Fiche du document numéro 10446

Num
10446
Date
Vendredi 24 février 1995
Amj
Taille
28641
Titre
Note N° 109 DEF/DAS/SDQR/PC/CD. Objet : Evaluation politico-militaire de la crise du Rwanda [Extraits divulgués par Patrick de Saint-Exupéry lors du séminaire de « La Règle du Jeu » le 22 avril 2014]
Nom cité
Cote
N° 109 DEF/DAS/SDQR/PC/CD
Type
Note
Langue
FR
Citation
[...] Cet exercice est périlleux. Il ne vise pas à distribuer des satisfecit mais à évaluer les moyens de
l'action gouvernementale. D'une analyse a posteriori de la crise rwandaise, il ressort pour l'essentiel :

1.1- Jusqu'à l'évacuation de l'ambassade de France à Kigali le 12 avril 1994, une focalisation dans les T.D. et les analyses du poste militaire sur les sujets pouvant intéresser les autorités gouvernementales françaises : ainsi le primat accordé aux différentes évolutions des négociations d'Arusha, aux frémissements des dissensions internes au FPR, aux avancées ou reculs des lignes de front pendant les reprises d'hostilités, a masqué totalement l'analyse sur les résistances du président Habyarimana dans l'application des différentes versions des accords ou, beaucoup plus grave, la mise en place des réseaux et des milices, responsables du futur génocide. La crise a été pensée tout au long de sa genèse en termes trop strictement politiques (le FPR contre Habyarimana, anglophonie contre francophonie...) plutôt que ethniques et sociaux. Ainsi le gouvernement français offrira l'hospitalité à des personnalités qui se révèleront être ensuite des V.I.P. du génocide : Madame Habyarimana, [...]


Seule, la DGSE, dans une note du 12 janvier 1994, a alerté les responsables sur l'existence de la stratégie de provocation de milices Interahamwe (milices du parti gouvernemental) contre les forces du FPR dans Kigali et contre les Paras belges. Elle attire l'attention sur les responsabilités particulières du CEMA des Forces armées rwandaises. Par la suite, la DGSE fera régulièrement connaître la politique de blocage du président Habyarimana dans le processus de réconciliation, les distributions d'armes à la population... (Note du 24 février 94).

I.2- Après l'évacuation de l'ambassade le 12 avril 1994, la DGSE continuera seule à fournir des informations. S'intéressant d'abord au déroulement des hostilités, elle attirera assez vite l'attention (Note du 4 mai 1994) sur l'importance des massacres commis surtout par les forces gouvernementales, (sans oublier ceux commis, dans une moindre proportion, par le FPR). La DGSE propose d'ailleurs à cette même date, une condamnation publique, sans appel, des
agissements de la garde présidentielle rwandaise et du colonel Bagosora, Directeur de Cabinet du Ministre de la Défense.

A cette date, la communauté internationale s'est émue depuis quelques jours de la situation. Le 25 mai, la commission des Droits de l'homme de l'ONU vote une résolution employant le terme de ``génocide''. [...]

La ligne de conduite du poste de Kigali doit se lire comme le résultat conjugué de trois règles de conduite diplomatique : la pratique d'une ligne diplomatique habituelle implicite en situation de crise ou affichée. Les carences qui en résultèrent se révélèrent graves dans le déroulement de la crise quand il fallu envoyer deux missions officielles ou officieuses pour
rencontrer (enfin !) les responsables du FPR alors que se mettait en place l'opération Turquoise.

[...] d'associer autant que faire se peut des personnalités expertes extérieures à l'administration, dont l'information ne dépende pas exclusivement des moyens gouvernementaux.

[Deuxième point, petit 1 :]

Les liens personnels établis entre décideurs français et responsables rwandais, du plus haut niveau
de l'Etat jusqu'au gestionnaire du dossier, dans les différentes administrations françaises, l'essentiel
de la politique est analysé comme affaire de réseaux, de domaines réservés et de décisions occultes.
Ainsi les différents auteurs voient-ils dans la poursuite des livraisons d'armes aux Forces armées
rwandaises jusqu'en juillet 1994 la preuve de l'hétérogénéité des actions françaises pour soutenir le régime défunt et la difficulté de faire ressortir une politique générale [...].

[point 5 :]

Des accusations graves sont portées sur le rôle joué activement ou passivement par les troupes
françaises : participation à des interrogatoires musclés de prisonniers du FPR, enlèvement et
disparition de Tutsi dans des camps où étaient présents des personnels militaires français qui ne
pouvaient pas ne pas savoir, comme le camp de Bigogwe. La fonction particulière occupée par
certains officiers auprès des autorités de Kigali (colonel Thibault ancien de la DGSE, conseiller de Habyarimana de 90 à la fin de 93) est vue par certains auteurs comme preuve de la dynamique
proprement militaire de la diplomatie française.


Il faut dans cette analyse faire la part de la polémique mais certains auteurs soulignent par exemple que la coopération militaire avait pu atteindre à certaines époques 200 millions de francs pour une coopération civile de 100 millions de francs. Que à côté de 34 coopérants techniques et 18
enseignants, il y avait jusqu'à 700 militaires pour quelques centaines de ressortissants, mettant en valeur le décalage entre l'explication officielle [et] les causes cachées d'une telle présence.[...]

De la sorte, les erreurs de la politique française au Rwanda semblent pour l'essentiel être imputées au rôle joué par les militaires. La multiplicité des décideurs politiques agissant à travers la présence d'officiers aboutit à faire porter à ceux-ci, pratiquement en tant que catégorie sociale, l'essentiel de la responsabilité. [...]

La spécificité de la crise n'a pas été prise en compte. L'action sur les acteurs politiques
d'Arusha devait se doubler d'une autre, très ferme, à l'encontre des personnalités préparant le génocide. Ni la Radio Mille Collines, ni les intellectuels appelant au massacre, ni les fondements ethniques de l'Etat rwandais n'ont été pris en compte et traités.

Conclusion :


Les auteurs de ces lignes n'entendent pas donner des leçons, mais essayer de tirer quelques
éléments de réflexion.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024