Fiche du document numéro 19082

Num
19082
Date
Samedi 9 avril 2016
Amj
Taille
178647
Titre
Panique aux Seychelles à l’approche de l’ouragan « Démocratie » (1)
Soustitre
L’archipel de l’océan indien n’est pas seulement la destination huppée des touristes occidentaux et des voyages de noces. Afrikarabia vous propose de regarder derrière son décor de plages et de cocotiers de mer, avec un grand reportage de notre envoyé spécial Jean-François Dupaquier. Premier article consacré à la violence politique aux Seychelles depuis l’indépendance.
Nom cité
Nom cité
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Lieu cité
Source
Type
Blog
Langue
FR
Citation
L’hebdomadaire Le Seychellois Hebdo titre en première page de son édition du 18 mars 2016 : « Is the victimisation axe starting to fall ? » (est-ce que la hache de la victimisation commence à tomber ? »). « Victimisation » est un terme anglais dont le créole seychellois fait un usage particulier. Il dit l’entrée de la personne dans l’ère de la sanction, de la punition, de l’exclusion. En cause ici, la démission forcée du numéro deux de la police, Godfra Hermitte, un haut fonctionnaire qui jusqu’ici en imposait. Devant la pesante propagande des médias d’Etat, les Seychellois qui bénéficient d’une connexion internet font plutôt confiance aux réseaux sociaux.

Ne pas trop en dire



Hermitte a annoncé lui-même sa mésaventure sur sa page Facebook. Son alternative était une rétrogradation comme chef de la prison Montagne Posée [la principale prison des Seychelles], ou le grand départ. Sur Facebook, le haut policier attribue vaguement son infortune à « l’administration Michel » histoire de ne pas s’en prendre trop directement à l’actuel président de la République James-Alix Michel . Ni de s’étendre sur les raisons de son limogeage. Le numéro 2 de la police est bien placé pour savoir que sa liberté d’expression est récente, et qu’il ne doit pas trop en dire. Il y a quelques années, le moindre écart de langage lui aurait coûté beaucoup plus cher.

« James Michel voit venir la fin de son système »



Après la longue dictature du président France-Albert René et de son parti unique le SPPF (« Seychelles People Progressive Front »), les Seychellois reçoivent avec une prudence teintée de crainte toute information politique inattendue. Jean-François Ferrari, 56 ans, un homme de belle prestance, nous reçoit dans son bureau qui jouxte le jardin botanique de Victoria, la capitale des Seychelles. Cet ancien journaliste, cadre du Parti National Seychellois – principal parti d’opposition -, commente l’affaire Godfra Hermitte : « A peine réélu au prix de nombreuses fraudes, le président James Michel commence à se débarrasser de tous les officiels suspectés d’avoir des liens avec l’opposition. Il voit venir la fin de son système ».

Quarante ans sans alternance politique !



Le Seychellois Hebdo tient la liste de ces « victimisés ». Premier par ordre chronologique, Timothé Sinon, chef exécutif (Chief Executive officer, CEO) de la Property Managemeng Company (PMC) un organisme d’État qui joue un rôle stratégique pour l’assise clientéliste du régime. A suivi Roselyne Houareau, patronne de l’agence de développement national humain (ANHRD), virée du jour au lendemain. « A qui le tour », demande l’hebdomadaire.

A l’origine de ce mini-tsunami dans le micro Etat des Seychelles, la laborieuse réélection de James Alix Michel le 19 décembre dernier. A Victoria, il n’y a jamais eu d’alternance politique démocratique depuis l’instauration de la République le jour de l’indépendance, le 29 juin 1976 – presque quarante ans –. Le premier président James Mancham, et avec lui la démocratie, n’ont pas fait long feu.

Londres concède l’indépendance en 1976



Plus qu’un président, Mancham était un play boy. Lorsqu’il ne se trouvait pas en visite d’Etat à l’étranger, il sillonnait les rues de Victoria dans sa Rolls décapotable en collectionneur d’aventures féminines. Les Seychelloises adoraient cet enjôleur. Il avait fondé en 1964 le Seychelles Democratic Party (SDP) qui caracolait en tête des scrutins locaux concédés par Londres, et ça suffisait à sa gloire. James Mancham ne voulait pas de problèmes. Il affichait sa loyauté à la Grande Bretagne. Il avait fallu la hargne de l’avocat France-Albert René, fondateur d’un parti rival, le Seychelles People’s United Parti (SPUP), pour que James Mancham réclame l’indépendance du bout des lèvres. Londres l’avait accordée en 1976. Il était temps.

