Fiche du document numéro 10494

Num
10494
Date
Mardi 7 juin 1994
Amj
Taille
50208
Titre
Interview du Président de la République, M. Francois Mitterrand et du Président des Etats-Unis d'Amérique, M. William J. Clinton à TF1 et France-Télévision
Source
Type
Langue
FR
Citation

Etats-Unis - Union européenne - construction européenne



Q - M. le Président bonsoir. Vous n'avez pas vécu la même histoire et pourtant hier, en
Normandie, vous avez partagé la même émotion, les mêmes mots pour dire la liberté, les
sacrifices et les efforts qu'il faut faire aujourd'hui pour éviter la guerre. Pourtant la guerre
existe aujourd'hui en Europe et ailleurs, est-ce que vous pensez M. le Président Clinton que
cela veut dire que ni l'Europe, ni les Etats-Unis aujourd'hui n'ont la même détermination qu'il
y a cinquante ans ? Est-ce que l'Europe d'aujourd'hui vous déçoit ?

R - Le Président Clinton -

Non parce je n'ai pas le sentiment que l'on puisse comparer les deux situations. La vraie
question c'est : comment est l'Europe aujourd'hui si on la compare à la fin de la deuxième
guerre mondiale ou même à la fin de la première guerre mondiale ? Je crois que la réponse est
que nous avons fait beaucoup mieux qu'après la première guerre mondiale. Certes, il y a
beaucoup d'incertitudes dans le monde mais la sécurité de personne n'est véritablement en
danger. L'Europe se réunit politiquement et économiquement. En termes de solidarité, je vois
plus de coopération avec les Etats-Unis grâce au GATT, ainsi que l'OTAN et le Partenariat
pour la paix et nous essayons de régler le problème de la Bosnie. Je sais qu'il n'est pas résolu
mais on a fait des progrès. On a limité quand même et nous allons, je pense, avoir un
règlement territorial. Donc l'Europe va vers une situation meilleure au XXIème siècle. Avons-
nous résolu tous les problèmes ? Non, mais je suis optimiste et particulièrement après ce
voyage.

Q - M. le Président, c'est bien la première fois avec le Président Clinton que l'Europe
politique et même militaire reçoit un tel soutien des Etats-Unis. Est-ce que vous pensez que
malgré des opinions publiques qui y croient de moins en moins, les sondages liés aux
élections européennes partout en Europe le prouvent, est-ce qu'on va quand même faire
avancer cette Europe politique et militaire ou est-ce déjà trop tard ?

R - Le Président -

Au point de départ de la construction européenne, les Etats-Unis d'Amérique ont
beaucoup contribué, beaucoup aidé, beaucoup encouragé les fondateurs de cette Europe qu'on
appelait à l'époque celle de la Communauté qui était une communauté à six pays. C'est devenu
maintenant une Union à Douze avant de devenir une Union à quinze ou seize. Donc ils nous
ont beaucoup aidé. Ensuite leur attention s'est détournée et il y a eu beaucoup d'autres
problèmes et on pourrait dire qu'ils ont été moins présents. Mais c'est vrai qu'avec le Président
Clinton, il y a un véritable intérêt pour la construction de l'Europe.

Tout à l'heure vous avez dit "est-ce que nous sommes déçus ?" Vous posiez la question
au Président Clinton. Moi, je crois moins que vous à la désaffection de l'opinion publique.

Q - Malgré les sondages ?

R - Le Président -

Oui, malgré les sondages. Ils sont indicatifs. Ils sont importants. On doit y réfléchir.
Mais je crois que l'Europe reste d'un intérêt majeur pour tout le monde et que l'on se
comprendra. Encore faut-il que les défenseurs de l'Europe se fassent entendre ! Ce qui n'est
pas toujours le cas.

Q - Vous pensez à qui ?

