Fiche du document numéro 32146

Num
32146
Date
Jeudi 9 juillet 1998
Amj
Auteur
Fichier
Taille
3062484
Titre
Audition de MM. Robert de Resseguier, médecin en chef des services, adjoint santé du ComForces Turquoise (20 juin-22 août 1994), et François Pons, médecin en chef, chef de l’antenne chirurgicale parachutistes Turquoise (22 juin-22 août 1994)
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Source
MIP
Fonds d'archives
MIP
Extrait de
MIP, Auditions
Type
Audition
Langue
FR
Citation
Audition de MM. Robert DE RESSEGUIER Médecin en chef des services,
Adjoint santé du COMFORCES Turquoise (20 juin-22 août 1994)
et François PONS, Médecin en chef, Chef de l’antenne chirurgicale
parachutistes Turquoise (22 juin-22 août 1994)
(séance du 9 juillet 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli le Médecin en chef des
services de classe normale Robert de Resseguier, adjoint santé du
COMFORCES Turquoise entre le 20 juin et le 22 août 1994, et le Médecin
en chef François Pons, Chef de l’antenne chirurgicale parachutistes
Turquoise entre le 22 juin et le 22 août 1994.
Il a souligné que l’action du service de santé était au coeur de la
mission humanitaire que la France a entrepris quasiment seule pour porter
secours aux populations victimes de la tragédie qu’a connue le Rwanda.
Le Médecin en chef Robert de Resseguier a précisé qu’il était en
retraite depuis le 1er juillet dernier et qu’il avait participé à l’opération
Turquoise du 20 juin au 22 août 1994, après avoir été pré-alerté le 17 juin. Il
a relaté qu’il avait rejoint Lyon, où se trouvait la mise en alerte de l’Elément
médical d’intervention rapide (EMIR), le 20 juin, puis Maisons-Laffitte, où
se trouvait le Général Lafourcade, le 21 juin, avant de décoller le 25 avec
escale à Libreville et d’arriver à Goma, le 26 juin, en fin d’aprè-smidi. Il a
rappelé qu’il était à l’époque Médecin en chef de la onzième division
parachutiste stationnée à Toulouse et qu’il avait servi dans cette opération,
en tant que conseiller santé du commandant de la force, et chef santé des
différents éléments du service participant à l’opération Turquoise.
Il a décrit l’organisation du soutien santé comme assez classique
avec une chefferie basée au poste de commandement interarmées de théâtre
(le PCIAT). Il a précisé qu’il était assisté, en tant que chef santé, par trois
adjoints : un vétérinaire pour tout ce qui était de l’hygiène alimentaire, un
épidémiologiste pour l’hygiène en général et pour l’épidémiologie, en
particulier l’épidémiologie des populations civiles, et un psychiatre pour
l’hygiène mentale. Ce dernier les a rejoint le 27 juillet.
Un groupement médico-chirurgical (GMC) stationné sur l’aéroport
de Goma était chargé au départ uniquement du soutien de la Force. Il était
composé d’une antenne chirurgicale sous les ordres du médecin en chef
Pons. Cette antenne a été opérationnelle dès le 25 juin.
Un poste de secours faisait fonction d’infirmerie de garnison pour
les différents éléments militaire basés à Goma. Ce poste de secours a été
armé à partir des éléments suivants : un poste d’embarquement par voie
aérienne (ce qu’on appelle un PEVA), une petite cellule santé Armée de l’air
chargée de la récupération des pilotes éjectés, une cellule Rapace SAR, et
une cellule santé pour le soutien du détachement hélicoptères qui était
présent sur place.
Un cabinet dentaire, un groupe de véhicules sanitaires, et une cellule
de ravitaillement avec un pharmacien étaient également présents.
L’Elément médical militaire d’intervention rapide (EMIR), qui a été
déployé à Cyangugu au Rwanda, a été opérationnel seulement à partir du
5 juillet en raison du temps nécessaire pour créer la zone humanitaire sûre.
