Fiche du document numéro 22219

Num
22219
Date
Mercredi 14 mai 1998
Amj
Taille
488534
Titre
Interrogatoire de Jean Kambanda - Cassette # 57 [Callixte Nzabonimana et les massacres dans la préfecture de Gitarama]
Nom cité
Source
Type
Audition judiciaire
Langue
FR
Citation
(0055598

Face A de la cassette # 57.

PD -C’est le point 8.4, donc c’est les quelques cas d’actions, de responsabilités personnelles de certains
acteurs politiques et militaires. 8.4.1. le ministre de la Jeunesse et du mouvement associatif, Callixte
Nzabonimana. La préfecture de Gitarama était presque à 100% du MDR, alors les Interahamwe y
retrouvaient très peu d’appui, le MRND n’était que très peu représenté au sein, au sein de cette préfecture.
Laquelle offrira la chance au MRND de se repositionner au détriment du MDR. Le principal artisan de ce
changement sera le ministre Callixte Nzabonimana, c’est dans ce contexte que les bourgmestres seront
limogés sous prétexte de leur lien avec le FPR, la réalité étant qu'ils étaient opposés au MRND. Il nous fut
impossible de faire opposition au niveau du gouvernement, car le MRND était majoritaire et le ministre
se servait de toutes ses ressources pour motiver ce limogeage. Il y a eu deux conséquences à cette décision,
les anciens bourgmestres du MDR se ralliaient informellement à la philosophie du MRND), les nouveaux,
eux, excellaient dans cette même philosophie pour démontrer qu’ils méritaient la place qu’ils venaient de
se faire attribuer. Ce phénomène explique la violence et l’ampleur des massacres dans la préfecture ainsi
que le retournement ou le changement d’opinion de bourgmestres reconnus comme étant opposés aux
massacres. Le ministre Callixte à la fin de chaque journée disait rentrer chez lui à Nyabukenge
[phonétique], à une trentaine de kilomètres de Gitarama. Il tenait des réunions pendant la nuit, visant, et
visitant les bourgmestres un à un afin d’organiser avec eux les massacres dans leurs communes. Il avait
trouvé refuge avec nous au Zaïre. J’ai survolé cette préfecture avant la fin du mois d’avril, lors d’un vol
de retour de Ruhiengeri et la Nyabarongo. J’ai vu plein de cadavres flotter, des maisons détruites partout,
comme il disait rentrer chez lui tous les soirs, je l’ai convoqué quelques jours après pour m’enquérir de sa
connaissance des gestes posés dans sa commune et l’aviser que les gens via mon service de renseignement
m'informaient de sa participation personnelle aux massacres. Il me répondait que c’était la population Hutu
qui était responsable, que lui n’y était pour rien. Je lui ai ordonné de se désolidariser des groupes de tueurs
en faisant une annonce à la radio, qu’il ne les soutenait pas. Je sais qu’il ne l’a, qu’il l’a fait de façon
nuancée et peu convaincante. D’autre part, je crois qu’il était déjà trop tard pour les Tutsi de cette
préfecture qui n’avaient pas eu, qui n’avaient pas pu se réfugier à Kabgayi. Après avoir fait éliminer les
Tutsi, il commençait à s’en prendre aux Hutu qui étaient ses opposants politiques, spécifiquement ceux du
MDR. Il n’a pas pu éliminer de Hutu car ceux-ci ont menacé de s’en prendre à ses proches si il s’attaquait
à eux. En réponse à leurs menaces, il est venu se plaindre à moi. Même s’il le savait, ce type, éliminer des

populations Tutsi, il n’avait pas le poids politique pour faire cesser ces massacres alors j'ai fermé les yeux



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sur ses activités. À la suite d’une invitation, je me suis même, je me suis même, à cette période, rendu à
son domicile de Nyabukenge vers juin 94, ce qui a pu être interprété comme une caution aux gestes qu'il
avait posés.

PD -Cette lecture, c’est un sommaire des activités ou des implications personnelles du ministre Callixte.
JK -Oui.

PD -Marcel, tu...

MD -Oui, je veux juste terminer ça.

