Fiche du document numéro 4493

Num
4493
Date
2003
Amj
Auteur
Fichier
Taille
184595
Titre
Interview d'Augustin Karara, ancien bourgmestre de Gitesi, à Béthanie, Kibuye
Nom cité
Nom cité
Type
Interview
Langue
FR
Citation
ITW : KARARA AUGUSTIN

Time code
00 :00 :01

Q/R
Q

Lieu : Kibuye (Béthanie) Cassette n°46

Texte
Avant de commencer l’interview, il faut nous dire tes noms, ta date
et ton lieu de naissance, ta nationalité et ta profession avant le

00 :00 :13

R

génocide.
Je m’appelle Karara augustin, je suis né en 1957, dans la commune
Gitesi, secteur Gasura, cellule Nyabihanga, et je dirigeais la

00 :00 :44
00 :00 :48
00 :00 :50

Q
R
Q

commune Gitesi, de 1990 à 1994.
Tu étais donc bourgmestre de la commune Gitesi. Es-tu rwandais ?
Oui, je suis rwandais.
En 1994, il y a eu un génocide. Comment cela s’est-il passé dans ta

00 :00 :59

R

région ?
Il y a eu un génocide effectivement, mais je ne sais, il y a eu un
génocide en 1994, à partir du 13 avril jusqu’en juillet quand les gens

00 :01 :19
00 :01 :25

Q
R

ont fui le pays pour se réfugier au Congo.
Cela a commencé quand et comment ?
Bon. Cela a commencé…c’était des choses…donc avant il y avait
une méfiance entre les citoyens, celle-ci avait pour fondement les
partis politiques, également le partage du pouvoir conformément
aux accords d’Arusha. Les gens en parlaient de manière opposée et
cela causait des tensions au sein de la population, basées sur les
partis politiques mais aussi sur les ethnies. C’était des choses
difficiles à démêler, mais cela s’est passé ainsi, tantôt c’était des
tensions entre partis, tantôt cela s’étendait aux ethnies, jusqu’au jour
où l’avion du président de la République a été descendu. Là il y a eu
des interprétations, on a dit que l’origine de l’attentat était le FPR et
à partir de ce moment-là, les partis qui alliés au FPR ou soutenant le
FPR furent pris pour cibles. Certains de ceux qui étaient visé étaient
des politiciens, mais cela se passait ailleurs qu’à Kibuye mais les
nouvelles nous y parvenaient. Alors comme je viens de le dire tout à
l’heure, il s’est ajouté le fait que la race tutsi qui semblait soutenir le
plus le FPR fut visé spécifiquement.
Ce mauvais climat s’est répandu et en date du 13, les massacres
débutèrent également dans Kibuye. Mais les massacres arrivèrent ici

en provenance d’autres régions où ils avaient débuté plus tôt, ils
commencèrent à basse intensité, ne touchant qu’une faible
00 :02 :59

Q

proportion d’individus, mais peu après, cela se généralisa.
Les massacres de tutsi se sont généralisés et c’est au cours de cette
période que les soldats français sont arrivés dans cette région. Toi,

00 :03 :11
00 :03 :17
00 :03 :18
00 :03 :20
00 :03 :22

R
Q
R
Q
R

les français tu les as vus quand pour la toute première fois ?
Les français sont arrivés fin juin. Entre le 21et 25 juin.
C’est à ces dates que tu les as vus pour la première fois ici ?
Oui.
Eux ils disaient qu’ils venaient faire quoi ?
Eux ? Eux quand ils sont arrivés, au départ on ne causait pas
beaucoup avec eux. Ils ne rencontraient pas les autorités proprement
dites, ils étaient venus de leur propre initiative. Bon, certaines
personnes étaient allées les accueillir mais apparemment ils
semblaient s’en foutre. Ces gens-là pensaient que les français
venaient soutenir le pouvoir en place. Ils sont allés à Kibuye et y ont
évacué des religieuses qui se trouvaient à l’école des filles, c’est la
toute première action qu’ils ont faite, puis ils ont commencé à
débarquer leur matériel au stade de football et ensuite ils ont
commencé à se rendre à Gisovu. Mais en ce moment-là, ils étaient
encore peu nombreux, c’est alors qu’après, leurs véhicules sont
arrivés de …en apportant leurs matériels. Ils se sont donc installés
jusque fin juin. C’est donc en juillet, début… (problème de son)….
Là donc, je peux pas dire ce qu’ils ont fait en arrivant... (son)…ils
ont créé leur centre de commandement, le bureau. Le chef de
bataillon était basé là à Kibuye. Et ils sont également allés à
Bisesero, et par après ils se sont mis à rechercher les gens qui se

00 :04 :30
00 :04 :32
00 :04 :37
00 :04 :

Q
R

cachaient encore dans les maisons.
Quand sont-ils allés à Bisesero ?
Oh. C’est en ce temps-là, juste à leur arrivée après l’évacuation des

Q
R

sœurs.
Ces sœurs qu’ils ont évacuées, de qui s’agissait-il exactement ?
C’était des sœurs d’ici à Kibuye. Ainsi que d’autres personnes qui
s’étaient réfugiées dans leur établissement. Ce sont là les toutes
premiers personnes qu’ils ont évacuées et après cette évacuation, ils
ont alors installés sur les mêmes lieux leur base de commandement.
C’est environ deux ou trois jours plus tard, après qu’ils eurent

réceptionné leurs véhicules -car là avant ils ne se servaient que des
hélicoptères- qu’il sont commencé à se rendre à Bisesero. Et même
là, je dirais qu’il ne s’agissait que d’une simple opération de
reconnaissance. Après, quand il y a eu des hélicoptères, ils
commencèrent à aller à Bisesero. Je crois que c’était aux alentours
du 25 juin, je ne peux pas me rappeler exactement la date. Quoi
00 :05 :24

Q

qu’il en soit, c’était avant le mois de juillet.
D’après toi, pourquoi sont-ils allés dans à Bisesero en ce moment-

00 :05 :27

R

là ?
Bon. Sur Bisesero, il y a eu beaucoup d’interprétations. Je me
rappelle qu’il y a eu un discours qui disait que dans ces lieux il se
faisait des massacres, l’autre discours disait que là-bas c’était la
guerre, que des gens s’y battaient et c’était d’ailleurs cette
information que les français avaient reçue de certaines personnes au
départ, mais d’autres leur ont appris qu’il s’agissait de massacres qui
s’y déroulaient. Ils ont pris comme guide un jeune homme du nom
de Kayiranga qui était un rescapé d’ici à Kibuye et c’est lui qui les
conduisait jusque là-bas. Mais ils sont venus me voir moi, je m’en
souviens, pour me poser des questions sur ce qui se passait
réellement dans Bisesero, et je leur ai expliqué ce que c’était. Je les
ai informé car j’avais constaté que certains leur disaient qu c’était la
guerre qui se déroulait là-bas. Nous, nous leur disions que c’était

00 :06 :08
00 :06 :10
00 :06 :11

Q
R
Q

00 :06 :14

R

plutôt des massacres qui y étaient perpétrés.
C’est toi qui leur as expliqué que c’était des massacres ?
Oui. Que c’était des massacres.
Quels massacres, car quand tu dis que c’était des massacres, on se
pose la question de savoir, massacres de qui, par qui ?
Oui, je lui ai dit comment les jeunes gens d’ici à Kibuye et ceux de
Gishyita, ceux que l’on appelait communément les interahamwe
s’organisaient et lançaient des expéditions pour exterminer les
habitants de Bisesero. Car c’est là-bas qu’habitaient une grande
majorité de tutsi et ceux d’autres lieux les y avaient rejoints pour y
chercher refuge. Je leur ai donc expliqué cela, ils me demandèrent
ce qu’il y avait à faire, et me dirent que d’autre personnes leur
avaient raconté que là-bas se déroulait plutôt une guerre alors que ce

n’était pas ça. Il n’y avait pas de guerre mais au contraire c’était les
simples citoyens qui étaient en train d’être massacrés. Ils m’ont
aussi demandé la raison de ces massacres et je leur ai expliqué les
problèmes que nous vivions sur le moment, par ailleurs ils en
voyaient quelques-uns. Tout de suite alors, ils ont appelé leurs
hélicoptères à Goma, qui ont commencé à survoler l’espace de
Bisesero. Le deuxième jour, ils ont arrêté les attaques et ils ont
commencé à rechercher les rescapés de ces lieux. Ceux-ci avaient
peur et ne savaient pas qui venait les chercher. C’est ainsi que les
français ont requis le concours de ce jeune homme Kayiranga, afin
00 :07 :15
00 :07 :18

Q

qu’ils puissent rassembler les rescapés.
Et après les avoir rassemblés…les attaques, ils les ont arrêtées de

R

quelle manière ?
Dès qu’ils sont arrivés là-bas, moi je ne suis jamais allé par là. Mais
après que je leur eus donné l’information, ce que je sais est qu’ils
ont organisé des survols d’hélicoptères, à basse altitude, également
ils organisèrent des expéditions de groupes de soldats, se déplaçant

00 :07 :34
00 :07 :34

Q
R

dans des jeeps.
Leurs militaires ou les militaires rwandais ?
Les leurs. Ils y allèrent dans des jeeps, là je en sais pas s’ils ont à
cette occasion posé des barrières, j’ignore les détails de cette
opération. Peu après, ils se sont mis à la recherche des survivants, ils
recueillirent de très nombreux blessés, les plus gravement atteints
d’entre eux furent évacués sur Goma. Il y avait beaucoup de blessés
graves, les autres furent cantonnés dans un lieu où ils leur donnaient
de la nourriture, jusqu’au jour où eux aussi ils les évacuèrent à

00 :08 :06
00 :08 :09
00 :08 :11
00 :08 :13

Q

Gitarama dans la zone FPR, au mois d’août.
Toi tu n’es jamais allé à Bisesero après l’arrivée des français là-

R
Q
R

bas ?
Non. Je ne m’y suis jamais rendu.
Connaîtrais-tu le nombre de personnes qu’ils ont pu sauver là-bas ?
Les chiffres qu’ils m’ont donnés- en ce temps-là on causait- ils
m’ont dit autour de deux mille. En tous cas, mille huit cents à deux

00 :08 :21

Q

mille.
Quand ils y sont parvenus pour la toute première fois, en ce temps-là
où ils effectuaient des survols, il y avait combien de personnes làbas ?

00 :08 :25

R

Je ne saurais les estimations de ce moment-là. Je ne sais pas.
Cependant, immédiatement après les survols, ils ont commencé à
prendre les gens, en même temps qu’ils essayaient de stopper les
attaques et de rassembler les blessés qu’ils ont évacués etc. Dans
tous les cas, il manquait très peu de temps pour que ces deux
derniers milliers fussent eux aussi exterminés. C’était de toute façon
vers la fin. Si cela avait duré encore à peu près une semaine, il n’y

00 :08 :55

Q

aurait eu plus personne.
Nous, nous avons rencontré des survivants de Bisesero, de plus,
d’après ce qu’on lit dan plusieurs ouvrages de recherche qui ont été
produits, cela est apparu que les français sont arrivés sur les lieux
puis se sont retirés pour revenir après quatre jours. A leur première
apparition, ils ont appelé les rescapés qui se cachaient et les ont
rassemblés pour leur dire qu’ils reviendraient les sauver. Ils sont
donc repartis, se sont absentés durant trois jours, et au quatrième,
quand ils sont revenus, les rescapés avaient été presque totalement
exterminés. Car avant, ils étaient plus de cinquante mille et au bout
de trois ou quatre jours, quand les soldats français sont revenus, il
n’en restait plus que deux mille. D’après toi, quelle fut la raison de

00 :09 :25

R

ce comportement ?
Cela ne peut pas être possible ! Bisesero comptait normalement
deux secteurs ou même un secteur et demi. Alors ici au Rwanda un
secteur ne comporte pas plus de dix mille habitants. Ce n’est donc

Q

pas possible, ils étaient peut-être entre trois et dix mille.
Si. C’est possible. Car nous y avons vu même des ossements de plus

00 :09 :42

R

de cinquante mille personnes.
Oui. Car d’autres personnes venues d’autres endroits étaient venus

00 :09 :44
00 :09 :45

Q
R

également s’y réfugier.
Justement !
Oui. C’est ainsi qu’il y avait un très grand nombre de gens.

