Fiche du document numéro 30962

Num
30962
Date
Vendredi Août 2008
Amj
Taille
792186
Titre
Rapport de monitoring et de recherche sur la Gacaca – Les témoignages et la preuve devant les juridictions Gacaca
Mot-clé
Source
PRI
Type
Rapport
Langue
FR
Citation
Rapport de monitoring et de recherche sur la Gacaca

Les témoignages et la preuve devant les juridictions Gacaca

Avec le soutien
du Ministère des Affaires Etrangères de Belgique
de la Direction du Développement et de la Coopération Suisse (DDC)

Août 2008

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

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RESUME
Par la mise en œuvre du processus Gacaca comme mode de règlement du contentieux du génocide, les
autorités nationales rwandaises se sont donné comme objectif d’unir « sanction » et « réconciliation » au
travers de la lutte contre l’impunité et l’établissement de la vérité comme facteurs de réconciliation.
La prise en compte de la durée du règlement du contentieux du génocide a été l’une des
préoccupations constantes des autorités en charge du processus Gacaca et a impliqué dans le courant
des deux dernières années (2005-2007) des modifications fréquentes des textes et instructions visant à
alléger les peines prononcées et accélérer le rythme des procès.
La condition de la mise en œuvre et de la réussite du processus Gacaca au regard des objectifs
poursuivis que sont la lutte contre l’impunité, l’établissement de la vérité et la réconciliation du peuple
rwandais, réside dans la participation volontaire et massive de la population appelée à témoigner sur ce
qu’elle a fait, subi, vu ou entendu.
En effet, 14 ans après le génocide de 1994, les seuls éléments de preuve sur lesquels les personnes
intègres peuvent s’appuyer dans le cadre du débat judiciaire qu’ils président sont constitués par les
témoignages des victimes, des personnes accusées de crime de génocide ou autres crimes contre
l’humanité et de la population dans son ensemble.
Au terme de ce processus dont la clôture officielle est prévue à la fin du premier trimestre 2008, nous
nous sommes plus particulièrement intéressés au traitement de ces témoignages qui « font » Gacaca.
Nous avons écouté la parole des juges, des rescapés, des accusés eux-mêmes qui, à travers cette
question du contenu des témoignages, de leurs origines, de leur vérification et de leur traitement dans le
cadre de Gacaca, mettent en exergue le fonctionnement de cette institution de justice au regard des
objectifs poursuivis.
Nous nous sommes également posé la question de savoir comment ces deux paramètres que sont le
temps nécessaire à l’établissement de la vérité et la volonté politique clairement affirmée d’en finir
rapidement avec ce contentieux du génocide peuvent coexister sans mettre en péril la qualité de la
justice rendue, la crédibilité du processus ou la réalisation des objectifs de lutte contre l’impunité et, audelà, la réconciliation nationale.
Le travail d’observation des procès et les entretiens que nous avons menés avec tous les groupes de la
population, acteurs du processus, mettent en évidence que les éléments de preuve que sont les
témoignages ne sont pas suffisamment exploités par les juges intègres, faute de temps d’écoute et
d’analyse des informations recueillies.
Les problèmes de fond qui se posent sont aujourd’hui préoccupants au regard d’un certain manque de
confiance de la population qui exprime un véritable sentiment d’insécurité face à un outil de justice qui
n’est pas toujours en mesure de rétablir la vérité des faits, de sanctionner les coupables et de réhabiliter
les innocents.
Il ressort en effet de cette recherche sur le traitement des témoignages que la parole dans Gacaca ne
circule pas librement, qu’elle peut faire souvent l’objet de négociations et marchandages divers. Or, ces
témoignages sont les seuls éléments de preuve dont disposent les Inyangamugayo pour établir la
culpabilité ou l’innocence d’une personne poursuivie pour crime de génocide ou crime contre
l’humanité, dans la mesure où la majorité des éléments matériels ont dépéri avec le temps. Aujourd’hui,
les différents acteurs du processus Gacaca expriment combien ces témoignages, lorsqu’ils existent, ne
sont pas toujours le reflet de la vérité des faits, mais sont souvent le fruit d’arrangements entre accusés,
accusés et rescapés, voire entre accusés ou rescapés et Inyangamugayo.

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Nous avons par ailleurs relevé que certaines paroles sont plus considérées que d’autres et ne font l’objet
d’aucune sanction lorsqu’elles sont constitutives de faux témoignages, consacrant une immunité de fait
à une partie de la population.
Les conséquences de ces constats se traduisent par une nette diminution de la participation de la
population aux séances Gacaca. Cette dernière exprime ainsi son découragement, voire son désintérêt
pour la justice Gacaca.
La question de l’indépendance des Inyangamugayo et de leur capacité à mener les débats s’est aussi posée.
Le niveau de formation peu élevé des juges intègres, les pressions qu’ils subissent de la part de
différentes personnalités ou autorités locales en charge du processus sont autant d’obstacles à la qualité
et à la sérénité de la justice rendue dans les Gacaca. Face à ces diverses influences sur le déroulement du
processus, la population exprime sa vulnérabilité et son impuissance, tant le respect et la crainte des
autorités sont grands.
Nous avons également relevé que la corruption des différents acteurs, difficile à établir, est loin d’être
une rumeur que l’on peut décider d’ignorer, car elle altère profondément le processus Gacaca. Les
racines de ce mal sont multiples ; elles résident principalement dans la pauvreté de la population, dans le
souci pour les personnes accusées de retrouver un statut social en évitant l’opprobre de la prison; dans
le manque de formation et d’indépendance des juges, qui subissent de fortes pressions en termes de
temps et de résultats à obtenir.
Les risques de cette pratique sont la dénaturation du processus et une certaine perte de crédit auprès de
la population.
Il convient d’ajouter que malgré la régularité des discours officiels qui ne cessent d’évoquer la fin du
processus, de nouvelles accusations et de nouveaux dossiers sont sans cesse constitués, créant ainsi un
sentiment de vulnérabilité permanent pour une partie de la population. De la même façon, les
demandes de révision se multiplient et font suite, pour beaucoup, à des modifications fréquentes de la
loi, générant ainsi des traitements différents à l’égard de personnes poursuivies pour les mêmes faits
criminels.
Le processus Gacaca n’est donc pas totalement terminé et les mois à venir sont encore du temps à
consacrer à la qualité de la justice et à la nécessité de reconstituer une base de confiance au sein de la
population. Il n’est pas trop tard pour que cette situation de défiance soit prise en compte par les
autorités en charge du processus, afin de donner aux Inyangamugayo les conditions leur permettant de
rendre justice en toute impartialité.

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Glossaire
G
Gacaca : Littéralement “gazon” ; mode de règlement traditionnel des conflits de voisinage.
Par extension, nom donné aujourd’hui aux nouvelles juridictions populaires chargées de juger le
contentieux du génocide depuis 2005. Elles sont compétentes jusqu’à présent pour juger les accusés du
crime du génocide et autres crimes contre l’humanité classées dans les catégories 2 et 3. Une réforme en
cours envisage d’étendre leur compétence d’attribution à une partie des accusés de la catégorie 1.
I
Interahamwe : Littéralement ‘‘ceux qui travaillent ensemble’’, milice du Mouvement Révolutionnaire
national pour le Développement (MRND).
Inyangamugayo : Littéralement ‘‘personne intègre’’ ; juge Gacaca.
Ibuka : Littéralement “ Souviens-toi ”, actuellement la plus grande association de victimes rescapées du
génocide au Rwanda dont la mission est de lutter pour la défense des droits et des intérêts des rescapés
du génocide.
Imidugudu : Village, agglomération ; habitats regroupés sur les collines depuis 1995, auparavant
dispersés sur les collines.
K
Kinyarwanda : Langue parlée au Rwanda. Elle est, au même titre que l’anglais et le français, langue
officielle.
N
Nyumbakumi : Terme renvoyant à la fois à l’entité administrative composée de dix maisons et à la
personne responsable de cette dernière.
T
« Tigiste » : Personne condamnée à l’exécution des Travaux d’Intérêt Général (TIG), peine alternative
à l’emprisonnement.
U
Umuganda : Travaux communautaires effectués dans tout le pays et organisés au niveau de chaque
cellule. Ils se tiennent actuellement le dernier samedi du mois.
Umudugudu : La plus petite unité administrative qui a remplacé l’appellation Nyumbakumi ;
terme qui renvoyait à la fois à l’entité administrative composée de dix ménages,
mais actuellement l’Umudugudu est composé de plus de dix ménages.

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Liste des abréviations utilisées

AVEGA : Association des Veuves du Génocide d’Avril 1994.
ASF : Avocats Sans Frontières.
CNDP : Commission Nationale des Droits de la Personne.
FARG : Fonds d’Assistance pour les Rescapés du Génocide. La dénomination correcte étant « Fonds
national pour l’assistance aux victimes les plus nécessiteuses du génocide et des massacres perpétrés au
Rwanda entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 ».
LDGL : Ligue pour la Défense des Droits de l’homme dans les Régions des Grands Lacs.
LIPRODHOR : Ligue Rwandaise pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme.
PRI : Penal Reform International
ROJG: Rapport d’observation des juridictions Gacaca.
SNJG : Service National des Juridictions Gacaca
TIG : Travail d’Intérêt Général, peine alternative à l’emprisonnement.

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NOTE A L’INTENTION DU LECTEUR

Les données contenues dans ce rapport ont été collectées au cours de la période allant d’août 2007à
janvier 2008. La rédaction de ce document a été réalisée avant la publication de la loi organique
n°13/2008 du 19 mai 2008 modifiant et complétant la loi organique n° 16/2004 du 19 juin
2004 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions Gacaca chargées des poursuites
et du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et autres crimes contre l’humanité
commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 telle que modifiée et complétée à ce jour, (JO du
1er juin 2008). Les expressions telles « le nouveau projet de loi organique » ou « la future loi Gacaca »
font donc référence à ladite loi qui n’était pas encore publiée.

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TABLE DES MATIERES

PRECISIONS METHODOLOGIQUES ................................................................................... 11
INTRODUCTION ..................................................................................................................... 15
1.
2.

Rappel historique..........................................................................................................................................15
Objet du présent rapport .................................................................................................................................17

PREMIERE PARTIE: LE TRAITEMENT DES TEMOIGNAGES DANS GACACA.......... 19
LE DEROULEMENT DES TEMOIGNAGES DANS GACACA ................................................................20

I.
A.
B.
1.
2.
3.
C.
1.
2.
3.
D.
1.
2.
3.
4.
5.

Le dispositif de la loi organique..................................................................................................................21
Qui témoigne, comment et pourquoi ?........................................................................................................21
Les victimes rescapées .....................................................................................................................................21
Les accusés ou les personnes déjà condamnées ........................................................................................................24
La population..............................................................................................................................................26
Le manque de témoignages et la question de la preuve.................................................................................28
La non comparution des témoins convoqués et le refus de témoigner .............................................................................28
La multiplication des sièges : un obstacle matériel à la présentation des témoins. .............................................................30
Juger sans preuves : les craintes exprimées par les Inyangamugayo. ..............................................................................31
Le mécanisme d'acceptation, de vérification et de validation des témoignages produits...................................32
La collecte d’informations peu utilisée .................................................................................................................32
L’ordre d’audition des témoins..........................................................................................................................34
La tendance à rejeter les témoignages à décharge.....................................................................................................36
L'absence de sanction des faux témoignages ..........................................................................................................37
L’absence de débat contradictoire .......................................................................................................................38

L'INDEPENDANCE ET L’IMPARTIALITE DES JUGES INTEGRES EN QUESTION..............................40

II.
A.
B.
1.
2.
3.
4.

Le niveau de formation des Inyangamugayo : peu instruits et peu expérimentés.................................................40
L’immixtion contestable des autorités locales dans le processus. ...................................................................42
Les autorités administratives............................................................................................................................42
Les représentants de l’ordre public......................................................................................................................44
Certains responsables et membres influents d'associations de rescapés ...........................................................................46
Pressions et ingérences venant de diverses autres personnalités.....................................................................................47

DEUXIEME PARTIE: LA CORRUPTION DE DIFFERENTS ACTEURS DU PROCESSUS
GACACA: DE LA RUMEUR A LA REALITE?......................................................................... 49
I.

LES FACTEURS SOCIO-ECONOMIQUES: UNE CORRELATION EVIDENTE ENTRE CORRUPTION ET
PAUVRETE..............................................................................................................................................50
A.
B.
C.

L'indigence des rescapés ............................................................................................................................50
Le désir des accusés de retrouver leur place dans la société...........................................................................52
L'intégrité des Inyangamugayo mise à mal par leur situation économique..........................................................53

LES FACTEURS DE CORRUPTION LIÉS À L'ACCÉLÉRATION DU PROCESSUS ..................................56

II.
A.
B.

L'insertion des activités Gacaca dans les "contrats de performance"..............................................................56
Une situation favorisant la corruption des Inyangamugayo...............................................................................57

CONCLUSION : LA DIFFICILE CONCILIATION ENTRE CELERITE ET SERENITE DANS LA
RECHERCHE DE LA PREUVE .......................................................................................................... 61
1.
La célérité au détriment de la qualité ou de la vérité? ..............................................................................................62
2.
L'insécurité engendrée dans la population par de nouvelles accusations .........................................................................62
3.
Le paradoxe d'une fin annoncée des Gacaca.........................................................................................................65
4.
Recommandations .........................................................................................................................................66
ANNEXES ..........................................................................................................................................................69

Références bibliographiques.................................................................................................................72

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PRECISIONS METHODOLOGIQUES
Depuis 2001, le programme de recherche mené par PRI sur le déroulement du processus de règlement
du contentieux du génocide par le biais des juridictions Gacaca a eu pour objectif de fournir aux
autorités nationales en charge, notamment au Service National des Juridictions Gacaca, des données
objectives en vue de soutenir la conception et la mise en œuvre de ces juridictions.
La thématique développée dans ce rapport a été identifiée et arrêtée par toute l’équipe de recherche de
PRI qui, à partir du mois de juillet 2007 a concentré plus particulièrement son travail de recherche sur le
traitement des témoignages et l’établissement de la preuve par les juridictions Gacaca.
L’approche retenue par PRI relève de « la recherche-action »1 qui peut se définir comme une recherche
sociale délibérément orientée vers l’action, cette dernière consistant en l’accompagnement du processus.
La recherche menée par PRI vise en effet à récolter, analyser et mettre en perspective les données
recueillies sur les perceptions et pratiques des différents acteurs du processus que sont les rescapés, les
témoins, les accusés, les juges et enfin la population dans son ensemble.
Pour ce faire, nous avons adopté une approche à la fois qualitative et participative. Elle consiste en des
observations des séances des juridictions Gacaca au niveau des secteurs et des cellules, ainsi qu'en des
entretiens avec la population grâce à une équipe de 7 enquêteurs locaux résidant dans les localités où ils
mènent leurs observations, et de trois assistants de recherche basés à Kigali qui se rendent
régulièrement sur le terrain. Chacun d'entre eux, soutenu par un coordinateur de recherche et deux
coordinateurs adjoints, décrit et analyse les données recueillies, qui sont ensuite compilées, comparées,
croisées et débattues par l'ensemble de l'équipe en vue de rédiger nos rapports analytiques et
thématiques. L’équipe est complétée par cinq traducteurs et trois dactylographes qui se chargent de
traduire et saisir les cassettes et rapports transmis par les enquêteurs.
Les entretiens sont dans leur très grande majorité individuels et semi-directifs. En effet, le travail sur les
perceptions de la population exige une profondeur qui ne peut être obtenue qu’au moyen de questions
ouvertes sur des thématiques préalablement choisies.
Il convient toutefois de préciser que les extraits présentés dans ce rapport reflètent les propos tenus par
la population rencontrée et entendue, et ne sauraient systématiquement être considérés comme
représentatifs de l’opinion du groupe à laquelle la personne interviewée appartient. Ainsi un juge intègre
(Inyangamugayo) ou un rescapé cité dans la recherche ne parle pas au nom de tous les juges intègres ou de
tous les rescapés. En revanche, son propos est mentionné, car il illustre une tendance forte dans les
données recueillies sur le terrain au cours de cette recherche.
Il nous paraît aussi important de souligner que même si les textes légaux, instructions sont rédigés et la
formation des acteurs faite au niveau national, le déroulement du processus Gacaca et la pratique des
jugements par les Inyangamugayo sont essentiellement liés au contexte social local et à l'histoire du
génocide dans la localité, du fait que celui-ci ne s'est pas déroulé de manière identique sur l'ensemble du
territoire.
Une fois les résultats préliminaires disponibles, ils sont revus et corrigés par les chercheurs de PRI.
S’agissant du traitement, il repose essentiellement sur l’interprétation et l’analyse de contenu. Le présent

D. J. GREENWOOD et M. LEVEN, Introduction to Action Research. Social research for social change, SAGE Publications,
1998.
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rapport élaboré sur la base de ces données a fait ensuite l’objet d’une relecture par des experts ou des
personnes dont l’expérience est reconnue dans ce domaine et qui sont extérieures à l’équipe.