PD -Lorsqu'on parle du limogeage des bourgmestres dans la préfecture de Gitarama, c’est à quelle

période exactement que ça arrive ça ?

JK -C’est au mois d’avril.

PD En avril? .

JK -Oui.

PD -Est-ce que c'était avant votre arrivée à titre de gouvernement ou...

JK -Non, c’est après.

PD -C’est après. Est-ce que vous vous souvenez quels bourgmestres furent limogés et quels

bourgmestres furent.
JK -Je, je m'en souviens pas mais j’ai en mémoire le bourgmestre de Nyabikenge, dans sa propre
commune par exemple.

PD -Qui était ?

JK -Je n’ai pas, je ne le connaissais pas.

PD -Ok. Qui lui fut limogé ?

JK -Oui.

PD -Est-ce qu’il y avait une conséquence au limogeage ?

JK -Oui.

PD -Qui était ?

JK -Que les, les massacres s’amplifiaient dans les communes où les bourgmestres étaient écartés.
PD -Les massacres s’amplifiaient, Donc, la raison évoquée pour le limogeage.. c’était une décision

gouvernementale, ça de changer un bourgmestre ?
JK Je dirai, c’est. formellement oui, mais c’était plus une décision des partis politiques qu’une

décision du gouvernement, parce que dans la mesure où les propositions venaient de, des partis politiques,



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avec l’accord du ministre de l’Intérieur qui présentait le dossier au niveau du gouvernement, et
généralement au niveau du gouvernement, on ne pouvait pas discuter dans la mesure où on ne connaissait
pas les gens, les individus qui, dont il était question. Il y avait qu’à la préfecture, les gens de la préfecture
et plus précisément de la commune qui étaient intéressés et les partis politiques qui avaient présenté le

candidat. Mais au niveau du gouvernement, les gens n’étaient même pas intéressés par les bourgmestres.

PD -Mais, en finalité, c’était quand même une décision gouvernementale ?
JK -C'était une décision gouvernementale, formellement c’est le gouvernement qui nomme les
bourgmestres.

PD -Peu importe si vous... si vous étiez personnellement impliqués ou non personnellement impliqué
dans la décision à titre d’individu, comme membre du gouvernement, c’était une décision gouvernementale.
JK -C’était une décision gouvernementale mais j’explique que vous ne pouviez pas connaître tous les
bourgmestres, il y en avait 140, donc si on vous présente un bourgmestre d’une commune donnée, pour
vous, vous, vous posez la question au représentant à la limite de votre parti, dans la région, si il le connaît
où si, si, si il a une objection, mais vous, pour vous l’individu n’a aucune valeur.

PD -N’a aucune valeur. Alors, les, on peut dire qu’il est recommandé par un ministre.

JK -Il est recommandé par un parti politique d’abord.

PD -Par un parti politique...

JK -Et puis il est présenté au niveau du gouvernement par un ministre.

PD -Parun ministre, puis la décision est acceptée selon les recommandations puis les présentations qui
sont faites par le ministre.

JK -Voilà.

PD -Ok. Mais le principal intervenant dans ce cas-là c’est le parti politique ?

IK -Le parti politique, puisque chaque bourgmestre devait dépendre d’un parti politique.

PD -Ok. Le.

MD -Quandici, le do. oui, VAs-y.…

PD -Non, non.

MD -Le dossier, c’est juste; ça t’ennuie pas ?

PD -Oui.

MD -Le dossier était monté par le parti politique, le dossier qui était présenté au gouvernement et que

le gouvernement se servait pour prendre la décision, était monté par le parti politique ?



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JK “Oui.
MD -Ok.
PD -Pouvez-vous expliquer la, ce que vous dites dans les premières lignes, quand vous dites le

repositionnement du... et l’alignement à la doctrine du MRND), les gens du MDR qui étaient, qui étaient
majoritaires dans la préfecture de Gitarama, qui se sont par la suite alignés derrière le, la philosophie ou
l'idéologie MRND et derrière ce parti politique-là ?

JK -Non, parce que il y a eu des cas où, au début, au mois d’avril, on cite notamment le cas du
bourgmestre de la commune de Taba, où effectivement les, les bourgmestres avaient organisé la population

pour se défendre contre les attaques des Interahamwe. Il y a eu ces cas.

