Fiche du document numéro 25949

Num
25949
Date
Mercredi 24 février 2010
Amj
Taille
139582
Surtitre
Politique
Titre
Charasse, gardien du pouvoir
Soustitre
Le sénateur et ancien ministre socialiste, Michel Charasse, qui attendait cet adoubement depuis longtemps, a été nommé au Conseil constitutionnel.
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Il avait fini par ne plus y croire et, plein de fureur, était reparti ronchonner dans son coin. Et puis, mardi en fin de matinée, Nicolas Sarkozy l'a appelé : « Finalement, je suis parvenu à mes fins. Tu es le meilleur. Tu iras au Conseil constitutionnel. » Et Michel Charasse a retrouvé cette allure joviale qui est son bouclier le plus efficace.

Il attendait cet adoubement depuis longtemps. Le jour où ils en ont parlé la première fois, Nicolas Sarkozy n'était même pas encore élu. La France entrait dans l'entre-deux-tours de la présidentielle, et Michel Charasse avait convié, le 27 avril 2007, le candidat UMP dans sa mairie de Puy-Guillaume, au cœur de l'Auvergne.

Quelques jours auparavant, Jean-Marie Le Pen avait dénoncé en ciblant Nicolas Sarkozy, « un candidat venu de l'immigration », et Charasse s'était étonné que la gauche ne réagisse que mollement. Tout le monde regardait donc l'ancien mitterrandiste donner l'accolade à celui qui faisait la course en tête.

Ségolène Royal pouvait toujours courir pour obtenir la même faveur : « J'ai tout de même voté pour elle, rit-il aujourd'hui, mais ça m'a coûté ! »

Ce que personne ne vit, ce jour-là, ce fut cet hameçon en forme de rêve que le futur président lança vers lui : « Et le Conseil constitutionnel ? Ce serait bien que tu y ailles… » Michel Charasse releva ses lunettes, réfléchit une seconde avant d'avouer : « Oui, cela m'intéresse. »

Quelques jours plus tard, Nicolas Sarkozy entrait à l'Elysée. Depuis, Michel Charasse n'a plus cessé d'y penser. Lors de ses pêches légendaires au lac Chauvet, lorsqu'il retrouve de vieux Auvergnats qui taquinent avec lui l'omble chevalier. Lors de ses chasses à Chambord où il côtoie les affidés de tous les pouvoirs.

« Cela fait longtemps qu'il joue sa carte personnelle »



Déjà, en 1994, François Mitterrand avait caressé pour lui la même idée. Robert Badinter devait quitter le Conseil en mars de l'année suivante et c'était la dernière chance du président socialiste de nommer un homme de gauche avant de quitter l'Elysée.

Michel Charasse, licencié en droit et diplômé de Sciences Po, était depuis 1981 son conseiller sur les questions constitutionnelles. Il avait 54 ans. Il fit ses calculs. S'il entrait au Conseil constitutionnel, il en sortirait à 63 ans, sans plus aucun mandat électif. Un enterrement de première classe.

Il déclina l'offre et François Mitterrand nomma Roland Dumas en soupirant ces quelques mots : « Tous les chefs d'Etat ont leur Talleyrand. Le mien, c'est Dumas. » Mais maintenant, qu'il a « 68 ans et demi », dit-il comme un enfant, c'est une belle fin de carrière.

Cela ne le préoccupe pas d'avoir été porté là par la volonté de Nicolas Sarkozy. Lui qui s'était inscrit à 21 ans à la SFIO, il s'est largement éloigné des socialistes depuis que le PS l'a exclu en 2008 pour avoir soutenu un candidat dissident à la présidence du conseil général du Puy-de-Dôme.

« Cela fait longtemps qu'il joue sa carte personnelle, assure un cadre du parti. Il a connu le cœur du pouvoir avec Mitterrand. Il est prêt à se rapprocher de Sarkozy pour y rester. »

La droite, elle, a appris depuis longtemps à le connaître. Son goût de la chasse, des cigares, son provincialisme affiché et sa détestation de « tous les glandus de Parisiens qui ne savent pas conduire dans Paris dès qu'il y a trois grains de neige », ses interventions tranchées au Sénat lui ont valu une certaine popularité.