Les données utilisées
Le présent rapport se fonde sur une série de rapports d’observations de procès tenus par les juridictions
Gacaca, ainsi que sur des entretiens menés dans l’ensemble des provinces du pays auprès des différents
groupes de la population. Ces entretiens plus particulièrement ciblés sur la question des témoignages
dans Gacaca ainsi que sur les questions liées à l’éventuelle corruption des différents acteurs du
processus, se sont déroulés sur une période de 7 mois (août 2007-janvier 2008).
178 entretiens ont été menés dont :
- 55 auprès de juges intègres;
- 13 auprès de libérés acquittés;
- 12 auprès de condamnés;
- 47 auprès de la population;
- 32 auprès de rescapés;
- 5 auprès d’autorités locales et de coordinateurs Gacaca;
- 10 auprès de membres d’associations;
- 4 auprès de personnes effectuant un Travail d’Intérêt Général.
Par ailleurs, 164 rapports d’observation de procès ont été réalisés sur cette même période et constituent
la matière qui nourrit le présent travail.

L’échantillonnage géographique (Cf. tableau en annexe n° 3)
Les références citées
Les extraits d’entretiens ou de rapports d’observations cités renvoient aux documents dans lesquels
l’information donnée a été recueillie, soit dans le cadre de l’observation d’une situation donnée, soit
dans le cadre des propos tenus par la personne interviewée. A ce propos, l’expression « il ressort de nos
observations » renvoie à un ou des éléments qui sont apparus souvent dans la très grande majorité des
informations récoltées.
L’abréviation de « ROJG » renvoie aux Rapports d’Observation des Juridictions Gacaca réalisés par nos
observateurs. Elle est suivie d’indications sur la date et la localisation de l’observation menée :
Province/District/Secteur. Les dénominations des ressorts des juridictions Gacaca correspondent aux
anciennes entités administratives et sont donc antérieures à la réforme administrative intervenue en
20052, conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi n° 28/2006 du 27 juin 2006 modifiant et
complétant la loi organique n° 16/2004 du 19 juin 2004 portant organisation, compétence et
fonctionnement des juridictions Gacaca3. En revanche, dans la mesure où l’anonymat est garanti pour
nos interviewés, seule la qualité de la personne apparaît en référence de nos entretiens et non sa
localisation. Ce qui fait que la mention de la cellule concernée peut parfois ne pas apparaître.

2

Loi organique n° 29/2005 du 31 décembre 2005 portant organisations des entités administratives de la République du
Rwanda.
3

LO n° 28/2006 du 27 juillet 2006, JO du 12 juillet 2006.

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Les limites de cette recherche
Une réserve importante à formuler est celle de la possibilité d’existence de biais résultant de la
traduction de certains documents du kinyarwanda en français. Le maximum de précaution est
néanmoins pris pour limiter ce risque : ainsi une première traduction du kinyarwanda en français est
effectuée ; la version française est ensuite vérifiée par un autre traducteur qui compare les deux
versions.
Comme précisé dans nos précédents rapports, cette étude ne se prévaut d’aucune prétention
d’exhaustivité ou de généralisation de ses observations et conclusions principales. Les résultats de cette
recherche appellent bien sûr des critiques; ils peuvent être complétés et croisés avec ceux d’autres
observateurs. En dépit de cette réserve, il n'en demeure pas moins que les résultats présentés dans ce
rapport indiquent des tendances fortes et non négligeables observées au sein des différents groupes
sociaux.

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INTRODUCTION
Après avoir été préalablement annoncée pour fin décembre 20074, la clôture officielle des activités
menées dans le cadre du processus Gacaca est à nouveau prévue pour la fin du premier trimestre 2008.
A ce jour, beaucoup d’incertitudes liées à la fin du processus existent, car la très probable adoption,
dans le courant de l’année 2008, d’une loi élargissant la compétence d’attribution des juridictions
Gacaca à certains accusés relevant de la 1ère catégorie également redéfinie questionne l’échéance réelle
du processus et les conditions de son achèvement. Quoi qu’il en soit, si l’on considère que la phase de
collecte d’informations menée par les juridictions Gacaca de cellule (travail de recueil d’informations et
d’instruction des dossiers d’accusation) a véritablement débuté sur l’ensemble du territoire en janvier
2005 (9008 juridictions Gacaca de cellule), le processus se sera effectivement déroulé sur une période de
trois années.

1. Rappel historique
Pour tenter de répondre à l’immense défi que représentait l’arriéré judiciaire lié au contentieux du
génocide de 1994 et s’inspirant de la Gacaca, cadre traditionnel de résolution des conflits, le législateur a
instauré par la loi organique n° 40/2000 du 26/01/2001 les juridictions Gacaca5. En novembre 2002,
751 juridictions Gacaca de cellule réparties au sein de 118 secteurs du pays entamèrent leur travail
d’instruction des dossiers dans une phase dite « pilote » du processus. La généralisation de la collecte
d’informations n’a donc concerné l’ensemble du territoire qu’à compter de janvier 2005.
La phase juridictionnelle des Gacaca n'a, quant à elle, débuté que le 10 mars 2005 avec le jugement des
dossiers déjà instruits au cours de la phase « pilote ». Il a fallu attendre le 15 juillet 2006 pour voir
véritablement lancée au niveau national la phase juridictionnelle du processus. A la date d'aujourd'hui,
1545 juridictions Gacaca de secteur et 1545 d’appel6 ont fonctionné et ont rendu des jugements en
application de la loi organique n°16/2004 du 19/6/20047 portant organisation, compétence, et
fonctionnement des Juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions
constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre
1990 et le 31 décembre 1994.
Pour répondre aux exigences de l’objectif de célérité fixé dans le cadre du traitement du règlement du
contentieux du génocide, la loi organique n°16/2004 du 19/6/2004 a été modifiée par la loi organique
n° 10/2007 du 1er mars 2007 8 qui, en son article 1er, est venue préciser « qu’une juridiction peut avoir
plus d’un siège en cas de besoin ». Les sièges des juridictions Gacaca de secteur ont donc été dédoublés:
3348 juridictions Gacaca de secteur et 1957 juridictions Gacaca d’appel ont fonctionné à partir de cette
date.
Source SNJG, réunion sur l’état d’avancement des activités le 4 octobre 2007; v. aussi http://www.inkikoGacaca.gov.rw/PPT/Reunion%2004-10-2007%20final.pps#291,14,Diapositive 14.
4

5

Journal Officiel n°6 du 15 mars 2001.

6

Source SNJG, préc., v. égal. rapport analytique n° 3, ASF, oct. 2006-avril 2007, p. 11.

7

Journal Officiel de la République du Rwanda n° spécial du 19 juin 2004.

8

Loi organique n° 10/2007 du 1er mars 2007 modifiant et complétant la loi organique n°16/2004 du 19 juin 2004 « portant
organisation, compétence et fonctionnement des juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de
génocide et d’autres crimes commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 » : Journal Officiel de la République du Rwanda du 1er
mars 2007.

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Dans le même temps, les catégories 1 et 2 ont été profondément modifiées. En effet, la deuxième
catégorie comprend désormais9, outre les auteurs d’infractions qu'elle contenait déjà, les tueurs de grand
renom, les auteurs d’actes de torture et les auteurs d'actes dégradants sur les cadavres, jusqu'alors
passibles des tribunaux ordinaires, du fait qu'ils appartenaient à la première catégorie. Relevant ainsi de
la seconde catégorie, ils sont jugés par les juridictions Gacaca de secteur dont la compétence s’est aussi
considérablement élargie, du fait même de cette restriction du champ d’application de la catégorie 1, en
faveur de la catégorie 2. Il faut peut-être rappeler à ce propos que la loi organique du 30 août 1996 a
créé quatre « catégories » au sein desquelles devaient être classées les personnes accusées de génocide
ou autres crimes contre l’humanité en fonction du rôle que chacun aura joué dans la conception et
l'exécution de la tragédie de 1994. La loi du 19 juin 2004 a procédé à une "re-catégorisation", ramenant
à 3 le nombre de catégories10. Pour l'heure, seules les deux dernières catégories relèvent de la
compétence des juridictions Gacaca. La peine encourue dépend toujours de la catégorie dans laquelle
l'accusé est classé.
Selon les chiffres produits par le Service National des Juridictions Gacaca11, au 31 mai 2007, 108.732
personnes ont été jugées pour crime de génocide et crimes contre l'humanité dont 100.507 par les
juridictions Gacaca, ce qui représente plus de 92% de l’ensemble du contentieux du génocide soldé sur
le plan national. Les données communiquées sont très variables et le SNJG ne semble pas en mesure de
fournir des chiffres plus précis dans la mesure où de nouvelles accusations les font constamment varier.
Au 1er octobre 2007, 90% des personnes de 2ème catégorie auraient été jugées et 10% auraient fait
appel12.
Durant toute l’année 2007, le Service National des Juridictions Gacaca a mis l’accent sur la nécessité
d’achever le processus avant la fin de l’année en précisant que les juridictions qui disposeraient de
dossiers non traités pourraient terminer dans le courant du premier trimestre 200813.
Par ailleurs, la loi organique du 16 juin 200414 qui définit les compétences et les attributions des
juridictions Gacaca pourrait à nouveau faire l’objet dans le courant de l’année 2008 d’un amendement
visant à élargir les compétences des juridictions Gacaca15 qui seraient désormais compétentes pour juger

9

Selon la modification de 2007, la deuxième catégorie comprend :
« 1° le meurtrier de grand renom qui s’est distingué dans le milieu où il résidait ou partout où il est passé, à cause du zèle qui l’a caractérisé dans
les tueries ou la méchanceté excessive avec laquelle elles ont été exécutées, ainsi que ses complices ;
2° la personne qui a commis les actes de tortures quand bien même les victimes n’en auraient pas succombées, ainsi que ses complices ;
3° la personne qui a commis des actes dégradants sur le cadavre ainsi que ses complices ;
4° la personne dont les actes criminels ou de participation criminelle rangent parmi les tueurs ou auteurs d’atteintes graves contre les personnes
ayant entraîné la mort, ainsi que ses complices ;
5° la personne qui, dans l’intention de donner la mort, a causé des blessures ou commis d’autres violences graves mais auxquelles les victimes n’ont
pas succombé, ainsi que ses complices ;
6° la personne ayant commis ou participé à des actes criminels contre des personnes sans intention de donner la mort, ainsi que ses complices. »
10

V. les articles 2 de la loi organique n° 08/96 du 30 août 1996 et 51 de la loi organique n° 16/2004 du 19 juin 2004.

11

Rencontre de la Secrétaire exécutive du SNJG avec les partenaires du processus Gacaca le 3 juillet 2007 au SNJG.

12

Rencontre de la Secrétaire exécutive du SNJG avec les partenaires du processus Gacaca, le 4 octobre 2007.

« Il ne faut pas qu’il y ait du stress. C’étaient des prévisions, si nous constatons (à la fin de l’année) qu’il nous faut encore du temps, nous
poursuivrons »: intervention de Mme Domitilla MUKANTAGANZWA, Secrétaire exécutive du Service national des
juridictions Gacaca, le 12 décembre 2007 (Agence de presse Hirondelle ).
13

14

La loi organique n° 16 du 19 juin 2004 a déjà été modifiée par une autre loi organique n° 10/2007 en date du
1er mars 2007 (JO n° 5 du 1er mars 2007).
Ce rapport a été rédigé et les données qu’il contient ont été collectées avant la publication de la loi organique n°13/2008
du 19 mai 2008 modifiant et complétant la loi organique n° 16/2004 du 19 juin 2004 portant organisation, compétence et
15

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 16 -

certains accusés classés dans la 1ère catégorie, notamment les auteurs de viols, tandis que les dossiers
concernant les planificateurs et autres hauts responsables du génocide relèveraient toujours de la
compétence des tribunaux classiques16.
La fin annoncée du processus dans le courant du premier trimestre 2008 semble difficilement
compatible avec la poursuite des activités des juridictions Gacaca qui pourraient dès lors avoir à
connaître non seulement des dossiers relevant de la 1ère catégorie mais encore, des nouveaux dossiers
qui ont été constitués dans le courant de l’année 2007 sur la base de nouvelles accusations ainsi que des
dossiers jugés en première instance par les juridictions classiques qui relèveraient en appel des
juridictions Gacaca.

2. Objet du présent rapport
La mise en place des juridictions Gacaca comme mode de règlement du contentieux du génocide qui
est une réponse à l’immense défi que représentait l’arriéré judiciaire lié au génocide de 1994 est apparue
comme une convocation adressée au peuple rwandais dans toutes ses composantes. Là où les massacres
ont été commis, tous –auteurs présumés, victimes, rescapés, témoins ou membres de la communauté–
sont appelés à raconter ce qu’ils avaient fait, subi, vu ou entendu. A ce titre, le devoir de témoignage
devient «une obligation morale», dans la mesure où, comme le précise le préambule de la loi organique
du 26 janvier 2001 portant création des juridictions Gacaca17, « nul n'est en droit de s'y dérober pour quelque
cause que ce soit». Le témoignage est non seulement nécessaire à l'établissement de la vérité des faits, mais
il semble être le seul moyen de faire participer toute la population à un processus judiciaire unique
censé contribuer à « la réconciliation et à la justice au Rwanda, à l'éradication à jamais de la culture de l'impunité,
(…), à la réhabilitation de la société rwandaise mise en décomposition par les mauvais dirigeants qui ont incité la
population à exterminer une partie de cette société»18. Le pilier central du processus Gacaca réside donc dans
son caractère participatif, les membres de la communauté y étant individuellement et collectivement
impliqués. La participation de chacun et de la population dans son ensemble devient le socle de la
réussite du processus.
Dans cette perspective, l’essentiel des éléments de preuve sur le génocide et des responsabilités qui en
découlent ne peut provenir que de deux sources : les aveux 19 faits par les accusés et les témoignages de
la population dans son ensemble, qui informent le juge, en racontant leur version des faits, en accusant
ou en déchargeant les personnes poursuivies. Les témoignages et déclarations de la population sont en
effet les seuls éléments de preuve sur lesquels les Inyangamugayo peuvent s’appuyer pour établir la
culpabilité ou l’innocence de chaque accusé.

fonctionnement des juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de
génocide et autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 telle que modifiée et
complétée à ce jour, (JO du 1er juin 2008). Les expressions telles « le nouveau projet de loi organique » ou « la future loi
Gacaca » font donc référence à ladite loi qui n’était pas encore publiée (voir ‘‘Note à l’intention du lecteur’’).
Représentant du Service National des Juridictions Gacaca au cours de la réunion organisée par la Commission Nationale
des Droits de la Personne, le 18 décembre 2007 à Kigali. Informations confirmées par la Secrétaire exécutive du SNJG lors
d'une rencontre le 11 mars 2008 à son bureau.
16

Loi organique n° 40/2000 du 26 janvier 2001 portant création des juridictions Gacaca et organisation des poursuites des
infractions constitutives du crime de génocide ou de crimes contre l'humanité commises entre le 1er octobre 1990 et le 31
décembre 1994.
17

18

Ibid.

