Fiche du document numéro 26407

Num
26407
Date
Mercredi 16 avril 2014
Amj
Fichier
Taille
608718
Titre
Conseil de sécurité 7155e séance. Menaces contre la paix et la sécurité internationales
Nom cité
Cote
S/PV.7155
Source
ONU
Type
Procès-verbal de réunion
Langue
FR
Citation
S/PV.7155

Nations Unies

asdf

Conseil de sécurité

Provisoire

Soixante-neuvième année

7155 séance
e

Mercredi 16 avril 2014, à 10 heures
New York

Président :

M me Ogwu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (Nigéria)

Membres :

Argentine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Australie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chili . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
États-Unis d’Amérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Fédération de Russie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Jordanie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Lituanie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Luxembourg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
République de Corée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord . . . . . . . . .
Rwanda . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Tchad . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

M me Perceval
M. Quinlan
Mme Sapag Muñoz dela Peña
M. Wang Min
M me Power
M. Churkin
M. Araud
Le prince Zeid Ra’ad Zeid Al-Hussein
M me Murmokaitė
Mme Lucas
M. Oh Joon
Sir Mark Lyall Grant
M. Gasana
M. Cherif

Ordre du jour
Menaces contre la paix et la sécurité internationales
Prévention et lutte contre le génocide
Lettre datée du 11 avril 2014, adressée au Secrétaire général par la
Présidente du Conseil de sécurité (S/2014/265)

Ce procès-verbal contient le texte des déclarations prononcées en français et l’interprétation
des autres déclarations. Le texte définitif sera publié dans les Documents officiels du Conseil de
sécurité. Les rectifications ne doivent porter que sur les textes originaux des interventions. Elles
doivent être indiquées sur un exemplaire du procès-verbal, porter la signature d’un membre de
la délégation intéressée et être adressées au Chef du Service de rédaction des procès-verbaux de
séance, bureau U-506.

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*1330188*

S/PV.7155

Menaces contre la paix et la sécurité internationales

La séance est ouverte à 10 h 10.
Adoption de l’ordre du jour
L’ordre du jour est adopté.
Menaces contre la paix et la sécurité internationales
Prévention et lutte contre le génocide
Lettre datée du 11 avril 2014, adressée au
Secrétaire général par la Présidente du
Conseil de sécurité (S/2014/265)
La Présidente ( parle en anglais) : Conformément
à l’article 37 du règlement intérieur provisoire du
Conseil, j’invite les représentants des pays suivants à
participer à la présente séance : Allemagne, Belgique,
Bosnie-Herzégovine,
Canada,
Chypre,
Croatie,
Danemark, Estonie, Finlande, Irlande, Lettonie, Malte,
Maroc, Monténégro, Norvège, Nouvelle-Zélande,
Panama, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République
tchèque, Roumanie, Slovénie, Somalie, Suède, Suisse,
Togo et Turquie.
Conformément à l’article 39 du règlement intérieur
provisoire du Conseil, j’invite S. E. l’Ambassadeur
Colin Keating à participer à la présente séance.
Le Conseil de sécurité va maintenant aborder
l’examen de la question inscrite à son ordre du jour.
Les membres du Conseil sont saisis du document
S/2014/270, qui contient le texte d’un projet de résolution
présenté par l’Allemagne, l’Argentine, l’Australie, la
Belgique, la Bosnie-Herzégovine, le Canada, le Chili,
la Chine, Chypre, la Croatie, le Danemark, l’Estonie,
les États-Unis d’Amérique, la Fédération de Russie, la
Finlande, la France, l’Irlande, la Jordanie, la Lettonie,
la Lituanie, le Luxembourg, Malte, le Maroc, le
Monténégro, le Nigéria, la Norvège, la NouvelleZélande, le Panama, les Pays-Bas, la Pologne, le
Portugal, la République de Corée, la République tchèque,
la Roumanie, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
d’Irlande du Nord, le Rwanda, la Slovénie, la Somalie,
la Suède, la Suisse, le Tchad, le Togo et la Turquie.
J’appelle l’attention des membres du Conseil sur
le document S/2014/265, qui contient le texte d’une lettre
datée du 11 avril 2014, adressée au Secrétaire général
par la Présidente du Conseil de sécurité, transmettant le
document de réflexion sur la question à l’examen.
Je tiens à souhaiter une chaleureuse bienvenue au
Vice-Secrétaire général, S. E. M. Jan Eliasson, et je lui
donne la parole.
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Le Vice-Secrétaire général ( parle en anglais) :
« Le génocide au Rwanda est l’un des chapitres les
plus sombres de l’histoire de l’humanité ». Ce sont
les paroles que le Secrétaire général – profondément
ému – a prononcées à Kigali la semaine dernière.
Aujourd’hui, nous nous souvenons des victimes
et des survivants à l’heure où nous continuons de
rendre justice pour eux et de prévenir le génocide et
autres atrocités de masse partout dans le monde. Nous
nous souvenons, le cœur lourd, que la communauté
internationale a échoué à reconnaître les signes
précurseurs du génocide et à y réagir.
Il y a 20 ans, nous nous sommes rendu compte
une fois encore, après l’Holocauste, que le génocide
n’était pas un événement unique mais un processus
qui évolue avec le temps, un processus qui requiert
une planification et des ressources. Ce qui signifie que
le génocide peut être évité grâce à l’information et la
mobilisation, mais aussi en faisant preuve de courage et
de volonté politique.
Il nous faut continuer de faire fond sur les
enseignements tirés de l’expérience et renforcer nos
capacités de protéger les populations contre les crimes
de caractère international les plus graves. Des mesures
positives ont été prises. Le Tribunal pénal international
pour le Rwanda, avec les tribunaux nationaux, a permis
que les auteurs soient jugés. Les tribunaux et les
tribunaux spéciaux pour l’ex-Yougoslavie, le Cambodge
et la Sierra Leone ont réalisé des avancées similaires dans
la lutte contre l’impunité. La Cour pénale internationale
a joué un rôle essentiel dans le développement du droit
international. Le Conseiller spécial du Secrétaire général
pour la prévention du génocide s’occupe maintenant de
réunir les informations et de sonner l’alarme là où pointe
la menace de génocide ou d’autres atrocités. Avec le
Conseiller spécial sur la responsabilité de protéger, lui
et d’autres responsables de l’Organisation des Nations
Unies s’emploient à prévenir et à aider les pays à mettre
en place des institutions inclusives et à bâtir des sociétés
tolérantes, en mettant l’accent sur le règlement des griefs
et des différends par des moyens pacifiques.
De façon plus large, l’Organisation des Nations
Unies place progressivement la promotion et la
protection des droits de l’homme au cœur de l’action
que nous menons en faveur de la prévention. Le plan
d’action « Les droits avant tout », récemment lancé,
vise à renforcer notre capacité d’intervention en cas de
violations graves des droits de l’homme qui, souvent,
sont les signes précurseurs d’atrocités de masse et de
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conflits à venir. Le plan d’action a pour objectif de
permettre aux États Membres et aux différentes entités
du système des Nations Unies de réagir rapidement et de
jouer un rôle plus actif. Nous devons être déterminés à
faire tout notre possible pour protéger les vies humaines
dans un monde très violent.
Les conséquences du génocide au Rwanda ont
été si profondes que deux décennies après, la région
des Grands Lacs en souffre encore. La Conférence
internationale sur la région des Grands Lacs a mis en
place un protocole pour la prévention et la répression
du crime de génocide, des crimes de guerre, des
crimes contre l’humanité et de toutes les formes de
discrimination. Le Rwanda préside aujourd’hui la
Commission régionale chargée de la mise en œuvre
du Protocole. Nous comptons sur le leadership dont
fera preuve le Rwanda pour prévenir les atrocités.
Près de la moitié des États membres de la Conférence
internationale sur la région des Grands Lacs ont mis en
place des commissions pour la prévention du génocide.
Je félicite le Kenya, l’Ouganda le Rwanda, le Soudan du
Sud et la Tanzanie de l’avoir fait.
Tandis que nous commémorons le vingtième
anniversaire du génocide, nous rendons aussi un
hommage particulier au peuple rwandais qui a œuvré
de façon impressionnante à son relèvement et à la
réconciliation nationale. Le Rwanda a parcouru un long
chemin depuis 1994, et il est l’un des rares pays à avoir
mis en place une institution nationale chargée de la
prévention du génocide. Nous encourageons les autres à
suivre cette voie et à institutionnaliser les mécanismes
de prévention.
Les conflits d’aujourd’hui, de la Syrie à la
République centrafricaine en passant par le Soudan
du Sud et au-delà, montrent, hélas, que la protection
des populations contre les atrocités est illusoire et
laisse à désirer. Bien qu’ils aient des racines distinctes,
ces conflits et d’autres crises ont aussi des points
communs. Dans le paysage des conflits, nous voyons
de similaires lignes de fracture et divisions basées sur
la religion, l’ethnie et même la langue. Nous sommes les
témoins d’une montée du séparatisme, du nationalisme
extrémiste et de la diabolisation de l’ « autre » : nous
contre eux, notre façon d’être est la seule qui vaille.
Aucune région au monde n’échappe à cette
menace, et toute l’humanité en est diminuée. Cela
signifie que toutes les sociétés doivent connaître leurs
vulnérabilités et agir à tous les niveaux pour renforcer
la résilience, la tolérance et la vigilance et pour détecter

les signes précurseurs des crises à venir. Je voudrais
réaffirmer que c’est aux États eux-mêmes que cette
responsabilité incombe au premier chef.
La prévention des atrocités signifie aussi qu’il
fait mettre en place des institutions nationales légitimes,
responsables, qui soient inclusives et crédibles aux yeux
de la population. Elle signifie qu’il faut veiller à faire
respecter l’état de droit et à protéger tous les droits de
l’homme, sans discrimination. Elle signifie qu’il faut
gérer la diversité, appuyer une société civile forte et
permettre à tout un chacun de faire entendre sa voix.
Pour terminer, il nous faut faire plus en tant
que communauté des nations et en tant que citoyens
du monde si nous voulons tenir notre promesse de
ne plus jamais voir cela se reproduire et mettre en
pratique notre responsabilité collective de protéger. En
ces temps de violence aveugle et brutale – regardant
le Président quand je dis cela et pensant aux récentes
atrocités commises au Nigéria –, laissons-nous guider et
inspirons-nous du préambule de la Charte des Nations
Unies, qui réaffirme « la dignité et la valeur de la
personne humaine », et de la Charte, qui nous exhorte
à « vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bon
voisinage ».
La Présidente (parle en anglais : Je remercie le
Vice-Secrétaire général de son exposé.
Je donne maintenant la parole à l’Ambassadeur
Keating.
M. Keating ( parle en anglais) : Je tiens à remercier
tous les membres du Conseil de sécurité de m’avoir
invité à participer à la présente séance d’informations.
Il y a 20 ans, Madame la Présidente, votre pays,
le Nigéria, et le mien, la Nouvelle-Zélande, étaient
membres du Conseil et siégeaient côte-à-côte ici.
J’assumais la redoutable responsabilité de présider, en
avril 1994, un Conseil qui refusait de reconnaître le
génocide en train d’être perpétré contre les Tutsis au
Rwanda et qui ne voulait pas assumer la responsabilité
de renforcer la mission de maintien de la paix des
Nations Unies au Rwanda en vue de protéger autant de
civils innocents que possible.
Ma première responsabilité aujourd’hui est donc
de me souvenir des victimes, de ceux qui sont morts,
près d’un million, et des survivants.
Il est bon que le Conseil commémore lui aussi
le génocide et débatte de la nécessité de prévenir
le génocide à l’avenir. À moi qui étais Président du

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Menaces contre la paix et la sécurité internationales

Conseil de sécurité en avril 1994, la présente séance
d’information donne également une bonne occasion
de présenter mes excuses pour notre incapacité à agir
à l’époque, pour qu’elles soient officiellement inscrites
dans les documents officiels du Conseil.
Deuxièmement, je veux rendre hommage aux
membres du Conseil qui se sont associés à la NouvelleZélande en 1994 et qui ont appuyé nos efforts pour
condamner le génocide et pour renforcer la Mission des
Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR).
À cet égard, le Nigéria mérite un hommage particulier,
tout comme la République tchèque et l’Espagne. Deux
autres membres, l’Argentine et Djibouti, nous ont eux
aussi apporté leur appui et leurs encouragements.
Nous devons par ailleurs nous souvenir de ceux
qui, sur le terrain, ont fait preuve d’un immense courage
et ont fait de leur mieux pour protéger les civils, en tout
premier lieu le général Romeo Dallaire, commandant de
la Force, ainsi que les braves soldats belges et sénégalais
qui ont sacrifié leur vie. Je tiens à rendre un hommage
particulier aux vastes contingents du Ghana, du Sénégal
et du Canada, qui sont restés au Rwanda tout au long
du génocide. Depuis ma place au Stade Amahoro pour
la commémoration du génocide à Kigali la semaine
dernière, il m’a été impossible de ne pas me souvenir
de la bravoure des soldats des Nations Unies qui ont
protégé des milliers de Tutsis dans ce stade pendant le
génocide. Je me suis également rappelé que, malgré ce
que pensent de nombreuses personnes, l’Organisation
des Nations Unies n’avait pas entièrement abandonné le
Rwanda.
Je veux également rendre hommage à deux
organisations : le Comité international de la Croix-Rouge
et Médecins sans frontières. Toutes deux ont dépêché
leur personnel sur plusieurs sites près de Kigali. En tant
que Président du Conseil, je m’entretenais, en général
tous les matins, avec leurs représentants à New York, et
je pouvais alors transmettre au Conseil des informations
objectives en provenance du terrain.
Nous savons tous à quel point l’information du
Conseil est importante – en particulier pendant les
premiers stades d’un conflit naissant, lorsqu’il est encore
possible de recourir à des mesures de prévention ou de
dissuasion. En mars et avril 1994, le Conseil ne recevait
pas d’informations utiles du Secrétariat. Même plusieurs
semaines après le début du génocide, les événements
étaient encore qualifiés de simple reprise de la guerre
civile. Le Conseil n’était pas au courant du massacre
systématique de civils. Qui plus est, le Secrétariat avait
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dissimulé au Conseil une information cruciale – un câble
datant de janvier 1994 du commandant de la Force qui
avertissait clairement de la probabilité qu’un génocide
soit perpétré. D’ailleurs, autre alerte rapide, le système
des Nations Unies à Genève disposait également d’un
élément vital : un rapport du Rapporteur spécial à la
Commission des droits de l’homme qui signalait la
probabilité d’un génocide. Or ce rapport n’a jamais été
porté à l’attention du Conseil.
Tout cela est riche d’enseignements concernant
l’information, l’alerte rapide et le meilleur moyen
d’exploiter les informations disponibles – enseignements
qui semblent conserver toute leur pertinence
aujourd’hui. Je sais que certains ici doutent de l’utilité
des tours d’horizon prospectifs, mais s’ils veulent
prendre la prévention au sérieux, il est désespérément
temps d’envisager d’autres solutions créatives.
Je me dois d’expliquer ce qui a poussé le Conseil
à réduire les effectifs de la MINUAR en ce mois
d’avril 1994. Plusieurs mois auparavant, un membre
permanent avait cherché à réduire le nombre de missions
de maintien de la paix. Pour ce membre permanent,
la MINUAR devait faire l’objet d’une attention
particulière du fait de la lenteur des progrès réalisés par
les négociations de paix à Arusha. Il avait donc insisté
pour que la MINUAR soit surveillée de très près. En
conséquence, la résolution 909 (1994) prévoyait un
examen du mandat de la Mission à la mi-mai. Pendant
les consultations, des signaux clairs avaient laissé
transparaître que le renouvellement du mandat de la
MINUAR ne serait pas accordé si le processus de paix à
Arusha se heurtait à d’autres obstacles.
Rétrospectivement, il est clair que, dans notre
ignorance, nous avons fait un cadeau aux génocidaires à
Kigali. Leur ambassadeur siégeait au Conseil. Ils étaient
ainsi au fait de toutes les discussions qui avaient lieu
pendant les consultations. Ils savaient que le mandat
de la MINUAR était menacé. Ils avaient toutes les
raisons de penser qu’il ne leur restait qu’une chose à
faire – générer le chaos au Rwanda – pour qu’il soit mis
fin au mandat de la MINUAR.
Dans un tel contexte, tous les membres du
Conseil savent bien les difficultés politiques auxquelles
ceux d’entre nous qui voulaient renforcer la MINUAR
se sont heurtés. Un tel renforcement nécessitait une
nouvelle décision officielle, mais les négociations ne
laissaient pas planer le doute : un veto serait mis à un
projet de résolution tendant à consolider la Force. La
tâche a été rendue encore plus ardue lorsque certains
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Menaces contre la paix et la sécurité internationalesS/PV.7155

des principaux fournisseurs de contingents ont pris la
décision unilatérale de se retirer. La Belgique avait subi
de graves pertes; convaincue que toutes ses troupes
étaient en danger, elle avait commencé à insister en faveur
d’une évacuation auprès du Conseil et d’autres pays qui
fournissaient des contingents. Certains contingents,
notamment ceux qui n’étaient que légèrement armés
et ne disposaient pas d’équipement de protection,
craignaient également pour la sécurité de leur personnel
et voulaient quitter le Rwanda. Ainsi, une difficulté
supplémentaire à l’époque était de préserver le moral et
la confiance des pays fournisseurs de contingents.

de 1948. En ma qualité de Président, j’ai annoncé que, si
l’on ne s’entendait pas sur une déclaration présidentielle
basée sur la formulation exacte de la Convention sur le
génocide, je convoquerais un débat public du Conseil,
à 23 h 55 le samedi 30 avril et je mettrais le projet de
résolution aux voix. Finalement, nous avons adopté
la déclaration présidentielle S/PRST/1994/21, qui
condamnait les atrocités au Rwanda, en utilisant toutes
les formules de la Convention sur le génocide que nous
voulions utiliser, bien que, sur l’insistance de certains
membres permanents, le mot « génocide » lui-même ait
été supprimé.

