des hommes.
Ce pays qui bascula à l’aube du XXe siècle dans l’horreur la plus absolue, et qui durant 100 jours élimina mécaniquement et méthodiquement 12 à 13% de sa population.
Ce pays où les voisins se sont mis soudainement à assassiner leurs voisins, ce pays où des hommes se sont mis soudainement à assassiner leurs amis d’enfance.
Ce pays où des pères de famille ont décidé d’assassiner d’autres pères de familles et leurs enfants.
Ce pays dans lequel mourir criblé de balles afin d’échapper aux souffrances effroyables de la machette coupe-coupe et du gourdin clouté est soudainement devenu un luxe, une faveur qui se monnaye.
Le Rwanda de 1994 est devenu ce pays dans lequel tuer un TUTSI était devenu aussi facile que de tuer une chèvre.

Les victimes de cette horreur, venues témoigner comme parties civiles, les victimes de ce Génocide ont des visages et des noms il s’agit de :
Médiatrice UMUTESI
Jovithe RYAKA
Jean Damascène RUTAGUNGIRA
Francine UWERA
Benoite MUKAHIGIRO
Berthilde MUTEGWAMASO
Straton GAKWAVU
Eulade RWIGEMA
Augustin NTARINDWA
Véronique MUKAKIBOGO
Jacqueline MUGUYENEZA
Et tant d’autres… victimes dont le seul crime est d’être nées TUTSI.
Ces victimes qui devant vous au cours de ces deux derniers mois ont fait le lien entre les vivants et les morts : leurs morts.
Ils ont tout perdu : ils ont affronté les épreuves les plus abominables, des épreuves qui dépassent l’entendement.
Ils ont vu de leurs propres yeux leurs enfants mourir – leurs parents se faire décimer – leur femme / leur mari se faire achever.
Leur histoire, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est l’histoire de la mort dans ce qu’elle a de plus terrifiante – de plus barbare.
La mort planifiée / organisée / des êtres qui vous sont les plus chers, des fruits de votre corps – la mort de ceux que vous avez aimés et à côté de qui vous vous êtes construits.
Ne nous trompons pas : ces habitants de KABARONDO qui avec une dignité incroyable sont venus vous raconter leur histoire ont tous vu une partie d’eux- mêmes disparaître dans les abîmes de la cruauté en ce mois d’avril 1994.
Pour certain, Ils ont traversé la planète pour venir témoigner devant vous – ici dans cette Europe qui aurait dû être pour eux une terre d’apaisement.
Ils auraient voulu venir à Paris pour visiter leurs enfants qui auraient pu devenir des grands de ce monde / qui auraient pu venir étudier dans nos universités mais qui ont été victime d’un autre destin – être assassiné froidement sans aucune compassion par des artisans de l’apocalypse.
Écoutons ces victimes qui, dans leurs costumes trop grands pour elles, sont venues raconter leur souffrance avec un seul dessein, pas celui de la vengeance, pas celui de la haine, mais celui de la justice.

Ces parties civiles, Mesdames / Messieurs de la Cour, Mesdames et Messieurs les Jurés ont fait l’objet tout au long de ce procès d’attaques inacceptables.
A défaut d’avoir réussi à les faire taire, on a voulu les salir en les décrédibilisant.
Ces personnes se sont vues traitées de menteurs, d’affabulateurs, comme si leur témoignage avait été téléguidé par une machination obscure venue des plus hauts dignitaires de Kigali.
N’oubliez pas que pour appuyer sa thèse fantasmatique la défense est venue sortir du fond des tiroirs de la déraison une équipe de fossoyeurs de l’histoire, des pseudos intellectuels fleurtant chaque jour un peu plus avec le négationnisme.
N’oubliez pas que ces personnes sont toutes à contre-courant des plus grands chercheurs / des plus grands historiens du Rwanda – des personnes qui font autorité par la qualité de leur travail
Mais surtout : face à ces calomnies, n’oubliez pas le traumatisme et l’écoulement du temps qui ont quelques fois pu altérer la précision des témoignages. Nous avons demandé à ces personnes de se souvenir : de faire ressortir de leur inconscient des douleurs et des traumatismes enfouis au plus profond d’eux- mêmes.
C’était il y a 25 ans : pour eux c’était hier, mais c’était aussi il y a une éternité.
On viendra vous dire « L’heure des faits peut varier » – On viendra vous dire que la tenue vestimentaire des accusés peut différer. Mais est-ce cela qui est important ?
Quand 97 % du témoignage concorde avec les déclarations recueillies par les gendarmes français il y a plus de 7 ans, doit-on s’attarder sur les 3 % de contradictions ?
Quand vous avez échappé à la mort et que vous avez vu les êtres qui vous sont les plus chers se faire déchiqueter vivant par la lame froide des machettes – doit-on vous reprocher de ne pas avoir regardé l’ensemble des détails qui vous entouraient ?
Il y a des éléments qui ont été occultés volontairement par la défense et qui pourtant auraient permis de définitivement fermer la porte à la théorie de la machination.
Ces éléments de vérité ressortent justement des contradictions : ces contradictions sont l’assurance pour vous que la sincérité inonde les témoignages.
Le plus grand des manipulateurs n’accepterait pas que son témoignage le trahisse.
Le faussaire – le trafiquant d’histoire- ne saurait faire preuve d’imprécision.
Le vrai menteur calcule le poids de chacun de ses mots.
Non, Mesdames et Messieurs de la Cour, vous n’avez pas été confrontés à des syndicats de délateurs mais à des victimes porteuses de sincérité qui n’ont jamais fait preuve de la moindre haine envers leurs bourreaux d’hier.
Écoutons ces victimes qui ont été bousculées – salies – écoutons-les pour comprendre ce qui s’est passé.
Écoutons-les pour entrevoir la part la plus sombre de l’humanité, celle qui a conduit des hommes au printemps 1994 à obéir aux ordres les plus fous, les plus inimaginables, de responsables nationaux et locaux qui les ont sommés d’aller éliminer leurs compatriotes.
Écoutons ces victimes qui n’ont pour seul objectif que faire vivre la mémoire de leurs morts au nom de la vérité – au nom de la justice.

Votre responsabilité, Mesdames et Messieurs de la Cour, Mesdames et Messieurs les jurés, est aujourd’hui de juger deux hommes accusés de l’un des pires crimes prévus par le Code Pénal Français, par le droit international.
Des crimes qui vous permettent aujourd’hui en France, 25 ans après les faits, de siéger en ces lieux pour rendre justice.
Ce procès nous a tous bouleversés, Magistrats / Avocats / Jurés tant par son intensité que par les horreurs qu’il a permis de mettre en exergue.
Je n’ai pas, contrairement à certains de mes Confrères présents dans cette salle, eu la chance et l’honneur de me déplacer au Rwanda.
Je n’ai pas, et je n’ai pas honte de le dire, été particulièrement sensible au Génocide des Tutsi avant de rentrer dans ce dossier il y a maintenant quelques mois.
Non pas par désintérêt, bien au contraire, mais par manque d’information.
Non par racisme ordinaire, comme le témoignait Monsieur AUDOIN-ROUZEAU, mais parce que ce génocide était éloigné des miens et de mes racines.
Je suis de cette génération qui n’avait pas 10 ans en avril 1994 et qui dans l’insouciance de l’enfance, n’a brièvement été confronté au génocide du Rwanda que par l’intermédiaire de bribes du journal télévisé.
Je suis de cette génération du « non » à la guerre en Irak, je suis de cette génération qui a vu les tours de Manhattan s’effondrer un beau et chaud mardi de septembre 2001.
Je suis de cette génération qui s’est construite avec son temps.
Je suis de la Génération BATACLAN, celle qui identifie l’horreur à son échelle parce qu’elle touche son pays, sa ville, ses amis.
Je n’étais pas la Génération RWANDA et pourtant …
Comme pour vous mon destin m’a conduit dans ce procès.
J’ai du tout apprendre – tout découvrir – tout décrypter.
J’ai dû, comme vous, me plonger dans l’histoire du Pays des Mille Collines – analyser ses spécificités géopolitiques, ethniques.
J’ai appris qui étaient les victimes du Génocide, j’ai compris qui étaient les Génocidaires.
J’ai dû comme vous me confronter aux spécificités administratives de ce Rwanda de 1994, dans lequel un Gouvernement génocidaire a projeté son dessein criminel sur toutes les sphères de la Société.
J’ai appris comme vous que ce gouvernement génocidaire à fait redescendre ses ordres dans chaque préfecture, dans chaque commune, à chaque Préfet, à chaque Bourgmestre.
Nous avons compris ce Génocide et ses mécanismes, nous l’avons vécu à travers la parole des bourreaux, des idéologues et de ses victimes.
Ses victimes, que j’ai découvertes comme vous avec leur dignité, leur sagesse et quelquefois avec leur maladresse.
C’est au nom de ces 11 victimes que je m’adresse à vous, c’est en leur nom que je vous demande justice.
C’est en leur nom que je vous demande de ne pas céder aux théories complotistes les plus primaires qui ne servent qu’à salir, qu’à effacer la mémoire de ceux qui sont morts sur cette terre de KABARONDO.

Ces théories complotistes qui nous ont été servies par Messieurs NGENZI et BARAHIRA ne sont là que pour contrer l’évidence de leur culpabilité qui découle des nombreux témoignages concordants de leurs victimes directes et indirectes.
Non, Messieurs NGENZI et BARAHIRA, vous n’échapperez pas à la justice des hommes par ce déni stérile !!!!!!!
N’oublions jamais que l’homme dans son absolue complexité est toujours doué d’une conscience qui lui permet de se plonger dans sa part sombre et d’affronter celle-ci pour exprimer des regrets.
N’oubliez pas qu’au nom de cette conscience certains des bourreaux d’hier se sont résolus à assumer leurs actes.
Au nom de cette conscience, certains des bourreaux d’hier ont demandé pardon à leurs victimes.
C’est au nom de cette conscience que le Rwanda s’est aujourd’hui tourné vers une reconstruction et une réconciliation comme l’avait fait avant lui l’Allemagne, la France, le Cambodge et tant d’autres États mutilés dans leur chair.
Sachez que les victimes que je représente n’auront jamais la chance d’entendre les regrets de Messieurs NGENZI et BARAHIRA.
Sans avoir le pouvoir de panser les plaies béantes du passé, ce pardon aurait pourtant été un point de départ vers la reconstruction.
Pour Monsieur Jovithe RYAKA :
Qui a perdu toute sa famille dans l’église de KABARONDO et qui gardera pour l’éternité l’image du corps supplicié de sa mère gisant sur le sol ce 13 avril 1994.
Pour Francine UWERA :
Hantée à jamais par l’image de sa petite sœur de 8 mois tétant le sein de sa mère morte au visage à moitié arraché
Pour Benoite MUKAHIGIRO :
Qui s’est présentée devant vous tard un vendredi soir, la voix éraillée à vie en raison d’un coup de machette et ne pouvant rester debout en raison du coup de gourdin porté à sa colonne vertébrale.
Pour Médiatrice UMUTESI:
Médiatrice la courageuse qui aura caché durant des jours entiers des TUTSI promis à une mort certaine et qui ne doit la vie qu’à la rançon qu’elle aura été contrainte de verser à ses bourreaux.
Pour Straton GAKWAVU :
Qui n’a pas pu sauver son bébé de 3 mois mort de faim dans la brousse après son évasion de l’église.
Pour Jean Damascène RUTAGUNGIRA et pour Eulade RWIGEMA :
A qui on a arraché la vie de leurs enfants, de leur épouse, de leur mère, Jusqu’à leurs frères et sœurs, ses cousins et cousines.
Pour Berthilde MUTEGWAMASO :
Qui n’aura eu la vie sauve que par le terrible sort de son bébé, lequel aura pris à sa place le coup de machette qui lui était destiné.
Pour Augustin NTARINDWA :
Qui la semaine dernière est venu vous raconter comment à travers ses yeux d’enfant il avait été témoin de l’assassinat de sa maman / de son papa / de sa vie et qui n’a jamais pu se construire normalement dans sa vie d’adulte.
Pour Véronique MUKAKIBOGO
Jacqueline MUGUYENEZA et tant d’autres …
Qui attendaient tant de ce procès et qui n’auront entendu des deux accusés que des dénégations morbides et insultantes comme si rien ne s’était passé en ce mois d’avril 1994 sur les terres de KABARONDO.

Messieurs NGENZI et BARAHIRA ont certes manqué leur RDV avec l’histoire : cela n’enlèvera en revanche pas à ce procès son caractère historique – son caractère exceptionnel !
Dans quelques jours vous vous retirez pour délibérer.
Il vous sera demandé avec l’aide de votre intime conviction de juger ces deux accusés.
Quelle que soit votre décision, soyez fiers de votre contribution.
Soyez fiers de la ténacité qui a été la vôtre et qui vous a régulièrement conduit jusque tard dans la soirée à écouter avec attention ceux qui se présentaient devant vous.
Ce procès a bousculé votre vie durant plus de deux mois : il marquera votre vie à tout jamais.
Quelle que soit votre décision, vous aurez contribué à ce que la parole des victimes soit écoutée .
Mon rôle dans ce procès s’arrête par ces derniers mots : mais mon devoir est de déposer devant vous une dernière doléance.
N’oubliez jamais les morts de KABARONDO
N’oubliez pas non plus les vivants : ceux qui ont survécu.
Ces vivants qui ont vu mourir par l’intervention de la folie des hommes les êtres qui leur étaient les plus chers.
Le temps a passé, la reconstruction a fait son chemin mais n’oubliez pas que ces victimes – ces 11 personnes que je représente – auront vu mourir en ce mois d’avril 1994 une partie d’elles- mêmes.
Ils demeureront à jamais perforés dans leur chair par la disparition soudaine de ceux qu’ils aimaient.
Ils demeureront à jamais des victimes de l’histoire – des victimes de ce dernier Génocide du XXe siècle.
Mais grâce à l’intervention d’hommes et de femmes qui se sont décidés à traquer à l’autre bout du monde les génocidaires qui espéraient fuir leur responsabilité, ces victimes ont échappé à l’oubli.
Merci pour votre attention.