"Pierre angulaire du processus Gacaca": v. Rapport PRI, La procédure d'aveux, pierre angulaire de la justice rwandaise,
janvier 2003.
19

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 17 -

L'objet de ce rapport est donc d'analyser le mécanisme de production, de traitement et de validation des
témoignages devant les juridictions Gacaca, afin d'apprécier non seulement leur régularité par rapport
aux textes légaux régissant la matière, mais également de répertorier d'éventuelles difficultés auxquelles
sont confrontés les juges intègres dans l'établissement de la preuve20. Un tel état des lieux nous paraît
utile en cette phase ultime d'un processus dont l'objectif premier est le jugement des auteurs du crime
de génocide et des crimes contre l’humanité de 1994, afin de mettre fin à la culture de l'impunité qui a
trop caractérisé la société rwandaise. Aussi, faut-il veiller à ce que la vérité judiciaire puisse, autant que
faire ce peut, être la traduction de la vérité historique. L'importance des témoignages et la consistance
des éléments de preuve ne se limitent pas alors aux parties au procès que sont les accusés et les
victimes21: les Gacaca doivent aider toute la société rwandaise à sortir du traumatisme collectif né du
génocide. C'est la raison pour laquelle, il nous paraît essentiel de porter notre analyse sur la manière
dont les témoins, qui constituent selon la formule de J. BENTHAM, "les yeux et les oreilles de la
justice"22, produisent leurs dépositions, comment leurs témoignages sont acceptés ou refusés par les
Inyangamugayo dans l'établissement de la preuve des accusations qui sont portées devant les juridictions
Gacaca.
Pour ce faire, PRI a mené tout au long de son travail d’observation et plus spécifiquement au cours des
six derniers mois une recherche systématique sur le traitement des témoignages et des éléments de
preuve devant les juridictions Gacaca. L’analyse des entretiens et observations menées sur le terrain
auprès de l’ensemble des acteurs du processus a permis non seulement de mettre en exergue les
difficultés importantes auxquelles sont confrontés les Inyangamugayo dans le traitement des témoignages
et des éléments de preuve dans le lourd et difficile contentieux du génocide de 1994 (Première partie),
mais également les insatisfactions ou frustrations de la population qui estime parfois que la vérité n’est
pas toujours dite dans Gacaca. Celle-ci dénonce notamment la corruption et la dénaturation progressive
d’un système qui semble être détourné de ses objectifs primordiaux pour servir parfois à des règlements
de compte d’ordre privé (Deuxième partie).
L’objet du présent rapport est de rendre compte de notre travail d’observation, d’écoute et d’analyse
aux fins, d’une part de porter la parole des « témoins-acteurs » du processus entendus dans le cadre des
recherches menées, et d’autre part d’aider les autorités en charge du processus à procéder aux derniers
ajustements d'un processus en phase d'achèvement.

Sur la question des témoignages et de la preuve devant les Gacaca, v. notamm. : LIPRODHOR, Problématique de la
preuve dans les procès du génocide : l’institution imminente des juridictions Gacaca constituerait-elle une panacée ?, juin
2000; LIPRODHOR, Problématique des informations et témoignages devant les juridictions Gacaca, déc. 2006.
20

21

Pour l’heure, le ministère public n'est pas représenté devant les juridictions Gacaca. Il semble que c’est en prévision dans
le projet de loi en cours de discussion, notamment dans les affaires de viols.
22

J. BENTHAM, Traités des preuves, I, n° 93.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 18 -

PREMIERE PARTIE: LE TRAITEMENT DES
TEMOIGNAGES DANS GACACA
Devant l’ampleur du contentieux du génocide de 1990 à 199423, le gouvernement rwandais a choisi en
2001 d’en confier le règlement à des juridictions populaires (Gacaca) composées de juges ‘‘intègres’’
(Inyangamugayo), issus de la population, élus par elle, et d’une Assemblée Générale de cellule composée
de cette même population.
Ce mode de résolution « judiciaire » du contentieux du génocide repose, pour fonctionner, sur la
participation volontaire et massive de la population appelée à témoigner sur ce qu’elle a fait, subi, vu ou
entendu. Car, quatorze ans après les faits, une grande partie des éléments de preuve sur lesquels les
Inyangamugayo peuvent s’appuyer dans le cadre du débat judiciaire qu’ils président sont constitués par les
témoignages des personnes accusées, des victimes et de la population dans son ensemble. Il appartient
dès lors aux Inyangamugayo de mener à l’audience des débats qui doivent permettre d’établir précisément
la responsabilité individuelle de l’accusé tant sur le plan matériel que sur le plan intentionnel, et
d’apprécier, dans le cas où l’accusé a produit des aveux, si les faits avoués sont bien constitutifs des
infractions visées par la loi et si ces aveux sont volontaires et complets24.
Le travail de recherche mené par PRI cerne les difficultés extrêmes auxquelles sont confrontés les
Inyangamugayo dans leur œuvre de justice. La question de la validité du témoignage dans Gacaca, de sa
prise en compte, de la difficulté parfois d’avoir à prononcer un jugement sans l’aide de témoins, soit
qu’ils aient disparu soit qu’ils refusent de comparaître, les marchandages et autres négociations
auxquelles se livrent de façon fréquente les différents acteurs du procès, le poids de certaines
personnalités influentes face à la vulnérabilité des parties au procès, tous ces éléments sont autant de
paramètres qui revêtent une grande importance au regard des objectifs initiaux du processus que sont la
recherche de la vérité, la lutte contre l’impunité et la réconciliation nationale.
Par ailleurs, la prise en compte de la durée du règlement de ce contentieux, plus de dix ans après les
faits, a été l’une des préoccupations constantes des autorités en charge du processus Gacaca. Le
nécessaire désengorgement des prisons, la lassitude de la population, la volonté d’en terminer avec ce
contentieux pénible, douloureux et coûteux, ont amené les autorités en charge du processus à inciter
fortement les juges à accélérer les rythmes des procès de façon à pouvoir en terminer le plus
rapidement possible, à savoir à la fin de l’année 2007.
« (…) L’idée de terminer les procès en décembre 2007 émanait des plus hautes autorités du
pays et qu’il fallait que ce soit pris pour un ordre. Cet ordre a été spécialement donné par le
premier ministre, il doit donc être exécuté. » 25.
« La réunion des intègres et des autorités locales avec la Secrétaire Exécutive du SNJG avait
pour but d’encourager l’accélération de Gacaca, pour terminer à la fin de l’année 2007. »26
23

Concernant le contentieux du génocide rwandais, contrairement à la compétence temporelle reçue par le TPIR d’Arusha
qui va du 7 avril au 31 décembre 1994, les juridictions nationales rwandaises ont une compétence temporelle plus étendue,
c’est-à-dire couvrant les crimes commis entre 1990 et fin 1994.
24

Art 64 loi organique n°16/2004 du 19 juin 2004.

25

Compte rendu de réunion : Intervention de Mme la Secrétaire exécutive du SNJG au cours de sa rencontre avec les juges
Gacaca et les coordinateurs de cellules et de secteurs de tout le district Gatsibo, le 14 septembre 2007.
26

Entretien PRI avec un président de juridiction Gacaca d’appel, 25 septembre 2007, n° 1761.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 19 -

L’accélération semble être une priorité à retenir : Mme la Secrétaire Exécutive n’a pas manqué de
critiquer certains secteurs comme le secteur de Muganza où les données présentées montrent qu’il y a
encore un très grand nombre de jugements à rendre. A ce propos, elle a sensibilisé les autorités de ce
secteur à «donner leur contribution pour améliorer le rythme des procès dans les juridictions de secteur» 27.
Sans discuter la légitimité de cette volonté d’en terminer au plus vite avec ce contentieux, on peut
cependant souligner que faire primer l’objectif de rapidité, aux dépens du respect des principes du débat
contradictoire et de la présomption d’innocence, constitue un risque important sur le plan de l'adhésion
réelle de la population à ce processus dont le but ultime est la réconciliation des Rwandais28.
Il convient donc à ce propos de nous intéresser à la manière dont sont produits et traités les
témoignages devant les juridictions Gacaca (I). Ceci nous conduira à analyser un certain nombre de
facteurs qui entravent le fonctionnement impartial de ces juridictions, notamment le défaut
d’indépendance des Inyangamugayo (II), qui sont confrontés à certaines situations qui les empêchent de
remplir convenablement la fonction juridictionnelle qui leur est confiée.

I. LE DEROULEMENT DES TEMOIGNAGES DANS GACACA
Sans perdre de vue le contexte social particulier dans lequel les juridictions Gacaca ont été créées, il est
essentiel de rappeler le caractère « judiciaire » de ce processus qui implique le prononcé de sanctions
pénales individuelles. Devant les juridictions Gacaca, des personnes accusées de crime de génocide ou de
crimes contre l’humanité avouent, se défendent et encourent des peines sanctionnant des faits qu’elles
auraient commis. Deux types de paroles circulent et se croisent : celle de l’accusation confortée par les
victimes et rescapés, et celle des accusés. Les informations livrées par les divers acteurs sur le
déroulement des faits renseignent les juges sur la part prise par telle ou telle personne dans la
commission des crimes poursuivis.
Quatorze ans après le déroulement des faits, les seuls éléments de preuve directe sur lesquels les juges
peuvent s’appuyer pour rendre justice sont les témoignages – au sens large du terme – produits par
l’ensemble de la population. Ils constituent en quelque sorte la pièce maîtresse ou la pierre angulaire du
processus Gacaca29. En effet, la révélation des faits criminels et l’établissement de la culpabilité des
auteurs de ces faits ne peuvent ressortir, dans la quasi-totalité des cas, que des témoignages et
informations livrées par la population, dans la mesure où la grande partie des éléments matériels de
preuve a disparu avec le temps. La loi organique n°16/2004 du 19 juin 2004 a encadré le déroulement
des témoignages portés par les différents acteurs. Aussi, faut-il d’abord en analyser le dispositif, avant
de s’intéresser aux différents types de témoins qui déposent devant Gacaca (A), la manière dont ils
déposent (B), et les difficultés rencontrées par les juges intègres dans le recueil, notamment le manque
de témoignages (C), et le traitement des témoignages (D).

Compte rendu la réunion de la Secrétaire Exécutive du SNJG avec les autorités et les intègres des Juridictions Gacaca
dans le district Rusizi, 2 octobre 2007.
27

28

« Cette accélération empêche que les témoins soient interrogés. Il est dit que ''pierre qui roule n’amasse pas mousse’’. Celui qui a inventé cet
adage était très intelligent. Lorsque tu accélères ton travail, tu ne peux pas aboutir à de bons résultats. » : Entretien PRI avec une rescapée,
le 8 octobre 2007, n° 1783.
29

Rapport analytique n° 3, ASF, Phase de jugement, octobre 2006-avril 2007, p. 43.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

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A. Le dispositif de la loi organique
En application des articles 64.6° de la loi organique n°16/2004 du 19 juin 2004 « Toute personne
intervenant au titre de témoin doit prêter serment de dire la vérité…». Cela signifie que seules les personnes
intervenant à ce titre peuvent et doivent prêter serment et leurs dépositions auront alors valeur de
témoignages, avec toutes les conséquences juridiques qui y sont attachées. La qualité de témoin dont la
déposition est officialisée par la prestation de serment implique notamment la possibilité d’être, en cas
d’omission ou de mensonge, condamné pour refus de témoigner ou faux témoignage30. Elle confère un
véritable statut à l’auteur des propos tenus et permet au juge de considérer les informations contenues
dans les dépositions pour se forger sa conviction sur la culpabilité ou l’innocence des accusés.
Compte tenu du niveau de formation peu élevé des Inyangamugayo, le maniement et le respect de cette
notion de témoin et les conséquences qui y sont attachées se sont révélés particulièrement difficiles
dans le cadre des procès Gacaca. Dans bon nombre de juridictions, certaines personnes interviennent,
font des commentaires ou lancent des accusations susceptibles d’influencer le siège sans qu’aucune
vérification ni précision de leur identité ou de leur qualité leur soit demandée par les juges.
« Lorsque de telles interventions spontanées se produisent, le Siège ne fait pas de distinction
entre la valeur juridique d’un témoignage encadré par la prestation de serment et celle d’une
intervention spontanée. »31
En raison de l’importance et des conséquences des témoignages produits dans le cadre du processus
Gacaca, le gouvernement a créé en 2006 un bureau de protection des témoins qui avait enregistré 26
plaintes à la fin de l’année. A la fin de l’année 2007, plus de 1000 plaintes ou demandes de protection
ont été déposées32; ce qui démontre non seulement l’utilité d’une telle structure, mais également les
difficultés et craintes rencontrées par la population lorsque celle-ci souhaite participer, par la prise de
parole, à la manifestation de la vérité.
Ceci étant, il n’existe aucune loi générale relative à la protection des témoins, même si la loi du 19 juin
2004 sur les juridictions Gacaca prévoit en son article 30 jusqu’à un an d’emprisonnement pour les
personnes qui « exercent ou tentent d’exercer des pressions sur les témoins ou sur les membres de la juridiction Gacaca »
L’adoption d’une loi visant à protéger les témoins, réclamée par une commission du sénat rwandais,
permettrait à la police et aux autorités judiciaires de garantir plus facilement la sécurité des témoins.
Ceci contribuerait d’une part à libérer la parole de ceux qui savent mais n’osent pas dire, et d’autre part
à la régularité des témoignages produits.

B. Qui témoigne, comment et pourquoi ?
1. Les victimes rescapées
Les témoignages portés par les victimes rescapées sont indispensables à la manifestation de la vérité et à
l’établissement de la culpabilité ou de l’innocence des personnes accusées. Dans certains procès et
devant certaines juridictions, les victimes interviennent activement et chargent ou déchargent les
personnes qui comparaissent en qualité d’accusés.

30

Art 29 et 32 de la loi organique n°16/2004 du 19 juin 2004.

31

Rapport semestriel analytique, ASF,– Phase de jugement, mars-septembre 2005, p 16.

32

Statistiques des problèmes recueillis par la Commission de protection des témoins (Parquet général), traduction PRI.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

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Cependant, la dernière modification de la loi sur les peines encourues et leurs modalités d’exécution a
été perçue par les victimes rescapées comme une offre d’impunité face à l’ampleur et à la gravité des
crimes commis. La conséquence de ce ressentiment fortement exprimé a été un net découragement des
victimes qui se déplacent de moins en moins pour assister et participer aux audiences.
« Avec la modification de la loi Gacaca en mars 2007, un sentiment de découragement a été fort
remarqué chez les victimes du génocide qui n'y voient aucun avantage, surtout matériel.
La partie civile se plaint de la loi qui avantage les accusés sans qu’elle-même soit considérée. En
outre, les rescapés de Nyange sont très éloignés du lieu de la juridiction, car ils habitent à Kigali.
Ils se lamentent de se présenter tout le temps dans les procès qui ne présentent aucun intérêt pour
eux, du fait que les accusés sont de toute façon libérés. »33
« On remarque que les témoins se sont effectivement lassés de témoigner. Si l’on compare la
participation qu’il y avait au début des activités Gacaca avec la participation d’aujourd’hui, on se
rend compte que les gens se sont lassés de participer à la Gacaca. Au cours des causeries avec des
gens en dehors du jour de la Gacaca, certains me disent qu’ils ne voient pas l’importance d’aller
témoigner car on allège les peines pour des gens qu’ils ont chargés ou on les libère et ils n’effectueront
pas non plus les TIG. Ils se lassent en fait de participer à la Gacaca à cause des mesures établies
par la loi Gacaca chaque fois qu’elle a été révisée.34»
Il ressort de l’ensemble des entretiens menés que beaucoup de victimes rescapées expriment le même
sentiment de frustration et d’insatisfaction face à une justice qui, à leurs yeux, est plus favorable aux
accusés de crime de génocide et autres crimes contre l’humanité qu’aux victimes elles-mêmes. Dans un
très grand nombre de cas, les victimes rescapées ne se déplacent donc plus et témoignent, par leur
absence aux audiences, de leur désintérêt et de leur désaveu de cette justice qui semble plus favorable
aux criminels qu’aux victimes.
« Ce désintéressement est très observé chez les rescapés qui disent qu’ils ne se voient pas dans
Gacaca avec la nouvelle loi. »35
« C’est le pardon inconcevable. ...Mais ce que je peux dire de ce pardon, c’est qu’il a été livré par
l’Etat. Pour nous les rescapés, nous n’avons aucun avantage…Commencer par cette peine TIG,
c’est le pardon inconcevable… Voir quelqu’un condamné rentrer chez lui après sa condamnation
en attendant de commencer un TIG alors qu’il devrait d’abord passer par la prison pour qu’il
puisse au moins ressentir les conséquences de sa culpabilité. Lorsqu’il exécute un TIG, l’exécutant,
après avoir terminé la tâche qui lui a été confiée, rentre chez lui, converse avec sa femme et ses
enfants, garde sa vache…Nous avons considéré cela comme un pardon accordé par l’Etat aux
criminels, mais le problème que nous ressentons est que ce pardon ne nous procure aucun
avantage. 36»
D’autres motifs, tels que la peur des représailles exercées par des accusés ou de leurs familles, les
assassinats de témoins rescapés37, poussent les victimes à ne pas intervenir et à ne pas vouloir rapporter
ce dont ils ont pu être témoins.
33

Entretien PRI (non enregistré) avec un agent de secteur, 3 octobre 2007.