00 :09 :41

Toutefois à Bisesero, les massacres se sont déroulés en avril, en mai
et en juin. Des massacres à grande échelle. Durant toute cette
période, les massacres étaient de haute intensité. A l’arrivée des
français donc, les massacres semblaient pratiquement terminés, il ne
restait que peu de monde dans les bois. Je pense qu’ils n’étaient plus
que deux mille, car les massacres duraient depuis trois mois dans

Q
R

Bisesero.
Cela durait en effet depuis trois mois, mais ils …
Alors quand les français sont arrivés, entre le 23 et le 25 je ne me

00 :12 :4800 :10 :2

Q

rappelle pas exactement, ou alors le 21,…
De quel mois ?

0
00 :10 :21

R

Juin. Tu comprends que c’était vraiment la fin. La première chose

00 :10 :09
00 :10 :11

qu’ils ont faite a été d’évacuer les soeurs qui se trouvaient là à
00 :10 :31
00 :10 :32

Q
R

Kibuye.
Ces sœurs étaient-elles menacées ?
Oui. Elles aussi étaient menacées. Et des gens qui s’y étaient
réfugiés. C’était des problèmes. L’autre intervention qu’ils ont faite
est celle de se rendre à Bisesero. Et puis ils ont constitué de petits
groupes pour tenter de rechercher des gens à sauver. Ils n’avaient
pas établi de camps où ils auraient rassemblé des tutsi, seulement il
y avait quelques tutsi dans les buissons et dans certaines maisons où
ils se cachaient. Là où i1 il y avait le plus grand nombre de tutsi,
c’était au Bisesero. Et là je ne sauras les chiffres, mais ils se s’est
pas écoulé une semaine entre leur présence là-bas et l’évacuation à

00 :10 :06

Q

Goma.
Donc il s’est écoulé une semaine entre l’arrivée des français et

00 :10 :13

R

l’évacuation par ces derniers des blessés de Bisesero ?
Moi je ne peux pas dire une semaine. Car ce fut là leur deuxième
opération à ma connaissance, la première ayant été celle concernant
ces religieuses. Disons que la première chose a été de s’installer
mais là ils s’installaient au stade et aussi dans les établissements des
soeurs. Mais ces soeurs avaient été évacuées d’abord, par
hélicoptères, les véhicules n’étaient pas encore là. Puis les véhicules
sont arrivés, de Gisenyi, avec tous les autres équipements. Puis a
donc suivi l’opération Bisesero, mais auparavant, il y avait eu ces
gens-là que je t’ai dit, qui trompaient les français en leur disant que
c’était la guerre là-bas au Bisesero. Il a dû peut-être y avoir
confusion, jusqu’au moment où ils ont compris la vérité, au bout de
deux ou trois jours je ne sais pas. Et la première opération a été
effectuée par des hélicoptères et des véhicules. Mais ils ne sont pas
allés tirer sur des gens, ils n’ont pas tiré sur les interahamwe qu’ils

ont vus, c’était simplement les impressionner, pour pouvoir
00 :12 :18

Q

s’introduire dans la zone, la boucler et en sortir les gens.
Quand tu y penses bien, crois-tu qu’il était simple de mentir aux
soldats français qu’il s’agissait de guerre alors que les massacres

00 :12 :26

R

duraient depuis le mois d’avril et au su de tous ?
Bon, ça c’est une information….vous savez qu’au Rwanda, lorsque
la radio émettait, elle disait que ce qui se passait était une guerre.
Même aujourd’hui quand certaines gens s’expriment dans notre
langage, elles disent : « il y a eu la guerre… » en voulant parler des
tueries qui ont eu lieu. Bon ! quand tu parles ainsi à un blanc, je ne
sais pas s’il comprend la nuance, mais je pense que parfois il prend
les mots à la lettre. C’est ainsi que moi je le pense. Mais alors,
quand moi je leur ai expliqué les choses, eux-mêmes cela les a
surpris. J’ignore si cela était dû à ce qu’ils voyaient de la situation
ou alors dû à ce qu’ils s’imaginaient ou ce dont ils étaient
convaincus, ceci serait une interprétation personnelle avec laquelle

00 :13 :09

Q

je risquerais de dire de fausses choses.
Oui. Ce Kayiranga qui leur a servi de guide excepté, personne

00 :13 :14

R

d’autre ne les a accompagnés ?
Celui que je connaissais était ce Kayiranga, c’est lui qui le plus
souvent les accompagnait, d’ailleurs il vivait avec eux à la Base,
mais lorsqu’ils sont arrivés à Bisesero, ils ont pris là-bas un
enseignant qui leur servit d’interprète, personne d’autre ne les
accompagnait là où ils allaient. En fait cela s’est joué entre des
rescapés et ceux qu’ils ont retrouvés dans Bisesero. Personne

00 :13 :32

Q

d’autre.
Et si les français se sont retrouvés dans les Bisesero pendant les
massacres, disons pendant que les interahamwe étaient en train de
tuer les gens de là-bas, qu’ont-ils fait, comment ont-ils réagi face

R

aux interahamwe ?
Ça aussi c’est un détail. La question est que pas un seul
interahamwe n’a été menacé d’une façon réelle, physique. Ils n’ont
tiré sur personne d’entre eux, aucun interahamwe n’a été tué par les
soldats français. Ça c’est une chose. Et puis la manière qu’ils sont

00 :14 :06

Q

utilisée pour stopper leurs attaques, ça c’est un autre détail.
C’est un détail intéressant à savoir !

00 :14 :07

R

Intéressant mais que je ne connais pas. La seule chose que je sais est
que ça s’est arrêté. Ils ont arrêté ces choses-là, ils ont commencé par
les barrières qui se trouvaient par ici, partout où ils les trouvaient ils
les démantelaient, cependant sans tuer ni blesser quiconque.
Seulement quand des rwandais voyaient les français, ils étaient
apeurés car les rwandais ont une grande crainte des blancs. Aucun

00 :14 :29

Q

ne leur a résisté, pas même les interahamwe.
Entre le jour où ils y sont allés en reconnaissance et celui où ils y
sont retournés, n’y a-t-il pas eu des morts dans cet intervalle ? Là-

00 :14 ;36

R

bas dans les Bisesero.
Déjà, quand ils y allaient, quand ils y sont allés, il se peut que les
attaques y fussent menées, ils étaient en train de massacrer. Ce jour
où les français y sont allés voir, ils y ont trouvé les attaquants en

00 :14 :45
00 :14 :46

Q
R

train de massacrer.
Et qu’est-ce qu’ils ont fait ?
Ah ! Ce détail, je n’en connais rien. Ce détail je n’en sais rien. En
tous cas, ils n’ont tiré sur personne pour être en train de tuer les

00 :14 :55
00 :14 :56

Q
R

gens.
Et ils n’en ont attrapé aucun non plus ?
Ils n’ont attrapé personne non plus. C’est peut-être une idée qui leur
est venue comme ça par instinct ou alors en s’entretenant avec les
gens. Car entre-temps ils sont venus me voir, pour me demander ce
qui se passait, nous avons discuté alors qu’ils avaient déjà été au

00 :15 :18
00 :15 :22
00 :15 :28
00 :15 :30
00 :15 :31
00 :15 :33
00 :15 :35
00 :15 :36

Q

Bisesero, ayant déjà vu là-bas les massacreurs à l’œuvre.
Soyons clairs : ils sont arrivés, y ont trouvé les tueurs à l’œuvre, les

R
Q
R
Q
R
Q
R

ont laissés là et sont revenus te demander ce qui se passait ?
Cependant en s’y rendant, ils n’ont rien demandé aux autorités.
Est-ce qu’il y avait encore des autorités là-bas?
Il y avait des bourgmestres.
Qui par exemple ? Son nom.
Je ne me rappelle pas.
Ce n’est pas grave.
Mais il y avait bien là un bourgmestre. Il y avait aussi d’autres
personnes qu’ils auraient pu interroger, voir. Comme ils sont venus
ici et ont vu…en tous cas ce n’est pas moi qu’ils ont rencontré le
premier. Donc, ils ont dû obtenir des informations auparavant. Alors
les informations qu’ils auraient reçues de…, c’était qu’il y avait là
une zone d’opération militaire, en fait lui ne leur a pas révélé que

c’était un lieu où se commettaient des massacres. Néanmoins ils y
00 :16 :02
00 :16 :03

Q
R

sont allés voir.
Et qu’est-ce qu’ils ont vu ?
Ca, ce serait à eux de le dire, mais ce que nous savons, c’est qu’il y
avait des gens en train d’en massacrer d’autres. C’est cela que nous
savons. Quant à savoir comment ils ont qualifié cela, comment ils se
sont comportés face à cela, ça c’est un détail que j’ignore, tout ce
que je sais, c’est qu’ils n’ont arrêté personne, n’ont tué personne, ils
ne sont pas descendu des avions pour au moins s’interposer. Leur
donner information qui était réelle, sur ce qui se passait là, c’était
pour nous une tentative de les pousser à aller arrêter ces choses-là,
car nos nous rendions compte qu’ils étaient victimes d’une certaine
propagande qui leur donnait de fausses informations, nous nous
disions qu’avec la bonne information que nous leur donnions qu’il
s’agissait des massacres de simples citoyens, ils pourraient tenter
quelque chose pour stopper cela. En leur qualité de forces
étrangères, peut-être pouvait-elles faire quelque chose. Ceci pour
dire que, ils ne se sont pas présentés à nous pour nous dire : « Nous
venons pour telle ou telle mission ». ils n’ont rien expliqué en vérité.
Plutôt la population s’est imaginée qu’ils venaient au secours du
gouvernement. Ils n’ont rien expliqué de leurs missions, non, ce
protocole n’a pas eu lieu. C’est à leur deuxième retour là-bas qu’ils
ont commencé à chercher comment arrêter ces attaques. De quelle
manière ont-ils procédé ? Là non plus je ne me suis pas informé de
ce détail. La troisième chose est que même ces rescapés de Bisesero
qui se faisaient massacrer ne connaissaient pas eux non plus ces
groupes qui arrivaient des français. Je pense même que lorsqu’ils
ont vu ces hélicoptères les survoler, ils ont cru qu’il s’agissait des
hélicoptères du gouvernement qui venaient pour les mitrailler et ils

Q

se sont cachés d’eux.
Ce n’est pas exact car les survivants, nous les avons questionnés là-

00 :17 :48

R

dessus.
Ah bon ! parce que eux ils se sont rendus compte que ces

00 :17 :52

Q

hélicoptères ne les attaquaient pas et transportaient des blancs.
Et puis dans leurs cachettes, ils écoutaient les informations à la

00 :17 :46

radio, ils avaient quelques postes de radio et suivaient les
informations. Ils savaient que les soldats français étaient venus au
Rwanda et ils se sont montrés à eux. De toutes façons ils nous l’ont
dit comme ça et c’est écrit dans les ouvrages concernant l’histoire de
00 :18 :10