La formation a été prévue dès le départ au profit des populations
civiles avec une cellule chirurgicale, une cellule médicale, une cellule
pédiatrique, un laboratoire et une cellule hospitalisation à 50 lits. Devaient
être également pris en compte les postes de secours des unités élémentaires :
cinq postes de secours au niveau du groupement nord et deux postes de
secours au niveau du groupement sud. Le commandement des opérations
spéciales avait son propre soutien. Un poste de secours était également
installé sur la base aérienne de Kisangani.
A compter du 24 juillet, la Bioforce est venue s’ajouter au dispositif.
Elle était composée d’un laboratoire extrêmement performant puisqu’il a
servi de référence aux différents organismes internationaux présents à Goma,
et de six équipes d’investigation. La Bioforce avait besoin du soutien
logistique de Turquoise mais a travaillé uniquement au profit des populations
civiles réfugiées en liaison avec les différents organismes internationaux
présents.
Le Médecin en chef Robert de Resseguier a signalé également les
éléments de renfort. A Bangui, se trouvaient un poste d’embarquement par
voie aérienne et une section hospitalisation à 50 lits. L’antenne chirurgicale
stationnée à N’Djamena était en alerte. La Mauritanie a envoyé une équipe
médico-chirurgicale qui a été mise à la disposition de l’EMIR en raison de la
qualification des personnels envoyés et du fait qu’ils n’avaient pas de
matériels techniques. Elle était composée d’un chirurgien agrégé du
Val-de-Grâce, d’un gastro-entérologue, d’un radiologue, d’un médecin
généraliste et d’infirmiers. Le Sénégal a également envoyé une équipe
médico-chirurgicale qui a été mise à la disposition du groupement nord et
comme soutien du contingent sénégalais.
L’effectif santé a représenté 6 % de l’effectif total des militaires
participant à Turquoise.
Le Médecin en chef Robert de Resseguier a mis en avant le fait que
tous les problèmes rencontrés ont été dus à l’exode massif des populations
rwandaises. L’EMIR avait une capacité initiale d’hospitalisation de 50 lits
mais il a été nécessaire de monter jusqu’à 130 lits. L’EMIR a fonctionné à
99 % au profit des populations déplacées et pour 1 % au profit des militaires
présents dans la zone.
L’antenne chirurgicale devant soutenir la force était équipée pour
2 000 hommes. Sa dotation était prévue pour 48 heures et elle comptait
12 lits, ce qui pouvait être considéré comme largement suffisant, d’autant
qu’il n’était pas prévu d’affrontements. Mais au plus fort de l’exode, il y a eu
jusqu’à 130 hospitalisés au groupement médico-chirurgical de Goma.
Il a fallu faire face à des problèmes quantitatifs
d’approvisionnement, les réserves ayant été rapidement épuisées. Les délais
d’acheminement étaient très longs puisque l’approvisionnement arrivait de
façon partielle jusqu’au 22 juillet, mais après cette date, tout a semblé se
débloquer. Entre le 22 juillet et le 12 août, 35 tonnes de matériels santé ont
été livrés au profit du service lui-même, auxquelles il convient d’ajouter les
approvisionnements que l’Armée de l’air a convoyés au profit des différentes
ONG.
Il a fallu aussi faire face à une insuffisance de personnel pour
s’occuper des hospitalisés. En Afrique, ce sont traditionnellement les familles
qui font ce qu’on appelle le « nursing » des malades. Or les familles étaient
complètement disloquées et les capacités d’accueil largement dépassées. Il a
donc fallu faire appel à toutes les bonnes volontés : militaires présents sur
place et bénévoles locaux qui sont venus prêter main-forte.
Il a également fallu libérer les lits occupés par manque d’évacuation
secondaire des hospitalisés. Il n’était pas possible de faire sortir les
hospitalisés des formations puisqu’il n’y avait pratiquement pas de possibilité
d’accueil. Il a donc fallu faire appel aux orphelinats pour faire prendre en
charge les enfants, et aux différents organismes caritatifs internationaux pour
les adultes.
L’épidémie de choléra qui a été confirmée le 22 juillet a justifié la
venue de la Bioforce. Cette épidémie a fait des milliers de morts et les forces
françaises, devant la carence des réactions locales, ont été obligées
d’effectuer elles-mêmes le ramassage et l’enfouissement des corps, et ce,
petit à petit, dans tout le secteur de Goma.