34

Entretien PRI avec un Président d’une Assemblée Générale de secteur, le 26 septembre 2007, n°1765.

35

Entretien PRI (non enregistré) avec un Président d’une Juridiction Gacaca de secteur, le 13 octobre 2007.

36

Entretien PRI avec un Inyangamugayo rescapé le 9 août 2007, n° 1695.

La Commission de protection des témoins avance le chiffre de 25 meurtres et de 20 tentatives de meurtres de témoins:
Statistiques 2007 ; v. aussi LIPRODHOR, Problématique des informations et témoignages devant les juridictions Gacaca,
déc. 2006, p.60.
37

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 22 -

« Cela a découragé les témoins… Ils déplorent que l’Etat n’emprisonne pas les personnes
contre lesquelles ils ont témoigné à charge. Des gens viennent nous dire qu’ils ne veulent pas se
créer de conflits en étant témoins à charge de leurs voisins alors que ces derniers ne seront pas
emprisonnés… Pour cela, quand on les invite à donner des témoignages à charge, ils ne
viennent pas. Pour moi, il y a deux raisons pour lesquelles les gens ne viennent pas donner
des témoignages. D’abord, la loi a été modifiée et les inculpés ne sont plus emprisonnés, la
deuxième est que les habitants croient que la plupart de ceux qui se sont réfugiés sont
morts. ».38
« Certains rescapés refusent de témoigner dans les juridictions, car ils ont peur de charger les
accusés qui après leurs procès sont libérés. Ces rescapés agissent ainsi pour éviter certaines
mésententes pouvant les mettre en conflit avec les accusés une fois libérés. »39
« J’ai suivi régulièrement les Gacaca de chez nous ; nous attendions beaucoup de ces Gacaca
au début, mais personnellement, cela n’a pas été satisfaisant comme je le pensais. Nous
pensions qu’elles établiraient une réconciliation entre nous et ceux qui nous ont endeuillés,
mais ils ont été innocentés par les Gacaca. Cela nous met en conflit perpétuel avec eux. Les
accusés ne disent pas la vérité, au contraire ils continuent à nous agresser par leur tromperie
en nous traitant comme des ennemis »40.
« Avec la diminution des peines, les victimes ont été traumatisées de sorte qu’elles n’ont plus le
courage de participer dans Gacaca. »41
Le découragement des rescapés est en outre accentué par un sentiment de grande vulnérabilité qui les
conduit bien souvent à considérer que leurs témoignages ne servent à rien.
« Chez nous, les rescapés sont moins nombreux que les non rescapés. Ceux qui ont commis
des crimes sont également plus nombreux. Alors, vu que ce sont les témoignages de la majorité
qui sont pris en considération, le rescapé qui témoigne sur des faits auxquels il a pourtant
assisté n’est pas écouté.42 »
L’incompréhension par les victimes des décisions politiques qui encadrent le processus Gacaca et
auxquelles elles ne sont pas souvent associées constitue un obstacle sociologique à la manifestation de
la vérité. Il n’est pas rare en effet que soient cités, voire revendiqués des marchandages avec les accusés
sur les témoignages à charge ou à décharge43. De même, des accusations sont portées sans aucun
fondement parce que très souvent les victimes, cachées lors des faits, n’ont pas été témoins oculaires de
ces faits mais sont les seuls témoins à charge dans un procès. Se sentant parfaitement démunies,
exposées aux représailles et insuffisamment protégées par l’Etat, des victimes utilisent parfois les seuls
moyens qu’elles estiment avoir pour se défendre en espérant écarter certaines personnes des collines et
en portant à leur encontre des accusations infondées.

38

Entretien groupé avec deux Intègres, le 20 septembre 2007, n°1756.

39

Entretien avec une rescapée le 8 octobre 2007, n°1783.

40

Entretien avec une rescapée, le 18 octobre 2007, n°1792.

41

Rapport d’entretien avec un président d’une juridiction Gacaca de secteur, Ville de Kigali, le 13 octobre 2007.

42

Entretien PRI (non enregistré) avec une rescapée, 18 octobre 2007.

43

V. infra, p. 50 et s.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 23 -

« Cela est aussi un obstacle à nos activités. Considérant les témoignages qui sont donnés par
une personne rescapée, on remarque parfois qu’elle livre des mensonges. Dans ce cas, on ne
veut pas blesser la victime parce qu’elle a trop souffert. On fait semblant d’accepter ce qu’elle
dit, mais lors du délibéré, on écarte son témoignage. Après, il peut arriver que tu causes avec
la victime qui te dit : ‘‘nous aussi nous avons trop souffert, c’est pourquoi nous devons nous
venger.’’ A ce moment là, je lui réponds qu’elle ne doit pas être étonnée alors de voir que ses
témoignages mensongers ne sont pas considérés par le siège. Dans beaucoup de cas, la victime
n’est pas témoin oculaire.44 »
« Ce sont les rescapés qui ont poussé les gens à aller donner des témoignages à charge.
Je n’avais aucun dossier dans la juridiction du secteur. On est venu confectionner mon dossier
au niveau de la cellule mais il n’y a eu personne pour être témoin à charge contre moi. Les
rescapés du génocide ont pris le registre et ils ont demandé qu’on mentionne que j’ai participé
à telle attaque…Pour le moment, ils préfèrent utiliser ceux qui ont avoué pour qu’ils soient
témoins à charge à leur place….Ils ne veulent pas se faire remarquer.45»
« Un problème sérieux évoqué par les membres des familles des accusés au début du
procès…réside dans le fait que comme les vrais auteurs n’ont pas été retrouvés, les rescapés
mécontents cherchent à incriminer tous les innocents présents46.»
De telles pratiques illustrent les frustrations et insatisfactions des rescapés qui, pour bon nombre
d’entre eux, n’ont pas bénéficié des aides de l’Etat et vivent dans un dénuement extrême.
« Je suis pauvre et veuve, toute la famille de mon mari a été exterminée. Je vis seule avec mes
enfants. Je te jure, nous apprenons à la radio que ces aides existent, mais je n’ai jamais
bénéficié même d’une pièce de cinquante francs rwandais.
L’Etat devait dénombrer les indigents, les veuves et les orphelins pour les aider. Au lieu de
publier seulement à la radio que les aides sont disponibles alors qu’elles ne parviennent pas
aux concernés.47 »
Les victimes rescapées ont beaucoup de mal à comprendre et accepter des décisions politiques qui leur
semblent très éloignées de leur quotidien qui consiste à croiser et devoir cohabiter avec des personnes
jugées coupables de faits criminels ayant anéanti leurs familles.
Sur le plan judiciaire, ces incompréhensions et sentiments d’abandon se traduisent par des pratiques qui
expriment le manque de confiance des rescapés dans la justice telle qu’elle est rendue dans le cadre des
Gacaca. Ces attitudes sont parfois vécues comme étant un moyen de révolte des rescapés face à une
justice qui, à leurs yeux, est incapable de punir les coupables et de réhabiliter les victimes.

2. Les accusés ou les personnes déjà condamnées
La loi organique n°10/2007 du 1er mars 2007 a modifié, en les diminuant, le quantum des peines
d’emprisonnement encourues par les accusés classés dans la 2ème catégorie qui représentent plus de la
moitié des personnes qui comparaissent devant les juridictions Gacaca. Ces peines sont en outre

44

Entretien avec la présidente d’une juridiction Gacaca , le 17 août 2007, n°1761

45

Entretien PRI avec un habitant le 8 août 2007, n° 1693.

46

Entretien (non enregistré) avec un président de juridiction Gacaca, le 18 octobre 2007, ville de Kigali.

47

Entretien avec une rescapée, le 11 septembre 2007, n° 1738.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 24 -

modulées en fonction de la date à laquelle les accusés ont recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de
culpabilité, de repentir et d’excuses48.
Par la suite, l’instruction n° 15/2007 du 01 juin 2007 émanant du Secrétariat National des Juridictions
Gacaca relative à « l’exécution des peines prononcées contre une personne à la procédure d’aveu, de
plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuse et dont l’aveu est accepté par la juridiction Gacaca »
prévoit en son article 1 que celle-ci « exécute sa peine d’emprisonnement prononcée par la juridiction Gacaca en
commençant par le TIG49 et puis l’emprisonnement et enfin le sursis ».
Lors d’une réunion d’information à l'intention des divers acteurs nationaux et internationaux impliqués
dans le processus Gacaca qui s’est tenue le 3 juillet 2007 à Kigali, la Secrétaire Exécutive du SNJG a par
ailleurs précisé qu'une personne qui se comporterait bien pendant son TIG n'irait pas en prison,
effectuerait le TIG, puis resterait sous le coup d’une condamnation avec sursis. Même si aucun texte n’a
encore été promulgué en ce sens, beaucoup de rescapés pensent aujourd’hui que les personnes
condamnées au Travail d’Intérêt Général n'iront donc pas en prison, cette peine remplaçant
l’incarcération pour les personnes relevant de la 2ème catégorie dont les aveux ont été acceptés. C’est dire
qu’un grand nombre de personnes accusées ou des personnes déjà condamnées sont disponibles à
apporter leurs témoignages : elles peuvent ainsi dénoncer leurs coauteurs et complices et innocenter
d’autres personnes faussement accusées.
En principe, les accusés ne peuvent être considérés comme témoins dans leur propre procès et n’ont
donc pas à prêter serment. Même s’ils donnent des informations utiles à travers leurs aveux, ils ne
peuvent être forcés de témoigner contre eux-mêmes.50 A ce titre, ils ne sont pas des témoins au sens
classique du terme, mais leurs paroles et le récit des faits qu'ils relatent font partie intégrante du
processus et peuvent contribuer à établir la vérité.
Les personnes accusées qui comparaissent devant Gacaca et qui font le choix de la procédure du
plaidoyer de culpabilité se doivent de contribuer à l’émergence de la vérité en citant notamment les
noms de leurs co-auteurs et complices51. Il ressort des observations réalisées que dans bon nombre de
cas les accusés sont très réticents à dénoncer leurs co-auteurs, notamment parce que l’on constate
souvent qu’ils ont commis les crimes avec les membres de leurs familles ou avec des voisins proches52.
Dans un contexte économique difficile où la solidarité de la population est essentielle à la survie de
chacun, dénoncer ses proches voisins équivaut à s’isoler et à se priver d’aides ou de secours possibles.
La peur des représailles qu’ils encourent du fait même d’avoir cité le nom d’un voisin ou celui d’un des
membres de leurs familles, d’être isolés ou exclus nourrit cette résistance à dénoncer leurs co-auteurs.
« Une présidente du siège a évoqué le fait que les aveux ont augmenté et manifesté son
inquiétude face aux témoignages partiels qui se constatent dans son secteur. Les prévenus qui
avouent, se contentent de raconter leur histoire mais ne veulent pas révéler ce qui a été fait par
les autres. On n’arrive pas à identifier le nom de la victime et son ayant droit. En bref, ça
nous demande beaucoup de temps pour trouver des informations. On remarque que même la
personne qui avoue ses actes ne veut pas dénoncer ses coauteurs. Dans leurs témoignages, rares
sont les cas où ils dénoncent les coauteurs et les complices. »53
48

Art 14 de la loi organique n°10/2007 du 1er mars 2007.

49

Travail d’Intérêt Général, peine alternative à l’emprisonnement.

50

Art 14 al. 3 du Pacte International sur les doits civils et politiques.

51

Art 54, 2° Loi organique n°16/2004 du 19 juin 2004.

52

Cf. sur ce point, le rapport semestriel analytique n°2, ASF, décembre 2006, p 34.

53

Entretien avec une présidente de juridiction Gacaca, le 17 août 2007, n° 1702.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 25 -

Le postulat selon lequel la Gacaca favoriserait l’unité et la réconciliation nationale parce qu’elle repose
notamment sur la liberté de parole et permet un face-à-face entre l’accusé et la victime en permettant de
passer de la narration des faits à leur reconnaissance, est de plus en plus mis à mal. Les deux groupes,
accusés-victimes, s’affrontent souvent et lorsque l’un des deux est soupçonné de dire la vérité dans son
intégralité, il n’est pas rare qu’il soit exclu du groupe et traité de "traître".
« (…) Quelqu’un qui est du côté des accusés et qui essaie de témoigner en toute sincérité n’est
pas bien perçu par les autres, il est repoussé et parfois injurié, parce qu’il est taxé d’être
quelqu’un qui se rallie aux victimes pour dénoncer les autres. On peut d’ailleurs constater
que les coauteurs reportent sur cette personne les crimes qu’ils ont commis ensemble parce
qu’elle s’est alliée aux victimes. Ce que je remarque, c’est que ceux qui parmi les accusés
acceptent d’aller voir les victimes des infractions qu’ils ont commises pour leur demander
pardon sont mal vus, on les prend pour ennemis»54.
Si la Gacaca « moderne » s’inspire du modèle de la justice reconstructive qui incite à la responsabilité
par la parole qui libère et permet la réintégration des coupables dans l’espoir de rendre possible une
coexistence nouvelle, les aveux partiels, les dissimulations connues de tous, la crainte de dire la vérité,
les dénonciations mensongères et calomnieuses sont autant d’éléments qui risquent de compromettre
les objectifs poursuivis, notamment l’établissement de la vérité sur le génocide de 1994, la fin de
l’impunité et la réconciliation nationale.

3. La population
Le fonctionnement du processus Gacaca repose essentiellement sur une participation active et
volontaire de la population, ce qui constitue le socle de sa réussite. Non seulement celle-ci est censée
connaître le déroulement de ces faits pour en avoir été témoin, mais elle a également été solennellement
invitée à s’impliquer totalement dans le processus55.
Dans la première année de la phase juridictionnelle du processus Gacaca, l’on a pu noter la présence
massive de la population. La plupart des audiences se déroulaient en effet devant un public très souvent
composé d’au moins 300 à 500 personnes. Même s’il est important de différencier la notion de
participation de celle de présence dont on a beaucoup relevé le caractère silencieux et passif, l’ensemble
de la communauté a, durant toute cette période, entendu le message de sensibilisation véhiculé par les
autorités en charge du processus.56
Certaines audiences se tiennent aujourd’hui encore effectivement grâce aux interventions de la
population qui pose des questions et, sous serment, apporte des éclairages importants aux Inyangamugayo
sur le déroulement des faits et la responsabilité des personnes qui comparaissent57.
Dans le courant de l’année 2007, cette présence et cette participation populaires ont cependant
considérablement diminué. Différents facteurs, notamment la lassitude de la population, obligée parfois

54

Entretien du 18 octobre 2007 avec une rescapée, n°1761.