R - Le Président -

Je ne pense à personne en particulier. Je ne cherche à entrer dans aucune polémique. Je
dis simplement qu'il faut beaucoup d'énergie et beaucoup de constance pour réussir l'Europe.
C'est difficile. Alors après la deuxième guerre mondiale en 1945 et la suite, on a fait beaucoup
de progrès. Avec les Nations unies et peu à peu avec la disparition de l'Union soviétique, on a
des chances de paix. On n'en a encore pas fait assez. Il reste beaucoup de problèmes à régler.
L'histoire, c'est une longue patience.

Etats-Unis - sécurité en Europe - OTAN - ex-Yougoslavie - Bosnie - Macédoine



Q - Je voudrais poser une question au Président Clinton. Le Président de l'Assemblée,
Philippe Seguin, qui vous a accueilli tout à l'heure faisait un parallèle avec la situation de
1919 alors que votre prédécesseur M. Wilson était reçu à l'Assemblée Nationale, et il disait :
comme en 1919 tout paraît aujourd'hui possible, le pire comme le meilleur. Nous sommes au
lendemain d'une longue période de guerre froide. Tout d'abord? est-ce que vous êtes sûr que
c'est le meilleur qui nous attend et ensuite voyez-vous un endroit en Europe où vous pourriez
éventuellement un jour ordonner à vos boys d'intervenir ? Par exemple en Bosnie ?

R - Le Président Clinton -

Je pense que la situation ressemble à celle de 1919 et pourtant ce n'est pas la même. En
1919 l'Europe ne s'est pas unie et les Etats-Unis se sont retirés. En 1994, l'Europe s'organise
en termes économique, politique et de sécurité et les Etats-Unis sont encore activement
engagés dans les affaires européennes. Il y a des circonstances où nous pourrions engager des
troupes américaines. Nous avons un engagement au sein de l'OTAN que nous honorerons.
Nous avons déjà mis nos pilotes à la disposition de l'OTAN en Bosnie et également pour le
respect des zones de sécurité.

Q - Mais vous pourriez faire plus au sol ?

R - Le Président Clinton -

Nous avons des troupes en Macédoine pour limiter le conflit et nous ferons le nécessaire
pour forcer un accord si un accord est atteint. Mais nous avons pensé qu'il ne fallait pas que
nous intervenions pour régler le conflit en prenant partie pour un côté ou pour l'autre. Et si
nous devions le faire maintenant, je crois qu'en fin de compte nous augmenterions la
controverse. Si nous pouvons faire qu'il y ait un accord entre les parties, je crois que le
Président Mitterrand et moi sommes d'accord, alors les Etats-Unis sont prêts à travailler avec
leurs alliés pour s'assurer que l'on honorera cet accord.

Q - Et vous, Monsieur le Président, êtes-vous déçu par la tiédeur de l'engagement
américain, pour reprendre une phrase que Bill Clinton avait utilisée lors de sa campagne
électorale, il y a deux ans ?

R - Le Président -

Non, l'engagement des Etats-Unis pour la paix, y compris pour la paix dans l'ancienne
Yougoslavie, est un engagement plein et entier, et vous connaissez ma position, je ne pense
pas qu'on résoudra cette guerre en faisant une guerre supplémentaire, plus générale, et les
Etats-Unis vont nous aider puissamment, avec les Russes et l'ensemble des pays de l'Union
européenne non pas à imposer des conditions - ce n'est pas notre rôle - mais à insister de telle
sorte que les belligérants sauront que leur intérêt est d'aboutir à la conciliation.

France - OTAN



Q - Alors vous avez visité tous les deux ensemble les rivages de la guerre d'il y a
cinquante ans, vous savez ce qui se passe en Bosnie actuellement, quel lien la France veut-
elle tisser avec les Etats-Unis, est-ce que vous êtes prêt à vous engager davantage dans
l'OTAN, par exemple, à revenir à la situation d'avant le coup d'éclat du Général de Gaulle ?

R - Le Président -

Non, ce n'est pas nécessaire. Nous participons à ce qu'on pourrait appeler les
délibérations politiques de l'Alliance atlantique dont nous faisons partie, à laquelle nous
sommes fidèles, nous ne participons pas aux discussions d'état-major militaires car nous ne
sommes pas dans le commandement intégré.

