Fiche du document numéro 2339

Num
2339
Date
Lundi 23 mai 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
108211
Urlorg
Titre
Journalistes massacrés sur ordre
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Cote
no 15480
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
De notre envoyé spécial au Rwanda.

« POUR avoir provoqué les forces armées rwandaises, pour avoir souillé
la mémoire de notre héros, pour avoir pris la tolérance du peuple
rwandais pour de la faiblesse, pour t'être publiquement déclaré
admirateur de notre ennemi, l'ignoble Rwigema, pour être nuisible à la
société rwandaise, tu es condamné à mort. Nous allons te tuer. »

Cette lettre a été reçue par le journaliste André Kameya (fondateur du
journal « Liberté d'Afrique Agatashya ») en novembre 1991. La feuille
sur laquelle avait été tapé le texte était à entête du ministère de la
Défense nationale. Signature : « Les compagnons d'armes du colonel
Rwendeye ». André Kameya faisait alors parvenir un double à notre
journal, qui en reproduisait le fac-similé dans son numéro du vendredi
22 novembre 1991. Accompagné d'un article, « Une bavure parmi d'autres », où Claude Kroës protestait notamment contre la présence du
dictateur Habyarimana au sommet de Chaillot, quelques mois après avoir
été présent à celui de La Baule comme hôte officiel de l'Elysée.

A Mulindi, quartier général du Front patriotique, j'ai lié
connaissance avec un journaliste rwandais, Faustin Kagame, qui
travaille pour une agence de presse de Lausanne. Dans notre
discussion, j'évoque ce genre de menace de mort officiellement
expédiée aux intellectuels rwandais manifestant leur liberté de
pensée. Faustin réagit aussitôt : André Kameya était l'un de ses amis
; avec lui et un autre journaliste, Vincent Rwabukwisi, surnommé Ravi,
ils ont créé une revue culturelle ronéotypée, « Bukeye Neza », qui
diffusa quelques numéros.

« Tous deux ont été assassinés par la garde présidentielle à leur
domicile dès le 7 avril - m'informe Faustin Kagame -, André Kameya a
été massacré avec sa famille. Ravi a lui aussi été tué par un
commando, mais je ne sais pas ce que sont devenus son épouse et ses
enfants. » Il m'apprend aussi que les deux journalistes avaient fait
partie en 1993 de l'équipe fondatrice du PSR (Parti socialiste
rwandais), un mouvement de gauche qui n'a pas eu le temps matériel de
se constituer une assise populaire. La plupart des membres de cette
équipe ont été assassinés dans les premières heures des
massacres. Leurs noms et adresses figuraient visiblement sur les
listes remises aux tueurs.

« Ravi a cherché à fuir - poursuit Faustin Kagame -, il a été tué
alors qu'il tentait de se réfugier dans un couvent. A la fin 1991, il
avait rendu publique la lettre de condamnation à mort que lui aussi
avait reçue. Il l'avait accompagnée d'un article qui avait fait grand
bruit. Ravi s'y adressait à ses futurs assassins. Il leur disait :
tuer, vous savez le faire. Si un jour vous arrêtiez, ce serait plutôt
ça la nouveauté... »
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