Plaidoirie de maître Michel LAVAL, avocat du CPCR.
Madame la Présidente,
Messieurs de la Cour,
Mesdames et Messieurs les jurés,
Comme lors du premier procès, la charge me revient d’être la dernière partie civile à prendre la parole.
En commençant mon propos il y a deux ans, j’avais dit que je mesurais l’honneur qui m’était fait par mes confrères en même temps que rien ne m’échappait de l’épreuve que représentait le fait de parler après eux.
Cette épreuve je l’assume encore pleinement et je m’en honore encore parce que je vois dans cette dernière plaidoirie l’aboutissement d’une action engagée il y a presque dix ans.
Je ferme la marche. Je suis l’arrière garde. Je suis la dernière voix, je suis la voix des morts et mes paroles, comme celles de mes confrères des parties civiles, sont les stèles gravées du nom des victimes. C’est par nous que leur souvenir perdurera et que jamais nous ne pourrons les oublier.
Au moment où je me lève à mon tour du banc des parties civiles, une impression m’étreint, souvent éprouvée, jamais dissipée, de parler au bord d’un immense tombeau où gisent des centaines de milliers de morts sur un lit de sang et de larmes.
Cette impression je l’ai ressentie la première fois lorsque, peu de temps après le génocide, je me suis rendu avec un haut magistrat français au Rwanda pour œuvrer à la mise en place d’un tribunal pénal international pour le Rwanda dont le conseil de sécurité des Nations Unies avait décidé la création.
Je ne l’ai pas fait parce que je suis un militant : je ne suis pas un militant. Je suis un avocat qui agit selon sa conscience qui lui dicte ce que je dois faire. J’appartiens à la génération d’après-guerre qui rêvait d’une justice internationale après la promesse non tenue de Nuremberg et comme beaucoup je regardais la décision du conseil de sécurité comme une sorte d’aube.
Nos hôtes rwandais nous conduisirent sur le site de massacre de Ntarama que mon confrère et ami Gilles Paruelle a évoqué.
Plusieurs milliers de Tutsi, dont de nombreuses femmes et des enfants, s’étaient réfugiés dans l’église où le 15 avril 1994 ils avaient été tous massacrés en une seule journée.
J’ai vu le carnage.
J’ai vu l’horreur.
J’ai vu l’église aux murs éventrés, les dépouilles des victimes, le corps des enfants encore accrochés au dos de leurs mères.
J’ai vu les pyramides de crâne disposés sur d’immenses tables.
J’ai vu les ossements.
Et je me suis dit : « je suis en enfer ». C’est à dire exactement ce dont je vous ai prévenus au deuxième jour du procès.
Aussi bien quand plusieurs années plus tard Alain Gauthier est venu me voir pour me demander si j’accepterais d’être l’avocat de son association dans des plaintes contre des rwandais vivant en France et soupçonnés de génocide, je n’hésitais pas.
Je savais la tâche difficile : elle fut redoutable.
Je pressentais les nombreux obstacles que nous rencontrerions : ils furent légion.
Je savais les courants contraires d’enjeux politiques et diplomatiques qu’il faudrait affronter : ils faillirent nous être fatals.
Je pressentais l’inertie, la réticence qu’il faudrait vaincre ici en France.
La France, pardon le gouvernement français, parce que je chéris trop la France pour la confondre avec ses gouvernements, les gouvernements français, quelle que soit leur couleur politique, ont eu longtemps une politique très particulière dans cette affaire.
Pendant des années nous nous sommes battus dans le désert, avec Alain et Dafroza Gauthier.
Peut-être gardez-vous en mémoire le souvenir de mon échange un peu vif avec Monsieur Péan sur la « justice des vainqueurs ».
Peut-être vous souvenez-vous que je m’étais offusqué de cette singulière expression forgée par les défenseurs des criminels nazis jugés à Nuremberg et des criminels japonais jugés à Tokyo est à bannir.
Quels vainqueurs ?
Qui peut se dire vainqueur d’un tel désastre humain, d’une telle tragédie, qui peut revendiquer la gloire d’une quelconque victoire devant une telle faillite de la conscience humaine ?
Quels vainqueurs ?
Il n’y a ni vainqueur ni vaincu
Il y a des bourreaux et de victimes,
Il y a des persécuteurs et des persécutés
Il y a des accusés et des juges.
Vous êtes les juges, vous n’appartenez à aucun camp. Nul ne peut dicter les règles de votre conduite.
Vous êtes des juges. Des juges libres qui ont à trancher sur le fondement de ce qu’on appelle la compétence universelle.
Sur la base de cette compétence, vous avez à juger les crimes qui intéressent l’humanité tout entière, qui concernent l’humanité tout entière, si bien que vous n’êtes pas seulement une cour d’assise française, vous êtes aussi des juges de l’humanité, des juges du genre humain.
On vous l’a dit, votre mission est terrible et simple.
Elle ne supporte aucun compromis, aucun accommodement. Elle est la mission du juge. J’ignore si ce procès est historique. Mais, vous n’êtes pas là pour faire l’histoire. Vous êtes là pour juger deux hommes, deux accusés pour ce qu’ils ont fait, pour leur participation à un génocide et à un crime contre l’humanité commis entre avril et juillet 1994 au Rwanda sur le territoire de la commune de Kabarondo dans le ressort de la préfecture de Kibungo contre la communauté tutsi qu’on a voulu exterminer exclusivement pour la raison qu’elle était tutsi.
Là est votre tâche, votre mission claire, sans équivoque.
Vous avez à vous prononcer sur cette question et aucune autre.
La philosophe Hannah Arendt dit quelque chose d’essentiel dans le livre qu’elle consacre au procès d’Eichmann qu’elle a couvert comme journaliste. Elle dit : « une cour de justice est faite pour juger un homme, un individu, pour trancher la responsabilité de cet homme, de cet individu dans le crime qu’on lui impute ».
Cette charge est suffisamment considérable pour ne pas s’accommoder d’autres préoccupations.
On a voulu instruire de faux procès.
On a voulu vous égarer, on a voulu vous distraire et répandre la confusion dans vos esprits.
Vous n’êtes pas là pour connaître la nature politique du régime rwandais.
Vous n’êtes pas là pour connaître des crimes de guerre que le FPR a commis, je ne dis pas : « a pu commettre », je dis « a commis ».
Vous n’êtes pas là pour juger le TPIR dont j’ai cru comprendre que pour la défense il avait toutes les vertus quand il acquitte les accusés et tous les vices quand il les condamne.
Vous n’êtes pas là pour juger la France.
Vous n’êtes pas là pour juger les gacacas.
Vous n’êtes pas là pour juger l’attentat du 6 avril dont vous avez bien compris qu’il n’était pas élucidé.
On a voulu faire le procès du procès. On a voulu le discréditer.
On a voulu accréditer la thèse que vous étiez manipulés, que vous étiez joués, bernés, abusés.
Par qui ? Par quels procédés ? Dans quelles circonstances ? On l’ignore.
On a prétendu que le procès ne serait pas équitable. Une information qui a donné lieu à des milliers d’actes, qui a duré plusieurs années ; des accusés qui ont pu demander autant d’actes complémentaires qu’ils le souhaitaient, qui ont été défendus de manière remarquable, je dis bien remarquable, par leurs premiers avocats, est-ce la marque d’absence d’équité ?
Ce procès est équitable. Monsieur l’avocat général a fait remarquer plusieurs fois que le procès équitable s’appréciait à travers tout son déroulement et pas seulement à l’aune d’un acte isolé.
On a soutenu que les témoins étaient manipulés, qu’ils mentaient, qu’ils récitaient leur leçon. Hier matin encore, une lettre venue de nulle part prétendait à propos d’un témoin qu’« on lui avait dit de réciter un texte préalablement écrit ».
On a laissé entendre que ces témoins avaient été manipulés par le pouvoir de Kigali. On a même été plus loin : on s’est moqué d’eux. Ces paysans venus déposer à vos audiences, ces paysans vêtus de leur grand costume d’emprunt, ces paysans qui n’étaient jamais sortis de chez eux, qui n’étaient jamais montés dans une voiture, qui n’avaient jamais pris l’avion, qui ont parcouru plus de cinq mille kilomètres et à qui on a posé la question de savoir où ils s’étaient procuré leurs chaussures ! Est-ce là un procédé digne ? Est-ce digne de se moquer de ces petites gens venues témoigner de l’immense tragédie qu’ils ont vécu. Je le dis sans détours : c’est une honte. Ce n’est pas bien. On ne peut pas se comporter comme cela. On ne peut pas traiter les hommes de cette façon. On ne peut pas, devant un malheur pareil, parler avec une telle désinvolture, parler avec un tel mépris.
Mais toutes ces manipulations ne changent rien à la vérité du procès, à sa vérité profonde, essentielle.
On sait, il est établi, historiquement établi, judiciairement établi, qu’un crime de masse a été commis au Rwanda entre avril et juillet 1994
On sait, il est établi que ce crime de « notoriété publique » a pris la forme d’attaques généralisées et systématiques contre une population pour la seule raison d’être ce qu’elle était.
On sait, il est établi, que ce génocide a provoqué la mort de 600.000 à 800.000 victimes.
On sait, il est établi, que ce crime de masse n’est pas une explosion soudaine de violence et de haine, qu’il n’est pas une explosion imprévisible de barbarie.
On sait, il est établi, que ce crime organisé, orchestré, s’est propagé comme un immense incendie.
On sait, il est établi, que ce crime de masse a été exécuté sous les ordres d’un gouvernement de fait, le gouvernement dit « intérimaire » qui s’est emparé du pouvoir à la faveur d’un coup d’État, qui a enrôlé dans son projet criminel tout l’appareil d’État rwandais, que la hiérarchie légale est devenue une hiérarchie criminelle, que les ministres sont devenus des ministres criminels, que les préfets sont, pour une partie d’entre eux, devenus des préfets criminels, que les bourgmestres sont, pour une partie d’entre eux, devenus des bourgmestres criminels, que les officiers de l’armée sont devenus des officiers criminels.
On sait cela, c’est établi, ce n’est pas contestable, sauf par ceux qui se sont aventurés dans une démarche intellectuellement et moralement désastreuse de négation et expliquent que ce génocide n’a pas eu lieu ou qu’il est imputable à ceux qui l’ont subi. Ce qui est le comble de la méchanceté et de la perversion.
On sait, il est établi, que ce crime de masse est un génocide commis selon un plan concerté.
On nous dit : quel plan ? Où sont les preuves ?
Les preuves ?
Elles sont dans le mode opératoire comme l’a jugé la Cour d’assises de Paris dans son arrêt de première instance dans l’affaire Simbikangwa : rapidité et propagation à tout le pays des opérations d’élimination, utilisation à tous les échelons de la chaine administrative et militaire, formation des milices à l’usage des armes, distribution des armes aux civils et aux Interahamwe et aux civils, établissement des listes de tutsis à tuer, fouille des domiciles occupés par les tutsis, ramassage des cadavres avec des camions appartenant à l’administration, inhumation des personnes tuées dans des fosses communes anonymes, ampleur considérable. Du nombre de victimes en l’espace de seulement trois mois.
Les preuves ?
Elles sont dans la fulgurance du crime, la similitude des procédés et des méthodes, les gens entassés dans les églises, les écoles, les couvents, les hôpitaux, lieux publics pour y être massacrés, les groupes de tueurs qui arpentent la terre ensanglantée armés de machettes, de lances, de gourdins ; qui ravagent les villages, qui torturent, violent et se livrent à des atrocités épouvantables. Et en arrière, l’armée qui suit, qui achève le travail.
Le voilà le plan. Que veut-on de plus ? Un papier signé ? Une attestation sur l’honneur ?
Il n’en est nul besoin. Les grands génocides qui ont ensanglanté l’humanité au XXème siècle n’ont donné lieu à aucun ordre écrit.
1915, en Turquie : les Arméniens ont été mis sur les routes poussée en la baïonnette dans les reins, contraints de marcher jusqu’aux confins du désert où les derniers survivants sont morts abandonnés. 1.500.000 victimes. Pas d’ordre écrit.
1941-1945. L’extermination des juifs. On connait le processus. Les massacres par balles, les camps d’extermination. 6.000.000 de victimes Pas d’ordre écrit
1975-1979 : le Cambodge. 2 millions de victimes Pas d’ordre écrit
On a cherché à contester le plan en prétendant qu’il n’y avait pas d’entente. On a invoqué l’arrêt Bagosora pour tenter de vous en convaincre. Mais comme le professeur Bitti l’a expliqué le plan et l’entente ce n’est pas la même chose, qu’il peut ne pas y avoir d’entente et cependant qu’un plan concerté existe. Les deux accusés ne sont pas poursuivis pour entente, mais pour génocide.
Donc, il faut arrêter, il faut arrêter, de soutenir des positions qui sont aux antipodes du droit et de la jurisprudence. Si on veut un procès équitable, il faut se comporter avec honnêteté. Tenter de tromper un jury avec des interprétations fausses ce n’est pas l’honnêteté. La grandeur du débat judiciaire est dans sa loyauté.
Dire comme l’a fait Monsieur Guichaoua que le génocide a commencé le 19 avril est un mensonge. On sait que c’est faux, que c’est même une aberration historique de soutenir une telle thèse.
On sait, il est établi, que le génocide a commencé dès le 7 avril au matin. Dès le 7 la machine à tuer s’est en marche. Partout on tue, on massacre, on pille, on torture, on viole et on le fait de la même manière. Dans son rapport de témoin expert au procès Bagosora, Alison Desforges dont personne ne conteste l’autorité, a bien décrit l’enchainement des faits. Tout a commencé le 7 avril puis s’est poursuivi les 8, 9, 10, puis s’est amplifié et 11, avec l’intervention de l’armée.
Cela ne vous rappelle rien le 11 avril ? Vous ne vous souvenez pas de Ngenzi qui revient de Kibungo et dit à l’abbé Incimatata qu’il ne faut rien faire, qu’il ne faut pas de patrouilles, qu’il ne faut pas prendre de mesures de protection et de sécurité parce que, explique-t-il avec un cynisme extraordinaire, « l’armée va arriver pour s’en occuper ». Le rapport d’Alison Desforges révèle qu’à partir du 11, l’armée a commencé en effet à « s’en occuper » comme le dit Ngenzi, mais à sa manière, pas pour protéger les Tutsi, mais pour les massacrer. En vérité, le 11, le génocide a pris une dimension massive grâce à l’intervention criminelle de l’armée.
Voilà ce qu’on sait, ce qui est établi.
Et ce qu’on sait encore, ce qui est établi, c’est que la préfecture de Kibungo fut l’une des premières préfectures touchées par le génocide.
Kibungo c’était le fief de Rwagafilita, le pire des Hutu extrémistes, dont Tito Barahira et Octavien Ngenzi étaient les créatures et qui comme TOUS les bourgmestres étaient membres du MRND devenu parti criminel.
Kibungo fut mise à feu et à sang dès le début du génocide. Les premiers crimes surviennent dès le 7 avril, et se multiplient tous les jours, dans toutes les communes. J’ai dans la main le bulletin de l’évêque de la paroisse de Kibungo, publié moins d’un an après le génocide. J’en ai lu des passages en interrogeant Octavien Ngenzi. Madame l’avocate général vous en a lus aussi. On sait la succession des massacres.
Un procès-verbal de synthèse belge établi à l’occasion du procès Habymana, alias Cyasa, cote D742/3-4, de nombreux témoignages rassemblés attestent la violence des massacres. Je lis : « armes utilisées pour perpétrer le crime à grande échelles : fusils, grenades, petites haches appelées « macaku », machettes, épées, couteaux, lances, gourdins ; des victimes ont été brûlées vives dans leurs maisons, ou bien liées sur une table et aspergées d’essence, ou encore enroulées dans des feuilles de bananiers. Des enfants ont même été grillés à la poêle ». Voilà ce qui se passe à Kibungo où Monsieur Ngenzi se rend tous les jours dans sa Toyota rouge franchissant sans encombre les barrages des tueurs.
Vous vous souvenez de ce qui s’est passé le 15 avril ? Monsieur Ngenzi prend sa petite voiture rouge et se rend à Kibungo pour voir le préfet. A cet instant on massacre 2.500 personnes au Centre Saint Joseph.
Quatre jours plus tard, on dénombre 50.000 Tutsis massacrés dans la préfecture.
Il appartiendra à l’accusation d’établir la culpabilité de Tito Barahira et Octavien Ngenzi.
Mais qu’il me soit permis d’en dire quelques mots.
Vous avez devant deux hommes déjà âgés et même, pour l’un, malade.
Mais en quoi cela concerne leur culpabilité.
Pensez à ce qu’ils étaient en 1994 quand ils ont commis les crimes qu’on leur impute.
Regardez-les, jeunes sur le champ de supplice, forts, arrogants.
Imaginez Tito Barahira poussant Joséphine devant l’église, Joséphine qui le supplie de lui laisser la vie sauve.
Imaginez Ngenzi ou pendant les fouilles et les descentes de tueurs improprement appelées perquisitions.
La vie leur a infligé son épreuve, mais en quoi faudrait-il qu’elle influe sur votre jugement ?
Ce sont ces deux hommes que vous jugez, non les vieillards qu’ils sont devenus. Le temps n’altère rien.
Par-delà toutes les preuves, par-delà tous les témoins, Tito Barahira et Octavien Ngenzi sont d’abord confondus par eux-mêmes. Ils sont leur propre accusateur. Ils sont leurs pires ennemis
Tito Barahira va dans sa bananeraie. Il va chercher du foin pour ses vaches avec une brouette. Il balaie devant sa porte. Il ne voit rien, il n’entend rien. Dans un des films qu’on vous a projeté des voitures arrêtées, on aperçoit les Interahamwe qui tournent comme des mouches venimeuses. Il ne voit rien, il n’entend rien. L’église de Kabarondo se remplit de réfugiés qui passent à proximité de sa maison : il ne voit rien, il n’entend rien.
Quand, il aperçoit de la fumée qui s’échappe au-dessus de l’église, il pense que les réfugiés font la dinette. C’est quoi cette dinette ? Un méchoui humain ? C’était quoi cette fumée haute, dense. La fumée d’un réchaud à gaz ?
Il finit par admettre qu’il s’est rendu à l’église après le massacre. Il y a près de trois mille morts ! Il en voit cinq. Il ne tente de secourir personne et part réparer un générateur. Il y a des enfants qui pleurent, des femmes qui gémissent. La plainte qui s’élève est épouvantable. Que fait-il ? Il va réparer une ampoule ! Et quand on l’accuse, quand un très grand nombre de témoins l’accusent d’avoir participé au massacre et les jours précédents d’avoir participé à la chasse aux Tutsis, il crie au mensonge, à la conspiration.
Ngenzi.
Parmi tous les faits retenus à sa charge, il y en a trois qui l’accablent :
Premier fait : le massacre de l’église.
Ngenzi est resté plusieurs heures devant l’église aux côtés des militaires. Il prétend être est en « garde à vue » ! Mais quand les militaires s’en vont, il circule tout à fait librement. Il dit qu’il est « resté à la disposition des militaires ». Pourquoi ? Pour les aider, leur faciliter le travail. Toutes les déclarations de Ngenzi sont tellement absurdes qu’elles ne peuvent pas être prises en considération.
Deuxième fait : L’enfouissement des corps.
De tous les crimes reprochés à Ngenzi, c’est celui-là qui signe sa culpabilité. Je ne peux pas concevoir, il m’est intolérable de penser, qu’on a enfoui les victimes de cette manière si on n’est pas coupable. Nous avons tous été confrontés à la mort de proches. On comprend l’enterrement, on sait que c’est dans l’enterrement que se manifeste l’humanité. On sait que la trace des hommes est dans le rite dont ils entourent la mort. On le sait. Croyant ou pas, c’est le signe de l’homme. Il faut emmener les morts dans la dignité, leur faire des tombes, mettre leur nom sur des plaques, ça c’est l’humanité.
Si j’ai parlé d’un prêtre, c’est parce que les gens qui étaient enfouis étaient de confession chrétienne. Auraient été des Juifs, j’aurai parlé de rabbin. Auraient-ils été des musulmans, j’aurai parlé d’imam. Ma tradition laïque
Que fait Ngenzi ? Il recrute des fossoyeurs de circonstance. Soixante-dix. Que font ces fossoyeurs ? Descendent-ils les morts un à un dans la fosse ? Les alignent-ils avec précaution ?
NON, ils les jettent en tas comme des paquets de linge sale.
Ngenzi compte-t-il les morts ? Tente-t-il de les identifier ? NON.
Est-ce là le comportement de bourgmestre protecteur de sa population, comme il le prétend.
Je le dis, Octavien Ngenzi n’a pas inhumé des êtres humains : il a voulu dissimuler des corps, effacer des traces.
Je le dis, Octavien Ngenzi n’a pas agi en croyant : il s’est comporté en bourreau.
Troisième fait : Papias
Octavien Ngenzi a vendu l’abbé Papias. Quand deux témoins, à l’unisson, sont venus nous l’expliquer ici, aucune question n’a été posée par la défense. Pourtant la défense n’a pas été avare de questions. Mais devant un fait aussi patent, aussi accablant, qui à lui seul démontre le système de mensonge dans lequel Ngenzi s’est enfermé, rien, aucune contestation, aucune remise en cause. Un silence qui résonnait comme un aveu.
Que dit Ngenzi quand on l’accuse, quand un très grand nombre de témoins l’accusent d’avoir participé au massacre et les jours précédents d’avoir participé à la chasse aux Tutsis, il crie au mensonge, à la conspiration
L’expert, le docteur Zaguri est venu dire ici que Tito Barahira et Octavien Ngenzi n’étaient pas des monstres, qu’ils ne souffraient d’aucune pathologie mentale, que c’étaient « des hommes ordinaires ».
Comment concevoir que des hommes ordinaires commettent des actes aussi monstrueux ?
C’est un grand et grave problème, c’est un problème qui touche un aspect fondamental de la personne humaine.
C’est la question du jugement moral, de la conscience morale.
Nous avons tous la faculté d’exercer notre jugement moral, de distinguer le bien du mal. Il y a des valeurs qui ne sont pas relatives. Il y a des valeurs absolues, universelles. Nous n’avons pas, par exemple, le droit de tuer notre prochain. Il peut arriver qu’un homme tue un homme mais il ne peut pas considérer que c’est bien.
Nous sommes constamment confrontés au jugement moral et il ne dépend que de nous de l’exercer.
Ce qui explique le comportement Tito Barahira et Octavien Ngenzi qui sont des hommes ordinaires, c’est l’abdication de leur jugement moral.
Ils sont des hommes ordinaires qui ont abdiqué leur jugement moral. Ils ont cédé au Mal. Ils pouvaient refuser, dire : « non, je ne le ferai pas ».
Certains ont refusé. Le 12 avril des officiers supérieurs des FAR ont refusé d’obéir au Gouvernement intérimaire et ils ont été destitués. Des bourgmestres ont refusé dont Bagilishema. Des préfets dont celui de Kibungo ont refusé.
Tito Barahira et Octavien Ngenzi pouvaient dire NON : On peut toujours refuser. Ils pouvaient dire : NON. Je ne ferai pas ça. Je ne peux pas sauver ma vie au prix du déshonneur.
Ils ne l’ont pas fait. Ils se sont murés dans le mensonge.
Je suis arrivé sur la rive qui longe le fleuve de l’autre côté duquel l’accusation attend pour ses réquisitions.
J’ai entendu l’autre jour un mot qui m’a frappé. Ce mot est le mot pardon.
Quel mot magnifique. Y-a-t-il plus belle chose humaine que le pardon.
C’est la partie supérieure de la conscience humaine.
Mais vous n’êtes pas là pour accorder le pardon.
Le pardon, c’est la prérogative exclusive de la victime. Mais pour qu’elle puisse l’accorder, il faut lui demander. Parce que demander pardon à la victime, c’est reconnaître le mal qu’on lui a fait, c’est lui rendre la part d’humanité qu’on lui a volée dans le crime.
Tito Barahira et Octavien Ngenzi ont-ils demandé pardon ? Ils n’ont pas même formulé le moindre regret.
Vous, c’est la justice que vous avez à rendre.
Vous allez la rendre sans trembler, sans faillir.
Les parties civiles attendent votre justice avec la sérénité des âmes innocentes.
Michel Laval
Avocat à la Cour
Le 3 juillet 2018


En fin de soirée, monsieur BERNARDO commence le réquisitoire articulé en 3 parties.

