Soustitre
Il avait 7 ans au moment du génocide au Rwanda. Arrivé en France en 2008, cet animateur de formation au sein de l’Association Meusienne pour l’insertion des Personnes Handicapées (A.M.I.P.H.), depuis 2019, est aussi réalisateur-scénariste.
 
Citation
Vous êtes rescapés du génocide
 contre les Tutsis du Rwanda de 1994.
 Vous avez assisté à la représentation
 de Doliba, à Ecurey, samedi dernier.
 Quelles sont vos impressions ?
 
 Ce n'était pas la première fois. J'ai
 assisté à ce spectacle depuis presque
 sa création. J'ai découvert la pièce de
 théâtre en arrivant dans la Meuse par
 la programmation de Théâtre l’ACB
 Scène de Bar-le-Duc. Elle parlait des
 Gacaca : j'ai aussitôt contacté le metteur
 en scène. Tout fût ensuite très
 facile parce qu'il était très heureux de
 connaître un Rwandais rescapé qui
 habitait près de chez lui, une personne
 ayant vécu l'histoire qui pourrait avoir
 un regard sur son œuvre. Il a découvert
 mon livre "Vivant" puis j'ai assisté à ses
 répétitions.
 Quant à mes impressions lors du
 spectacle, et ce, dès la première fois,
 en coulisse, ce fût un sentiment d'admiration
 sur la qualité du texte,
 d'Eugène Ebodé, Souveraine magnifique.
 Et ce qui est particulièrement
 intéressant dans cette représentation,
 dans son approche du génocide, c'est
 son universalité : voir des européens
 blancs jouer le rôle de Rwandais et que
 le tribunal Gacaca soit transposé sur
 une scène… Au bout de quelques
 minutes de spectacle, on oublie la couleur
 de peau. On oublie la distinction
 entre les peuples, il n’y a plus le recul
 que je vois souvent dans les regards
 des européens quand je témoigne
 devant eux, cette impression que je
 suis moi un spectacle je raconte une
 histoire, un vécu humain, mais très loin
 d’eux et de chez eux. Dans
 l’interprétation par des comédiens
 français, je voyais des
 Rwandais. Tous ces personnages
 devenaient rwandais, devenaient
 victimes ou bourreaux ; tous
 démontraient, par leur jeu, l'universalité
 de la question posée par
 le génocide.
 
 Il est beaucoup question,
 dans la pièce, du rôle de la
 Gacaca dans le processus de
 réconciliation. Peut-on dire que
 ce tribunal populaire a réussi sa
 mission ?
 
 Je ne sais pas si l'on peut utiliser
 le terme "réussir". Peut-on
 réparer un génocide ? Peut-on
 réellement réparer les victimes
 d'un génocide ? Est-ce qu'elles
 peuvent sortir de là en disant :
 "Nous avons réussi quelque chose
 ?" Non. Par contre, il était essentiel
 d'avoir enfin une justice
 après trente ans d'impunité, jusqu'en
 1994. Car c'est aussi cette impunité, et
 j'entends par là, ne serait-ce que pas
 un blâme moral, le fait de ne pas
 condamner des actes racistes, qui a
 rendu possible les massacres. Mais les
 Gacaca étaient aussi essentielles parce
 qu'avec le nombre de tueurs ou plus
 précisément de participants aux
 meurtres, jamais les juges et les
 moyens plus modernes et plus lents de
 justice n'auraient pu poursuivre tous
 les génocidaires ; la totalité des procès
 mis bout à bout aurait duré un siècle.
 Les bourreaux étaient trop nombreux.
 Les Gacaca étaient donc un moyen de
 combattre l'impunité. Ce fût aussi l'opportunité
 d'innocenter quelques-uns. Et
 surtout, cela a libéré la parole ; c'était
 une sorte d'exorcisme. À défaut de
 pouvoir faire revenir ceux que nous
 avions perdus, on devait au moins parler
 d'eux. Parler de ce qu'ils avaient
 subi ; de ce que les survivants avaient
 subi. Si on ne parle pas, la souffrance
 reste enfouie.
 
 Vous avez écrit "Vivant" avec Élise
 Delage, pour témoigner de votre histoire.
 En quoi le témoignage participe-
 t-il du devoir de mémoire ?
 
 Quand j'ai écrit avec Élise Delage
 "Vivant"(lire par ailleurs), je n'ai pas
 vraiment choisi de l'écrire. J'ai été
 poussé par ce que je voyais en Europe,
 après les attentats de Paris. L'année
 2015, avec Charlie Hebdo et le massacre
 du Bataclan, a fait que ce devoir
 de mémoire s'est imposé de lui-même.
 J'ai choisi, si l'on veut, la manière de le
 raconter, un de mes choix étant de travailler
 à deux, d'avoir une écoute, une
 double réflexion, que ce soit un témoignage
 que le lecteur puisse plus facilement
 lire. Mais je ne m'impose pas un
 devoir de mémoire : je le fais naturellement,
 par besoin de parler. Je le fais
 aussi pour les autres, ceux qui ont des
 questions et puis en fonction de ce que
 j'entends dans l'actualité. Quand je
 trouve des résonances, parce qu'il y en
 a, avec le 13 novembre 2015 ; tuer
 aveuglément des innocents de tous
 âges ; tuer avec fierté ; tuer en masse
 des personnes qui n'ont rien fait, simplement
 pour ce qu'ils sont. Voilà le
 cœur du génocide. Alors j'ai eu besoin
 d'écrire.
 
 Recueilli par J.-C. EDJANGUE