Les risques de troubles psychologiques plus ou moins graves
encourus par les personnels militaires, qui étaient confrontés à cette mission
pour laquelle ils n’étaient pas préparés, ont justifié la venue du psychiatre.
Le Médecin en chef Robert de Resseguier a dressé le bilan des
activités médicales de l’opération Turquoise, c’est-à-dire jusqu’au 22 août,
en tenant compte des activités du groupement médico-chirurgical resté
présent à Goma jusqu’au 30 septembre : 17 000 consultations,
1 100 interventions chirurgicales, 11 000 journées d’hospitalisation,
90 000 soins ambulatoires, 24 000 vaccinations, et 24 naissances. 98 % des
interventions chirurgicales ont concerné la population civile de même que les
24 000 vaccinations et les 24 naissances.
Le Médecin en chef Robert de Resseguier a conclu en rappelant que
l’action des forces françaises a d’abord été beaucoup décriée par les ONG
qui ont toutefois fini par reconnaître unanimement leur professionnalisme et
leur savoir-faire pour finalement déplorer leur départ. Ce fut une mission
enrichissante, mais dure psychologiquement. Le service de santé a eu un rôle
important dans cette opération, et il a prouvé, encore une fois, son efficacité.
Le Médecin en chef Robert de Resseguier s’est déclaré généralement très fier
de ce qu’a fait l’armée pendant l’opération Turquoise.
Le Médecin en chef François Pons a rappelé qu’il était chirurgien
des hôpitaux des armées, professeur agrégé au Val-de-Grâce, et actuellement
chirurgien dans le service de chirurgie viscérale et thoracique du nouvel
hôpital Percy à Clamart.
Il a indiqué qu’il assurait en 1994, outre ses fonctions au
Val-de-Grâce, celles de chirurgien chef de la 14ème antenne chirurgicale
parachutiste. C’est avec cette antenne qu’il a servi deux mois dans le cadre
de l’opération Turquoise, du 24 juin au 22 août.
Le Médecin en chef François Pons a commenté ensuite quelques
diapositives qu’il avait préparées.
Il a présenté la première diapositive dont l’objet était d’expliquer ce
que sont les antennes chirurgicales du service de santé des armées. Il s’agit
de petites formations chirurgicales élémentaires qui ont pour mission de faire
fonctionner un bloc opératoire efficace au plus près du combattant. Cette
mission nécessite un matériel très performant qui permet de faire face à tous
types d’urgence mais également une équipe très réduite et un matériel très
compact de manière à faciliter leur mobilisation.
Le Médecin en chef François Pons a détaillé la constitution d’une
antenne : trois médecins, deux chirurgiens, un réanimateur, neuf personnels
para-médicaux ou auxiliaires sanitaires. L’ensemble travaille sous deux
tentes : une pour le bloc opératoire et l’autre pour l’hospitalisation de douze
blessés. Le matériel permet une autonomie de 48 heures. L’ensemble est
conditionné de manière à pouvoir être acheminé très rapidement, soit par
voie routière, soit par voie aérienne. Les antennes chirurgicales peuvent
également être larguées et, une fois à terre, il faut une heure pour que le bloc
opératoire soit en état de fonctionnement.
Dans le cadre de l’opération Turquoise, l’antenne chirurgicale était
à Goma alors que l’EMIR était à Cyangugu. Le rôle initial de cette antenne
était uniquement d’assurer le soutien des forces françaises mais, comme
toujours dans les missions auxquelles le service santé des armées participe, il
est toujours possible, dans le cadre de l’aide médicale gratuite, d’apporter
des soins aux populations. En l’occurrence, les événements ont fait que cette
action est devenue l’élément le plus important de l’intervention, au moins
quantitativement, mais la mission première est toujours restée le soutien des
forces.
Le Médecin en chef François Pons a expliqué que la diapositive
suivante montrait l’installation de l’antenne avec les deux tentes et la suivante
le bloc opératoire. Il a souligné que l’on pouvait disposer, même sous une
tente, de matériels de réanimation très performants et effectuer une chirurgie
d’urgence de qualité.