1. “Son statut de bourgmestre signifiait qu’il avait eu un rôle décisionnel dans les tueries. C’est à eux qu’incombaient l’organisation et la planification des massacres. C’était eux qui recevaient les ordres officiels et qui étaient responsables de l’extermination au niveau local”. Anjan Sundaram, Bad news, Paris, Marchialy, 2018 (Traduit de l’anglais (Inde) par Charles Bonnot), p. 112.
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2. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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3. Attentat du 6 avril 1994 contre l’avion présidentiel. Voir également : FOCUS – Avril – juin 1994 : les 3 mois du génocide.
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4. Kangura : « Réveille-le », journal extrémiste bi-mensuel célèbre pour avoir publié un “Appel à la conscience des Bahutu”, dans son n°6 de décembre 1990 (page 6). Lire aussi “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).
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5. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
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Réquisitoire de monsieur BERNARDO et madame BELLIOT.
04/07/2018
• Réquisitoire – 1re partie – monsieur Frédéric BERNARDO : LE CONTEXTE
• Réquisitoire – 2e partie – madame Aurélie BELLIOT : LES FAITS
• Réquisitoire – 3e partie – monsieur Frédéric BERNARDO : LA PEINE

Réquisitoire – 1re partie – monsieur Frédéric BERNARDO : LE CONTEXTE
Mardi 3 juillet, en fin de soirée après les plaidoiries des parties civiles, monsieur BERNARDO prend la parole devant les jurés, laissant sa place habituelle pour se placer devant la cour, à l’endroit où les témoins viennent usuellement déposer.
Madame la présidente, messieurs de la cour, mesdames et messieurs les jurés, tout d’abord merci pour l’énergie qu’il faut de m’écouter encore ce soir. A ce moment des débats où l’on s’adonne à un exercice de synthèse, il est très important d’être clair, pertinent. Pour ce faire, je ne suis pas à ma place habituelle, car je souhaite m’adresser à chacun d’entre vous. La décision de la cour est certes collégiale, mais elle procède de décisions individuelles. Je souhaite partager avec vous, avec honnêteté et transparence, comment ont été menés les échanges.
Le procès a été long, 2 mois, ce n’est pas une durée habituelle. Deux mois pour juger le crime le plus grave qui soit, le crime de génocide et le crime contre l’humanité. C’est-à-dire l’élimination, le crime méthodique contre une population. L’inimaginable. Les débats ont été longs, mais vous avez tenu en dépit de la chaleur. Je vous dis ma reconnaissance d’avoir tenu dans ce marathon. Dans un marathon, l’essentiel c’est de bien démarrer, tenir la vitesse, arriver au bout. La ligne de fin est là. Ce procès a été très riche en nombre de témoins, d’experts – plus d’une centaine à la barre. Il y a eu beaucoup de lectures de pièces, assez indigestes. Pour ma part, je préfère les témoins directs. Sur 130 cités, plus de 100 sont venus : c’est exceptionnel. On a vu des films, avec de l’horreur, mais des images vraies. Dans les émotions exprimées, il y a aussi toute cette perception sensorielle : le bruit, les odeurs… ça fait partie de la réalité d’un génocide. Ça a été décrit par les gens qui y ont assisté, soit comme tueurs, soit comme victimes.
Je sais que nous assistons à une étape importante pour vous, les jurés. Ce n’est pas tous les jours qu’on a un dossier de génocide. Ça m’a chahuté, moi aussi. Nous avons partagé des moments d’une extrême intensité. Vous risquez d’être pris de vertige en reprenant votre vie, la semaine prochaine. Vous reprendrez différemment de ce que vous étiez avant cette audience. Vous allez retrouver vos vies, mais en attendant il va falloir décider. J’imagine votre tension entre la masse des informations et la façon de les utiliser. Car, j’en ai conscience, votre métier n’est pas de juger, il est de participer à l’œuvre démocratique. C’est ce qui fait la beauté de votre métier : amener vos expériences de vie, professionnelles, pour juger. Vous avez tous été confrontés à un moment ou à un autre à des décisions graves à prendre, des décisions où vous savez qu’elles allaient engager votre avenir à jamais. Une orientation professionnelle… Je suis sûr que vous avez eu un jour à décider – monter une entreprise, c’est une prise de risque. Après, on est fiers d’avoir pris cette décision. C’est vers cette fierté que je vous invite à vous conduire.
Vous avez entendu ce qu’on dit les parties civiles ; elles m’ont bouleversé. J’étais dans mon rôle, mais elles m’ont bouleversé. J’ai repensé à Marie MUKAMUNANA, le samedi, en prenant le train. C’est inhabituel d’être confronté à une violence sans borne. Nous sommes tous pétris d’une matière humaine. Je sais que vous aussi avez été chahutés. Après cette écoute, vous devez vous livrer au travail du tri, pour pouvoir décider. Notre rôle, à ma collègue et à moi, est de vous aider pour parvenir à une décision.
Pour parvenir à une décision, le code pénal utilise la notion qui est pour moi une des plus belles : celle de l’intime conviction. C’est une notion à la fois juridique et humaine. Intime conviction : deux mots. Ou si vous préférez, conviction intime. La conviction, il faut la prendre au sens britannique du terme, au sens de preuve. Elle invite à un travail de raison. On représente souvent la justice comme une balance, mais c’est avant tout une question personnelle de réflexion, de jugement, de bon sens, ce dont tout le monde est doté. Vous êtes là pour dire quelle est, selon vous, la vérité. C’est une justice « à hauteur d’homme », qui procède à des recoupements entre la version de l’un et celle de l’autre. Vous allez chercher également des vraisemblances dans les déclarations ; il faut les tester, écarter. Il faut aussi faire des déductions, ce n’est pas interdit, au contraire. N’attendez pas qu’un témoin vous raconte tout du début à la fin. Seuls les accusés ont tout vu. L’exercice, c’est de reconstruire ce qui n’est pas dit. La déduction, c’est déduire les conséquences d’une observation. Cette bouteille d’eau est pleine : soit elle n’a jamais été ouverte, soit elle a été ouverte et remplie d’eau. C’est le travail qui vous est demandé. Un travail de réflexion, de conviction, c’est à la portée de tous, il suffit de prendre son temps, réfléchir.
A côté de la conviction, il y a le travail de l’intime ; ça veut dire que ce que vous avez conclu des différents éléments de preuves, vous en soyez convaincus au fond de vous-mêmes. L’intime conviction, lorsque vous raisonnez, c’est avoir la certitude que vous avez bien décidé, que toute votre vie vous puissiez vous regarder dans la glace en étant fiers de vous. C’est une décision que vous devez prendre sans aucune concession ni avec les autres, ni avec vous-mêmes. Ça doit vous rendre fiers du travail accompli, avec la certitude que vous ne devez rien à personne (ni à la partie civile, ni à la défense, ni à moi-même). J’ai conscience que dans les procès difficiles on peut avoir peur de se prononcer. Mais derrière votre décision, il ne doit pas y avoir de posture d’évitement – « je n’ai pas compris donc je vote oui ; je n’ai pas compris donc je vote non ; je n’ai pas compris donc je m’abstiens »). Ça ce n’est pas possible. C’est à ça que sert le délibéré : vous n’avez pas compris, vous le dites. C’est à ça que sert le délibéré : vous ne devez rien à personne. Pour ce procès nous avons rouvert une des pages les plus sombres de notre histoire. Nous sommes au Rwanda, en 94. Le lieu et l’époque sont importants.
Replaçons-nous dans l’époque. Que se passe-t-il en 94 ? Sur le terrain politique, en 94, on est en train de solder le démantèlement de l’empire soviétique ; c’est Sarajevo, la guerre en Yougoslavie. En Afrique, plus loin de nous, c’est l’année où Nelson Mandela accède à la présidence de la République. Sur le plan culturel, la palme d’or à Cannes est décernée à Pulp Fiction. C’est juste pour se resituer. Sur le terrain musical, Kurt Cobain va trouver la mort en se suicidant. A ce moment-là, je sais ce que je faisais. Cette période peut vous paraître lointaine. Dès qu’on est sur le temps politique, ça nous paraît long. Le temps politique s’inscrit sur le temps long. En 94, on n’a pas internet, la source d’informations principale est le journal télévisé. On a des VHS. Ça aussi ça nous renvoie à une époque très lointaine, mais non. 24 ans, c’était hier ; 24 ans, ce n’est rien : le temps d’un emprunt immobilier… Demandez aux parents ce qu’est 24 ans. Ce que je veux vous dire, c’est qu’on n’est pas si éloignés que ça de ces évènements. On ne s’y intéressait pas alors qu’il concernait des hommes. Le génocide n’est pas un risque désincarné. Simone VEIL est partie dimanche au Panthéon et ça nous rappelle que le génocide n’est pas un risque lointain.
Au départ, avec le journal télévisé, on entend parler, avec un peu de racisme, d’une guerre : une vague boucherie à laquelle l’Afrique est habituée. Les journalistes sont venus, ils savent mettre des mots sur le phénomène, mais ils ne le font pas. C’est peut-être la peur : le génocide, c’est l’épouvantail absolu. Je me rappelle, j’étais à la fac. Le génocide, ça nous met à distance de la réalité. Déjà, le mot lui-même est hybride, avec une part de latin et une part de grec ; c’est étrange. Quelle différence avec le crime de masse ? Le génocide, il faut le relier à la possibilité de l’homme de tout détruire, un potentiel de destruction infini. L’arme nucléaire on la maitrise, mais pas le génocide. J’espère qu’après cette audience les journalistes de ce procès pourront rappeler qu’un génocide c’est supprimer de la surface de la terre un groupe humain dans son ensemble et à tout jamais. C’est cela un génocide, c’est bien ce crime qui a été réalisé au Rwanda en 94. L’objectif de ce génocide : garder le pouvoir et ne pas avoir à le partager.
Ce génocide est reconnu unanimement : Alison DES FORGES, GUICHAOUA, le conseil de sécurité et différents intervenants sont venus nous le rappeler – je pense à J.P CHRETIEN, AUDOIN-ROUZEAU et Hélène DUMAS. Ce génocide, c’était un chaos, un déferlement de haine qui a fait entre 800000 et 1 million de morts. Ça fait 10000 morts par jour, c’est la population d’une petite ville d’île de France. Au bout de 10 jours, ça fait tout un arrondissement de Paris. Imaginez les corps de la totalité de cet arrondissement couchés par terre, allongés sur les trottoirs. Ce génocide nous concerne tous.
Ce génocide s’est accompli à moindres frais avec des cartouches, mais surtout des machettes, par des hommes qui avaient tous les pouvoirs en main : l’armée, les médias, et même le soutien de la communauté internationale. Le TPIR a jugé 93 personnes. Parmi les personnes condamnées on a BAGOSORA, AKAYESU, Félicien KABUGA, Jean KAMBANDA… L’intérêt de ces décisions est qu’ils ont travaillé sur les mêmes choses que vous. Mais au TPIR, ça dure 3 ou 4 ans, et puis ils rendent une décision. Ici, on prépare le dossier avant de vous le présenter. Le TPIR fait le constat du génocide.
Parallèlement au dispositif international, il y a des juridictions rwandaises. Il y a celles qui existaient avant le génocide, mais devant le nombre des cas à juger le Rwanda met en place les GACACA [1], que je considère comme un exemple de justice transactionnelle (en France, on n’en est pas capable). C’est une procédure orale : moi, personnellement, ça ne me choque pas, chaque État s’organise comme il veut. D’autres juridictions, en Suisse, Allemagne, Finlande, ont eu à juger des cas de génocide. En France, ce fut le cas également, avec Pascal SIMBIKANGWA, poursuivi pour complicité de génocide (ce n’est pas tout à fait la même chose), et condamné à 25 ans de peine. (NDR. En réalité, SIMBIKANGWA a été condamné pour génocide, l’avocat général ayant demandé de requalifier le crime). Cette compétence universelle relève du fait que le crime contre l’humanité est indépendant des cultures. C’est le constat que nous sommes tous des enfants de Lucie, c’est ça qui nous rapproche, cette humanité. Cette compétence universelle a pour caractéristique d’être nourrie par l’imprescriptibilité. Grâce à cette règle les fugitifs, quand ils sont arrêtés, peuvent être poursuivis et répondre de leurs crimes. NGENZI est arrêté en 2006 à Mayotte sous le nom de Jean-Marie Vianney NTAGANIRA, le nom de l’artiste. Et BARAHIRA, lui, à Toulouse, s’appelle Tite BARAHIRWA, deux lettres qui lui permettent de vivre incognito.
Notre travail de citoyen, comme vous, est de voir comment on peut appréhender les faits et les preuves pour vous permettre de :
• Qualifier ces faits
• Voir en quoi ils constituent une infraction
• Enfin, proposer une peine
Pour cela, je voudrais m’adresser aux victimes, en toute honnêteté. L’avocat général n’est pas l’avocat des parties civiles, mais de l’État. Cependant, je veux vous dire toute mon admiration à venir parler sans demander la vengeance, mais juste pour venir rétablir la justice. Pour cela, je vous trouve admirables. Pour les accusés, j’aurai des mots, je leur dirai ce que je pense, en toute honnêteté.

L’enquête a connu des débuts hésitants parce que ce n’est pas tous les jours qu’on a affaire à des génocidaires. On ne sait pas comment prendre ce genre de dossier. Il y a un effort énorme à faire. Quand on n’a pas le personnel qualifié, c’est difficile. Depuis, nous avons le pôle génocide, c’est le gros progrès de la justice à la suite de ces deux procès. Comment ça commence ? Avec NGENZI. Malin comme il est, en 2006, il ne demande pas le rapprochement familial, il demande le statut de réfugié – il faut tout oser ! Il demande à se désolidariser du gouvernement de l’époque et ne parle pas de génocide. La demande d’asile ne fonctionne pas : il demande le rapprochement familial. Le préfet signale les événements au procureur d’appel de Mamoudzou (parce que NGENZI est là tout le temps). Il donne l’ordre au procureur en-dessous de lui d’ouvrir une instruction pour génocide. Mais le CPCR, entre-temps, dépose une plainte. Le travail du CPCR a été important à Mayotte, encore plus à Toulouse. BARAHIRA, il est là pour rapprochement familial. Il y a un mandat d’arrêt international contre lui. Pourtant à la fin, on le relâche. L’information judiciaire est ouverte seulement parce que le CPCR dépose plainte avec des parties civiles. Le CPCR a agi avec obstination, persévérance et montre combien le système judiciaire fait carence. Le CPCR a demandé à la justice de faire son travail. Il n’y a pas eu de demandes d’actes. Le CPCR a livré et a eu confiance dans les institutions de la France pour faire la lumière dans cette affaire de génocide.
Les gendarmes se rendent au Rwanda. Monsieur GRIFFOUL et madame CLAMAGIRAND vous ont expliqué : ce sont les gendarmes qui donnaient la liste au Rwanda des témoins qu’ils voulaient entendre. Et ils n’ont pas été ennuyés ! Et les P.V. sont en français, avec notre procédure pénale. A l’époque, il faut tout reconstruire en fonction des dépositions des témoins. On en arrive à aujourd’hui, un dossier de près de 30 tonnes ; près de deux cents témoins. On est loin des dix parties civiles du départ. Deux cents témoins. C’est la seule preuve, c’est vrai. On n’a pas de numéros de portable, d’appels enregistrés, de factures. On est au Rwanda en 94. Comme je le disais : la preuve parfaite n’existe pas. « Les experts », c’est une fiction. Si elle existait, on n’aurait pas besoin de vous. L’ADN a parlé ? Mais l’ADN ne veut rien dire ! On vous dira qu’on a beaucoup de témoins à charge, moins à décharge. Déjà, ça ne veut pas dire grand- chose. Il y a des témoins, point. On n’a pas de témoin à décharge parce que personne n’est venu apporter un alibi. On aurait pu avoir le problème qu’il n’y ait plus personne pour témoigner, c’est ce qu’on risque dans une affaire de génocide. Et même chez les menteurs, il y a toujours une part de vérité. Le mensonge, c’est le fait de broder, il n’y a jamais de mensonge total. Les victimes, les auteurs, tous parlent depuis leur point de vue personnel. Témoin à charge, à décharge, ça ne veut rien dire ; votre rôle est de les écouter jusqu’au bout, ensuite de réfléchir. Vous devez déceler les moments de contradiction entre la parole et le corps. Parfois, il y a des contradictions. On dit une chose avec les mots, mais le corps n’indique pas la même chose. Les vrais témoignages sont ceux où l’on parle d’une même voix : corps et mots.