Dans ce but, j’ai organisé des réunions
informelles quotidiennes entre le Président et les
fournisseurs de contingents, et, parallèlement avec
le Nigéria et d’autres pays, pour tenter de négocier le
meilleur compromis possible concernant l’avenir de la
MINUAR. Mais ce compromis était voué à impliquer
plutôt une réduction qu’un renforcement des effectifs.
Pour moi, le plus important était de faire en sorte que la
MINUAR continue d’exister et de conserver autant que
possible les troupes les plus efficaces, parce que nous
savions que le commandant de la Force se servirait de
toutes les ressources dont il disposerait pour protéger
autant de civils que possible, et nous espérions que cela
permettrait ultérieurement de renforcer rapidement la
MINUAR.

Début mai, la Nouvelle-Zélande et le Nigéria
ont chacun présenté des projets de résolution visant
à renforcer les effectifs et à donner à l’opération un
mandat officiel de protection des civils. Mais il a fallu
attendre le 8 juin pour que la résolution 925 (1994) soit
adoptée. Pour autant, cette résolution était ambiguë et
n’autorisait pas un déploiement intégral. En définitive,
le génocide n’a pris fin que lorsque les forces du Front
patriotique rwandais ont pris le contrôle de la totalité
du pays.

Peut-être cette histoire permet-elle de mettre en
évidence, concernant l’importance et la nécessité d’une
interaction entre le Conseil et les pays fournisseurs
de contingents, certains enseignements qui sont
probablement, selon moi, toujours d’actualité.
Je vais maintenant évoquer l’action menée par
la Nouvelle-Zélande et la République tchèque, avec
l’appui de l’Argentine et de l’Espagne, pour appeler le
génocide par son nom et pour le condamner. Malgré
une amélioration des exposés du Secrétariat et des
informations qui me parvenaient des organisations non
gouvernementales sur le terrain et que je transmettais
au Conseil, la plupart des membres permanents
n’étaient pas d’accord. Leurs motivations avaient
beau être différentes, il n’en résultait pas moins que
plusieurs membres bloquaient un projet de déclaration
présidentielle.
Les jours passaient et, à l’approche de la fin
du mois, la Nouvelle-Zélande a « mis en bleu » un
projet de résolution condamnant le génocide, dont la
formulation provenait précisément de la Convention
pour la prévention et la répression du crime de genocide

Voilà l’histoire tragique d’avril, mai et juin 1994.
Les limites de temps ne nous permettent pas de procéder
à une analyse détaillée des faits qui se sont déroulés
pendant les mois qui ont suivi, comme la mauvaise
décision prise par le Conseil d’autoriser l’opération
Turquoise, ou encore les événements qui ont abouti
à la création du Tribunal pénal international pour le
Rwanda. Mais qu’il me soit permis de faire quelques
brèves observations finales.
Ma première observation est un message d’espoir.
Je pense qu’il est très important de bien différencier
l’échec de 1994 concernant le Rwanda avec ce que le
Conseil a fait en 2010 concernant la Côte d’Ivoire. Pour
la Côte d’Ivoire, les membres du Conseil savaient qu’il
y avait un risque sérieux que se produisent des atrocités
de masse à caractère ethnique. Ils recevaient des
informations fiables de la part du Secrétariat. Ils avaient
mis en place un mandat de protection approprié. L’ONU
avait fourni à la Mission les ressources nécessaires. Le
Département des opérations de maintien de la paix,
grâce à son projet Capstone, disposait d’un ensemble
utile de doctrines. Les pays fournisseurs de contingents
ont fait montre de courage et de détermination, et ont
été bien soutenus par l’ONU. Plus important encore,
les membres du Conseil étaient pleinement d’accord
sur la nécessité d’une intervention énergique et limitée
destinée à garantir la protection.

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Menaces contre la paix et la sécurité internationales

Je tiens à ajouter que l’évolution du principe de
la responsabilité de protéger, mentionné très clairement
dans le projet de résolution dont le Conseil est saisi
aujourd’hui, nous donne de nouvelles raisons d’espérer.
L’attitude récente du Conseil au Mali et en République
centrafricaine, et illustrée par la Brigade d’intervention
en République démocratique du Congo, démontre en
outre que d’importants enseignements ont été tirés.
Ma deuxième observation a trait à la conviction
qui régnait en 1994 que la communauté internationale
n’avait pas les moyens d’intervenir au Rwanda, alors
que c’était faux. Au début du mois d’avril, juste après
le début du génocide, un certain nombre de pays ont
organisé une intervention militaire unilatérale de grande
envergure au Rwanda, qui avait pour but de protéger
et d’évacuer du pays les ressortissants étrangers. Puis
ces forces ont quitté le pays et ont abandonné les
Tutsis à leur sort. De nouveau, en 1995, alors que les
génocidaires et une bonne partie de la population civile
avaient fui en République démocratique du Congo, une
autre intervention de grande envergure a été lancée,
cette fois-ci dans l’est de la République démocratique
du Congo. Ironie du sort, elle visait à aider ceux qui
étaient à l’origine du génocide, La vérité, c’est que les
capacités ne manquaient pas. Ce qui manquait, aussi
bien en 1994 au Rwanda qu’en 1995, lorsque le Conseil
n’est pas intervenu pour assurer la sécurité dans les
camps en République démocratique du Congo, c’était la
volonté politique.
Ma
troisième
observation
concerne
l’enchaînement des catastrophes qui peuvent se produire
lorssqu’il y a un manque de volonté politique, comme
en 1994. Le Vice-Secrétaire général a déjà abordé ce
point. En une accumulation dangereuse, des événements
se sont déroulés et ont fini par embraser l’ensemble de
la région. Vingt ans plus tard, nous sommes toujours
aux prises avec leurs conséquences en République
démocratique du Congo. L’échec essuyé au Rwanda
en 1994 a non seulement entraîné le génocide, mais
a également conduit à une catastrophe humanitaire
dramatique en République démocratique du Congo
en 1995. Cette situation a directement mené aux
guerres civiles en République démocratique du Congo
ainsi qu’à une tragédie humaine d’une ampleur encore
plus considérable. D’après certaines évaluations, près
de 5 millions de personnes seraient mortes. Une grande
instabilité a frappé toute la région.
Si nous voulons vraiment que la prévention
fonctionne, il nous faut de meilleurs mécanismes
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politiques, opérationnels et financiers afin que le
Conseil et l’ensemble du système des Nations Unies
puissent obtenir de meilleurs résultats. Je pense que cela
implique de mettre en place de nouveaux mécanismes
pour améliorer l’alerte rapide, de meilleurs systèmes
pour informer le Conseil et lui présenter des options dès
les premiers signes de crises potentielles, une meilleure
diplomatie préventive, une utilisation plus efficace
des outils du Chapitre VI de la Charte des Nations
Unies, un déploiement préventif rapide et, si tout le
reste échoue, une sérieuse dissuasion. Il me semble
que les coûts d’investissement dans ces mécanismes
sont insignifiants à côté des terribles coûts humains,
financiers et politiques de l’inaction qu’a entraînés notre
incapacité collective à faire face au génocide au Rwanda
en 1994.
La Présidente ( parle en anglais) : Je remercie
l’Ambassadeur Keating de son exposé.
Je crois comprendre que le Conseil est prêt à
voter sur le projet de résolution dont il est saisi. Je vais
maintenant mettre aux voix le projet de résolution.
Il est procédé au vote à main levée.
Votent pour :
Argentine, Australie, Tchad, Chili, Chine,
France, Jordanie, Lituanie, Luxembourg, Nigéria,
République de Corée, Fédération de Russie,
Rwanda, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
d’Irlande du Nord, États-Unis d’Amérique
La Présidente ( parle en anglais) : Le résultat du
vote est le suivant : 15 voix pour. Le projet de résolution
est adopté à l’unanimité en tant que résolution 2150
(2014).
Je donne maintenant la parole aux membres du
Conseil de sécurité.
M. Gasana (Rwanda) ( parle en anglais) : Je
vous remercie, Madame la Présidente, d’avoir organisé
cette importante séance d’information qui est l’un
des moments de la commémoration du vingtième
anniversaire du génocide contre les Tutsis au Rwanda.
Les intervenants qui se sont exprimés aujourd’hui
possèdent assurément une vaste expérience sur le sujet
de la prévention et de la lutte contre le génocide. Je salue
l’Ambassadeur Colin Keating, de la Nouvelle-Zélande,
un homme qui, en tant que Président du Conseil de
sécurité en avril 1994, a été témoin d’un horrible moment
de faiblesse de la part de cet organe, il y a 20 ans, alors
qu’il demandait de l’aide pour notre peuple. Je salue
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Menaces contre la paix et la sécurité internationalesS/PV.7155

également la présence du Vice-Secrétaire général,
M. Jan Eliasson, qui a convié le système des Nations
Unies à tirer les leçons de son échec au Rwanda en 1994,
et qui a joué un rôle important dans la libération et
la promotion de notre responsabilité de protéger. Je
remercie ces deux messieurs, ou devrais-je dire ces
chers amis, des exposés qu’ils ont présentés aujourd’hui.
Je saisis l’occasion pour remercier tous les
membres du Conseil d’avoir adopté à l’unanimité la
résolution 2150 (2014) sur la prévention et la lutte
contre le génocide, à l’occasion de la commémoration
du vingtième anniversaire du génocide de 1994 contre
les Tutsis au Rwanda, au cours duquel des Hutus et
d’autres encore ont également été tués. Je remercie aussi
particulièrement tous les États Membres de l’ONU
qui se sont portés coauteurs de la résolution. Nous
espérons que la résolution servira d’appel à la vigilance,
et apportera une contribution, si maigre soit-elle, à la
prévention et à la lutte contre de futurs génocides.
En 1994, plus d’un million de personnes ont été
massacrées au Rwanda sur une période de 100 jours,
entre avril et juillet. Cela fait 10 000 personnes tuées
chaque jour pour le seul crime d’être nées tutsies.
D’autres personnes – des Hutus, des Twas et des citoyens
étrangers – ont également été tuées pour s’être opposées
au génocide et acquittées de leur obligation de protéger
leurs frères humains. Des hommes, des femmes et des
enfants ont été systématiquement massacrés sous les
yeux de la communauté internationale. Le génocide
contre les Tutsis a montré à quel point les méthodes
de prévention de l’ONU ont totalement échoué. À cet
égard, à l’ouverture des cérémonies de commémoration
du vingtième anniversaire au Rwanda en janvier, la
Ministre des affaires étrangères du Rwanda, M me Louise
Mushikiwabo, a posé une question pertinente à laquelle
je pense que le Conseil de sécurité devrait s’efforcer de
répondre au cours des années à venir. Sa question était la
suivante : Si aujourd’hui, la communauté internationale
avait à sa disposition les informations et les moyens
nécessaires pour prévenir une catastrophe humanitaire,
comme c’était le cas en 1994, agirait-elle différemment?
En 1994, le problème n’était pas l’absence
d’informations sur ce qui se passait réellement au
Rwanda. Ce n’était pas parce qu’il n’y avait pas de
qualification juridique des crimes qui étaient en train
d’être commis. Ce n’était pas parce qu’il n’y avait
pas de budget ou de financement. Comme l’a indiqué
l’Ambassadeur Keating, c’était tout simplement une
absence de volonté politique. Une absence de volonté

politique de la part des membres permanents du
Conseil, qui avaient le droit de veto. Une absence de
volonté politique de la part du Secrétariat de l’ONU,
qui a délibérément inclus des informations erronées
dans les rapports du Secrétaire général, contredisant
les informations exactes fournies par le commandant
de la Force des Nations Unies. Une absence de volonté
politique de la part des pays fournisseurs de contingents
qui ont retiré leurs troupes, laissant ceux qui avaient
cherché protection auprès d’elles à la merci des milices
Interahamwe. Comme l’a dit le Président Kagame
le 7 avril, « la prévention du génocide exige de la clarté
historique de la part de nous tous ».
Par conséquent, il est de notre devoir de rappeler
que le génocide a été perpétré au Rwanda en raison
d’une indifférence systémique totale, avant et pendant
cette tragédie. Vingt ans plus tard, nous devons nous
demander si la communauté internationale, et l’ONU
en particulier, est mieux à même de faire en sorte que
ce qui s’est passé au Rwanda en 1994 ne se produise
ailleurs. À ce sujet, le Président Kagame a clairement
indiqué, dans ce même discours du 7 avril, qu’« aucun
pays, en Afrique ou ailleurs, ne devrait devenir un autre
Rwanda. Mais si les choix d’un peuple ne se fondent pas
sur la clarté historique, ce danger est omniprésent. »
Les scènes affreuses provenant de la République
centrafricaine, de la Syrie et du Soudan du Sud suffisent
parfois à convaincre beaucoup de gens que l’ONU
a toujours du mal à faire correspondre ses principes
normatifs aux réalités sur le terrain, et qu’il y a encore
beaucoup à faire pour prévenir les atrocités de masse.
Cela a été amplement démontré par le fait que le
génocide contre les Tutsis au Rwanda a été commis en
dépit de l’adoption de la Convention sur la prévention
et la répression du crime de génocide quatre décennies
auparavant et de la responsabilité inhérente du Conseil
de sécurité de maintien de la paix et de la sécurité
internationales.
Depuis la tragédie qui s’est produite au Rwanda,
l’Organisation a déployé des efforts pour prévenir les
génocides et les atrocités de masse en renforçant la
capacité du système des Nations Unies, en mobilisant
la volonté politique de quelques États Membres et en
analysant les enseignements tirés des échecs récents.
On ne peut toutefois pas dire que ces efforts aient
véritablement porté leurs fruits. Parmi ces efforts
figurent l’approbation du principe de la responsabilité
de protéger pendant le Sommet mondial de 2005;
l’amélioration du programme relatif à la protection

14-301887/30

S/PV.7155

Menaces contre la paix et la sécurité internationales

des civils au moyen de la mise en place de cadres
normatifs; la création du Bureau du Conseiller spécial
pour la prévention du génocide; et, s’agissant de la
responsabilité de protéger, la mise en œuvre du plan
d’action « Les droits avant tout », un outil permettant
à l’ONU d’améliorer son action dans le domaine de
la prévention en instituant une politique de diligence
voulue en matière de droits de l’homme en vue de la
réalisation des buts et des principes des Nations Unies,
tels qu’énoncés dans la Charte. Grâce aux travaux et
à la jurisprudence des tribunaux pénaux des Nations
Unies, y compris le Tribunal pénal international pour
le Rwanda et le Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie, ainsi que le Tribunal spécial mixte
pour la Sierra Leone et d’autres mécanismes pénaux
internationaux, l’importance de la responsabilité
individuelle des auteurs de ces crimes a été mise en
évidence. Nous espérions que la combinaison de tous ces
efforts permettrait de mettre en place une architecture
robuste et efficace. Comme l’indique le document de
réflexion (S/2014/265, annexe), la question essentielle
qui se pose aujourd’hui est de savoir si ces moyens
sont adéquats, ou s’il y des domaines qui appellent une
amélioration soutenue. Sans entrer dans les détails, tout
le monde dans cette salle conviendra avec moi qu’une
amélioration soutenue s’impose.
Il est regrettable que certaines des initiatives
prises de bonne foi par l’ONU et ses États Membres
pour prévenir et combattre le génocide aient buté contre
différents écueils et suscité des controverses entre
États Membres. Aujourd’hui, certaines des initiatives
viables, telles que la Cour pénale internationale, sont
sujettes à des manipulations et des abus politiques, qui
sont en contradiction avec les intentions initiales qui ont
présidé à leur création. D’autres initiatives ne disposent
toujours pas de ressources et de capacités suffisantes
pour s’acquitter de leurs fonctions, ce qui, à long terme,
fait que les cadres normatifs ne donnent pas lieu à des
outils concrets de prévention correspondant aux réalités
sur le terrain. En conséquence, certains de ces efforts
n’aboutissent pas à grand-chose, et les slogans « Plus
jamais ça! » semblent toujours aussi vides de sens
aujourd’hui qu’ils l’étaient après le génocide perpétré
contre les Tutsis au Rwanda.
Il est vrai qu’il y a des défis immenses à relever
si l’on veut mener une action de prévention rapide et
efficace. Chaque jour, non seulement au niveau de
l’ONU mais aussi au sein des États Membres, les
décideurs politiques sont confrontés à de nombreuses
tâches urgentes ayant trait aux crises qui frappent telle
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16/04/2014

ou telle région du monde. Il est de toute évidence très
difficile de se pencher sur un problème qui ne s’est pas
encore manifesté clairement, mais nous estimons que
c’est une tâche que cette Organisation, après près de sept
décennies d’existence, aurait maîtrisée. Il faut beaucoup
d’efforts et de volonté pour surmonter les nombreux
obstacles politiques, financiers et opérationnels.
Nous estimons qu’il faut mettre plus l’accent sur
la réduction des risques de génocide et des atrocités de
masse, afin de réduire la nécessité d’intervenir face à
des crises. Au fil du temps, les investissements dans les
domaines permettant de s’attaquer aux causes profondes
des conflits, tels que l’amélioration de la qualité de la
gouvernance démocratique et de la situation des droits
de l’homme, la mise en place d’institutions solides, la
promotion de la performance économique, la réduction
de la pauvreté et des inégalités et la réconciliation
nationale, permettront de réduire ces risques. Nous
estimons également qu’il faut investir plus d’efforts
dans le renforcement des capacités de l’ONU en matière
de préparation aux crises, au lieu d’improviser en cas
de crise.
Dans ce contexte, les capacités opérationnelles
devraient être renforcées bien à l’avance afin de gérer
des situations qui se répètent généralement et pour
améliorer la capacité de réponse des institutions.
En d’autres termes, l’ONU doit avoir la capacité de
permettre des déploiements rapides plutôt que de
mobiliser des ressources pour un tel déploiement quand
une crise éclate. Cela peut être mis au service des
arrangements régionaux et sous-régionaux, qui, pour la
plupart sont en train de créer des brigades en attente.
Il est également très important que la communauté
internationale investisse de manière considérable dans
le renforcement des capacités des acteurs locaux et
régionaux, étant donné qu’ils ont plus de raisons d’agir
face aux conflits et crises qui se déroulent à proximité.
À cet égard, nous accueillons avec satisfaction la
déclaration faite par le Secrétaire général le 7 avril à
Kigali à l’occasion de la commémoration des 20 ans du
génocide perpétré contre les Tutsis, et qui constitue selon
nous une mutation dans la manière dont l’Organisation
conçoit les choses :
« J’ai moi-même envoyé un message aux
représentants des Nations Unies dans le monde
entier. Ce message est simple : lorsque vous
constatez que des personnes risquent d’être
victimes d’atrocités criminelles, n’attendez
pas d’instructions de la hiérarchie. Dites les
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16/04/2014