PD -Pouvez-vous nous le nommer ce bourgmestre-là ?

JK -Akayezu. ,

PD -Ok. Monsieur Akayezu, qui était de quel parti politique ?

JK -DuMDR.

PD -Qui était de votre parti politique ?

JK -Oui.

PD -Ok.

JK Et où, où effectivement les bourgmestres avaient sensibilisé la population pour s’opposer aux

Interahamwe. Et...

PD -Aux Inferahamwe, représentant le MRND ?

JK -Le MRND. Et, la plupart du temps, qui venaient d’autres préfectures dans la mesure où dans la
préfecture de Gitarama, il y en avait très peu. Ils étaient, ils étaient sous-représentés par rapport à
l’ensemble de la population. Donc ils devaient recevoir des renforts venant d’autres préfectures. Ce qui fait
que les, au début, les bourgmestres, effectivement, et la popu... avec leur population étaient suffisamment
forts pour, disons, contrer leurs actions, notamment au niveau des massacres. Mais quand on remplaçait
un bourgmestre, ça veut dire que c’était un désaveu par rapport à son action. Ce qui fait que la population
changeait, comprenait que les actions que l’on menait n’étaient pas soutenues ou soutenables et que donc
ils devaient maintenant changer tout à fait.

PD -Ok.Ona, on a le cas d’un bourgmestre, vous nous avez nommé le cas du bourgmestre de Taba.
JK -Oui.

PD -Lui, est-ce qu’il a été démis ?



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JK -Iln’a pas été démis.
PD -Ok. Comment a-t-il fait pour ne pas être démis ?
JK -C’est la deuxième partie, peut-être que de lui-même il a changé, donc c’est à dire que il n’a pas,

il n’a pas été nécessaire de le démettre dans la mesure où ayant compris ce qu’il se passait dans d’autres

communes, il s’est mis à lui... je crois qu’il s’est retourné par lui-même.

PD -Ok. Quand vous dites “il s’est retourné par lui-même”, il s’est retourné à faire quoi ?

JK -A cautionner les massacres et à les faire faire dans sa commune.

PD -Ok. Donc, la seule façon de demeurer bourgmestre, c’était de cautionner les massacres ?

JK -Oui.

PD -Les gens qui étaient placés là, est-ce qu’à ce moment-là c’était le MRND qui le plaçait ou c’était
le MDR qui le plaçaïit ? .

JK -H était difficile pour le MDR de les placer dans la mesure où il ne contrôlait pas le, les structures

de nomination, il ne contrôlait pas le ministère de l’Intérieur par où ça passait, il ne contrôlait pas le
gouvernement, et puis comme c’était une préfecture où le MRND se sentait affaibli, il avait intérêt à se
renforcer, à profiter de cette. disons de cette occasion pour se renforcer, parce que de tous les
bourgmestres, il y en avait pas un seul qui était du MRND à l’époque.
PD -On parle avant la période génocidaire, il y avait pas de bourgmestre du MRND ?
JK -Non.
PD -Pendant la période génocidaire, le MRND intervient de façon suffisamment forte pour faire
nommer des bourgmestres qui lui sont fidèles ?

.JK -Oui. Ou alors pour faire changer ceux qui ne lui sont pas fidèles, ceux qui étaient là mais qui, qui
appartenaient à d’autres partis.
PD Alors là, s’ils adoptent la philosophie puis la, les positions du MRND), ce sont quoi les positions
qu’ils doivent adopter pour demeurer là, ce sont les positions qu’ Akayezu a adoptées ?
JK “Oui
PD -On doit cautionner les massacres ?
JK -Oui.
PD -Et voir à l’élimination des Tu... des populations Tutsi ? Ok. Est-ce que dans ces communes-là, il
est question d’éliminer les Hutu modérés aussi, les opposants politiques ?

JK -On n’a jamais dit, il n’a jamais été question officiellement d'éliminer les Tutsi. Donc il était



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question d'éliminer les, les ennemis de la République ou de la démocratie, mais donc le... c’était sous- entendu que s’il y avait des Hutu qui ne partageaient pas le même point de vue, ils étaient également éliminés, mais c’était plutôt rare.

