Fiche du document numéro 14118

Num
14118
Date
Jeudi 30 juin 1994
Amj
Auteur
Taille
85458
Surtitre
Opinion
Titre
Opération « mauvaise conscience »
Cote
Nº1547
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le Nouvel Observateur. A votre avis, était-ce à la France
d'intervenir au Rwanda?

Jean-Michel Yung. Une intervention de type
armé était nécessaire. Mais que la France puisse intervenir seule ne
m'était même pas venu à l'esprit. Peut-être cherche-t-elle à se
racheter. L'engagement qu'elle vient de prendre est éminemment
périlleux et risque d'entraîner une série d'effets pervers.

N. O. L'opération française est présentée comme une intervention
humanitaire...

J.-M. Yung. Sur le terrain personne ne perçoit cette
intervention comme humanitaire. Pour que cette présentation fût
crédible, il eût fallu que l'initiative vienne de pays qui n'ont pas
soutenu le régime dictatorial de Juvénal Habyarimana, ni reconnu le
gouvernement intérimaire mis en place au lendemain de sa disparition.
Les Forces armées rwandaises (FAR), la garde présidentielle et les
milices qui massacrent les opposants au régime et les Tutsis, ont vu
d'un oeil très favorable l'arrivée des troupes françaises. De leur côté,
les partis d'opposition et le Front patriotique rwandais (FPR) se
méfient de la France, qui leur a raflé la victoire en 1990 alors qu'ils
étaient sur le point de renverser Habyarimana. J'ai recueilli le
témoignage de Rwandais sur des militaires français qui, en 1993,
participaient, sur les routes, aux contrôles d'identité aux côtés des
hommes de Habyarimana... D'où les doutes sur le caractère humanitaire
de l'intervention.

N. O. A quels effets pervers faites-vous allusion?

J.-M. Yung. Il suffira de peu de chose pour que les troupes
françaises affrontent celles du FPR. On court alors le risque d'une
division du pays entre les partisans de l'ancien régime, remis en selle
par la France, et le FPR. La situation actuelle serait gelée, mais
après le retrait des troupes françaises, les massacres reprendraient.
La France agissant sous le mandat de l'ONU, celle-ci serait discréditée
par un tel dérapage, et son opération, prévue pour le mois d'août,
gravement compromise.

N. O. Y a-t-il un risque d'extension du
conflit?

J.-M. Yung. Si les choses tournent mal, on peut craindre une
dégradation des rapports de la France avec l'OUA (Organisation de
l'Unité africaine), aux yeux de laquelle cette opération a un petit
parfum colonial. Au Zaïre, l'intervention française, qui tend à redorer
le blason de Mobutu en empruntant ses bases et en le mettant en avant
comme possible médiateur, est ressentie par l'opposition démocratique
comme une véritable ingérence dans les affaires intérieures. Il ne faut
pas se cacher que l'initiative française est de nature à déstabiliser
toute la région.

Propos recueillis par Anne Crignon (*)

Jean-Michel
Yung, chercheur à l'université de Montpellier, a fait de nombreux
séjours au Rwanda. Il a participé au lancement, dès le mois d'avril, de
l'« Appel pour l'arrêt immédiat du génocide au Rwanda et le soutien au
mouvement démocratique ». Il s'exprime ici à titre personnel.

Laurent Bijard

Le Nouvel Observateur

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