Personne n'ignore sa camaraderie avec le ministre de l'intérieur Brice Hortefeux, « un copain dans mon département », dit-il. Quant au président… Il le connaît depuis la cohabitation de 1993, lorsque Nicolas Sarkozy lui succéda quasiment au ministère du budget, une fois la droite arrivée à Matignon : « Il était l'homme de Balladur, j'étais, avec Védrine, celui de Mitterrand. Nous sommes devenus tout naturellement amis. »

Pendant deux ans, ils ont déjeuné ensemble presque chaque semaine dans le petit appartement de fonction dont disposait Michel Charasse à l'Elysée. La période était délicate. François Mitterrand luttait contre son cancer. Il n'était alors pas rare que Michel Charasse passe la nuit au cœur du palais avec, posé à côté de son lit, un petit téléphone blanc le reliant directement à l'appartement présidentiel.

Combien d'heures a-t-il passé à conjurer la mort qui rôde en philosophant avec François Mitterrand qui, lorsqu'il dormait parfois à l'Elysée, se réveillait, pris par de terribles crises d'angoisse ?

En somme, Nicolas Sarkozy a compris depuis longtemps qu'il tenait avec Michel Charasse, non seulement un amateur de la complexité mitterrandienne, mais aussi un politique capable de conjuguer pouvoir et droit. Une forte personnalité aussi. Derrière son style Almanach Vermot, Charasse est un laïque militant. Du genre à rester à la porte des églises même pendant un enterrement.

C'est aussi un jacobin qui a voté en 2008 contre la reconnaissance des langues régionales dans la Constitution. Et un ardent défenseur du pouvoir présidentiel et du statut pénal du chef de l'Etat. Il est ainsi l'un des rares à avoir dénoncé, en décembre, le renvoi en correctionnelle de Jacques Chirac.

A Bercy, les fonctionnaires se souviennent encore que ce bon connaisseur de la loi fiscale pouvait d'un geste épargner un gros contribuable ou au contraire déclencher contre lui un contrôle dévastateur. Ce mélange-là peut-il créer des remous parmi les « sages » ? « Cela mettra au moins un peu d'ambiance », assure un haut fonctionnaire du Conseil.

Ce connaisseur intime du pouvoir n'a cependant jamais hésité lorsqu'il lui fallait trancher entre la vérité et l'intérêt politique. C'est lui que François Mitterrand avait chargé dès 1987 de trier ses archives. Charasse passa ainsi des années à consulter, classer ou détruire dans sa broyeuse des milliers de papiers afin de conserver les secrets et d'éliminer les médiocrités qui pourraient entacher la légende mitterrandienne.

« Pas de serment d'allégeance à l'égard du Président »



Depuis qu'il aspire à rejoindre le Conseil constitutionnel, Michel Charasse a déjà préparé sa succession politique dans le Puy-de-Dôme. L'Auvergne gardera cependant un Charasse : Gérard, son cousin, est député de l'Allier. Il a aussi entrepris de lire le compte rendu des débats du Conseil, de 1958 à 1983, que son président, Jean-Louis Debré, a fait publier. Le fils d'employé de l'imprimerie de la Banque de France a pu y constater, assure-t-il, « que ceux que l'on aurait pu croire les plus fieffés réactionnaires ont un grand sens de l'intérêt général ».

Il a aussi regardé attentivement le parcours des autres membres du Conseil. Il retrouvera là, notamment, Valéry Giscard d'Estaing, compagnon d'Auvergne, Jacques Chirac, côtoyé depuis la première cohabitation en 1986, Jean-Louis Debré vingt fois rencontré, ou Renaud Denoix de Saint-Marc avec lequel il chasse.

Il sera alors le seul à venir de la gauche. Cela l'amuse et le flatte. Le Parti socialiste ne se fait pourtant pas d'illusion. Michel Charasse n'a cessé d'affirmer, ces dernières années, que le PS n'était ni assez laïque ni assez républicain pour lui.

Il ne sera sûrement pas son représentant ni même son informateur au Conseil. Il assure qu'il « n'a pas non plus prononcé de serment d'allégeance à l'égard du président ». Et lorsque les sarkozystes tentent de le sonder sur ses fidélités, il rétorque en riant : « Je vous jure que la France n'aura pas à se plaindre de moi… »

Raphaëlle Bacqué

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024