Menaces contre la paix et la sécurité internationalesS/PV.7155

choses haut et fort, même si certains peuvent
s’en offenser. Agissez. Notre premier devoir est
toujours de protéger les personnes – de protéger
les êtres humains qui sont dans le besoin et
exposés à un danger. »
L’ensemble du système des Nations Unies doit
donc mettre en place l’infrastructure nécessaire à
l’application d’un tel changement de politique. Il s’agit
d’une première.
Avant de terminer, je tiens à dire que le Rwanda
est reconnaissant au Conseil de sécurité que la
résolution 2150 (2014) condamne sans réserve tout déni
du génocide au Rwanda. Nous appelons donc de nouveau
tous les États Membres à appuyer la lutte contre le déni
du génocide, qui constitue un déni du droit de mémoire,
du droit de guérison et du droit de réconciliation, et
l’obligation de tirer des enseignements du passé.
Pour terminer, je voudrais citer l’Ambassadrice
María Cristina Perceval, de l’Argentine, qui a déclaré
ce qui suit lors d’une réunion entre les membres du
Conseil de sécurité et le Président Kagame tenue
le 7 octobre 2013 à Kigali.
« Quand je vous écoute, Monsieur le Président,
cela me rappelle l’histoire de mon pays. Je suis venue ici
pour voir, apprendre et comprendre, et non pour désigner
des coupables. Le génocide n’est pas un slogan; il est en
nous, et l’ombre du passé est la lumière de demain. »
Tirons des enseignements du passé amer
du génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda
en 1994 afin de mieux prévenir et combattre de futurs
génocides et atrocités de masse. Je remercie une
nouvelle fois particulièrement tous mes collègues du
Conseil de sécurité, qui ont non seulement voté pour la
présente résolution mais s’en sont également tous portés
coauteurs, ce qui est exceptionnel.
Le prince Zeid Ra’ad Zeid Al‑Hussein
(Jordanie) ( parle en anglais) : Ce matin, nous faisons
des déclarations en mémoire de ceux qui ont subi des
souffrances si cruelles et en si grand nombre il y a 20 ans
au Rwanda. Cependant, comme tant d’autres l’ont dit
avant nous, à tant d’autres occasions aussi sombres :
des déclarations peuvent-elles jamais répondre aux
exigences d’un tel moment? Au moment où les âmes
perdues – plus 800 000 – doivent continuer de demander,
20 ans plus tard : alors? Les 15 membres du Conseil de
sécurité, en particulier les membres permanents, ontils appris quoi que ce soit de notre massacre, après que

nous avons été battus, découpés à la machette ou tués
par balle en l’espace de 100 jours?
Quels mots emploierions-nous, nous, les
membres actuels du Conseil de sécurité? Quels mots
seraient épargnés par les railleries inévitables et les rires
cyniques des Centrafricains dont des proches ont été
tués ou ont fui leurs foyers en grand nombre. Une fois
que nous ôtons les différences évidentes entre le Rwanda
en 1994 et la République centrafricaine en 2014 – et
même après le déploiement rapide de contingents
africains et français en République centrafricaine et
l’adoption de la résolution 2149 (2014), dont nous nous
félicitons – d’autres aspects de la manière dont l’ONU
fait face à ces crises n’ont pas changé : le long délai
avant le déploiement est toujours là; de même que les
inquiétudes liées à la garantie d’un nombre suffisant de
fournisseurs de contingents; des contraintes financières
existent également; et, enfin, n’arrivons-nous pas trop
tard – une nouvelle fois? Aucun d’entre nous n’est
indifférent, certes, peut-être. Mais il est tout aussi
évident que nous ne nous en soucions pas suffisamment;
pas suffisamment pour agir immédiatement, de manière
quasi unanime, dans des situations où une intervention
est nécessaire.
Nous ne nous en soucions pas suffisamment,
car les catégories dans lesquelles nous nous rangeons
et dans lesquelles nous rangeons les autres nous
empêchent toujours de voir le point essentiel et évident.
Même si ceux qui ont été tués il y a 20 ans étaient
des Tutsis ou des Hutus modérés qui s’opposaient
au génocide, ce n’est pas en raison de leur identité,
Tutsis ou Hutus modérés, que nous les pleurons. Nous
leur rendons hommage et nous nous souvenons d’eux
aujourd’hui parce que ce sont des personnes, des êtres
humains, comme nous. Le fait même que nous rangeons
les êtres humains dans des catégories en fonction de
leur race, nationalité, religion, origine ethnique, et des
circonstances de leur naissance, continue de dominer
la façon dont nous nous percevons les uns les autres.
Il y a alors un entassement inévitable, un trop grand
nombre d’entre nous nous considérant nous-mêmes – et
étant considérés – comme plus importants que d’autres.
C’est là la principale malédiction de l’humanité. Notre
tendance à classifier, en nous appuyant sur un seul point
de référence, constitue le fondement des extrémismes
ethniques et des nationalismes ethniques qui, à leur
tour, trahissent et corrompent le statut de victime.
Ce qui est alarmant, c’est que la plupart de ceux
qui ont tué au Rwanda n’étaient pas des personnes

14-301889/30

S/PV.7155

Menaces contre la paix et la sécurité internationales

sadiques et délirantes ni des psychopathes. La plupart
des tueurs étaient des gens ordinaires. Si notre
compréhension historique des génocides et des tueries
de masse nous apprend une seule chose, c’est que dans
des circonstances très particulières, les gens ordinaires
feront preuve d’une cruauté qu’ils n’auraient jamais pu
concevoir, et encore moins leurs victimes. Même après
avoir commis des crimes aussi terribles, ils sont peu
nombreux à pouvoir exprimer des remords sans qu’une
quelconque contrepartie ne leur soit offerte, car ils ne
peuvent quasiment pas le croire eux-mêmes. Parmi tous
les représentants assis dans cette salle, un nombre plus
grand que nous n’oserions jamais l’imaginer pourrait
éventuellement commettre des atrocités de masse
dans des conditions extrêmes et inhabituelles. Nous ne
saurons jamais si nous en ferions partie à moins que,
pour notre plus grand malheur, nous nous retrouvions
recouverts de cette toxine que nous appelons atrocités
de masse. C’est ce que nous retirons de notre idée du
génocide.
Un élément qui fait que des gens ordinaires
puissent se transformer complètement c’est la peur.
C’est comme si la peur éteignait les fonctions cérébrales
les plus importantes et, à mesure qu’elle imprègne
l’esprit, anéantit l’empathie. Quelle que soit la capacité
de penser qui reste dans cet esprit rapetissé, elle tombe
dans un circuit fermé qui se renforce lui-même, et dans
lequel le fait de tuer, même des enfants, est considéré
comme juste. Après ces atrocités, ces êtres deviennent
de nouveau humains. Pourtant, leur culpabilité est
tellement élaguée par la raison qui leur revient qu’elle
est déformée : ne s’agissait-il pas, après tout, d’un cas
compréhensible d’autodéfense préventive, justifientils? Si nous n’avions pas tenté de les tuer tous, ils nous
auraient tous tués à terme. C’est simple.
La peur, basée sur des mensonges et nourrie
par des idéologies extrêmes, réduit à néant les valeurs
morales de nombreuses personnes, laissant uniquement
l’enveloppe primitive d’un être. La peur est le moteur
du génocide. Elle fait aussi hésiter ceux qui seraient
en mesure d’intervenir pour l’arrêter. Les événements
de 1993 en Somalie ont déterminé la manière dont la
communauté internationale a réagi au Rwanda en 1994,
comme l’Ambassadeur Keating l’a analysé avec lucidité
dans les écrits qu’il a publiés. Le fait que le Rwanda
siégeait alors au Conseil n’a pas aidé, car le Secrétariat a
par conséquent hésité à diffuser plus largement le câble
envoyé par le général Dallaire le 11 janvier. L’hésitation
conduit aux excuses et à la logique de la couardise.

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Si la peur est notre ennemie, alors le courage doit
être notre allié, et je ne parle pas d’un courage singulier
ou exceptionnel mais de celui que nous devons avoir
quand les événements l’imposent. À titre individuel,
en tant que membres du Conseil, nous devons avoir le
courage de contribuer davantage à l’action de maintien
de la paix de l’ONU. Nous ne devons pas nous contenter
de la mandater, de la définir ni même de la financer; nous
devons en partager les risques et y prendre pleinement
part, avec vigueur. Le Secrétariat doit avoir le courage
de nous livrer la vérité nue, et nous devons avoir le
courage de l’entendre, tandis que les soldats de la paix
doivent, eux, avoir le courage de protéger les civils dans
les pires circonstances, avec ou sans mandat. De toute
façon, dans de tels cas, les mandats importent peu.
En outre, nous devons avoir le courage de
comprendre que nos méthodes de travail au Conseil
créent un sentiment de routine, paralysant et dangereux.
Nous devons aussi avoir le courage de regarder la vérité
en face : quelles que soient ses faiblesses persistantes,
la Cour pénale internationale est la seule option à
disposition. Plus vite nous nous emploierons tous à la
renforcer et à adhérer à son statut, plus vite elle pourra
s’acquitter de la mission qui lui a été confiée, à savoir
mettre fin à l’impunité de tous ces types de crime.
Enfin, toujours sur la question du courage, ma
délégation présentera le moment venu un projet de
résolution pour adoption par le Conseil qui proposera de
créer une médaille des Nations Unies en reconnaissance
des actes de très grande bravoure. Le Secrétaire
général décernerait cette distinction honorifique au
personnel militaire et civil des Nations Unies ayant
fait montre d’un courage exceptionnel et ayant bravé
les pires dangers pour sauver des personnes d’une mort
certaine, au service de l’humanité et de l’ONU. Cette
décoration serait appelée la médaille du courage Mbaye
Diagne, en l’honneur du plus grand héros qu’ait connu
l’Organisation des Nations Unies.
Le capitaine Mbaye Diagne, du Sénégal, a été
tué après avoir sauvé la vie de centaines, voire de
milliers, de Rwandais. Le fait qu’il ait agi sans arme
et pratiquement seul, alors que les Tutsis et les Hutus
modérés étaient lâchement abandonnés par la quasitotalité de la communauté internationale n’en rend
l’intervention du capitaine Diagne que plus humaine
et plus héroïque. J’invite instamment les membres à
regarder ou écouter l’émouvant documentaire télévisé et
radiophonique, intitulé « A good man in Rwanda », que
la BBC lui a consacré.
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Menaces contre la paix et la sécurité internationalesS/PV.7155

On peut bien sûr citer d’autres personnes, comme
le général Romeo Dallaire, et son adjoint, le général
Henry Anyidoho, ainsi que les observateurs militaires de
l’ONU, les travailleurs humanitaires et les journalistes
qui, aux côtés de nombreux Rwandais courageux, se
sont comportés avec honneur face à l’inimaginable, il
y a 20 ans.
Notre projet de résolution proposera que le
Secrétaire général mette sur pied une équipe chargée
de concevoir la médaille Diagne et établisse un comité
externe composé d’anciens soldats de la paix venus
d’horizons divers et triés sur le volet qui auront pour
tâche d’examiner toutes les candidatures et de confirmer
toutes les nominations pour s’assurer qu’elles sont
méritées. L’Assemblée générale devrait, quant à elle,
envisager de créer un fonds spécial d’aide aux familles
des récipiendaires de cette distinction. La médaille
serait remise par le Secrétaire général en personne au
lauréat, ou à son parent le plus proche, à l’occasion d’une
cérémonie officielle à laquelle assisterait l’ensemble des
membres du Conseil de sécurité.
L’heure est venue en effet pour le Conseil de
sécurité d’honorer ceux qui oeuvrent en son nom et dont
l’humanisme et le courage sur les théâtres de guerre
sont bien supérieurs aux nôtres. Ils doivent nous servir
de modèle, à nous et à tous ceux qui travaillent pour
l’ONU sur le terrain, si nous voulons un jour mettre
définitivement fin à cette infamie que nous appelons
le génocide. Alors seulement, nous pourrons déclarer
aux âmes de ceux qui ont été massacrés au Rwanda il
y a 20 ans que nous, membres du Conseil de sécurité,
avons appris et avons changé.
M. Churkin (Fédération de Russie) ( parle en
russe) : Je tiens à remercier M. Jan Eliasson et M. Colin
Keating de leurs exposés. Nous avons écouté avec
beaucoup d’émotion et d’attention la déclaration du
représentant du Rwanda.
Nous nous souvenons aujourd’hui des événements
tragiques survenus au Rwanda en 1994, événements
qui dans la mémoire collective de la communauté
internationale évoquent un sentiment d’horreur mais
aussi un profond sentiment de culpabilité face au
massacre qui s’est déroulé au crépuscule du XXe siècle
et qui aurait pu et dû être évité. L’histoire du siècle
passé, et notamment les terribles enseignements de la
Seconde Guerre mondiale, aurait dû nous apprendre
que les prémices d’un génocide doivent être combattues
avec force, sans indulgence pour ceux qui épousent
une idéologie xénophobe afin de satisfaire des objectifs

politiques à court terme. Le peuple russe, dont une
partie, à l’instar de nombreux autres peuples, a été
condamnée par les nazis à l’anéantissement physique,
a payé un effroyable tribut qui se chiffre en dizaines
de millions de morts, soldats, civils, femmes, personnes
âgées et enfants.
Tout se passe comme si l’humanité n’avait pas tiré
les enseignements des épisodes sanglants de l’histoire.
Certes les criminels nazis ont été jugés et dans le sillage
de la victoire sur le fascisme, nous avons établi un
nouvel ordre international. La Convention de 1948 pour
la prévention et la répression du crime de génocide
et la Convention de 1968 sur l’imprescriptibilité des
crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont
été adoptées. Elles ont permis de qualifier certains
agissements de génocide et de faire en sorte qu’il y ait
responsabilité pénale pour ces crimes.
Malgré cela, à la fin du XXe siècle, la communauté
internationale n’a pas su comprendre à temps les signes
de détresse en provenance d’un petit pays d’Afrique, ni
venir au secours de sa population. L’un des génocides
les plus épouvantables de l’histoire s’est déroulé sous
nos yeux sans qu’il n’y ait pratiquement aucune réaction
des Nations Unies. Comment cela a-t-il été possible?
En 1994, une mission de maintien de la paix des Nations
Unies était pourtant présente au Rwanda. Pourquoi estelle restée impuissante devant les méfaits sanglants qui
ont mené au génocide?
Nous estimons que les réponses à ces questions
se trouvent dans les conclusions du rapport de la
Commission indépendante d’enquête sur les actions
de l’Organisation des Nations Unies lors du génocide
de 1994 au Rwanda (voir S/1999/1257, annexe), mise
en place au lendemain de la tragédie. La Commission
est arrivée à la conclusion que la raison principale de
l’incapacité totale de l’ONU d’empêcher le génocide est
que les États et l’ONU elle-même, en tant qu’organisation,
n’ont pas eu la volonté politique suffisante d’agir de
manière résolue, alors même que tous les instruments
et bases juridiques nécessaires à la prise de décisions
étaient en place.
Certains firent valoir les impératifs de protection
du personnel de la Mission des Nations Unies pour
l’assistance au Rwanda ou la nécessité de sauver leurs
compatriotes qui se trouvaient dans le pays. D’aucuns se
préoccupèrent avant tout de leurs exigences politiques
internes, tandis que d’autres ne pensaient qu’à maintenir
leur influence politique sur le pays. D’autres encore ne
prêtèrent tout simplement pas suffisamment d’attention