Q - Et la position ne changera pas ?

R - Le Président -

Elle ne changera pas, en tout cas tant que cela dépendra de moi et je ne pense pas que la
France change d'ici longtemps de position là-dessus. Tout à l'heure vous disiez : il n'y a rien
de changé. Songez qu'il n'y a pas si longtemps, c'était le monde coupé en deux - l'Europe en
tout cas - c'était deux pactes militaires l'un contre l'autre, c'était la guerre froide, tout cela est
derrière nous.

Algérie - lutte contre le terrorisme et l'extrémisme religieux



Q - Parmi ces problèmes, il y en a un qui touche singulièrement notre pays, il s'agit de
l'Algérie. Il y a eu ce matin encore deux assassinats à Alger. On a remarqué, Monsieur
Clinton, que votre administration a multiplié, ces derniers temps, les appels du pied aux
intégristes. Est-ce que vous pensez qu'il faut ouvrir le dialogue avec eux et peut-être même
leur permettre l'accès au pouvoir ?

R - Le Président Clinton -

Je veux m'assurer que j'ai bien compris votre question et je vais répéter ce qu'est notre
position. Nous essayons d'appuyer le gouvernement actuel, notamment pour rééchelonner la
dette, mais nous avons aussi encouragé ce gouvernement à lutter contre des groupes
dissidents. Nous avons eu des contacts à des niveaux peu élevés, avec des gens qui ne se sont
pas livrés au terrorisme. Nous ne donnons notre appui à aucun de ces mouvements violents,
nulle part dans le monde. Nous espérons que le gouvernement algérien arrivera à élargir sa
base et arrivera à travailler avec ceux qui ont des difficultés mais qui se sont engagés dans une
solution pacifique. Nous sommes très inquiets de voir monter le fondamentalisme militariste
dans les Etats islamiques : 17 sur les 22 Etats ont des revenus qui diminuent, 70 % des
musulmans d'aujourd'hui sont jeunes et nous avons beaucoup encouragé des gouvernements
comme le gouvernement du Maroc et d'autres qui se sont vraiment prononcés pour la paix et
nous espérons que la situation en Algérie ne va pas aller trop loin. Notre politique est de nous
engager contre le terrorisme mais avec les gens, avec les peuples de l'Islam qui veulent suivre
les règles que tout peuple civilisé devrait suivre.

Afrique - Rwanda



Q - Sur le continent africain, les Américains se sont engagés
massivement en Somalie, aujourd'hui les Somaliens ne meurent plus de
faim. Aujourd'hui un peu plus au sud, au Rwanda[Réf.
Suivante], des centaines et des centaines de milliers d'hommes sont en
train de s'entre-dévorer. Est-ce que les Américains sont prêts à
intervenir pour éviter cela ?

R - Le Président Clinton -

Non, mais nous sommes prêts à aider. Nous avons déjà offert des
millions de dollars d'aide. Nous avons discuté avec nos amis en
Afrique, les perspectives d'une force africaine, que nous aiderons à
financer, à qui nous donnerons notre appui avec du personnel et
d'autres matériels. Nous sommes à même d'aider et nous aiderons
beaucoup de pays africains intéressés à fournir les hommes pour faire
le nécessaire. Je crois que c'est tout ce que nous pouvons faire pour
l'instant. Nous avons des troupes en Corée, nous avons des troupes en
Europe, nous aurons peut-être de nouveaux engagements en Bosnie si
nous arrivons à y trouver la paix et nous essayons fermement d'arriver
à faire appliquer l'accord des Nations unies sur Haïti. Nous voulons
aider au Rwanda, nous sommes prêts à
financer et à donner l'aide nécessaire si les pays africains veulent
bien donner les troupes. Je crois qu'il n'en faudrait pas beaucoup
pour arrêter ce combat, si plusieurs nations africaines se mettaient
ensemble et allaient au combat.