Un admirateur de Kim Il sung aux commandes



Mancham se retrouve président de la République le jour de l’indépendance octroyée par la Grande Bretagne, le 28 juin 1976.

La colonie des Seychelles devient le 36e membre du Commonwealth et Paris inscrit d’office la nouvelle République aux sommets de la Francophonie (environ 30 % des Seychellois parlent français, leg de la colonisation française achevée en 1814).

James Mancham est partageur : il confie le poste de Premier ministre à l’avocat France-Albert René. Ce dernier est également un coureur de jupons invétéré, mais surtout un ambitieux en politique. L’archipel des Seychelles semble minuscule, avec ses 62 000 habitants répartis sur 115 îles et îlots. Mais il offre des sites paradisiaques pour les touristes et dispose d’une zone maritime exclusive très poissonneuse de plus d’un million de kilomètres carrés. Pendant que James Mancham batifole, son premier ministre, complote. France-Albert René s’empare du pouvoir par la force. Le 5 juin 1977 est une date noire pour les Seychellois, un peuple convivial et légèrement indolent. Incrédules, ils voient s’instaurer une démocratie populaire sous les cocotiers de mer.

France-Albert René admire Fidel Castro, Julius Nyerere et plus que quiconque Kim Il sung, le « Grand leader » nord coréen « Professeur de l’Humanité toute entière », « Chef bien-aimé », etc. Vite, il adore plastronner parmi les leaders des pays de la « ligne de front » contre l’impérialisme. Comme Kim Il sung, France-Albert René se voit bien en « Président éternel » des Seychelles et s’en donne les moyens. Le Seychelles People’s United Parti devient parti unique. Le régime se revendique marxiste, révolutionnaire et « non-aligné ». Transports collectifs et hôtels sont nationalisés. Une « armée populaire de sécurité » est mise en place avec des experts militaires venus de la « république socialiste sœur » de Tanzanie, tandis que Cuba dépêche médecins et spécialistes en « renseignement ».

Service national de pionniers



Comme en Corée du Nord, France-Albert René instaure un « Service national » de pionniers qu’il ne manque pas de faire visiter aux chefs d’Etat de passage. « Plusieurs grandes propriétés sont confisquées, ainsi que des maisons des opposants, raconte Jean-François Ferrari. Par la suite, personne ne devait avoir plus qu’une maison – sauf bien sûr quelques amis proches. Les îles de l’archipel qui ne sont pas habitées de façon permanente se retrouvent nationalisées, tout comme les transports publics et un certain nombre d’hôtels de luxe. Toujours au nom de la lutte anticolonialiste et nationaliste. France-Albert René se voulait un modèle parmi les « libérateurs », un modèle qui lui vaudrait une place dans l’histoire. »

Les touristes sont sacrés, pas les libertés publiques…



En 1977 le tourisme explose. Grâce à l’aéroport international de Mahé (cadeau de Londres en 1971), l’archipel accueille plus de cinquante mille touristes. Les Occidentaux qui se dorent sur les plages ignorent presque tout de la réalité politique et sociale des Seychelles. Mamelle de l’Etat, le touriste est sacré. Les Tontons Macoutes de tonton René ont ordre de ne pas les ennuyer.

L’envers du décor paradisiaque, du sable interminablement ratissé et du personnel aux petits soins, ce sont des suspects arrêtés, souvent torturés, parfois victimes d’assassinats « scénarisés » ou de « disparitions », destinés à provoquer la terreur muette de la population. A sa façon, le régime copie en carton-pâte la farce démocratique qui se joue derrière le rideau de fer et la Constitution de l’Union des Républiques Socialistes Soviétique, « la plus démocratique du monde » selon Joseph Staline et ses thuriféraires.