PD -Ok, parce que là vous avez dit les Tutsi, là au tout début vous avez commencé en disant les Tutsi,
qu’il était pas question d’éliminer les Tutsi...

JK -Tutsi, officiellement il y a pas eu un discours où on a dit “l’objectif c’est d’aller éliminer les Tutsi”, donc c’était, les gens savaient qui il fallait éliminer sans qu’on puisse nécessairement le nommer.

PD -Sans le nommer exactement, les gens savaient que la finalité, les gens qu’il fallait qu’ils éliminent
c'était l’ethnie Tutsi ? |

JK -Les Tutsi. Mais ça pouvait également être des Hutu qui, qui, qui les défendaient.

PD -Les Hutu qui auraient pu partager... ce qu’on appelle aujourd’hui les Hutu modérés.

JK -Oui. |

PD -Ok. Est-ce qu’effectivement dans cette préfecture-là il a été, il y a eu des Hutu modérés qui ont été
éliminés ? |

JK -Je n’en connais pas. Mais je n’ai pas fait le recensement pour savoir si les personnes qui ont été
tuées étaient des. uniquement des Tutsi ou s’il y a eu des Hutu qui sont morts, je sais que des Hutu sont
morts pour s’être opposés aux massacres. Ÿ compris dans cette préfecture. Mais je ne peux pas préciser.
PD -Vous êtes incapable de préciser aujourd’hui.

MD -On doit. heu, c’était quand même, heu, c’était quand même, le, le MDR était très fort dans cette
région.

JK -Oui, le MDR était très fort.

MD Et tout à coup, avec le début des massacres, le MDR n’a plus ce pouvoir, n’a plus de pouvoir, il
perd ses pouvoirs parce que le MRND est en mesure de, de, de faire lui-même la sélection de ses
bourgmestres.

JK -Personnellement c’est, heu, la constatation que j’ai faite, c'est ce que j’ai reproché aux
responsables du MDR et je l’ai dit à la radio, que eux ils se sont cachés, il y avait notamment le, la, le vice-
président du MDR de la région, il était de la région, donc c’était quelqu'un de. qui a, qui a, qui avait, qui
est un ancien premier ministre, donc qui était très influent, et au lieu peut-être de se manifester et de
renforcer un peu le groupe du MDR à Gitarama, il a disparu et il s’est caché, ce qui a fait que les, les gens

se sont sentis très affaiblis, et n’ont pu que, n’ont pu faire poursuivre le MRND.



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MD -H y avait plus personne pour les diriger ?

JK -Oui.

MD -Est-ce que, est-ce qu’il y avait d’autres régions du pays aussi où le MDR était, était fort avant le
début de, des, des massacres ? Est-ce qu’il y avait aussi d’autres.

JK -Gitarama c’était la région où le MDR était le plus fort...

MD -C’était la région la plus forte.

JK -I1 était assez fort du côté de Kibuye aussi.

MD -Alors on doit, on doit comprendre que le MDR ou les autres partis politiques, après le début des
événements, ont perdu tout leur pouvoir, le MDR, 1e MRND s’est vraiment imposé comme étant le, le, le
leader et on a dû se rallier à eux ?

JK -C’est ce qu’il s’est passé et c’est peut-être ça qui explique, disons, l'ampleur et les, comment ça
s’est géné... d’après moi comment ça s’est généralisé parce que les leaders des autres partis politiques n’ont
pas osé se. prendre position. Ils se sont soit ralliés, ou ils se sont cachés.

MD -Est-ce que vous en connaissez des leaders politiques qui ont, qui ont tenté de, de se tenir et de,
d’imposer leur vue, de maintenir les lignes du parti ?

JK -Je n’en connais personnellement pas. Les seuls qui, qui, disons, qui aujourd’hui se présentent
comme n’ayant rien fait c’est qu’ils n’ont effectivement rien fait, ils se sont tout simplement cachés.
Alors... et je me suis dit que s’ils étaient intervenus, tout au début, et notamment dans des régions où ils
étaient assez forts, parce que si vous avez tous les bourgmestres, toute la population, vous pouvez quand
même faire entendre votre voix, que la situation aurait certainement pu heu... être changée, d’autant plus
qu’ils avaient le soutien de la population.