Les diapositives suivantes montraient le coin de la tente consacré au
« déchocage », avec possibilité de production d’oxygène, et le couloir situé
entre le bloc opératoire et l’hospitalisation où étaient déposés les
post-opérés, ce qui permettait de les avoir à proximité immédiate du
chirurgien réanimateur et donc de faciliter leur surveillance.
Le Médecin en chef François Pons a souligné qu’il y avait eu trois
temps forts pour l’antenne chirurgicale au cours de la mission : l’accueil de
réfugiés tutsis qui avaient été rapatriés depuis la zone humanitaire sûre par
les troupes françaises ; puis, à partir du 14 juillet, l’exode des réfugiés hutus
à Goma, qui a été accompagné par un bombardement ayant entraîné un afflux
de blessés ; et enfin, l’épidémie de choléra.
Les blessés tutsis sont arrivés de manière très massive puisqu’une
centaine d’entre eux a été déposée en deux heures par une noria
d’hélicoptères. Il s’agissait de Tutsis ayant été retrouvés dans les collines par
les troupes françaises et errant pour certains depuis plusieurs semaines avec
leurs blessures. Ils ont reçu les premiers soins des médecins des unités et ont
été adressés ensuite à l’antenne médicale. 30 % d’entre eux étaient des
enfants et la majorité des plaies étaient avaient été causées par des coups de
machette.
D’un point de vue médical, les lésions les plus graves ayant
malheureusement déjà entraîné la mort, le risque était moins celui de blessure
vitale que d’infection majeure.
L'antenne de 12 lits a dû assurer l’organisation et l’accueil d’une
centaine de patients arrivant très brutalement. Le triage s’est fait de nuit sous
les projecteurs ainsi que sous les flashes de beaucoup de journalistes. Le
problème essentiel a été d’organiser l’accueil et l’identification de ces blessés,
d’autant que la plupart ne parlaient pas français et qu’un certain nombre de
patients en bas âge ne se connaissaient pas entre eux. Il a été fait recours à ce
système classique en chirurgie de guerre qui consiste à marquer les
renseignements, soit sur le poignet, soit sur le front du blessé en indiquant
soit le nom, soit la gravité de la pathologie.
La diapositive suivante montrait des réfugiés présentant une plaie de
l’épaule par balle traitée par fixateur externe. Le Médecin en chef François
Pons a souligné au passage l’état de maigreur, de cachexie des réfugiés en
raison de la dénutrition mais peut-être aussi du sida et de la tuberculose,
fréquents dans ces populations.
Le bloc opératoire a dû être dédoublé pour pouvoir traiter tous ces
patients. Un des chirurgiens opérait avec un scialytique, l’autre avec une
lampe frontale. Les lésions observées donnaient, de manière certainement
très limitée, une idée de l’horreur des massacres auxquels les blessés avaient
échappé.
La diapositive suivante montrait l’instrument qui a, selon le Médecin
en chef François Pons, fait beaucoup plus de dégâts que les armes les plus
sophistiquées : la machette du paysan rwandais.
Les diapositives suivantes présentaient des exemples de lésions : une
tentative de décapitation qui n’avait pas abouti, une main tranchée. Le
Médecin en chef François Pons a fait observer qu’il y avait beaucoup de
mains tranchées car cette blessure était infligée dans un but de torture. Il a
souligné également que nombre d’enfants étaient concernés ; ils
représentaient un tiers des blessés et souffraient le plus souvent de fractures
du crâne provoquées par les machettes. Les fractures étaient dans un état
d’infection très avancé mais ne présentaient pas de lésion cérébrale puisque
ceux qui en avaient eu étaient déjà morts.
Les enfants présentés sur la diapositive se trouvaient dans la tente
d’hospitalisation de l’antenne, dont une dizaine avec des pansements sur la
tête. Ils racontaient tous la même histoire : ils avaient été laissés pour mort
après avoir perdu connaissance et avaient réussi par la suite à s’échapper.
Une autre diapositive a montré un enfant souffrant d’une plaie par
balle du périnée et la suivante le même enfant au bout de deux mois. Sa
guérison complète a pu être obtenue au prix de quatre interventions
chirurgicales.
