Fiche du document numéro 2083

Num
2083
Date
Mardi 5 juillet 1994
Amj
Taille
1707785
Surtitre
Face à la progression du FPR, l'opération «~Turquoise~» change de nature.
Titre
La France décide de s'interposer
Soustitre
A trente kilomètres de Butare, les soldats français ont reçu l'ordre de barrer la route aux rebelles. Certains redoutent d'être tombés dans un guêpier
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
«~{it Si le FPR menace les populations, nous tirerons dans le FPR
... sans état d'âme.}~» Il est 12h 50, hier, à Gikongoro, à une
trentaine de kilomètres à l'ouest de Butare, tombée la veille, comme
Kigali. Le colonel Didier Thibaut, commandant les éléments français de
la 11e division parachutiste, rassemble les journalistes présents. Il
leur annonce : «~{it Nous avons reçu l'ordre de rester à
Gikongoro. Nous allons empêcher les hommes en armes de menacer les
populations civiles, que ce soient les milices, les FAR, le FPR. Nous
restons à Gikongoro avec les moyens que nous avons à l'heure actuelle,
plus des renforts qui vont arriver bientôt ...}~» Le colonel ajoute
pour répondre à une question : «~{it C'est une opération humanitaire
au sens sécuritaire.}~»
Le matin même sur la route de Butare, les journalistes avaient pu
apercevoir des centaines de réfugiés fuyant vers le nord. Pauvres
hères portant des balluchons, poussant des bicyclettes surchargées,
camionnettes brinquebalantes sous le poids. Et pourtant, dans les
villages désertés, des hommes armés de machettes, de lances et même de
pics en bambou ont dressé des barrages. La peur se lit sur leur
visage. L'un d'eux brandit une grenade à manche de fabrication chinoise.
A 7 km de Butare un ultime barrage civil. Les hommes qui le tiennent
affirment que le FPR se trouve à 3 km. Les rebelles ont tiré toute la
nuit et une partie de la matinée. A la sortie est de Gikongoro, le
capitaine Eric Hervé, de la 11e DP, a installé un camion et deux
Jeep. Il attend. Les véhicules sont très bien armés : mitrailleuse AA
52, batteries de missile Milan. Le capitaine note que, depuis l'aube,
les soldats des FAR (Forces armées rwandaises) refluent vers
l'ouest. Ils n'ont plus de munitions alors qu'en face, les rebelles du
FPR, qui seraient au nombre de 2 000 selon certains renseignements,
auraient reçu des armes et des munitions.[...]
Plus en arrière, sur la route menant à Cyangugu, on tombe sur les
débris des FAR. C'est une armée en déroute dans le village de
Kigeme. Terrible spectacle de soldats vaincus, souvent blessés, en
proie à la peur et quasiment à la panique. Ils se traînent sur
l'herbe. Certains tremblent. Ils sont évacués par car. Pour eux, la
guerre est finie, alors qu'elle risque de commencer pour les Français.
[déroute des FAR]
Dans l'après-midi, des légionnaires du deuxième régiment étranger
d'infanterie de Nîmes, commandés par le capitaine Nicole, sont venus
rejoindre les éléments déjà en place à Gikongoro. Quant aux autres
Bérets verts, ceux de la 13e DPLE (demi-brigade de la Légion
étrangère) venus de Djibouti, ils se sont installés à la limite d'une
forêt voisine, un immense parc naturel, où gambadent les singes. Hier,
en fin de matinée, les légionnaires abattaient des arbres, creusaient
des trous individuels et aménageaient des emplacements de combat.
Plus de 300 000 réfugiés s'entassent dans cinq camps à proximité de
Gikongoro. Au camp de Cyanika, ils sont 50 000 rassemblés autour de
l'église Notre-Dame de la Paix. Ils sont hutus ou tutsis. Entre ces
malheureux, il n'y a pas de problème d'ethnie.
[évacuation orphelins de Butare, riposte des parachutistes français
contre le FPR]
La décision française d'hier a permis de franchir un nouvel échelon
dans l'escalade. Que se passera-t-il si le FPR se lance dans une
guerre d'usure, d'actions de commando, d'embuscades, au coeur d'une
jungle qu'il connaît bien?
On ne manquera pas, ici et là, de faire observer que la France se
range aux côtés du gouvernement, de ceux qui, durant trois mois, ont
transformé leur pays en un immense abattoir humain. Ici, les soldats
professionnels, qui ont reçu l'ordre de barrer la route aux hommes en
armes du FPR, ne se posent pas de question, même si certains peuvent
penser que la France est tombée dans un guêpier.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024