Fiche du document numéro 28672

Num
28672
Date
Mercredi 7 juillet 2021
Amj
Taille
965689
Titre
Macron "ouvre" les archives historiques, Manu planque les cartons
Soustitre
Un article de la loi contre le terrorisme claque la porte au nez des historiens.
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
OUVRIR LES vieilles archives
secret-défense – celles de
plus de cinquante ans – aux
historiens ? Ce principe, naguère largement
garanti par la loi, semble défriser
intensément le gouvernement.
En novembre dernier, une instruction
ministérielle en a restreint l’accès…
mais le Conseil d’Etat l’a dézinguée.
Le 29 juin, au Sénat, dans
un article de la loi contre le terrorisme,
le gouvernement est revenu
par la fenêtre, rendant impossible la
communication d’un tas d’archives
du Renseignement datant de plus de
cinq décennies.
Résultat ? Des pans entiers d’histoire,
concernant notamment la
guerre d’Algérie, dormiront dans les
cartons. Un comble, alors qu’en mars
un Macron la main sur le cœur avait
assuré vouloir ouvrir ces mêmes archives
sur l’Algérie… « Une nuit
noire » pour l’Histoire, a dénoncé un
collectif de chercheurs. Mais qui n’est
pas tombée d’un coup…
En 2008 – autant dire il y a un
siècle –, l’ambiance était nettement
plus détendue. Cette année-là, une
loi ouvre portes et fenêtres : passé
un délai de cinquante ans, les archives
secret-défense deviennent librement
communicables aux historiens,
et même à n’importe quel
quidam soucieux de retracer le passé
résistant de tonton Georges.
Historiens à cirer
Seules exceptions : les documents
permettant de fabriquer ou de localiser
les armes nucléaires ou susceptibles
de mettre en danger des personnes
identifiables. « La loi de 2008
faisait l’unanimité mais le Secrétariat
général de la défense et de la sécurité
nationale (SGDSN) a mis le
bordel, raconte un ancien membre
de ce service rattaché à Matignon.
C’est beaucoup lié à des affaires
politico-médiatiques comme les frégates
de Taïwan, où des documents
classifiés sont sortis. Ce qui les embête
aussi beaucoup, c’est le nucléaire et
les relations diplomatiques qui l’entourent,
comme le contentieux avec
l’Algérie sur les essais au Sahara. »
Ils n’auraient tout de même pas
causé de victimes ?
En 2011, premier coup de boutoir.
Une instruction du SGDSN entaille
l’accès aux archives ; la note, cependant,
n’est guère appliquée. Tout se
corse avec l’arrivée de deux grands
comiques de l’Etat : Marc Guillaume,
le secrétaire général du gouvernement
de 2015 à 2020, et Claire Landais,
patronne du SGDSN, qui serrent
la vis et les coffres.
En juillet 2019, lors d’une réunion
avec les principaux services d’archives,
Claire Landais ferme le ban :
« Vous arrêtez tout, vous ne sortez
plus rien. » En réunion interministérielle,
raconte un participant, Marc
Guillaume a cette phrase historique :
« Je ne veux voir sortir aucun document
secret depuis Ptolémée. » C’est
beau comme l’antique… Et parfaitement
contraire à la loi de 2008 !
En novembre 2020, le SGDSN
pond une nouvelle instruction aux
petits oignons. Les archives de plus
de cinquante ans – remontant même
jusqu’à 1934 ! – ne sont plus communicables
de plein droit. Après autorisation
des administrations concernées
(police, armée…), elles doivent
être déclassifiées, une à une et feuille
par feuille ! Aux Archives nationales,
une armée de Shadocks est embauchée
pour marquer, à coups de lourds
tampons rouges, des documents fragiles.
« Courteline rencontre Kafka »,
s’insurge un collectif d’historiens.
Des documents sur le Débarquement
maintes fois consultés se retrouvent
désormais bouclés à double tour.
La cave se rebiffe
Un jour, missionné par le Quai
d’Orsay pour mener une recherche
sur un ancien secrétaire général de
l’ONU, l’historien Maurice Vaïsse se
voit remettre un carton contenant
des pièces consultables et… des enveloppes
cachetées, inviolables !
« Que contiennent-elles ? s’enquiert-il.
– Un mémorandum de conversations
entre de Gaulle et Kennedy.
– C’est très bien, mais je les ai consultées
il y a des années et je les ai publiées
dans une revue du Quai d’Orsay.
» Ubu, sors de ce carton !
Après des mois de ce régime zinzin,
le Conseil d’Etat, le 2 juillet, a
canonné l’instruction « illégale » du
SGDSN. A boulets rouges : aux yeux
du rapporteur public, cette initiative
« à l’arrière-goût de subterfuge » semblait
« inventée pour les besoins de
la cause » au moment où s’ouvraient
les archives de la guerre d’Algérie.
Guéguerre des nerfs
Le gouvernement insiste. Au Sénat
le 29 juin, donc, il fait voter un nouveau
texte, qui relance la machine à
enterrer. Cette fois, les restrictions
portent « seulement » sur les archives
des services de renseignement (pas
sur celles du Quai d’Orsay ou des
forces armées), mais, pour elles, le
coffre-fort est fermé… sans limite de
durée. Selon l’article 19 de la loi sur
la prévention des actes de terrorisme,
les documents de plus de 50 ans portant
sur des matériels, des installations
ou toute « procédure opérationnelle
» ne pourront être communiqués
d’office. Il faudra déposer une demande
auprès de la DGSE ou des ex-
RG, qui, on peut en être sûr, s’empresseront
de donner leur feu vert…
« Tout peut être interdit d’accès, car
tout est “procédure opérationnelle” !
C’est justement le nom que les services
donnaient à la torture, tempête l’historienne
Raphaëlle Branche, auteure
d’un ouvrage sur cette douce pratique
en Algérie. Aujourd’hui, je ne pourrais
plus écrire ce livre. » Même
bronca au sein de l’Association des
archivistes français : « Les Renseignements
généraux, ça touche à l’histoire
des partis politiques, des syndicats,
des associations… C’est un
champ énorme qui risque d’être soustrait
aux historiens. »
Prochain concept à la mode : le devoir
de mémoire sélective.

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