Q - Et la France, Monsieur le Président ? On a beaucoup insisté, ces
derniers temps, sur le soutien longtemps accordé par la France au
gouvernement rwandais dont on connaît la situation aujourd'hui.

R - Le Président -

La France a donné son aide au Rwanda avec le
gouvernement considéré comme légitime à l'époque. Une rébellion s'est
organisée contre ce gouvernement. Elle avait ses arguments, elle
remporte certaines victoires. Il semble aujourd'hui que le
gouvernement dont le Président est mort assassiné, est pratiquement
défait. C'est nous, Français, qui avons organisé le dialogue entre les
combattants et qui avons abouti à un accord, aujourd'hui périmé, mais
pour lequel nous avions reçu les remerciements du Front patriotique
rwandais

Q - Et aujourd'hui, que pourrait-on faire ?

R - Le Président -

Je pense qu'il faut encourager les pays qui ont été choisis par les
Nations unies, en particulier, le Ghana, le Sénégal, d'autres encore,
à fournir les cinq mille cinq cents hommes qui ont été demandés. Et
nous avons déjà dit que la France était prête à fournir la logistique,
l'appui qui conviendra pour que cette troupe africaine, représentant
l'Organisation de l'Unité africaine puisse s'interposer entre les
combattants.

R - Le Président Clinton -

Puis-je ajouter un mot ? Une des choses que nous avons apprises en
Somalie, où nous avons pu sauver des centaines de milliers de vies et
où nous avons perdu des soldats, la plupart dans un incident
regrettable, c'est que même une mission humanitaire sera forcément
engagée dans la politique du pays, à moins que les gens ne meurent en
raison d'un désastre naturel. Je crois que les Nations unies ont eu
parfaitement raison de demander aux pays africains d'intervenir, parce
que ce seront eux qui seront là, à long terme, et c'est leurs
frontières que l'on doit respecter. La France, les Etats-Unis doivent
les soutenir, mais je crois que c'est un test important et si nous y
arrivons, cela voudra dire beaucoup, plus à long terme, pour
l'Afrique.

Elargissement du Conseil de sécurité de l'ONU



Q - Alors puisque l'on évoque un petit peu le rôle de l'ONU, dans une interview de
politique internationale, il y a deux ans et demi, avant que vous ne soyez Président, vous vous
déclariez favorable à ce que le Japon et l'Allemagne aient un siège permanent au Conseil de
sécurité des Nations unies. Est-ce que vous êtes toujours d'accord avec ce principe ?

R - Le Président Clinton -

Oui.

Q - Monsieur le Président, cela ne vous gêne pas, vous ?

R - Le Président -

Cela ne me gène pas que les Japonais, que les Allemands entrent comme membres
permanents du Conseil de sécurité. Je pense simplement que l'on ne peut pas réserver cette
entrée dans la plus haute institution des Nations unies, aux Japonais ou aux Allemands, car il
y a toute une partie du monde, la plus peuplée, qui n'est pas représentée. Cela exige donc une
négociation générale, et quant à l'objectif japonais et allemand, il n'y a pas de raison de refuser
à ces pays qui sont de grandes puissances, des pays très actifs, qui jouent un grand rôle, d'être
là avec nous. Nous ne nous sentirons pas diminués si au lieu d'être cinq, nous sommes sept,
huit, neuf ou dix, simplement, il faudra des procédures un peu différentes.

Idée de création d'un Conseil de sécurité économique



Q - Que pensez-vous de l'idée émise, aujourd'hui, par le Président de la Commission
européenne, Jacques Delors, d'un Conseil de sécurité économique qui aiderait à coordonner
les politiques, notamment, sur les marchés financiers ; on voit en ce moment les difficultés des
politiques de taux d'intérêt à court terme, est-ce que vous pensez, Monsieur le Président, que
c'est une bonne idée ? Peut-être, Monsieur Clinton, pourrait aussitôt réagir ?

R - Le Président -

Je dirais que c'est une idée qui est récente, parce qu'elle est nouvelle et qu'elle vient d'un
homme ayant beaucoup d'expérience et de compétence, Jacques Delors.