Pour ce qui est du contexte, il faut s’acculturer. Je vais évoquer le contexte local, le contexte historique, et les faits proprement dits.
Quand on regarde le contexte historique, qu’est-ce qu’on apprend ? Le Rwanda est un pays de petite taille, très peuplé (7 millions d’habitants en 94), sans accès à la mer (c’est important). Ce pays, c’est la taille de l’Auvergne, avec toute la population Rhône-Alpes-Auvergne. Le Rwanda est un pays jeune qui faisait partie du Ruanda-Urundi allemand, ensuite colonisé par les Belges. La population est répartie en Hutu et Tutsi. Les Tutsi ont les terres, les Hutu sont plutôt en bas de l’échelle sociale. Le racisme, c’est une hiérarchisation qu’on fait entre les hommes qui permet tous les excès, et qui permet à la fin du XIXe siècle de s’approprier la terre. On va en faire deux races, alors qu’en réalité ils sont très proches. La distinction ethnique n’avait pas grand-chose de réel, surtout à cause des mariages, mais la dimension raciste a imprégné tout le réel. Le colonisateur va s’appuyer sur les Tutsi pour gouverner, jusqu’à se retourner quand l’idée de l’indépendance arrive pour mettre au pouvoir les Hutu. La décolonisation a pu être réalisée sans que tous les problèmes ne soient réglés, le Rwanda ne fait pas exception. Dès le début de la 1re République, on va assister à des massacres. La population tutsi va nourrir l’idée du retour. La 2e génération va s’organiser pour reprendre possession du pays, c’est ainsi que la guerre va éclater en 1990 et que des massacres contre la minorité tutsi vont avoir lieu. Le Rwanda va se retourner vers la Belgique et la France contre l’envahisseur. On a pu comprendre que l’intérêt pour la France ait été d’élargir sa zone d’influence, l’histoire le dira. Ce n’est pas ce qui nous occupe ici. Le cycle d’Arusha commence. Pendant qu’on prend du temps, on organise le pays pour tout faire pour que rien ne change. On va multiplier la propagande ; en 90, on a les Dix commandements des Bahutu, on voit la création de la RTLM, des appels à la haine (celui de Léon MUGESERA, en 1992), on retarde le moment où l’on va devoir s’engager devant la communauté internationale. « Le génocide est bien une option politique ; des massacres sont commis et on s’autorise à aller plus loin, le cas échéant » comme est venu le soutenir monsieur DUPAQUIER.
Alors comment est-ce possible ? L’État est très organisé, c’est un Etat présidentiel, dictatorial. A l’échelon central, on a le président entouré de ses proches. C’est un État hyper administré : 8214 cellules sur le territoire, ce qui signifie 3 km2 de territoire par cellule. Les cellules s’emboitent dans des secteurs, les secteurs dans des communes, les communes dans des préfectures et les préfectures sont aux mains des ministres. A la tête, on met des proches. A la tête des secteurs les représentants sont élus, mais les bourgmestres sont nommés directement (il y en a 144), mais au cas où ils ne seraient pas assez obéissants, on a des préfets au-dessus, au nombre de 12, plus faciles à diriger. Cette organisation redoutable est irriguée par le MRND, le parti fidèle au président. Au moment du multipartisme, ils ont l’intelligence d’ouvrir tout en neutralisant. Regardez RUZINDANA, PSD, le pauvre homme. Il est assassiné dès le début d’avril 94 ; que peut-il devant les autres ? La commune n’est pas une collectivité locale, le bourgmestre n’est pas le maire. En France le maire régit la collectivité territoriale comme il l’entend. La commune est une circonscription administrative d’État. En ce sens, le bourgmestre a toute la responsabilité du président de la république. Il a en charge la sécurité, c’est-à-dire la capacité à défendre et à protéger. Le bourgmestre se charge du « respect de la sécurité », il a cette autorité. Il a la possibilité de recruter et de donner des ordres à la police communale. Le bourgmestre a aussi la responsabilité de fixer les tâches, des travaux pour le Rwanda. Et puis ce pouvoir exorbitant, pouvoir au bout de son stylo, de cocher la bonne case sur les cartes d’identité : hutu/tutsi/twa, c’est un pouvoir inouï. Vous avez vu ce document immonde, la carte d’identité de RWIGEMA qu’il est venu montrer. Ça c’était un pouvoir dans les mains du bourgmestre. Voilà la situation du pays quand survient l’attentat présidentiel.
Le 6 avril 1994, l’avion du président tombe et là c’est le chaos total. GUICHAOUA a exposé la situation. D’un côté, il y a le putsch, de l’autre le génocide. Mais lui aussi il a évolué, monsieur GUICHAOUA il n’a peut-être pas vu les choses venir, il appelait le président « Juvénal ». Dès le 7 on bascule sur des attaques générales. On a fait grands cris sur cet attentat : ce n’est pas le sujet. Cet attentat pouvait servir les Hutu aussi bien que les Tutsi. Ce que je vois, c’est qu’après cet attentat les attaques ont concerné uniquement la population tutsi, et ça je ne sais pas comment on pourra l’argumenter. On procède à l’assassinat de la première ministre pour renverser le gouvernement et en même temps à des massacres. A Kigali ville, dont le préfet est Tharcisse RENZAHO assiste aux premiers massacres. Les Hutu du nord, on les trouve à Gisenyi : il n’y a pas de préfet et pourtant là aussi commencent les premiers massacres. J’ai cité RENZAHO et BAGOSORA [2] ; il en manque un : RWAGAFILITA [3]. Il doit assurer la sécurité, il contrôle les préfets. Lui aussi, il a un compte à régler avec les copains du précédent gouvernement. Tout ça va orienter les faits qui vont se produire à Kabarondo dès le 7 avril 94.


Suite du réquisitoire le lendemain mercredi 4 juillet :
Réquisitoire – 2e partie – madame Aurélie BELLIOT : LES FAITS

Madame la présidente, messieurs de la Cour, mesdames et messieurs les jurés. Depuis deux mois, nous nous attachons à comprendre ce qui s’est passé à Kabarondo. La façon dont 4000 hommes et femmes ont été massacrés pour être Tutsi, comment ces crimes ont été commis, mais surtout quelle part les accusés y ont pris.
Transportons-nous à Kabarondo, en avril 94. Kabarondo, 73km2, à l’est de Kigali, 1h30 par la route. Son centre névralgique, le centre-ville, s’étale de part et d’autre de la route asphaltée. Il y a des villages, des maisons éparses. Ne vous laissez pas impressionner par ces noms, cette complexité. Qui sont les accusés ? Tito BARAHIRA a 43 ans à l’époque, il travaille à Electrogaz, est Hutu, ancien bourgmestre de Kabarondo. Il est mis en cause dans une affaire de meurtre. Il faut retenir la perception des témoins : que c’était un homme violent. A la veille du génocide, il vient de se relancer en politique, il vient d’être élu président du MRND. En sa qualité d’ancien bourgmestre, c’est surtout une autorité. Octavien NGENZI, hutu également, est âgé de 38 ans. Depuis 86 il a pris la suite de BARAHIRA, il est bourgmestre. Il a fait le choix du MRND au moment du multipartisme. C’est un homme influent. Il est originaire de Rubira, ses idées sont des idées racistes notoires. Le grand patron de son secteur, c’est RWAGAFILITA [3].
A Kabarondo, à la veille du génocide, la situation sécuritaire est loin d’être idyllique, contrairement à ce qu’on a pu entendre. Des groupes violents sévissent. A Rubira, les Abalinda [4] ; à Bisenga, le Simba Bataliani [5], des militaires réservistes. Ils se réunissent dans des cabarets et tuent ici et là. Et puis des Interahamwe, avec à leur tête Bienfaiteur et Toto [6]. On vous l’a dit : un génocide n’est pas spontané. La géographie des massacres à Kabarondo et la chronologie ne sont pas liées au hasard. A Kabarondo, on tue dès le 7. On tue au sud, à Bisenga ; à l’ouest, à Rubira ; puis ça se propage à Rundu, Cyinzovu, et finalement à Kabarondo. Kabarondo est touché en dernier parce que c’est un secteur où les forces politiques sont équilibrées. Puis c’est là que se trouve l’église, longtemps inviolable. Ce dossier permet de reconstituer un puzzle, celui du génocide à Kabarondo. Cela n’a pas été aisé de le reconstituer, de reconstituer le sens des actes commis, surtout. Mais au fur et à mesure, tout a pris sens. La défense d’Octavien NGENZI tente de faire croire que vous seriez saisi des faits uniquement postérieurs au 13 [7], il n’en est rien. La responsabilité des accusés concerne le mois d’avril 94. Les magistrats qui ont eu à connaître le dossier l’ont eu sur l’ensemble des faits. Nous les avons débattus tout au long de ce procès. L’analyse du comportement de NGENZI au début des faits est très importante car il met en avant qu’il a été protecteur.

Les massacres commencent dans la nuit du 6 au 7 à Gasetsa. Du 7 au 13 les réfugiés arrivent à l’église. L’abbé INCIMATATA arrête la liste et le comptage le 11. NGENZI dit qu’il fait tout ce qui est en son pouvoir de bourgmestre pour arrêter les massacres, je vais vous montrer qu’il n’en est rien. Dès le 7, des hommes et des femmes tutsi sont attaqués à Bisenga, ce sont les premiers massacres. NGENZI y va. Ce qui importe, c’est ses recommandations. A Donatille KANGONWA, il conseille de tous se rassembler au domicile de Joseph, un homme tutsi – troublant. Le résultat de cette action politique, quel est-il ? Dès le lendemain des tueurs attaquent précisément à l’endroit où NGENZI leur a dit de se réfugier. Au petit matin, des hommes s’attaquent à Titiri. NGENZI arrive accompagné de policiers communaux et dit : « Vous n’avez pas honte de manger les chèvres alors que leur propriétaire est encore en vie ? ». Propos lourds de conséquences ; dès l’après-midi les Abalinda tuent les premières victimes. Les témoins rapportent : « Avec les paroles de NGENZI on s’est sentis autorisés à tuer les Tutsi », nous a-t-on dit. NDOBA nous a dit qu’il avait mis les auteurs des troubles dans le véhicule communal, qu’il pensait qu’on les arrêterait. Mais on les relâche. Oreste NSABIMANA, Jovithe RYAKA, Benoite MUKAHIGIRO, Christine MUTETERI fuient vers l’église. Christine MUTETERI voit son beau-frère Pilote agonisant sur le chemin. Pourquoi Octavien NGENZI conteste si vivement cette version ? Parce que dans ce cas précis, c’est précisément son intervention qui déclenche les massacres.
Les habitants de Rundu s’opposent aux habitants de Rubira sur la question de la participation aux massacres. NGENZI intervient pour régler le conflit, mais il ne dit rien sur les massacres. Est-ce que la situation s’arrange à Rundu ? Etienne GAKWAYA nous dit que le 11 il est enlevé par les Abalinda. Aucune réaction. Un peu comme quand Samson MUSONI vient lui demander de l’aide et qu’il dit qu’il ne peut rien. Florian MUKESHAMBUKA, Jean-Damascène RUTAGUNGIRA nous disent son absence de réaction lors de pillages. Quant à Oscar KAJANAGE, son ami d’enfance, quand il vient voir NGENZI pour enterrer les proches de ses proches, que fait NGENZI ? Il se rend à Rubira mais revient en disant que ce n’est pas la peine d’enterrer les corps. Il rend à Oscar l’argent et les nattes précédemment confiés. Est-ce le comportement d’un bourgmestre ?
Octavien NGENZI circule tout à fait librement, mais est-ce qu’il fait des réunions, essaie de rétablir la sécurité ? Je passe sur la réunion des bourgmestres à la préfecture, le 8 avril. S’il en était une, c’est la réunion à laquelle il se devait d’assister. INCIMATATA nous dit qu’il le voit devant la préfecture. NGENZI nous dit qu’il n’y a pas été, qu’il n’est pas informé. Finalement la seule réunion organisée par NGENZI, c’est celle du 11 au bureau communal, au cours de laquelle on lui demande d’aller à la préfecture chercher du renfort. Or on ne le voit plus de la journée. Octavien NGENZI est venu à Kibungo le 11, mais on le voit non pas à la préfecture, mais au camp militaire Huye. Cela nous est confirmé par CYASA et ce militaire de passage, Gérard BASIMBUKA. Ce n’est donc pas à la préfecture, mais au camp Huye dirigé par RWAGAFILITA que NGENZI va chercher les ordres.
Qu’advient-il des rondes ? NGENZI les fait cesser. Position difficilement compréhensible vu le climat de massacres. Décide-t-il de poster des policiers communaux autour de l’église ? Non plus, pour ne pas créer de sentiment d’encerclement dit-il. Rappelle-t-il les policiers réservistes ou en congés ? Non, Manassé l’a dit. Dans un contexte d’afflux des réfugiés, il ne se rend pas à la paroisse, à l’église. Non. Est-ce qu’il cache des Tutsi chez lui alors que les rafles n’ont pas commencé ? Non. Tout ce qu’il fait, c’est transporter (au Centre de santé, à l’IGA). Il faudra apprécier cette action.
Mesdames et messieurs, il faudra vous poser ces questions :
Est-ce que les interventions d’Octavien NGENZI ont pour effet d’arrêter les massacres ? – Non.
Est-ce que les interventions d’Octavien NGENZI ont pour effet de les déclencher à Rubira ? – Oui.
Est-ce qu’Octavien NGENZI conserve son autorité de bourgmestre ? – Oui.
En résumé, entre le 7 et le 12 avril, loin de faire cesser ou de ralentir les attaques, il les permet, en accréditant l’idée qu’elles sont inéluctables. En confortant les tueurs soit par son inaction, soit en les encourageant. En prenant la responsabilité de les rassembler au même endroit.