France-Albert René visite plusieurs fois la République Populaire Démocratique de Corée et prend des notes. Promulguée en 1979, la Constitution de la désormais « République socialiste souveraine des Seychelles » (RSSS) ne limite pas le nombre de mandats du président. L’opposition durablement « victimisée », le candidat unique France Albert René est plébiscité pour un quinquennat en 1979, un autre en 1984, puis en 1989, en 1993, en 1998… Et puis encore en septembre 2001, dans le cadre d’une bizarre élection présidentielle anticipée.

Mises en garde internationales



Le premier ministre britannique met sérieusement en garde le gouvernement seychellois contre une dérive qui pourrait le conduire à l’étatisation complète de l’économie et surtout à placer l’île entre les mains de réseaux financiers mafieux. « Le président était quand même malin et pragmatique. Il a compris qu’il risquait d’aller trop loin et de se mettre définitivement à dos la communauté internationale », commente Roger Mancienne, un « opposant historique » à la dictature. On parle à ce moment-là de « vent du changement ». Certains auteurs français de guides touristiques y voient l’influence du discours de la Baule, prononcé par François Mitterrand au sommet des chefs d’État africain en juillet 1990, où il annonçait que l’aide de la France serait subordonnée à l’ouverture d’un processus de démocratisation et de fin du régime de parti unique. En réalité, le rôle de la France est faible aux Seychelles. L’archipel figure dans les zones d’influence de la Grande-Bretagne. Et bien avant François Mitterrand, les Britanniques s’étaient montrés très critiques sur la dérive autoritaire des potentats africains.

L’inoxydable binôme René/Michel



France-Albert René, tout comme son homme lige, James-Alix Michel, doit finalement tenir compte de la quasi faillite économique du régime. « Les Seychellois ne sont pas les esclaves des touristes », avait proclamé martialement France-Albert René dans une de ses improvisations lyriques. Aussitôt, c’est la grève du zèle dans les hôtels. Le tourisme bat de l’aile. Titillé par les bailleurs de fonds, France Albert René s’est donné le luxe d’annoncer le retour du multipartisme en 1991 mais les bonnes vieilles méthodes d’intimidation, de clientélisme, de débauchage et de corruption continuent de faire merveille. A chaque élection législative, l’ex-parti unique SPPF ramasse la mise.

C’est un ennemi inattendu qui a finalement raison de l’inusable admirateur de Kim Il sung . La santé déclinante du « roi René » l’oblige à démissionner le 14 avril 2004. Mais tout est prévu. La réforme constitutionnelle de juin 1993 stipule qu’après trente mois d’exercice le président peut, pour toute raison, transférer son mandat à son vice-président.

France-Albert René fait cadeau à James-Alix Michel de son mandat présidentiel



Au fil des années, le vieux potentat a fait fuir à peu près tous les hommes de valeur qui l’entouraient, à commencer par Maxime Ferrari, ministre du Plan et des relations extérieures, qui lui remit sa lettre de démission le 15 juin 1984. Ce n’est pas un hasard si France Albert René a jeté son dévolu comme vice-président sur l’opportuniste James Alix Michel. Ce dernier a participé à toutes les intrigues, tous les mauvais coups, tous les revirements du despote. Mais il a aussi appris toutes les méthodes de clientélisme et de fraude électorale qui ont accompagné le « retour au pluralisme » en 1992.

De l’époque de la dictature communisante, les Seychelles ont conservé une politique sociale apparemment très avancée : éducation gratuite, même si elle n’est pas toujours de qualité, soins de santé également gratuits. L’évolution libérale plus récente y a ajouté une solide couche de clientélisme. L’État favorise l’accession à la propriété individuelle par des prêts bonifiés de l’ordre de 5 % (les taux des prêts bancaires habituels varient entre 10 et 11 %). Il n’est pas rare que le président téléphone personnellement à un chef de famille pour le féliciter d’avoir obtenu un prêt bonifié : « Allo, c’est pour te dire que tu vas avoir ta maison. J’espère que tu es content ».