V. le préambule de la loi organique du 26 janvier 2001 portant création de juridictions Gacaca, préc., v. note 18 et le
passage cité.
55

56

V. rapport analytique n° 2 (octobre 2005-septembre 2006), ASF, p. 21.

Par exemple : ROJG Ville de Kigali/Nyamirambo/ Rugarama, 28 Septembre 2007; ROJG Cyangugu (actuelle province de
l’Ouest)/Ville de Cyangugu/ Kamembe, n° 0401/07 du 13/09/07.
57

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 26 -

de se rendre deux fois par semaine aux audiences et son désintérêt grandissant pour cette justice dont
beaucoup disent la corruption, les marchandages entre personnes accusées et victimes pour faire
condamner des personnes ciblées et, plus globalement, le manque de vérité de ce qui se dit dans
Gacaca, expliquent largement une telle situation.
« Il y a une grande différence si l’on considère la manière dont la population participait dans
les Gacaca au début et comment elle participe actuellement. Nous constatons un relâchement
de la part des autorités de base qui étaient chargées de la sensibilisation de la population. Il
est à constater que sur les 11 autorités des Imidugudu et des cellules, 2 ou 3 seulement
participent activement dans les Gacaca.
Un autre argument est qu’il n’y a plus vraiment de réunions de sensibilisation de la
population à participer dans les Gacaca. Même si il y a une réunion, le sujet de Gacaca n’est
pas mis à l’ordre du jour.
Ce manque de participation de la population handicape beaucoup de choses. Les accusés
essaient de se justifier en mentant et les témoins à charge mentent. Le débat contradictoire
n’est pas possible et nous prenons quelques fois des décisions sans preuves. Ajoutons que ce
manque de participation de la population dévalorise Gacaca. Ceci constitue un handicap
dans la découverte des criminels qui devraient être punis.58 »
Dans certains cas, tel celui qui suit, la population a littéralement renoncé à s’exprimer face aux
pressions, intimidations, insultes, voies de fait et autres représailles, notamment l’emprisonnement
émanant d’une autorité administrative, en l’occurrence le secrétaire exécutif du secteur59.
« Ici, les habitants ne posent pas de questions lors des réunions Gacaca. Je vais t’expliquer
pour quelle raison les gens ont renoncé à donner des témoignages. Celui qui donne un
témoignage court des risques. Le secrétaire exécutif accepte seulement les témoignages à charge
et non les témoignages à décharge.
Tous le craignent. Imaginez quelqu’un qui dit qu’il a été désigné par le Président de la
République et que personne ne l’a élu. Comment un habitant peut-il oser poser une question
après avoir entendu cela ?
Il y a aussi cet homme qui a été frappé. Il avait été témoin à décharge. Il a été victime d’avoir
donné un témoignage à décharge. Le Secrétaire Exécutif lui a dit : ‘‘ Espèce de chien, je ne
comprends pas comment tu as osé aller donner un témoignage à décharge alors que tu as été
libéré.’’ Pourtant, il a été témoin oculaire. ‘‘Nous étions ensemble. Lui-même peut confirmer
que nous étions ensemble. Il disait qu’il était parmi ceux qui ont mené l’attaque dans l’école,
il a avoué et plaidé coupable, mais il a dit qu’il n’a pas vu les autres personnes qui étaient
accusées’’. 60»
Aussi, les réunions de sensibilisation de la population par les différentes autorités ont-elles également
diminué pour être remplacées par des réunions visant la nécessaire accélération du processus et
l’obligation d’en avoir terminé à la fin de l’année 2007. La multiplication des sièges issue de l'article 1er
de la loi organique de mars 2007 qui dispose qu’« une juridiction Gacaca peut avoir plus d'un Siège en cas de
besoin. » rend plus difficile encore la production des témoignages par la population qui ne peut assister à
plusieurs séances en même temps. Même si les sièges traitent les dossiers des mêmes cellules61, il n'en
58

59

60

Entretien (non enregistré) avec un Président de Juridiction Gacaca de Secteur, 13 octobre 2007.
Rapport d’observation sur la collecte d’informations, 28 août 2007, n°0360, province de l’Ouest..
Entretien avec une habitante, 8 août 2007, n° 1692.

61

Puisque l'instruction émanant du Service National des Juridictions Gacaca n°11/2007 datée du 2 mars 2007 précise que
"les dossiers provenant d'une même juridiction Gacaca de cellule sont transmis à un siège pour donner une facilité aux accusés, les plaignants et les
témoins: v. l'article 8 de l'instruction n°11/07 du 2 mars 2007 du Secrétaire exécutif du Service National des Juridictions
Gacaca relative à la mise en place des comités des juridictions et ses collaborateurs.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 27 -

demeure pas moins que certaines personnes qui peuvent avoir été témoins des crimes dans des cellules
différentes ne peuvent pas être disponibles pour deux procès se tenant le même jour là où leur
contribution aurait pourtant été utile.
Enfin, l’ensemble des entretiens menés avec les différents acteurs du processus démontre que la
population intervient assez peu par crainte notamment de s’exprimer, ou de se voir accusée62, ou pour
ne pas dénoncer des parents ou des proches. Dans cette dernière hypothèse, soit le silence prévaut, soit
les membres des familles des accusés, souvent plus nombreux que les victimes rescapées, produisent
des témoignages à décharge en faveur de la personne accusée63. Ces témoignages, s’ils ne sont pas
vérifiés ou croisés avec d’autres informations, sont susceptibles d’emporter la conviction des juges et
d’être ainsi à l’origine de décisions injustes ou d’erreurs judiciaires.

C. Le manque de témoignages et la question de la preuve
1. La non comparution des témoins convoqués et le refus de témoigner
L'absence de témoignages64 s'explique en grande partie par la non comparution des témoins convoqués
et le refus délibéré ou la crainte de témoigner. Ceci constitue un handicap majeur au travail des juges et
à la manifestation de la vérité. Par exemple, dans un procès observé à l’Ouest, le président du siège a
appelé les parties civiles et les témoins; tous étaient absents, personne ne s’est présenté et aucun motif
d’absence n’a été présenté à la juridiction Gacaca.65
« Les témoins à charge ont été découragés du fait que les inculpés commencent leurs peines par
le TIG. Ils n’ont plus le courage de donner les témoignages à charge puisqu’ils savent que les
inculpés seront bientôt libérés. Quand nous assignons un témoin une, deux ou trois fois sans
qu’il ne se présente, cela ne nous empêche pas de rendre le procès. 66 »
Il ressort des entretiens menés par notre équipe qu’un grand nombre de procès se tiennent en l’absence
des témoins convoqués ou pour le moins notés comme tels sur le dossier d’accusation. Une des raisons
qui peut expliquer la non-comparution des témoins réside dans le fait que ceux-ci ne reçoivent pas ou
reçoivent trop tard leurs citations à comparaître.
« Les témoins ne se présentent pas devant la juridiction parce que les convocations leur
parviennent en retard. Kamembe se situe en ville, les gens qui y habitaient pendant le génocide
ont déménagé pour s’installer ailleurs pour gagner leur vie et il est impossible de faire parvenir
une assignation au concerné en peu de jours.67 »

62

« Un autre problème que nous rencontrons dans Gacaca réside dans le fait de dénoncer ceux que tu as vu commettre ces atrocités. Celui que tu
as dénoncé dit :'' moi aussi je dois trouver de quoi l’accuser, je ne veux pas partir seul''. Lorsqu’il t’accuse un dossier est établi contre toi, car ce
qu’il dit est considéré, même si il a tout inventé suite aux accusations que tu as portées contre lui » : Entretien PRI avec un habitant, le 28
janvier 2008, n°1879.
63

« Les membres des familles des accusés ont formé des équipes pour se constituer en témoins à décharge des accusés. » : entretien avec une
représentante d’AVEGA, le 6 septembre 2007, n° 1703.
Sur la question de l’absence ou de l’insuffisance des témoignages, v. aussi LIPRODHOR, Situation des droits de la
personne au Rwanda, rapport 2003-2004, déc. 2005.
64

65

ROJG Province de Kibuye (actuelle province de l’Ouest)/Budaha/Ngobagoba, 2 août 2007.

66

Entretien PRI avec un intègre le 31 juillet 2007, n°1685.

67

Entretien avec une rescapée, le 8 octobre 2007, n° 1738.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

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Sur un autre plan, « la rentabilité » et la charge de travail auxquels sont astreints les Inyangamugayo ont
pour conséquence immédiate le fait que dans bien des cas, ceux-ci ne respectent pas les délais de
procédure en matière de convocation ou s’en dispensent parfois. Pourtant, le Guide de procédure des
jugements devant les juridictions Gacaca précise que « toute personne assignée par la juridiction, que ce
soit l’accusé, que ce soit le témoin, la victime et toute autre personne doit en être informée au moins
dans un délai de 7 jours avant le procès. »68.
« Les juridictions Gacaca ne convoquent pas à temps les témoins et ne mettent pas assez de
temps pour entendre tous les témoins nécessaires. En plus, l’accélération des procès permet à
beaucoup de gens de cacher la vérité.69 »
Ainsi que le rapporte cette personne rescapée, l’accélération des procès ne permet pas à l’assistance
d’intervenir autant qu’elle le désire, comme c’était le cas au début des Gacaca. Pire, dans l’hypothèse où
personne dans l’assistance n’intervient pour témoigner, les Inyangamugayo rendent parfois des jugements
sans avoir vérifié les informations consignées dans le dossier de collecte d’informations. Une telle
situation s’explique notamment par la demande explicite et pressante émanant des autorités visant à
accélérer le traitement des dossiers.
« Il est prévu que les activités Gacaca soient clôturées à la fin de l’année 2007. Seulement,
certains juges Gacaca profitent de cette situation pour commettre des erreurs. Il arrive que par
exemple les juges prononcent le jugement en l’absence de plusieurs témoins 70».
D’autres raisons peuvent expliquer le manque de témoignages sur lesquels les Inyangamugayo pourraient
s’appuyer pour rendre justice : on peut citer notamment le fait que les témoignages à décharge n’ont pas
été pris en compte lors de la collecte d’informations71. Les dossiers présentés en phase de jugement ne
comportent donc généralement pas les noms de témoins à décharge, ce qui implique soit une totale
absence de témoins, soit l’audition des seuls témoins à charge.
« Certains rescapés refusent de témoigner dans les juridictions. Cela est fréquent, parce qu’il y
a des rescapés qui ont peur de charger les accusés qui, après leurs procès, sont libérés. Ces
rescapés agissent ainsi pour éviter certaines mésententes pouvant les mettre en conflit avec les
accusés une fois libérés. 72»
Ces propos illustrent la position de beaucoup de victimes rescapées qui, ainsi que cela a été déjà
souligné dans le présent rapport, sont démoralisées et estiment que la diminution des peines telle que
prévue par la loi du 1er mars 2007 les expose à de possibles conflits avec les personnes accusées qui,
finalement, reviennent vivre sur les collines. Pour ces diverses raisons, des victimes refusent
simplement de parler, considérant que cela ne sert à rien.
« Les rescapés ne sont pas considérés devant la Gacaca. Certains parmi eux ne veulent même
pas être interrogés. Celui qui a le courage de parler devient l’ennemi de la population. Il ne

68

Point A, 11 du Guide de procédure des jugements devant les juridictions Gacaca, SNJG, traduction PRI.

69

Entretien PRI avec une rescapée, le 8 octobre 2007, n°1783.

70

Entretien PRI avec un rescapé, le 28 octobre 2007, n°1804.

71

Cf. Rapport PRI « la récolte d’informations en phase nationale », juin 2006, p.31 et s.

72

Entretien PRI avec une rescapée le 8 octobre 2007, n° 1783.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 29 -

peut ni demander de l’eau à quelqu’un, ni être élu, ni être embauché quelque part, il est
considéré comme méchant73. »
« Certains témoins refusent de charger ou de décharger, car ils trouvent que cela revêt moins
d’importance depuis que l’Etat a pris la décision de libérer les personnes condamnées au
Travail d’Intérêt Général. Ces témoins sont donc découragés74 »
« Ici, celui qui veut décrire ce qui s’est passé dans la réalité est menacé, haï et n’a pas de
paix. Ces gens aisés sensibilisent partout et le détenteur desdits témoignages n’est plus
paisible…Ici, c’est l’endroit où se faisaient pas mal d’atrocités. Personne n’a osé les dénoncer
de peur de devenir victime. Mon époux a dénoncé cet état de fait dès 2003. En avril 2004, il
en a été emprisonné. Depuis lors, tout le monde a fermé sa bouche. Les gens d’ici on renoncé
à dire quoi que ce soit sur ce qui s’est passé.75 »
Il est à craindre que de telles attitudes compromettent sérieusement la recherche de la vérité, dès lors
que les témoins sont absents ou refusent de prendre la parole, alors qu’ils sont les seuls à détenir les
informations sur les faits. Plus grave encore, il est probable que certains auteurs des crimes commis ne
soient pas jugés ou soient acquittées en raison de ce désintérêt des victimes qui vivent les solutions
politiques proposées comme une absence de sanction.

2. La multiplication des sièges : un obstacle matériel à la présentation des témoins.
En disposant qu’"une juridiction Gacaca peut avoir plus d'un siège en cas de besoin", l’article 1er de la loi
organique du 1er mars 2007 a également prévu la réduction du nombre de juges du siège. Ceux-ci sont
passés de 9 titulaires et 5 remplaçants selon la loi Gacaca de 2004 à 7 titulaires et 2 remplaçants, ce qui
permet de répartir les juges ainsi rendus disponibles dans les sièges nouvellement créés.
Dans la perspective d’accélérer le traitement des dossiers issus du contentieux du génocide, quelques
1800 sièges supplémentaires de juridictions Gacaca de secteur et d’appel ont donc été installés dans le
courant de l’année 2007.
Beaucoup de témoins rescapés ont rapporté dans le cadre des entretiens menés avec les observateurs de
PRI combien du fait de la multiplication des sièges, ils se sentent isolés et dans l’impossibilité matérielle
d’être présents à plusieurs endroits au même moment, alors que leurs témoignages sur le déroulement
des faits et leurs auteurs s’avèrent indispensables.
« C’était mieux dans la période passée lorsqu’il y avait un seul siège. La population se retrouvait
en un seul endroit, le nombre de rescapés était un peu satisfaisant au sein du public. Mais
actuellement qu’il y a plusieurs sièges, la population est obligée de s’éparpiller dans ces sièges et le
nombre de victimes se voit minimisé dans chaque siège et cela a pour conséquence de ne plus donner
de valeur à leurs témoignages. 76»
Cet état de fait est également dénoncé par les représentants d’Ibuka, association de rescapés du
génocide, qui déplore l'impossibilité pour les témoins de se présenter pour témoigner dans tous les
procès où ils pourraient le faire du fait de la multiplication des sièges:
73

Entretien PRI avec un intègre, le 31 juillet 2007, n° 1685.

74

Entretien PRI avec un intègre, le 31 juillet 2007, n°1685.

75

Entretien PRI avec une rescapée, le 29 janvier 2008, n°1879.

76

Entretien avec une rescapée, le 18 octobre 2007, n° 1792.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

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« Ainsi, dans un secteur avec au moins 6 juridictions, les rescapés et témoins ne peuvent se
présenter à tous les procès où ils doivent témoigner. Résultat : les présumés auteurs du génocide sont
acquittés, faute de témoins à charge.77 »
La multiplication des sièges a ainsi eu pour conséquence d’isoler encore les victimes rescapées et de les
priver de leur droit de témoigner. En ayant le sentiment que leur parole a moins de poids que celle des
accusés et de leurs familles qui interviennent en nombre, en percevant les décisions politiques
d’aménagement des peines comme des offres d’impunité à l’égard des personnes reconnues coupables,
les rescapés sont de plus en plus réticents à venir témoigner devant les juridictions Gacaca et expriment
ainsi leur découragement face à des décisions qui, du fait de l’absence de témoignages, ne
correspondent pas à la réalité de ce qui s’est passé.

3. Juger sans preuves : les craintes exprimées par les Inyangamugayo.
La présence silencieuse et passive de la population, l’absence de témoins dans bon nombre de procès
ou le refus par certains témoins de déposer ont pour conséquence de placer les Inyangamugayo dans une
situation délicate et inconfortable face à la très lourde tâche de rendre justice, malgré tout. En effet,
ceux-ci expriment la difficulté d’être confrontés à l’absence de témoins dans un procès et d'être amenés
à juger sans avoir recueilli suffisamment d'éléments sur lesquels ils peuvent forger leur conviction.
« Nous avons beaucoup de difficultés dans la recherche des témoignages et preuves suite à la
non participation de la population, que ce soit les témoins, les victimes ou les accusés. Ceci
pousse les intègres à juger sans preuves!78 »
« Lorsque dans un procès quelconque les témoins ne sont pas mentionnés, c’est un problème
pour la juridiction Gacaca, car les intègres éprouvent des difficultés au moment du délibéré.
Dans ce cas, les intègres se fondent sur les informations collectées et font intervenir les intègres
de cellules pour expliquer ces cas.79 »
«(…) Il a déploré l’absence de témoins à charge dans les procès puisque la plupart des
rescapés du génocide qui vivaient à cet endroit en 1994 se sont installés ailleurs, notamment à
Kigali. Ainsi les témoins à décharge sont ici plus nombreux, car le reste de la population n’a
pas bougé de là. Cela a entraîné plusieurs libérations sûrement par manque de témoignages
à charge80. »
De tels propos signifient que le débat contradictoire dans de pareilles situations ne peut être assuré81.
En conséquence de ces difficultés, les Inyangamugayo expriment également l’insécurité qu’ils ressentent
face aux possibles erreurs judiciaires qu’ils peuvent commettre du fait de l’impossibilité de croiser les
informations et témoignages, soit parce qu’ils n’ont pas suffisamment d’éléments, soit parce qu’ils sont
tenus de rendre des jugements et ne peuvent pas les ajourner pour rechercher des éléments de preuve
supplémentaires. A cette inquiétude s’ajoute la peur de condamner des personnes dont la notoriété ou
77

Kigali, 5 décembre 2007, propos recueillis par l’agence de presse Hirondelle auprès de M. KAYITARE, chef du
département juridique au sein d’Ibuka (Association rwandaise de rescapés du génocide).
78

Entretien PRI (non enregistré) avec un Président de Juridiction Gacaca de secteur, le 13 octobre 2007.