La responsabilité de Tito BARAHIRA apparaît de façon moins diffuse. Il est vu par David X et l’abbé INCIMATATA. INCIMATATA relève la gêne de BARAHIRA face à ces accusations, BARAHIRA le nie. Il est vu par Jovithe RYAKA et Jacqueline MUGUYENEZA. Finalement la responsabilité de BARAHIRA se concentre sur le 12 et le 13 avril. Mais ne vous y trompez pas : ces journées sont capitales, décisives. On bascule dans le massacre de masse. On sait que le secteur de Cyinzovu est d’abord épargné par les massacres de masse. Tito BARAHIRA s’occupe de sa bananeraie, il ramasse du foin. La seule nouvelle remarquable, c’est le meurtre de François NTIRUSHWAMABOKO, sauf que BARAHIRA situe ce meurtre le 9 alors que les autres le situe le 12. C’est plus commode, car le 12, on parle de meurtres organisés à Cyinzovu. Or Tito BARAHIRA est vu sur la zone par plusieurs témoins. Florian MUKESAMBUGA, BARAHIRA lui ordonne de le suivre : « Je ne pouvais pas refuser de le suivre » nous dit-il. Il est vu aussi par son cousin, Samson MUSONI, qui nous le décrit porteur d’une machette. A-t-il tué de ses mains ce jour-là ? Là n’est pas l’essentiel : il est identifié par des témoins comme étant à la tête d’attaquants armés.
J’en arrive à la réunion au terrain de foot. Je vous demande de retenir la date du 13 avril au matin. Ernest NTAGANDA, Samuel NSENGIYUMVA, Patrice NGIRUMPATSE : tous ont été entendus pour des meurtres dans la forêt Projet. Tito BARAHIRA a fermement nié l’existence de ce terrain de foot. Bien sûr qu’il existe. Il est reconnu par tous, même les témoins de la défense. La question est alors : est-ce que cette réunion a eu lieu ? Ça ne fait aucun doute. La défense parle d’un complot ourdi. On vous dit que la réunion n’a jamais eu lieu selon d’autres témoins. Mais Samson MUSONI, qui n’a rien contre son cousin a dit qu’il était venu à cette réunion, mais qu’elle était finie. Et que les autres lui avaient dit que BARAHIRA avait dit « d’assurer la sécurité ». Que dit BARAHIRA à cette réunion et que se passe-t-il ensuite ? Il y a des constances dans les témoignages :
• Cette réunion est présidée par BARAHIRA.
• Il s’y trouve 200 ou 300 hommes armés de lances
• On y délivre des instructions claires : « Rentrez chez vous, assurez votre sécurité». On comprend toute la puissance des doubles discours du génocide.
• Cette réunion est suivie de massacres d’hommes et de femmes tutsi.
Madame la présidente, messieurs de la cour, mesdames et messieurs les jurés, je vous demande de vous rappeler le témoignage de cet enfant, de cette vieille dame, de cet homme, battus à mort à coups de gourdin, de lance. Les motifs de ces meurtres sont : tuer les Tutsi, ce qui devient une loi. C’est lui qui a ordonné, Tito BARAHIRA, c’est donc lui qui a fait commettre ces meurtres.
J’en arrive à la journée sanglante du 13 avril. Cet enfer pour les rescapés, dans le sanctuaire de l’église. Entre 2500 et 3000 personnes, des hommes, des femmes, des bébés, des enfants. Gardez en mémoire les dimensions gigantesques de cette église : 4 fois notre salle d’audience. Or les réfugiés ne tiennent pas à l’intérieur, on sort. Octavien NGENZI est le seul à pouvoir avoir une idée du nombre de victimes : il a participé à l’ensevelissement. Il a dit qu’il y avait là 95% de la population tutsi, ce qui fait 4000 morts, on est loin des 300 annoncés. Les rescapés sont les seuls témoins. Le déroulement du massacre de l’église, ce sont les récits qui permettent de le reconstituer. Et puis les témoignages des policiers communaux.
La journée commence par la messe quotidienne, vers 6h. Plusieurs témoins voient NGENZI passer, pas l’abbé INCIMATATA. Constance MUKABAZAYIRE voit NGENZI tenir une réunion sur la place, c’est aussi ce que dit un attaquant. En tout cas, ce qui est établi c’est que le conseiller de secteur va chercher les réfugiés pour les conduire à une réunion sur la place du marché. Finalement, qu’Octavien NGENZI ait été présent ou non sur la place n’est pas le plus important, le plus important c’est qu’elle ne pouvait pas se tenir sans l’aval du bourgmestre. Était-ce un guet-apens ? Les hommes réfugiés qui se présentent sont soudain attaqués, environ 500 hommes dit l’abbé. Dirigés par INCIMATATA, ils se défendent avec des pierres pendant près d’une heure. Puis une grenade est lancée, c’est la fin de la résistance. Puis c’est l’arrivée du Simba Bataliani, suivies de camionnettes remplies de militaires. Dès leur arrivée, la scène se transforme en massacre de masse. Des mortiers sont installés devant l’église.
Ces militaires, il est clair qu’ils ne passent pas par hasard. CYASA, ce chef des Interahamwe de Kibungo, il vous l’a dit, qu’Octavien NGENZI était reparti avec un camion rempli de militaires et de mitrailleuses. Il vous a dit qu’il venait régulièrement au camp. Rappelez-vous de ce que vous ont dit les policiers. NGENZI aurait dit : « Les militaires vont venir, il faut les laisser faire ». A NDOBA, il oppose une fin de non-recevoir. Et puis ces trois policiers communaux ont tous expliqué que NGENZI a participé aux côtés des militaires. NDOBA, GATABAZI, Manassé MUZATSINDA le disent : il pousse la porte (de l’église). Straton GAKWAVU a dit que les policiers communaux tirent sur les réfugiés qui veulent aller au centre communal. Manassé vous a dit qu’il se sent obligé de tirer en vertu de la présence des autorités. Il parle des militaires, mais surtout du bourgmestre. Rappelez-vous de l’incohérence des propos de NGENZI ce jour-là : il est resté 6 heures sur les marches du bureau communal, il n’a rien vu.
L’église se remplit de cadavres. Augustin NTARINDWA, alors âgé de 6 ans, perd toute sa famille. A 17h, l’église est jonchée de cadavres. Mais le massacre ne s’arrête pas là, et les accusés y prennent leur part. Le tri commence. A travers le tri, on comprend ce que sont le génocide et le crime contre l’humanité. On comprend que le génocide n’est pas une somme de crimes mais l’idée que certains ont le droit de vivre et d’autres pas. NGENZI et BARAHIRA en font partie. Jean-Damascène relate de manière claire l’ordre de Tito BARAHIRA d’achever, de ne pas épargner les Tutsi. Madame la présidente, messieurs de la cour, mesdames et messieurs les jurés, vous vous rappellerez le sort des victimes. Après les massacres sonne toujours l’heure des pillages. Tito BARAHIRA ne supervise pas seulement le tri, il participe. Joséphine l’implore, dit qu’elle est Hutu. La scène est rapportée par 3 témoins. Constance MUKABAZAYIRE nous dit qu’il refuse d’épargner le fils de François NTIRUSHWAMABOKO. Tito BARAHIRA ose dire à Marie MUKAMUNANA de patienter. N’oubliez pas que ces hommes et femmes brisés sont venus témoigner puis sont retournés vivre sur la colline à côté de leurs meurtriers, avec la peur que demain tout peut recommencer.
La défense de Tito BARAHIRA est variable. Il a d’abord dit qu’il n’a rien vu. Il prétend que la fumée au-dessus de l’église vient de la cuisine que font les réfugiés. Il voit 5 corps, pas un de plus. Et que dire de cette coupure de courant ? Que dire de ces propos avec Octavien NGENZI qu’il aurait eus avant qu’il ne se rétracte ? Tous les deux nient les accusations, mais tous les deux disent qu’ils étaient présents. Mais aucun n’a secouru les blessés, et ça ne semble pas leur poser problème quand on les questionne.
Octavien NGENZI a rassemblé les réfugiés dans l’église, il a permis le massacre, mais il l’a aussi encouragé, supervisé auprès des militaires ; par ailleurs il est armé et présent au moment du tri. Quant à Tito BARAHIRA, il apparaît au moment du massacre final, au moment du tri. On a mesuré les effets de son aura à Cyinzovu. Tant NGENZI que BARAHIRA sont impliqués dans ce massacre, chacun avec sa personnalité et sa position dans la commune. Telle est ma conclusion.

***

Mais hélas le génocide ne s’arrête pas le 13 avril à Kabarondo. Car il faut effacer les traces, terminer le travail, alors du 13 au 17 avril s’enchainent plusieurs évènements :
• L’enfouissement des corps.
• Le massacre du Centre de santé et de l’IGA.
• Les perquisitions.
• Les rafles, terribles.
Octavien NGENZI est l’organisateur, il est présent partout, sur toutes les scènes. Il nous dit qu’il est dépassé, qu’il a perdu toute autorité mais tout, tout dans le dossier démontre le contraire : qu’il utilise son autorité au service du projet génocidaire.

Madame la présidente, messieurs de la cour, mesdames et messieurs les jurés, imaginez la désolation au soir du 13. Ces survivants auxquels personne ne vient porter assistance, qui agonisent… Au lieu de protéger les survivants, Octavien NGENZI fait le choix de faire garder son propre domicile le 13 avril au soir. Par ailleurs, ce qui est important pour NGENZI c’est l’odeur et le motif sanitaire. Derrière cette problématique se dissimule aussi une problématique génocidaire : le FPR avance, il faut effacer les traces. C’est la marque du génocide. NGENZI va à Rubira, dans son secteur, chercher des hommes. Anaclet RUHUMULIZA, Toto et Bienfaiteur en font partie. Ce n’est pas la force de conviction d’Octavien NGENZI qui convainc les hommes de le faire, mais son pouvoir coercitif de bourgmestre. Il arrive avec un véhicule de la commune et des hommes armés. Les témoins vous l’ont dit : ils sont contraints de suivre, de monter dans le véhicule. Ils passent prendre des outils au Cérail. Le but n’est pas seulement l’enfouissement, mais d’achever les survivants. Octavien NGENZI et ses policiers encadrent l’intégralité des opérations, encadrent les récalcitrants à cette tâche si terrible. Ce n’est pas un enterrement : on ne les dénombre pas, il n’y a pas de messe, on les jette à même le trou. L’objectif de l’opération est de nettoyer avant l’arrivée du FPR.

Dans la foulée, NGENZI ordonne aux hommes d’aller exécuter les survivants au centre de santé et à l’IGA. « Allez là-bas, débarrassez-moi aussi de ceux qui sont allés au Centre de santé » nous a dit Jean-Damascène RUTAGUNGIRA. Géraldine UWAMAHORO, la fille d’Osée KAREKEZI. Marie-Goretti, l’infirmière, ont rapporté les propos d’Octavien NGENZI dans les jours précédents, ses propos fatalistes sur le sort des Tutsi. NGENZI nous a dit la semaine dernière qu’il a déchargé des médicaments au Centre de santé le soir du 13. Au contraire, ce que vous retiendrez du témoignage de Véronique, c’est qu’il a refusé de laisser les médicaments au Centre pour les emporter avec lui à Benako. Les victimes sont parfois tuées à même leur lit, puis jetées à même la fosse. On a parlé d’une cinquantaine de corps. Donatille KANGONWA et Félicien KAYINGA survivent en mentant sur leur ethnie. On voit NGENZI; on le voit donner l’ordre de tuer les Tutsi du Centre de santé pour nettoyer. Lui dit qu’il a entendu parler de ce massacre à Benako. Le refuge au centre s’est refermé comme un piège sur les rescapés.
Après le Centre, NGENZI ordonne à certains hommes de se rendre à l’IGA. Il n’y a pas de rescapé. On sait que CYASA y a participé ; des hommes sont fusillés contre un mur. On nous rapporte que le bourgmestre est « furieux et agressif », « armé d’un pistolet » et qu’il donne des ordres. On voit mal l’intérêt que CYASA aurait à condamner le bourgmestre (il est condamné à vie). En tout cas les témoignages ne cadrent pas avec la version de NGENZI selon laquelle il aurait entendu des coups de feu et serait venu. Reste la date avancée par NGENZI, le 14. On ne peut dater avec précision l’événement, mais la date du 15 ou du 16 me semble la plus probable, celle avancée par les participants. En réalité à l’enfouissement, pendant les massacres, à chaque fois NGENZI est présent, a de l’autorité ; il donne des ordres : d’enfouir, de tuer.

Parallèlement à ces massacres, entre le 14 et le 18, des familles subissent des perquisitions. Leur point commun : ce sont des couples mixtes – Jean, Osée KAREKEZI, les époux X. Tous les situent dans la foulée de l’IGA. On n’a pas de certitude. Chez Jean et Osée, NGENZI arrive avec les Interahamwe. Il dirige les opérations. On le voit avec un révolver à la ceinture. On lui remet de la bière, de l’argent.
On perd trace de BARAHIRA dans ces journées. Osée KAREKEZI le voit aux côtés de NGENZI, mais ce n’est pas corroboré par d’autres témoins. Il ne faut pas le retenir.
Octavien NGENZI ne nie pas sa présence, mais il dit qu’il est là pour les protéger. Ce qu’on retient, c’est que ce n’est pas du tout comme ça que l’on a perçu ces familles. La dernière perquisition chez les époux X a clairement un but meurtrier. Chez les époux X, ils trouvent la sœur cachée dans le plafond. On fait sortir la femme X et lui fait promettre de ne mettre au monde que des enfants hutu. Les Interahamwe somment l’époux X de tuer sa belle-sœur. Il n’y parvient pas. Octavien. NGENZI est là. On l’attaque, mais elle ne meurt pas ; elle est enterrée vivante. NGENZI dit qu’il arrive quand l’époux X a tué sa belle-sœur. Madame la présidente, messieurs de la cour, mesdames et messieurs les jurés, ce qu’on doit retenir c’est que c’est Octavien NGENZI, un bourgmestre, qui se conduit en meneur des Interahamwe, qui fait preuve de sa pleine autorité, qui mène les perquisitions.

J’en viens à la rafle du 17 avril et au massacre d’une rare violence de ce qui reste des Tutsi. Au 17 avril, très peu de Tutsi ont survécu. Dans le centre- ville de Kabarondo, ils sont cachés dans 3 endroits :
• Chez Médiatrice UMUTESI
• Chez Octavien NGENZI
• Au bureau communal
Chez Médiatrice, des gens se sont cachés, très nombreux, après le massacre de l’église. On parle d’une quarantaine. Nous trouvons Jacqueline MUGUYENEZA revenue de l’enfer, Augustin NSENGIYUMVA, plusieurs proches, des parties civiles. Pendant ces quelques jours on vit dans la terreur, cachés, pour se faire oublier.
D’autres réfugiés sont chez NGENZI: Alice, la belle-mère de NGENZI l’abbé Papias arrivé le 14 au matin. Au bureau communal, il y a la dactylo de la commune, Dative, la femme d’Oscar KAJANAGE, et ses 3 enfants, et puis le comptable Augustin. Une question se pose : pourquoi NGENZI ne conseille pas aux réfugiés qui sont chez lui de fuir ? Il sait depuis l’église qu’ils sont traqués ; ces réfugiés, il en a la responsabilité.
Que se passe-t-il le 17 avril ? Il a fallu rétablir encore une fois le puzzle. Pour une fois, NGENZI ne dissimule pas les faits mais conteste son rôle et la date. On a d’abord, la rafle chez NGENZI, puis chez Médiatrice, et enfin le passage au bureau communal. 2 véhicules s’y rendent : celui des militaires et celui de la commune. Les militaires somment les réfugiés de sortir. Ils sont encerclés, braqués, alignés par les militaires. Octavien NGENZI est avec eux, armé d’un fusil (tous le disent). Il n’est pas effrayé, alors que des témoins viennent d’être raflés chez lui. Jacqueline le supplie, NGENZI la rembarre. Médiatrice, aussi. Elle a de l’argent, elle monnaie sa vie. Quelques réfugiés échappent à la rafle, comme Augustin NSENGIYUMVA En tout cas la version de NGENZI selon laquelle il aurait sauvé n’est corroborée par personne. Le convoi part. Les militaires lui demandent s’il y a des réfugiés dans le bureau communal, lui seul le sait : ils y vont. Il y a là Dative et ses 3 enfants. NGENZI dit qu’il arrive à sauver le comptable et l’abbé Papias. Il soutient qu’il prend la direction de l’évêché de Kibungo, il conteste sa présence sur le terrain de l’exécution. Sauf que ce n’est pas ce que disent les témoins.
Cruauté totale de ce massacre. Imaginez le convoi, avec des réfugiés entassés dans les camions. On fait une halte au camp militaire, puis au centre de santé, et terminus : le bureau communal de Birenga. Les militaires chantent : « Exterminons-les ». On supplie Octavien NGENZI. Le massacre est implacable, aucune chance n’est laissée aux survivants. Les Interahamwe ont des fusils, mais on ne les utilise pas : ils tailladent. Jacqueline voit NGENZI diriger les opérations. Le policier communal Jean-Baptiste GATABAZI aussi témoigne de ce rôle. Papias a aussi dit aux évêques qu’il est allé à Birenga. L’abbé a rapporté les propos de NGENZI : « Je le ramènerai si vous me donnez l’argent ». NGENZI essaie de se présenter comme sauveur, mais pas du tout. Il menace de le livrer aux tueurs contre de l’argent. La rafle, ce sont des dizaines de réfugiés convoyés et exécutés, c’est le projet génocidaire conduit jusqu’à son terme, hommes, femmes, enfants tutsi. Qui d’autre que lui pouvait savoir où ils étaient cachés ? Les militaires venaient de Kibungo, pas de Kabarondo. Ils les conduit et supervise les opérations, ce n’est qu’après qu’il emmène Papias.
Reste à savoir quelle date. NGENZI dit que c’est le 15. Pourquoi ? Il cherche à dire qu’il est parti plus tôt que les crimes ultérieurs qui auraient donc été commis par le FPR. Sauf que tous les témoins, tous datent au 17. L’évêque marque le 17 dans son journal de bord.

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Enfin, après ces rafles, NGENZI ne quitte pas tout de suite Kabarondo. Il dirige la résistance contre le FPR. NGENZI le conteste, prétend qu’il est parti le 16 au matin, mais des témoins le contredisent. Ce comportement jusqu’au boutiste n’est pas le fait d’un homme dépassé mais est le signe d’un engagement, d’une conviction. Voilà les implications : une réunion le 13 avril, un massacre de masse, des faits ultérieurs qui sont la marque du jusqu’au boutisme génocidaire. Ces massacres sont organisés, coordonnés. Quelles sont les responsabilités des accusés ? BARAHIRA, il organise puis fait le tri. NGENZI, son implication qui paraît de prime abord plus diffuse se révèle jusqu’à aboutir à une implication directe dans ce massacre d’avril 94 à Kabarondo.


Réquisitoire – 3e partie – monsieur Frédéric BERNARDO : LA PEINE
Monsieur BERNARDO reprend sa place devant la cour, et ne parlera pas dans le micro mais à voix haute, comme il nous l’annonce.

Madame la Présidente, messieurs de la cour, mesdames et messieurs les jurés, je commence tout de suite au micro pour m’adresser à la salle, pour dire que je ne resterai pas toujours au micro car le procès s’adresse ici, à la cour. Je vais essayer de parler le plus fort possible.
Madame la Présidente, messieurs de la cour, mesdames et messieurs les jurés, je prends la suite de ma collègue qui vous a rappelé les faits et les positionnements des accusés à l’égard de ces faits. Environ 4000 morts. Avec ces propos on a touché l’intention génocidaire. Mon propos va s’articuler en 3 points :
• Partager avec vous mon analyse de la défense
• Partager avec vous mon analyse sur les conséquences juridiques des faits
• Vous proposer la peine, dont j’avais dit qu’elle doit être une peine juste.

