Fiche du document numéro 24916

Num
24916
Date
Vendredi 1er mars 1996
Amj
Auteur
Taille
23168
Titre
Paris va-t-il enfin « adapter » sa législation ?
Soustitre
Le projet de loi en attente fait référence à une résolution de l'ONU de... novembre 1994. Il pourrait être transmis au Parlement « dans les semaines à venir », fait savoir le Quai d'Orsay.
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
LE gouvernement français a, dans un premier temps, traîné des pieds pour reconnaître la réalité du génocide perpétré en 1994 au Rwanda, à l'initiative de l'ex-parti unique, MRND, qui avait, jusqu'au début des années quatre-vingt-dix, bénéficié de son soutien politique et financier. Puis, dans les années suivantes, de son soutien militaire, alors que les massacres « ethniques » se multipliaient, véritables répétitions générales des atrocités qui allaient se généraliser entre avril et juillet 1994: près d'un million de martyrs, principalement les familles de la minorité tutsi, mais aussi des dizaines et dizaines de milliers de familles hutu, dont un membre avait osé s'affilier à l'un des partis d'opposition à la dictature Habyarimana.

La monstruosité du carnage, indissociablement « ethnique » et « politique », ne pouvant être plus longtemps niée, Alain Juppé assurait (16 juin 1994) que « la France n'aura aucune complaisance à l'égard des assassins et de leurs commanditaires ». Une envolée pour la galerie si l'on en juge par le refus de toute initiative depuis cette date. Le nom de l'abbé Wenceslas Munyesheka, ordonnateur de massacres à répétitions dans le centre de Kigali et vivant aujourd'hui libre sur notre territoire avec la protection de la hiérarchie catholique, prend à cet égard dimension symbolique.

Une loi avait été annoncée « portant adaptation de la législation aux dispositions de la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations unies du 8 novembre 1994 instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide sur le territoire du Rwanda ». Dix-sept mois après, le texte existe bien, mais il dort toujours dans les cartons du ministère de la Justice.

Constatant « le massacre de centaines de milliers de civils appartenant à la communauté tutsi ou considérés comme des hutu modérés », le projet évoque la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations unies (adoptée alors relativement au conflit de l'ex-Yougoslavie) pour reconnaître que celle-ci fait « obligation aux Etats d'apporter leur pleine coopération au tribunal international en vue du jugement des personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire commises sur le territoire du Rwanda ». Un tribunal international qui, jusqu'à présent, faute de moyens, n'a toujours pas réussi à entrer vraiment en fonction. L'adoption du projet avait été annoncée imminente. Les choses traînent. Vers l'été dernier, on parle de la fin de 1995. Rien. Janvier, on laisse entendre que cela pourrait être le cas vers juin 1996. Pendant ce temps, le tribunal international est toujours contraint à l'inactivité. Est-ce le but visé?

Le scandale devenant manifeste, Yves Doutriaux, porte-parole adjoint du Quai d'Orsay, vient de déclarer que le projet de loi est en cours d'examen « par la commission des Lois au Sénat », le rapporteur étant Robert Badinter. Il « sera transmis dans les semaines à venir à l'Assemblée nationale ». Dont acte. Mais il faudra juger sur pièces.

JEAN CHATAIN

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