De dictateur-terreur à dictateur-corrupteur



Ces méthodes, dans un archipel où tout le monde se connaît, ne sont pas inefficaces. A la présidentielle de juillet 2006, James Alix Michel est élu dès le premier tour avec 53,7%, des suffrages contre 45,7 % pour le leader de l’opposition, Wavel Ramkalawan. Des cartes électorales ont été achetées, des personnes ont bénéficié d’allocations sociales inexplicablement majorées avant le scrutin, des consignes de vote ont été données à des militaires, etc. Des trucages qui se répéteront aux scrutions suivants avec d’autant plus d’ampleur que Wavel Ramkalawan devient de plus en plus populaire.

Roger Mancienne soupire à la litanie des pratiques transmises par France-Albert René à James-Alix Michel. À 68 ans, Mancienne est considéré comme la mémoire vivante de la vie politique seychelloise, avec un parcours emblématique des cadres politiques et intellectuels condamnés à l’exil ou à la soumission au régime. Après des études aux Etats-Unis, il obtient un poste d’enseignant à Victoria puis de cadre au ministère de l’Education. Avant l’indépendance, il milite au syndicat enseignant mais se retrouve très vite après le coup d’Etat en désaccord avec le nouveau régime. Ce qui lui vaut « seulement » un emprisonnement de cinq semaines après le coup d’état de 1977. « France-Albert René se méfiait de beaucoup de monde ».

Relâché, on lui a fait comprendre qu’il aurait intérêt à se tenir tranquille. « J’ai pensé à un certain moment à m’expatrier, comme tant d’autres. J’ai préféré rester et le harcèlement n’a pas cessé, menaces par téléphone, policiers en faction devant ma maison, surveillance à tout moment, pas de travail bien sûr, etc. ». Cela ne l’a pas empêcher d’être l’un des fondateurs du principal parti d’opposition démocratique, le SNP.

La communauté internationale passe l’éponge sur l’incurie du régime



La passation de pouvoir de France-Albert René à son homme lige James-Alix Michel n’a guère fait évoluer les pratiques du régime. En 2006, à peine « légitimé » par un scrutin aussi truqué que les précédents, Michel fait matraquer ses opposants sur les marches de l’assemblée nationale, envoyant Wavel Ramkalawan et Jean-François Ferrari à l’hôpital.

En octobre 2008, atteinte de plein fouet par la crise financière internationale, la République des Seychelles est au bord de la faillite, incapable d’assurer le service de la dette qui s’élève alors à 800 millions de dollars – soit 175 % du PIB. Elle doit dévaluer de moitié la Roupie. En outre, la crise financière mondiale fait chuter le nombre de touristes, principale source de devises du pays.

L’année suivante, le Club de Paris et la République des Seychelles conviennent d’une annulation nominale de 45 % du stock de dette en échange d’un programme d’ajustement structurel contrôlé par le Fonds monétaire international (FMI).

La ligne rouge de « l’Etat-voyou »



Aux Seychelles, le Soleil a un double effet. Tandis que les corps rosâtres noircissent sous les rayons de l’astre diurne, l’argent noir, lui, blanchit à l’ombre des banques. On doit à la presse indépendante seychelloise la révélation d’un certain nombre de scandales qui, sans elle, seraient restés inconnus. Les Seychelles ont failli devenir à la fin du régime de France-Albert René une des principales plaques tournantes mondiales du blanchiment d’argent. Il a fallu l’intervention du Fonds monétaire international et d’autres institutions mondiales pour que le régime comprenne qu’il devrait modérer les appétits des grands réseaux financiers mafieux. Sans vraiment vouloir régler le problème (nous y reviendrons). Car les Occidentaux manifestent une certaine pusillanimité à l’égard du régime ex-marxiste, dont la conversion à la démocratie est en partie de façade. Les Britanniques pratiquent le « wait and see ». Washington a obtenu l’implication des Seychelles dans le réseau de bases aériennes secrètes en Afrique des Etats-Unis. Ces bases aériennes permettent aux renseignements américains de surveiller secrètement Al-Qaida et d’autres groupuscules terroristes ou rebelles depuis 2007. Une connivence rendue plus visible en 2011, lorsqu’un drone américain s’est écrasé lors d’un atterrissage raté sur l’aéroport international de Mahé.