R

cette époque-là.
Oui d’accord, ils se sont manifestés et ce fait de se manifester, ce
que je sais et que je peux te dire là-dessus, c’est qu’il y a eu la part
de ce rwandais qui accompagnait les français et leur servait
d’interprète pour leur communication avec les gens, ainsi que celle
des autres qu’ils y ont trouvés qu parlaient le français. Alors ça je ne
n’étais pas avec eux, je ne le sais pas. Cela a eu lieu et ensuite ils ont
entrepris de les évacuer. Ils ne les ont pas fait passer par Kibuye,
tout ce que nous savons est que les uns ils les ont transportés à
Goma, les autres non plus n’ont pas été emmenés à Kibuye, ils les
ont cantonnés quelque part dans les Bisesero où ils sont restés. Ils ne

00 :18 :42

Q

les ont emmenés que plus tard. C’est ça que je sais.
Les soldats français, quand les as-tu vu exactement pour la première
fois, hormis durant l’Opération Turquoise ? Avant cette coopération,
les soldats français étaient venus au Rwanda, en 1990, lors de
l’attaque du FPR, pour soutenir le gouvernement de Habyarimana.
Ça tu ne peux pas le réfuter en face de moi car tu étais un dirigeant
tu le sais. En ce temps-là donc, entre 1990-1994, tu les as vus à quel

00 :19 :01

R

moment exactement pour la première fois ?
Bon. Les français se déplaçaient. Mais pour savoir c’était quand, ça
je ne sais pas…Cependant des fois ils venaient passer leurs weekend ici à Kibuye. Il n’y avait pas de guerre à Kibuye, alors ils
venaient ici à Béthanie, ou alors là-bas au Guest House, pour y
passer leur week-end. Tu les voyais arriver dans leurs véhicules et tu
les revoyais repartant dans leurs véhicules. Cela a eu lieu entre 90 et
92, les dates exactes je ne m’en souviens pas, toutefois je sais qu’ils
venaient. Jusqu’aux accords qui ont décidé que les français devaient
quitter le Rwanda. Depuis lors, ils ne sont plus revenus à Kibuye.
Nous n’avons plus revu leurs jeeps dans le coin. On les a revus à

00 :19 :50

Q

Kibuye lors de leur retour à l’occasion de l’Opération Turquoise.
A cette date que tu nous as dite… ?

00 :19 :52
00 :19 :54

R
Q

Oui. Du mois de juin.
Et dans ta région, la commune que tu dirigeais, comment tu les as
vus là, où les as-tu vus, comment, vous parliez de quoi ? Car ils ne
sont pas venus comme ça s’installer quelque part sans voir les
autorités, et en dépit de la situation compliquée pour elles, les

00 :20 :07

R

autorités existaient, elles agissaient et ils le savaient.
C’est juste. C’est ce que je dis qu’il y avait quelque chose que
j’appellerais…quand ils sont venus, ils n’ont pas respecté les
protocoles habituels qui auraient mené à des présentations…moi
pour les rencontrer en ma qualité d’autorité, peut-être s’est-on vus
d’une façon indirecte la première fois, oui d’une façon indirecte.
Nous ne sommes pas allés les accueillir à leur arrivée, j’ai entendu
qu’en d’autres lieux les gens sont allés les accueillir avec des fleurs
et autres, mais ici ils sont venus en hélicoptères, nous les avons vus
arriver, ils ont été parachutés là-bas au terrain de football, ils se sont
installés là, ce sont leurs hélicoptères qui les ont amenés là. Alors je
ne sais pas comment ils ont fait pour arriver à l’ENT, j’ignore
comment ça s’est passé, tout ce que j’ai appris, c’est qu’ils avaient

00 :21 :04

Q

évacué les personnes qui se trouvaient à l’ENT.
ENT c’est quoi ?
C’est là-bas à l’école des filles, là où se trouvaient les sœurs. (ENT :
Ecole Normale Technique).
Donc, nous avons vu les hélicoptères venir et passer de ce coté làbas du Kivu, ils se sont posés là-bas et les soldats ont été parachutés
et aussi d’autres véhicules ont commencé à arriver de Gisenyi

00 :21 :24
00 :21 :25

Q
R

amenant des journalistes.
Quels journalistes ?
Des journalistes français, des journalistes qui filmaient tout ce qu’ils
rencontraient…Bon, nous avons continué d’observer, on se
demandait « C’est quoi cela, quelle est leur mission ?’. On a
attendu… Parfois il arrivait que l’on craigne de se mêler trop de ces
choses, il y avait beaucoup de choses que l’on craignait …alors ils
sont venus et ont installé leurs quartiers là-bas. Puis leurs véhicules
sont venus et ont débarqué leurs équipements au lieu où leurs
commandos s’étaient installés. Et les journalistes se sont mis à
sillonner les coins pour voir ce qui se passait. Donc nous vîmes les

blancs commencer à arriver, nous avions déjà l’information à la
radio qui disait qu’une opération française allait être déployée ici,
mais sans contact officiel établi que l’on pouvait reconnaître. Notre
rencontre, en tous cas la première, nous l’avons faite d’une façon
indirecte. Ils sont donc venus et pendant quelques jours, ils ont
rencontré des gens et ont recueilli des informations jusqu’au jour où
l’on m’a appelé, ils étaient venus au bureau mais j’étais absent, mais
ils m’ont laissé un petit message comme quoi on voulait me voir.
Mais entre-temps, nous avions appris qu’ils s’étaient déjà rendus làbas dans les Bisesero. Et par d’autres personnes interposées, je leur
avais transmis un message pour les informer que dans les Bisesero,
tout ce qui s’y faisait en vérité…plutôt s’ils étaient venus pour
secourir les rwandais, qu’ils devaient trouver un moyen d’arrêter ces
massacres. Et là, ce n’était pas directement moi qui les voyais,
c’était quelqu’un que je leur envoyais leur dire cela, mais cette
personne m’a confirmé leur avoir dit. Jusque-là donc, il n’y avait
pas encore eu de contact direct entre eux et moi. Ce contact direct a
eu lieu au mois de juillet, je revenais de…je suis arrivé au bureau et
j’ai trouvé ce petit mot d’eux et me suis rendu à leur quartier général
où ils se trouvaient. C’est ainsi que se sont amorcés nos échanges et
dès lors, nos contacts furent réguliers. C’est-à-dire que cela faisait
des jours qu’ils étaient là et que je le savais mais que l’on ne se
00 :23 :17

Q

voyait pratiquement pas.
Pour toi, depuis qu’ils étaient là jusqu’au moment où vous vous êtes
rencontrés et même après ce moment, qu’ont-ils fait en rapport avec

00 :23 :28

R

l’arrêt des massacres ou que n’ont-ils pas fait ?
Normalement ici à Kibuye, c’est des choses très compliquées…Du
reste, c’est que je ne connais pas les détails de l’opération telle
qu’elle était planifiée. Mais ici à Kibuye les massacres étaient
presque parachevés, ce qui restait était de pourchasser les survivants
là où ils se cachaient encore dans la brousse ou dans certaines
demeures où ils avaient pu rester cachés. Ailleurs où il y avait
réellement un problème avec des tueries visibles, remarquables, qui
se perpétraient de manière non dissimulé avec des groupes de tueurs

qui y allaient exterminer les gens, c’était dans les Bisesero. D’autres
lieux où il y avait encore des actes de massacres, car c’est cela qui a
été remarqué, c’était sur les barrières. A ce moment-là, il y avait des
gens qui fuyaient, en provenance des zones de combats et qui se
réfugiaient ici à Kibuye. Et sous le prétexte de débusquer les
infiltrés, les inkotanyi, on posait des barrières car on disait que toute
attaque des inkotanyi était toujours précédé par une infiltration.
Donc il y a eu des barrières créées dans ce sens, mais nous savions
que les barrières avaient précédemment servi pour les massacres.
Alors, quand les français sont arrivés ici à Kibuye, la première chose
qu’ils ont faite a été d’identifier dans cette zone les personnes avec
lesquelles ils pouvaient collaborer pour les aider à localiser les
cachettes

des

survivants.

C’est-à-dire

qu’eux-mêmes

ne

collaboraient qu’avec certains individus, et non pas avec n’importe
qui, c’était une situation très compliquée. Je ne sais pas comment ils
ont su comment s’y prendre, mais certainement des gens les en ont
informés : ils savaient que la personne qu’ils rencontraient et qui
avait caché une autre personne, cela lui coûtait très cher après. Ils
devaient donc procéder secrètement. Ils devaient s’arranger de
manière à ce que l’opération de sauvetage se passe sans
compromettre personne, sans que les gens puissent découvrir que
cette personne avait caché un survivant. Ça c’est une des choses
qu’ils ont faites. Il y a eu des opérations dans les familles. Où tu
entendais qu’une unité française s’était précipitée par exemple chez
Karara, avait encerclé sa maison comme pour une attaque et en avait
extrait une personne. Cela était interprété par les citoyens que les
français possédaient des instruments qui leur permettaient de
00 :25 :23

Q

détecter la présence de rescapés à l’intérieur des maisons.
Toutes les personnes qu’ils ont pu retirer de ces maisons ou que leur
ont données les gens qui les avaient cachées ont-elles toutes survécu

00 :25 :33
00 :25 :41
00 :25 :44

R

ou y en a-t-il qui ont été tuées après leur avoir été remises ?
Une que je peux te dire est ce Kabayiza, lui aussi se trouvait dans

Q
R

une famille.
N’en connais-tu pas d’autres ?
Si. Il y en a.

00 :25….

Non. D’autres qui ont été remises aux français et qui seraient mortes

00 :25 :45
00 :25 :48
00 :25 :49
00 :25 :50

par après.
Ah ! Qui sont morts ?
Qui seraient mortes en ce temps-là ?
Oui. Mortes après avoir été remises aux français.
Je ne peux pas dire car…la plupart d’entre eux- car moi je ne me

R
Q
R
Q

suis pas enfui je suis resté ici- la plupart sont restés là à l’ENT.
Après l’occupation des français de cette école, c’était là que ces
derniers emmenaient ceux qu’ils sauvaient. D’autres, ils les avaient
emmenés à Nyarushishi. Donc les uns ils les amenaient à l’ENT et
les autres à Nyarushishi. Tu as dû apprendre qu’il y avait un camp
de rescapés à Nyarushishi. Ceux de Nyarushishi alors, c’est moi qui
00 :26 :16

Q

suis allé les ramener.
Les ramener ici ?