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Premier point, sur la défense. Sur deux étages : la défense directe des accusés et celle des professionnels. Voici mon analyse. Sur les accusés, vous avez pu remarquer une forme de concertation, à la fois pendant l’instruction, mais aussi dans cette salle d’audience. Elle consiste à prêter à l’un ou l’autre un rôle de sauveur. BARAHIRA affirme avoir eu une conversation avec NGENZI lors d’une confrontation, il le dément ici. Et puis il y a une autre forme de concertation, elle concerne l’enjeu, ne pas accuser l’autre : on ne s’est pas vus ! « Ce monsieur, je ne le connaissais pas, Ce n’est pas mon ami ». Ils ont pourtant leurs coordonnées. Nous n’avons pas de conversations enregistrées, mais des numéros, dans les agendas. Donc une défense concertée, où l’on ne se connaît pas. Les loups ne se mangent pas entre eux.
L’autre axe de la défense, c’est la technique de l’embrouille. Il y a deux types de question : ouverte ou fermée. Même les questions fermées où l’on doit répondre par oui ou non, ils s’embrouillent. On ne sait jamais, ça va peut-être marcher ! Cette technique ne mène pas loin parce que c’est difficile de mentir. Inventer une réalité, ça demande des détails : plus il y en a, plus c’est dur de les retrouver. Après, on arrive à des contradictions comme lundi (NDR. BARAHIRA avait soutenu qu’il n’avait jamais parlé à NGENZI le 13, alors que l’avocat général lui rappelle qu’il a dit l’inverse devant le juge d’instruction ; BARAHIRA lui rétorque qu’il était malade, qu’il n’a rien compris, qu’il n’a pas relu le PV parce qu’il avait perdu ses lunettes). BARAHIRA qui dit qu’il était malade lors de la confrontation, qu’il a perdu ses lunettes (NDR. L’avocat général a demandé un visionnage de la vidéo de l’interrogatoire devant la juge d’instruction : on le voit bien portant, avec des lunettes ! Il dit que ce sont des lunettes qu’on lui a prêtées !)
La défense pour BARAHIRA : c’est un complot des habitants de Rugazi. Pourquoi pas ? La grande majorité des témoins viennent de Rugazi. Ils ont entendu les appels de BARAHIRA et les ont exécutés. Ce qui est important dans un témoignage, c’est comment c’est dit. Je pense à cet homme qui a été exfiltré de l’église, qui parle avec son oncle HABYARIMANA François, et qui nous apprend qu’il y a eu une réunion sur le stade de foot présidé par BARAHIRA. Voilà, vu l’enchainement des faits, j’ai du mal à y voir un complot. On sait également qu’il y a eu des morts. Il y a une réunion, présidée par BARAHIRA, et il y a des morts.
Pour NGENZI, il dit qu’il a tout fait pour aider, qu’il n’a pas été soutenu par les autorités. Il emprunte au jugement MPAMBARA et BAGILISHEMA pour faire de lui un bourgmestre sauveur, dépassé par les événements. En quoi pour NGENZI le dossier est-il comparable ? Dans le dossier MPAMBARA, il y a le chef de la paroisse, le père Santos, qui dédouane complètement monsieur MPAMBARA, ce qui a convaincu le TPIR. Il a été avec le responsable de la paroisse voir le préfet. Monsieur NGENZI dit qu’il y est allé, mais avec qui ? Le 8, on le convoque : il n’y va pas ; en revanche, il a des rendez-vous privés. Il n’a pas organisé de réunion. Alors bien sûr, il n’avait pas le temps : il était taxi, brancardier, livreur de bois. Il se compare à MPAMBARA et BAGILISHEMA. Vous l’aurez remarqué, il n’y a aucun Tutsi qui aurait été en vie à ce jour. On parle d’Alice. Mais c’était une Hutu ! On dit qu’elle était mi-Tutsi mi-Hutu mais son père était Hutu, donc elle était Hutu ! C’est clair. C’est pas du tout pareil que de sauver des Tutsi. On a aussi voulu récupérer de l’argent et sanctionner des Hutu qui ont osé ne pas participer aux massacres. KAREKEZI, on lui a fait le reproche aussi de ne pas participer aux massacres et à l’enfouissement. Donc ces positions, ça ne tient pas, ni pour l’un, ni pour l’autre.
Donc, après l’embrouille, on va faire diversion. NGENZI, un matin (au cours du procès), nous dit qu’un homme est venu du Rwanda pour le tuer derrière la souricière. J’ai dépêché une enquête : c’étaient deux personnes, dont un SDF, et il a surpris de simples échanges de voix. Un délinquant de droit commun impliqué dans une affaire de viol. On va lancer également dans ce dossier un référé, pour se plaindre des comptes-rendus d’audience publiés par le CPCR, rejeté comme il se doit.

Passons à la défense des professionnels. Ce que je vais dire n’est pas contre eux personnellement. Dans le prolongement de l’embrouille, les avocats ont essayé de polluer le débat sur le principe de l’égalité des droits. On est venu vous parler de Bonaventure MUTANGANA venu pour témoigner à propos de son frère, Pascal SIMBIKANGWA cité par la défense. Et on a donné l’instruction d’aller l’interpeler. C’est ça les menaces exercées ? C’est juste le respect de la loi.
On a dit que les témoins sont orientés par le Rwanda. On l’accuse de dictature, etc, mais ici on va user des arguments de la dictature : on va aller jusqu’à demander aux témoins ce qu’ils ont dans leurs poches. Je n’ai jamais vu ça.
On a dit que le procès était injuste, on vous a aussi dit que la procédure n’était pas adaptée, qu’il était trop court, que la justice française n’est pas adaptée. Pourtant, il faudrait s’en féliciter quand elle prononce un non-lieu pour l’abbé MUNYESHYAKA ! Ok.
On s’abrite derrière les déclarations de GUICHAOUA, pour qui le génocide des bourgmestres n’existe pas, il n’y a que le génocide des préfets, au 19 avril.
Et puis on va vous dire qu’il n’y a pas d’entente. On voudrait vous dire que sans PV de réunion on n’a pas d’entente donc pas de génocide. Tout ça est faux. Le génocide et l’entente sont distincts. C’est pour vous embrouiller. Tout ça s’est coordonné, effectué en même temps, selon le même mode opératoire, par les mêmes acteurs. Avant le 19 avril. Il se passe les mêmes choses à Gisenyi, Kigali et Kibungo. Ce sera la même chose dans la phase d’industrialisation.
Ensuite, on va descendre dans le débat, la défense va dire que les témoins se sont concertés. Certes il y a des différences, mais chacun dit ce qu’il a vu. On ne peut reprocher à quelqu’un de ne pas avoir vu, ce n’est pas sérieux. Au Rwanda, pays situé à l’équateur, il y a 12 heures de jour et 12 heures de nuit. Le rythme de la journée, c’est le soleil : quand il se lève, quand il se couche ; et l’environnement immédiat des témoins c’est la cellule, la colline. Dans un paysage nouveau, on n’enregistre pas tout, c’est normal.
La question fondamentale lorsqu’on aborde les témoignages c’est toujours de voir comment les choses sont dites. Par exemple, sur la présence de NGENZIi au camp Huye après le 13 ; un militaire qui est là alors que les corps sont en train de pourrir dit qu’il n’a pas vu NGENZI à ce moment-là mais qu’il l’a vu les jours précédents au camp Huye. C’est une autre manière d’avoir un témoin.
On a des témoins de moralité. Qu’apportent-ils ? Rien comme information, juste des déclarations : « il est sympa » ; mais le crime est une capacité qui existe chez tout homme. Puis on a des témoins de faits qui finalement ne témoignent de rien pour la défense car ils disent : «Je n’ai rien vu, je n’ai rien entendu, il n’y était pas », ce qui ne permet pas de localiser NGENZI à un autre endroit. (L’avocat général cite des témoins) : on mesure l’influence du clan BARAHIRA à Cyinzovu. Par ailleurs, on a des témoins de faits qui ne fournissent pas d’alibi mais qui se retrouvent embarrassants : le témoin qui sort du groupe mais qui se joint aux assaillants ; on va voir KAMPIRE Odette, une force inouïe, qui se trouve dans un clan quand même, celui des génocidaires ; KANAMUGIRE Justin : des déclarations abracadabrantes ; KAYUMBA, qui essaie de décharger BARAHIRA, mais qui le charge en même temps parce qu’il dit qu’à 5 km il a entendu les bombardements contre l’église ! (NDR. Alors que BARAHIRA, qui habite plus près, dit n’avoir rien entendu).
On a des témoins de contexte locaux : BAGILISHEMA qui met en relief tout ce que NGENZI n’a pas fait. Le danger, pour NGENZI, c’est plutôt que Dative s’empare du tampon qui comporte la mention Hutu/Tutsi… Il y a d’autres témoins qui ne sont pas venus, des gens qui ont sans doute tourné la page ou ne sont pas au clair avec la justice. Leur crédo : « J’ai confiance dans la justice de ce pays, mais sachez que… ».
MATATA, encore une réplique de la propagande en miroir. Guillaume ANCEL, le militaire, qui évoque un événement de l’opération Turquoise. PEAN, qui évoque la justice des vainqueurs. REYNTJENS, pas venu, il ne voulait pas être soumis à la critique. On essaie de refaire l’histoire, mélanger la petite et la grande, mais chaque discipline a son mode de raisonnement. On voudrait remettre en cause l’histoire nationale pour remettre en cause les évènements de Kabarondo. Ce n’est pas comme ça. Vous pouvez être à la recherche d’un emploi, avoir en début de mois l’information qu’au niveau national le chômage régresse et ne pas trouver d’emploi. Les deux propositions sont vraies, et non conciliables. L’histoire nationale, il faut l’oublier quand on examine l’histoire locale.
On essaie de vous mettre mal à l’aise par rapport au rôle de la France dans les responsabilités de l’époque. Est-ce que la responsabilité de la responsabilité morale de la France auprès des militaires de l’époque, qu’elle a formés, excuse les auteurs du génocide ? La réponse est non. Les accusés doivent en répondre.
Et puis je vais vous poser une question : vous-mêmes, êtes-vous inféodés au pouvoir rwandais ? Je doute que vous soyez des émissaires du Rwanda.
Vous allez avoir une défense énergique qui va essayer de vous empêcher de réfléchir. L’important, c’est de partir de choses simples.

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Vous avez ici deux personnes âgées. Les parcours de vie ne sont pas liés au hasard. On a là deux enfants de la révolution sociale, nourris de discours nationalistes, anti-tutsi, persuadés que le Hutu a le plus de valeur. On dit à NGENZI : « Votre mère est Tutsi, votre père est Hutu », réponse de NGENZI : « Oui, je suis Hutu. Réponse immédiate, qui montre son imprégnation. BARAHIRA nait sous la monarchie tutsi, le 12 juin 1952, dans une famille aisée. Il fait des études ; tout de suite il est repéré au ministère de la jeunesse et des sports. Il va faire du sport, il va encadrer la jeunesse, c’est-à-dire embrigader, endoctriner, enrôler cette jeunesse. De 75 à 94, il se passe 19 ans. NGENZI naît le 15 avril 1958, à Rubira. Il fait des études, il est d’une famille modeste dit-il. Il est repéré par RWAGAFILITA, laisse son poste d’agronome pour devenir bourgmestre. Tous les deux ont une forte autorité.
En 94, à Kabarondo, on est assez loin de Kigali. Il y a peu de Tutsi ; 2000 recensés en 83, 8% de la population, ce qui est assez peu. En fait je crois que Kabarondo et Kibungo sont des laboratoires de ce qui va se passer plus tard partout. On est chez RWAGAFILITA, sur son fief. Il a une revanche à prendre sur 92 (il a été démis de ses fonctions). En ce lieu, il a la confiance et l’obéissance du bourgmestre. Quand le préfet en titre, RUZINDANA, devient trop gênant, on le destitue et on l’assassine. La commune est entièrement tenue par le MRND. A Cyinzovu, on a BARAHIRA. Les massacres remontent très vite depuis Cyinzovu, ma collègue vous a rappelé ce que NGENZI n’a pas fait ou fait, concentrant toute la population à l’église le 13, entre 6 ou 7 heures de tirs sur des hommes, des enfants, des bébés… C’est tellement atroce que ceux qui sont à la manœuvre sont obligés de partager l’horreur du crime. C’est pourquoi on va chercher à faire participer la population civile. Si on est tous responsables, il n’y a plus de responsable. C’est pour ça qu’on en veut à KAREKEZI. Pas d’enterrement : on va enfouir les ordures. On va accomplir le travail d’extermination avec les rafles.

Cette fois-là, l’impunité n’est pas là. Nos accusés sont en fuite, ils changent de noms, même parfois de religion. C’est ça la réalité du génocide : on va jusqu’au bout, et on échappe à ses responsabilités. Un génocide et un crime contre l’humanité, c’est un peu une fusée à trois étages :
• Des massacres
• Une intention criminelle
• Il faut que ces massacres soient organisés dans un plan concerté, lequel plan est un élément de contexte des infractions.
Sur les deux premiers points, inutile de revenir. L’intention est de tuer les Tutsi, et on va toucher à ce qui fait la capacité de reproduction : tuer les femmes et les enfants. On a la volonté d’exterminer, que la population n’ait plus de capacité de reproduction.
Quant au plan concerté, ce n’est pas un PV de réunion. C’est ce qui n’est pas organisé. Par exemple une réunion pour manifester sa colère contre l’attentat : le plan concerté, ce n’est pas ça ; c’est faire en sorte qu’en différents points du territoire on ait la même cible, le même objectif, la même façon de procéder. C’est ça le plan concerté : ce qui ne laisse aucune chance aux victimes. Les victimes sont toutes tutsi. Le plan concerté existe à Kabarondo parce qu’on ne tue pas 3000 personnes comme ça ! Il faut du monde, être sûrs que les attaquants ne se tuent pas entre eux, qu’il y ait dans le champ de tir uniquement une victime. Tout ça s’organise. Tuer 3000 personnes, ça prend du temps : 6 à 7 heures de tirs, et le reste on finit à la machette.
Donc vous avez là les deux infractions : le crime contre l’humanité ; le génocide. Nous sommes dans une enceinte humaine, le crime est un produit social. La peine est une façon de rattacher le criminel à la communauté des hommes. La loi prévoit une peine entre 2 ans et la perpétuité. C’est votre échelle. Il faut adapter la peine. Le TPIR a eu la même échelle des peines. Mais le TPIR n’a eu à connaître que de crimes contre l’humanité et crimes de génocide. Donc il a réparti sur cette échelle, c’est pour ça qu’on a un éventail de peine. Aujourd’hui nous sommes dans un système de compétence universelle. Nos accusés auraient pu être jugés par le TPIR, ils ont choisi la vie de fugitifs. Où placer le génocide sur notre échelle des peines ? En France punir à 15 ans sur notre échelle des peines, ça n’aurait pas de sens. C’est l’infraction la plus grave, celle qui vise à sanctionner un homme qui a pu penser qu’il était légitime à supprimer une population. Ce crime est par nature sanctionné par la réclusion criminelle à perpétuité.

Après, il faut circonstancier. Alors il faut voir. Si on ne va pas jusqu’à la perpétuité, il faut aller jusqu’à 30 ans, c’est comme ça. Alors on va chercher à alléger cette peine :
• Le mode opératoire : il n’y a rien
• Le nombre de victimes : 2500 ? 3000 ? GUICHAOUA évoque 4600. Un indice : parmi tous les rescapés qui sont venus ici, ceux dont les proches sont morts, rien qu’ici, j’ai compté 150 morts. D’habitude on juge à 1 mort, à 2 morts, on n’est pas sur ces niveaux.
• Vous aurez aussi retenu l’atrocité des crimes. Rappelez-vous ce jeune garçon de 6 ans (Augustin), qui nous a parlé de l’odeur de sang chaud, de poudre, de la frayeur.
• Le génocide c’est aussi l’absence de famille, c’est important dans ce moment où approchent les vacances.
Et face à ça, on a les accusés qui sont les artisans de la mort, ils sont tout près. C’est différent de SIMBIKANGWA par exemple lui c’était une complicité (NDR. Le crime avait été requalifié en crime de génocide sur la demande de l’avocat général en première instance). Ce n’est pas le même rôle d’être complice de génocide et génocidaire.
Sur la genèse des faits, aussi, c’est important. Est-ce que les Tutsi étaient armés ? Etait-ce une légitime défense ? On leur a mis dans les mains une grenade, celle de Toto. Nos accusés n’ont pas la moindre blessure. On a des individus qui n’ont pas été blessés et qui ont poursuivi leur vie de fugitifs. NGENZI a eu deux autres enfants après le massacre de l’église. Donc là, il n’y a pas de matière à réduire le niveau de la peine.
Alors voyons dans leur psychologie. Qu’est-ce qu’on aurait fait à sa place ? Est-ce que cette position de tueur était inéluctable ? Je ne juge pas, je ne sais pas. En tout cas, ils se sont accrochés à leurs biens. D’autres ont fait le choix de résister. Je ne dis pas que leur place est dans la tombe… NGENZI se faufile. Il aurait pu dire : d’accord, je vais prendre connaissance des instructions, dire oui à son gouvernement et aller prévenir INCIMATATA nuitamment. Mais il est à toutes les étapes du génocide jusqu’au moment de la rafle, où il trouve encore le moyen de s’enrichir. Aucun Tutsi qui a approché l’un ou l’autre des accusés n’a pu s’en sortir. Aucun fait psychologique ne peut atténuer leur position : on ne reconnaît pas, on ne reconnaît jamais, et on enferme les proches ; on emmène sa famille : c’est difficile d’avoir un père, un mari dans le génocide. Mais c’est d’un égoïsme total. Vous l’aurez vu, ils sont dans un négationnisme total : on ne reconnaît jamais. Lorsqu’il a feint l’émotion, en évoquant le peuple rwandais, il n’avait pas d’émotion. Il n’y en avait pas chez NGENZI et BARAHIRA : des monstres froids.

On va réfléchir sur la fonction de la peine. Elle a un objectif majeur : dire stop à l’impunité, aux génocidaires. Dire que le temps de l’impunité est terminé au Rwanda, mais aussi en France. C’est aussi reconnaître les victimes dans leurs droits, dans leur dignité. Vous vous souviendrez de la façon dont elles sont venues, dont elles sont montées dans un l’avion pour venir raconter leurs peines.
Est-ce qu’on doit distinguer les deux accusés. Il y en a un qui est un peu moins impliqué que l’autre dans la globalité du génocide. BARAHIRA, lui, il a du sang sur les mains. Il est l’auteur de nombreux assassinats, soit directement, soit indirectement. NGENZI, lui, il fait faire. Il n’a pas de sang sur les mains, mais il a du sang sur la conscience. Il est responsable de tous les morts de la commune. Alors on ne peut pas faire dans le quantum. Qu’est-ce qu’on va dire à un récidiviste qui a tué 3 personnes si un génocidaire prend 30 ans ?
La seule manière de faire une différence, c’est la période de sûreté. Normalement, elle est de 18 ans, mais on peut aller jusqu’à 22 ans. C’est ainsi que je vais procéder. Ainsi madame la présidente, messieurs de la cour, mesdames et messieurs les jurés, je vous demande de condamner les deux accusés à perpétuité, avec pour NGENZI une peine de sûreté de 22 ans.