Le double jeu inconséquent de Paris



Du côté de l’ambassade de France, c’est le double discours habituel. A Victoria, un registre a été ouvert en solidarité avec les journalistes de Charlie exterminés en janvier 2015, mais l’ambassadeur se refuse à soutenir les journalistes seychellois harcelés par le régime.
Roger Mancienne se montre circonspect face au mépris de l’ambassadeur pour toute l’opposition politique : « Les Français croient pouvoir ramener les Seychelles dans l’espace francophone. Ils ont peut-être espéré que leur soutien à la dictature leur vaudrait ce genre de récompense. Or il s’agit d’une ambition peu réalisable. Le français a de moins en moins de place dans les écoles, même si tous ceux qui parlent créole apprennent assez facilement le français. L’anglais est le créole resteront les langues nationales les plus couramment utilisées. La langue française peut tenir son rang grâce à la culture, mais je ne la vois pas s’imposer de nouveau. »

Des Seychellois excédés



À Victoria, c’est la question sociale qui commence à agiter les esprits. Et qui explique le « tsunami politique » de décembre dernier. Pour la première fois depuis l’indépendance, le président sortant, candidat de « Lepep » (« Le peuple », en créole, dernier nom de l’ex-parti unique), est mis en ballottage au premier tour avec 47,76 % des voix. Et au second tour, réélu avec seulement 193 voix devant son adversaire Wavel Ramkalawan, chef du Parti national. Ce dernier a immédiatement demandé un recomptage des voix, puis saisi la Cour constitutionnelle sur de nombreux cas d’irrégularités dans le scrutin. Celle-ci se prononcera le 31 mai.

Les élections législatives sont prévues avant la fin 2016. Pour le quarantième anniversaire de leur indépendance, les Seychellois entrevoient enfin une alternance démocratique.



Jean-François DUPAQUIER



Prochain article : une présidentielle truquée devant la Cour constitutionnelle des Seychelles





Seychelles : sous le sable, quelques cadavres…



Mai 2015, village de Bel Ombre. Ce magnifique site des Seychelles est très prisé des touristes, aussi un nouvel hôtel de luxe vient d’ouvrir. Le jardinier prépare les parterres de fleurs lorsque sa houe butte sur ce qui apparaît comme un morceau de mâchoire. Pas besoin, d’être médecin légiste pour comprendre qu’il s’agit d’un reste humain, qui plus est, récent. Le jardinier continue de creuser. Apparaît un crâne complet et au moins un étui de munition oxydé, de la taille de ceux qui approvisionnent les Kalachnikov de l’armée et de la police seycheliennes. Ainsi que des os. Au total, un squelette qui semble à peu près complet. Quelqu’un a été enterré ici comme un chien, à très faible profondeur, exécuté sur place au fusil mitrailleur.

Les « disparitions » commencent peu après le coup d’Etat



Le crâne découvert en mai 2015 au village de Bel Ombre © JF. Dupaquier

Bel Ombre est un minuscule district de l’ile de Mahé, peuplé de moins de 4 000 habitants, où tout le monde se connaît. La découverte du squelette rouvre une vieille blessure mémorielle. En septembre 1984 on avait retrouvé à une petite distance de la « scène du squelette » la voiture d’un nommé Alton Ah-Time . Il était un opposant notoire au président France-Albert René et à son régime inspiré de la Corée du Nord. Alton Ah-Time avait disparu à l’age de 29 ans.

Un villageois prend des photos des restes humains, d’autres exigent qu’un test ADN soit effectué. Le gouvernement de James Michel semble embarrassé. Des prélèvement sur des membres de la famille Ah-Time sont finalement envoyés à l’Ile Maurice avec des débris d’os. Et puis rien ne se passe. Il faudra l’insistance des familles pour que le gouvernement finisse par affirmer, après des mois, que l’ADN du squelette ne correspond pas à celui de la famille du disparu.

