Fiche du document numéro 12273

Num
12273
Date
Jeudi 18 août 1994
Amj
Taille
3264315
Surtitre
Bernard Stasi, parlementaire européen, de retour du Rwanda
Titre
« Les Français doivent rester »
Page
12-13
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Cote
n° 2555
Source
Type
Langue
FR
Citation
Bernard Stasi, maire CDS d'Epernay, vice-président de la commission Développement et Coopération du Parlement européen, vient de participer à une mission au Rwanda. Il en revient convaincu que le retrait de l’armée française, prévue pour le 22 août, serait une erreur lourde de conséquences. Et que le nouveau gouvernement de Kigali n'est pas unanimement prêt à entamer un processus de réconciliation nationale.

Quelle est votre première réaction, à chaud, à votre retour du Rwanda ?

Le souvenir de ce que j'ai ressenti au plus profond de moi: que la folie des hommes n'a pas de limite. (Sa voix baisse d'un cran.) Et la honte.

Quelle honte ?

La honte devant ceux qui sont morts et les milliers de ceux qui étaient en train de mourir à Goma. Ces milliers d'enfants. La honte parce que la communauté internationale, Par impuissance ou lâcheté, a tardé à réagir. Parce qu'en avril dernier, les grandes puissances se sont retirées Comme si elles disaient aux tueurs : « Vous pouvez y aller. » Et le message a été compris. Personne, sans doute, ne pouvait prévoir l'ampleur des massacres. Mais tout cela prouve que la communauté internationale n'a pas la volonté nécessaire pour prévenir et arrêter les conflits. D'ailleurs plus personne n'ose parler de nouvel ordre mondial. Les grandes puissances restent guidées par leurs propres intérêts égoïstes. Et c'est bien en cela, d'ailleurs, que l'Europe doit trancher, se mettre au service d'un certain nombre de valeurs.

A Kigali, vous avez rencontré le nouveau gouvernement rwandais. Quelle impression en avez-vous retiré ?

D'abord celle d'hommes un peu perdus. Parce qu'ils sont à la tête d'un pays vidé de la moitié de ses habitants. Et dans lequel plus rien ne fonctionne. Pas d'eau, pas de service public, d'électricité, d'administration, de téléphone. Rien.

Quelles sont selon vous leurs intentions sur l'avenir du Rwanda ?

C'est difficile à dire car le gouvernement est assez divisé. Y compris sur certains points fondamentaux comme la nécessité de réintégrer les soldats des FAR (Forces armées rwandaises) dans l'armée. Bien sûr, il faut châtier les responsables des massacres. Mais nous pensons aussi que le gouvernement doit tenir un discours d'union et de réconciliation nationale. Sinon les réfugiés ne reviendront pas. D'autant qu'il Sont soumis par les anciens responsables à une propagande scandaleuse, qui vise à les terroriser pour qu'ils ne rentrent pas.

Sous-entendez-vous que tout le FPR n'est pas prêt à la réconciliation?

Disons que certains, notamment le général Paul Kagamé, le véritable homme fort du nouveau régime, ont des positions dures. Mais qu'ils se méfient ! Ils sont minoritaires. Pour l'instant, ils ont gagné. Mais si la guerre reprend, si les milliers de soldats réfugiés se réarment contre eux, alors ce sera l'apocalypse. Et ce pays finira par ne plus exister.

Quel pessimisme !

Non, pour l'instant, je crois que le gouvernement a conscience que tout ça est allé trop loin, que le Rwanda doit retrouver la voie d'un certain apaisement. Mais il faut pour cela qu'il accueille les réfugiés. Qu'il réintègre les soldats, pas les milices. Et qu'il élargisse les bases du pouvoir — ce à quoi tous les dirigeants ne sont pas prêts. Leur tâche est difficile. Très difficile, Mais ont-ils vraiment le choix ?

Que pense le gouvernement de l'intervention française ?

Sur ce point aussi il est divisé, Paul Kagame supportait mal, par exemple, qu'Edouard Balladur se rende dans la zone de sécurité. Mais le Premier ministre rwandais, lui, reconnaît que l'armée française fait du bon travail.

Que pensez-vous, vous-même, du départ de l’armée prévu pour le 22 août ?

Qu'il serait très lourd de conséquences. Le responsable de la MINUAR (la force de l'ONU) lui-même, le général Dallaire, pourtant réservé au départ de l'intervention, reconnaît aujourd'hui que les Français seront difficiles à remplacer en quantité et en qualité. Il est inquiet. Comme la plu- part des Rwandais que j'ai rencontrés dans la zone de sécurité, à Gikengoro. Je crains pour ma part que, sur le terrain, cette inquiétude ne se transforme en pa- nique. Pour l'instant les miliciens se tiennent tranquilles. Mais ça peut changer très vite. Je l'ai écrit dès mon retour au Premier ministre, ainsi qu’à Alain Juppé et François Léotard. J'ai insisté sur les graves conséquences qu’entraînerait le départ des militaires français.

Propos recueillis par
DOMINIQUE SIGAUD

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024