Sandrine PAILLET, membre du CPCR

1. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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2. Chef de cabinet du ministre de la défense du gouvernement intérimaire, désigné comme membre de l’Akazu et du Réseau Zéro, le colonel BAGOSORA est un des piliers du pouvoir. Il a contribué à armer les Interahamwe à partir de 1991 et a joué un rôle clé dans l’organisation des milices début avril 94. Après l’attentat du 6 avril, il prend la tête d’un comité de crise et installe au pouvoir les extrémistes Hutu. Condamné par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), à la prison à vie en 2008 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sa peine a été réduite à 35 ans de prison en appel en 2011.
Voir le glossaire pour plus de détails.
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3. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails.
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4. Abalinda ouAbarinda : dans le secteur de NGENZI, ce groupe avait repris le nom traditionnel “des gens qui savent chasser” pour l’appliquer à la traque des Tutsi.
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5. Simba Bataliani : dangereux groupe armé constitué d’anciens militaires des FAR, souvent cités pour leurs exactions meurtrières dans la région de Kabarondo.
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6. BIENFAITEUR et TOTO : célèbres Interahamwe de Kabarondo, souvent cités au fil des audiences. Les Interahamwe sont « ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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7. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
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Procès Ngenzi et Barahira: l’avocat général demande à nouveau la réclusion criminelle à perpétuité.
04/07/2018
C’est ce matin que l’accusation a terminé son réquisitoire, avant les plaidoiries de la défense demain jeudi 5 juillet. Comme on pouvait s’y attendre, l’accusation a de nouveau demandé la peine maximum pour les deux accusés: la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de 22 ans pour Octavien NGENZI.
Vendredi matin, nous nous retrouverons aux assises de Paris pour une dernière fois, la quarantième journée d’audiences pour un procès qui aura duré neuf semaines. Parole sera donnée aux accusés avant que le jury ne parte délibérer. Le verdict devrait être prononcé dans la journée, peut-être tard le soir.
A signaler que ce procès s’est déroulé en l’absence quasi totale de presse. ” Un génocide sans importance” comme aurait dit MITTERRAND! On va finir par croire que c’est vrai!

Alain GAUTHIER, président du CPCR.

Plaidoiries des avocats de la défense. J39
05/07/2018
• Plaidoirie de Maître BOURGEOT, avocate de TiTo BARAHIRA.
• Plaidoirie de Maître BOJ, avocat de NGENZI.
• Plaidoirie de maître CHOUAI, avocat de NGENZI.
• Plaidoirie de maître EPSTEIN, avocat de NGENZI.

Plaidoirie de Maître BOURGEOT, avocate de TiTo BARAHIRA.
« Je m’adresse à vous et à vous seuls. Je vais essayer de vous convaincre de l’innocence de BARAHIRA. C’est vous les juges… Je refusais que BARAHIRA soit le cobaye d’une procédure inadaptée : je continue à le penser. »
De regretter ensuite qu’il ait fallu à tout prix faire tenir dans les deux mois qui étaient prévus, BARAHIRA n’ayant pas eu suffisamment la parole : elle aurait aimé que son client puisse s’exprimer après chaque témoignage.
D’ajouter, toujours en direction des jurés : « On vous a demandé en deux mois d’assimiler des connaissances que j’ai mis plusieurs années à acquérir. Votre tâche est lourde : on vous demande de prononcer une peine d’élimination ! Mon travail consiste à faire la synthèse de ce qui s’est dit dans cette salle. Je vais vous aider. »
Maître BOURGEOT regrette qu’on s’en soit tenu aux « preuves testimoniales » alors qu’on aurait très bien pu consulter des archives, comme celles d’Electrogaz par exemple.
« BARAHIRA se défend très mal. On se demande s’il n’a pas baissé les bras. C’est un taiseux. Ma tâche est quasi insurmontable : BARAHIRA ne tient pas les mêmes propos avec ses avocats que devant la Cour. BARAHIRA n’exprime pas ses émotions. L’avocat général vous l’a décrit comme « un monstre froid ! ». Sortez BARAHIRA de ce box et regardez-le comme il est. Regardez-le comme un innocent, avec ses maladresses… Il a même fait des cauchemars dans lesquels maître LAVAL était présent ! »
L’avocate revient sur la situation familiale de son client : famille éclatée pendant dix ans, ça laisse des traces. « Son rôle de père lui tient à cœur, il est soucieux de l’étude de ses enfants. »
« BARAHIRA est discret, secret même. Il a quelque chose de résigné. Il se prend les pieds dans le tapis. On va même le caricaturer à outrance lorsqu’il évoque cette histoire de fumée ! » (NDR. BARAHIRA avait osé, en parlant de l’église en feu, affirmer qu’il avait pensé qu’il s’agissait des rescapés qui faisaient la cuisine ! Même son avocate n’en revenait pas puisqu’elle avait ajouté que son client avait trouvé une explication absurde !)
L’avocate revient ensuite sur les déclarations de certains témoins pour en contester les propos. Elle évoque aussi un problème culturel : un témoin s’approprie ce qu’on lui raconte. Quant à BARAHIRA, concernant la journée du 13 avril, il raconte la même histoire depuis le début : il est resté chez lui, s’est occupé de ses champs, de sa famille ! (NDR. Il n’a pas varié, mais qui peut le croire ?)
La panne de courant, que l’avocate semble avoir pris au sérieux, est évoquée. Elle parle du transformateur qui aurait alimenté toute la Préfecture de Kibungo ! (NDR. Jamais personne n’a dit cela. Il serait étonnant que le transformateur de Kabarondo alimente toute la préfecture.)
Quand on interroge son client sur le fait qu’il aurait pu avoir NGENZI au téléphone, il a trop peur de donner la mauvaise réponse. (NDR. Sous-entendu, il répond ce qui lui passe par la tête.)
Des regrets ? « Bien sûr qu’il en a pour son pays, mais il ne peut pas en avoir pour les victimes qu’il ne reconnaît pas. »
Après avoir reconnu que BARAHIRA était un homme de la 2ème république, elle affirme qu’HABYARIMANA a instauré les quotas pour favoriser les Tutsi ! (NDR. Les quotas existaient sous KAYIBANDA ! Qui peut croire que c’était pour favoriser les Tutsi ?)
Maître BOURGEOT émet le souhait que, contrairement à ce qui s’est passé en première instance, la feuille de motivation cite les témoins.
Allusion au procès SIMBIKANGWA au cours duquel ce dernier aurait été acquitté pour les faits qui se sont passés à Kesho, dans sa région d’origine ! (NDR. Je pense que l’avocate se trompe. Il n’a pas été acquitté pour ses faits puisque les juges avaient prononcé un non-lieu. Il n’était donc pas jugé pour ces massacres.)
Pour l’avocate, l’acte d’accusation est gangréné à la base. D’évoquer les PV d’audition de Méthode RUBAGUMYA, l’OPJ, que « Kigali ne veut pas laisser venir témoigner et les propos du gendarme GRIFFOUL qui parle du Rwanda comme ressemblant à l’ex-RDA » (République Démocratique Allemande) !
Les faits de l’église ! « Les seuls témoins sont des parties civiles », s’étonne-t-elle. Et de les nommer toutes. Et de dénoncer tous ces témoignages, un à un.
Pourquoi les parties civiles accusent-elles BARAHIRA ? « Pour Marie MUKAMUNANA, qu’est-ce que ça peut faire ? Elle est déjà morte : elle redira tout ce qu’on lui a dit ! »
La mort de François NTIRUSHKWAMABOKO ? Des rumeurs ! Le meurtre de 1986 ? Encore des rumeurs. (NDR. Meurtre pour lequel BARAHIRA aurait été « démissionné » de son poste de bourgmestre.) Toutes ces rumeurs seraient entretenues par le pouvoir actuel, en particulier lors des commémorations.
« Il n’y a pas eu de viols à Kabarondo. » (NDR. Au cours de ce procès, personne n’a évoqué des viols, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas eu !)
« On vous aveugle avec des récits atroces. Les parties civiles témoignent avec leurs tripes, leurs émotions, raison pour laquelle on ne leur demande pas de prêter serment ! On vous étourdit avec des récits de violence, mais cela ne suffit pas pour condamner ! Vous devez vous soustraire de vos émotions pour juger ! »
L’avocate évoque les huit témoins qui n’ont pas vu BARAHIRA et va passer en revue tous les autres témoins. « INCIMATATA ? Je ne crois pas un mot de ce qu’il dit ! »
La réunion du terrain de foot ? [1] « Cette réunion du terrain de foot, elle est absurde ! »
« Je me suis employé à démontrer que BARAHIRA n’était ni à l’église, ni au terrain de foot, ni lors des attaques. »
« Vous devez tenir compte de cette fabrication des témoignages. L’accusation vous met des œillères. Vous ne pouvez pas ignorer ce qui se passe dans les prisons. (NDR. Allusion à CYASA. Ce dernier n’était pas chargé des GACACA [2] dans sa prison, mais de la Collecte des informations auprès des prisonniers, collecte qui précédaient les procès ! Ce n’est pas la même chose).
De rappeler les propos de GUICHAOUA : « Ce qui se passe dans cette Cour est une insulte aux victimes ! »
« Je remets en cause le Parquet de Kigali qui alimente cette procédure. »
« Monsieur l’avocat général a loué le travail du CPCR : je suis choquée. Je ne comprends pas qu’il puisse louer une partie civile. Alain GAUTHIER assume pleinement les méthodes du CPCR… Je ne comprends pas que l’accusation loue les méthodes du CPCR… Il n’est pas normal qu’on lui affecte un policier du GFTU… Pas normal qu’on lui remette des PV d’audition… KAGAME ? Bien sûr que c’est un dictateur, bien sûr que c’est un criminel… On ne sait pas comment est financé l’association…. Alain GAUTHIER est décoré par KAGAME ! Il accepte la décoration d’un dictateur. Il est décoré par le maire de Reims… Je comprends le combat, je conteste les méthodes. » (NDR. Toutes ces accusations montrent bien que la défense n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Qu’ont à voir la plupart ces propos avec le procès des bourgmestres ?)
Maître BOURGEOT revient sur la qualification juridique du plan concerté, comme si les jurés n’avaient pas compris toutes les explications qui avaient été déjà données.
« Vous devez acquitter BARAHIRA. La peine de perpétuité est une peine d’élimination. » Et l’avocate de contester les arguments de l’avocat général.
Puis elle aborde les condamnations dans d’autres pays : Belgique, Norvège, Suisse, pays dans lesquels des peines plutôt faibles ont été prononcées. (NDR. L’avocate se grade bien de parler de RWABUKOMBE condamné en Allemagne à la réclusion criminelle à perpétuité.)
Un acquittement a été prononcé aux USA car les jurés ne se sentaient pas capables de juger !
« Je vais être en total désaccord avec l’avocat général qui a fait appel à votre intime conviction. Vous devrez prendre une décision que vous ne regretterez jamais d’avoir prise… » Et pour donner mauvaise conscience aux jurés, elle évoque une émission de télévision dans laquelle deux jurés parlaient des remords qu’ils éprouvaient suite à la décision qu’ils avaient prise !
« Dans cette Cour, on n’a pas eu accès à la vérité ! Je crois à l’innocence de BARAHIRA. Je vous demande la justice de mon pays dont je suis fière. Je vous demande d’acquitter mon client. »

Plaidoirie de Maître BOJ, avocat de NGENZI.
Je me contenterai de quelques florilèges des plaidoiries des avocats de NGENZI ! Quelques phrases cueillies ici ou là…
« En 1994, j’avais 6 ans. Pendant ce temps-là des milliers de Tutsi se faisaient assassiner par des fous ! Je suis là pour demander l’acquittement de NGENZI. » C’est par ces mots que maître BOJ commence sa plaidoirie.
« C’est ma première plaidoirie d’assises…. Des litres de café, des rires, des pleurs… Ce dossier m’a fait grandir à vitesse grand V… »
« Le mot génocide est un mot extrêmement compliqué. C’est une plongée dans un monde politique ! » (NDR. S’il est un camp qui a tout fait pour politiser les débats, c’est bien de la responsabilité de la défense.)
« Le génocide rwandais ! Je ne savais rien, j’ai essayé d’assimiler l’Histoire, avec des experts aux points de vue différents. Mais on parle avant tout de NGENZI. C’est le procès d’un homme pendant le génocide qui nous dépasse, qui dépasse ceux qui en ont fait leur spécialité. Mais c’est l’individualité qui nous intéresse. » (NDR. Faut-il répéter qu’il s’agit du génocide des Tutsi !)
« BAGILISHEMA a été acquitté des crimes ignobles dont on l’accusait. Ce n’est pas parce qu’on était bourgmestre qu’on est coupable. Vous jugez NGENZI, pas le génocide. Jugez NGENZI, rien que lui. » (NDR. BAGILISHEMA a trouvé des victimes qui sont venues témoigner en sa faveur. Et NGENZI ?)
« Le négationnisme ? c’est un mot d’une violence inouïe, un mot qu’on vous crache à la figure. Je préfère vous parler de certitudes : jamais le génocide n’a été banalisé, nié par NGENZI. NGENZI, le génocide, il l’a vu de ses propres yeux ! » (NDR. L’a-t-il vraiment vu ? Il ne dénombrait que quelques victimes, pour finir par en reconnaître 300 ! Il l’a vu et qu’a-t-il fait ?)
« Le TPIR en a fait un constat judiciaire. Acquitter, ce n’est pas nier le génocide. »
« Acquitter NGENZI n’est pas cracher au visage des victimes. Je suis du mauvais côté, je défends le monstre. Or, la douleur des victimes m’a bouleversé. » Et de citer Aline KAGOYIRE et Dafroza GAUTHIER et « sa douleur vertigineuse ».
« La douleur insondable des victimes, dans une cour d’assises, c’est un temps suspendu. Mais cette douleur peut vous faire oublier le dossier. Et je ne le reproche à personne. Quand la souffrance vous saisit, elle paralyse votre indépendance, votre liberté ! »
« Victime ? Ce n’est pas une vérité judiciaire. On veut vous faire sortir de votre rôle : vous êtes juges et vous devez raisonner comme un juge. Vous n’avez pas à apaiser la douleur des victimes. Tant mieux si ce procès apaise les victimes, mais ce n’est pas le but de ce procès. Vous devez juger un homme, rien qu’un homme ! »
Aux jurés : « Vous devez être fiers de douter : c’est aujourd’hui la plus belle des vertus. »
De s’adresser ensuite à NGENZI. Au début, il ne comprenait rien de ce qu’il lui disait. Peu à peu, il a appris à le connaître, à le comprendre. Il l’a même touché quand il a évoqué sa foi en Dieu, sa famille. S’il a décidé de s’exprimer en Français, c’est par respect pour la Cour, malgré les nombreux écueils liés à la langue.
Puis d’évoquer la terrible solitude de NGENZI, une autorité de façade, privée de pouvoir par les militaires et les milices. De citer GUICHAOUA pour justifier ses dires : « Les bourgmestres n’ont qu’une fonction : obéir. Le pouvoir était entre les mains des préfets et du gouvernement. » Ou encore REINTJENS qui parle de « l’impuissance mortifère des bourgmestres. »
A propos des bourgmestres et des préfets tués : « Ceux qui s’opposaient ouvertement avaient toutes les raisons de croire qu’ils seraient tués. »
A NGENZI : « On vous a reproché votre manque de courage ? Qu’aurions-nous fait ? Et la MINUAR, qu’est-ce qu’elle a fait ? RIEN. »
« Le Secrétaire Général de l’ONU s’est excusé lors de la 20ème commémoration. L’ONU est-elle dans ce box ? NON. »
« Les génocides font naître des héros ? Pardonnez à ceux qui ne le sont pas ! NGENZI n’est pas un héros : ne le condamnez pas pour ça.
« Le monstre qu’on vous vend était considéré comme sage, juste, pendant huit ans. Tout plaide en sa faveur. NGENZI a passé huit ans de son mandat entouré de Tutsi. Il aurait muté en 24 heures pour devenir un monstre froid ? On voudrait vous faire croire qu’il était le chef des Interahamwe [3], soutenu par RWAGAFILITA [4]! »
« Les contradictions ? Le temps ne peut pas les expliquer. » Tout en faisant allusion aux mensonges de BARAHIRA, l’avocat dénonce « les menteurs et les faux témoins ».
Pour conclure : « NGENZI risque la prison à vie. Le bénéfice du doute n’existe pas. Voyez comme le doute doit guider votre décision. »