14-3018811/30

S/PV.7155

Menaces contre la paix et la sécurité internationales

aux effroyables nouvelles qui nous parvenaient de
Kigali, les mettant sur le compte des « particularités »
africaines. En vérité, l’ONU a failli à ses obligations
envers le Rwanda et ce manquement a coûté
environ 1 million de vies humaines.
Quelle conclusion pouvons-nous dès lors tirer
aujourd’hui à l’heure où nous commémorons un
anniversaire aussi tragique? Nous devons poursuivre le
travail entamé par l’ONU pour réparer ses erreurs. Or, les
mêmes erreurs continuent d’être commises aujourd’hui,
comme en témoignent les propositions de plusieurs
membres du Conseil de sécurité concernant la création
d’une mission des Nations Unies en Syrie, censée, on ne
sait comment, mettre un terme à la violence et fournir
au Conseil de sécurité des informations plus objectives
sur la situation sur place.
Ce qu’il faut, c’est arrêter d’utiliser des forces
politiques qui prêchent des idées nationalistes voire
extrémistes pour satisfaire des objectifs à court terme. Il
faut comprendre une fois pour toutes que s’accommoder
de telles forces peut produire les résultats les plus
tragiques et les plus destructeurs. Ce n’est pas un hasard
si à la Conférence internationale sur la prévention des
génocides, tenue récemment à Bruxelles, on a une
nouvelle fois insisté sur la nécessité de protéger et de
défendre les droits fondamentaux des minorités, et si
l’importance des mesures de prévention de l’incitation à
la violence motivée par la haine ethnique ou religieuse
a été soulignée.
Nous demandons à tous les pays de resserrer
effectivement la coopération internationale et régionale
pour atteindre ces objectifs, conformément à la Charte
des Nations Unies. C’est ce à quoi doit s’attacher le
Secrétariat, particulièrement le Conseiller spécial du
Secrétaire général pour la prévention du génocide. À
cet égard, il importe au plus haut point de définir de
façon appropriée les véritables priorités et objectifs.
La recherche théorique, dans le cas où cela s’avère
nécessaire, doit être pleinement intégrée dans le cadre
des fondements juridiques internationaux existants.
Aujourd’hui, à l’heure où nous pleurons avec le
peuple rwandais, nous devons nous rappeler que notre
fragile planète a besoin de nos efforts communs pour
relever les défis auxquels elle est confrontée.
M. Wang Min (Chine) ( parle en chinois) : La
délégation chinoise remercie la présidence nigériane
d’avoir convoqué la présente séance. Je remercie le
Vice-Secrétaire général, M. Eliasson, de son exposé.
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J’ai aussi suivi avec beaucoup d’attention la déclaration
faite par M. Keating.
Il y a 20 ans, le peuple rwandais a été l’objet
d’un carnage sans précédent, lors duquel des centaines
de milliers de civils ont été tués. Ce fut un sombre
chapitre de l’histoire de l’humanité dont nous devons
à jamais nous rappeler. Au cours des 20 dernières
années, le Gouvernement et le peuple rwandais n’ont
épargné aucun effort pour promouvoir la réconciliation
nationale, maintenir la stabilité nationale et relancer
le développement économique et social. Des résultats
remarquables ont été obtenus. Le Chine souhaite
sincèrement au Gouvernement et au peuple rwandais
de continuer d’obtenir des résultats sur la voie de la
réconciliation nationale.
Au cours des 20 dernières années, la communauté
internationale n’a eu de cesse de réfléchir sur les
enseignements tirés du génocide au Rwanda et n’a
épargné aucun effort pour éviter que ne se reproduise
’une tragédie similaire. En tant que dispositif central
de sécurité collective, le Conseil de sécurité a participé
activement ces dernières années à diverses actions
menées pour prévenir et régler les conflits, et a joué un
important rôle positif dans le maintien de la paix et de
la sécurité internationales.
S’agissant des moyens de prévenir et de réagir
rapidement et efficacement aux divers conflits et crises
potentiels pour prévenir un nouveau génocide, je tiens à
souligner les trois points suivants.
Premièrement, prévenir et maîtriser les conflits
est la manière la plus efficace de prévenir le génocide.
Les différends ethniques et religieux, l’absence de
développement et des capacités insuffisantes, entre
autres facteurs, sont susceptibles de susciter des tensions
ethniques, d’aggraver les inégalités sociales et même
de mener à des conflits sanglants. En vue de contenir
les conflits et d’en éliminer les causes profondes, il est
nécessaire de prendre des mesures intégrées pour traiter
les symptômes et les causes profondes en favorisant le
dialogue politique inclusif et la réconciliation nationale,
et créer un environnement pacifique propice à l’harmonie
ethnique et à l’unité. Dans une société pluraliste
où cohabitent plusieurs ethnies et religions, il est
absolument nécessaire de promouvoir le dialogue entre
les différents groupes ethniques, de plaider en faveur
de la paix, de l’harmonie et de l’inclusion, de renforcer
la cohésion sociale, de consolider la compréhension
et la confiance, et de prévenir la discrimination et la
confrontation.
14-30188

16/04/2014

Menaces contre la paix et la sécurité internationalesS/PV.7155

Deuxièmement, pour prévenir efficacement le
génocide, les pays et les gouvernements doivent remplir
leurs fonctions et obligations. C’est aux gouvernements
qu’il incombe au premier chef de protéger les civils.
Les gouvernements et les parties à des conflits doivent
se conformer au droit international humanitaire et à la
Convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide, entre autres obligations souscrites au plan
international, et tout faire pour protéger les civils contre
le génocide.
La communauté internationale doit respecter le
rôle de chef de file des pays concernés et, conformément
aux buts et principes énoncés dans la Charte des Nations
Unies, fournir un appui constructif. Les organisations
régionales ont une meilleure connaissance de la
situation sur le terrain et des causes profondes des
conflits et des tensions. Elles ont aussi des liens plus
étroits avec les parties concernées. L’Organisation des
Nations Unies et les organisations régionales doivent
renforcer la coordination et la coopération en vue de
tirer pleinement parti des synergies visant à activement
appuyer les efforts des pays concernés en matière de
protection des civils. Les systèmes juridiques des pays
concernés doivent être les principaux canaux pour
assurer aux victimes du génocide des garanties d’une
procédure régulière et de justice, sur la base du strict
respect de leurs traditions juridiques et de leurs réels
besoins.
Troisièmement, la communauté internationale
doit en priorité aider les pays concernés à réaliser
la croissance économique et le progrès social afin
d’éliminer la causes économiques et sociales du
conflit. La communauté internationale doit recourir au
dialogue, aux bons offices et à la médiation, entre autres
outils, pour promouvoir le règlement des différends et
organiser des conférences pour prévenir et contenir
l’escalade du conflit et arrêter à la source le génocide et
les autres crimes contre l’humanité.
Parallèlement, les institutions financières
internationales et les agences de développement doivent
intensifier leurs efforts dans les pays africains et dans
les autres pays en développement pour honorer tous leurs
engagements en termes d’assistance et de réduction de
la dette et de mobilisation des ressources nécessaires
au développement général de l’Afrique, en les aidant à
renforcer leurs capacités et en leur fournissant un appui
politique, financier et technique.
Les évéements du passé doivent être des
enseignements pour l’avenir. La tragédie d’il y a 20 ans au

Rwanda a marqué à jamais la mémoire de l’humanité. La
communauté internationale doit tirer les enseignements
nécessaires de ces événements et s’attacher à maintenir
la paix, renforcer le développement commun, éliminer
les causes profondes du conflit, promouvoir l’harmonie
et la coexistence entre différents groupes ethniques, et
conjuguer leurs efforts aux fins d’une paix basée sur le
désir d’un monde harmonieux.
M me Power (États-Unis d’Amérique) ( parle en
anglais) : Je remercie le Gouvernement nigérian d’avoir
organisé cette importante séance d’information. Je
remercie le Vice-Secrétaire général de ses observations
et pour sa détermination et celle de l’ONU à faire
mieux. Mes remerciements vont aussi à l’Ambassadeur
Keating, qui a partagé avec nous son expérience et
sa compréhension du problème. Tous ceux qui ont
le privilège d’être membres du Conseil de sécurité
doivent tirer les enseignements de ce qui s’est produit
en 1994 sans que le monde intervienne. L’Ambassadeur
Keating nous y a aidés.
Le Nigéria, la Nouvelle-Zélande, l’Espagne et la
République tchèque ont reçu un hommage particulier la
semaine dernière de la part du Gouvernement rwandais
pour l’action qu’ils ont menée au cours du génocide.
Aujourd’hui, grâce à l’Ambassadeur Keating, nous
pouvons ajouter l’Argentine et Djibouti à la courte liste
de ceux qui ont agi – non de ceux qui se sont contentés
d’être des spectateurs – face aux pires horreurs
survenues depuis l’Holocauste.
Il y a neuf jours, j’ai eu le privilège de compter
parmi les représentants venus de tous les coins de la
planète présents à Kigali pour marquer le vingtième
anniversaire du génocide rwandais. Nous avons incliné
la tête en souvenir des 800 000 hommes, femmes et
enfants et plus qui ont été impitoyablement privés de
leur vie. Nous nous sommes promis une nouvelle fois
d’aider à mener à bien l’action encore en cours pour le
relèvement, la réconciliation et la réintégration. Et nous
nous sommes joins au Président Kagame pour saluer cet
esprit rwandais que personne ne peut briser, comme il
l’a dit, qui a permis aux populations de ce beau pays de
construire un avenir meilleur sans pour autant oublier
le passé.
Mais alors que les dignitaires participaient
solennellement à la cérémonie, ont commencé à nous
parvenir les cris et les gémissements de femmes
rwandaises – mères, épouses, filles, sœurs – qui, d’une
voix obsédante, ont rappelé ce que chaque survivant doit
ressentir, et pas seulement à l’occasion des anniversaires.

14-3018813/30

S/PV.7155

Menaces contre la paix et la sécurité internationales

Chaque jour que Dieu fait, les Rwandais, dont nombre
d’entre eux à la Mission du Rwanda à New York et leurs
familles, vivent sans ceux qui comptent le plus pour
eux. En proie au chagrin, 200 personnes ont dû être
évacuées la semaine dernière du Stade Amahoro. Des
millions d’autres ressentent ce désespoir au quotidien.
Le stade dans lequel nous nous trouvions est
celui-là même qui a servi de refuge à 12 000 personnes,
qui y ont vécu dans le dénuement le plus total sous l’œil
de la Force décroissante du général Dallaire. Ce stade
sera pour toujours le rappel de ce que l’ONU aurait
pu accomplir si ses hauts responsables, ainsi que les
États-Unis et d’autres puissants États Membres avaient
envoyé des renforts de l’ONU et non évacué la plupart
des soldats de la paix sur le terrain.
Le Président Clinton l’a déclaré à plusieurs
reprises : l’incapacité d’agir des États-Unis pendant
le génocide de 1994 au Rwanda est son plus grand
regret. Tous ici, que nous ayons fait partie de nos
gouvernements respectifs ou non, que nous ayons siégé
au Conseil de sécurité ou non, nous devons nous livrer
à l’introspection pour envisager ce que nous aurions pu
faire de plus.
Aujourd’hui, nous examinons une nouvelle
fois la question centrale des enseignements
tirés – non seulement en théorie ou sur le papier, mais
véritablement compris, ressentis et appliqués dans la
pratique. Ce faisant, nous tirons profit d’instruments
qui n’existaient pas il y a 20 ans, comme le Bureau
du Conseiller spécial pour la prévention du génocide,
le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, la Cour
pénale internationale, la doctrine de la responsabilité
de protéger, les améliorations apportées aux capacités
régionales de maintien de la paix – et, à cet égard, je
voudrais en particulier souligner la participation des
soldats de la paix rwandais dont l’action exceptionnelle,
pour prévenir les atrocités en République centrafricaine
et ailleurs, force l’admiration –, davantage de souplesse
dans le déploiement des mécanismes d’établissement
des responsabilités, et une intensification bienvenue, au
sein de la société civile, de la prise de conscience du
génocide et du militantisme visant sa prévention.
Je cite cette dernière dimension en particulier
parce que, durant le génocide au Rwanda, alors
que 800 000 personnes étaient assassinées, une membre
du Congrès américain, Patricia Schroeder, a commenté
la réponse des États-Unis en soulignant que, dans son
propre État, le Colorado, une organisation de recherche
étudiait la population des gorilles menacés d’extinction
14/30

16/04/2014

au Rwanda. S’étonnant publiquement de la réaction
américaine, et décrivant l’engagement civique dans le
pays, elle a déclaré :
«
Certains
groupes
s’inquiètent
terriblement pour les gorilles. Mais – c’est
horrible à entendre – on ne sait tout simplement
pas quoi faire pour aider la population ».
Toutes les pressions politiques jouaient en faveur
de l’inaction plutôt que d’une intervention créative visant
à aider un peuple qui en avait désespérément besoin. Ce
ne sont pas les calculs politiques qui devraient dicter
notre réaction. En tant que communauté mondiale,
nous avons conscience que les atrocités de grande
ampleur peuvent résulter de divers scénarios. Nous
commençons à identifier des schémas et des indicateurs
caractéristiques. Nous sommes tous d’accord : il
convient de faire preuve de vigilance pour empêcher
les situations instables de s’aggraver. Nous avons
tous affirmé que chaque gouvernement a le devoir de
protéger ses citoyens contre les atrocités de masse. Nous
avons déclaré être prêts à intervenir, conformément à la
Charte des Nations Unies, lorsque les États ont besoin
d’aide pour s’acquitter de cette obligation.
Dans certains cas, du Timor-Leste au Libéria, en
passant par la Sierra Leone, la Libye, le Kenya et la Côte
d’Ivoire, nous nous sommes alliés à des partenaires sur
place pour mettre un terme à la violence ou la prévenir.
Récemment, nous avons progressé dans l’assistance
apportée à la République démocratique du Congo et dans
le renforcement de l’ONU pour lutter plus efficacement
contre les milices qui continuent d’attaquer et de violer
les civils. Nous avons intensifié les efforts diplomatiques
pour restaurer la paix au Soudan du Sud et, sur place,
l’ONU a non seulement fait don de fournitures de
secours aux populations déplacées par les récents
combats, mais – et c’est tout aussi important – elle a aussi
ouvert ses portes comme jamais auparavant, permettant
que ses bases deviennent des îlots de protection. Des
forces africaines et françaises ont été déployées pour
tenter de prévenir les atrocités de masse en République
centrafricaine. Nous avons rapidement approuvé la
création d’une commission d’enquête, et nous venons
d’approuver une opération de maintien de la paix des
Nations Unies afin de lutter contre la catastrophe qui
y fait rage. Nous devons faire en sorte que des forces
africaines, européennes et des Nations Unies y soient
déployées d’urgence.
Globalement, cependant, il est à la fois équitable
et profondément décevant d’admettre que nos réussites
14-30188

16/04/2014

Menaces contre la paix et la sécurité internationalesS/PV.7155

ne sont que partielles et que les crimes contre l’humanité
qui persistent sont dévastateurs. Hier, nombre d’entre
nous ont participé à une réunion selon la formule Arria
au cours de laquelle nous avons vu des photographies
choquantes prises dans les prisons syriennes, qui
montrent l’assassinat systématique et industrialisé, par
le massacre ou la famine, d’environ 11 000 détenus. Ces
photos ont été prises dans trois seulement des 50 centres
de détention gérés par la Syrie dans le pays. À cela, il
faut ajouter les victimes syriennes des attaques à l’arme
chimique, les enfants abattus par des barils explosifs et
tous ceux qui sont affamés jusqu’à la mort dans les villes
et villages assiégés ou qui sont exécutés par des groupes
terroristes. Dans 20 ans, comment reviendrons-nous sur
l’incapacité du Conseil de sécurité à aider toutes ces
personnes? Comment expliquerons-nous la désunion du
Conseil, 20 ans après le Rwanda?
Il arrive trop souvent que nous fassions trop peu,
que nous attendions trop longtemps ou que nous soyons
pris au dépourvu par des événements qui n’auraient
pas dû nous surprendre. À l’avenir, nous devrons
agir plus efficacement pour confronter et vaincre les
professionnels de la haine. Protéger les populations
des atrocités de masse, c’est aussi prévenir les
circonstances qui leur sont propices – discrimination
systématique, déni de la dignité humaine et codification
de l’intolérance. Personne ne devrait être la cible de
violences simplement à cause de son identité ou de ses
convictions.
Dans notre effort collectif pour prévenir les
atrocités de masse, nous devons utiliser dans un esprit
créatif tous les outils à notre disposition – surveillance du
respect des droits de l’homme, missions diplomatiques,
assistance technique, embargos sur les armes, sanctions
intelligentes, opérations de maintien de la paix,
enquêtes judiciaires, commissions d’établissement des
faits, tribunaux et autres mesures conçues pour influer
sur les calculs des auteurs de ces atrocités qui, chaque
jour, décident jusqu’où ils vont aller. Chaque jour, ils
procèdent mentalement à une analyse coûts-avantages
pour déterminer si le prix à payer pour persister est
supérieur ou non aux avantages que leur perspective
souvent perverse leur laisse entrevoir.
Nous devons également innover pour mieux
profiter des nouvelles technologies, comme les drones
qui sont à présent déployés en République démocratique
du Congo, ou même comme les messages texte dont l’on
se sert pour donner l’alerte, suivre les déplacements des
groupes illégaux, ou recueillir les preuves de violations

criminelles; et bien sûr, nous devons toujours acheminer
l’aide à ceux qui en ont désespérément besoin.
Il convient également de rappeler que prévenir les
atrocités de masse est une responsabilité mondiale qui
exige de robustes contributions de notre part à tous. En
particulier, nous devons former et équiper les soldats de
la paix qui s’apprêtent à risquer leur vie. Davantage de
pays doivent payer leur écot, en apportant des ressources
humaines militaires et civiles, des éléments habilitants
ou toute autre forme de contribution. Je me fais l’écho du
point soulevé par mon homologue rwandais selon qui,
20 ans après le génocide rwandais, nous ne devrions plus
nous limiter à « improviser en cas de crise ». De plus,
nous devons renforcer les liens de confiance qui nous
unissent. Les divergences traditionnelles qui prévalent
au sein de groupes régionaux, ou entre lesdits groupes,
ne doivent ni diminuer nos capacités ni entamer notre
disposition à être unis dans l’action.
Enfin, nous devons demander à chaque État de
réfléchir à ce qu’il pourrait faire de plus pour éliminer
les obstacles politiques qui entravent une action
efficace. Encore une fois, au regard des milliers de vies
qui sont en jeu en Syrie et ailleurs, une telle obstruction
est intolérable et la coopération est un impératif tant
moral que stratégique. Demain après-midi, nous aurons
également l’occasion de faire la lumière sur les horreurs
perpétrées dans les ténèbres de la Corée du Nord.
Notre tâche est aussi simple qu’elle est vitale :
nous devons nous assurer que, lorsque nos successeurs
se réuniront ici-même dans 20 ans, ils n’évoqueront pas
davantage encore d’occasions ratées ou d’échecs. Au
contraire, leur langage sera empreint de respect – du
respect que leur inspirent les mesures globales de lutte
contre les atrocités que nous aurons prises ensemble.
Faisons en sorte qu’ils puissent alors déclarer que nous
avons su débloquer l’impasse pour trouver l’union, que
nous avons su faire du devoir de mémoire un appel à
la mobilisation, et que nous avons su aller au-delà des
simples promesses pour prendre les mesures audacieuses
et concrètes qui mettent fin aux guerres et font cesser le
génocide avant que la déchirante douleur qu’il cause ne
se fasse entendre dans les pleurs des survivants.
M. Oh Joon (République de Corée) ( parle
en anglais) : Premièrement, la République de Corée
s’associe au Rwanda et à la communauté internationale
pour commémorer le vingtième anniversaire du
génocide rwandais. L’écho des événements survenus il y
a 20 ans continue de se faire entendre dans nos pensées
et dans notre conscience.

