Fiche du document numéro 33810

Num
33810
Date
Mardi 5 mars 2024
Amj
Auteur
Fichier
Taille
237750
Urlorg
Titre
Paul Kagame, président du Rwanda, au Figaro : « Avec la France, les relations sont meilleures, mais des choses restent à corriger »
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M23
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
« Nous acceptons tous les partenaires qui font grandir le Rwanda. À une condition sine qua non: qu’ils respectent nos règles et qu’ils ne nous imposent pas les leurs. C’est capital », confie Paul Kagame, le président rwandais. Présidence Rwandaise

Kigali (Rwanda)

Le 7 avril prochain, le Rwanda va commémorer les 30 ans du génocide de 1994 : en cent jours, 1 million de personnes exterminées, la plupart à la machette et en très grande majorité d’origine tutsie. Cette tragédie, qui trouve ses racines dans un lointain passé, a été provoquée par la mort du président Habyarimana, d’origine hutue, dans un attentat visant l’avion qui le ramenait d’un sommet en Tanzanie. Pendant longtemps après ce génocide, les relations entre Paris et Kigali ont été exécrables : accusées d’avoir aveuglement soutenu le régime génocidaire hutu, les autorités françaises ont toujours réfuté cette interprétation des faits. Puis, en 2021, un volumineux rapport piloté par l’historien Vincent Duclert a pointé les « responsabilités lourdes et accablantes » de Paris. La même année, Emmanuel Macron faisait le voyage de Kigali et, sans présenter d’excuses, reconnaissait la « responsabilité » de la France. Un ambassadeur était nommé.

Cette année, le chef de l’État devrait être représenté par son ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné. Au pouvoir depuis 2000, le président rwandais, Paul Kagame, dans une interview au Figaro qu’il a reçu la semaine dernière, revient sur ses relations avec Emmanuel Macron. Il estime que la réconciliation nationale dans son pays est en bonne voie et ne laisse guère de doute sur son intention, à 66 ans, de diriger son pays encore longtemps. N’ayant pas de mots assez durs pour Félix Tshisekedi, le président de la République démocratique du Congo, il affirme qu’une « tragédie a lieu en Afrique centrale au vu et au su du monde entier ».

LE FIGARO. - Trente ans après le génocide et les accusations portées contre la France dans cette tragédie, quel est l’état des relations entre Paris et Kigali ?

PAUL KAGAME. - On doit admettre que ces relations n’étaient pas bonnes du tout par le passé. Avec le temps, elles se sont améliorées et elles sont à présent meilleures. La France fait preuve de plus de pragmatisme, de davantage de compréhension sur le déroulement du génocide. Les choses ont commencé à changer lorsque Nicolas Sarkozy est arrivé au pouvoir dans votre pays. Aujourd’hui, c’est Emmanuel Macron qui œuvre dans la bonne direction. Beaucoup de travail reste néanmoins à faire pour corriger encore certaines choses. Ce travail est en cours.

Êtes-vous déçu qu’Emmanuel Macron ne vienne pas le 7 avril prochain au Rwanda pour commémorer les 30 ans du génocide ?

J’aurais aimé qu’il soit lui-même à nos côtés, mais ce ne sera pas le cas. Je prends les choses comme elles viennent. C’est à lui de savoir s’il peut, ou non, être avec nous.

Je pense que la France n’est pas seule responsable du rejet qu’elle inspire en Afrique -- Paul Kagame



Comment analysez-vous la montée du sentiment antifrançais, pour ne pas dire plus, en Afrique ?

C’est à la France et aux Français de se pencher sur cette question. Sans doute doivent-ils fouiller dans leur passé pour chercher à comprendre, comme nous l’avons d’ailleurs fait ici, après le génocide. Sans cette introspection, on ne peut pas espérer améliorer les choses. Mais, les pays africains concernés par la dégradation de cette relation ont aussi une responsabilité. Il leur faut regarder le passé en face et pas toujours le blâmer. S’ils estiment être mal traités aujourd’hui, pourquoi ont-ils accepté de l’être si longtemps ? Quand on n’est pas d’accord, il faut le dire, c’est comme dans une conversation. De toute manière, quand il existe un conflit ou un différend, les torts ne sont rarement que d’un seul côté. Je pense donc que la France n’est pas seule responsable du rejet qu’elle inspire en Afrique.

