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La « boîte noire » n'était pas la « boîte noire ». A l'inverse de ce que
 nous avions écrit, l'objet métallique, rivé à un fragment de carlingue
 d'avion, rapporté du Rwanda et présenté à un journaliste du Monde par
 l'ex-capitaine Paul Barril (le Monde du 28 juin), n'est pas
 l'enregistreur de vol du Falcon 50 présidentiel abattu le 6 avril
 au-dessus de Kigali, à bord duquel ont péri les deux chefs d'Etat du
 Rwanda et du Burundi, Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira. Selon
 plusieurs spécialistes, la pièce détenue par l'ancien chef du GIGN
 (groupement d'intervention de la gendarmerie nationale) se rapprocherait
 d'un instrument électronique de navigation. Au vu des images filmées par
 France 2, au cours du journal de 13 heures du mardi 28 juin, où l'ancien
 gendarme montra à nouveau la pièce en sa possession, les techniciens de
 Dassault-Aviation, constructeur de l'appareil, pensent avoir identifié
 un « coupleur d'antennes », c'est-à-dire « une boîte permettant la
 jonction d'une antenne radioélectrique avec le système de navigation de
 l'appareil ». 
 
 «  Nous sommes certains, nous a ainsi indiqué le directeur de la
 communication de Dassault-Aviation, M. Cadix, qu'il ne s'agit ni d'un
 enregistreur de voix ni d'un enregistreur de paramètres, que l'on
 désigne généralement sous le terme générique de « boîte noire ». Moins
 volumineux qu'une « boîte noire » dont les proportions sont « à peu près
 celles d'une grosse boîte à chaussures », explique-t-on chez le
 constructeur, l'objet en question porte néanmoins des numéros de
 référence correspondant à un Falcon, qui peut donc fort bien être celui
 du président rwandais. Il ne saurait en revanche, compte tenu de sa
 nature véritable, apporter la moindre information sur les circonstances
 de l'attentat du 6 avril. 
 
 Faute d'indications supplémentaires, et en dépit de ce qu'affirment
 plusieurs sources, il faut donc, pour l'heure, en rester à la version
 officielle : la « boîte noire », la vraie, ne semble pas avoir été
 retrouvée parmi les débris de l'avion abattu. Il n'est au demeurant pas
 certain qu'elle ait jamais existé : s'agissant d'un avion civil même si
 son équipage était composé de trois coopérants français, dont au moins
 un ancien du GLAM (groupement de liaisons aériennes ministérielles),
 les règlements internationaux n'en imposaient pas la présence à bord.
 Chez Dassault-Aviation, qui assurait au Bourget l'entretien de l'avion
 rwandais (immatriculé 9X RNN), on confirme que, comme tous les appareils
 de ce type, celui-ci possédait les câblages nécessaires à l'installation
 d'un enregistreur de voix, consignant les conversations entre le pilote
 et la tour de contrôle. Mais on ajoute qu'au cours du dernier contrôle,
 en octobre 1993, « il n'y avait aucun enregistreur à bord ». 
 
 
« Brouiller les cartes »
 
 
 Les autres éléments (registres de l'aéroport de Kigali, bandes
 magnétiques de la tour de contrôle) rapportés par l'ancien du GIGN de
 ses deux équipées au Rwanda, à la mi-avril et au début du mois de mai,
 sont davantage pris au sérieux. Au point que certains officiels semblent
 avoir discrètement contacté Paul Barril afin d'en récupérer tout ou
 partie, ce que l'intéressé ne dément pas. « Ces pièces et ces documents,
 je suis allé les chercher sur place, à un moment où les Français avaient
 quitté le pays et où les combats faisaient rage, nous a déclaré
 l'ex-gendarme. Aujourd'hui, tout le monde voudrait que je m'en
 désaisisse. Mais je les réserve pour la justice. » Mandaté par la veuve
 du président Habyarimana pour trouver les coupables et les
 commanditaires de l'attentat, Paul Barril explique avoir été appelé par
 la famille « dans les heures qui ont suivi ». 
 
 Proche du président burundais Cyprien Ntaryamira, du maréchal Mobutu et
 de plusieurs autres chefs d'Etat africains, officier de réserve de la
 gendarmerie française reconverti dans la sécurité privée, après un
 passage bref mais remarqué au sein de la fameuse « cellule
 antiterroriste » de l'Elysée, Barril agit-il en même temps pour d'autres
 intérêts ? Difficile de répondre tant les parcimonieuses confidences de
 l'ex-capitaine doivent toujours être entendues avec précaution. De
 l'article du Canard enchaîné du 29 juin, qui le présentait comme étant
 « en mission pour l'Elysée », afin notamment de mettre la main sur les
 archives du président rwandais, il dit simplement qu'il s'agit d'une
 tentative de « brouiller les cartes ». 
 
 Depuis son départ de la « cellule », en 1983, les relations de
 l'ex-capitaine avec l'entourage de François Mitterrand ne sont pas au
 beau fixe. Selon certaines sources, l'intérêt de Paul Barril pour le
 Rwanda pourrait en revanche s'expliquer par sa rivalité avec un autre
 ancien de la « cellule », le commissaire Pierre-Yves Gilleron, ancien de
 la DST lui aussi reconverti dans la sécurité privée, qui fut un temps
 conseiller personnel du président rwandais... 
 
 La présence de ce spécialiste des aventures confuses, sinon douteuses,
 fut en tout cas fort remarquée lors du dernier sommet de l'OUA
 (Organisation de l'unité africaine), le 13 juin à Tunis, où l'on parla
 beaucoup, en coulisses, du Rwanda et du Burundi. Outre l'ancien
 super-gendarme, la famille du président Habyarimana a, depuis, mandaté
 un autre spécialiste des affaires africaines réputé encombrant, l'avocat
 Jacques Vergès, aux côtés de Me Hélène Clamagirand. Me Vergès et sa
 consoeur sont chargés de déposer devant la justice une plainte pour
 assassinat afin d'éclaircir les circonstances de l'attentat de Kigali
 qui, en coûtant la vie à deux chefs d'Etat, à plusieurs dignitaires
 rwandais et à trois membres d'équipage français, a donné le signal d'une
 guerre civile en même temps que, selon la Commission des droits de
 l'homme de l'ONU, d'un « génocide programmé et systématique ».