14-3018815/30

S/PV.7155

Menaces contre la paix et la sécurité internationales

Nous vous remercions, Madame la Présidente, de
nous donner l’occasion de nous remémorer et de mettre
à profit les enseignements de cet événement tragique.
Notre gratitude va également au Vice-Secrétaire
général, M. Jan Eliasson, et à l’Ambassadeur Colin
Keating, dont les exposés nous permettent de réaffirmer
notre attachement au principe du « Plus jamais ça! ».
Compte tenu des enseignements tirés du génocide
rwandais, l’ONU et ses États Membres œuvrent de
concert afin de prévenir une nouvelle catastrophe
humanitaire épouvantable. Nous avons fait des efforts
pour renforcer les capacités institutionnelles de la
communauté internationale à combattre les crimes
graves contre l’humanité grâce à des systèmes de justice
pénale nationaux et internationaux. La création du
Conseil des droits de l’homme est importante, car celuici peut jouer un rôle significatif en termes d’alerte rapide
en surveillant les cas de violations graves des droits
de l’homme et d’atrocités massives. Doter les diverses
missions de maintien de la paix des Nations Unies
déployées à travers le monde d’un mandat plus clair
concernant la protection des civils constitue également
un pas important dans la bonne direction. Les appels
du Secrétaire général, notamment l’initiative « Les
droits avant tout » et la politique de la porte ouverte,
ont joué un rôle de catalyseur pour stimuler l’autorité
morale et accroître le rayon d’action opérationnelle de
l’ONU. Cependant, il reste encore des défis à relever
avant de pouvoir prétendre que les enseignements du
passé ont été entièrement assimilés.
Tout d’abord, il reste beaucoup à faire pour
réduire l’écart entre le désespoir des populations qui se
trouvent dans des situations dramatiques et le désir de
la communauté internationale de les aider. Élaborer un
plan international d’urgence qui pourrait être appliqué
rapidement en cas de grave crise humanitaire pourrait
permettre de relever ces défis. Promouvoir la coopération
régionale et les partenariats avec les organisations non
gouvernementales dans ce domaine, comme ce fut le cas
à la récente conférence internationale de Bruxelles sur
la prévention du génocide, est une option qu’il convient
d’examiner plus avant.
Trouver le moyen d’éradiquer la culture de
l’impunité est un autre grand défi. À cet égard, nous
apprécions le travail réalisé par le Tribunal pénal
international pour le Rwanda (TPIR). La communauté
internationale doit continuer d’étayer le TPIR afin qu’il
puisse achever ses travaux conformément à sa Stratégie
d’achèvement.
16/30

16/04/2014

Dans un contexte plus large, il faut renforcer
la coopération internationale afin de traduire tous
les fugitifs en justice. Nous demandons à ce que la
Cour pénale internationale, qui est le seul mécanisme
permanent de justice pénale internationale, reçoive
davantage d’appui.
Il faut prêter plus d’attention à la responsabilité
qu’ont les États de protéger leur population, et les débats
sur la responsabilité de protéger doivent produire des
résultats plus tangibles.
Comme nous en avons fait l’amère expérience,
notre sagesse collective et notre étroite coopération sont
requises pour réussir à stopper les crimes humanitaires
les plus graves. Nous devons unir nos forces et faire tout
notre possible pour que notre attachement au principe
du « Plus jamais ça! » ne se transforme pas en une
résignation insoutenable au « Encore et encore ».
M me Perceval (Argentine) ( parle en espagnol) :
Tout d’abord, Madame la Présidente, je voudrais
transmettre la solidarité du peuple et du Gouvernement
argentins au peuple et au Gouvernement de votre pays,
le Nigéria. L’humanité n’a vraiment pas le droit de
souffrir.
L’Argentine ne devient pas coauteur de projets de
résolution pour des raisons techniques ou ponctuelles
qui peuvent exister ou non dans un projet donné.
Elle le fait lorsque, comme c’est le cas aujourd’hui,
l’objectif du projet de résolution consiste à affirmer la
validité illimitée et indubitable des buts et principes
fondamentaux de l’ONU, en particulier la promotion
et le respect des droits de l’homme et des libertés
individuelles pour tous, sans distinction aucune.
Nous le faisons également parce que, dans notre
pays, il s’agit d’une politique d’État. Nous le faisons
lorsque, comme dans le cas présent, il ne fait aucun
doute à nos yeux que la communauté internationale
doit cesser toute mesquinerie et parler haut et fort en
sachant que seules la mémoire, la vérité, la justice et les
réparations empêcheront que des crimes odieux et sans
mesure, comme celui du génocide rwandais en 1994,
ne se répètent, non seulement au Rwanda, mais aussi
n’importe où dans le monde. Nous le faisons lorsque
ne pas le faire serait contraire à l’impératif juridique
et éthique qui nous incombe, en tant que Membres de
l’Organisation et que membres du Conseil de sécurité,
mais surtout en tant qu’hommes et femmes participant
de cette humanité commune.

14-30188

16/04/2014

Menaces contre la paix et la sécurité internationalesS/PV.7155

Un penseur argentin, ayant vécu l’horreur, a dit
que le génocide est la matrice dans laquelle s’illustre
de manière sombre et monstrueuse le mal absolu
que le pouvoir, dans toute sa nudité, est capable de
déchaîner à l’encontre des autres êtres humains. Car
tout génocide soulève la question extrêmement cruciale
de savoir quelles sont les profondeurs les plus sombres
de l’humanité, toujours présentes et d’où émergent les
racines de notre société actuelle. Dans le même temps,
nous savons que chaque tragédie humaine constitue,
individuellement et collectivement, un tremplin pour un
nouveau départ. Le Rwanda le sait fort bien, de même
que les peuples victimes du génocide, du terrorisme
d’État, de massacres, d’atrocités massives. Nous savons
qu’une tragédie entraîne un nouveau départ, nécessite
un nouveau départ, qu’elle est l’occasion de repenser
encore et encore à ce que signifie pour nous bâtir une
société. Nous savons que les transitions ne sont pas
faciles, ni univoques, et que nous ne les abordons pas
tous de la même manière. L’on ne peut pas non plus
imposer ici à un peuple de construire sa mémoire d’une
seule et même façon. Les questions se multiplient, sans
jamais trouver de réponses définitives. C’est parce que la
mémoire, tout comme les victimes, n’est pas répétitive;
elle est créative.
C’est pourquoi commémorer le génocide
ne consiste pas à mettre en lumière un ensemble
d’expériences fragmentées, une liste de l’horreur, ou
des événements survenus dans le désordre. Ce serait
obscène. Commémorer le génocide, c’est en chercher le
sens. C’est une quête de sens parce que, au sein de la
société et à l’intérieur de nous-mêmes, les survivants, il
existe un abîme effroyable. Ce gouffre sépare ce passé
que nous abhorrons de l’avenir qui nous oblige à penser, à
croire et à accepter que la vie à laquelle nous souhaitons
rendre justice et le monde dans lequel nous méritons de
vivre peuvent être différents. Nous devons les rendre
différents dès aujourd’hui par la vérité, la mémoire, la
justice et les réparations car, pour nos peuples, l’avenir,
c’est le présent de la mémoire.
Comme certains l’ont déjà dit, l’Argentine était
membre du Conseil de sécurité en 1994, et le 16 mai
de cette année-là, après la présentation du rapport
du Secrétaire général sur la situation au Rwanda
(S/1994/565), elle n’avait pas hésité à dénoncer (voir
S/PV.3377) le fait que depuis les événements du 6 avril,
avec la violence, les sévices et les massacres atroces
et systématiques qui s’en sont ensuivis, le Rwanda
connaissait une crise humanitaire d’ énorme dimension

et se trouvait dans une situation horrible que rien ne
saurait justifier.
À l’époque, l’Argentine avait demandé que
les violations systématiques et généralisées du droit
humanitaire perpétrées au Rwanda, ainsi que toutes les
violations des droits de l’homme qui avaient choqué le
monde entier, fassent l’objet d’enquêtes approfondies.
En juillet de cette même année, lorsqu’après les
massacres des communautés et des familles – qui
visaient en majorité les Tutsis, mais aussi les Hutus et
d’autres personnes qui avaient dénoncé ces violence et
ces horreurs –, il avait été confirmé que les atrocités
commises au Rwanda pouvaient être qualifiées de crime
de génocide, l’Argentine a affirmé sans équivoque qu’il
ne fallait pas dissimuler ou minimiser des crimes d’une
telle ampleur et qu’ils ne devaient pas rester impunis.
Dans ce contexte, et pour honorer la mémoire
des victimes, cette commémoration représente une
excellente occasion de réfléchir aux trois dimensions
que nous devons garder à l’esprit quand nous parlons
de génocide. La protection des populations du génocide,
du nettoyage ethnique, des crimes contre l’humanité, de
crimes de guerre – y compris l’incitation à commettre
ces crimes – n’a qu’un seul nom : la prévention. Il faut
également renforcer les normes des droits de l’homme,
du droit humanitaire et du droit international, les
institutions démocratiques et une culture sociale où la
reconnaissance et le respect des différences et de la
diversité nous éloignent d’une idéologie de la haine qui
n’est ni de gauche, ni droite, ni du centre. L’idéologie
de la haine est l’idéologie de la haine, qui prêche que
l’enfer, ce sont les autres. Par conséquent, nous devons
renforcer non seulement le droit positif, mais également
la conscience éthique et les fondements légitimes d’une
société nationale et internationale démocratique.
En ce qui concerne la lutte contre l’impunité, je
me souviens que ma mère aimait souvent répéter une
réflexion de sainte Thérèse, en disant qu’il y a plus de
larmes versées sur les prières exaucées que sur celles
qui ne le sont pas. C’est une réalité que nous vivons
tous les jours. Chaque jour, nous écoutons des prières
et nous voyons des larmes qui sont versées, mais ce
qui importe, c’est de décider d’y prêter attention,
parce que ce sont là les voix des victimes. Il ne suffit
pas d’avoir une bonne architecture normative ou des
institutions juridiques solides et justes; il faut changer
fondamentalement la conception du pouvoir, qui est
encore hégémonique; changer les pratiques sociales,

14-3018817/30

S/PV.7155

Menaces contre la paix et la sécurité internationales

16/04/2014

qui sont encore discriminatoires; et changer la culture
politique, qui est toujours humiliante.

Cour pénale internationale pour qu’elle soit plus juste,
plus cohérente et plus efficace, et non la détruire.

Hier, je disais que pour de nombreuses personnes,
il faut voir pour croire, comme l’a dit saint Thomas. Dans
le cas du génocide, nous devons croire pour voir. L’on peut
venir à plusieurs reprises avec des prières et des larmes,
des supplications, démontrer la souffrance des victimes;
mais, parfois, les gens refusent de croire qu’il s’agit d’un
génocide et peuvent dire qu’il n’y a pas eu de massacre.
C’est pour cette raison que nous estimons qu’en réalité,
ce qu’il faut, c’est une conscience authentique. Quand
nous rejetons fermement le recours à la violence comme
moyen de règlement de conflits; quand nous nous
opposons pacifiquement à une puissance hégémonique
qui a recours à la force des armes ou à des moyens
économiques humiliants pour régler les conflits, alors
la Convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide ne sera pas seulement un excellent
texte juridique, contraignant et qui nous oblige à agir,
mais deviendra aussi une réalité pour toute l’humanité.

Je voudrais conclure en insistant sur la prévention
dans les sociétés qui ont connu le génocide. Que faire
après? Comment imaginons-nous l’avenir? Comment
pouvons-nous croire qu’il y a un avenir? Comment
une société – pas des individus, mais la société dans
son ensemble – peut-elle aller de l’avant après avoir été
victime? Grâce à plus de mesures punitives ou plus de
droits de l’homme? Grâce à plus de répression ou plus
de libertés? Grâce à plus de discrimination ou de plus
d’égalité?

De ces trois dimensions – la prévention, le
renforcement des normes et de la culture des droits de
l’homme et du droit international humanitaire et la lutte
contre l’impunité – je voudrais mettre l’accent sur la
prévention. Le Secrétaire général, ou plutôt M. Eliasson,
que je remercie pour sa présence à la présente séance,
nous a interpellés au moyen d’un titre. Il ne s’agit pas
d’un slogan, mais d’ un appel : « Les droits avant tout ».
Puisqu’il ne s’agit pas d’un simple slogan et que ce ne
sont pas que des mots, nous devons écouter cet appel.
Mettre les droits avant tout n’est pas synonyme, mais
plutôt l’antonyme de donner la priorité au règlement des
différends par la force. Cela signifie qu’il faut mettre
au premier plan les droits de l’homme de tous les êtres
humains.
Prévenir c’est assumer la responsabilité de
protéger; c’est écouter les peuples, les organisations
régionales, les populations de chaque État-nation
qui racontent ce qu’elles ont vécu au lieu de se fier à
des documents issus des tours d’ivoire qui ne font
que s’imaginer ce que d’autres personnes peuvent
ressentir. Prévenir c’est continuer à développer et à
renforcer le droit international et les droits de l’homme.
Prévenir, c’est ratifier la Convention internationale
pour la protection de toutes les personnes contre les
disparitions forcées, que nous avons élaborée avec la
France. Prévenir, c’est reconnaître le droit à la vérité en
tant que droit à part entière. Prévenir, c’est renforcer la

18/30

Si la prévention du génocide dans les sociétés
qui l’ont connu se base sur un scénario politique et
social dans lequel prévalent une culture de la peur
permanente – une culture que les médias s’emploient à
diffuser – et une culture de suspicion contre les noirs,
les pauvres, les jeunes ou les immigrés, il y a un risque
de voir les tendances punitives prendre le dessus et les
massacres se reproduire, même à partir des prisons. Qui
sont ceux qui peuplent nos prisons dans tous nos pays et
comment en sont-ils arrivés là? Dans la mesure où nous
utilisons la répression face à ce que nous percevons
comme une menace potentielle, nous pourrions bien
être en train de justifier de nouveaux génocides.
M. Chesterton, dans un passage ironique, dit que
les policiers devaient être des philosophes. Il ne s’agit
pas de ma profession, mais je le dis en ce sens qu’il ne
s’agit pas simplement d’aller débusquer des criminels;
il ne s’agit pas simplement d’arrêter des voleurs pour
vivre en paix. Il faut se rendre dans les salons élégants
pour repérer les pessimistes. Qui sont les pessimistes?
Ceux qui ont des pensées terribles qui conduisent au
fanatisme, à l’intolérance et à la conviction que l’enfer,
c’est les autres. C’est pourquoi il n’y a pas de relativisme
moral qui vaille quand on parle des droits de l’homme.
Ce n’est qu’en nous appuyant sur les droits de l’homme
que nous pouvons parler de relativisme culturel. Il
ne saurait y avoir d’impunité quand nous parlons de
violations des droits de l’homme car il ne s’agit pas
d’une question d’appréciation. Nous en avons parlé à de
nombreuses reprises.
Je voudrais faire un geste pour commémorer le
génocide au Rwanda et remercier l’Ambassadeur du
Rwanda. J’ai apporté, à l’Ambassadeur et au peuple
rwandais, au nom d’organisations de défense des droits
de l’homme, de mon pays et de mon gouvernement, le
symbole de notre lutte contre les pessimistes, car nous
sommes pleins d’espoir. J’ai ici un mouchoir appartenant
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Menaces contre la paix et la sécurité internationalesS/PV.7155

aux mères et grands-mères de la Plaza de Mayo. Il ne
s’agit pas vraiment d’un mouchoir, mais du lange de
leurs bébés qui ont été enlevés ou qui sont nés dans les
camps de concentration.

sécurité sur la République centrafricaine ont contribué à
la prise de conscience de la communauté internationale
d’agir en urgence pour prévenir de tels crimes. Nous
devons l’associer davantage à nos travaux.

Nous n’avons jamais été des victimes; nous
n’avons jamais été pessimistes. Nous œuvrerons toujours
pour que le pouvoir ne nous humilie pas et pour que le
monde soit plus juste

Prévenir, c’est aussi agir. Une deuxième
avancée est l’adoption en 2005 par les chefs d’État
et de gouvernement du concept de responsabilité de
protéger. Lorsqu’un gouvernement ne peut pas ou
ne veut pas assumer son obligation de protéger, c’est
à la communauté internationale qu’incombe cette
responsabilité, y compris par une action déterminée
et en temps voulu. La France est actuellement engagée
au Mali et en République centrafricaine, à la demande
des autorités et sur mandat du Conseil de sécurité, pour
protéger les populations menacées. Dans ces pays et
en République démocratique du Congo, le Conseil a
confié des mandats robustes de protection des civils, qui
faisaient défaut à la MINUAR en 1994. Ces avancées
doivent être consolidées. Le Conseil de sécurité doit
continuer à jouer tout son rôle dans la mise en œuvre
de la responsabilité de protéger. Membre du Groupe
des amis de la responsabilité de protéger, la France s’y
emploiera.