Le Médecin en chef François Pons a insisté sur la nécessité où il
s’était trouvé de réorganiser l’antenne pour la transformer d’une structure de
12 lits en une structure d’un peu plus de 130 lits qui devait prendre
également en charge, du fait de l’absence de famille et de structure sociale, le
logement, la nourriture, etc. Une aide précieuse a été apportée à cet effet par
le bataillon de soutien logistique du Commissariat de l’Armée de Terre et,
ultérieurement, par des organisations caritatives ou non gouvernementales.
Il a fallu installer les blessés sous des tentes, assurer leur couchage
sur des brancards ou des lits Picot, et les nourrir. Chaque blessé a reçu
chaque jour la même chose que les militaires, c’es-tà-dire une ration de
combat, qui, tout en n’étant pas conforme à ses traditions culinaires,
présentait l’avantage d’être constituée d’aliments hyper-caloriques,
hyper-énergétiques, et donc susceptibles de favoriser la cicatrisation.
Lors de l’exode des réfugiés hutus, le 14 juillet, le spectacle était
assez impressionnant : pendant quatre jours un million de réfugiés, devançant
le FPR, a défilé pratiquement sans bruit devant l’aéroport et devant
l’antenne. Ils avaient tous leurs bagages sur la tête. Ils étaient déjà
vraisemblablement épuisés par 300 ou 400 kilomètres de marche. Ils se sont
installés autour de Goma et de ses environs dans des camps improvisés.
Ils précédaient de très peu les forces FPR puisque, le 17 juillet, un
bombardement au mortier a duré une dizaine d’heures. Il a eu lieu à
proximité de l’antenne et de l’aéroport et, en raison de la densité de
population, le Médecin en chef François Pons a estimé qu’il avait fait
plusieurs centaines de morts. Ce bombardement a entraîné un afflux de
blessés graves. Il a fallu s’organiser pour les recevoir en masse et les trier.
Une soixantaine de blessés a été accueillie, parmi lesquels un tiers
d’enfants. Les lésions les plus courantes étaient causées par des éclats de
mortier. En raison de l’impossibilité d’opérer plusieurs blessés en même
temps, il a fallu déterminer un ordre de passage. Le Médecin en chef François
Pons a souligné la difficulté de l’exercice, surtout quand les lésions sont
graves, toute erreur peut en effet entraîner le décès d’un des blessés pendant
que l’on procède à une opération sur un autre patient. Le plus grave de ces
blessés était un officier français qui avait été atteint au coeur par une balle,
mais qui a pu être opéré avec succès.
D’autres diapositives ont présenté une plaie thoraco-abdominale par
obus de mortier et un fracas de membre, également par obus de mortier qui
ne relevait que de l’amputation.
La mortalité parmi les blessés était de 20 %, ce qui est élevé, et
montre bien toute la difficulté du triage, encore plus délicat à réaliser chez les
enfants
Les diapositives suivantes ont présenté une petite fille qui avait subi
un arrachement paroi lombaire par éclat de mortier et une autre victime d’un
arrachement du bras et de plusieurs lésions : Le Médecin en chef François
Pons a relevé qu’il s’agissait de patients opérés sans succès et qu’il aurait
peut-être fallu ne pas opérer pour en opérer d’autres à leur place.
L’épidémie de choléra, qui a dû faire 20 000 à 50 000 morts en dix
jours, a posé le problème, heureusement rare mais très difficile, de
l’association du choléra et des blessures de guerre.
Le premier vibrion cholérique a été isolé chez un des patients de
l’antenne chirurgicale et certains des opérés ont alors présenté des diarrhées
cataclysmiques qui ont été le signe des premiers cas de choléra. Il a fallu à
nouveau transformer l’antenne en aménageant certaines tentes en unités de
soins aux cholériques ou en établissant des mesures d’isolement qui ne
pouvaient avoir qu’un caractère symbolique.
Une diapositive a illustré le traitement du choléra dont le Médecin
en chef François Pons a souligné la simplicité : il suffit de remplir les patients
par deux voies veineuses, plus vite qu’ils ne se vident par leur diarrhée et de
les poser sur des brancards dont le fond est découpé pour recueillir les selles.
