Fiche du document numéro 28102

Num
28102
Date
Samedi 3 avril 2021
Amj
Auteur
Fichier
Taille
35074
Urlorg
Titre
« Retour à Kigali » : un documentaire accablant sur l’implication française au Rwanda
Soustitre
27 ans après le génocide des Tutsi au Rwanda, la commission Duclert a rendu son rapport à Emmanuel Macron le 26 mars 2021. Présent au Rwanda en 1994, le journaliste Jean-Christophe Klotz a réalisé « Retour à Kigali, une affaire française », diffusé le 4 avril 2021 sur France 5.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Jean-Christophe Klotz est journaliste et documentariste. Il a réalisé plusieurs documentaires sur le génocide des Tutsi au Rwanda, en 1994, dont Retour à Kigali, une affaire française, sorti en 2019.

En mai 1994, vous êtes l’un des rares journalistes à se trouver à Kigali, capitale du Rwanda. Comment cela se fait-il ?

À cette époque, je travaille pour l’agence de presse Capa, coutumière des longs formats plutôt que des réactions à l’actualité chaude. En mai, les ressortissants français sont en train d’être évacués… mais, ce qui nous intéresse, c’est la suite des événements. Quand Bernard Kouchner, alors député européen, contacte Capa pour prévenir qu’il part au Rwanda tenter une mission de médiation, je réponds à l’appel car c’est un sujet qui me touche particulièrement.

Pourquoi ?

Par mon métier de reporteur, je suis conditionné pour aller là où les autres ne vont pas. Je suis étrangement fasciné par cet endroit, qui semble pourtant être l’enfer sur terre. Au fond de moi, je fais sans doute un lien avec une partie de ma famille, juive, qui a connu la déportation. Tout ce qui se rapproche de près ou de loin du génocide me secoue intérieurement.

Par ailleurs, une question me taraude et je veux la poser au père Henri Blanchard, un Français resté à Kigali pour protéger des orphelins tutsi réfugiés dans sa paroisse : comment croire en Dieu dans un tel contexte ? Je suis traversé par un tel bouleversement intérieur que je décide de partir et de risquer ma peau.

Quand vous êtes sur place et que vous constatez le génocide en cours, vous rendez-vous compte que les actions de l’État français ne suffiront pas à stopper les massacres ?

Sur le coup, nous n’avions pas encore le recul nécessaire, mais quand même quelques soupçons. Avant de partir en reportage dans un pays en guerre, la coutume est d’avaler tous les articles publiés par les confrères sur le sujet depuis des années. Parmi eux, l’article de Jean-Pierre Chrétien, resté célèbre, « un “Nazisme tropical” au Rwanda », donnait déjà une idée de ce que nous allions voir sur place.

Quelques jours avant mon départ, je filme l’activité de la cellule de crise du Quai d’Orsay, dans le cadre de l’émission hebdomadaire télévisée de Capa 24 Heures. En réalisant ce reportage, je suis frappé par le fait que la majorité des Français rapatriés refusent de parler. En fin de journée, j’enregistre Dominique de Villepin, alors directeur de cabinet au ministère des Affaires étrangères, qui s’exclame : « Mission accomplie, tous les Français sont rentrés. » Sous-entendu : Il n’y a plus rien à voir. Or, je viens d’apprendre que deux Français ont refusé d’être évacués parce qu’ils protègent des réfugiés. Cette autosatisfaction de l’administration française m’apparaît étrange…

Que pensez-vous du rapport Duclert, remis à Emmanuel Macron le 26 mars 2021 ?

C’est une étape très importante. Ce rapport invalide définitivement la théorie de « double génocide » et reconnaît surtout officiellement une responsabilité de l’État français. La position officielle se rapproche enfin des récits journalistiques écrits depuis 27 ans.

Ce qui m’inquiète, cependant, c’est que l’exécutif puisse considérer l’affaire comme close. Si le but du président Macron avec ce rapport est de mettre un point final à cette histoire, c’est très grave. Certains aspects de l’implication française ne sont pas du tout traités dans ce rapport.

Sur quelles zones d’ombre souhaiteriez-vous que la lumière soit faite ?

Tout ce qui concerne l’attentat du 6 avril 1994, qui a tué les présidents rwandais et burundais. Il est assez troublant de constater que l’ambassade de France à Kigali affirme, dès le lendemain, que c’est un coup du Front patriotique rwandais (FPR), contrairement à l’avis de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

La mention des exportations d’armes, qui ont continué pendant le génocide, me semble aussi importante. Nous savions tous que les livraisons atterrissaient à l’aéroport de Goma (République démocratique du Congo), qu’elles étaient contrôlées par les forces françaises. Personne ne soulève non plus les ambiguïtés autour de l’opération Turquoise (décrétée par la France afin de « mettre fin aux massacres partout où cela [était] possible, éventuellement en utilisant la force », ndlr), dont je parle dans mon documentaire. Dans le rapport, tout ce qui concerne Turquoise est plutôt à la gloire de l’armée française, et c’est un peu court de vue, étant donné que nos militaires sont arrivés pour protéger la communauté tutsi une fois le génocide terminé.

De plus, le fait que le président de la commission de recherche sur les archives françaises, Vincent Duclert, continue de parler de « conflit ethnique » entre Hutu et Tutsi me semble très maladroit, car cela ne reflète pas la réalité. C’est un conflit politique entre un pouvoir en place autoritaire et une opposition, portée par le FPR, à dominante tutsi.

« Responsable mais pas coupable » dit le rapport Duclert. Êtes-vous d’accord avec cette conclusion ?

Elle me laisse perplexe. Le rapport met en évidence des responsabilités accablantes, mais conclut : « Nous ne sommes pas coupables. » Dans un contexte de génocide, soit vous faites tout ce qui est en votre pouvoir pour arrêter le massacre, soit vous êtes complice. L’entre-deux n’existe pas. Ça ne veut pas dire que les Français voulaient commettre un génocide. Mais quand, dans la phase finale du massacre, François Mitterrand continue d’en recevoir les auteurs à Paris, c’est pour moi de la complicité. Je vous parle d’un point de vue historique et philosophique, pas d’un point de vue judiciaire.

Que permet donc ce rapport ?

Il invalide tous les négationnismes concernant ce génocide et sanctuarise les responsabilités françaises. Nous savions déjà ce qui est écrit dans ce rapport, mais le fait que cela soit officialisé par une commission d’historiens a plus de poids. Malheureusement, il y a encore beaucoup de zones d’ombre inexpliquées de mon point de vue. Ce que nous ne savions pas avant le rapport, nous ne le savons toujours pas aujourd’hui.

Avez-vous d’autres projets en rapport avec le Rwanda ?

Je suis certain que je vais continuer à parler du Rwanda, d’une manière ou d’une autre. J’y pense chaque jour, à cause de ma blessure à la jambe, datant de mon premier séjour, mais aussi parce que j’y ai toujours des amis. Le Rwanda m’a bouleversé, transformé, et je garderai toujours un attachement profond à ce pays.

À voir



Retour à Kigali, une affaire française, de Jean-Christophe Klotz, sur France 5, dimanche 4 avril 2021, à 22 h 40.
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