La terreur instaurée par le dictateur crypto-communiste s’est nourrie très tôt de « disparitions », apparemment scénarisées pour traumatiser la population. Tout aurait commencé à l’été 1977 avec un certain Hassan Ibrahim, connu sous le sobriquet de « Hassanali ». Sa voiture est retrouvée abandonnée portes ouvertes pratiquement au milieu de la chaussée à Saint-Louis, un autre district de l’ile de Mahé, situé à mi-chemin entre Victoria et Bel Ombre. « Hassanali » était un militant du SDP, le parti du président renversé.

Première liste



Maxime Ferrari, longtemps le numéro deux du régime, a dressé une courte liste de personnes mystérieusement disparues dans ses mémoires publiées après sa fuite en 1984[i] : « Je me souviens avoir demandé à Rolly Marie [NDLR : un haut responsable de l’armée qui avait participé au coup d’Etat] ce qui était arrivé, raconte Maxime Ferrari. Il m’a répondu être sûr que Hassan était parti se cacher pour endormir notre méfiance et nous faire perdre notre temps. »

Dans la nuit du 19 au 20 octobre 1982, on entendit une explosion près de la plage de Anse Forbans, à une trentaine de kilomètres au sud de Victoria. Le jour levé révéla un spectacle d’horreur : dans une voiture calcinée, les restes de deux jeunes hommes. Les enquêteurs prétendirent que les victimes manipulaient des explosifs, et insinuèrent qu’il s’agissait d’une bombe ayant explosé inopinément. « Des tracts et des autocollants du Mouvement pour la résistance, regroupant des exilés seychellois et dont l’objectif est le renversement du président France-Albert René, ont été retrouvés parmi les débris de la voiture » fit savoir le gouvernement à l’Agence France Presse[ii].

Torturés à mort puis brûlés



Il s’avéra que les morts étaient Simon Denousse, un jeune homme proche du SDP et son compagnon Mike Asher, un jeune Sud-Africain, présenté comme un agent secret chargé de préparer une nouvelle attaque de mercenaires.

Karl Saint-Ange, alors ministre de la Santé des Seychelles, vit les corps et confia des années plus tard à son ami Maxime Ferrari que les deux victimes n’avaient pas péri dans une explosion, comme le colportait la version officielle. Le rapport du médecin légiste révélait qu’ils avaient été brûlés après avoir été torturés à mort. Simon Denousse était rentré aux Seychelles à l’instigation du Mouvement pour la Résistance (MPR) basé à Londres. Ce mouvement était largement infiltré par les services de renseignement du régime de France-Albert René, et Simon Denousse a pu être signalé aux autorités qui lui ont tendu un guet-apens. C’était le scénario habituel.

Assassinats à l’étranger


La dictature seychelloise pratiquait alors largement la torture pour extorquer des aveux aux opposants réels ou supposés, mais aussi pour entretenir une atmosphère de terreur. Comme la Bulgarie, elle n’hésitait pas devant l’assassinat d’un opposant à l’étranger.

Ainsi l’exécution, le 29 octobre 1985, de Gérard Hoareau, principal opposant au régime, exilé en Grande-Bretagne. Il fut abattu par un tireur inconnu devant son domicile. Le gouvernement seychellois s’empressa de proclamer « ne pas être responsable » de l’assassinat. L’enquête de Scotland Yard pataugea « sans départager encore les mouvements d’opposition qui accusent les autorités de Victoria, et celles-ci, qui évoquent un règlement de comptes entre exilés ». Gérard Hoareau, venait d’être désigné à l’unanimité président du Mouvement national seychellois et avait annoncé « je ne vois pas comment nous pourrions envisager un retour à la démocratie sans une action militaire ». Son charisme inquiétait particulièrement le régime de France-Albert René. En octobre 1984, le congrès du parti unique avait accordé son soutien au dictateur pour entamer « toute action utile contre les ennemis de la révolution ».

L’exécution de Gérard Hoareau



Un an plus tard, Scotland Yard révéla que l’état seychellois espionnait Gérard Hoareau et son mouvement à Londres, et faisait poser des micros dans les locaux où ils se réunissaient. Le 13 septembre 1986, le président France-Albert René, reconnut dans une interview recueillie par La Lettre de l’océan Indien, qu’il a fait placer sur table d’écoute des opposants seychellois résidant en Grande-Bretagne et en France.