MD Et vous comme premier ministre, vous voyez, vous voyez faire ça, vous voyez que ces choses-là
arrivaient, est-ce que vous aviez des moyens d'intervenir ? Est-ce que vous aviez des moyens de, de, de
communiquer, d’aller voir ces gens-là, puis de, de...

JK -J'ai essayé mais ils avaient... la... ils avaient tellement peur qu’en fait ils ne voulaient pas que je
les voie. Quelque part ils ne souhaitaient pas qu’on les rencontre. Parce qu'ils ne voulaient pas s’engager.
PD -Mais on... est-ce qu’il-est exact de dire que pour faire de la politique au Rwanda à ce moment-là
on doit... on doit adopter la poli. la philosophie du MRND, qu’il y a pas de place pour l’opposition ?
JK Pour survivre oui. Pour survivre oui, si on ne le fait pas on ne survit pas ou en tous cas il y a pas

eu un mouvement... je crois que ça aurait pu se faire autrement, parce que s’il y avait eu un mouvement de



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masse, pour le refus, je crois que ça aurait été possible. Plutôt s’il y aurait eu certainement des victimes,
mais ça aurait été possible, mais ce mouvement-là n’a pas été, n’a pas eu lieu.

PD -Mais les politiciens de cette époque-là, c’était pas des gens qui étaient anti-MRND), c'était des gens
qui étaient pro-MRND ?

JK -Jene dirai pas à 100%, de cette manière là, c’est à dire que les. ils le sont peut-être devenus par
opportunisme ou par crainte ou par je ne sais par quel moyen, ils le sont devenus, maïs je ne dis pas que
fondamentalement ils étaient nécessairement tous aussi, aussi tranchés que, que ça.

MD -Dans les bourgmestres qui ont, qui ont été limogés, est-ce que certains d’entre eux ont aussi été
éliminés ?

JK -Je n’en ai pas été informé mais ça ne me surprendrait pas.

MD -Parce qu’on invoquait, on invoquait leur lien avec le FPR, donc ils étaient des ennemis ?

JK -C’est à dire c’était, c'était une façon, une formule consacrée pour pouvoir les élimi.. les limoger,
mais on savait que ce n’était pas vrai. Moi personnellement, je savais que ces bourgmestres-là étaient
éliminés parce qu’ils étaient du MRN... du MDR. Donc je savais qu’ils n’avaient rien à voir avec le FPR.
MD -Est-ce qu’ils étaient tous Hutu ?

JK -Ilsétaient Hutu.

MD -Tous ?

JK -Je ne connais, je n’en connaissais pas qui étaient Tutsi. Ils étaient Hutu.

MD -Alors, leur.

JK -La plupart se sont même retrouvés comme réfugiés.

MD -Ah oui. Est-ce que certains d’entre eux ont... ont tenté de résister ou ont, ont protesté ?

JK -Au début oui. Mais, quand les, Les massacres se sont intensifiés, ils ont eu peur, ils n’ont pas pu
résister.

MD -Il n’était pas dans le, dans le processus du gouvernement de discuter avec ces gens-là, lorsqu’on,
lorsqu'on les limogeait c’était fait sans, sans, sans qu'ils aient aucune chance de s’expliquer ou de, de
répondre aux accusations ou de tenter de, de, de se justifier, c’était pas dans.

JK Ils ne pouvaient pas se-justifier. Ils n’avaient même pas... il n’y avait pas une place pour se justifier.
MD -Et c'était pas nécessairement recommandable ou recommandé non plus ?

K -Ils ne pouvaient pas, le, la situation était telle qu’ils ne pouvaient pas se justifier.

PD -A cette période-là, le fait de les accuser d’être, d’avoir des liens avec le FPR, c'était. c’était final?



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JK -Oui.

PD -C’était une raison justifiant un limogeage, justifiant n’importe quoi ?
JK -Oui.

PD -Ok.