79

Entretien PRI avec une rescapée et juge intègre le 15 octobre 2007, n°1784.

80

Entretien (non enregistré) PRI avec un Secrétaire Exécutif de Secteur, le 9 novembre 2007.

81

V. égal. Rapport analytique n° 3, ASF, préc., p. 52.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

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le niveau de fortune impose respect et crainte à des juges qui n’ont ni les moyens ni la protection
nécessaires pour affirmer leur autorité et leur indépendance.
« Certains sont condamnés à 30 ans. D’autres entre 15 ans et 29 ans d’emprisonnement
sans TIG. Nous avons ces cas. Même s’ils ne sont pas nombreux, ils existent…, les
inquiétudes existent : ces procès ont été menés par des juges intègres élus au milieu de la
population qui sont souvent de basses conditions en particulier des personnes non instruites,
pauvres et travaillant bénévolement. Il est risqué pour un juge intègre non instruit de
condamner quelqu’un qui a un certain niveau de formation et un standing de vie assez élevé
surtout qu’ils devront forcément se croiser dès que la personne condamnée aura bénéficié d’une
grâce, puisque la grâce sera probablement accordée. Il faut penser qu’après la Gacaca, aucune
loi ne protégera les juges intègres, les inquiétudes existent. Nous sommes vraiment
inquiets82. »
La « peur » est un mot qui revient souvent dans les propos tenus par les personnes interviewées :
la peur des rescapés de parler et d'être victimes de représailles violentes allant jusqu’à l’assassinat, la
peur des témoins à décharge de parler et d'être accusés de protéger les auteurs du génocide, ou d'être
accusés à leur tour, la peur encore des accusés de se défendre par crainte d’être également accusés de
minimiser le génocide.
Il faut donc souligner que dans un contexte social tendu, les Inyangamugayo doivent avoir la possibilité et
le temps d’investiguer et de rechercher les éléments de preuve nécessaires à l’établissement de la
culpabilité ou de l’innocence des personnes accusées. La crédibilité des décisions rendues par les
juridictions Gacaca et la confiance que peut avoir la population dans cette institution de justice sont
directement liées à la capacité que doivent avoir les Inyangamugayo à fonder leurs décisions sur des
éléments de preuve suffisamment discutés à l’audience.

D. Le mécanisme d'acceptation, de vérification et de validation des
témoignages produits
1. La collecte d’informations peu utilisée
La procédure de collecte d’informations a constitué la première étape importante dans le démarrage du
processus Gacaca. En effet, cette phase de collecte a permis aux autorités administratives locales de
rassembler des informations sur les faits et leurs auteurs présumés; ces dernières étaient ensuite validées
par la juridiction Gacaca de cellule et l’Assemblée Générale83. Elles ont enfin permis de constituer des
dossiers d’accusation. Ceux-ci sont par la suite soumis à l’appréciation des sièges des juridictions
Gacaca compétentes qui doivent utiliser les informations recueillies pour formuler des charges à
l’encontre des personnes citées devant elles.
Durant cette phase de collecte, la population dans son ensemble a été appelée à dire ce qu’elle avait vu,
fait ou subi. Les dossiers d’accusation ont donc été établis sur la base des données collectées par les
nyumbakumi84, chargés d’interroger la population sur le déroulement des faits.

82

Entretien PRI avec un Président de Juridiction Gacaca d’Appel, le 9 octobre 2007, n°1785.

83

Cf. Rapport PRI « La récolte d’informations en phase nationale », juin 2006.

84

Ibid, pp. 7 et 8.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 32 -

Durant la phase juridictionnelle, les juridictions Gacaca de secteur ont comme base de travail les
informations contenues dans les dossiers d’accusation ; ils mènent les débats en écoutant les différents
témoins convoqués et issus notamment de la collecte d’informations. Il ressort de nos enquêtes qu’en
réalité les informations recueillies pendant cette phase qu’on peut facilement identifier à une phase
d’instruction ne sont pas ou peu utilisées par les Inyangamugayo qui ne prennent en considération que les
témoignages produits à l’audience.
« Des informations qui ont été données dans la Gacaca au niveau de la cellule où on a pu par
exemple dénoncer des personnes qui ont été des chefs des Interahamwe ne sont pas considérées à
mon avis. Les Intègres ne prennent en considération que ce que les accusés disent 85».
« Les intègres ne donnent pas une grande importance aux informations collectées avant la
constitution des dossiers. Ce sont les témoignages donnés au moment du procès qui sont plus
considérés86 ».
« Je parle du président de la Gacaca. On indique souvent qu’il ne prend pas en considération
les informations qui ont été données par la population lors de la collecte d’informations alors
qu’il devrait les considérer.87 »
Par ailleurs, sont relevées par beaucoup d’intervenants des contradictions importantes qui existent entre
les informations recueillies au cours de la collecte et les témoignages qui sont par la suite portés par
ceux-là mêmes qui se sont exprimés dans le cadre de la collecte. Ces contradictions fréquentes peuvent
venir du fait que beaucoup de personnes se sont exprimées au cours de cette phase sans penser qu’elles
auraient à reproduire devant la juridiction de secteur ou d’appel leurs témoignages encadrés par les
articles 29 et 30 de la loi organique du 19 juin 2004 qui prévoient les sanctions applicables en cas de
faux témoignages88. Ces contradictions peuvent encore avoir pour origine les pressions subies par la
population lors de la phase de collecte d’informations au cours de laquelle lorsqu’une personne refusait
de témoigner ou était considérée comme un faux témoin, elle était placée en détention en application de
l’article 29 de la loi du 16 juin 2004. Ainsi donc, pour éviter d’être accusées de ne pas vouloir participer
au processus Gacaca, beaucoup de personnes ont pu apporter de faux témoignages lors de la collecte
d’informations89.
“Il y a un changement actuellement au sujet des témoignages donnés. Au début des procès, les
gens disaient la vérité et actuellement ils changent. Durant la collecte d’informations un accusé
peut avoir donné telles ou telles informations et une fois devant la juridiction Gacaca de
secteur ou d’appel, il change d’attitude.
De la même façon, ce qui arrive souvent, c’est que dans la Gacaca du niveau de la cellule, le
rescapé peut avoir donné des informations sur les crimes dont il a été victime et une fois arrivé
au niveau du secteur pour le procès, il maintient les mêmes informations ou change quelques
points. Par la suite, devant la juridiction d’appel, il décharge complètement l’accusé. Devant
la juridiction Gacaca de secteur, il peut avoir témoigné à charge et au niveau de l’appel, il
décharge en disant qu’au niveau du secteur, c’est Satan qui l’avait poussé à charger, et que
85

Entretien avec une rescapée, le 25 septembre 2007, n°1761.

86

Entretien avec un rescapé, le 12 septembre 2007, n° 1738.

87

Entretien avec un habitant, le 31 août 2007, n° 1721.

L’article 29 alinéa 2 prévoit que : « Toute personne qui omet ou refuse de témoigner sur ce qu’elle a vu ou ce dont elle a connaissance, de
même que celle qui fait une dénonciation mensongère est poursuivie par la juridiction Gacaca qui en a fait le constat. Elle encourt une peine
d’emprisonnement allant de 3 à 6 mois. En cas de récidive, le prévenu encourt une peine d’emprisonnement allant de 6 mois à un an ».
88

89

Cf. Rapport PRI «La récolte d’informations en phase nationale », juin 2006, p 38.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 33 -

par la suite, en appel, il s’est ressaisi pour décharger dans le but de contribuer à la
construction du pays.90 »
D’autres personnes protègent leurs intérêts et modifient leurs déclarations.
« Pour protéger leurs propres intérêts, certaines personnes donnent des informations différentes
de celles qui ont été données pendant la phase de la collecte d’informations91 »
Il faut regretter le fait que les Inyangamugayo ne se servent pas ou peu des informations recueillies au
cours de la collecte comme support des débats qu’ils vont mener à l’audience. Ils ne semblent pas
disposer de temps ni pour pousser loin leurs investigations, ni pour interroger suffisamment les
témoins et comprendre la raison des contradictions. Cet état de fait est vraisemblablement lié au niveau
de formation peu élevé des Inyangamugayo qui, conjugué à d’autres pesanteurs, telles que la charge du
travail, l’accélération du processus, la corruption et les diverses ingérences, a accentué inévitablement
les irrégularités constatées au cours des audiences.
Au terme du processus Gacaca, il semble que l’une des plus importantes difficultés auxquelles ont été
confrontés les Inyangamugayo a été la conduite d’un véritable débat contradictoire leur permettant
d’exercer leur discernement à partir de la vérification des informations recueillies. L’imminence d’une
fin des procès donne l’impression d’un laisser-aller qui amplifie encore les difficultés signalées. Elle
contraint parfois les juges à survoler, à se dispenser des vérifications nécessaires à l’établissement de la
culpabilité ou de l'innocence des personnes poursuivies.

2. L’ordre d’audition des témoins.
L’exigence d’un débat contradictoire entre les parties au procès devant le juge impose que l’accusation
puisse exposer à l’accusé les charges retenues contre lui et les éléments de preuve recueillis à l’appui des
ces charges. Ce qui suppose que l’accusation fasse preuve d’une certaine transparence en détaillant à la
défense tous les éléments de preuve à sa disposition, afin que cette dernière puisse être en mesure de
répondre ou contester les charges retenues contre l’accusé. Il en est ainsi de même en ce qui concerne
l’ordre d’audition des témoins à l’audience : dans un procès classique, les témoins à charge déposent
forcément avant les témoins à décharge ; ce qui permet à l’accusé de bien appréhender le contenu des
accusations qui sont portées contre lui et d’être en mesure de se défendre équitablement.
Même si l’on ne saurait exiger des juridictions Gacaca les mêmes garanties accordées à l’accusé pour lui
assurer un procès équitable que celles accordées aux accusés devant les juridictions ordinaires, il paraît
nécessaire que l’accusé soit effectivement mis en situation de contester les charges retenues contre lui,
de contredire les témoignages à charge, de demander si possible une confrontation avec ses
accusateurs.
Dans les procès Gacaca, les textes officiels, notamment le ‘‘Guide de procédure des jugements dans les
juridictions Gacaca’’ à l’usage des Inyangamugayo92, affirment simplement que lorsque le prévenu n’a pas
avoué les faits ou plaidé coupable, « le secrétaire de la juridiction énonce la prévention au prévenu et
l’informe de la catégorie dans laquelle il a été classé ». Lorsque celui-ci ne conteste pas ‘‘sa’’ catégorie, le
président de la juridiction « donne la parole aux témoins à charge ou à décharge »93. On ne peut affirmer
90

Entretien PRI avec un intègre, le 28 août 2007, n°1715.

91

Entretien avec un rescapé, le 12 septembre 2007, n°1738-1739.

92

Texte original en kinyarwanda ; traduction en français PRI.

93

Guide de procédure des jugements dans les juridictions Gacaca, point B, 2.2.2.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 34 -

sans être contredit que les textes imposent absolument que les témoins à charge soient d’abord écoutés
avant ceux à décharge, même si ces derniers sont cités après les témoins à charge ; mais la logique d’un
véritable débat contradictoire suppose que la thèse de l’accusation précède celle de l’accusé qui lui serve
de contradiction. La personne accusée ne peut pas se défendre d’une accusation dont il ignore le
contenu et les personnes qui l’accusent.
L’observation des procès Gacaca dans différents secteurs, notamment dans la ville de Kigali, n’a pas
permis de constater une pratique uniforme concernant l’ordre d’audition des témoins et l’influence
éventuelle que celui-ci peut avoir sur l’issue du procès. Un tel ordre semble dépendre le plus souvent du
préjugé de la juridiction Gacaca concernée sur l’innocence ou la culpabilité des accusés.
Le tableau ci-après répertorie le nombre de procès ayant commencé par la déposition des témoins à
charge et à décharge dans 41 procès observés entre juillet et décembre 2007 dans différents secteurs94.
Procès ayant commencé par l’audition des
témoins à charge

Procès ayant commencé par l’audition des
témoins à décharge

Total

11

30

41

Condamnations

5

20

25

Acquittements

2

7

9

Ajournés

4

3

7

Ainsi, sur les 41 procès observés, 11 ont commencé par la déposition des témoins à charge, 30 par celle
des témoins à décharge. Sur les 11 ayant commencé par les témoignages à charge avant ceux à décharge,
il y a eu 5 condamnations, 2 acquittements et 4 procès ajournés95. Sur les 30 ayant commencé avec les
témoignages à décharge avant ceux à charge, 20 ont abouti à des condamnations, 7 à des
acquittements ; 3 procès ont été ajournés.
On constate non seulement qu’il y a plus de procès qui ont commencé par l’audition des témoins à
décharge (environ 73%, contre 27% de procès ayant commencé par l’audition des témoins à charge),
mais également qu’environ 74% des procès ayant commencé par l’audition des témoins à décharge ont
abouti à des condamnations, et 26% à des acquittements ; alors que 71% des procès commencés par
l’audition des témoins à charge suivie de celle des témoins à décharge ont abouti à des condamnations,
et 28% à des acquittements.
Certes, on ne saurait tirer aucune conclusion générale fiable de ces observations qui ne couvrent
d’ailleurs pas l’ensemble des secteurs et qui ne tiennent pas compte des procès dans lesquels il y a un
« panachage » des témoignages à charge et à décharge ; les juges n’ayant pas préalablement déterminé
l’ordre d’audition des témoins de sorte que seule l’analyse du contenu des témoignages pouvait aider à
les classer comme à charge ou à décharge96. On ne peut donc pas affirmer que l’ordre de l’audition des
témoins détermine forcément l’issue du procès, car quelques procès qui ont pourtant commencé par
l’audition des témoins à décharge ont abouti à des acquittements (28%).
V. par exemple : ROJG ville de Kigali/Gikondo/Gikondo, 8 déc. 2007 ; ROJG ville de Kigali/Gisozi/Gatsata,
1er déc. 2007.
94

95

Pour diverses raisons.

96

Ce qu’ils ont en principe l’obligation de faire.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 35 -

Cependant, il faut faire observer qu’il est impératif que l’accusé puisse être entièrement informé des
charges et des éléments de preuve retenus contre lui afin qu’il soit en mesure de se défendre
efficacement contre les accusations portées contre lui. C’est là l’une des conditions essentielles à
l’existence d’un procès équitable.

3. La tendance à rejeter les témoignages à décharge
Il nous semble également important d’attirer l’attention des autorités en charge du processus sur un
phénomène qui, à notre sens, nuit considérablement à la recherche de la vérité et à l’équité du procès.
Bon nombre de personnes interviewées ont en effet évoqué une certaine tendance des juges à ne pas
considérer les témoignages à décharge. Ce phénomène avait déjà été relevé lors de la phase de collecte
d’informations dans le cadre de laquelle « il était quasiment impossible pour une personne accusée auprès du
nyumbakumi, ou par la suite lors des réunions de collecte de cellule et de secteur d’apporter le moindre élément à
décharge.97 »
Dans le cadre des entretiens menés, nous avons constaté que ce phénomène de rejet des paroles qui
déchargent est fréquent et est souvent dénoncé par la population. Nous évoquerons ici, à titre
d’exemple, le cas préoccupant d’un accusé, libéré après l’audience Gacaca au cours de laquelle les
victimes rescapées étaient activement intervenues pour le décharger des faits qui lui étaient reprochés.
Néanmoins, au moment où il cherchait à récupérer ses documents administratifs, il a été de nouveau
arrêté et condamné par une autre juridiction Gacaca à 30 ans d’emprisonnement.98 Condamné à 7 ans
d'emprisonnement avec TIG en appel, l’accusé a finalement été condamné le 31 janvier 2008 à 30 ans
d’emprisonnement dans le cadre de la révision de son procès qu’il avait lui-même demandée.
L’observation du procès par les enquêteurs de PRI a mis en évidence, dans le cadre de cette ultime
audience, le rôle très influent que le président du siège a eu sur les témoins à décharge jusqu'à interdire
la parole à certains d'entre eux. Certains témoins à décharge n’ont pas été entendus, alors que les
témoins à charge ont eu suffisamment le temps de déposer99. De telles pratiques compromettent
l’établissement de la réalité des faits et empêchent de déterminer la responsabilité de leurs auteurs; elles
peuvent ainsi conduire à la commission d’erreurs judiciaires par la condamnation de personnes à qui a
été refusée la possibilité de faire valoir tout moyen de défense.
« Selon mon constat, même devant la juridiction Gacaca, la parole est plus souvent accordée
aux témoins à charge qu’aux témoins à décharge. Lorsque le témoin à décharge prend la
parole pour donner des précisions sur la personne qui a tué la victime, on lui interdit de
parler. Comme ça on condamne injustement et définitivement l’accusé. Ces menaces sont
souvent constatées lorsqu’il s’agit des rescapés qui veulent témoigner en faveur de l’accusé. On
a seulement interrogé une seule personne à savoir Rose, elle a affirmé qu’elle était parmi les
rescapés, mais qu’elle n’avait jamais vu Nicolas parmi les attaquants. Elle a été
immédiatement blâmée et obligée de se taire. Ce témoignage n’a pas été enregistré. Donc, on a
interrogé trois personnes et on a enregistré les témoignages à charge seulement. On a écouté un
seul témoin à décharge, mais vers 18h00, il y avait encore plus de vingt personnes qui
demandaient la parole, leurs doigts étaient levés, mais aucune demande n’a été acceptée et on a
clôturé les débats. 100»
97

Cf. Rapport PRI « La récolte d’informations en phase nationale », préc. , p. 31.