Tous les réfugiés n’ont malheureusement pas pu bénéficier de ces soins. Ont
été traités les blessés atteints du choléra mais également un certain nombre
de patients non chirurgicaux qui venaient à l’antenne et qui étaient soignés de
la même manière.
Le Médecin en chef François Pons a montré une diapositive d’une
jeune fille, probablement hutue, de 15 ans, qui avait été blessée par un éclat
de mortier. Elle n’a pas été soignée immédiatement. Elle a été retrouvée trois
ou quatre jours après avoir été blessée au milieu de soldats rwandais, dans un
état très avancé de délabrement physique, avec un fracas de cuisse par éclat
de mortier déjà arrivé à un stade de gangrène très évoluée. Il a fallu
désarticuler la hanche et, peu de temps après, le choléra s’est déclaré.
Les difficultés de l’équipe soignante étaient extrêmes pour maintenir
à peu près propre le moignon d’amputation d’un blessé atteint de surcroît de
choléra. Il fallait faire et refaire les pansements plusieurs fois par jour.
Si la jeune fille présentée sur la diapositive a échappé à la gangrène
et au choléra, elle est restée dans un état de prostration psychologique.
L’équipe soignante a réussi à la verticaliser mais, lorsque les troupes
françaises sont parties, elle était toujours dans cet état de prostration, que
l’on retrouvait chez un certain nombre d’enfants.
La diapositive suivante présentait le camp de réfugiés de Kibumba
où le choléra a fait des ravages compte tenu des conditions extrêmement
précaires dans lesquelles vivaient les personnes qui s’y étaient installées. Il y
a eu à ce moment-là une centaine de cadavres.
Le Médecin en chef François Pons a ensuite présenté l’hôpital
militaire des forces armées rwandaises en déroute qui s’étaient installées sur
le centre sportif de Goma où 1 000 à 1 500 blessés de guerre plus ou moins
anciens étaient déjà décimés par le tétanos et la gangrène auxquels s’est
rajouté le choléra. L’équipe française allait prendre régulièrement deux ou
trois de ces soldats pour les traiter et elle était pratiquement la seule à
accepter de le faire. Pendant que ces blessés étaient recueillis, les camions de
l’armée française relevaient une centaine de cadavres de personnes décédées
du choléra dans la journée. La diapositive montrait, derrière le brancard, un
amoncellement de cadavres illustrant la gravité de cette épidémie.
Le Médecin en chef François Pons a indiqué qu’il avait coutume de
travailler assez fréquemment avec les ONG qui sont arrivées à ce moment
étant donné que c’était celles qu’il avait l’habitude de retrouver sur tous les
théâtres d’intervention. S’il peut y avoir parfois des divergences dans les
décisions, la préparation, au niveau des équipes soignantes, s’effectue
généralement dans de bonnes conditions de coopération, d’autant qu’il existe
une complémentarité : l’antenne militaire propose le traitement des patients
relevant du geste chirurgical et, inversement, elle confie aux ONG un certain
nombre de post-opérés.
La fin de la mission a été, selon le Médecin en chef François Pons,
plus conforme à ce qu’il connaissait. Elle a consisté à accorder une aide aux
populations, essentiellement par la chirurgie d’urgence, tout en continuant,
bien sûr, à assurer le soutien des troupes françaises.
Le problème majeur était de savoir que faire des opérés qui
commençaient à se recréer une petite vie sociale à l’antenne. Il fallait les
placer. Or, il n’existait aucune structure d’accueil. Certains ont pu repartir au
Rwanda grâce à l’aide des affaires civiles, d’autres ont dû être placés dans les
camps de réfugiés. L’antenne chirurgicale s’occupait d’eux en collaboration
avec les ONG ou le Haut commissariat aux réfugiés.
Un autre problème grave était celui des enfants blessés. Certains ont
été réclamés par leurs parents, d’autres ont été adoptés par des femmes de
l’antenne mais la majorité d’entre eux a été placée dans un des nombreux
orphelinats qui pullulaient autour de Goma. Ils y vivaient encore il y a peu de
temps.
