Fiche du document numéro 25706

Num
25706
Date
Vendredi 22 novembre 2019
Amj
Taille
86353
Titre
Impressions de procès 7 – Jour 11 (matin) Matinée sous haute tension suite à la projection du film « The Dead are alive »
Type
Transcription d'audience d'un tribunal
Langue
FR
Citation
Chaque jour du procès a son lot d’émotions, ce vendredi 22 novembre n’a pas fait exception. Chaque jour du procès, des larmes, des rictus de colère, des regards horrifiés, des coups de fatigue, des yeux interrogateurs sont visibles sur le visage des personnes présentes dans la salle de la Cour d’assises. Mais comment ne pas trahir ses émotions face à un ping-pong d’observations, voguant entre de la sollicitude envers les victimes et des propos qui semblent friser le révisionnisme, comme cela a été vécu en ce vendredi matin ?

Suite à la projection du film « The Dead are alive » (A. Van Der Wee, E. De Temmerman, K. Cizek, 1996), qui avait eu lieu la veille en fin d’après-midi, la séance commence avec les observations de la Cour, des Parties civiles et de la Défense à propos de celui-ci.
Le ton est donné dès la première intervention déclarée par Me Alié, avocate de Parties civiles : « J’aimerais que le film reste un hommage aux victimes. J’espère que la Défense le respectera. » Directement, la Présidente rappelle qu’il s’agit d’un temps « d’observations ». Le Procureur enchaîne avec une intervention factuelle. « Ce qui est intéressant est que tout le monde ait vu ce qu’était une barrière en 1994, et les personnes présentes aux barrières. Tout le monde a vu un Interahamwe (…), c’est un mouvement de civils qui a pris un essor terrible pendant le génocide. »

Ensuite, le Procureur revient avec une déclaration centrée sur le vécu de la projection : « Ce qui m’a choqué aussi, c’est qu’il y avait dans la salle des victimes, et que M. Neretse a dit qu’il ne voulait pas regarder le film, qu’il allait fermer les yeux. » Le Procureur s’arrête quelques secondes avant de clamer : « Il est temps que M. Neretse ouvre les yeux, je commence à perdre espoir. » A l’écoute de ces mots, Me Flamme, un des avocats de la Défense, bondit de son siège et crie, s’adressant au Jury : « Votre rôle n’est pas d’ouvrir les yeux à M. Neretse, il a aussi perdu des gens proches, en masse. Votre rôle est de le juger. »

La crispation des corps et des visages laisse place à une tension palpable qui envahit la salle.

Me Flamme enchaîne sur un ton virulent : « Je vais répéter ce que j’ai déjà dit (…). Au nom de M. Neretse, ses condoléances, pour toutes les personnes perdues, deux millions de personnes, peut-être même dix millions si je compte les victimes au Congo. A tous les survivants. Notre rôle est de juger. »

Plusieurs personnes réagissent dans la salle, elles échangent des regards. Les chiffres avancés ne sont-ils pas une façon de dénier la spécificité du génocide des Tutsis ?
L’avocat de la Défense surenchérit en usant à présent d’un ton culpabilisant : « Ce film choquant prend à la gorge, c’est une honte pour l’Humanité. Avec Me Gillet, l’un des avocats des Parties Civiles, j’étais au Rwanda, cela hante encore mes nuits. Mais les deux films vus datent de 1994. Quel recul ont-ils ? Beaucoup de livres ont été écrits depuis. » Il poursuit : « J’avais également demandé de montrer des films et un documentaire. On me les a refusés sans motivation. » C’est alors que la voix ferme de la Présidente résonne : « C’est totalement faux ! »

Mais comment qualifier une démarche qui propose les travaux d’auteurs qui défendent assurément, à travers leurs écrits et leurs films, la théorie du double génocide ?
Me Flamme réplique tout en lançant un regard noir à la Présidente : « Chercher la vérité, c’est ça la déontologie. » Il poursuit en remettant en cause la pertinence du film et la démarche journalistique de son auteure, Mme De Temmerman. « Elle y fait des commentaires et cela me dérange. Qui savait qui étaient les associés de ce génocide ? Elle évoque l’Opération turquoise. Pourquoi ? Qu’en savait-on à ce moment-là ? »
Me Flamme pointe, et de façon exclusive, la responsabilité du FPR.
Que penser de cette focalisation ?

