Fiche du document numéro 14119

Num
14119
Date
Jeudi 30 juin 1994
Amj
Taille
16499
Surtitre
Les clés du fiasco qui a conduit au génocide
Titre
Rwanda : la France est-elle coupable ?
Cote
Nº1547
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Voici les principales questions que l'on peut se poser sur l'origine de
l'intervention française au Rwanda et sur les raisons qui ont amené
Paris à partager, indirectement, la responsabilité du naufrage de tout
un pays.

Pourquoi la France est-elle intervenue dans cette guerre civile
opposantle régime de Kigali à ses adversaires politiques?

Au lendemain de l'indépendance du Rwanda, la France y a pris le relais
des Belges. A partir de 1973, les régimes français successifs ont
soutenu et armé la dictature du clan Habyarimana à Kigali. Cet
aveuglement ne peut pas se comprendre si l'on n'a pas présent à
l'esprit la perversion affairiste de la politique africaine de la
France depuis bientôt trente ans. Cette partie de la politique
extérieure échappe à tout contrôle démocratique. Elle est accaparée par
des réseaux d'intérêts où s'entremêlent des hommes politiques de tous
les partis et des responsables de grandes entreprises privées. Le
système fonctionne dans la semi-clandestinité, sur le mode du copinage
et de la corruption (1). L'impunité est garantie: aucun parti ne
dénonce ce Monopoly dans lequel ils sont presque tous gagnants.

C'est la raison pour laquelle aucun des grands « présidents-bunkers » de
l'Afrique francophone, ces dictateurs indéboulonnables du Cameroun, du
Zaïre, du Togo ou du Rwanda, pour ne citer que ceux-là, ne s'est
vraiment affolé quand François Mitterrand a introduit au sommet de La
Baule, en 1990, un timide appel à la démocratie. Chacun de ces
présidents a ses entrées particulières à l'Elysée, dont l'Afrique,
depuis le général de Gaulle et pour tous les présidents successifs, est
le domaine réservé. Juvénal Habyarimana, entre autres, se flattait
d'être l'ami personnel du chef de l'Etat français.

La vague de démocratisation a été rapidement jugulée dans la plupart
des pays. Sauf au Rwanda, où il y avait une opposition solidement
organisée sur les frontières du pays. En 1990, le régime dictatorial de
Kigali a failli être renversé une première fois par l'action armée du
FPR. Paris n'a pas hésité: on a soutenu le gouvernement en place. Un
dictateur francophone, bon catholique et bien tenu sous contrôle,
paraissait plus fiable que des exilés, devenus anglophones pendant leur
long séjour en Ouganda, et qu'aucun lien de copinage ni de corruption
ne liait aux réseaux parisiens.

François Schlosser

Le Nouvel Observateur

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