00 :26 :18

R

Oui, les ramener ici. Ceux de l’ENT sont restés ici, où on a continué
à se croiser. Je ne connais donc pas celui qui serait mort au cours de
ce transfert à Nyarushishi même. En tous cas ceux qui étaient à
Nyarushishi sont revenus ici, ils y sont encore sauf peut-être celui
qui serait mort d’autre chose. Quant à dire si l’un ou l’autre serait

00 :26 :39

Q

mort à l’ENT ou à Nyarushishi, je ne connais pas ces choses.
Comment étaient les relations entre les français et le gouvernement

00 :26 :43

R

intérimaire ?
Moi je peux t’en parler de deux manières. Tout d’abord il y avait
des relations habituelles entre le gouvernement de Habyarimana et
les français. Ensuite il y a eu le gouvernement intérimaire qui était
spécial, à part, différent du gouvernement de Habyarimana. Je ne
suis pas très bien au fait des relations entre ce dernier et les français,
mais ce que je sais, car je suis allé à Gisenyi, est que leur base, leur
quartier général était installé à Goma. Même s’ils étaient ici, ce
n’était que des unités de bataillons. Mais je suppose probablement
que le commandement se trouvait à Goma. Je ne sais pas mais il se
peut que le gouvernement intérimaire ait voulu poursuivre des

00 :27 :28
00 :27 :30

Q

relations avec eux.
Il n’a pas seulement voulu, car en fait c’est ce gouvernement qui a

R

appelé au secours les français.
C’est possible. Cela a pu avoir lieu. Ici à Kibuye il y a eu des

contacts entre les chefs d’unités et certains officiels. C’est à cette
occasion qu’ils m’ont vu et nous avons discuté. En discutant, ils
m’ont appris comment ils me connaissaient et de quelle manière ils
souhaitaient que l’on collabore. Cela a donc pu se faire car, pour ces
personnes dont je t’ai parlé qui ont été retirées des familles, la
plupart ont été localisées grâce aux informations reçues de nous, car
certaines nous les connaissions, ou alors c’était un citoyen qui venait
te demander conseil sur la façon de parvenir auprès des français et
alors je le mettais en communication avec eux. Ils ont donc fini par
savoir cela, avant je le faisais secrètement. Mais aussi il y avait des
gens qu’ils connaissaient d’eux-mêmes et qu’ils plaçaient en tête de
liste car ils savaient très bien qu’il y avait eu un génocide et que tu
voyais qu’ils s’en méfiaient. Moi personnellement je peux te dire
que j’ai causé avec le chef de bataillon qui se trouvait ici, un colonel
00 :28 :28
00 :28 :29

Q
R

français.
Ne connais-tu pas son nom ?
Il s’appelle Sartre. Nous avons alors parlé de cette chose là, surtout
concernant leur point de vue sur nous. C’était au moment où

00 :28 :40
00 :28 :41

Q
R

commençait l’exode, vers le 17 juillet.
Le 17 juillet ?
Oui. Le 17 juillet. C’est en ce moment que débutait la fuite de la
population. En ce moment-là, nous avons commencé à réfléchir sur
ce qu’il y avait à faire, nous sommes alors vraiment entrés dans les
affinités, ils semblaient alors un peu méfiants, et c’est là qu’ils m’a
dit : « J’ai vraiment de la chance que le préfet de Kibuye ait quitté

00 :29 :01
00 :29 :02

Q
R

Kibuye. J’avais des problèmes de le garder ici.
Parce que… ?
Il a dit : « Vraiment, cet homme, sa présence aurait pu légitimer une
attaque du FPR sur Kibuye, et qui aurait été légitimée par le fait

00 :29 :17
00 :29 :18

Q
R

qu’il y avait des assassins ici contre lesquels moi je ne fais rien ».
Lui reconnaissait donc que le préfet de Kibuye était un assassin ?
Oui. Il me l’a dit ainsi. Qu’il avait de la chance que celui-ci s’en

00 :29 :24

Q

aille. « Je ne savais pas quoi faire », disait-il.
Mais alors, quand il disait ne pas savoir quoi faire, toi tu le croyais ?

R

D’après toi, il n’avait pas la force nécessaire pour réagir ?
Non. Il ne s’agissait pas du manque de moyens de le chasser ou de

00 :24 :28

l’arrêter, c’était peut-être parce que cela ne figurait pas dans sa

mission, q’ils n’avaient pas mandat pour cette action. Sinon la force
Q
R

il l’avait.
Toutefois, il admettait que le préfet était un tueur... !
Et qu’il était encombrant et que l’avoir à Kibuye était un réel

00 :29 :40

Q

problème pour lui.
Que l’avoir à Kibuye était encombrant et qu’il l’empêchait de faire

00 :29 :45

R

son boulot… ?
Non. Déjà, l’avoir à Kibuye, rien que cela constituait un problème.

00 :29 :36
00 :29 :38

Quant au fait de travailler, ça n’était plus rien car le gouvernement
était vaincu, déjà ce n’était même plus nécessaire de garder un
préfet, et puis Sartre avait cette fois-ci les mains libres plus
qu’auparavant quand le gouvernement était prétendument encore
opérationnel. Mais après son évacuation du territoire, pratiquement
00 :30 :00

Q

il n’existait plus alors.
Et alors ! Ce gouvernement n’a t-il pas été évacué par les français,

00 :30 :05
00 :30 :05
00 :30 :09

R
Q
R

de même que ce préfet-là et bien d’autres ?
Bon. S’ils les ont aidés dans cela, ceci est un détail, mais moi…
Un détail que de toute évidence tu devrais connaître !
Disons par exemple moi, j’étais bourgmestre lorsqu’ils sont rentrés,
lorsqu’ils sont partis en fuyant au Congo. Moi j’étais présent. Alors
je peux me citer en exemple et ainsi pouvoir m’expliquer et pouvoir
donner d’autres explications. Il y a eu une propagande pour semer la
panique dans la population ici à Kibuye afin de la pousser à partir.
Car le gouvernement des abatabazi (intérimaire) voulait légitimer
l’idée que toute la population le soutenait. Et donc il voulait
emmener toute la population dans des camps soit à Goma, soit à
Bukavu pour démontrer que c’était lui qui avait la faveur du peuple
et que le FPR n’occupait qu’un pays vide, que c’était un occupant
qui n’était pas aimé par la population, ceci afin de le contraindre à la
négociation. C’était cela la réalité des faits, que je connaissais sur la
politique du gouvernement. Alors eux, pour emmener les gens, les
persuader, ils ont usé de propagande terrorisante, démontrant qu’ici
il y avait des combats, et ainsi les citoyens en etaoient victimes,
étaient apeurés et se déplaçaient. Cependant, il devait y avoir des
gens informés de ces manœuvres et qui savaient ça. Mais le plus
souvent la population était emportée dans ce mouvement de

déplacement sans rien y comprendre. Me concernant, quand j’ai
compris ces choses, je me suis demandé ce que je pouvais faire et je
n’ai pas su quoi. Seulement, comme la panique avait gagné tout le
monde, moi aussi je devais paniquer. Car tu ne peux pas rester en un
lieu où l’on peut te tuer. Et les français, tu ne pouvais pas avoir
confiance qu’ils te protégeraient. Car si l’on dit la vérité, ils
travaillaient d’une façon indirecte. Donc nous n’avions pas jusqu’à
ce jour-là de protection garantie de leur part. par conséquent, je n’ai
pas su que faire, je me rappelle cela. C’est alors que par chance j’ai
aperçu un convoi de soldats français qui traversait la cité, il y avait
dedans un commandant qui était une connaissance suite aux contacts
00 :31 :53
00 :31 :54

Q
R

qu’on avait eus auparavant…
Quel est son nom ?
De Gouvello. De Gouvello. Il était commandant. Donc lui, on se
connaissait. J’ai pu lui faire signe de s’arrêter, il m’a vu et s’est
arrêté. Je lui ai demandé : « C’est quoi cette histoire ? Qu’êtes-vous
en train de manigancer alors que vous nous aviez dit que vous
veniez secourir les gens ? Et maintenant que faites-vous ? » Il m’a
demandé à son tour : « Qu’est-ce qui se passe ? ». J’ai répliqué :
« Enfin qu’êtes-vous en train de faire ? Vous êtes en train de vous
en aller alors que la population est en désarroi, comme vous le
voyez, la population est emmenée de force au Congo, celle qui
restera va être massacrée sur place, que va-t-il se passer ? » Il m’a
dit : « Alors que veux-tu que l’on fasse ? » Directement, en ce
moment où nous continuons de causer, il n’a pas passé cet endroit, il
a tout de suite installé une barrière là, un roablock. Je lui ai dit
alors : « Pour moi, ce que je vois à faire, c’est que les français
doivent se manifester plus, poser des actes bien visibles, s’opposer
réellement aux milices interahamwe et aux militaires qui se
conduisent comme elles. Que les soldats français désarment les gens
armés car ceux-ci tirent sur la population. Car en peu de temps, il va
y avoir des affrontements, qui ne sont même pas des combats

00 :32 :59

Q

militaires mais plutôt des simulacres ».
Donc, les gens du gouvernement faisaient des simulations de guerre
afin de pouvoir… ?

00 :33 :01
00 :33 :03
00 :33 :05

R

Oui, afin de provoquer un mouvement continu de fuite de la

Q
R

population.
Les français n’ont donc désarmé personne ?
Non. Vraiment personne. Tous se déplaçaient avec leurs armes. Je
me rappelle qu’en ce moment-là, ce commandant a crée ce
roadblock, il a communiqué avec leur commandement et ils ont
commencé à désarmer les gens. Tous ceux qui y passaient, ils les
désarmaient. Ils ont alors également déployé des patrouilles avec
des hélicoptères pour désarmer les autres qui se réfugiaient ailleurs.
Car dès qu’ils ont su qu’il y avait une barrière à Kibuye, les soldats
ont commencé à éviter de passer par ici, ils ont emprunté les routes
des montagnes de Karongi. C’est ainsi que les français ont
commencé à faire cela. J’ignore si ailleurs qu’à Kibuye ils faisaient

00 :33 :36
00 :33 :37
00 :33 :38
00 :33 :40

Q
R
Q
R

la même chose. Avant ils ne le faisaient pas.
Ils n’ont donc commencé cette opération que le 17 juillet ?
Oui, le 17 juillet.
Ces armes qu’ils confisquaient, qu’en ont-ils fait ?
Ceux-là les ramassaient et les emportaient là-bas dans leur quartier

00 :33 :46
00 :33 :47

Q
R

général. Nous ne leur demandions pas où ils les mettaient.
Par après, tu n’as pas demandé où ils es avaient mises ?
J’ignore où ils les ont emmenées. Seulement encore, je me rappelle,
vers le mois d’août, je me suis rendu dans la zone du FPR, ayant
demandé cela, car vivre ici à cette époque, vivre indéfiniment dans
cette zone Turquoise, je voyais que cela n’avait pas de sens alors
que l’Etat existait, il fallait que l’on tisse les contacts avec le
nouveau gouvernement, car nos nous n’existions plus comme
gouvernement, il avait été vaincu et nous devions nous entendre
avec ce nouveau gouvernement. Je leur ai même demandé avant leur
retrait qu’ils doivent mettre les citoyens en relation avec ce nouveau
gouvernement. Alors je me suis rendu dans la zone FPR en
compagnie des français, on s’est rencontrés avec un colonel là-bas
dans un lieu appelé Rambura, Rambura se trouve à la imite de des
communes Mabanza et Kivumu. Nous avons eu un entretien, les
français sont restés à l’écart et moi je suis resté avec les inkotanyi et
nous avons discuté. Et ce colonel m’a dit : « C’est bien de nous
raconter ces choses-là, mais peux-tu aussi me dire ce qu’ils ont fait

des armes qu’ils on retirées aux gens ? ». J’ai dit que je n’en savais
rien. Il m’a répliqué : « Mais il nous semble qu’ils les rendent aux
interahamwe ! ». « Je ne suis pas au courant de cette information »,
lui ai-je répondu. Je lui ai expliqué comment ils les désarmaient, tel
que je vous l’ai dit tout à l’heure. Mais cela m’a poussé à poser la
question aux français. : « Que faites-vous des armes retirées aux
00 :35 :08
00 :35 :10

Q
R

gens ? », ai-je demandé.
Ils t’ont répondu quoi ?
Ils m’ont dit qu’ils les jetaient dans le lac Kivu. Qu’ils les avaient
jetées dans le lac Kivu. Tu comprends, c’est cette information qu’ils

00 :35 :13

Q

m’ont donnée.
Pourtant, pas un seul citoyen ne les a vus jeter ces armes dans le

00 :35 :15

R

lac !
Je n’ai pas fait de contrôle, mais moi non plus je n’ai pas vu cela,
c’est seulement ce qu’ils m’ont dit. Et donc, lorsque j’ai voulu
retourner, c’est là que le colonel du FPR a discuté de cette question
directement avec le commandant français qui était avec nous, et il
leur a dit qu’au moins ces armes ils devraient les remettre au
nouveau gouvernement. Le commandant français a répondu : «Je
vais demander l’autorisation pour cela à mon général qui se trouve à
Goma. Je vais te donner une réponse ». j’ignore ce qui s’est passé