MD -Les, les critères qu’on se servait pour recommander les nouveaux, les remplaçants, les nouveaux
bourgmestres, est-ce que, est-ce que c’était quelque chose qui était. est-ce que ça devait être énuméré
lorsqu'on les présentait, est-ce qu’on devait, est-ce qu’on devait énumérer les, les qualités de ces personnes-
là, de quelle façon que ça se faisait ?

JK -Les qualités peut-être non, dans la mesure où les, les seules qualités qu’on pouvait dire c’était la,
l’expérience professionnelle, les études, etc, ça tout le monde avait. Et que les, c’est surtout ce qu’on ne
disait pas qui était le plus important. Donc le, la qualité était déjà discutée à la base avant la présentation
du candidat.

MD -Vous autres au gouvernement, comme gouvernement là qui deviez, qui deviez entériner ces choses-
là, vous saviez très bien qu'est-ce qui en était, vous saviez que ces gens-là, les gens que vous nommiez,
vous saviez pour quelle raison ils étaient nommés ?

JK -Moi, je ne peux pas répondre pour les autres. Je peux répondre pour moi, mais oui, moi je savais.
MD -Vous saviez. Vous saviez et heu... il y a sûrement, il y en a sûrement plusieurs au gouvernement
qui savaient aussi, qui étaient, qui étaient probablement aussi ouverts d’esprit que vous, qui, qui voyaient
les choses se passer. Parce que c’était politique, c'était, c’était, c’était défini. c’était fait par un parti
politique, donc on ne pouvait pas douter de, de, on ne pouvait pas douter de la suite qu’on espérait en
nommant ces gens-là ?

JK -Ça dépend, pour moi-même, oui.

MD -Oui. Vous nous dites que le principal artisan de ce changement était le ministre Callixte.

JK -Oui.

MD _-Est-ce que lui a fait toutes les recommanda.... est-ce que c’est, c’est de lui que viennent toutes les
recommandations ?

JK -Pratiquement, dans Gitarama oui, parce que c’est le seul ministre de Gitarama.

MD -C’était le seul, alors c’est lui qui est... Est-ce que vous avez eu, vous nous dites que vous avez eu
des, vous avez, vous avez eu à le rencontrer.

JK -Oui.



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PD -Ilétait de quel parti politique Callixte ? |
JK -Il était du MRND.
PD -Du MRND, ok.
MD -Vous avez eu à le rencontrer pour discuter de, de ce que vous entendiez dire sur son compte ?
JK -Oui. Parce que les, les gens trouvaient que c’était trop. Donc ça se discutait même en dehors du
gouvernement, que ils trouvaient que c’était indécent de la part d’un ministre de se promener sur les
collines avec les gens qui vont tuer.
MD -De façon aussi ouverte ?
JK -De façon aussi visible, ce n’était, ils utilisaient le terme ‘indigne’. Que c’était indigne d’un membre
du gouvernement.
MD -Vous, c’est dans, c’est dans cette optique-là que vous l’avez rencontré ? Parce que ça a été apporté
à votre attention, vous étiez... et ça, ça, ça jetait, ça jetait..
JK -Undiscrédit.
MD -Discrédit sur le gouvernement ?
JK -Oui.
MD -Et, heu, est-ce que vous étiez seul lorsque vous avez eu à le rencontrer ?
JK -Je crois que j'étais seul, je ne crois pas que se puisse être une affaire qui soit discutée à plusieurs,
mais j’en avais déjà discuté avec d’autres personnes, dont. notamment de mon parti.
MD -Et quelle était son attitude à lui ?
JK -Pardon ?
MD -Quelle était son attitude lors de la rencontre ? Est-ce que, est-ce que...
JK -C’est à dire que lui il disait que il, ce qu’on dit est faux, que tout ce qu’il fait c’est que il assume
ses responsabilités en tant que quelqu'un qui a été nommé pour pacifier la, sa région, que peut-être ce qu’on
lui reproche c’est que lui il visite effectivement les bourgmestres etc. Mais je lui ai dit que on l’associait
dans tous les groupes qui tuaient. J'ai même demandé, je lui ai demandé personnellement que lui
intervienne pour que il dise publiquement à la radio que lui ne participe pas.
MD -Oui.
JK -.. aux massacres, que lui, qu’il prenne la parole pour le dire.
MD -Mais vous nous dites que sa, son intervention a été...