A la question du journaliste : Gérard Hoareau, était sur écoutes lors de son assassinat, à Londres, en novembre 1985 ?, France-Albert René répond benoîtement : « C’est troublant, mais il n’y a pas de lien. Si nous avions voulu assassiner Gérard Hoareau, ne pensez-vous pas que nous aurions enlevé les écoutes avant de le faire ? »

Dans la suite de l’interview, le président des Seychelles indique que les autorités britanniques n’ayant pas accepté sa demande de « surveiller » l’opposition seychelloise à Londres, il a fait « le nécessaire pour savoir ce qui se passait ».

A propos de la France, France-Albert René précise : « J’ai d’abord écrit au président Mitterrand pour l’alerter sur les activités de l’opposition en France… Les Américains, les Russes écoutent à travers le monde entier. Pourquoi n’aurions-nous pas le droit d’écouter aussi ? Et nous continuerons à écouter. »

« Nous continuerons à écouter »



Aux Seychelles sous le règne de France-Albert René, les rumeurs de coup d’Etat ont souvent servi de toile de fond à des révolutions de palais où le sang peut couler. Une affaire particulièrement « tordue » révèle la duplicité et l’absence de scrupules de James Michel, actuel président des Seychelles. Elle se déroule en septembre 1986. Il s’agit de se débarrasser d’un rival, celui qui apparaît alors comme le dauphin de France-Albert René, le colonel Olgivy Berlouis ministre de la défense. L’affaire est délicate car Berlouis est l’un des plus fidèles et des plus anciens compagnons de route du président René. Précisément depuis le 5 juin 1977 où il a joué un rôle déterminant pour renverser par la violence l’ancien président James Mancham.

Fausses rumeurs de coup d’Etat et vraies révolutions de palais



James Michel profite du moment où France-Albert René se trouve au Zimbabwe, au sommet des chefs d’Etat non-alignés. Le 12 septembre 1986, Michel lui annonce par téléphone qu’un nouveau coup d’État vient d’être déjoué. Il doit rentrer au plus tôt. James Michel affirme que, dans la nuit du mardi 9 au mercredi 10 septembre, il a envoyé des patrouilles militaires à Praslin, la deuxième île de l’archipel, où le complot aurait été préparé. Il accuse le ministre de la défense, le colonel Olgivy Berlouis et plusieurs hauts responsables de l’armée. Le président René rentre précipitamment à bord d’un avion spécialement affrété par l’Inde et convoque un conseil des ministres. Olgivy Berlouis est presque un intouchable. Il proteste de son innocence. Dans l’attente d’informations plus précises sur le coup d’Etat allégué, Berlouis doit démissionner du ministère de la Défense. Cette démission est officiellement annoncée le lendemain sur les ondes de Radio-Seychelles.

L’assassinat de Marjorie Baker



Quelques jours plus tard, on retrouve à son domicile le corps lardé de coups de couteau de Marjorie Baker, une journaliste très populaire de Radio Seychelles. Son amant, un certain Douglas Cedras, est aussitôt arrêté. Il crie son innocence et affirme que James Michel sait qui a tué Marjorie Baker. Selon certaines sources, elle était informée du scénario de la révolution de palais et il fallait la faire taire avant qu’elle ne parle au président.

Son assassinat pouvait aussi constituer un message clair sur le sort qui était réservé au colonel Olgivy Berlouis. Placé en résidence surveillée, ce dernier se trouva curieusement en mesure de quitter les Seychelles par le premier avion. Du complot présumé, il ne sera jamais questions. Les trois colonels de l’armée prétendument impliqués ne furent jamais traduits en justice.

Marjorie Baker est la dernière victime connue de la série de meurtres politiques et de disparitions inexpliquées qui ont émaillé la dictature de France-Albert René et de son âme damnée, James Michel, l’actuel « président démocratique » des Seychelles.



J.-F. D.



[i] Maxime Ferrari, Sunshine and Shadow, A personnal Story, Minerva Press, Londres, 1999 (épuisé), p. 169.

[ii] http://www.lemonde.fr/archives/article/1982/10/21/seychelles_2892246_1819218.html#FzEIDMBF7eWFE7kt.99

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