Fiche du document numéro 29847

Num
29847
Date
Jeudi 7 avril 2022
Amj
Auteur
Taille
158886
Titre
Génocide au Rwanda : « Si le martyre est reconnu, la famille Rugamba sera canonisée »
Soustitre
Il y a 28 ans, le 7 avril 1994, les époux Rugamba étaient assassinés avec six de leurs dix enfants pendant le génocide des Tutsi au Rwanda. Entretien avec Jean-Luc Moens, membre de la communauté de l’Emmanuel, qui a bien connu ces martyrs en voie de béatification.
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Cyprien et Daphrose ont fait l’expérience de la sainteté dans leur vie de couple et en famille. • ARCHIVES EMMANUEL

Jean-Luc Moens est belge et mathématicien de formation. Marié et père de famille, il a été le modérateur de Charis, service international pour le Renouveau charismatique du Vatican, de 2018 à 2021. Il est engagé dans l’évangélisation au sein de la Communauté de l’Emmanuel depuis 30 ans. Il nous parle de ce couple rwandais, et de leur famille, qui, dans les années précédant le génocide des Tutsi, a donné un témoignage de foi et a fondé la communauté de l’Emmanuel dans ce pays.

Comment avez-vous connu les époux Rugamba ?

Quand le couple est venu à Paray-le-Monial (Saône-et-Loire), au rassemblement organisé par la communauté de l’Emmanuel, l’été 1989, j’étais présent. J’animais la veillée au cours de laquelle Cyprien témoignait de sa conversion fulgurante, fruit de la foi et de la fidélité héroïques de son épouse Daphrose. Puis en septembre 1990, j’ai été envoyé au Rwanda pour visiter les volontaires Fidesco, et c’est chez les Rugamba que j’ai logé. Un jour, je les ai interrogés : pourquoi ne commenceriez-vous pas la communauté de l’Emmanuel dans votre pays ? Aventure dans laquelle ils se sont lancés peu après avec passion.

Une belle amitié s’est nouée entre nous pendant ce séjour. Elle a grandi au fil des années, et continue de croître par-delà la mort. J’ai vécu dans la proximité de saints sans m’en rendre compte, car on ne voit Dieu que de dos, et la sainteté que lorsqu’il est trop tard !

Quels furent vos sentiments à l’annonce de leur assassinat ?

L’incrédulité, et une immense tristesse. Quand Cyprien m’a appelé le 7 avril au matin pour me dire combien la situation était tendue à Kigali depuis que l’avion du président Habyarimana avait été abattu la veille, je n’arrivais pas à croire que le pire puisse leur arriver. « Merci de prier pour nous, nous en avons besoin », m’a-t-il demandé. Une heure après, je l’ai rappelé. Il était dans la chapelle de leur maison, là même où ils avaient prié toute la nuit en famille devant le saint sacrement.

Il m’a expliqué que des soldats étaient chez leurs voisins, que les balles sifflaient de partout. Il était grave, mais paisible. Quant à moi, j’étais encore incrédule. Quand j’ai appelé à nouveau une heure plus tard, aucune réponse. J’ai insisté, en vain. J’étais très inquiet, mais bien loin d’imaginer que l’un des pires génocides de l’histoire de l’humanité commençait, ni que mes amis venaient d’être assassinés dans leur jardin. Seul Cyrdard, l’un des fils, avait survécu au massacre par miracle.

Pourquoi Cyprien était-il une personnalité à éliminer ?

Poète et compositeur, il était aussi connu dans son pays que Johnny Hallyday en France. Il a œuvré toute sa vie pour l’unité de son peuple. Il proclamait, en se fondant sur l’unicité de la langue et de la culture, qu’il n’y avait pas de Hutu ni de Tutsi, mais seulement des Rwandais.

Après sa conversion, Cyprien n’a pas changé son discours. Il l’a approfondi avec l’assurance, désormais, que les Rwandais étaient tous frères car tous enfants de Dieu. Le poète est devenu prophète, appelant à la conversion et dénonçant avec courage les maux dont souffrait la société de son temps (corruption, injustices, esprit partisan et fanatique, etc.) et dont il pressentait les conséquences désastreuses.

Il était un peu comme la conscience du pays, celui qui parlait au peuple au nom du Seigneur. Ce chantre de l’amour, du pardon, de la réconciliation et de la paix ne pouvait qu’être mal vu par un régime à majorité hutu qui prônait la division et « l’ethnisme ». Cyprien était un obstacle à ses projets d’élimination ethnique. Il fallait donc le faire taire. Un prêtre m’a confié un jour qu'« en Rugamba, on a tué Dieu, parce qu’il parlait au nom de Dieu ».

Seraient-ils donc morts en martyrs ?

En 2018, la Congrégation pour les causes des saints a réuni les deux procès de béatification de Cyprien et de Daphrose pour héroïcité des vertus ouverts en 2015 en un seul pour réputation de martyre, en y ajoutant les enfants assassinés avec eux (six de leurs enfants, et leur nièce). Le dossier est désormais à Rome, et c’est à l’Église de discerner si, en effet, ils ont été tués par haine de la foi et des vertus chrétiennes.

De nombreux indices vont dans ce sens, me semble-t-il. Par exemple, à peine le portail ouvert, le chef des soldats s’est adressé à Cyprien qui venait à sa rencontre en disant : « Alors, Rugamba, tu es toujours chrétien ? » Sa réponse est bouleversante : « Oui, je suis très chrétien. Mon costume de danseur est préparé si le Roi m’appelle. J’entrerai au Ciel en dansant. » Puis, lorsque Daphrose a compris que son heure était proche, elle a demandé la permission d’aller saluer une dernière fois Jésus dans le saint sacrement. Pour toute réponse, elle a reçu un coup de crosse, et l’un des soldats a tiré sur le tabernacle.

Ce sacrifice qui s’est accompli le 7 avril est le résultat d’une vie d’offrande. On ne meurt pas en martyr par hasard : il faut beaucoup de petits « oui » pour arriver au grand « oui ».

Quel message la famille Rugamba nous adresse-t-elle ?

Ce qui me frappe, c’est non seulement la sainteté en couple, qui manifeste la puissance de la grâce du sacrement du mariage, mais aussi en famille. Si le martyre est reconnu, alors la famille Rugamba tout entière sera canonisée.

Ce serait un signe fort pour notre temps, une espérance extraordinaire pour les familles : l’Église montrerait que l’institution familiale, si attaquée de nos jours, est un lieu irremplaçable de rencontre du Seigneur, d’apprentissage du don de soi et de l’amour, de soutien mutuel pour aller au Ciel ensemble, un véritable lieu de sanctification. Oui, la sainteté des parents rejaillit sur celle des enfants, et réciproquement.

Ne témoignent-ils pas aussi que la mort n’a pas le dernier mot ?

Exactement. En les tuant, leurs assassins ont seulement réussi à les faire entrer dans la vraie vie, à les rendre célèbres, féconds, à encourager une foule de personnes à suivre leur exemple. Une bonne vingtaine de frères et sœurs de la communauté de l’Emmanuel sont ainsi morts comme eux pendant le génocide, c’est-à-dire comme le Christ : en donnant par amour leur vie jusqu’à l’extrême.

Parce qu’ils ont communié aux souffrances de la passion du Christ, les Rugamba ont aussi éprouvé la puissance de sa résurrection. D’ailleurs, ils sont morts dans l’octave de Pâques. Ils sont plus vivants que jamais, et ils nous invitent à entrer dans la confiance en Dieu qui a vaincu la mort sur la croix.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024