ROJG, Province de Cyangugu (actuelle province de l’Ouest)/Ville de Cyangugu/Kamembe, 13 septembre 2007,
n° 0401/07.
98

99

ROJG Province de Kibuye (actuelle province de l’Ouest)/Budaaha/Ngobangoba, 31 janvier 2008.

100

Entretien PRI groupé avec un « sage» et un ‘‘Intègre’’, le 9 novembre 2007, n°1826.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 36 -

« Nous avons été touchés par le fait que le secrétaire a enregistré les témoignages à charge pour
ignorer ceux à décharge. Le fait de dire que les juges devaient mémoriser les témoignages à
décharge a été à l’origine des soupçons pour tous ceux qui étaient là. Oui. On a aussi donné
la parole à une autre personne qui faisait partie de cette attaque et à une fille qui s’appelle
Claudine. Tous les deux ont donné des témoignages à décharge en faveur de François. Ce qui
nous a touché est qu’au lieu de considérer les témoignages qui ont été donnés, on a intimidé ces
témoins. On les a convoqués en disant qu’ils sont venus pour désorienter les membres du siège.
Des menaces ont été portées.101 »
Ces manquements graves aux principes qui fondent le droit de toute personne accusée à se défendre
équitablement des accusations portées contre elle ont été également rapportés lors de la réunion de
concertation organisée le 18 décembre 2007 à Kigali par la Commission Nationale des Droits de la
Personne (CNDP). Plusieurs intervenants ont en effet pointé du doigt le fait que des personnes qui
veulent témoigner à décharge sont littéralement intimidées ou empêchées de le faire par la juridiction,
en étant obligées par exemple de ne répondre que par « oui » ou par « non ». Dans ce contexte, il est
fort probable que des personnes innocentes aient été injustement et lourdement condamnées. Ceci,
d'autant que l’article 14 de la loi du 1er mars 2007 attribue désormais compétence aux juridictions
Gacaca de secteur et d’appel pour prononcer des peines d’emprisonnement à perpétuité à l’encontre
des accusés classés dans la 2ème catégorie.
Dans un processus judiciaire tel que Gacaca, qui repose sur la prise de parole et l'établissement de la
vérité et dont les objectifs poursuivis sont la condamnation des coupables (lutte contre l’impunité) et la
réhabilitation des innocents (signe d'un procès équitable), de telles pratiques d’intimidation ne peuvent
que renforcer le sentiment d’injustice et de déviance du système mis en place. Du côté de la population
qui se sait vulnérable et vit dans un réel climat d’insécurité face à une justice devant laquelle il est
souvent difficile de pouvoir faire valoir des éléments de défense, l’absence de participation aux
juridictions Gacaca est la seule protection ou, pour le moins, la seule attitude considérée comme
pouvant protéger.

4. L'absence de sanction des faux témoignages
L’article 32 de la loi organique n°16/2004 du 19 juin 2004 réglemente la procédure de poursuites et de
jugement des personnes qui se rendraient coupables de faux témoignages dans les juridictions Gacaca.
Selon cet article : « le siège de la juridiction Gacaca dans lequel les infractions susmentionnées dans les articles 29 et 30
de la présente loi ont été commises (refus de témoigner, faux témoignage, pression ou intimidation du siège), suspend
l’audience, se retire et examine s’il s’agit d’une infraction qui doit être poursuivie conformément à ces articles. S’il constate
que l’infraction doit être poursuivie, il communique le jour auquel est fixé le procès, le prévenu en est notifié, tout est
enregistré dans le cahier d’activités et le siège reprend ses activités. »
Les éventuelles sanctions encourues en cas de faux témoignages102 sont à l’origine de la différence qui a
pu être constatée entre le nombre d’informations livrées lors de la collecte d’informations et les
témoignages effectivement reproduits devant la juridiction de jugement. Lors de la collecte
d’informations, beaucoup de personnes ont en effet accusé ou cherché à décharger d’autres personnes,

101

Ibid.

L'infraction de faux témoignage prévue par l'article 29 de la loi organique du 19 juin 2004 est punie allant de 3 à 6 mois
d'emprisonnement. La récidive est passible de 6 mois un 1 an d'emprisonnement.
102

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 37 -

sur la base de faits dont elles n’ont pas été témoins, sans savoir pensé qu’elles pourraient être
poursuivies un jour pour faux témoignage103.
Les faux témoignages peuvent émaner des accusés ou de certains rescapés qui négocient leurs paroles
contre de l’argent.
« Les faux témoignages sont souvent donnés par les témoins et par les personnes coupables du
crime du génocide qui ont recouru à la procédure d’aveu et qui ont avoué à moitié dans le but
de gagner de l’argent. Quelques fois, les rescapés complotent avec eux en vue de fonder une
association pour terroriser les gens dans le but de gagner de l’argent.104 »
Dans le cadre des entretiens menés, plusieurs personnes interviewées ont affirmé avoir constaté qu’il
n’est pas rare que les faux témoignages émanent également des victimes rescapées. La population
rapporte que ces faux témoignages ne font cependant l’objet d’aucune poursuite. Elle a souvent
dénoncé cette situation en considérant que les victimes sont « intouchables » dans la mesure où toute
victime est traitée comme partie au procès, quel que soit le procès. Condamner les victimes pour faux
témoignages équivaudrait à leur refuser cette qualité de victimes, ce qui pour elles, compte tenu du peu
de reconnaissance dont elles disent bénéficier, semble chose inacceptable.
« Aujourd’hui, plus de 80% de la population locale a peur. Si elle peut le faire, chaque
personne peut fuir. L’immunité qui a été accordée à la partie victime est exagérée, parce qu’en
cas de mensonge, elle n’est pas poursuivie par la loi. Cela favorise certaines personnes qui
créent de petits groupes pour accuser injustement les autres en vue de gagner de l’argent.105»
Une telle situation révèle d’abord une différence dans l’application de la loi dans la mesure où toutes les
catégories de témoins ne bénéficient pas d’une égalité de traitement devant l’application des articles 29
et 30 de la loi organique du 19 juin 2004. Elle nourrit aussi le sentiment d’une sorte d'immunité de fait
offerte aux auteurs de faux témoignages lorsqu’ils sont rescapés.
« Le fait qu’on ne peut pas condamner un rescapé qui raconte des mensonges n’est pas
normal. Il n’est pas normal de ne pas sanctionner un rescapé qui a accusé injustement une
personne pour la faire condamner à une peine d’emprisonnement de trente ans.»106

5. L’absence de débat contradictoire
Le traitement du contentieux du génocide est complexe du fait même des circonstances dans lesquelles
les crimes ont été commis. Beaucoup de gens sont morts ou en exil, beaucoup de victimes rescapées,
cachées ou en fuite au moment des faits, n’ont pas été les témoins oculaires des évènements. La
contradiction des éléments soumis aux Inyangamugayo lors des débats est essentielle à l’établissement de
la vérité sur le déroulement des faits107.

103

Sur cette question d'absence de sanction des faux témoignages, v. égal. rapport analytique n° 3, ASF, préc., p. 53.

104

Entretien PRI avec un rescapé, le 12 septembre 2007, n°1738 et 1739.

105

Entretien groupé PRI avec un ‘‘sage’’ et un ‘‘Intègre’’, préc.

106

Entretien PRI avec un rescapé, le 12 septembre 2007, n°1738 et 1739.

Déjà sur cette question d’absence de débat contradictoire, le dernier rapport PRI, « Le jugement des infractions contre les
biens commises pendant le génocide… » : juillet 2007, pp. 66-71.
107

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 38 -

Les Inyangamugayo ont, au fil du temps, de la pratique et des formations reçues, tenté de mieux intégrer
la nécessité de vérifier et de confronter les allégations produites. Dans certains cas, ils se donnent le
temps nécessaire aux débats afin de cerner la responsabilité individuelle des accusés en ajournant, si
besoin est, les procès en cours afin de mener des investigations supplémentaires.
« Dans certains cas, on trouve des gens qui accusent faussement d’autres gens. Dans d’autres
cas, on trouve d’autres personnes qui disent la vérité. Auprès du siège et du public, chacun a
le temps d’user de clairvoyance en vue de déceler la vérité. Ce que j’ai remarqué, c’est que
quand quelqu’un est accusé faussement, les intègres essayent d’examiner cette fausse
accusation et quand ce sont des témoins qui disent des choses fiables, le siège tâche
d’appliquer la loi régissant les juridictions Gacaca. Il y a des témoins qui ont envie de
reconstruire le pays en expliquant convenablement ce qui s’est passé. Néanmoins, il y a
d’autres cas qu’on ne peut pas ignorer, par exemple une personne qui vient témoigner alors
qu’elle est poussée par la jalousie…. Heureusement, puisque tout se passe en présence des
témoins oculaires, ils essayent de démontrer la vérité des choses afin de contribuer à
l’acquittement de l’innocent et à la condamnation du coupable.108»
« Quand nous remarquons beaucoup de contradictions dans les témoignages, nous ajournons
le procès et nous nous mettons par la suite à faire des enquêtes. Ensuite, nous nous servons
des résultats que nous obtenons pour rendre le jugement109 ».
Ceci étant dit, dans le cadre du processus Gacaca, beaucoup de facteurs tels que les craintes de la
population à s’exprimer, les ententes et corruptions possibles tant de la part des accusés et des victimes
que de la part des Inyangamugayo, mais également la formation insuffisante des juges et la pression que
ceux-ci subissent en terme de résultats sont autant d’entraves à l’exercice et au respect du débat
contradictoire.
Les juridictions Gacaca disposent de pouvoirs nécessaires et de prérogatives importantes, puisque la loi
les autorise à prononcer des peines d’emprisonnement à perpétuité à l’encontre des personnes déclarées
coupables relevant de la 2ème catégorie (art 14 de la loi organique n°10/2007 du 1er mars 2007). Dans de
certains procès, les Inyangamugayo ont prononcé de lourdes peines d’emprisonnement alors qu’il ressort
des observations réalisées qu’aucun véritable débat contradictoire n’a eu lieu.
L’ensemble des constats émanant de nos observations met en évidence combien l’établissement de la
vérité peut être compromis par une succession de carences et de non respect des procédures. Nombre
d'éléments, notamment la défiance, ce sentiment de n’être jamais à l’abri d’une fausse accusation qu’il
sera très difficile de mettre en échec, le sentiment d’injustice ressenti par une partie de la population qui
perçoit parfaitement la différence de traitement qui est faite entre elle et les victimes rescapées, le
ressentiment de ces dernières qui considèrent que le sort réservé aux condamnés est plus "enviable" que
le leur, expriment une certaine lassitude générale face à des décisions politiques qui sont parfois
ressenties comme contraires aux objectifs de Gacaca.
Par ailleurs, du fait de la pression qu’ils subissent en terme de temps, les Inyangamugayo ont souvent
recours à ce que l’on appelle les « témoins incontournables » qui souvent sont des personnes libérées
qui ont eu recours à la procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité, ou des veuves ou rescapés du
génocide110. Ces personnes accusent ou témoignent à charge systématiquement dans de nombreux
108

Entretien PRI avec un prêtre, le 10 octobre 2007, n°1786.

109

Entretien avec une juge intègre d’une Juridiction Gacaca de Secteur, le 25 septembre 2007, n°1761.

Rapport d’analyse traitement des preuves et témoignages dans les procès Gacaca : Province province du Sud/
Huye/Karama 12-14 décembre 2007.
110

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 39 -

procès, car ils semblent connaître toutes les personnes accusées dans une localité donnée. Comme les
Inyangamugayo n’ont pas toujours le temps nécessaire pour renvoyer les audiences dans lesquelles il n’y a
pas ou très peu de témoins, ils se satisfont des ces « témoins incontournables », qui ne sont contredits
par personne.

II. L'INDEPENDANCE ET L’IMPARTIALITE DES JUGES INTEGRES EN
QUESTION
L’indépendance des Inyangamugayo qui composent les juridictions Gacaca de jugement s'entend par le
fait qu'ils ne doivent être soumis à aucune influence extérieure, quelle qu'elle soit, qu'ils soient en
mesure de fonder leurs décisions uniquement sur des éléments qu'ils auront recueillis et qui emportent
leur conviction sur la culpabilité ou l'innocence des personnes accusées. Cela signifie aussi qu'ils soient
en mesure de se protéger de toute pression émanant de toute autorité politique ou administrative.
L’indépendance et l’impartialité des juridictions de jugement relèvent des principes fondamentaux du
droit à un procès équitable consacré notamment par l’article 14 alinéa 1er du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques qui dispose : « (…) Toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial (…) ». L'indépendance et
l’impartialité des juges font partie des principes fondamentaux qui garantissent aux justiciables la tenue
d'un procès équitable. Cette question de l’indépendance s’intéresse donc à l’environnement du juge, à sa
capacité à affirmer son autorité dans cet environnement en faisant respecter sa fonction et les décisions
de justice qui en découlent.
Le statut particulier des Inyangamugayo, juges non professionnels, souvent peu instruits (A), leur situation
sociale et leur fragilité économique les exposent à diverses sortes de pression ou d'influence (B) qui sont
susceptibles d'entamer sérieusement la crédibilité de la mission qui leur est confiée.