Trente ans après un génocide qui a fait 1 million de morts en cent jours, la justice est-elle passée, selon vous ?

Jusqu’à un certain point, oui. Certes, on peut toujours se dire qu’on aurait pu faire mieux. Mais si le Rwanda s’est redressé, a retrouvé le chemin d’une certaine stabilité, ce n’est pas uniquement dû à l’activité judiciaire qui a suivi le génocide. C’est aussi parce que des décisions politiques ont été prises pour accompagner le travail de pardon qui s’imposait. Ainsi pour ne pas ajouter de la tuerie à la tuerie, nous avons décidé d’abolir la peine de mort au Rwanda. Cette décision a été prise contre l’avis, bien sûr, des victimes du génocide, mais elle était nécessaire si l’on voulait accélérer la réconciliation.

L’idée dominante était qu’il fallait absolument s’en sortir et, dans ce but, se sortir d’un climat de perpétuel règlement de comptes. Pour être tout à fait complet sur cette question, j’ajouterais que si de nombreux pays étrangers nous ont aidés financièrement pour relever la tête, sur le front judiciaire, ils ont été plus timides. Ainsi nombre de génocidaires ont-ils trouvé refuge en France, en Belgique, au Canada ou ailleurs sans être inquiétés pendant longtemps. J’estime que davantage aurait pu être fait plus tôt.

La réconciliation nationale est-elle sur la bonne voie aujourd’hui ?

Oui, et je dirais même de façon très significative. Évidemment, vous ne réglez pas une pareille tragédie facilement, par un claquement de doigts. Sur une échelle de 1 à 100, j’estime à présent que 80 % du travail a été fait. Reste 20 % à parcourir sur le chemin de la réconciliation. L’histoire récente nous a divisés, mais nous ne sommes pas assignés à cette histoire. C’est à partir de l’an 2000 que nous avons pris la mesure de la politique qu’il fallait engager pour se retrouver collectivement. On a mis l’être humain, chaque Rwandais, au centre de notre projet national. Chacun doit être responsable de ses actes dans le cadre d’un contrat de performance, y compris à la tête de ce pays. Chacun doit rendre des comptes si les objectifs ne sont pas atteints.

Avec plus de 7 % de croissance annuelle en moyenne, le Rwanda est devenu l’un des carrefours économiques de l’Afrique…

Nous essayons de mettre le plus possible la beauté de ce pays en valeur pour développer le tourisme qui est au cœur de notre développement économique. L’agriculture et les nouvelles technologies sont aussi au centre de notre projet. Il n’y a pas de secret : pour attirer les investisseurs, nous devons veiller à garantir la stabilité du pays.

Y a-t-il des financements étrangers que vous refusez ? Acceptez-vous, par exemple, les investissements qui viennent de Russie ?

Nous acceptons tous les partenaires qui font grandir le Rwanda. À une condition sine qua non : qu’ils respectent nos règles et qu’ils ne nous imposent pas les leurs. C’est capital.

Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent un mode de gouvernance très autoritaire ?

Ils peuvent le dire, mais je ne sais pas à partir de quels critères ils m’évaluent et se permettent de formuler semblable jugement. Je n’ai pas à m’excuser de ce que je suis, ce que je tente de faire pour mon pays. Je n’ai jamais pensé que je serais ici ou que je mériterais d’être ici en tant que président. En fait, cela m’est tombé dessus par accident. Je suis réaliste, je vais vous dire la vérité : il y a des choses que je ne contrôle pas, que je ne peux pas déterminer mais, d’une manière ou d’une autre, elles se sont produites et je suis ici.

Allez-vous vous présenter à l’élection présidentielle en juillet prochain, pour un mandat qui est passé de sept à cinq ans. On dit que vous voulez diriger le Rwanda jusqu’en 2034…

C’est à mon parti de décider si je dois me présenter en juillet. Pour l’avenir plus lointain, je ne sais pas et, quand bien même je voudrais rester jusqu’à cette date, je ne pourrais pas décider seul. L’avenir ne m’appartient pas.

La solution, pour mettre fin à l’anarchie meurtrière dans l’est du Congo, est dans les seules mains du président congolais, Félix Tshisekedi -- Paul Kagame



Vos relations avec la République démocratique du Congo sont plus tendues que jamais. Une guerre est-elle possible ?