00 :35 :47
00 :35 :48
00 :35 :49
00 :35 :50
00 :35 :51
00 :35 :53

Q
Q
R
Q
R

exactement après.
Tu connais ce colonel ?
Le rwandais ? Oui je le connais.
Qui c’était ?
C’était Ngoga.
Ngoga. Te rappelles-tu la date de cette rencontre ?
Quoi qu’il en soit, c’était avant que les personnalités du nouveau
gouvernement viennent au Rwanda, à Kibuye. Là c’était
probablement…il est très difficile de se rappeler la date, mais ce
doit être début août. Les français, on a commencé à collaborer
pratiquement avec eux le 7, cela a duré deux ou trois semaines, donc
je pense que ça ne peut être qu’au mois d’août. Car les personnalités
du FPR tels que Seth Sendashonga et Bihozagara sont venues ici

00 :36 :28
00 :36 :31

Q

après cette rencontre, et c’était le 19 août.
Il restait alors je crois trois ou cinq jours avant le départ des français

R

de la zone Turquoise.
Oui. Ils approchaient le départ. Mais nous aussi…nous y avons été,

en tous cas après le 10, mais avant la venue de Bihozagara et autres.
00 :36 :39

Q

Car moi j’ai été là-bas deux fois.
Cet exode des gens vers Bukavu et Goma, les français n’ont pas eu

00 :36 :45

R

une responsabilité dans cela ?
Bon. Ça, c’est le 17, tel que je te l’ai déjà dit. La fuite, comment elle
a été préparée, je te l’ai expliqué déjà. Le 17 alors ici à Kibuye, ce
qui a été fait est de poser cette barrière, ils n’ont empêché personne

00 :37 :00
00 :37 :08

Q

de s’en aller, quiconque voulait s’en aller est parti.
Et ils n’ont invité personne à partir ? Nous entendions des choses

R

pareilles à la radio. N’ont-ils pas encouragé les gens à s’exiler ?
Je ne peux pas dire que cela s’est passé ici à Kibuye, mais ce qui s’y
est passé le 17, c’est cela. Cependant les gens ont continué à faire la

00 :37 :16
00 :37 :17
00 :37 :19
00 :37 :20

Q
R
Q
R

campagne pour l’exode, la radio a continué d’émettre…
D’où émettait-elle ?
La radio des Abatabazi.
La RTLM ou radio Rwanda ?
Non. La radio Rwanda. Peut-être aussi la RTLM, je ne sais plus. En
tous cas les radios ont continué à émettre, elles se sont arrêtées plus
tard lorsqu’ils étaient arrivés à Goma, mais lors de la fuite, les radio
émettaient à partir de Kigali. C’est donc dire que cette campagne a
continué. Et les citoyens eux-mêmes étaient suffisamment
intoxiqués, et fuyaient, étant convaincus que les inkotanyi devaient
les exterminer réellement. Je me rappelle qu’il m’a été très difficile
moi de prendre un micro et d’empêcher les gens de partir. Je l’ai
néanmoins fait, mais je l’ai fait en me trouvant sous la couverture
des français. Et peu après, ici à Kibuye il y eut un camp, un autre se
forma à Rubengera, un autre encore à Mugasenyi, un quatrième
camp de déplacés s’installa au lieu appelé Murugabano. Mais
partout là-bas, les français n’ont pas dit aux gens de partir. Mais une
chose qui s’est passée est que, il y a eu des soldats français, des
soldats, je désignerais peut-être comme individus, qui ont peut-être
agi de leur propre initiative et qui ont dit aux gens : « Mais fuyez
donc… ! » Cela a eu lieu. Car moi-même il y a un français qu m’a

00 :38 :20
00 :38 :21

Q
R

demandé : « Toi, qu’est-ce que tu fous encore là ?»
Tu ne lui as pas demandé pourquoi il te disait cela ?
Non. Je ne pouvais pas lui demander. J’avais compris qu’il me
donnait une idée différente de celle que j’avais, mais j’y ai réfléchi

et j’ai compris qu’il devait le dire aussi aux autres citoyens. Mais
quand je discutais avec le commandement, ceux-là de la haute
hiérarchie militaire, eux ils ne me faisaient jamais pareille
suggestion. Non plus je ne les ai jamais entendu en parler
officiellement. Autre chose qui s’est passé est qu’il y avait une
campagne visant à emmener au Congo les gens qui fuyaient,
campagne menée par le gouvernement intérimaire qui était en place.
Alors nous qui étions ici et avions créé un comité de contact
n’étions pas d’accord avec ça, c’était un mouvement contraire, alors
nous avons demandé aux français de nous aider à désintoxiquer la
population de cela. Je me souviens que nous tenions des réunions
avec les français une fois par semaine, mais nous les tenions là-bas à
la préfecture, nous expliquions à la population le problème qui
résidait dans cette incitation à la fuite. Mais une chose que nous
aussi en réalité n’avons pas réfutée, c’est que nous disions qu’en
vérité la personne qui se reconnaissait une responsabilité dans les
massacres, de toutes façons, elle devrait comprendre qu’elle n’avait
pas d’autre choix que la fuite, et aussi les français eux-mêmes le
disaient. Ils disaient : « Plutôt que de perdre ton temps en rejetant la
responsabilité de tes actes sur d’autres en prétendant qu’ils t’ont
00 :39 :38
00 :39 :44

Q

trompé etc., le mieux est que tu t’en ailles vite d’ici ».
Et cette campagne alors où vous leur demandiez de désintoxiquer la

R

population, est-ce que ils vous y ont vraiment aidés ?
C’est ce que je te dis que l’on a tenu des réunions avec la
population, nous nous asseyions ensemble avec eux, il est même des

00 :39 :55
00 :39 :56

Q
R

fois venu des observateurs militaires non français.
De la MINUAR ?
Etait-ce la MINUAR ? Je ne sais pas. Il est venu d’autres
observateurs, je crois des Ghanéens et des Russes, ils ont commencé
à y arriver d’ailleurs quand les français étaient encore sur place…il

00 :40 :08
00 :40 :10

Q
R

y avait des observateurs.
C’était quel mois là ?
Juillet. Vers la fin. Juste quelques temps après, après le départ des
abatabazi, ces observateurs sont arrivés, c’était des officiers. Alors
eux aussi nous y ont aidés, il est venu aussi s’insérer l’assistance
humanitaire avec des vivres. Cela est venu après, car avant, cela ne

00 :40 :30

Q

se faisait pas.
Quand les français sont arrivés pour la zone Turquoise, n’étaient-ils

00 :40 :36

R

pas accompagnés par des sénégalais ?
Les sénégalais eux aussi sont venus, mais au départ c’était les

Q
R

français seuls.
Les sénégalais sont arrivés quand ?
Je ne me rappelle pas la date. Mais les français les ont précédés, se

00 :40 :38
00 :40 :40

sont installés, c’est ainsi. Pour dire que même cela qui a été fait au
Bisesero, c’est les français qui l’ont fait. Les sénégalais, de toute
façon c’est au mois de juillet. Mais au moment de l’exode, ils
étaient déjà arrivés. Je crois qu’ils étaient déjà là, car ils s’étaient
installés à l’ETO, mais en réalité c’était des gens qui…car en
jusqu’au 17 au moment de la fuite de la population, leurs actions
00 :41 :08
00 :41 :09

Q
R

n’étaient pas claires.
Vous ne saviez pas ce qu’ils faisaient ?
Oui. Ce n’était pas clair. En conséquence, on ne se reposait qu’aux
français pour ce que l’on faisait, je ne pense pas qu’il y ait eu
quelqu’un qui ait demandé une assistance quelconque aux
sénégalais. Car moi personnellement j’ai connu les sénégalais plus
tard, après la fuite des gens. Cependant quand je discute avec les
gens, ils me disent que les sénégalais se trouvaient à l’ETO alors
que dans ma tête je n’arrive pas à visualiser cela et m’en rendre

00 :41 :28
00 :41 :30

Q

compte. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas des choses que j’ai vues.
Ce qui veut dire qu’ils pouvaient se trouver sur les lieux sans que tu

R

le saches ?
Oui. De toute façon ce sont les français qui sont venus en premiers
et les autres sont venus en juillet, mais de telle manière que je n’ai
pas attaché une grande importance à leur présence. Si ce n’est que, à
cette date du 17, les gens ont commencé à quitter le pays et c’est là
que, effectivement, nous avons commencé à avoir une collaboration

00 :41 :50

Q

avec les français.
Et les relations entre les soldats français et les interahamwe se
présentaient comment ? Nous avons parlé des relations entre la
France et le gouvernement de Habyarimana ainsi qu’avec celui des
des abatabazi. Maintenant parle-moi des relations entre les français

00 :42 :02

R

et les interahamwe.
Bon. Ça ! On ne peut voir ça que là où les interahamwe se

trouvaient comme je viens de le dire. Ici à Kibuye lorsqu’ils y sont
arrivés, il y avait des attaques des interahamwe de ce côté-là dans
les Bisesero. La façon dont ils se rencontraient et quels rapports ils
entretenaient ensemble, ça je ne peux pas commenter là-dessus, je
n’en sais rien. Tu peux peut-être dire « Tu mens ! », mais moi
personnellement, j’avais des difficultés à obtenir des informations
sur l’organisation de ce genre de choses, et des fois l’on s’imagine
qu’en tant que bourgmestre je devais tout savoir. Parfois cela m’est
difficile de répondre aux gens qu’il y a des faits qui m’échappaient
car moi-même j’avais des problèmes avec eux (les interahamwe).
Par ailleurs il y avait des choses dans lesquelles je ne pouvais pas
00 :42 :48

Q

beaucoup m’immiscer.
Mais tu pouvais au moins en entendre parler et aussi les voir ces
choses-là ! On n’a pas pu tout de même te mettre un bandeau sur les

00 :42 :50

R

yeux et te boucher les oreilles !
Alors ce que je dirais, c’est que, lorsque les français sont arrivés ici,
il y avait ce problème de Bisesero. Lorsqu’ils y sont allés chercher
des gens, j’ignore s’ils ont eu des contacts, s’il y avait des façons
dont les français rencontraient les interahamwe, si cela existait
d’une façon formelle. Il se pourrait qu’il y ait eu des sympathies et
qu’ils aient pu faire certaines choses ou même jouer un rôle lors de
la fuite au Congo. Moi je dis que la collaboration avec les français,
j’ai commencé à la voir d’une façon plus palpable le 17 juillet après
la fuite de la population. C’est d’ailleurs à partir de là que je me suis
mis à agir en plein jour sinon ce que je faisais, je le faisais

00 :43 :34

Q

clandestinement, avant je n’osais pas.
Les interahamwe, quand en as-tu entendu parler pour la première

00 :43 :37

R

fois ?
Les interahamwe datent de longtemps. C’était d’abord un groupe du
MRND, un groupe de jeunes comme les autres partis politiques en
avaient eu. C’est le MRND qui a commencé car moi aussi j’en étais
membre. Ils ont débuté normalement non pas créés par le parti,
c’était plutôt quelqu’un de très puissant du MRND qui au départ a
eu l’idée de créer un groupe de protection des personnalités du
MRND car elles étaient menacées par l’opposition. Ce groupe s’est

alors renforcé petit à petit jusqu’à devenir la jeunesse du MRND.
Cela a commencé quand ? Quand le parti MRND existait en
concurrence avec le multipartisme. C’était en 1991, car avant je ne
00 :44 :29
00 :44 :30

Q

pense pas que les interahamwe existaient.
Il y avait les escadrons de la mort, je crois que ceux-là aussi tu en as