JK -Ça n’a pas été une intervention, en tous cas, ça n’a pas apporté de changement par rapport à ce que



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je pensais, à ce que tout le monde pensait.

MD -Est-ce que vous avez discuté lors de cette rencontre-là, justement de, de ses recommandations de,
de nomination des nouveaux bourgmestres ?

JK -C'était beaucoup plus compliqué pour moi dans la mesure où ce n’était pas ma préfecture, je ne
connaissais pas les gens qui se faisaient nommer, donc je ne pouvais pas intervenir pour dire celui-là est
bon, celui-là il est mauvais dans la mesure où c’était, où lui il le faisait dans un contexte local, il connaissait
les gens, il connaissait tout le monde, moi je ne les connaissais pas, moi je le faisais plutôt dans un contexte
global. Donc l’image qu’il avait c’était le fait que de toutes façons on était en train... si j'étais intervenu
directement, il m’aurait accusé d’être en train de soutenir des gens de mon parti. Ce que j'ai regretté à
l’époque, c’est que les, les responsables de mon parti, dans la préfecture, ne se sont pas manifestés, ne
serait-ce qu’à moi, pour qu’on en discute pour que eux ils puissent intervenir. Ils ont préféré se... se retirer
de la circulation, ce qui fait que il y avait même pas de contre-poids. Le MDR n'existait plus dans la
préfecture. |

MD -Mais les... ni aucun autre parti politique d’ailleurs ?

JK -Non, aucun autre parti po. puisque de toutes façons dans la préfecture c’était le MDR presque à
100%. Donc il y a... il y avait pas de contre-poids.

MD -Par contre, vous étiez en mesure de lui dire que tous les bourgmestres qui avaient été nommés,
recommandés par lui, depuis leur entrée en fonction, que les massacres étaient, étaient, avaient débuté,
étaient, étaient. beaucoup plus intenses ?

JK -Oui. Ça je le lui ai dit.

MD -Ça vous lui avez dit. Et quelle était sa position là-dessus ?

JK -Non, lui il parlait de révolution, il... ce n’était pas. on n’était pas, on n’avait.. on ne pouvait pas
dialoguer disons, que on n’avait pas les mêmes préoccupations.

MD -Est-ce que ouvertement cet homme-là se prononçait heu, comme anti-Tutsi ou, heu, est-ce qu’il...
est-ce qu’il prenait position ?

JK -Tout son comportement n’était que ça. Je n’ai pas, je n’ai pas senti du tout, pendant les trois mois,
un comportement autre qu’un comportement anti-Tutsi.

MD -Est-ce que c’est.

JK -Et même sans nuance.

MD Sans ñuance. Dans ses, ses entretiens, dans ses paroles, dans ses interventions, c'était clair ?

JK -Ce n’était pas. je dirai que c’était même pas intelligent.



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MD -Oui, c'était pas subtil ? |
K -Non.
PD -C’était direct ? Oui ? C’est bon ? Alors, moi, heu, de quelle, de quelle source d’information, vous
l'avez précisé un peu, mais est-ce que vous avez des faits précis pouvant nous apporter qu’il... il a été porté
à votre connaissance qu’il visitait les bourgmestres un à un, est-ce qu’il y a des, certains bourgmestres de
votre parti politique qui seraient venus vous voir, ah, on va devoir cesser...
MD -On est. les gardes sont ici, pour heu, pour nous escorter à l’extérieur, alors notre séance

d’enregistrement doit se terminer à l’instant même. Il est...

Voix enregistrée -eight-fifteen-twenty-five and fifty seconds.

MD -Sixty…

Voix enregistrée -may-fourteen-nineteen-ninety-eight-sixteen-twenty-six-precisely. .

PD -Alors 16 heures 26, on cesse l’enregistrement, heu... nos gardes sont ici pour nous escorter. A
demain. |

JK -À demain.
Fin de la face A de la cassette #57.

Face B de la cassette # 57 : Vierge.



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