Fiche du document numéro 2649

Num
2649
Date
Mercredi 16 novembre 1994
Amj
Auteur
Taille
111392
Titre
Les ONG demandent la protection de l'ONU
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
En annonçant publiquement le retrait de ses équipes des camps de la
région de Bukavu au Zaïre où quelque 310.000 réfugiés hutus sont
toujours entassés, MSF-France a pris une décision aussi nécessaire
que douloureuse. « Nous ne pouvions plus travailler dans un camp où
notre aide est utilisée, à des fins politiques et économiques par des
gens qui ont une lourde responsabilité dans le génocide et sont de
surcroît toujours impunis », commentait hier Dominique Martin, chargé
de mission au Rwanda de MSF-France. L'ensemble des agences
humanitaires travaillant dans les camps du Zaïre, que ce soit dans la
région de Bukavu ou dans celle de Goma, au nord du lac Kivu,
s'accorde à dénoncer le pillage de l'aide alimentaire par les
responsables de l'ancienne administration rwandaise et par les cadres
politiques du MRND, l'ancien parti au pouvoir.

Marché noir dans les camps



« A défaut de maîtriser l'économie du pays, les anciens dirigeants
ont vite compris que la revente au marché noir de l'aide alimentaire
excédentaire obtenue grâce aux inscriptions de faux nouveaux réfugiés
pouvait être une source importante de revenus », explique un
responsable du Programme alimentaire mondial (PAM). La maîtrise de la
distribution de nourriture, qu'ils ont obtenue des organisations non
gouvernementales (ONG) sous la menace, leur donne de surcroît un
quasi pouvoir de vie et de mort sur les réfugiés. « Le niveau de
malnutrition dans les camps au Zaïre est d'autant plus inacceptable,
estime le haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), que
nous avons dû délibérément sur-évaluer de 20 à 25 % le nombre des
réfugiés pour assurer une livraison suffisante de nourriture à
chacun. » Ainsi la population des camps de Bukavu, estimée à 400.000
personnes par le HCR, ne dépasserait pas 240.000 réfugiés en réalité
selon MSF.

La plus grande partie de la nourriture détournée à l'initiative des
anciennes autorités politiques et administratives rwandaises
n'atterrit pas forcément sur les marchés noirs installés dans la
périphérie des camps. Elle est, selon plusieurs témoignages d'ONG,
acheminée clandestinement vers d'autres camps plus discrets où sont
regroupés les anciens soldats des Forces années rwandaises (FAR) et
leurs familles. Selon le HCR, 15 à 20.000 de ces « réfugiés »
seraient actuellement regroupés dans le seul camp de Sake, dans la
périphérie de Mugunga, à 12 kilomètres au nord de Goma.

Le « terrorisme » des ex-soldats et miliciens



Cette présence des anciens militaires rwandais en uniforme à
proximité des camps et celle, plus pressante encore, des miliciens à
l'intérieur contribuent à terroriser les réfugiés et à les dissuader
de retourner au Rwanda. Le HCR ne compte plus les meurtres et les
passages à tabac de réfugiés « coupables » d'avoir rendu visite à
l'officier du HCR chargé des rapatriements. « Le terrorisme
qu'exercent les soldats de l'ex-armée rwandaise et les miliciens
rendent notre mandat impraticable », commentait hier un responsable du
PAM. « A Bukavu, nos équipes ont entendu des explosions et des coups
de feu », ajoute Dominique Martin, de MSF, pour étayer la décision de
l'ONG française de quitter les camps du Zaïre.

Si MSF se retrouve seule à prendre une telle décision, les autres ONG
et les agences humanitaires des Nations unies n'ont pas pour autant
décidé de rester coûte que coûte. Le HCR et le PAM s'interrogent
volontiers sur le bien-fondé de leur mission d'assistance et de
protection des refugiés ». Mais ils précisent qu'à l'inverse des ONG
comme MSF pouvant faire valoir des arguments d'ordre éthique -- « refuser d'engraisser les bourreaux », comme le résume MSF-Belgique
qui, pour l'instant, ne part pas --, ils sont tenus par le mandat
conféré par les Nations unies. « Nous attendons avec impatience le
résultat des discussions initiées par Boutros Boutros-Ghali avec les
membres du Conseil de sécurité », déclarent-ils de concert. La
proposition du secrétaire général des Nations unies de mobiliser une
force de police internationale de six à huit bataillons (soit environ
4 500 hommes) pour assurer la sécurité des réfugiés dans les camps du
Zaïre devrait être étudiée « prochainement » par le Conseil de
sécurité. « Il en va du maintien de nos équipes », rappelait hier un
responsable d'Oxfam qui, avec quatorze autres ONG, a signé la semaine
dernière un communiqué commun exigeant des Nations unies qu'elles
améliorent « la sécurité des ONG et des réfugiés ».

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024