R

entendu parler !
Oui. Ca c’est un autre groupe. Alors, il se pourrait même que ce soit
de ce groupe que sont nés les interahamwe. Alors ces interahamwe
se renforcèrent en tant que groupe du parti, tout comme il y avait les
Abakombozi dans le PSD, la JDR dans le MDR. Jusqu’au moment
où ils ont commencé à donner à cette jeunesse une formation tout à
fait militaire, de manière visible. Et alors cela a commencé quand ?
Je ne me rappelle pas exactement quand, c’était la guerre encore,
c’était en 1993, je crois, sinon en 1994. Ils leur dispensaient des
formations, nous apprenions qu’ils leur donnaient des formations
dans Gishwati, dans le parc de l’Akagera ou aussi au Bugesera, des

00 :45 :13

Q

lieux comme ça. Nous entendions ça comme ça.
Comment les recrutaient-ils ? De toute façon, tu étais un dirigeant, il
y en a qui sont partis de ton fief, tu dois savoir comment ils sont

00 :45 :17

R

partis !
Ce que je peux te dire- c’est que seulement tu peux t’en moquermais

un groupe d’interahamwe, un vrai, le type

même

d’interahamwe, ceux-là dont on a parlé et qui ont reçu une
formation de la jeunesse interahamwe et qui ont eu une part de
responsabilité dans le génocide, il n’y en a pas eu ici à Kibuye
jusqu’en 1994. Ce qui veut dire que les massacres qu’il y a eu ici à
Kibuye ont été commis par des gens qui étaient des interahamwe
soi-disant mais qui étaient plutôt appelés des POWER. Quant à ces
groupes d’interahamwe proprement dits, les milices telles que nous
les connaissions, qui arrivaient par exemple de Gisenyi jusqu’ici,
00 :45 :52

Q

arrivaient de Cyangugu à ici, nous n’en avons pas connus d’ici.
Ces formations, tu as dit qu’elles se déroulaient dans Gishwati et ou

00 :45 :55
00 :45 :55
00 :45 :59

R
Q
R

ailleurs ?
Ca c’est des choses que nous entendions.
Peu importe ! …Ou ailleurs tu entendais ça ?
C’est des choses que nous entendions dans les communications, les

informations que nous obtenions auprès des partis politiques, de
même que concernant l’escadron de la mort. Je ne peux pas te dire
par exemple comment celui-ci était structuré et pourtant on en
entendait parler, tu apprenais que tel a et e tué mais, c’était
mystérieux, on te disait que c’était le FPR qui l’avait tué, tu essayais
d’en savoir plus mais tu te rendais compte qu’il y avait des choses
incompréhensibles, tu te demandais pourquoi, par exemple cette
mort de Gatabazi, ce que tu constatais seulement, c’était que c’était
des choses très compliquées. Mais tu te disais qu’il y avait des
escadrons de la mort. Moi j’étais dans le parti PSD et lorsque nous
nous rencontrions dans les réunions on en discutait, moi-même en
tant que bourgmestre on échangeait. Personnellement je recevais des
coups de téléphone la nuit chez moi, c’était des coups de fil
anonymes. Bon. Les choses étaient ainsi, existaient, quand j’en
discutais avec mes camarades, ils avaient des idées là-dessus, alors
on se racontait que nous savions que les interahamwe étaient en
train de recevoir une formation militaire, ça nous l’entendions, mais
00 :46 :57

Q

personnellement je ne l’avais jamais vu de mes propres yeux.
Tu n’as jamais entendu dire que les français ont donné des

00 :47 :00

R

formations aux interahamwe ?
Bon. Ça aussi je l’ai entendu. J’ai entendu les gens raconter que les
soldats français donnaient ces formations, mais curieusement nous,
nous savions que les soldats français en 1993 avaient quitté le
Rwanda, mais alors on disait qu’ils y étaient toujours et formaient
les interahamwe. Ça je ne sais pas, c’est possible. Comme les
interahamwe n’ont pas été formés dans Kibuye mais plutôt ailleurs,
nous n’avons pas pu voir cela mais nous en avons simplement
entendu parler. On peut voir exactement avec les gens qui y étaient
impliqués, soit ceux qui y ont participé, soit ceux qui ont fait le
recrutement, mais ce que je peux dire concernant Kibuye, il n’y a
pas eu de recrutement proprement parlant d’interahamwe, il n’y a
pas eu non plus des interahamwe dans le sens propre du MRND, ou
de cette manière que nous connaissions les interahamwe
authentiques, sauf peut-être ceux-là que nous connaissions par cette

façon-là qui nous est propre de généraliser en disant que tous ceux
que nous connaissions

comme groupes de tueurs, nous les

qualifions tous d’interahamwe.
Donc, là c’est une information que moi-même je ne saurais livrer
avec certitude, mais que je donnerais comme quelque chose que je
00 :47 :46

Q

rapporte pour seulement l’avoir entendu.
Kibuye si je ne me trompe, est la première sinon la deuxième
préfecture à avoir accompli les meilleures performances du
génocide, ou alors la troisième tout au plus. Et tu dis que dans cette
préfecture il n’y avait pas d’interahamwe. Alors, qui est-ce qui a tué
tous ces gens-là dans Kibuye ? Ces centaines de milliers de victimes

00 :48 :04

R

de Kibuye, qui les a massacrés ?
Ça aussi, c’est l’une des questions qu’il nous est difficile
d’expliquer, mais on peut analyser comment les massacres se sont
déroulés dans Kibuye. Donc, je ne peux pas affirmer, moi
personnellement, en ma qualité de bourgmestre, qu’ici à Kibuye il y
avait une atmosphère très grave, très explosive, que coûte que coûte
les gens allaient mourir. Nous connaissions les rumeurs, nous
connaissions les méfiances entre les gens, mais nous ne nous
attendions pas à ce qu’il en sorte des massacres de cette ampleur.
Mais ce que nous dirions d’autre à propos de Kibuye, d’abord il y
avait une campagne générale à travers tout le pays, qui appelait les
gens à se débarrasser des ennemis, il y avait aussi des personnes que
j’appellerais des responsables, certains d’entre nous les autorités
pouvaient eux-mêmes y avoir des responsabilités. Tu trouvais
quelqu’un qui, en raison de sa position sociale influente profitait de
cette intoxication régnant ici à Kibuye ou dans tout le Rwanda, et
faisait faire ces choses. Moi j’affirme donc que si jamais les gens
qui ont été tués à Kibuye avaient très bien compris qu’il y avait un
gros problème à Kibuye, ils n’auraient pas attendu d’être exterminés
ici à Kibuye de cette manière. J’en ai une fois parlé de cette façon au
procureur général et il s’est moqué de ce point de vue pourtant,
disons qu’ici à Kibuye, les très gros massacres ont eu lieu le 17 avril
là-bas dans l’église et le 18. Il y avait plus d’une semaine entre-

temps que les gens se trouvaient au stade et dans cette église. Car làbas à l’église, ils avaient commencé à y arriver le 9 avril. En ce
moment-là, il y avait lieu peut-être pour ceux qui en avaient les
00 :49 :46
00 :49 :47

Q
R

moyens de louer une petite barque et s’en aller.
Sauf s’ils s’étaient jetés dan le lac Kivu !
Dans le lac Kivu, au moins ils partaient !…Mais personne n’y a
songé. C’est survenu brusquement, tout d’un coup, et le massacre

00 :49 :53
00 :49 :55

Q
R

s’est accompli.
Oui mais, cela n’est pas tombé comme ça, du ciel !
Alors pour moi la première raison est l’espoir que ces gens ont eu se
disant qu’il n’y avait aucune raison de se sauver, la deuxième chose
est qu’il y a eu des massacreurs qui s’y étaient préparés. Ceux-ci
sont venus et cela a été une surprise pour tout le monde de voir
quelqu’un, un préfet, un bourgmestre ou tel fonctionnaire ou même
un militaire, de voir que ce sont ces personnalités-là qui conduisent
les massacres contre ces réfugiés alors que c’était eux qui auraient

00 :50 :18

Q

du les protéger. Cela a donc surpris les gens...
En fait, la plupart des autorités s’y sont engagées et c’est elles qui

00 :50 :21

R

dirigeaient…
Cela a surpris beaucoup de gens contrairement à ce qu’ils pensaient,
et tu constatais que même celui-là en qui tu avais confiance était

00 :50 :28
00 :50 :30

Q
R

finalement un assassin.
Voilà justement. Et alors ?
Je crois que c’est cela la surprise qui a eu lieu. Et aussi autre chose
est ce qui s’est passé à Bisesero. Les gens s’y sont réfugiés, mais les
attaques y ont été lancées de tous les côtés et les ont bloqués dans
ces collines. De plus, des renforts y furent envoyés aux assaillants,
que ce soit des renforts militaires, que ce soit des renforts
d’interahamwe venus de Gikongoro, d’autres de là-bas, ceux qui
venaient de Cyangugu y étaient aussi, c’était les interahamwe de
Yussuf, ceux qui étaient venus de Gisenyi également étaient ici…
Alors ces deux choses, combinées avec l’espoir que les gens qui
s’étaient réfugiés ici à Kibuye avaient et qui a fait qu’ils ont été pris
au piège ici à Kibuye, c’est cela a entraîné un grand nombre de

00 :50 :59

Q

victimes dans Kibuye.
Cela n’a t-il pas été causé par le fait que les gens menacés de
Kibuye avaient tenté de se défendre et qu’alors beaucoup d’autres

étaient venus se mettre à leurs côtés pensant qu’ils pourraient peut00 :51 :09

R

être résister victorieusement à ceux qui voulaient les exterminer ?
Bon. Cela, on l’évoque peut-être au sujet de Bisesero. Car
traditionnellement

dans

les

Bisesero,

même

aux

époques

précédentes où on parlait des troubles, eux ils se défendaient. C’est
une histoire connue. Quand alors les gens se réfugiaient au Bisesero,
en réalité ils se sentaient à l’abri. C’est ce que je disais concernant la
confusion dont les gens ont été victimes à Kibuye. En raison de cela
et aussi de la configuration du terrain, ils pensaient que même s’ils
étaient attaqués là-bas, les massacres n’atteindraient pas le point
qu’ils ont atteint. En vérité, personne ne pouvait imaginer pareil
massacre. Donc eux aussi ils étaient confiants, et ils l’exprimaient
ainsi eux-mêmes. Quant à ceux qui s’étaient réfugiés à l’Eglise et
ceux qui se trouvaient au stade, ce n’était pas pour se défendre qu’ils
étaient venus là, ils étaient simplement à la recherche d’un refuge.
Tandis que ceux de Bisesero, c’était des gens qui avaient l’habitude
de se défendre, c’était des gens organisés, et de plus ils ne pouvaient
pas s’imaginer qu’ils allaient être attaqués une fois de plus de cette
00 :51 :54

Q

manière-là que ça s’est passé.
Yussuf a donc amené ses interahamwe de Kibuye ou plutôt de
Cyangugu, et d’autres sont venus de Gikongoro. Te souviens-tu de

00 :52 :05

R

la date à laquelle ils sont venus ?
Cela aussi, je crois…tu sais il n’est pas simple de connaître les
dates. Quoi qu’il en soit, c’est plus tard, soit début juin, soit fin

00 :52 :22

Q

mai…non, ce n’est pas en mai, on peut mettre ça en juin.
Lorsque Yussuf est venu avec ses interahamwe, - à Gikongoro et à
Cyangugu, on nous a confirmé cette montée des interahamwe vers
Kibuye- on nous a dit qu’en ce temps-là les français se trouvaient ici

00 :52 :37
00 :52 :37
00 :52 :42

R

R

à Kibuye et que c’était au mois de mai.
De juin.
De mai, ils nous ont dit. Toi tu en penses quoi ? Tu t’en souviens
comment ?
Bon. Les français quand ils sont venus ici, ils sont venus en avions.
Ils arrivaient ici en avions. D’autres sont venus de Gisenyi. Il n’y a
pas de français qui sont arrivés ici de Gikongoro. Et ceux qui sont
allés à Cyangugu y sont restés.