La tension palpable s’exprime à présent dans la salle par des soupirs, des murmures, des yeux qui se lèvent au plafond, des larmes de colère et de désespoir.
Me Jacques, l’autre avocat de la Défense, prend la relève, de manière calme et posée : « Nous ne cesserons pas de le répéter, le film était choquant. Nous n’avons jamais nié le génocide des Tutsis et des Hutus modérés en 1994. »

N’est-ce pas une façon d’essayer de déstabiliser les jurés en jouant au « bon flic et au mauvais flic » ? Le premier, Me Flamme, agresse la Cour et il semble mettre en doute la vérité historiquement reconnue du génocide. Le deuxième, Me Jacques, est très respectueux de la Cour, n’hésitant pas à présenter ses excuses à la Présidente et à apporter son soutien aux victimes de manière sincère, semble-t-il.

Me Jacques persévère. « Il faut savoir qui a dit quoi ! Le Procureur, en début de séance, a pris l’exemple de Jean Kambanda, Premier ministre rwandais durant le génocide (vu dans le premier documentaire « Rwanda, autopsie d’un génocide » projeté durant le procès) pour illustrer le fait que nous, la Défense, accusons le FPR de tous les maux du génocide. Sachez que la Défense n’est pas associée à ce discours. Kambanda a attisé la haine, il y a eu des morts à cause de son comportement. Il a été condamné le 4 septembre 1998 à perpétuité, car il était en aveu. Il a plaidé coupable d’être génocidaire. A l’inverse dans l’affaire Neretse, il n’y a pas de preuves solides. Vous devez appréhender les choses dans leur ensemble, dans tout leur contexte. »

La Défense clôture ses observations qui s’adressent directement aux jurés. « On rapporte ou non la culpabilité de Neretse, c’est le seul objectif de ce procès. Soyez rigoureux. Fabien Neretse nie toujours, car il n’est pas coupable de crimes de génocide. »

Après quelques instants de répit, les avocats des Parties civiles défilent avec leurs observations successives. Me Gillet démarre avec un extrait du discours prononcé par Léon Mugesera le 22 novembre 1992, en tant que vice-président du comité préfectoral du MRND, le parti au pouvoir, de Gisenyi : « Ne sais-tu donc ni écouter ni lire ? Moi, je te fais savoir que chez toi, c'est en Éthiopie, que nous vous ferons passer par la Nyabarongo pour que vous parveniez vite là-bas. » Me Gillet prononcera simplement ces quelques mots : « Le lendemain, la rivière Nyabarongo comprenait des centaines de corps. C’était dans la même idéologie, la même intention génocidaire qu’en 1994. C’est en ce nom que M. Neretse a accompli des crimes de génocide à Kigali et à Mataba ».

S’en suit l’intervention de Me André-Martin Karongozi « J’espère qu’on ne sortira pas d’ici fous. La Défense ne nie pas le génocide, nous sommes en face de faits. Je demande à M. Neretse de présenter ses excuses aux victimes avant la fin du procès. »

Me Hirsch, avocate de Parties civiles, ajoute : « En Droit, le jury n’a pas à juger de la qualification de génocide mais d’une série de crimes commis par Fabien Neretse. »

A la suite de ces observations, le Procureur reprend la parole pour rectifier quelques points. « Dans les débats préliminaires, Me Flamme n’a jamais demandé de visionner d’autres films et il n’a jamais cité, par ailleurs, des noms précis de films. De plus, il est faux quand la Défense ne se dit pas négationniste. » A l’entente de ces propos, Me Flamme bondit à nouveau de son siège, visiblement en colère. « Je reviens sur ce que dit le Procureur. On nous accuse d’être des révisionnistes, on nous accuse de déposer un acte de défense trop long. Cela fait six mois que je travaille sur ce dossier, j’y travaille à temps plein, ça me coûte de venir à Bruxelles. » Il poursuit, sur un ton moralisateur, en fixant la Cour : « La déontologie n’est pas de critiquer un confrère, on ne me demandera pas de changer d’attitude, je suis choqué. » Et sans transition, il proclame fortement : « Mon client n’est pas un planificateur. »

Enfin, ces observations sont clôturées par Me Flamme qui revient sur le principe des Gacaca, les juridictions traditionnelles mises en place après le génocide. « C’est quoi ça, la population qui dénonce ? C’est non équitable. De plus, les Gacaca n’ont pas jugé les planificateurs. Donc, le Rwanda a reconnu que Fabien Neretse n’était pas capable d’être un planificateur. »

N’est-ce pas une stratégie étrange de raccourcir la vérité historique pour une Défense qui souhaite que les jurés soient rigoureux pour juger son client ?

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024