M. Araud (France) : Je remercie le Rwanda d’avoir
organisé ce moment de recueillement et de mémoire
pour les victimes du génocide. Les présentations de
M. Eliasson et de M. Keating ont permis de tirer les
leçons du passé, pour améliorer nos actions futures.
En ce jour de tristesse, la France rend hommage
à toutes les victimes du génocide. En 100 jours, près
d’un million d’innocents ont été massacrés parce qu’ils
étaient Tutsis ou parce qu’ils s’opposaient à la folie
meurtrière d’une idéologie et d’un système politique.
D’inqualifiables atrocités ont été commises, par les
milices, les forces armées et des civils, en violation du
principe même d’humanité. La violence a été planifiée,
des radios ont relayé les messages de haine. Nos
consciences en resteront à jamais bouleversées.
Je rends également hommage aux 15 Casques
bleus de la Mission des Nations Unies pour l’assistance
au Rwanda (MINUAR), tués en exerçant leurs fonctions.
La communauté internationale n’a pas empêché le
génocide. Elle n’a pas non plus su l’arrêter. Le Conseil
n’a agi que trop tard, et trop peu. Pourtant, de premiers
signes d’alerte avaient été lancés, le premier d’entre eux
étant la télécopie du général Dallaire du 11 janvier 1994.
Il y a 14 ans, nous nous réunissions au Conseil de
sécurité pour tirer les leçons de notre échec collectif.
Nous demandions alors au Secrétaire général d’élaborer
un plan d’action pour prévenir le crime de génocide.
Depuis, nos mécanismes de prévention ont été renforcés.
Comme ma collègue argentine qui m’a précédé, je
reviendrai sur ce thème, qu’elle a traité avec émotion et
profondeur.
Prévenir, c’est d’abord alerter. Une première
avancée a été la création du Bureau de la prévention
du génocide et de la responsabilité de protéger, dirigé
aujourd’hui par M. Adama Dieng. Aux termes de son
mandat, qui découle de la résolution 1366 (2001), ce
Bureau fait office de mécanisme d’alerte rapide pour le
Secrétaire général et le Conseil de sécurité en portant
à leur attention toute situation présentant un risque de
génocide. Les interventions de M. Dieng au Conseil de

Prévenir, c’est enfin juger. Dès 1948, la Convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide
prévoyait une cour criminelle internationale. Cinquante
ans plus tard, nous adoptions enfin le Statut de Rome.
Entre-temps, le Tribunal pénal international pour le
Rwanda a permis de faire avancer la justice. Il a été le
premier à reconnaître que les actes de violence sexuelle
pouvaient être des actes constitutifs de génocide, et
cette jurisprudence a été reprise depuis. Au cœur des
processus de réconciliation, celle-ci reste un vecteur
essentiel de mémoire et de réparation, pour éviter le
cycle de représailles. La Cour pénale internationale
(CPI) est permanente et opérationnelle. Lorsque des
atrocités sont commises, comme aujourd’hui en Syrie, il
n’y a aucune excuse à l’inaction : le Conseil a le pouvoir
de déférer la situation à la CPI.
Malgré ces avancées, des épisodes tragiques, tels
que la Syrie aujourd’hui, nous rappellent la nécessité
permanente d’améliorer notre action. Je salue à cet
égard les initiatives du Secrétaire général, sa politique
de diligence voulue ou encore sa politique de contacts
limités avec les personnes visées par un mandat d’arrêt
ou une citation à comparaître délivrés par la CPI.
L’Organisation doit en effet être exemplaire. Tous
nos outils doivent être mobilisés : les mécanismes des
droits de l’homme; le réseau des points de contact pour

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S/PV.7155

Menaces contre la paix et la sécurité internationales

la responsabilité de protéger, auquel nous participons;
nos réunions de « tour d’horizon prospectif » au Conseil
de sécurité, qui font partie intégrante de nos efforts en
matière de diplomatie préventive et gagneraient à être
organisées sur une base régulière.
Au-delà de l’alerte précoce et de l’action
préventive, restent les situations tragiques où des
crimes contre l’humanité et des crimes de guerre
sont perpétrés, sous nos yeux, alors que le Conseil de
sécurité reste paralysé par un usage abusif du droit de
veto. C’est pourquoi, la France travaille actuellement à
l’élaboration d’un code de conduite volontaire des cinq
membres permanents, visant à la limitation de l’usage
du droit de veto lorsque de tels crimes sont en jeu. Nous
le devons, notamment, au peuple syrien.
Raphaël Lemkin appelait il y a près de 70 ans
à la coopération internationale pour libérer l’humanité
d’un fléau aussi odieux, qui par sa nature anomique,
immorale et inhumaine, choque la conscience de
l’humanité. Mon collègue jordanien, dans un discours
de haute tenue, a essayé de l’expliquer par la peur. Sans
doute a-t-il raison. Mais l’horreur absolue du crime
atteint également une dimension métaphysique tant elle
évoque le mal qui erre en chacun d’entre nous. Qu’on
soit chrétien ou pas, il est difficile de ne pas penser au
péché originel au sein de la nature humaine.
Aujourd’hui, la France honore la mémoire de
toutes les victimes du génocide et réitère son engagement
à tout mettre en œuvre pour que les leçons des horreurs
du passé soient tirées et que de telles tragédies ne
se reproduisent plus, car cette tragédie est toujours
présente, et toujours possible.
M me Murmokaitė (Lituanie) ( parle en anglais) :
Je tiens tout d’abord à vous remercier, Madame
la Présidente, d’avoir organisé la présente séance
d’information sur la prévention et la lutte contre le
génocide. Je remercie également le Vice-Secrétaire
général, M. Eliasson, et l’Ambassadeur Colin Keating
pour leurs déclarations pleines d’observations
intéressantes.
Alors que nous marquons le vingtième
anniversaire du génocide au Rwanda, la présente
séance d’information donne à chacun d’entre nous une
bonne occasion d’examiner les enseignements tirés et
appliqués, ou ceux que nous ne sommes pas parvenus
à appliquer, depuis que cette terrible tragédie a eu
lieu. Sous le choc des horreurs de la Deuxième Guerre
mondiale, la communauté internationale a adopté
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la Convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide en 1948. Pourtant, depuis, l’écart
entre l’intention et la mise en œuvre n’a cessé d’avoir
des conséquences dramatiques. Des noms tels que les
Khmers rouges, Srebrenica et le Rwanda, entre autres,
évoquent les échecs scandaleux de la communauté
internationaux qui n’a pas su arrêter des carnages
génocidaires.
Il y a 20 ans, au Rwanda, au moins 800 000 personnes
ont été massacrées en quelques semaines seulement.
Nous avons le devoir moral, en tant qu’êtres humaines,
de garder vivante la mémoire de cette tragédie pour les
générations à venir, afin d’éduquer, de prévenir et de
protéger. Nous ne pouvons pas rendre la vie aux victimes
de ces horreurs indicibles. Mais nous pouvons et devons
honorer leur mémoire en apprenant de nos échecs passés
et en appliquant les enseignements tirés pour préserver
les vies de ceux qui peuvent encore être sauvés.
La leçon fondamentale du génocide rwandais,
c’est qu’il aurait pu être empêché, comme l’a dit de
façon si éloquente l’Ambassadeur Keating ce matin. Il y
avait de nombreux signes avant-coureurs de ce qui allait
se produire, mais ils ont été systématiquement ignorés.
Les mesures qui s’imposaient n’ont pas été prises et,
quand elles l’ont été, elles se sont avérées insuffisantes
et trop tardives. Le carnage a donc eu lieu, anéantissant
près de 20 % de la population totale du Rwanda, et 70 %
des Tutsis. Un an plus tard, de nouvelles atrocités
effroyables se produisaient, cette fois à Srebrenica.
Depuis la communauté internationale a fait
beaucoup de progrès. Au Sommet mondial de 2005, les
États Membres ont fait leur la notion de responsabilité
de protéger. Des bureaux d’alerte précoce ont été mis
en place au sein de la structure des Nations Unies.
Des Conseillers spéciaux du Secrétaire général pour
la prévention du génocide et pour la responsabilité de
protéger ont été nommés. Nous saluons le dévouement
et la détermination dont les deux Conseillers spéciaux
font montre dans l’accomplissement de leurs missions
vitales. En outre, les capacités de médiation et de
diplomatie préventive ont été renforcées, et les
organisations régionales ont accru leur coopération avec
l’ONU dans ce domaine. Le maintien de la paix a, quant
à lui, continué d’évoluer et la protection des civils fait
aujourd’hui partie intégrante des mandats de maintien
de la paix. Le Conseil de sécurité s’est doté de nouveaux
outils en mettant au point des instruments tels que les
tours d’horizon prospectifs, qui, quand ils sont utilisés

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Menaces contre la paix et la sécurité internationalesS/PV.7155

de façon systématique, peuvent contribuer grandement
à l’alerte rapide et à la prévention.
La dernière pièce maîtresse de cette action
de prévention est l’initiative « Les droits avant
tout », destinée à améliorer l’intervention rapide et la
préparation organisationnelle en cas de violation des
droits de l’homme, qui, nous ne le savons que trop bien,
sont un des grands signes avant-coureurs des conflits et
éventuelles atrocités à venir. Avec tous ces mécanismes
et instruments à disposition, le monde aujourd’hui est
bien mieux placé qu’il y a 20 ans pour prévenir les
atrocités de masse et le génocide. Et pourtant, nous
sommes tous témoins des souffrances effroyables
qu’endurent les civils en Syrie, alors que le conflit
est entré dans sa quatrième année. À la fin de l’année
dernière, le Conseil a dû prendre des mesures d’urgence
pour renforcer les efforts de protection au Soudan du
Sud.
Dans le même temps, une crise humanitaire
particulièrement grave avait lieu en République
centrafricaine où de nouveaux niveaux de violence étaient
atteints et où la population musulmane du pays était
décimée. Nous nous félicitons que le Conseil de sécurité
ait pris la décision de créer une mission de maintien de
la paix des Nations Unies dans ce pays, à l’appui des
efforts de protection de la Mission internationale de
soutien à la Centrafrique sous conduite africaine et
de l’opération Sangaris. Si seulement ils le pouvaient,
ceux qui, dans ces zones de conflit et dans d’autres
régions du monde, ont été brutalement réduits en pièces,
affamés, torturés, mutilés et dont on a laissé les corps
pourrir sur le bord des routes, ceux qui ont disparu ou
ont été déplacés de force et en masse simplement du fait
de leur appartenance ethnique ou religieuse ou de leurs
croyances nous diraient qu’aujourd’hui encore on a agi
trop timidement et trop tard pour les protéger.
Tous ces faits montrent qu’il faut faire plus de
progrès pour traduire en actes la notion de responsabilité
de protéger, qui est le concept le plus important et le plus
imaginatif apparu sur la scène internationale depuis des
décennies, ainsi que l’a dit Louise Arbour. À condition
d’avoir les informations, la mobilisation, le courage et
surtout la volonté politique nécessaires, le génocide
peut être prévenu. Nous, communauté internationale,
devons cultiver et renforcer cette volonté politique,
sinon même le meilleur des concepts et la plus efficace
des conventions échoueront à protéger le monde des
crimes contre l’humanité et du génocide.

La responsabilité de protéger qu’ont souscrite les
États Membres en 2005 doit être honorée et se traduire
par une action systématique. Les gouvernements ont la
responsabilité première de protéger leurs populations,
y compris par l’éducation aux droits de l’homme et
les mesures préventives, telles que la lutte contre
l’incitation, l’extrémisme et les propos haineux, et en
appliquant à eux-mêmes le principe de responsabilité
devant les citoyens. L’existence d’institutions nationales
légitimes et responsables, sans exclusive et crédibles
aux yeux de la population est un élément déterminant
de la prévention des atrocités de masse, de même qu’un
levier de l’état de droit, de la bonne gouvernance et du
respect de tous les droits de l’homme pour tous. Elle doit
s’accompagner aussi de la justice et de la responsabilité.
L’application du principe de responsabilité doit être
garantie aux niveaux national et international, grâce
aux décisions prises en ce sens par les tribunaux
nationaux et internationaux. S’il n’y a pas de justice
et qu’ils restent impunis, les criminels continueront de
tuer, mutiler, violer et commettre des atrocités.
Par le truchement des tribunaux spéciaux
internationaux et surtout de la Cour pénale internationale,
qui mérite notre plein appui, la communauté internationale
lance un sévère avertissement à tous les criminels, à
savoir qu’ils n’échapperont pas à la justice. C’est en soi
une mesure dissuasive importante à l’intention de ceux
qui envisageraient de commettre des actes de violence.
À cet égard, le Tribunal pénal international pour le
Rwanda a effectué un important travail de justice et
établi un certain nombre de précédents décisifs dans
le développement du droit pénal international, avec
notamment le premier procès pour viol en tant qu’acte
de guerre. Un nombre important d’auteurs du génocide
au Rwanda, y compris d’anciens hauts responsables,
ont été traduits en justice. Voilà qui devrait être la
règle et non l’exception. Malheureusement, pour un
grand nombre de victimes de crimes indicibles de par
le monde, l’apaisement qu’apporte la justice reste hors
de portée.
Aujourd’hui, par l’adoption de la résolution 2150
(2014), qui marque le vingtième anniversaire du génocide
au Rwanda, nous nous tenons aux côtés des Rwandais
pour rendre hommage aux victimes et exprimer
notre solidarité avec les survivants. La communauté
internationale a le devoir et la responsabilité morale
de faire en sorte que le génocide et les crimes contre
l’humanité n’aient pas leur place au XXIe siècle.

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S/PV.7155

Menaces contre la paix et la sécurité internationales

M me Sapag Muñoz de la Peña (Chili) ( parle en
espagnol) : Nous remercions le Nigéria d’avoir convoqué
cette importante séance à l’occasion des activités de
commémoration du vingtième anniversaire du génocide
au Rwanda. C’est avec un profond respect et un sentiment
aigu de solidarité que nous nous souvenons aujourd’hui
des victimes de ce génocide, parmi lesquelles figurent de
nombreux enfants. Nous remercions le Vice-Secrétaire
général Jan Eliasson de son exposé, et à travers lui,
nous saluons l’engagement du Secrétaire général sur
cette question. Nous savons tout particulièrement gré à
l’Ambassadeur Keating de nous avoir remis en mémoire
le déroulement des événements et d’avoir évoqué les
enseignements que nous devons analyser aujourd’hui.
Mon pays a eu l’honneur de participer aux
cérémonies commémoratives qui se sont déroulées à
Kigali le 7 avril dernier, à l’occasion desquelles nous
avons pu exprimer notre solidarité au peuple rwandais.
Nous tenons une nouvelle fois à dire combien nous
sommes reconnaissants d’avoir été conviés à cette
commémoration, que notre envoyé spécial a qualifiée
d’expérience marquante tant sur le plan humain que sur
le plan professionnel.
La gravité du crime de génocide et sa condamnation
universelle nous permettent de comprendre que seules
quatre années se soient écoulées entre le moment où le
juriste Lemkin a défini le concept de génocide et celui
où la Convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide, par laquelle les Parties contractantes
s’engagent à prévenir et à punir le génocide, qu’il soit
commis en temps de paix ou en temps de guerre, a été
adoptée. La Cour internationale de Justice a statué, dans
un arrêt, que ces obligations s’étendent également aux
États qui ne sont pas parties à la Convention, puisqu’elles
sont erga omnes.
Le génocide est le fruit de sociétés divisées, où il
existe un sentiment d’exclusion exacerbé par les actions
menées contre certains groupes déterminés, créant ainsi
les conditions propices à la commission d’un tel crime.
Cette perte de respect des droits de l’homme est souvent
un signal d’alerte, mais il suppose que les autorités
nationales et internationales aient la volonté politique
de le détecter et de le dénoncer, ainsi que l’ont déjà
indiqué de nombreux orateurs. À cet égard, nous tenons
à mettre l’accent sur l’initiative « Les droits avant tout »
du Secrétaire général, qui réaffirme le rôle central des
droits de l’homme dans le système des Nations Unies,
ainsi que sur l’importance du travail des Bureaux du
Conseiller spécial pour la prévention du génocide et du
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Conseiller spécial pour la responsabilité de protéger,
qui jouent un rôle de prévention fondamental.
Il est possible de prévenir le génocide et
la prévention doit être un élément central des
responsabilités du Conseil et de la communauté
internationale. Il est possible de faire jouer la diplomatie
préventive et d’utiliser efficacement les mécanismes
d’alerte rapide existants. À cet effet, nous soulignons
le rôle des organisations régionales et sous-régionales,
comme par exemple la Conférence internationale sur la
région des Grands Lacs déjà citée, des chefs locaux et
religieux, des femmes, des jeunes, de la société civile et
des médias.
Nous devons perfectionner les mécanismes de
coordination et de coopération avec ces acteurs, et
pour cela la coopération internationale est nécessaire.
La mise sur pied de commissions nationales pour la
prévention du génocide, et les efforts déployés dans
ce sens par le Conseiller spécial pour la prévention du
génocide, auxquels il a été fait allusion dans le cadre de
la réunion organisée selon la formule Arria le 14 mars
sur le dialogue intercommunautaire et la prévention du
crime, sont des exemples à considérer.
Un engagement sans faille à renforcer l’état de droit
et à se conformer au droit international, en particulier au
droit international humanitaire et au droit des droits de
l’homme, permettra d’améliorer les niveaux d’inclusion,
de respect de la diversité, de développement et de justice
sociale, ce qui remédiera aux causes profondes de ces
conflits, comme le représentant du Rwanda l’a indiqué.
C’est aux États qu’il incombe au premier chef
de protéger les populations contre les violations
massives et généralisées des droits de l’homme. La
communauté internationale doit accompagner et
aider les États Membres quand ils ne veulent pas ou
n’ont manifestement pas les moyens de remplir leurs
obligations, conformément au concept de responsabilité
de protéger énoncé dans le Document final du Sommet
mondial de 2005 (résolution 60/1 de l’Assemblée
générale). Le Chili a organisé une série de séminaires et
de réunions dans le cadre de son attachement au concept
de responsabilité de protéger et de sa nature préventive.
Cette année, nous comptons organiser avec le Centre
mondial pour la responsabilité de protéger un nouveau
séminaire de diffusion externe.
Un autre aspect fondamental est la nécessité
de disposer de mécanismes et/ou de tribunaux
internationaux qui garantissent la reddition de comptes,
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Menaces contre la paix et la sécurité internationalesS/PV.7155

permettant ainsi de prévenir l’impunité et, dans le même
temps, servant d’outils de dissuasion et de prévention
de nouveaux crimes. À cet égard, nous rappelons
l’important rôle du Tribunal pénal international pour le
Rwanda. Nous soulignons aussi le rôle de la Cour pénale
internationale créée par le Statut de Rome, qui est l’une
des plus importantes données nouvelles en matière de
justice pénale internationale ces 50 dernières années,
car elle est la seule cour internationale indépendante
siégeant en permanence pour compléter les juridictions
pénales nationales créées en vue de juger, entre
autres, le crime de génocide. Étant donné sa nature
complémentaire, les États doivent dûment coopérer
avec la Cour pour lui permettre de s’acquitter de ses
fonctions.
Pour terminer, le Chili tient à renouveler l’appel
qu’il a lancé, à l’Assemblée générale, aux pays qui ont
le droit de veto pour qu’ils s’abstiennent de l’utiliser en
cas de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre,
de génocide ou de nettoyage ethnique, car cela réduit
l’efficacité de Conseil dans la défense des valeurs et
des principes les plus fondamentaux pour l’humanité.
Nous exhortons le Conseil de sécurité, ses membres
permanents en particulier, à assumer cette responsabilité.
N’oublions pas les échecs de ces dernières années et les
complexes situations que nous connaissons aujourd’hui.
N’attendons qu’il soit trop tard pour agir.
M. Quilan (Australie) ( parle en anglais) : Le
progrès humain est évolutif. Il est bâti sur l’échec et
sur la force d’une réaction positive. Il y a toujours des
enseignements à tirer de l’échec. L’inaction des Nations
Unies face aux évènements de 1994 au Rwanda reste
l’un des échecs les plus cuisants de l’Organisation.
Malgré des signaux précurseurs crédibles et les vains
efforts de pays comme la Nouvelle-Zélande et d’autres
membres élus du Conseil qui ont essayé de convaincre
le Conseil de déployer d’autres forces des Nations Unies
au Rwanda, nous avons tous échoué. Aujourd’hui,
20 ans après avoir dit « Plus jamais ça ! », nous sommes
les témoins de crimes épouvantables commis dans des
pays comme la Syrie et la République centrafricaine.
Nous devrions ne pas avoir besoin qu’on nous rappelle
encore qu’il nous reste fort à faire.
L’autorisation donnée la semaine dernière par le
Conseil de sécurité à une nouvelle mission de maintien
de la paix pour la République centrafricaine, avec
mandat de protéger les civils, fait clairement comprendre
que les exactions et atrocités sauvages doivent cesser.
Le Conseil a agi et pris les mesures qui s’imposent,

