Fiche du document numéro 30642

Num
30642
Date
Vendredi 16 mars 2018
Amj
Auteur
Fichier
Taille
2798248
Titre
Les blessures de Bisesero
Soustitre
Fin juin 1994, des militaires français constatent des massacres de Tutsi sur ces collines mais n’interviennent que trois jours après. Pourquoi ? Les avis divergent
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Lieu cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
C’est l’histoire d’un drame
qui, à lui seul, cristallise
les haines entre les « vétérans
» de l’opération « Turquoise ».
En 2004, le journaliste du Figaro
Patrick de Saint-Exupéry publie le
livre L’Inavouable (Les Arènes), où il
accuse plusieurs officiers du commandement
des opérations spéciales
(COS) d’avoir laissé mourir les
derniers survivants de Bisesero, un
massif de collines où des milliers de
Tutsi avaient trouvé refuge dès les
premiers jours du génocide, en
avril 1994. Alors qu’ils étaient probablement
50 000 au départ, il n’en
reste plus que 2 000, en juin, à l’arrivée
des premiers soldats français.
Des dizaines de milliers de personnes
ont été massacrées par les gendarmes
et les miliciens hutu.
Le 27 juin 1994, dans l’après-midi,
l’équipe des commandos de l’air du
lieutenant-colonel Jean-Rémi Duval
découvre des rescapés, blessés, dénutris
et très affaiblis, et comprend
qu’ils sont la proie des miliciens hutu
des villages alentour. Les soldats
étant trop peu nombreux (16 hommes)
pour assurer leur protection, ils
repartent vers leur base en promettant
de revenir au plus vite. Trois
journalistes les accompagnent, dont
Patrick de Saint-Exupéry.
Jean-Rémi Duval a raconté la suite à
la police française, dans le cadre de
l’enquête en cours pour « complicité
de génocide » et « complicité de crime
contre l’humanité » sur l’opération
« Turquoise » : « Arrivé au camp, j’ai téléphoné
au colonel Rosier [patron du
détachement du COS] pour lui rendre
compte de ma journée et de ce que
j’estimais qu’il fallait faire. Le colonel
Rosier m’a répondu qu’il était hors de
question que je retourne le lendemain
à Bisesero, et ce pour deux raisons : la
première étant qu’il ne s’agissait pas
de mon secteur mais de celui de Gillier
[des commandos de marine], et la seconde
étant que je devais préparer la
visite du ministre Léotard, prévue le
lendemain ou le surlendemain. »
Le colonel Rosier conteste
aujourd’hui cette présentation des
faits. Interrogé à son tour par les
policiers, il affirme n’avoir eu
aucune conversation avec Duval ce
jour-là et n’avoir reçu son compte
rendu – un fax manuscrit – que le
29 juin. Face aux enquêteurs, Duval
persiste : le compte rendu a bien été
fait le 27 au soir, à l’oral par téléphone
satellite, puis par écrit avec
un fax. Plusieurs témoignages vont
dans le même sens, notamment celui
de l’un de ses adjoints.
Un document antidaté ?
Le fax a-t-il été envoyé dès le 27
– c’est-à-dire à temps pour aller
dès le lendemain secourir la population
– ou deux jours plus tard, ce
qui expliquerait le retard pris dans
les secours ? Un tel document a bien
été retrouvé dans les archives de la
défense, daté du 29 juin, mais sans
être signé par son auteur, ce qui
n’est pas normal. A-t-il été antidaté ?
Serait-ce un faux ? L’enquête n’a pas
encore tranché.
Une autre polémique porte sur le
retour des soldats français à Bisesero,
le 30 juin. Cette fois, il s’agit d’un
groupe emmené par le capitaine Olivier
Dunant (13e RDP) et l’adjudantchef
Thierry Prungnaud (groupe
d’intervention de la gendarmerie nationale).
En se rendant ce jour-là dans
les collines à la découverte de survivants,
ils désobéissent aux ordres
de leur supérieur, le capitaine de frégate
Marin Gillier. « Il [Gillier] nous
avait interdit d’aller voir dans la montagne,
alors que l’on observait des
gens qui se faisaient tirer dessus à la
kalachnikov, détaille Thierry Prungnaud
devant les enquêteurs, on
voyait que c’étaient des civils. Ils tiraient
sur des gens qui couraient. On
en avait fait état au débriefing. On
pensait que c’était des rebelles du FPR
[Front patriotique rwandais] qui tiraient
et qui lançaient des grenades.
Et chaque fois Marin Gillier a dit : “On
ne bouge pas, pas de contact.” »
Entendu par la police, M. Gillier explique
ainsi sa décision : « Nous nous
attendions à tomber dans une embuscade
[du FPR] à Bisesero. » En fait,
il applique à la lettre les ordres : ne
pas aller au clash avec les rebelles
tutsi, désignés comme les vrais
ennemis. Finalement, dans la soirée
du 30 juin, une évacuation sanitaire
par hélicoptères est organisée pour
les cas les plus critiques : 800 personnes
sont ainsi sauvées de la
haine des tueurs hutu.
Cette affaire irrite les anciens de
« Turquoise » pour deux raisons.
D’abord, elle met en évidence les divergences
de points de vue entre
ceux qui ont accompagné, instruit et
formé les militaires rwandais avant le
génocide et les autres, sans lien particulier
avec ces mêmes génocidaires.
Ensuite, elle plane comme une
menace au-dessus de la tête d’officiers
ayant depuis gagné leurs galons
de généraux. Pour le moment, aucun
d’entre eux n’a été mis en examen,
mais l’idée d’avoir à assumer un jour
d’éventuelles poursuites pour « complicité
de génocide » leur est insupportable,
alors qu’ils estiment n’avoir
fait qu’obéir aux ordres.
d. se.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024