A priori, je suis un peu réservé, parce qu'il faut bien prendre garde à ce que les quelques
pays les plus riches du monde, dont la France, n'exercent pas une sorte de contrôle sur les
affaires universelles, ne se transforment pas en directoire du monde, ou alors, il faudrait que la
proposition de cette nouvelle instance soit extrêmement bien étudiée et que l'équilibre y soit
maintenu.

R - Le Président Clinton -

Je crois que cette recommandation, en fait, vient du travail que Monsieur Delors a déjà
fait, notamment, en ce qui concerne les problèmes de croissance en Europe et de création
d'emplois. C'est un problème que nous allons examiner, lorsque le groupe des Sept se réunira
à Naples. Je crois qu'il y a beaucoup de gens qui pensent qu'il y a en fait une déconnexion
entre les gens qui travaillent tous les jours et ce qui se passe sur les marchés financiers. Peut-
être que les marchés financiers réagissent trop avant même qu'il y ait un danger d'inflation.
Donc, c'est quelque chose dont on doit discuter.

Quant à savoir si l'on aura un Conseil de sécurité économique, rappelez-vous que le
Conseil de sécurité des Nations unies s'attache à résoudre les problèmes principaux, cas par
cas. Quelle serait la juridiction de ce conseil économique ? Mais je crois que ce que Monsieur
Delors fait, c'est nous demander de réfléchir à un problème pour lequel aucune solution n'a
encore été suggérée. Mais je ne suis pas sûr que j'endosse l'idée.

Etats-Unis - aide économique à l'Europe de l'Est et aux Etats de l'ex-URSS



Q - Alors, sur le plan économique justement! vous avez consacré, vous, Américains,
beaucoup d'énergie et beaucoup d'argent à combattre le communisme. Est-ce que vous êtes
prêts à donner le même volume d'efforts, pour aider les ex-pays communistes à sortir de leur
marasme économique ?

R - Le Président Clinton -

Nous sommes prêts à investir beaucoup dans cet effort. Nous avons déjà beaucoup
diminué notre défense et à peu près autant que nous puissions le faire. Donc, je discute avec le
Congrès pour leur demander de ne pas couper plus avant le budget militaire mais aussi
d'augmenter les budgets d'aide notamment à l'Union soviétique mais aussi à la Russie, à
l'Ukraine et aux autres pays nouvellement libérés. Ce que nous devons faire, c'est en fait
obtenir plus d'investissements et plus d'échanges avec tous ces nouveaux pays, mais il faut
que tous les pays de l'ouest s'inquiètent du fait que, maintenant que le communisme est parti,
ce qui va le remplacer réussisse. Nous ne voulons pas avoir quelque chose qui ressemblerait
au passé, une politique de marché doit réussir et nous espérons qu'elle réussira.

Situation économique mondiale - croissance et emploi - protection sociale - instauration d'une clause sociale au GATT



Q - Dans votre discours à l'Assemblée nationale tout à l'heure, vous avez souligné le
besoin d'aider les démocraties par l'accession à l'économie de marché. L'OCDE, aujourd'hui,
explique que nos pays développés sont beaucoup trop rigides, que c'est peut-être l'une des
raisons du chômage qui obsède aussi bien la France que les Etats-Unis. Est-ce que vous
pensez, M. le Président, que nos sociétés aujourd'hui sont prêtes à des sacrifices pour plus de
souplesse qui permettraient peut-être d'ouvrir davantage les marchés aux pays en voie de
développement qui, à leur tour, nous achèteraient. Est-ce que vous pensez que c'est un
discours que notre opinion publique, comme l'opinion publique américaine, peut entendre ?

