Fiche du document numéro 30578

Num
30578
Date
Lundi Avril 2019
Amj
Taille
29247
Titre
Image globale du génocide
Soustitre
En 1994, Jean-Christophe Klotz est l’un des rares journalistes français présents au Rwanda. Il est alors reporter et veut dénoncer le génocide en cours contre les Tutsis. Vingt-cinq ans plus tard, il retourne à Kigali pour mettre au jour les responsabilités de la communauté internationale, l’implication de la France en particulier et inscrire de manière claire et lucide ce chapitre de l’Histoire dans notre mémoire collective. Retour à Kigali, une affaire française de Jean-Christophe Klotz (2019), un film produit par Estelle Fialon (Les Films du Poisson).
Source
KuB
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le 8 juin 1994, un événement est venu bousculer le cours de ma vie. J'avais été l'un des tout premiers journalistes à me rendre à Kigali après le départ des ressortissants occidentaux du Rwanda. Alors que j'étais en train de filmer des Tutsis qui se terraient dans la ville à feu et à sang, je fus moi-même pris dans l'un de ces massacres. Grièvement blessé à la hanche, je ne dois mon salut qu'à la providence et au fait que j'étais journaliste occidental.

Depuis, j'ai effectué plus d'une dizaine de voyages au Rwanda. J'ai réalisé plusieurs films, des reportages, un documentaire, ainsi qu'un long-métrage de fiction*. Pendant quelques années, j’ai cru en avoir fini avec le Rwanda, mais cette histoire sans cesse me rattrape. Ce qui s'est passé là est sans précédent historique. Au moins 800 000 morts, tués à la machette, au couteau, au gourdin, au tournevis, le tout en moins de cent jours. Une très grande partie de la population d'origine hutue impliquée dans les tueries. Bourreaux et rescapés contraints de vivre côte à côte dans un pays qu'il a fallu faire renaître de ses cendres ; un véritable défi humain, politique et philosophique.

25 ans ont passé depuis ces terribles jours de 1994. La plupart des pays ont examiné leur part de responsabilité, à l’image des États-Unis qui ont présenté leurs excuses officielles par la voix de Bill Clinton, ou de la Belgique qui a mené une profonde réflexion grâce à une commission d’enquête parlementaire. Mais en France, tout est fait pour brouiller les pistes et refuser de s’interroger sérieusement, nous, la patrie des droits de l’homme. Je vois bien que, pour moi comme pour la France, ce passé ne passe pas.

Si je suis retourné à Kigali c’est parce que j’avais la conviction que la parole pouvait se délier et la vérité enfin émerger. Une vérité qui ne soit plus sujette à caution ou à débat contradictoire mais qui puisse enfin permettre à la France d’effectuer son examen de conscience et d’inscrire de manière claire et lucide l’histoire du génocide des Tutsis du Rwanda dans notre mémoire collective. De nombreux protagonistes qui ont joué à l’époque un rôle dans cette affaire française ont accepté de témoigner dans le film, parmi eux des militaires français, hauts gradés et simples soldats. Leur parole, précieuse, permet de mieux comprendre l'articulation complexe entre décision politique prise au plus haut niveau et répercussions concrètes sur le terrain, à hauteur d'homme.

J'ai également effectué une enquête fouillée dans les documents officiels, déclassifiés ou non, avec pour ambition de nommer les choses, de présenter des faits avérés, non d'alimenter par de nouvelles suppositions la polémique stérile qui, en donnant l'impression que tout a été dit sur le Rwanda et en renvoyant chacun dos à dos, permet surtout de masquer les responsabilités. À travers la mise en image de cette grande enquête, j'ai cherché à dévoiler l'image globale de ce puzzle géant que le public ne connaît que par bribes, entendues çà et là au fil de quelques saillies dans l'actualité, pour enfin faire toute la lumière sur les raisons pour lesquelles, malgré le plus jamais ça ! tant de fois martelé, le génocide des Tutsis du Rwanda n’a pu être empêché.

(*) Kigali, des images contre un massacre (Arte, Semaine de la critique du Festival de Cannes 2006) et Lignes de front (Sélection officielle Locarno 2009).

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