00 :52 :56
00 :52 :58

Q
R

Il n’y en a pas eu qui venaient de Gikongoro ?
Non. Plutôt ceux qui allaient à Gikongoro partaient d’ici. Car le
centre de commandement pour Kibuye et Gikongoro se trouvait ici à
Kibuye. En venant donc, ils sont arrivés fin juin. Ce qui veut dire
que s’il y en a qui seraient arrivés en ami, cela concorderait avec ce
que nous disions qu’il y aurait eu des gens qui se dissimulaient sous
une identité autre que la leur, je ne sais pas, mais je ne les ai pas vus
par ici. Ce qui est différent des interahamwe de Yussuf. Cela est très
bien connu qu’ils venaient par ici, amenés par des gens, qui les

00 :53 :26
00 :53 :27
00 :53 :29
00 :53 :30
00 :53 :31
00 :53 :

Q
R
Q
R
Q
R

amenaient…
Quels gens ?
D’autres rwandais d’ici.
Des citoyens d’ici ?
Des habitants d’ici. Ou comme ces histoires des Ruzindana…
Obed ! Lui-même l’a avoué…
Et Kayishema, ainsi que ces autres interahamwe venus de Gisenyi.
On raconte que c’est eux qui les amenaient, et les interahamwe ont
accompli ce pour quoi ils les avaient appelés. Mais dire qu’ils sont
venus quand les français étaient là, je ne sais pas. Plutôt je pense

00 :54 :00

Q

qu’ils sont venus fin mai, en juin, ainsi de suite…
En 1992, je ne me rappelle pas le mois, un certain Nsengiyaremye
est venu ici à Kibuye et dans son discours il a dit qu’ils allaient
recruter un million de robustes jeunes gens qui iraient combattre les
inyenzi. Comment en ce temps-là as-tu pris ce discours et quelles en
furent les conséquences dans cette région ? Car je n’imagine pas
qu’il est venu dire cela ici à la légère, sans vouloir donner un certain

00 :54 :27

R

message à la population de Kibuye !
Bon. C’est vrai que les mots des politiciens, parfois ils les disent
sans trop les penser et ceux-ci entraînent des conséquences, ou alors
ils les disent en connaissance de cause, je ne sais pas. Lorsqu’il était
venu ici, c’était pour le meeting du parti MDR. Il est venu pour
ce meeting mais aussi il était premier ministre. En ce temps-là, il y
avait un problème pour le MDR : il y avait les négociations
d’Arusha et c’est le MDR qui dirigeait le gouvernement, et le
problème était que l’on disait que ce parti trahissait le
gouvernement. On lui reprochait la déclaration de son président
disant que même si Byumba tombait aux mains du FPR, le problème

n’était pas là, que le véritable problème n’était pas la prise de
Byumba par le FPR, que le problème était le pourquoi de la guerre
des inkotanyi, pourquoi le pays entier était en effervescence. Alors,
en réaction à cette critique, les gens du MDR ont voulu prouver que
leur parti n’était pas instrumentalisé par le FPR, et pour cela il a dit
que le Rwanda ne négociait pas par faiblesse, pas parce que son
armée était incapable de victoire, et que même si cela s’avérait
nécessaire il serait en mesure d’augmenter les recrutements, qu’il
pouvait même recruter un million de robustes jeunes gens et les
00 :55 :40

Q

envoyer au front, qu’ils les avaient.
D’accord, il l’a dit. Mais quelles donc ont été les conséquences de
ce discours ici à Kibuye ? La conséquence n’aurait-elle pas été de
procéder dès le lendemain au recrutement des interahamwe dans

00 :55 :48

R

Kibuye ?
Je t’ai dit qu’ici à Kibuye il n’y a pas eu de recrutements
d’interahamwe. Et puis cette histoire-là se passait au sein du parti
MDR. Ce que nous savons par contre est qu’à cette époque-là,
presque tous les partis ont procédé à des recrutements des jeunesses.
Le MDR avait les JDR, le PSD avait ses Abakombozi, le PL avait…
je ne me rappelle pas les noms. Cependant tous avaient des
jeunesses, la CDR elle, je crois que c’était tout le monde, tous les

00 :56 :17
00 :56 :17

Q
R

membres qui participaient.
Pour la CRD c’était les impuzamugambi !
Oui, les impuzamugambi. Mais eux ce n’était pas la jeunesse, c’était
tous les membres qui étaient concernés. Mais ces petites choses, ces
formations existaient au sein des partis politiques. Bon ! Les
recrutements se faisaient dans le cadre des partis, il n’y a pas eu de
recrutements d’une manière organisée officiellement, cela se faisait

00 :56 :33
00 :56 :37
00 :56 :40
00 :56 :46

Q
R
Q
R

par les partis eux-mêmes.
Est-ce que tu conviens toi, qu’il y a eu un génocide ?
Oui. Il a eu lieu. Et nous l’avons vu et…
Admets-tu ou n’admets-tu pas qu’il a été planifié ?
Cette question m’est toujours difficile lorsque je suis obligé d’y
répondre, non pas seulement ici, il y a longtemps que l’on me la
pose et même au tribunal on me la pose. Il y a des choses que nous
regardons, qui se font au niveau politique, mais sans que tu puisses

00 :57 :06

Q

affirmer que c’est vrai, que tu l’approuves, cela demandait…
Je ne te demande pas si toi tu l’as planifié, mais ce que tu as pu

00 :57 :07

R

observer.
Pour cela, il me faudrait des preuves absolues qui le démontrent. Ce
que nous savons en tous cas, que moi je crois, qui m’a par ailleurs
poussé à quitter le parti MRND, c’est que les politiciens exploitaient
la situation difficile du pays et manipulaient la population pour
démontrer une fausse vérité. Cela a eu lieu en 1992, là où les
citoyens massacraient d’autres à Gisenyi ou Kibuye, et ils montaient
les citoyens les uns contre les autres, d’abord ils commençaient par
créer des mésententes entre les partis, puis ils montaient les gens les
uns contre les autres, et à la fin ils mettaient les événements sur le
compte des luttes ethniques. Mais cela ne relevait que des
manipulations politiques. C’était pour démontrer que les citoyens
étaient en train de s’entretuer parce que à Arusha il y avait quelque
chose qui y était fait qu’ils n’acceptaient pas : ‘’ils se sont partagés
le pouvoir, le ministre est allé là et on ne l’accepte pas…’’. Donc, ils
faisaient des simulations ; ils mettaient les gens en confrontation et
ces derniers se battaient, dans des luttes inextricables, pour des
raisons que ces politiciens leur avaient démontrées tout en sachant

00 :58 :17

Q

très bien que c’était de fausses raisons.
En quelle année, quand est-ce que les premiers massacres ont eu lieu

00 :58 :23
00 :58 :24
00 :58 :25

R
Q
R

ici dans Kibuye ?
En 1992.
Où ?
Je dirais là-bas dans Rutsiro, ici dans Gishyita, dans Rwamatamu. Et

Q
R
Q
R

à Kivumu ça a failli aussi arriver.
Et alors en ce temps-là, les gens étaient massacrés pourquoi ?
C’est justement ce que je disais…ce jeu…
Qui les tuaient ?
C’est ce jeu, ce jeu qui se menait en 1992, de cette manière-là. Alors

00 :58 :41
00 :58 :43
00 :58 :44
00 :58 :46

tu trouvais…prenons un cas, tu voyais que c’était plusieurs
événements différents et pourtant quand tu faisais une analyse, tu te
rendais compte que finalement la ligne directrice était la même. Par

00 :00 :10
00 :00 :12

Q
R

exemple, dans Rutsiro, il est mort des tutsi…
Cassette no 49
Tu peux continuer si tu te rappelles où tu en étais.
Oui. Je répondais à cette question que tu m’avais posée sur

comment se présentaient les tueries, qui elles opposaient. Elles se
faisaient donc de manières différentes, sauf que à la fin, tu
t’apercevais c’était pareil la même ligne qui les guidait, seule la
façon de procéder était parfois différente. Je donnais un exemple de
Rutsiro. Dans Rutsiro, ce sont des Bakiga qui y habitent qui ont
tuaient les Bagogwe et les autres tutsi de là-bas qui habitaient un
lieu appelé Mubwiza. Et alors quand tu analysais tu constatais que
ces massacres étaient semblables à ceux de Bigogwe qui avaient eu
lieu dans Mutura. Bon. C’est venu comment ? La façon de
massacrer les Bagogwe de Rutsiro était la même que celle des
Bagogwe de Mutura. Alors pour Kibuye, comment ces choses y
arrivent-elles ? Cela provenait des tensions entre les partis, qui se
disputaient les fiefs politiques, les uns voulant ravir de force aux
autres les postes politiques entre leurs mains. C’était le temps où les
partis se battaient pour le pouvoir, pour les postes de bourgmestres...
Alors ceux qui n’avaient pas ces postes provoquaient des désordres
pour saboter l’autorité en place et la fatiguer. Cela était donc fait
dans le cadre de la lutte entre les partis. Peu après, tu constatais que
les hutu et les tutsi se regardaient en chien de faïence. Cela était
donc difficile à démêler. Mais qu’a fait à cette époque le MDR ? Il
a gagné là-bas ces élections de bourgmestres, mais après y avoir
crée beaucoup de troubles. A propos de ce désordre, il était causé
par des militants du MDR et toutes les autres personnes qui
voulaient le changement et s’étaient alliés pour combattre le
MRND. Cela eut lieu et prit fin. Alors pour désigner un dirigeant,
pour l’élire, cela aussi fut un problème car le candidat du MDR était
en opposition avec celui du PL. Donc les deux partis se retrouvaient
en opposition. Le MRND lui n’était plus dans la course, il semblait
déjà battu. Et pour finir, l’élection du bourgmestre se transforma en
bataille. Et quand le MDR et le PL voulurent se battre, ce furent
plutôt les hutu et les tutsi qui en vinrent aux mains. Et aussi les
partisans du MRND s’en mêlèrent. Il y avait donc une certaine
orchestration quelque part. Ce qui demande une explication cas pas
cas.