R - Le Président -

Je vous répondrais facilement, si j'étais bien sûr de comprendre votre question. Car,
après tout, que veut dire le mot "souplesse" ? J'entends beaucoup de gens dire : il faut de la
flexibilité. Qu'est-ce que veut dire flexibilité ? Si cela consiste simplement à demander
l'abaissement des salaires, à faire disparaître l'arsenal des lois sociales qui protègent les
travailleurs, il ne faut pas le faire. Donc, je ne pense pas qu'il soit sage de voir régler la crise
en rendant les travailleurs et les petits et moyens salariés plus pauvres qu'ils n'étaient. Leur
situation n'est d'ailleurs pas si brillante. Donc, je voudrais bien comprendre votre mot
"souplesse".

Q - Mais peut-être que Monsieur Clinton peut nous éclairer là-dessus ?

R - Le Président Clinton -

Il n'y a pas de réponse simple à votre question. Les Etats-Unis ont peut-être un marché
de l'emploi plus flexible que la plupart des marchés européens, parce que, par exemple, les
allocations-chômage ne sont pas aussi élevées et que les accessoires du salaire sont moins
élevés. Nous avons une économie plus ouverte et peut-être moins de chômage mais nous
payons le prix, nous avons un chômage peu élevé mais nous avons très peu de croissance des
salaires sur les vingt dernières années. L'écart entre les plus pauvres et les classes moyennes
grandit et ce n'est pas une bonne chose pour les démocraties. Donc, ce que, je l'espère, nous
arriverons à faire par le truchement du groupe des Sept et de l'OCDE, c'est de voir ce que nous
pouvons faire pour résoudre le problème et voir comment nous pouvons humaniser l'emploi,
en respectant les droits des classes moyennes. Il faudra que ces questions ainsi que les
questions de l'environnement aillent de pair.

R - Le Président -

On ne peut pas toujours parler économie et ne pas parler social. Je suis d'accord
naturellement sur toutes les mesures qui pourraient permettre à l'économie de se développer
mais en même temps, il faut que des mesures sociales soient prises. Alors je suis très content
de voir qu'avec les Etats-Unis d'Amérique, on fait des progrès actuellement. La discussion
vient d'avoir lieu, qui devrait nous permettre, dans le cadre du GATT par exemple, d'avoir une
clause sociale qui déjà pourrait aboutir pour l'interdiction du travail des enfants, l'interdiction
du travail des prisonniers, l'autorisation, que dis-je, la recommandation d'organiser le monde
syndical afin qu'il ne soit pas l'objet de brimades ou d'interdictions. Tout ceci va dans le sens
du progrès, ce n'est qu'un début. Il est timide sur le plan international, à l'intérieur du GATT,
mais cela est déjà très bien et je dirai presque curieusement, ce sont les Etats-Unis de Bill
Clinton et la France d'aujourd'hui qui sont à la pointe de ce combat.

Q - Malheureusement vous n'avez pas été suivi.

Union européenne - Europe sociale



R - Le Président -

Nous sommes en cours de discussion, il ne faut pas dire cela, pas du tout. De même qu'à
l'intérieur de la Communauté européenne devenue Union européenne, je me bats, je ne suis
pas le seul, pour que cette union, ces douze pays se dotent d'une destination sociale. C'est
insupportable de penser que l'on cherche toujours à développer l'économie et que l'on ne
donne pas de garanties aux gens les plus modestes.

Etats-Unis



Q - Monsieur le Président Clinton, vous venez de vivre une année éprouvante sur le
plan politique, sur le plan intérieur, régulièrement vous faites l'objet d'attaques, notamment
sur votre vie privée. En France, la presse n'attaque pas la vie privée des hommes publics, des
hommes politiques. Est-ce que, de temps en temps, vous n'avez pas envie de troquer votre
nationalité américaine contre la nationalité française dans ce domaine là ?

R - Le Président Clinton -

Chaque fois que je suis à Paris je suis heureux et quand j'ai entendu, le Président
Mitterrand, prononcer hier son merveilleux discours, j'ai envié les Français mais j'aime mon
pays. Je n'aime pas tout dans notre système politique, mais si vous avez une très grande liberté
de parole, quelquefois on en abuse, quelquefois on ne vous dit même pas la vérité, mais cela
en fait partie, et je pense qu'en fin de compte notre démocratie surmontera ces petits obstacles.
Moi, je fais tous les jours mon travail pour le peuple américain et je les laisse eux se soucier
des attaques contre moi. Si je n'essayais pas de faire des choses qui vont dans le sens de mon
pays, je pense que les gens qui m'attaquent, ne m'attaqueraient pas.....