Pour conclure, le Médecin en chef François Pons a précisé que plus
de 500 personnes avaient été hospitalisées et que 315 interventions
chirurgicales avaient été réalisées : 7 soldats français dont 2 gravement
blessés par balle, 21 soldats zaïrois, 32 soldats rwandais en avaient bénéficié,
mais l’essentiel de l’activité-80 %- a concerné les réfugiés rwandais parmi
lesquels aucune différence n’a été faite entre Hutus et Tutsis. Le chiffre le
plus impressionnant demeure celui des enfants opérés, qui représente un tiers
du total des interventions, ce qui n’est pas classique en chirurgie de guerre.
Le Médecin en chef François Pons a souligné que l’action
chirurgicale qu’il a menée était, comme toujours, ponctuelle. Elle a apporté
certainement quelques soulagements à l’échelon individuel mais, dans l’océan
de désespoir des victimes, elle a sans doute représenté très peu de chose.
Le Président Paul Quilès s’est déclaré personnellement ému par la
présentation à laquelle il avait assisté et par les indications qui avaient été
données.
Il a demandé des précisions sur les relations entretenues sur place
par le Service de santé des armées avec les ONG humanitaires comme MSF.
Il a demandé aux officiers leur sentiment sur la critique selon laquelle il
revenait aux ONG humanitaires de faire ce travail de soins et d’assistance
aux populations en difficultés sanitaires, alors que c’était aux militaires
d’intervenir pour neutraliser les criminels et les responsables de crimes contre
l’humanité.
Le Médecin en chef Robert de Resseguier a souligné que les
ONG étaient relativement peu présentes au départ. Elles ont eu des états
d’âme, par exemple à l’égard des militaires rwandais des FAR. La Croix
Rouge ne souhaitait pas s’en occuper, au motif qu’ils n’étaient pas
prisonniers, comme le Haut Commissariat aux réfugiés parce que c’étaient
des militaires.
Les relations avec les ONG se sont ensuite considérablement
améliorées quand elles ont vu en particulier l’efficacité de la Bioforce qui a
essayé d’organiser et de contrôler tout ce qui était de l’ordre du soutien.
C’est bien la France, et non d’autres pays, qui a fourni les vaccins des
24 000 vaccinations.
Le Médecin en chef Robert de Resseguier a signalé par ailleurs que
les ONG ne peuvent manifestement intervenir que lorsque la zone est
pacifiée.
Mais certaines organisations refusent d’intervenir en présence des
militaires. Dans la zone humanitaire sûre, il est arrivé plusieurs fois que des
organismes souhaitent faire transiter des convois en sécurité. Il leur a été
proposé de se joindre aux convois militaires mais cette offre était le plus
souvent rejetée. Il leur a été précisé que les militaires ne pouvaient pas
assurer leur sécurité s’ils n’étaient pas présents. La zone humanitaire sûre
était aussi sûre que possible, mais il y avait quand même encore des milices et
des convois d’organismes humanitaires ont été pillés.
Le Médecin en chef Robert de Resseguier a jugé que les ONG ont
finalement apprécié le travail effectué par l’antenne chirurgicale et elles en
ont tout naturellement pris la suite.
Le Président Paul Quilès a voulu savoir aussi si des reproches
avaient été adressés sur place au Service de santé.
Le Médecin en chef François Pons a répondu qu’une seule ONG
était déjà présente avant leur arrivée, à savoir MSF Zaïre qui s’occupait de la
lutte contre la peste. Les membres des ONG étaient manifestement assez
réticents pour travailler avec les militaires sans d’ailleurs faire preuve
d’hostilité à leur égard. Quand toutes les autres ONG sont arrivées par la
suite, les relations ont toujours été bonnes entre les équipes soignantes. Les
ONG n’ont alors pas adressé de reproches au Service de santé. Peut-être
leurs décideurs éprouvaient-ils une certaine réticence vis-à-vis de l’armée,
mais le Médecin en chef François Pons a déclaré ne pas en avoir ressenti
parmi les médecins avec lesquels il a été amené à travailler.