00 :02 :14

Q

OK. Et arrivé en 1994, est-ce que les partis avaient encore de
l’importance durant le génocide ou non ? Ceux qui massacraient se
réclamaient-ils encore des partis, ou était-ce purement des massacres

00 :02 :24

R

d’une ethnie par une autre ?
Même en 1994, cela s’est passé de la même manière. Apres la mise
en place du gouvernement, tu sais, plutôt après la signature des
accords d’Arusha, leur mise en œuvre a été un problème. Et une
radicalisation en a résultée. Ou une balkanisation, ou une division de
partis politiques. Le MDR se scinda en deux tendances opposées. Ce
fut pareil au sein du PL. Dans les deux partis, les deux composantes
s’opposaient avec de fortes tensions, au sein des mêmes partis. A
côté il y avait aussi le parti MRDN, qui lui dans sa totalité ne voulait
pas l’application des accords. Et je pense que c’était ce parti qui
créait, à partir du sommet des partis, cette zizanie au sein de ces
partis et les désordres étaient réalisés au bas niveau par les partis
concernés, par les militants eux-mêmes. Ainsi l’origine était le
sommet de la hiérarchie. Cela a continué à s’accentuer jusqu’au
moment où l’on a commencé à parler des inkotanyi, à dire que
l’ennemi est la personne qui soutient les inkotanyi, donc ceux que
l’on appelait les Amajyojyi (jeunesse du MDR modéré), puis venait
le tutsi. Ainsi le PL et le FPR étaient qualifiés de tutsi, et le MDR
appelé Ijyojyi était qualifié d’ennemi, de même les membres du PL

00 :03 :38
00 :03 :39

Q
R

et aussi du PSD etc. et alors…
Et comment cela s’est-il terminé ?
Cela a continué comme ça et aussi la CDR s’est mise de la partie. Et
lorsque en 1994, survient la mort du président, on a dit quoi ? On
a…ils ont dit qu’il avait été tué par les tutsi et leurs complices.
C’était ça le langage. Ce langage que le président avait été tué par
les tutsi ou le FPR et leurs complices entraîna leur persécution. Et
ici à Kibuye les massacres visèrent particulièrement les gens de
l’ethnie tutsi. Les choses se clarifièrent donc et cela devint ce que
l’on appelle…
Et tu me demandes si cela était préparé ! Quand tu observes 94 et
92, mis à part les degrés de violence, l’approche était la même. Au
dessus, il y a je pense les chefs d’orchestre qui poussent, les autres

00 :04 :25

Q

agressent et les choses se passent ainsi.
D’accord. Et alors toi, en ta qualité de Rwandais instruit et
d’autorité de l’époque, tu recevais des instructions. Peut-être aussi
que certaines, on ne te les transmettait pas en raison de ton
appartenance à l’opposition si l’on peut dire, quoi qu’il en soit tu
recevais au moins certaines instructions, tu entendais ce qui se
disait, tu savais aussi quelles étaient les relations existant entre le
Rwanda et la France. D’après toi, tu voyais que la France…au
besoin limitons-nous à ceux qui la représentaient au Rwanda,
penses-tu qu’ils se rendaient ou non compte que le génocide se

00 :04 :52
00 :04 :54
00 :04 :56

R
Q
R

préparait ?
Là, ce serait penser pour eux.
Je te demande ton point de vue.
L’évidence est que les français soutenaient la partie du Rwanda, ne
voulant pas que celle-ci soit vaincue totalement et évincée du

00 :05 :05
00 :05 :06

Q
R

pouvoir.
C’est-à-dire quelle partie ?
Celle de Habyarimana. Car dans les premiers jours, l’on a appris
qu’ils ont évacué des gens vers le Burundi, les dignitaires du parti
MRND. Il n’y a pas eu d’autres personnes évacuées dans ce sens,
par exemple des tutsi. Ça c’est une première question que l’on peut
se poser. Bon. Est-ce qu’ils étaient au courant, savaient-ils que ces
choses se préparaient ? Ça, c’est ce que je disais plus haut me
demandant si c’était eux qui donnaient ces conseils de semer la
zizanie au sein des partis. C’est possible, mais ce sont des choses
qui dépassent ma compréhension. Bon. Ce que je dirais d’autre, en
tant qu’autorité de l’époque, concernant les informations il y en
avait qui ne suivaient pas les canaux habituels de l’Etat. Ce qui se
disait au sein des partis n’était que transmis de personnes à
personnes. Tu pouvais être au gouvernement et malgré cela, des
choses se faire sans que tu le saches. La preuve en est que, déjà les
premiers jours, ceux qui sont morts étaient des membres du
gouvernement. Ce qui veut dire que s’ils avaient su, ils se seraient
sauvés avant. Pour dire qu’il y a des choses qui se font dans le pays,
en parallèle avec le gouvernement ou en dehors des systèmes
officiels connus. Dans ce cas-là bien sûr, ceux qui doivent être au

00 :06 :14

Q

courant le sont et ceux qui ne doivent pas le savoir ne le savent pas.
Mais alors, les français, d’après toi, étaient-ils en mesure
d’empêcher le génocide de se perpétrer ou non ? Toujours ayant en

00 :06 :25

R

considération les relations avec le Rwanda et leur puissance ?
Nous, comme les gens de Kibuye…il y a des choses auxquelles
nous pensons parfois et nous nous demandons : « Finalement, même
ces massacres, et même cet attentat contre Habyarimana, qui l’a
perpétré et comment ? Hein ! Qui avait intérêt à ce qu’il

00 :06 :43
00 :06 :45

Q
R

survienne ? »
Et c’est quoi la réponse ?
Moi, tel que je connaissais Habyarimana, bien qu’il fût au MRND,
je dis que s’il vivait encore, il n’eut pas osé accepter que les gens
s’entretuent à ce point là ; il aurait eu honte. Mais plutôt des gens
qui y avaient intérêt, qui voulaient les atteindre de la même manière
qu’ils avaient commencé en 1992 ; et peut-être qu’il les gênait, car
même sa prestation de serment était controversée, et aussi pour la
mise en œuvre des accords, il semble que lui s’y décidait et les
autres aussitôt après refusaient de le suivre. Je crois qu’il avait son
opposition intérieure à son parti, qui devait être très puissante, peutêtre cela que nous appelions l’escadron de la mort. Même si c’est
lui qui l’avait créé ou s’il était né de lui-même, d’une autre manière,
dans tous les cas elle était beaucoup plus puissante que lui, et donc il
devait y avoir des gens qui ont dû poser des actes afin de mener
aveuglement la population par une sensibilisation à la RTLM, afin
que les gens fussent tués. Alors je dis : « Les français avaient une
grande autorité sur Habyarimana. Tout ce qu’ils lui auraient dit de
faire, il l’aurait fait. Mais reste à voir cette autre partie, l’escadron
de la mort. C’était qui exactement ? Quels étaient ses objectifs ? La
CDR c’était quoi ? Cette dernière était également un autre élément
dur qui était dans la même mouvance, que peut-être il ne pouvait pas
contrôler, mais de toute façon les français savaient que
Habyarimana était derrière toute cette mouvance, néanmoins on
savait aussi que là-dedans il y avait des personnalités beaucoup plus

00 :08 :04

Q

dures que lui et qui avaient beaucoup de puissance.
Et parmi les français, quand tu fais une analyse, n’y en avait-il pas

00 :08 :07

R

aussi qui étaient plus durs que certains, car…
Tout ça pouvait exister, ça pouvait se faire, eu égard à la nature des
rwandais et la force de l’ascendance des français sur ceux-ci. Autre
chose qui aurait dû avoir lieu au Rwanda, c’est que, par exemple à
Kigali, lorsque les massacres y ont débuté, alors qu’ils connaissaient
les massacres qui s’étaient déroulés en 1992, moi je me disais que
cette

réaction,

cette

volte-face

qu’a

eu

la

communauté

internationale, que ce soit sous l’influence de la France ou de
quiconque je ne sais pas qui, mais peu importe qui que ce soit, cette
volte-face, cette façon de fermer les yeux, d’escamoter le problème
alors que des massacres se déroulaient à Kigali et aussi ce fait de
chercher tous les étrangers jusqu’à ceux qui se trouvaient à Kibuye
00 :08 :48
00 :08 :50
00 :08 :50
00 :08 :51
00 :08 :56
00 :08 :57
00 :08 :59
00 :09 :00

Q
R
Q
R

pour l’évacuation…c’est un problème…
Tu n’as pas vu ceux qui les ont évacués ?
Hein ?
Tu n’as pas vu ceux qui ont évacué les étrangers ?
Je les ai vus. Même la MINUAR était sur place et elle est partie tout

Q
R
Q
R

de suite. Nous avions ici cinq officiers et ils sont tout de suite partis.
En quelle année ? 1994 ?
En 1994.
Juste après la mort de Habyarimana ?
Non. Peu après. Vers le 10 ou le 9. Le 9, on était vraiment ensemble
en train de causer. Donc ils partirent. Et tu vois qu’il y avait une
certaine complicité de la communauté internationale, ou alors je ne
sais pas comment la communauté internationale fonctionne, mais si
au moins ils ne s’étaient pas retirés, je crois que ce qui s’est fait ne
se serait pas fait. Et là, peut-être que la France aurait pu influencer
sur le gouvernement rwandais d’abord pour la mise en œuvre des
accords de paix d’Arusha dès le départ et cette résistance aux
accords n’aurait pas eu lieu de même que la radicalisation. Ou si
malgré tout il y en eut eu, ils auraient pu imposer la mise en place
d’un gouvernement tel qu’il était prévu par les accords et le reste ils
l’auraient géré après, sans laisser pourrir la situation, qui est suivie
de l’assassinant du président, tout en sachant comment nous, au
Rwanda et au Burundi, on a l’habitude de réagir, connaissant aussi
la campagne qui se déroule alors dans le pays. Ça, c’est aussi une
question. Et par dessus tout, prendre les étrangers et les évacuer,

c’était un problème de plus. Alors entre-temps, qui est responsable ?
Ceci est une question à laquelle je ne suis pas en mesure de trouver
00 :09 :58
00 :10 :04
00 :10 :05

Q
R
Q

la réponse.
Etais-tu déjà en prison du temps des infiltrés ?
J’étais en prison.
Tu ne sais donc pas ce qui s’est passé. Je voulais te demander si tu
avais entendu parler des relations qu’il y aurait eu entre les français

00 :10 :13

R

et ces infiltrés qui venaient du Zaïre.
Non. Je n’en sais rien. Sauf les informations que nous entendions à

00 :10 :18

Q

la radio, rien d’autre.
Il n’y a pas eu de Blancs tués ici dans votre région durant le

R
Q
R

génocide ?
Des Blancs ?
Oui.
Non. Je ne crois pas. Il y avait deux blancs qui étaient restés sur

00 :10 :22
00 :10 :23
00 :10 :24

place, et eux aussi pouvaient être tués, mais ils ne sont pas partis.
(en réponse a une interrogation de Cécile, vraisemblablement sur

00 :10 :47

son mandat de bourgmestre)
R

Je l’ai dit mais si elle ne pense pas l’avoir enregistré, si elle a des

Q

doutes là-dessus, c’était en 1990-1994.
N’y avait-il pas dans cette région des français civils, dans le cadre

R
Q
R
Q
R
Q
R
Q
R
Q
R
Q
R
Q
R

de la coopération ? Entre 1990 et 1994.
Bon. Il y en avait un, mais qui travaillait pour la coopération suisse.
Un français ?
Oui, un français.
Son nom ?
Jean Roux. François Roux.
Jean Roux ?
François. Non, Jean Roux.
Jean Loup. Etait-ce un civil ou un militaire ?
Un civil.
Il n’était pas militaire ?
Non.
C’est que j’en connais un du nom de Jean Roux et qui était militaire.
Je n’en sais rien. Lui n’était pas militaire.
Que faisait-il ?
Il travaillait ici à la préfecture, dans le secteur de l’Appui au

00 :11 :33
00 :11 :34
00 :11 :35

Q
R
Q

développement communal.
C’était le seul que tu connaissais ?
C’était le seul français.
Vous n’aviez pas d’autres projets dans la région où l’on retrouvait

00 :11 :37

R

des français ?
Bon. Dans Rwamatamu, il y en avait. D’habitude, des volontaires

00 :10 :54
00 :11 :03
00 :11 :09
00 :11 :10
00 :11 :11
00 :11 :12
00 :11 :15
00 :11 :16
00 :11 :17
00 :11 :19
00 :11 :20
00 :11 :21
00 :11 :23
00 :11 :24
00 :11 :25
00 :11 :27

français à cette époque, il y en avait là-bas. Mais je ne vois pas où
ailleurs. Non il n’y avait pas beaucoup de français. Plutôt il y avait
00 :11 :50
00 :11 :53

Q
R

des allemands.
Des allemands ? Et les français de la coopération militaire ?
Il n’y en avait pas.
Fin en de l’ITW en kinyarwanda de Karara, suit une ITW du
même en français, par Cécile.
……………………………………………………………….

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024