Q - Est-ce que ces attaques permanentes dont on parle beaucoup ces jours-ci à
Washington à l'occasion d'un livre qui va sortir, et qui met en cause votre manière de
conduire les affaires, est-ce que ces attaques permanentes vous blessent encore ou est-ce que
vous avez déjà, malgré votre âge, le cuir suffisamment épais ?

R - Le Président Clinton -

Oui, j'ai la peau dure, il faut avoir un seuil de douleur très élevé pour faire de la
politique de nos jours. Mais sur ce livre : les gens n'aiment pas la façon dont je fais les choses,
moi, j'aime qu'on se réunisse autour d'une table, et que tout le monde parle et dise ce qu'il a à
dire, c'est la façon d'arriver à développer les idées. Je ne crois pas qu'on peut tout simplement
décider. Je réponds à ces critiques par les résultats. Nous avons abaissé le chômage, nous
avons créé des emplois, nous produisons, nous construisons, c'est tout ce qui est important.
Les Américains vont mieux et c'est le principal.

Q - On a va continuer avec la comparaison entre nos deux systèmes politiques. Vous
savez qu'en France le Président est élu pour sept ans, que si les citoyens sont contents, ils le
réélisent pour sept ans, cela s'est déjà produit ! Ils peuvent même le réélire à nouveau pour
sept ans, s'ils le souhaitent. Vous, vous êtes élu pour quatre ans seulement, vous êtes en
campagne électorale permanente, vous ne trouvez pas que le système français a des avantages
par rapport au système américain ?

R - Le Président Clinton -

Peut-être ! Encore que le peuple américain soit plus jaloux de ses prérogatives. Il ne
veut laisser servir le Président que deux fois, quatre ans, c'est déjà pas mal. Dans mon cas, il
n'y a pas eu de lune de miel, ils ont tout de suite commencé à m'attaquer, mais cela fait partie
du système. La chose importante, c'est de garder l'oeil fixé sur les objectifs. Il y a des plus, il y
a des moins dans n'importe quel système, il n'y a pas de système politique parfait. Le défi
lancé à la démocratie, c'est que les gens soient assez mobilisés pour que les choses se fassent.
Il y a tellement de forces différentes qui s'opposent à ce qu'on fasse quoi que ce soit, que nous
devons nous concentrer sur le fait de bouger les choses. C'est toute mon orientation.

Q - C'est pour vous l'objectif de l'an 2000. Vous allez vous représenter la prochaine
fois ?

R - Le Président Clinton -

Oui, je veux que mon pays entre dans le XXIème siècle, fort, en bonne santé, pas
seulement économiquement mais spirituellement, je veux que nous ayons de vraies
communautés, je veux que nous soyons ensemble, bien que très différents. Voilà ce que je
veux, et je crois que c'est ce que nous voulons tous. C'est ça ce que devrait être la démocratie.

Q - Et, est-ce que vous pouvez imaginer qu'un jour votre épouse se présente à la
présidence ?

R - Le Président Clinton -

Je ne sais pas. C'est une dame qui est pleine de qualité, mais elle m'a toujours dit qu'elle
ne voulait pas être candidate, elle travaille beaucoup, elle fait beaucoup de choses dans tous
les domaines où elle a une croyance, mais elle a toujours dit qu'elle ne voulait pas être
candidate, et plus je vous vois, plus je suis de son avis.

R - Le Président -

En tout cas, j'entends le Président Clinton dire ce qu'il pense de la façon de faire pour
conduire son pays vers le progrès, chacun sa manière, nous le recevons ici, vraiment nous
sommes très contents de recevoir le Président et Mme Clinton.

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