Le Médecin en chef François Pons a estimé qu’il était du devoir des
troupes françaises de faire de l’action humanitaire. C’est une tradition
ancienne puisque, depuis très longtemps en Afrique, sous forme d’aide
médicale gratuite ou, même avant, avec le service de santé des troupes
coloniales, l’armée s’est toujours occupé des populations, même si elle le
faisait avec moins de publicité que certaines ONG.
M. Pierre Brana a noté que le médecin psychiatre était arrivé sur
place le 27 juillet, ce qu’il a jugé un peu tardif. Il a demandé s’il n’aurait pas
été bon d’avoir une équipe psychiatrique dès le départ auprès des troupes
françaises. Il a, par ailleurs, souhaité savoir si les traumatismes psychiques
des enfants rwandais avaient été soignés.
Le Médecin en chef Robert de Resseguier a répondu qu’il aurait
sans doute été souhaitable que le psychiatre participe à l’opération dès le
départ, comme cela se pratique aux Etats-Unis. Mais quand une opération est
montée, l’effectif est malheureusement toujours restreint au minimum, en
particulier au niveau du soutien. C’est pour cette raison que le psychiatre n’a
pas fait partie de l’équipe médicale mise en place au départ, contrairement à
l’épidémiologiste. Il a été fait appel au psychiatre pour les personnels qui
encadraient les opérations d’enfouissement des cadavres. Ce n’étaient pas les
militaires français qui effectuaient le ramassage mais c’étaient eux qui
conduisaient les camions et qui dirigeaient les équipes, c’était le Génie de
l’air qui creusait les fosses avec les engins dont il était le seul à disposer. Le
psychiatre est arrivé quand on s’est aperçu que les personnels qui
accomplissaient ces tâches commençaient à connaître des difficultés d’ordre
psychique.
Le Médecin en chef François Pons a précisé que le psychiatre
s’était également occupé des enfants rwandais même si le traitement
psychiatrique d’une personne qui n’est pas de même culture et qui ne parle
pas la même langue reste difficile. Toutefois, quelques résultats assez
satisfaisants ont été obtenus.
Le Président Paul Quilès a demandé aux deux officiers leur
opinion sur la critique selon laquelle la création de la zone humanitaire sûre
aurait entraîné une augmentation du risque épidémique du fait de la
concentration des populations.
Le Médecin en chef Robert de Resseguier a rappelé que les
populations s’étaient, de toute façon, déjà en partie regroupées dans cette
zone.
Il a souligné qu’il n’y avait pratiquement pas eu de cas de choléra
dans la zone humanitaire sûre. Le choléra est apparu dans la région de Goma
en raison de l’épuisement des réfugiés et de leur exode massif. Dans la zone
humanitaire sûre, au contraire, les réfugiés ont pu commencer à reconstituer
leurs forces. Il y a donc eu moins de phénomènes épidémiologiques mais il
n’en demeure pas moins que les risques épidémiologiques sont de toute
façon aggravés par la concentration des populations.
Le Président Paul Quilès a demandé si l’équilibre entre le
déploiement des moyens humanitaires et militaires était satisfaisant.
Le Médecin en chef Robert de Resseguier a jugé que cet équilibre
était satisfaisant dans sa conception mais que dans la réalisation, l’antenne
médicale a été débordée par la masse de réfugiés, comme tous les organismes
présents.
Le Médecin en chef François Pons a souligné que l’opération
Turquoise a été la première mission où une telle importance a été donnée au
volet médical et humanitaire. L’équilibre entre moyens militaires et
humanitaires a été bon mais l’importance de l’épidémie était telle que toute
structure ne pouvait être que dépassée.
Le Président Paul Quilès a demandé s’ils s’attendaienttrouver une
situation de cette nature.
Le Médecin en chef François Pons a répondu que la mission
ressemblait un peu à celle que les militaires français avaient l’habitude de
mener au Tchad, en tout cas pour l’antenne chirurgicale, dans la mesure où
elle consistait à soutenir les troupes et à traiter les réfugiés. Il a toutefois
précisé qu’il n’avait pas prévu que les problèmes auxquels il allait devoir faire
face prendraient une telle dimension.
Le Président Paul Quilès a félicité les deux officiers pour le travail
qu’ils ont accompli dans des conditions particulièrement difficiles.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024