tout comme les forces françaises et africaines. Mais la
situation aurait pu facilement nous échapper et sombrer
dans lunchaos encore pire. Nombre de précurseurs
visibles d’un génocide potentiel et d’autres atrocités
étaient présents. La prévention sera probablement
toujours notre tâche la plus ardue. Notre diligence ne
doit pas être seulement constante, il faut aussi qu’elle
agisse rapidement et concrètement. Il y a encore d’autres
enseignements qu’il nous faut tirer.
Le Conseil doit maintenant réagir aux atrocités
de masse qui sont en train d’être commises en Syrie,
notamment les tortures systématiques et généralisées
et le ciblage délibéré des civils par le régime dans
le cadre de sa stratégie militaire. Il y a longtemps
que cette situation aurait dû être renvoyée à la Cour
pénale internationale. À cet égard, la proposition faite
par la France que les membres permanents renoncent
volontairement à leur droit de veto en cas d’atrocités
de masse est la bienvenue. Elle doit être appuyée et
sérieusement étudiée.
L’approbation à l’unanimité, en 2005, par les chefs
d’État et de gouvernement de la responsabilité de protéger
a été une façon retentissante de reconnaître que, si c’est
aux États qu’il incombe au premier chef de protéger
leurs populations contre les atrocités de masse, nous,
la communauté internationale et le Conseil, sommes
tenus d’assurer une protection là où les gouvernements
nationaux ont manifestement échoué. Au nom du
Groupe des Amis du Rwanda, comprenant 45 États au
total, dont 10 membres du Conseil, nous nous félicitons
de ce qu’il ait été fait référence à la responsabilité de
protéger dans la résolution qui vient d’être adoptée
(résolution 2150 (2014)). Il s’agit certes d’une réponse
normative à nos échecs passés, mais la grande difficulté,
comme toujours, est d’y donner suite. Il nous faut tout
faire pour rendre opérationnelle la responsabilité de
protéger.
Comme nous le savons maintenant, le génocide
au Rwanda n’a pas commencé avec les massacres
dans les églises, mais avec les discours haineux, la
discrimination et la marginalisation. Cela souligne le
fait qu’il est possible d’identifier et de mettre en œuvre
une politique de prévention des atrocités de sorte que
les facteurs de risque soient traités avant que la situation
ne se transforme en crise et qu’elle n’aboutisse à des
atrocités de masse. Comme le Vice-Secrétaire général
nous l’a rappelé ce matin, tout comme le génocide
est systématique et planifié, les actions visant à le
prévenir doivent être aussi délibérées et systématiques.

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S/PV.7155

Menaces contre la paix et la sécurité internationales

La prévention requiert de renforcer l’état de droit, de
respecter les droits de l’homme, de mettre en place des
institutions, d’assurer la bonne gouvernance, de lutter
contre la discrimination et de garantir la participation
des femmes et, en particulier, des jeunes. La lutte contre
le chômage des jeunes et l’aliénation sera, à mon avis,
la tâche la plus difficile qui nous attend tous durant les
prochaines décennies.
La prévention suppose aussi une société civile,
des organisations non gouvernementales, un parlement
et des médias forts. La législation nationale et
l’éducation peuvent jouer un rôle déterminant et décisif.
La désignation d’un coordonnateur national pour la
responsabilité de protéger au niveau des pays peut aider
à intégrer la perspective de prévention des atrocités
dans les politiques nationales. Les coordonnateurs
peuvent mettre en place des réseaux utiles, notamment
dans les régions explosives pour aider à prévenir les
crimes atroces. L’Australie, avec le Ghana, le Costa
Rica et le Danemark, cofacilitent l’initiative de désigner
des coordonnateurs pour la responsabilité de protéger.
Nous encourageons les États Membres qui ne l’ont pas
encore fait à désigner un coordonnateur national pour la
responsabilité de protéger.
Comme d’autres l’ont signalé et comme nous le
savons tous, des dispositifs d’alerte rapide sont bien
évidemment essentiels. Les Conseillers spéciaux du
Secrétaire général pour la prévention du génocide et la
responsabilité de protéger ont pour tâche essentielle de
détecter les signes précurseurs des atrocités de masse, de
donner l’alarme si besoin est, et d’œuvrer avec les États et
les organisations régionales au renforcement des actions
qu’ils mènent en faveur de la prévention. Le Conseil de
sécurité doit entendre plus régulièrement des exposés
présentés par les deux conseillers spéciaux. Il nous
faut programmer sérieusement et plus régulièrement
des tours d’horizon qui ne soient pas censurés par la
dynamique politique propre au Conseil. Le leadership
du Secrétaire général sur cette question est crucial.
Le Conseil doit appuyer le fondamental plan
d’action « Les droits avant tout », car nous savons
maintenant que les violations des droits de l’homme
sont souvent le canari dans la mine. C’est le cas en
République populaire démocratique de Corée, et la
commission d’enquête sur les droits de l’homme nous
présentera demain un exposé au cours de la réunion
qui sera organisée selon la formule Arria. Nous devons
aussi appuyer l’octroi aux opérations de maintien de la
paix de mandats solides. La protection des civils doit
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toujours être au cœur de l’action menée par les Nations
Unies pour garantir la paix.
L’utilisation récente des bases de la mission de
maintien de la paix au Soudan du Sud pour servir de
refuge aux populations qui fuyaient la violence montre
le type de mesures concrètes qui peuvent véritablement
changer la donne et sauver des vies sur le terrain. En
outre, c’est non seulement ce dont les populations
désespérées qui fuient les atrocités ont besoin, mais
également ce qu’elles attendent, légitimement, de la
part de l’ONU. Comme l’a déclaré Dag Hammarskjöld,
l’ONU n’a pas été inventée pour conduire l’humanité
au paradis, mais pour la sauver de l’enfer. L’accès
humanitaire lui-même est une composante vitale de
l’approche que nous devons adopter face au maintien de
la paix.
Enfin, le Conseil ne doit pas cesser d’appuyer
les efforts visant à mettre fin à l’impunité, notamment
ceux qui sont déployés par les juridictions pénales
internationales ad hoc et par la Cour pénale internationale.
Nous observons des signes tangibles qui prouvent que
les mécanismes de justice pénale internationale peuvent
avoir un effet dissuasif puissant, mais ils ont besoin pour
cela d’un appui international fort. Il va sans dire que
le Conseil devrait apporter son appui à la Cour pénale
internationale, notamment lorsqu’il a lui-même renvoyé
une situation devant la Cour.
Pour terminer, je rappelle que, dans son livre
consacré au génocide rwandais, intitulé J’ai serré la
main du diable, le général Roméo Dallaire, commandant
de la Force des Nations Unies, un héros, offre une
terrible description de la mécanique d’un génocide – les
assassinats quotidiens –, qu’il qualifie de laborieuse. Il
faut beaucoup d’efforts pour tuer 1 million de personnes
en 100 jours. De la même manière, aujourd’hui, il
nous faut, au Conseil, déployer beaucoup d’efforts et
travailler avec acharnement pour prévenir le génocide
et les atrocités de masse. Une détermination collective
renouvelée, grâce aux occasions que nous offrent
des séances comme celle d’aujourd’hui, est certes
nécessaire, mais elle est trop facile à promettre et elle
ne suffit jamais.
Pour reprendre les paroles prononcées par
l’Ambassadeur Colin Keating ce matin en conclusion
de son intervention – paroles qui méritent d’être
répétées –, « Si nous voulons vraiment que la prévention
fonctionne, il nous faut de meilleurs mécanismes
politiques, opérationnels et financiers afin que le
Conseil et l’ensemble du système des Nations Unies
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Menaces contre la paix et la sécurité internationalesS/PV.7155

puissent obtenir de meilleurs résultats. Je pense que cela
implique de mettre en place de nouveaux mécanismes
pour améliorer l’alerte rapide, de meilleurs systèmes
pour informer le Conseil et lui présenter des options dès
les premiers signes de crises potentielles, une meilleure
diplomatie préventive, une utilisation plus efficace des
outils du Chapitre VI de la Charte des Nations Unies, un
déploiement préventif rapide et, si tout le reste échoue,
une sérieuse dissuasion ».
Il s’agit d’un défi très linéaire qui nous est lancé
à tous au sein du Conseil, et ce n’est pas un défi très
difficile à comprendre. Nous disposons des cadres
conceptuels et des outils nécessaires, et nous voyons
bien ce qui se passe chaque jour dans le monde entier.
C’est pourquoi nous siégeons ici. Ce que nous devons
faire, c’est travailler plus dur, beaucoup plus dur pour
faire en sorte que notre intervention et le leadership qui
nous est confié par tous les peuples du monde soient à
même de relever un simple défi linéaire.
Sir Mark Lyall Grant (Royaume-Uni) ( parle en
anglais) : Je vous remercie, Madame la Présidente, d’avoir
convoqué cette importante séance pour commémorer le
vingtième anniversaire du génocide au Rwanda. Je tiens
à remercier le Vice-Secrétaire général de sa présence
aujourd’hui et de ses propos réfléchis. Et je remercie
Colin Keating de son témoignage puissant et instructif,
qui fait véritablement autorité puisqu’il était Président
du Conseil de sécurité en avril 1994. Nous devons tenir
compte de ses recommandations importantes.
Il y a maintenant 20 ans, la communauté
internationale affirmait « Plus jamais ça! ». La présente
séance nous donne l’occasion d’évaluer les progrès
accomplis par rapport à cette promesse et d’envisager
les mesures supplémentaires que nous devrions prendre.
Des événements terribles ont eu lieu au Rwanda en 1994.
Aujourd’hui, nous rendons hommage aux victimes, aux
survivants et à ceux qui risquent leur vie pour mettre
fin aux horreurs. Nous nous rappelons les tragédies
individuelles et l’ampleur monstrueuse des assassinats.
Nous rendons hommage au peuple rwandais qui a
accompli de spectaculaires progrès pour faire en sorte
que le pays pauvre et déchiré par la guerre qu’était le
Rwanda se transforme en une nation stable et confiante.
Le Royaume-Uni est un ami de longue date et entend le
demeurer, mais il ne suffit pas de se rappeler les faits. Les
événements survenus au Rwanda en 1994 et les autres
génocides et atrocités de masse, comme Srebrenica
en 1995, mettent en exergue l’intérêt collectif vital qu’il

y a à définir et à réévaluer des mesures visant à protéger
les populations menacées.
La responsabilité de protéger les citoyens
incombe naturellement au premier chef aux États euxmêmes. Mais 1994 nous a montré que, lorsqu’un État est
incapable d’agir pour protéger sa propre population ou,
pire encore, prend une part active dans la persécution et
le meurtre de ses propres concitoyens, la communauté
internationale a la responsabilité égale et partagée de
faire tout ce qu’elle peut pour protéger les populations
en danger. Les États doivent agir dans le plein respect de
la Charte des Nations Unies et œuvrer aux côtés et par
le truchement de l’ONU pour lutter contre ces menaces.
Nous exhortons les pays qui ne l’ont pas encore fait à
signer et à ratifier les traités tels que la Convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide et
le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Ces
traités sont efficaces parce qu’ils prévoient des sanctions
efficaces pour les personnes coupables de génocide.
Pour prévenir les atrocités et rendre la justice en
faveur des victimes, les auteurs de génocide doivent
répondre de leurs actes. Depuis le génocide au Rwanda,
le travail accompli à l’échelle mondiale pour lutter
contre l’impunité a été considérablement renforcé grâce
aux enquêtes et poursuites relatives à ces crimes qui
sont menées dans le cadre du système de justice pénale
internationale. Le Tribunal pénal international pour le
Rwanda a fait à cet égard une contribution substantielle.
En outre, avec la Cour pénale internationale (CPI), nous
disposons maintenant d’une juridiction permanente
ayant compétence en matière de génocide, de crimes de
guerre et de crimes contre l’humanité. Il est vital que les
États coopèrent avec la CPI de manière qu’elle puisse
établir les responsabilités dans les cas où les autorités
nationales n’ont pas la volonté ou sont dans l’incapacité
d’agir.
Il ne doit y avoir aucun refuge pour ceux qui
commettent des atrocités, quelle que soit la position
qu’ils occupent. Il est extrêmement regrettable que
certains États parties à la CPI n’aient pas honoré leur
obligation d’exécuter un mandat d’arrêt pour un acte
d’accusation qui comptait trois chefs de génocide. Il est
grand temps que les États honorent ces obligations et
que le Conseil assure le suivi de la situation au Darfour,
qu’il a renvoyée devant la Cour.
Le génocide rwandais est l’un des cas dans
lesquels le Conseil de sécurité s’est montré incapable
d’agir, mais, depuis 1994, l’ONU a amélioré notablement
notre capacité collective à agir dans des situations qui

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S/PV.7155

Menaces contre la paix et la sécurité internationales

pourraient aboutir à des atrocités à grande échelle. Nous
avons réagi aux horreurs du passé en prenant un certain
nombre de décisions d’importance. En 2006, le Conseil
de sécurité a adopté la résolution 1674 (2006) sur la
protection des civils et a réaffirmé cet engagement dans
la résolution 1894 (2009) en 2009.
La protection des civils est désormais un pilier du
maintien de la paix moderne et elle est intégrée dans la
plupart des mandats de maintien de la paix. L’ONU a mis
au point de meilleurs systèmes d’alerte rapide afin de
donner à la communauté internationale le moyen d’agir
avant que ne soient commises des atrocités à grande
échelle. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux
droits de l’homme, les procédures spéciales du Conseil
des droits de l’homme, le Conseil des droits de l’homme
et le Conseiller spécial pour la prévention du génocide
apportent tous d’importantes contributions.
Toutefois, comme l’a clairement établi
l’Ambassadeur Keating, à elle seule, l’alerte rapide
ne suffit pas. Nous devons améliorer notre aptitude à
convertir les alertes rapides en mesures de prévention
efficaces, et cela exige une volonté politique. La volonté
politique est une responsabilité qui incombe à chaque
membre du Conseil de sécurité et, en particulier,
à tous ses membres permanents. L’initiative de la
responsabilité de protéger de 2005 est un autre fait
nouveau encourageant, et elle est de plus en plus prise
en compte dans les délibérations des gouvernements
nationaux. Nous devons appuyer les États qui renforcent
leurs capacités s’agissant des dimensions préventives de
la responsabilité de protéger, et les aider à faire face aux
tensions avant qu’elles ne s’aggravent.
Lorsque la communauté internationale est unie,
nous pouvons accomplir des progrès qui auraient été
impossibles à obtenir autrement. C’est un Conseil de
sécurité uni qui a permis efficacement d’empêcher des
atrocités de masse en Côte d’Ivoire et en Libye et qui a
fait des progrès encourageants au Mali et en Somalie.
Aujourd’hui, l’insécurité généralisée en République
centrafricaine génère des dissensions ethniques et
religieuses de plus en plus profondes, mais l’Union
africaine, l’ONU et l’Union européenne travaillent de
concert pour faire naître un espoir face à cette situation
désastreuse. Malgré tout, d’immenses difficultés
subsistent. Le Soudan du Sud, la plus jeune nation du
monde, risque d’être précipité dans la guerre civile si
les pourparlers de paix n’aboutissent pas. En Syrie, le
régime refuse toujours l’accès humanitaire vital dont
la population a désespérément besoin et continue de
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persécuter et d’assassiner aveuglément ses propres
concitoyens.
Vingt ans après les terribles atrocités commises
au Rwanda, il n’y a plus d’excuse. Nous disposons
désormais d’outils qui nous permettent non seulement
de dire « Plus jamais ça! », mais également de tenir
cette promesse et d’agir ensemble pour prévenir d’autres
génocides.
M me Lucas (Luxembourg) : Je remercie à
mon tour le Vice-Secrétaire général Jan Eliasson et
l’Ambassadeur Colin Keating de leurs exposés.
Il y a 20 ans, en dépit des nombreux signes
précurseurs, l’ONU, les États Membres et, en particulier,
le Conseil de sécurité n’ont pas été à même de prendre les
mesures décisives qui auraient permis de mettre un terme
à la propagation de la haine ethnique et de prévenir le
génocide au Rwanda. Comme le Mministre des affaires
étrangères et européennes de mon pays l’а fait le 7 avril
à Kigali, je veux rendre ici hommage aux centaines de
milliers de victimes du génocide. Je veux aussi rendre
hommage à la force et à la détermination des Rwandais,
qui ont su reconstruire leurs vies et leur pays après cette
terrible épreuve. Notre séance aujourd’hui ne rendra pas
la vie aux plus de 800 000 Rwandais massacrés. Elle
n’atténuera pas la douleur des survivants. Mais elle est
l’occasion de confirmer notre engagement à appliquer
les leçons du passé afin d’éviter que de telles atrocités
ne se reproduisent à l’avenir.
Le génocide au Rwanda a créé une onde de choc
qui a bouleversé l’ONU tout entière. Il a soulevé des
questions fondamentales concernant l’autorité et la
responsabilité du Conseil de sécurité, l’efficacité du
maintien de la paix par les Nations Unies, la portée
de la justice internationale, les racines de la violence
et la responsabilité de la communauté internationale
de protéger les populations menacées de génocide. Je
voudrais me concentrer sur deux points : la responsabilité
de protéger et la lutte contre l’impunité.
Le génocide de 1994 a mis en évidence la nécessité
pour les Nations Unies de renforcer leurscapacités de
répondre aux violations graves des droits de l’homme
et du droit international humanitaire, et d’accorder une
attention plus grande à la prévention des atrocités de
masse. Il a été un élément catalyseur pour développer le
principe de la responsabilité de protéger les populations
du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage
ethnique et des crimes contre l’humanité. Ce principe,
que le Luxembourg soutient pleinement, a été endossé
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Menaces contre la paix et la sécurité internationalesS/PV.7155