Plaidoirie de maître CHOUAI.
L’avocat de NGENZI commence par évoquer le témoignage d’Augustin, qui ne peut plus prononcer le mot « maman ». Ou celui d’Alexandra, qui ne doit la vie sauve qu’à son passeport suédois ! (NDR. Il s’agit en fait d’un passeport italien !)
« Des hommes, des femmes nous ont transpercés, des silences aussi. Vous avez eu les yeux rougis, la gorge serrée, vous avez pensé à un père, à un frère… Ce serait indécent de dire qu’on ressort indemne d’un tel procès. Les seuls qui sont brisés, ce sont les victimes. Demain, chacun d’entre nous reprendra le cours de sa vie. A mon tour, nous devons nous incliner devant la souffrance des victimes. »
Après cette introduction, l’avocat de NGENZI va continuer sur un autre ton, celui qu’on lui connaît bien. Je vais me contenter d’un florilège assez éloquent : des propos que tous ceux qui étaient à l’audience ont entendus. Chacun pourra juger.
« Parce que nous sommes honnêtes, nous avons voulu vous donner les cartes pour bien juger. Jamais nous n’avons nié l’existence du génocide… Quand on nous taxe de révisionniste, de négationnisme, ça me fait vomir. EPSTEIN porte le nom qu’il porte ! Mon père est enterré au carré juif du cimetière… (NDR. N’ai pu noter le nom du cimetière.)
« Il faut un courage inouï pour démentir le premier jugement. Nous vous demandons d’acquitter NGENZI. »
« Quand on lit l’OMA on se dit qu’on va rencontrer Satan, un Klaus BARBIE ! »
« Il n’y a pas d’évidence dans ce dossier. Vous serez animés du doute. Pas d’opération d’enfumage, pas la célébration du roi KAGAME, pas de commémoration du génocide. »
« La parole de l’accusé vaut autant que celle des parties civiles. Votre seule boussole, c’est votre intime conviction. »
« Nous ne sommes pas dans les Gacaca, ces procès de pacotille ! »
L’avocat se dit choqué d’entendre l’avocat général encenser les Gacaca.
« On s’est moqué de vous. Ici, c’est très sérieux. Madame la présidente, vous n’êtes à la solde de personne. Si jamais votre décision déplaisait au gouvernement rwandais, au CPCR, ils diront que vous êtes nuls. »
« Vous n’obéissez à personne, surtout pas à KAGAME. (NDR. Qui se plaignait d’avoir politisé les débats ?)
« Il est rare d’avoir un assassin dans sa famille ! » (NDR. Heureusement qu’il s’agit de propos tenus dans une audience de Cour d’assises. Sinon, ils pourraient faire l’objet de poursuite judiciaires !)
« On vous a expliqué qu’au Rwanda tout va bien. A Cuba, sous le 3ème Reich, c’était le plein emploi ! Des témoins de contexte se sont moqués de vous. »
« Le Parquet vous a pris pour des cloches. Le Parquet s’est fourvoyé. Le Parquet s’est appuyé sur des assassins… On cherche à vous intimider…. Un avocat général qui applaudit le CPCR : les bras m’en tombent. »
Évoquant le réquisitoire de l’avocat général : « On vous a fait Tintin au Congo, digne d’une BD raciste belge ! »
A propos du président du CPCR : « Un homme Blanc avec une petite chemisette qui est derrière moi et qui interroge, et qui prend des notes. On vous dit que c’est Serge KLARSFELD, Mais il ne va pas faire les poubelles de Kabarondo. » (NDR. Ces propos, et ceux qui précèdent, sont-ils dignes d’un avocat qui se respecte ?)
« Les méthodes de monsieur GAUTHIER ? Le GFTU, faire croire qu’il est à l’origine de la plainte, faire croire qu’il a le monopole des souffrances. » (NDR. C’est malhonnête de tenir de tels propos. J’ai reconnu, sur précision de madame la présidente, que la plainte du CPCR avait été déposée juste après l’intervention du Procureur de Mamoudzou ! Le CPCR n’a rien à faire croire à personne).
L’avocat de passer en revue les trois séquences du génocide à Kabarondo.
Avant le 13. Il cite les témoins qui interviennent en faveur de NGENZI. Il s’en prend surtout à l’abbé INCIMATATA, « au service de ceux qui sont derrière moi ! »
Le 13. Pour résumer, personne n’a vu NGENZI à l’église ou aux alentours. « Personne n’a vu NGENZI mais tous l’accusent parce qu’il est bourgmestre. »
« Vous ne pouvez pas condamner NGENZI, même à un an de prison ! »
« Onesphore RWABUKOMBE, accusé des crimes à la paroisse de Kabarondo n’a pas été poursuivi pour ces faits. » (NDR. RWABUKOMBE a toutefois été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par la justice allemande pour d’autres crimes commis dans la région de Murambi, Kiziguro…)
Concernant le planning de NGENZI le 13 avril [5]. « Le 13, il va à Kibungo deux fois… Il voit le toit de l’église, il voit peut-être qu’il fume, il entend du bruit, il parle à sa femme, rassure ses enfants ! NGENZI n’a aucun pouvoir. Qu’est-ce que vous soulez qu’il fasse ?Qu’est-ce que vous auriez fait ? Vous monsieur le juré, dans le métro, si une personne se fait agresser…. Vous madame le premier juré, quand quelqu’un se fait insulter dans la rue, vous intervenez ? Si un gosse se noie sur une plage, vous auriez le courage d’aller le sauver ? Les migrants de Calais ! Vous prenez votre billet de train pour aller à leur secours ? Les maires sous l’occupation, des résistants ou des collabos ? Si NGENZI avait démissionné, on le lui aurait reproché. »
« Je vous demande d’aller fouiller au tréfonds de votre conscience. Qu’est-ce que vous auriez fait ? »
« C’est la rancune qui anime les témoins, pas la haine. »
« NGENZI est spectateur, il avait la trouille, il est humain, un homme ordinaire, comme vous, comme moi. Je croyais que l’accusation allait se lever pour faire taire un témoin. Et l’accusation s’appuie sur un témoin comme CYASA ! Oubliez ce sinistre HABIMANA CYASA. »
L’enterrement des corps. « Ce ne fut pas un enterrement digne, il n’y a pas eu de bénédiction chrétienne. La clé de cet ensevelissement, c’est que NGENZI va chercher des gens à Rubira, son secteur d’origine. Pour les cacher du FPR ? Les tueurs étaient à Kabarondo et eux avaient le plus grand intérêt à ce que les corps soient ensevelis. On a reproché les mêmes faits à BAGILISHEMA et on l’a acquitté. »
L’avocat revient sur SIMBIKANGWA, condamné seulement à 25 ans de prison, en prétendant qu’il a été partiellement acquitté ! (NDR. C’est faux. SIMBIKANGWA n’était pas poursuivi pour les massacres de la colline de Kesho : il avait bénéficié d’un non-lieu. Il n’y a pas eu d’acquittement partiel.)
« Les tueurs d’Oradour-sur-Glane ont pris 5, 10 15 ans de prison ! PAPON, à la cour d’assises de la Gironde a été condamné à 10 ans ! » (NDR. Quel âge avait PAPON lors de sa condamnation ?)
« L’homme que je vous ai décrit, cet homme ordinaire, mérite d’être acquitté. L’accusation s’est fourvoyée. Certaines parties civiles se sont fourvoyées et ont manipulé les victimes ! »
Il exprime la fierté qu’il éprouve pour ses deux collègues qu’il remercie, exprime des mots de compassion pour la femme et les enfants de l’accusé, « séparés de leur époux et père depuis huit ans ! »
De conclure : « Si j’ai raison, si la BBC a raison (NDR. Allusion au documentaire An untold Story), si Noble MARARA a raison, si les assassins ont menti, si Monique qui a envoyé un mail a raison (NDR. Allusion à la disparition d’un témoin des parties civiles avant sa déposition !), si j’ai raison et que vous condamnez NGENZI, plus jamais vous ne dormirez du sommeil du Juste ! » (NDR. Belle façon de culpabiliser les jurés !)

Plaidoirie de maître EPSTEIN, avocat de NGENZI.
L’avocat de NGENZI commence sa plaidoirie en hurlant. Il s’empare de la scène.
« Juges de Kabarondo, peuple français, vous allez rendre la justice, la seule, la vraie. Vous n’êtes pas le Rwanda, pas la France de 1994, vous êtes les juges de NGENZI et vous êtes libres. J’ai besoin de vous, de vos sourires, de votre bienveillance, de votre patience. J’ai tellement besoin de vous, avec la peur au ventre, la sueur au visage, je vous demande d’acquitter NGENZI… On peut acquitter un présumé génocidaire. Ce que je vous demande est énorme, mais je sais que vous pouvez me l’accorder. »
De dénoncer ensuite un certain nombre d’intervenants devant la Cour d’assises : « Ces intellectuels qui viennent nous dire que nous faisons preuve de racisme. D’autres qui viennent parader pour que leur nom paraisse sur une feuille de motivation. Ces psychiatres… Ces associations de parties civiles… Cette association qui vomit des comptes-rendus abjects ! » (NDR. L’avocat se garde bien de dire que la défense a été déboutée dans le référé qu’elle avait déposé pour faire interdire les comptes-rendus du CPCR! Le procédé n’est pas très honnête!)
« Ça me donne la nausée, je suis en colère ! » (Allusion à SARTRE : « Avoir la nausée, c’est exister ! »
« Je vous demande l’impensable. »
Maître EPSTEIN de faire appel à sa propre expérience de victime ! « Pour moi, ce dossier NGENZI c’est difficile, très difficile. Je sais ce que c’est que d’être une victime, je sais ce que c’est que de venir réclamer des corps. Le rôle de la justice n’est pas d’aider la victime à se reconstruire. Moi aussi j’ai une douleur. Je les connais les camps de la mort. Mon nom, c’est EPSTEIN !!! »
Et d’évoquer la mort des membres de sa famille en Biélorussie. « Ce que je vous dis, c’est sincère. Cette histoire de Kabarondo me dévisage ! » (NDR. On veut bien comprendre, mais dans ce procès, maître EPSTEIN n’est pas du côté des victimes. Il a choisi son camp !)
« Un génocide n’appartient à personne, c’est un crime contre l’humanité, un crime de l’humanité. Je SUIS les victimes, je SUIS Octavien NGENZI ! »
De raconter comment il est devenu l’avocat de la famille NGENZI !
« Nous allons réfléchir ensemble. Une certitude : la décision que vous allez rendre doit être logique, implacable. Que nous propose l’accusation ? Une dent de lait !!!, le NÉANT ! On vous fait la description d’un homme diabolique, machiavélique, ambigu, malsain. Un homme qui savait que les choses se préparaient en 1990. Où est la preuve, cette preuve qu’on doit chérir, ce cadeau de la loi ! »
« Qui embrouille tout, qui prestidigite ? NGENZI ou le Parquet ? »
Les réunions, l’armement, les meetings ? « Les juges d’instruction n’apportent aucune preuve. »
« On affirme sans preuve que c’est l’homme de RWAGAFILITA [4]! Est-ce que c’est sérieux ? »
RTLM, Les Dix commandements des Bahutu ? « Qui nous prouve que NGENZI était biberonné aux commandements des Hutu ? »
« Ces deux-là, ce ne sont pas des idéologues, ce sont des fils spirituels d’HABYARIMANA. Il faudrait condamner à perpétuité tous les gens affiliés à HABYARIMANA ? »
« NGENZI était un petit bourgmestre. Ses concitoyens lui en veulent de ne pas les avoir protégés. Ca, c’est la culpabilité rwandaise ! Ne pas avoir fait assez, ce manque d’imagination, ce n’est pas une infraction pénale. »
Maître EPSTEIN s’en prend à l’abbé INCIMATATA : « Un abbé qui fait des hypothèses ! C’est comme du ciment pour masquer les fissures. »
« Vous ne pouvez pas condamner NGENZI sur sa qualité de bourgmestre. »
« Un plan concerté ? Un plan déconcerté ! (NDR. Qualité du jeu de mots !) Les impressions ne sont pas des preuves. »
L’enterrement ? Pourquoi aller à Rubira ? « La notabilité n’est pas l’autorité. C’est comme un avocat en fin de carrière qui arrive à convaincre ! » (NDR. Suivez mon regard. Remarque d’un goût douteux.)
Les fossoyeurs étaient armés ? « Parce qu’ils avaient peur ! » (NDR. Peur de qui ? De quoi ?)
« Des témoins croient dire la vérité, ça rassure, ça fait du bien. Ces témoignages permettent d’écrire une histoire judiciaire pour le régime de Kigali. Tous les bourgmestres auront été condamnés, même par la France de MACRON. »
« Si vous acquittez NGENZI, vous n’aurez aucun impact sur l’Histoire. Ce que veulent les victimes, les autorités, les commémorations, c’est la condamnation des bourgmestres, des préfets. »
Maître EPSTEIN passe ensuite ne revue tous les témoins du Centre de Santé pour en dénoncer les propos mensongers. Idem pour l’IGA où ne témoigneraient que des tueurs ! (NDR. Quoi d’étonnant ? Ce sont les tueurs qui savent. Les victimes sont mortes, les rescapés se cachaient !)
Concernant les perquisitions, l’avocat dénonce les témoins. « La réalité, c’est que NGENZI leur a sauvé la vie. » Quant à Géraldine, dont la défense est persuadée que ce n’était pas elle : « Le peuple rwandais se fout du peuple français ! »
Les perquisitions chez Médiatrice ? « Elle raconte ce qu’elle veut quand ça l’arrange. »
L’affaire PAPIAS ? « NGENZI sauve l’homme de Dieu comme il a sauvé le comptable. Il rachète PAPIAS ! Ne dépouillez pas NGENZI, il a sauvé PAPIAS. »
« Il y a un doute dans ce dossier, un doute à l’image de ce pays, le Rwanda, doute ressenti par les juges d’instruction ! ».(NDR. Juges qui ont toutefois décidé de traduire les accusés devant la Cour d’assises !)
« L’accusé a un visage, parfois agaçant. Cet homme a le même visage que vous. Vous pouvez l’acquitter. Vous ne direz pas que cet homme est épouvantable, vous vous direz : « Qu’aurais-je fait à sa place ? » Est-ce que j’aurais fait mieux ? Est-ce que j’aurais fait pire ? N’aurais-je pas pensé à moi, à mes proches ? »
De définir ensuit l’intime conviction. « L’arbitre de votre intime conviction, c’est votre conscience. »
« Vous devez être sûrs à 100%. Si vous n’y arrivez pas, vous ne pouvez pas condamner. Il n’y a de génocide à 70%. »
« Ce sera oui ou non ! »
« Un mot et tout est sauvé, un mot et tout est perdu. » (André BRETON)
« Et ce mot, c’est le mot NON ! L’accusation a besoin d’un coupable. On vous demande de revenir demain et de dire à ce monsieur : « Monsieur, vous êtes un homme libre ! »
« C’est dur d’être seul face à votre décision. Votre choix à vous, individuellement, est essentiel. Si vous répondez NON, c’est un pas vers l’acquittement. Vous pouvez répondre BLANC ! Comme ce juré qui n’est pas partie à cause des beaux yeux de mon associé ! » (NDR. Allusion au renoncement d’un juré, à quelques heures du verdict, après avoir adressé à maître CHOUAI un courriel dans lequel elle lui déclarait sa flamme. Il faut dire qu’on aura tout vu dans ce procès !)
« J’ai besoin que vous disiez NON. Ne succombez pas à l’émotion, à l’attente des parties civiles. Vous ne devez céder à aucune tentation de l’émotion. J’ai confiance en vous. Je sais que vous avez du courage, vous les représentants du peuple français ».
« Je vous demande de désobéir à vos préjugés, à vos sentiments. Soyez des porteurs de liberté. Soyez de mauvais élèves en répondant NON. Vous rendrez NGENZI à sa femme, à ses enfants, à ses avocats. Ayez le courage du doute. Alors vous acquitterez Octavien NGENZI ».

Alain GAUTHIER, président du CPCR

1. Réunion du terrain de foot de Cyinzovu : des témoins, tel Silas MUTABARUKA évoquent une réunion au cours de laquelle Tito BARAHIRA aurait demandé à l’assistance « d’assurer la sécurité », c’est-à-dire « tuer les Tutsi », mais l’accusé conteste l’existence de cette réunion ainsi que celle du terrain de foot lui-même.
[Retour au texte]
2. Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
[Retour au texte]
3. Interahamwe : « Ceux qui combattent ensemble » ou « qui s’entendent », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Voir FOCUS – Les Interahamwe.
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4. Le colonel RWAGAFILITA (ou RWAGAFIRITA) était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails et le témoignage de son neveu Manassé MUZATSINDA, ex-policier communal.
[Retour au texte]
5. Attaques du 13 avril à l’église de Kararondo : voir entre autres les auditions de l’abbé INCIMATATA, Christine MUTETERI, Marie MUKAMUNANA, Berthilde MUTEGWAMASO, Benoîte MUKAHIGIRO et Francine UWERA.
[Retour au texte]
Verdict au procès en appel de Ngenzi et Barahira : réclusion à perpétuité
06/07/2018
6 juillet 2018, le verdict est tombé peu avant 19h : Tito BARAHIRA et Octavien NGENZI sont tous les deux reconnus coupables de génocide et de crime contre l’humanité.
Ils sont condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité.
A lire également :
• La feuille de motivation de cette décision (9 juillet 2018)
• L’arrêt de la cour d’assises (6 juillet 2018)
• Tous les comptes rendus du procès en appel
• Le procès à travers les médias

Les GAUTHIER : sans haine ni vengeance
08/07/2018
“Les Gauthier : sans haine ni vengeance” documentaire de Mallory AHOUNOU, Simon FICHET et Fanny MARTINO (diffusé le 8/7/2018 sur France 2 dans “13h15 le dimanche”)

Un portrait sensible d’Alain et Dafroza GAUTHIER, fondateurs du CPCR :
“Ensemble, ils consacrent tout leur temps à retrouver les suspects et à enquêter au Rwanda à la recherche des témoins du drame. Pour que la justice française puisse se saisir de ces dossiers. Sans haine ni vengeance, mais pour que cesse l’impunité…” (francetvinfo.fr).
Au cours du procès Ngenzi-Barahira, ils ont souvent été l’objet de violentes attaques personnelles de la part de la défense, souvent teintées d’un profond mépris. À travers ce reportage chacun pourra apprécier la réalité du travail d’Alain et Dafroza GAUTHIER que l’équipe de France 2 a suivi des mois durant entre Paris, Reims et Kigali.
Jacques BIGOT, membre du CPCR
Mise à jour – novembre 2018 :
Sur ce même thème, la chaîne allemande Das Erste a diffusé et mis en ligne un autre documentaire (en allemand).

Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Arrêt de la Cour d’Assises.
20/08/2018
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A lire également :
• Présentation du procès
• Feuille de motivation de cette décision (9 juillet 2018)
• Tous les comptes rendus du procès en appel
• Le procès à travers les médias

Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Feuille de motivation de la Cour d’Assises.
20/08/2018
Voici les principaux éléments ayant convaincu la Cour et le jury de reconnaître Octavien NGENZI et Tito BARAHIRA coupables de génocide et de crime contre l’humanité.
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A lire également :
• Présentation du procès
• Arrêt de la cour d’assises (6 juillet 2018)
• Tous les comptes rendus du procès en appel
• Le procès à travers les médias
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024