Mais le conflit dure depuis longtemps, et il ne suffit pas de s’en plaindre, il faut trouver des solutions. Pour comprendre, il faut retourner aux racines du mal. C’est une longue histoire. Sans toujours vouloir blâmer l’époque coloniale, ce conflit remonte au tracé des frontières de cette période. République démocratique du Congo (RDC), Ouganda et Rwanda : nos pays abritent chacun des personnes déplacées de ses deux voisins, parfois depuis très longtemps. Dans l’est du Congo, elles ont été persécutées et déracinées comme si elles n’y appartenaient pas. Elles ont été laissées là par le tracé des frontières dont nous parlons. Dans la région, nous avons des cas similaires qui ne posent aucun problème.

Par exemple, dans la partie sud-ouest de l’Ouganda, où la situation est stable parce qu’elle est gérée correctement. Mais au Congo, ces personnes sont déracinées en plein jour. Tout cela à cause d’un sérieux problème de gouvernance à Kinshasa. Les autorités congolaises ne tiennent pas leur pays. Or la solution, pour mettre fin à l’anarchie meurtrière dans l’est du Congo, est dans les seules mains du président congolais, Félix Tshisekedi.

Félix Tshisekedi prétend, de son côté, que vous êtes à l’origine du désordre sur place par votre soutien au M23 (Mouvement du 23 mai [mars]), un mouvement à majorité tutsi, comme les victimes du génocide de 1994 au Rwanda…

Mais les hommes du M23 sont de nationalité congolaise, donc tout cela est l’affaire du Congo. Pour ce qui me concerne, je demande à Félix Tshisekedi de mettre fin aux massacres du FDLR, un mouvement constitué en grande partie de fanatiques hutus, ceux qui ont commis le génocide du Rwanda en 1994 et qui sont partis se réfugier en RDC. Il faut en finir avec ces discours de haine entendus de l’autre côté de la frontière, et ces gens qu’on brûle dans les rues.

Une tragédie a lieu en Afrique centrale au vu et au su du monde entier.

Vous en appelez à la communauté internationale ?

La mission pour la paix des Nations unies, baptisée la Monusco, est sur place depuis vingt-cinq ans, mais pour quel résultat? L’échec de cette mission, aujourd’hui sur le départ, est complet alors qu’elle a coûté quelque 35 milliards de dollars. Une autre chose complique la situation, c’est la géopolitique actuelle. Les grandes puissances ont des intérêts en RDC. Je n’ai aucun problème avec cela d’ailleurs.

Elles convoitent ce que l’on appelle les matières premières critiques : cobalt, coltan… Pour ne pas que la RDC tombe entre les mains de la Russie, de la Chine et ainsi de suite, elles sont bien obligées de faire quelques faveurs à la RDC. Je ne fais qu’exposer l’histoire telle que je la comprends : ces puissances peuvent facilement sacrifier le Rwanda. Car qu’est-ce que le Rwanda leur apporte ?, se disent-elles.

Au terme des négociations engagées avec lui, quelle compensation demandez-vous au Royaume-Uni pour accueillir les immigrés illégaux qui arrivent outre-Manche ?

L’origine de cette histoire remonte à plusieurs années, lorsque j’étais président en exercice de l’Union africaine en 2018. Il fallait effectivement trouver une solution pour éviter que des milliers de migrants trouvent la mort en Méditerranée, situation qui perdure depuis la disparition de Kadhafi et la guerre qui ravage la Libye.

L’idée était de proposer trois pistes en accueillant des migrants au Rwanda : en rediriger certains dans des pays demandeurs de main d’œuvre, comme les pays scandinaves, le Canada ou les États-Unis ; la deuxième piste consistait à favoriser le retour des migrants dans leur pays d’origine ; et la troisième à en garder chez nous à condition qu’ils respectent nos règles de vie. Depuis, plusieurs pays, qui ont des problèmes d’immigration, nous ont sollicités, mais c’est avec les Britanniques que nous sommes allés plus loin. Quelle est la compensation ? Dans le cadre de l’aide au développement, le Royaume-Uni nous soutient depuis 1994. Si cet accord conclu finit par entrer en application, malgré certaines réticences britanniques, cette aide augmentera en conséquence, pour tenir compte de la prise en charge des migrants.
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