par le Sommet mondial de 2005. Depuis 2005, le Conseil
de sécurité a invoqué la responsabilité de protéger à
plusieurs reprises, le plus récemment pour le Soudan du
Sud, le Yémen, le Mali et la République centrafricaine.
Le Conseil doit continuer sur cette voie et donner corps
au principe de la responsabilité de protéger dans toutes
ses dimensions.
Le Luxembourg réaffirme aussi son plein appui
au Conseiller spécial du Secrétaire général pour la
prévention du génocide et à son rôle d’alerte rapide. À
notre initiative, le Conseiller spécial a pu s’exprimer
pour la première fois devant le Conseil de sécurité réuni
en séance publique le 22 janvier dernier (voir S/PV.7098)
pour tirer la sonnette d’alarme au sujet de la République
centrafricaine. Nous devons en effet porter une attention
particulière aux signes précurseurs d’atrocités, dans
une logique de prévention. Des efforts soutenus sont
nécessaires pour mettre fin à l’incitation à la haine et
à l’intolérance. La mise en œuvre de l’initiative « Les
droits avant tout », que le Secrétaire général et le ViceSecrétaire général ont lancée en décembre dernier,
contribuera elle aussi à renforcer la capacité de l’ONU
et du Conseil à réagir en temps voulu.
Au cours des 20 dernières années, le Conseil
de sécurité a reconnu que la lutte contre l’impunité
est essentielle pour empêcher de nouveaux crimes de
génocide et pour rendre justice aux victimes. Créé
le 8 novembre 1994 à la demande du Rwanda, le Tribunal
pénal international pour le Rwanda (TPIR) a joué un
rôle crucial. Alors que le TPIR s’apprête à clôturer ses
travaux et que la transition vers le Mécanisme appelé
à en exercer les fonctions résiduelles est en cours,
nous saluons les progrès remarquables réalisés par le
TPIR pour développer la jurisprudence internationale,
pour rendre justice aux victimes, pour appréhender les
fugitifs et pour juger les personnes responsables d’actes
de génocide ou d’autres violations graves du droit
international humanitaire.
Le TPIR a constitué une source d’inspiration
pour les juridictions nationales et internationales,
et en particulier pour la création de la Cour pénale
internationale. Les atrocités de masse commises au
cours des dernières décennies ont en effet montré qu’il
était impératif de créer une cour permanente à vocation
universelle pour mettre fin à l’impunité pour les crimes
les plus graves. Il importe plus que jamais que le Conseil
assume ses responsabilités pour mettre fin à l’impunité,
notamment en apportant un appui sans faille à la Cour
pénale internationale.

Que cette commémoration du génocide rwandais,
que ce moment de réflexion et de douleur soit aussi
un moment d’inspiration à l’action. Nous devons agir
pour prévenir le génocide, les crimes contre l’humanité
et les crimes de guerre. Que ce soit pour la Syrie, le
Soudan du Sud ou la République centrafricaine, nous
devons tout faire pour que le Conseil de sécurité soit
à la hauteur de ses responsabilités. Notre objectif doit
être de traduire l’impératif moral du « Plus jamais ça! »
en action concrète. La résolution 2150 (2014) préparée
par le Rwanda et que nous avons adoptée à l’unanimité
ce matin nous y encourage. Faisons-le pour honorer la
mémoire des victimes du passé et pour préserver les
générations futures du fléau du génocide.
M. Cherif (Tchad) : Je vous remercie, Madame la
Présidente, d’avoir organisé la présente séance portant
sur les menaces à la paix et à la sécurité internationales
et la lutte contre le génocide. Je voudrais également
remercier le Vice-Secrétaire général, M. Jan Elliasson,
et l’Ambassadeur Colin Keating de leurs exposés.
Le monde commémore le vingtième anniversaire
du génocide des Tutsis au Rwanda, qui a emporté plus
de 800 000 vies humaines; un massacre qui a bouleversé
la conscience du monde entier par sa brutalité et son
ampleur. Le Tchad s’incline devant la mémoire de tous
ceux qui ont perdu la vie, et exprime son soutien aux
rescapés et aux parents des victimes qui cherchent
toujours à connaître la vérité. Le Tchad se félicite des
efforts du Gouvernement rwandais pour sa politique
de réconciliation et de consolidation de la paix, qui a
permis au pays de retrouver la stabilité pour la relance
de sa croissance économique.
Le monde est de plus en plus menacé par les
conflits au sein des États, dont les causes sont multiples
et variées. À défaut de pouvoir éliminer les conflits, la
communauté internationale devrait se doter de tous les
outils nécessaires pour anticiper leur éclatement afin
d’en éviter les conséquences tragiques incalculables,
dont le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre
l’humanité et toute autre forme d’atrocité.
Le Document final du Sommet mondial
de 2005 (résolution 60/1 de l’Assemblée générale)
met la prévention des crimes de masse – génocide,
crimes de guerre, nettoyage ethnique, crimes contre
l’humanité – au cœur de la responsabilité de protéger
des États. Les enseignements tirés du génocide des
Tutsis au Rwanda interpelle toute la communauté
internationale sur ses moyens d’action et sa capacité
de réactivité face aux prémices des crimes de masse.

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S/PV.7155

Menaces contre la paix et la sécurité internationales

À cet égard, la communauté internationale devrait
non seulement évaluer constamment l’efficacité de ses
moyens d’action, mais aussi, et surtout, se doter d’un
système d’alerte précoce pour détecter des situations
susceptibles de conduire à des crimes de masse.
Si le génocide des Tutsis au Rwanda avait
échappé en son temps à la vigilance de la communauté
internationale, nous constatons avec beaucoup de
préoccupation que celle-ci demeure malheureusement
encore impuissante devant de graves crimes de masse
perpétrés dans certaines parties du monde.
Si l’action de la Mission internationale de
soutien à la Centrafrique sous conduite africaine et de
l’opération Sangaris a permis de sauver des milliers de
vies humaines et d’engager un processus de stabilisation
en République centrafricaine, la communauté
internationale se trouve paralysée face à d’autres
situations marquées par de graves violences perpétrées
contre des populations civiles. Face à des atrocités à
grande échelle, il appartient avant tout aux États, mais
aussi à l’ONU, de prendre leurs responsabilités pour y
mettre un terme avant qu’il ne soit trop tard.
L’ancien Secrétaire général, Kofi Annan, a
déclaré, devant le Conseil des droits de l’homme à
Genève :
« Nous ne pouvons espérer prévenir les
génocides, ni rassurer ceux qui vivent dans la
peur d’en être à nouveau victimes, si les auteurs
des crimes les plus odieux sont laissés en liberté
et ne sont pas traduits en justice. Il est donc
vital que nous mettions en place des systèmes
judiciaires solides, au niveau national comme au
niveau international, pour que peu à peu les gens
s’aperçoivent qu’il n y a pas d’impunité pour ce
genre de crimes ».
Ainsi, nous ne pouvons pas parler de réconciliation
ni de paix durable au Rwanda sans évoquer la question
de la justice pour les victimes et leurs proches et de
l’impunité dont jouissent certains auteurs et coauteurs
du génocide. En effet, seule une justice indépendante
et impartiale peut contribuer véritablement à panser les
blessures et à réconcilier les cœurs meurtris. À cet égard,
nous saluons le travail accompli par le Tribunal pénal
international pour le Rwanda (TPIR) qui a détenu et jugé
des auteurs du crime de génocide et leurs complices.
Cette initiative a permis de sonner la fin de l’impunité
et d’envoyer un signal fort à tous ceux qui seront tentés
de commettre des crimes de masse. Le TPIR a montré
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que le renforcement de la justice pénale internationale
peut contribuer efficacement à la prévention, au-delà de
son rôle de dissuasion.
L’ONU, dont le rôle principal est le maintien de la
paix et de la sécurité internationales, doit renforcer lsa
coopération avec les organisations régionales et sousrégionales pour une plus grande efficacité avant, pendant
et après les conflits à travers le monde. À cet égard, nous
nous félicitons du partenariat existant entre l’Union
africaine et l’ONU et appelons à son renforcement.
L’action concertée de l’ONU et de l’Union africaine
a permis, malgré la rareté des ressources et quelques
difficultés de coordination, de contenir et/ou d’écarter
de graves menaces de différents ordres à la paix, dans
certains pays africains, dont le Mali, la République
démocratique du Congo et la République centrafricaine,
pour ne citer que ceux-là.
Pour conclure, nous disons que le Conseil de
sécurité devrait réagir d’urgence en cas de crimes de
masse en se fondant sur sa responsabilité de protéger.
La résolution 2150 (2014) que nous venons d’adopter
(traduit, nous l’espérons, notre détermination et notre
volonté communes de continuer à lutter contre le
crime de génocide et les violations graves des droits de
l’homme.
La Présidente ( parle en anglais) : Je vais
maintenant faire une déclaration à titre national.
Je voudrais me joindre aux orateurs qui m’ont
précédée pour remercier le Vice-Secrétaire général,
M. Jan Eliasson, et l’Ambassadeur Colin Keating, de
leurs exposés. Non seulement ils nous ont fait part de
réflexions profondes et de nouvelles perspectives sur
la question qui nous occupe aujourd’hui, mais ils ont
également établi une mémoire institutionnelle pour
l’avenir. Je tiens en particulier à remercier sincèrement
l’Ambassadeur Keating, qui a reconnu le rôle essentiel
qu’a joué le Nigéria au Conseil de sécurité en 1994,
s’agissant de condamner le génocide contre les Tutsis
au Rwanda et de renforcer la Mission des Nations Unies
pour l’assistance au Rwanda. Je le remercie beaucoup,
nous nous sentons encouragés par cette reconnaissance.
Le document de réflexion établi pour la séance
d’information d’aujourd’hui (S/2014/265, annexe) nous
invite à examiner diverses questions ayant trait à la
prévention du génocide. Je vais essayer de parler de
l’évolution des capacités de prévention de l’ONU depuis
le génocide de 1994 à l’encontre des Tutsis au Rwanda,
des mécanismes d’alerte rapide, de la lutte contre
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Menaces contre la paix et la sécurité internationalesS/PV.7155

l’impunité au moyen de la justice et des enseignements
tirés de cette expérience.
S’agissant de l’évolution des capacités de
prévention de l’ONU depuis 1994, le Nigéria tient à
mettre en relief les mesures importantes prises par
l’ONU, en les énumérant. À l’occasion du dixième
anniversaire du génocide en 2004, le Secrétaire général
à l’époque, M. Kofi Annan, a présenté un plan d’action
en cinq points visant à prévenir le génocide. Ce plan
prévoyait les éléments suivants : premièrement, la
prévention des conflits armés, dans le cadre desquels se
produisent généralement les génocides; deuxièmement,
la protection des civils dans les conflits armés, y
compris par l’entremise des soldats de la paix de l’ONU;
troisièmement, la levée de l’impunité au moyen de
mesures judiciaires tant nationales qu’internationales;
quatrièmement, la collecte d’ informations et la mise en
place de mécanismes d’alerte rapide; et cinquièmement,
une prise de mesures rapides et efficaces, y compris le
recours à la force militaire.
Un an plus tard, lors du Sommet mondial
de 2005, les dirigeants du monde entier se sont mis
d’accord sur le principe de la responsabilité de protéger
les populations de quatre atrocités de masse – le
génocide, le nettoyage ethnique, les crimes de guerre
et les crimes contre l’humanité. Nous nous félicitons
des rapports établis jusqu’à présent par le Secrétaire
général sur cette question, dans lesquels il a proposé
des outils pour la prévention du génocide, notamment
le rapport de janvier 2009 sur « La mise en œuvre de
la responsabilité de protéger » (A/63/677), le rapport
de juillet 2010 intitulé « Alerte rapide, évaluation et
responsabilité de protéger » (A/64/864) et le rapport
de juillet 2013 intitulé « Responsabilité de protéger :
responsabilité des États et prévention »( S/2013/399).
En juillet 2009, le Secrétaire général a présenté
son rapport de janvier 2009 à l’Assemblée générale,
et au cours du même mois, un débat a été organisé
à l’Assemblée générale en séance plénière sur la
responsabilité de protéger (A/63/PV.97). Ce débat a
donné aux délégations l’occasion d’exprimer leur appui
à la mise en œuvre des engagements que leurs pays ont
pris au titre du Document final du Sommet mondial
de 2005 (résolution 60/1 de l’Assemblée générale). De
même, après la publication du rapport de juillet 2010,
l’Assemblée générale a organisé un dialogue interactif
informel sur les principaux thèmes de ce rapport,
le 9 août 2010. Le Nigéria faisait partie des huit pays
africains qui ont participé à ce dialogue.

En plus de ces rapports périodiques, depuis le
génocide au Rwanda, le Secrétaire général a effectué
quelques nominations importantes qui contribueront à
lutter contre le génocide, comme cela a été mentionné
par plusieurs intervenants ce matin. Par conséquent,
nous félicitons le Secrétaire général d’avoir nommé un
Conseiller spécial pour la prévention du génocide et un
Conseiller spécial pour la responsabilité de protéger.
Nous félicitons également le Secrétaire général de
l’initiative « Les droits avant tout » qu’il a lancée, qui
prévoit six mesures essentielles destinées à aider le
Secrétariat à coordonner les travaux de l’Organisation
dans le domaine des droits de l’homme. Au titre de
l’une de ces mesures, l’ONU est tenue de communiquer
aux États Membres des informations franches sur les
personnes qui risquent de faire l’objet de diverses
violations des droits de l’homme.
Le Nigéria voudrait insister sur l’importance de
respecter le principe de mettre en place des mécanismes
d’alerte rapides et la nécessité de prendre des mesures
rapides et efficaces. Aujourd’hui, il y a de nombreux de
théâtres de conflits dans le monde. Il faut prendre des
mesures urgentes pour mettre un terme à ces conflits
et s’attaquer à leurs causes profondes. Dans certaines
de ces zones, la situation a atteint un seuil critique et
il existe un risque très élevé que des crimes de masse
pourraient être commis. L’avantage d’un mécanisme
d’alerte rapide est qu’il augmente les chances de
détecter les signes annonciateurs d’un génocide. Ces
mécanismes présentent en outre l’avantage de donner
la possibilité de prendre des mesures de prévention en
temps opportun.
Le Nigéria demeure engagé en faveur de la
lutte contre l’impunité. Nous estimons qu’il faut lutter
résolument contre l’impunité partout dans le monde.
La lutte contre l’impunité et la prévention
des atrocités de masse sont pour nous des priorités
nationales, comme le prouvent clairement les différents
instruments mis en place pour s’attaquer à cette
menace. Notre conviction qu’il faut mener une action
mondiale contre les atrocités de masse et les menaces
à la sécurité à l’encontre de l’humanité est à la base de
notre ratification du Statut de Rome de la Cour pénale
internationale (CPI), du Traité sur le commerce des
armes et d’autres instruments juridiques internationaux
pertinents.
Le Nigéria apprécie le rôle important que la
CPI joue dans la lutte contre le génocide et autres
atrocités de masse. Les auteurs d’actes de génocide

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S/PV.7155

Menaces contre la paix et la sécurité internationales

doivent être tenus pour responsables afin que la
communauté internationale envoie un message ferme
et sans équivoque de tolérance zéro. Nous nous
souvenons que le 27 février, lors du lancement à New
York de Kwibuka20, la commémoration du vingtième
anniversaire du génocide rwandais, le Secrétaire
général a déclaré à juste titre que nous avons tiré des
enseignements importants. Il a également souligné que
le génocide ne se résume pas à un fait unique mais qu’il
s’agit d’un processus exigeant une planification et des
ressources pour être mis en exécution et qu’avec les
bonnes informations, une mobilisation, du courage et
de la volonté politique, le génocide peut bel et bien être
prévenu.
Cette thèse du Secrétaire général soulève
plusieurs questions. Comment pouvons-nous obtenir
des informations pour prévenir le génocide? Qui doit
être mobilisé, et par qui, afin de prévenir le génocide?
Et comment susciter le courage et la volonté politique
nécessaires pour prévenir le génocide? Il s’agit de
questions essentielles auxquelles nous sommes tous
tenus, collectivement, d’apporter des réponses adéquates
et réelles.
En fin de compte, cela se résume aux choix que
nous décidons tous de faire. C’est toujours à nous qu’il
revient de choisir la compassion plutôt que la haine,
l’inclusion plutôt que l’exclusion, la paix plutôt que la
guerre. La présente journée est un rappel important

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des conséquences profondes de ces choix. Que la
mémoire du Rwanda soit un rappel constant et visible
de la nécessité de faire le bon choix : celui de la paix.
Trouvons le courage qui nous rend trop forts pour avoir
peur et trop nobles pour être en colère ou nous venger.
Fuyons la neutralité.
En 2010, alors que nous siégions au Conseil
de sécurité, j’ai eu l’occasion, lors d’une retraite du
Conseil, de rappeler à cet organe que, selon le grand
poète Dante, la neutralité n’est pas une possibilité car,
toujours d’après Dante, les places les plus chaudes en
enfer sont réservées à ceux qui lors de grandes crises
morales maintiennent la neutralité.
Nous saisissons cette occasion pour prendre
acte des progrès remarquables faits par le Rwanda
ces 20 dernières années afin de guérir les blessures
du génocide et de faire avancer le processus de
réconciliation. Nous sommes très encouragés par cela,
et nous nous joignons à la communauté internationale
dans l’adoption aujourd’hui de la résolution 2150 (2014)
pour affirmer à l’unisson « Plus jamais ça! ».
Je reprends à présent mes fonctions de Présidente
du Conseil de sécurité.
Il n’y a pas d’autre orateur inscrit sur ma liste. Le
Conseil de sécurité a ainsi achevé la phase actuelle de
l’examen de la question inscrite à son ordre du jour.
La séance est levée à 12 h 55.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024