A. Le niveau de formation des Inyangamugayo : peu instruits et peu
expérimentés.
Il ressort de l’ensemble des entretiens menés que les Inyangamugayo font preuve d’une grande implication
et accomplissent leurs tâches, pour beaucoup d’entre eux, avec conscience et dévouement. Cependant,
il est une limite incompressible qui ne relève pas des personnes mais de leur niveau de formation et de
leurs expériences, et qui peut constituer un frein important à la qualité de leurs prestations. La
Coopération Technique Belge (CTB) a réalisé en 2005111 une enquête dont les résultats font apparaître
que 92,7% des Inyangamugayo sont des paysans et 15,4% d’entre eux sont illettrés. Le contentieux du
génocide est un contentieux extrêmement difficile et les Inyangamugayo sont investis d’une immense
responsabilité au regard de la collectivité et d’un pouvoir tout aussi important, puisque les juridictions
Gacaca peuvent prononcer des peines d’emprisonnement allant jusqu'à la perpétuité112.
Non seulement un certain nombre d’intègres n'ont pas les compétences requises pour assumer de telles
responsabilités, mais encore ceux-ci sont obligés de s’adapter en permanence à des textes nouveaux qui
modifient, complètent ou précisent les textes antérieurs, sans que ceux-ci aient véritablement le temps
de les maîtriser. Les outils normatifs à leur disposition que sont principalement les lois organiques
n°16/2004 du 19 juin 2004 et n°10/2007 du 1er mars 2007 ont été pour la seule année 2007 complétés

111

Coopération Technique Belge, Report on improving the living conditions for the Inyangamugayo, novembre 2005.
Et même avec la future loi organique sur le fonctionnement des juridictions Gacaca (projet de loi en cours de discussion
au Parlement), les juridictions Gacaca seront compétentes pour prononcer la peine de réclusion criminelle à perpétuité:
information confirmée par Mme la Secrétaire exécutive, lors d'une rencontre organisée au SNJG le 28 mars 2008.
112

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 40 -

par cinq (5) instructions113 émanant du Service National des Juridictions Gacaca. Ces instructions
revisitent parfois complètement les instructions précédentes114 et il est pratiquement difficile pour les
Inyangamugayo de suivre et comprendre une procédure qui évolue sans cesse.
Il ressort des observations menées que ce que l’on pourrait nommer « l’esprit du débat judiciaire » fait
véritablement défaut à un grand nombre de juges intègres qui se heurtent dans l'exercice de leur
fonction à de grandes difficultés qui ne trouvent leur explication que dans leur incapacité à mener les
débats, à respecter et faire respecter le principe du contradictoire115. Si l’on ajoute à tout ceci
l’accélération du processus qui conduit les Inyangamugayo à consacrer plus de 2 jours par semaine aux
procès, ceux-ci ne sont quasiment pas en mesure de maîtriser tout l'arsenal juridique régissant Gacaca et
d’accorder aux affaires qui leur sont soumises le temps d’analyse nécessaire.
« L’accélération des procès provoque beaucoup de fatigue aux juges du fait qu’ils jugent beaucoup
d’accusés. Cela fait qu’ils prennent des décisions à la hâte sans que certaines lois soient mises en
application. »116
Une conséquence majeure de cette situation réside dans la soumission possible et le défaut
d’indépendance des Inyangamugayo qui ne mesurent pas forcément les limites de leurs pouvoirs.
« La plupart des juges intègres de la juridiction d’appel tâtonnent. Ils ne savent pas grand-chose à
propos de la loi. Quand nous causons et que je leur pose des questions à propos de ce vieillard, je
trouve qu’ils sont dans l’obscurité. De même, ils ont peur. Ils se demandent comment ils peuvent
s’opposer à la décision qui a été prise par la juridiction de secteur. On dirait que la juridiction
d’appel reçoit des ordres de la juridiction de secteur. Si la juridiction de secteur rend un jugement, la
juridiction d’appel croit qu’elle ne peut rien y changer. Les juges de ces deux juridictions se
craignent. Cela a des conséquences néfastes sur le fonctionnement des juridictions Gacaca dans notre
secteur. A cause de cette crainte et de l’ignorance de la loi, ce vieillard peut en être victime. 117»
Il est important de souligner que le respect du principe du contradictoire et les garanties liées à
l’indépendance de la fonction du juge sont essentiels à la crédibilité et à l'exécution des décisions
rendues par les Inyangamugayo au nom de toute la communauté.
L’indépendance des juges est un préalable indispensable à leur impartialité. Cette dernière implique
d’une part une certaine autonomie institutionnelle du juge du siège qui fasse en sorte qu’il ne succombe
pas aux pressions ou invitations diverses des tiers et d’autre part qu’il fasse réserve de ses préjugés ou
convictions118. Dans une société où l’ordre émanant d’une autorité supérieure est difficilement
contestable, il est probable que le niveau général d’éducation des Inyangamugayo fasse en sorte qu'ils se
113

Instructions nos 11, 12, 13, 14 et 15, toutes expliquant, détaillant, précisant les lois organiques.

L’instruction 13/2007 publiée après la publication de la loi n°10/2007 du 1er mars 2007 énonce en son article 5 que
« lorsqu’une juridiction Gacaca inflige une peine d’emprisonnement comprenant l’emprisonnement, le sursis et TIG, l’exécution de la peine
commence par l’emprisonnement puis la prestation des travaux d’intérêt général et enfin le sursis ».
L’instruction n°15 publiée 70 jours après la loi du 1er mars 2007 énonce en son article 1er que « la personne coupable des crimes
du génocide ou d’autres crimes contre l’humanité placée dans la deuxième catégorie qui a recouru à la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité,
de repentir et d’excuse et dont l’aveu est accepté, exécute sa peine d’emprisonnement prononcée par la juridiction Gacaca en commençant par les
TIG et puis l’emprisonnement enfin le sursis ».
114

115

V. aussi LIPRODHOR, Situation des droits de la personne au Rwanda, rapport 2005, p. 87.

116

Entretien (non enregistré) PRI avec un habitant 4 octobre 2007.

117

Entretien PRI avec un habitant, 14 novembre 2007, n°1457.

V. notamm. sur la question de l’indépendance et de l’impartialité des juges : J. PRADEL, Procédure pénale, 13e éd.,
Cujas 2007, n° 21 et s.
118

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 41 -

sentent intimidés face à une autorité ou à une personne plus instruite. Les pressions et influences qui
semblent provenir de ces personnes sont souvent ressenties comme irrésistibles.
« L’implication de certaines autorités dans les procès change la situation ou la forme du procès.
Dans certains procès, les autorités montrent leur tendance et influencent ainsi les juges dans
leur prise de décision sans considérer ce qui est prévu par la loi. Ces derniers ont peur de
prendre des décisions contraires à la vision de ces autorités. 119»

B. L’immixtion contestable des autorités locales dans le processus.
L'engagement et la responsabilisation des autorités administratives à s’investir dans le processus, en
s’étant fixé des délais d’exécution des travaux des juridictions Gacaca à travers ce qu'on a appelé les
"contrats de performance"120 a eu pour conséquence un investissement considérable desdites autorités
locales dans le processus. Cela s’est non seulement traduit par une collaboration étroite avec les
intègres, mais également par des séances de mobilisation de la population à une participation active
dans les procès Gacaca. Si les autorités administratives locales ont toujours été sollicitées pour
accompagner le processus, la question des limites de leur intervention se pose aujourd’hui avec une
certaine acuité.
En effet, il ressort de l’ensemble des recherches et entretiens menés que cet investissement s’est traduit
dans de nombreux cas par un abus de position qui déstabilise parfois les Inyangamugayo, les accusés et les
victimes rescapées121. Ceux-ci subissent diverses autres pressions qu’il convient de signaler.

1. Les autorités administratives
De nombreuses personnes interrogées ont relaté des pressions exercées notamment par certains
secrétaires exécutifs de secteur qui n’hésitent pas à mettre illégalement en prison, à dicter aux
Inyangamugayo leurs conduites122 et parfois leurs décisions.
« Il s’ingère dans nos attributions. Nous avons dit que nous travaillons en le craignant. De même, quand
nous allons délibérer à huis clos, il nous demande de reporter tel procès en nous disant qu’il ne veut pas que
le prononcé de tel jugement soit rendu. C’est pourquoi il arrive qu’un juge intègre rentre sans rien dire, parce
qu’il le craint. Il nous a terrifiés, nous avons peur de dire la vérité de crainte qu’il nous tue 123».
Ces abus de position et actes d’ingérence suscitent de l’inquiétude chez les Inyangamugayo qui perdent en
crédibilité et en autorité. Leur mission est ainsi compromise par des personnes dont ils n’osent pas
contester l’autorité.

119

Entretien PRI avec un intègre le 31 juillet 2007, n° 1685.

120

V. infra, p. 56

Une telle immixtion des autorités administratives avait déjà été constatée par nos observateurs au cours de la phase de
collecte d’informations : rapport PRI sur la collecte d’informations en phase nationale, juin 2006, p.17.
121

122

ROJG Province de Cyangugu (actuelle province de l’Ouest)/Ville de Cyangugu/Gihundwe, 21 août 2007.

123

Entretien PRI avec un juge intègre le 8 août 2007, n°1692.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 42 -

« Aujourd’hui, nous avons décidé de convoquer ces personnes qui ont demandé que le procès
soit ajourné. Nous avons pensé que ces personnes avaient des raisons valables pour faire cela.
Nous avons décidé d’attendre au lieu de contredire les autorités de base avec qui nous
collaborons. Nous avons alors vu venir le secrétaire exécutif de secteur qui disait qu’on lui
avait téléphoné pour l’informer que la personne convoquée ne devait pas venir et qu’on devait
fixer une autre date d’audience.124 »
« Malgré un échange vif de paroles entre la personne accusée et une victime, le siège n’a pas
réagi, car pour les intègres cela ne posait aucun problème que cette personne se dénonce et
dénonce ses coauteurs. Malgré le fait que le siège n’envisageait pas d’infliger à cette femme une
peine quelconque et a réagi, au départ, en disant que celle-ci n’avait commis aucune faute
dans ce qu’elle venait de dire, il a été en quelque sorte influencé et du coup, à la demande du
Secrétaire Exécutif, il a dressé un mandat d’arrêt contre elle.125»
Il faut aussi rappeler que l'implication des autorités locales dans la phase de collecte d’informations a été
très active:
«La population suivait seulement avec attention. Les intègres ne faisaient qu’écrire les
questions et les réponses données. L’attention et le silence de la population étaient dus à la
peur d’être appelé à aller donner témoignage, car elle disait que les autorités ne veulent pas
accepter ce qui est dit.126 ».
Ces abus d’autorité sont d’autant plus graves qu’ils contribuent à la désaffection et au silence de la
population qui, déstabilisée, ne dit plus un mot. Elle est parfaitement consciente de l’ingérence de
certaines autorités dans les attributions des Inyangamugayo.
« (…) C’est ainsi qu’il m’a demandé pourquoi j’ai posé cette question. Je lui ai demandé de
me dire quelle infraction je venais de commettre en demandant à ma voisine s'il avait passé la
nuit chez elle…. Il m’a répondu : ''Qu’on aille t’emprisonner. Et d’ailleurs je peux te
frapper jusqu’à ce que tu meures. Personne ne peut me demander de me justifier.’’ Alors moi
et un autre homme qui venait de dire que telle personne avait eu peur de venir témoigner,
avons été amenés en prison. L’homme qui m’accompagnait a été sérieusement frappé quand il
a dit que Rose craignait quelque chose. C’est la directrice de cette école dirigée par des sœurs
qui est intervenue pour l’empêcher de continuer à le frapper.127»
Il résulte de cette situation que plusieurs personnes refusent de porter témoignage en raison de la
pression exercée :
« Pour le cas de Jean qui a été libéré hier, c’est le Secrétaire Exécutif qui l’avait fait
emprisonner pour avoir donné un témoignage à décharge. Il a demandé qu’il soit condamné à
trois mois d’emprisonnement. Il déstabilise tous les sièges. C’est lui qui se fait juge. Il
intimide la juridiction. Il donne des injonctions aux juges intègres dans la façon de poser des
questions à ceux qui comparaissent.

124

Entretien PRI avec un Inyangamugayo le 21 août 2007, n°1705.

125

Entretien PRI avec un président de juridiction Gacaca d’Appel le 25 juillet 2007, n° 1683.

126

Rapport d’observation sur la collecte d’informations Province de l’Ouest, le 28 août 2007, n°0360.

127

Entretien PRI avec une habitante, 8 août 2007, n°1692.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 43 -

Celui qui donne un témoignage court des risques. (…). Tous le craignent. Imaginez
quelqu’un qui dit qu’il a été désigné par le Président de la République alors que personne ne
l’a élu. Comment un habitant peut-il oser poser une question après avoir entendu cela ? 128»
De telles attitudes ont également été rapportées lors de la réunion de concertation organisée par la
Commission Nationale des Droits de la Personne (CNDP) le 18 décembre 2007 à Kigali, réunion au
cours de laquelle les agents de la CNDP129, à l’instar de l’ensemble des organisations ayant observé le
fonctionnement des juridictions Gacaca, ont pointé au titre des difficultés qui entravent la bonne
marche et la réussite du processus, ces abus de position et ces influences émanant des autorités locales.
« Il y a des gens qui, pour faire emprisonner d’autres, se servent des autorités
administratives des secteurs, ou des policiers, ou des intègres. On amène sous de grandes
pressions certaines personnes à reconnaître les faits qui leur sont reprochés. On ne tient
pas compte de la justification de l’accusé. On ne fait pas non plus d’investigations pour
savoir si réellement cette personne a commis le fait qui lui est reproché. On vise tout
simplement que cette personne soit mise en détention, ou qu’on lui fasse du mal autrement,
en raison de sa physionomie ou de sa situation économique…Le secrétaire exécutif de
secteur intervient aussi dans plusieurs procès des gens…Il exige qu’ils avouent les faits du
génocide qui leur sont reprochés ou ceux qui ne leur sont pas encore reprochés
ouvertement130.»
Ces abus d’autorité, qui ne peuvent être ignorés de la hiérarchie administrative, sont très préjudiciables à
la réussite du processus et sont de nature à saper la confiance que la population peut avoir dans les
juridictions Gacaca. En dehors du fait que la recherche de la vérité est dans de tels cas totalement
compromise, les risques d’erreurs judiciaires sont importants dans la mesure où la question de
l’indépendance des Inyangamugayo vis-à-vis des autorités locales est loin d’être garantie.
Il ressort de nos entretiens que la population exprime parfois sa crainte de dire ce qu’elle sait si cela va à
l’encontre de la position ou de la volonté d’une autorité et de risquer ainsi d’être accusée de faux
témoignage. Toutes ces peurs et craintes expliquent en outre des propos négociés et mensongers qui ne
font que dénaturer l'esprit de Gacaca.

2. Les représentants de l’ordre public
Il arrive que les forces de l’ordre et de sécurité interviennent de façon discutable dans les activités des
juridictions Gacaca, décrédibilisant ainsi sans être contredits le travail des intègres. Elles remettent
souvent en cause l’autorité des Inyangamugayo et des décisions qu'ils rendent. De telles pratiques
compromettent l'importance que les autorités étatiques accordent au processus en tant qu’instrument
de justice visant à l’établissement de la vérité et à la réconciliation du peuple rwandais.
L’exemple qui suit illustre comment la police a fait emprisonner une personne acquittée par une
juridiction Gacaca de secteur :
«(…)Elle a été remise dans la prison par la police après que la juridiction de secteur l’a
innocentée par rapport aux faits qu’on lui reprochait. En effet, il lui était reproché d’avoir été
128

Ibid.

129

Réunion de concertation de la CNDP tenue le 18 décembre 2007 à Kigali: l’ingérence des autorités et du coordinateur
Gacaca dans le district de Nyabihu a été déplorée; ce qui a occasionné un conflit entre le Secrétaire exécutif de secteur et le
coordinateur des juridictions Gacaca.
130

Entretien PRI avec un accusé, le 22 août 2007, n°1709.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

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le président d’un parti politique au niveau du secteur. En incarcérant cette personne, la police
était de connivence avec les rescapés du génocide qui n’avaient pas été satisfaits de la décision
d’acquittement de cette personne. Celle-ci avait été acquittée en 2005; et pourtant elle continue
de rester en prison. Les policiers en collaboration avec les rescapés, mécontents de cette décision
d’acquittement, ont établi un dossier qu’ils ont introduit devant la justice classique. Celle-ci a
refusé de le juger en disant que les infractions pour lesquelles il était poursuivi concernaient des
infractions qui sont de la compétence de la juridiction Gacaca de secteur. Les policiers qui
avaient refusé sa libération à la suite de la décision d’acquittement l’ont encore maintenue en
prison sans qu’elle n’ait aucun autre dossier131.»
A l’instar de ce qui est décrit dans le rapport d’observation de procès qui suit, il est manifeste que les
Inyangamugayo n’osent pas contredire un représentant du pouvoir exécutif :
« Faustin avait été provisoirement libéré. Il avait alors été assigné pour s’exprimer sur les
actes d’accusation qui avaient constitué son dossier après sa sortie de la prison. Il devait donc
s’exprimer sur les accusations qui suivent :
- avoir été sur barrière ;
- avoir été dans une attaque qui a tué les gens à l’établissement scolaire;
- avoir porté une arme à feu.
Plus de 15 personnes ont pris la parole, certains étant des libérés, d’autres des condamnés
pour préciser que ni dans la collecte d’information dans Gacaca de la prison, ni dans celle de
la cellule le nom de Faustin n’était apparu. Ils disaient donc que toutes les accusations portées
contre lui étaient fausses. Ceux qui avaient été sur la barrière ont dit qu’ils n’avaient jamais
été avec Faustin sur la barrière. Ceux qui avaient avoué avoir été dans l’attaque à l’école ont
précisé que Faustin n’avait jamais participé à ladite attaque. Quant au port de fusil, tout le
monde a déclaré qu’il ne l’avait jamais vu porter une arme avec lui. Dans son procès, personne
ne s’est porté partie civile. Il n’avait également pas de témoin à charge au sujet des actes
d’accusation portés contre lui.
Un seul homme, représentant de la police (…) avec un bloc note à la main, s’acharnait à lui
poser directement des questions sans même demander la parole au siège. La façon dont il posait
les questions semblait bizarre. Il affirmait qu’il disposait d’autres informations à l’encontre de
l’accusé dont le siège n’avait pas connaissance. Les questions qu’il lui posait étaient
intimidantes. Les juges n’ont pas réagi à ce comportement ni demandé audit représentant de la
police de livrer les informations en sa possession au siège132.»
Malgré les démentis officiels, les observateurs de PRI ont à maintes reprises été informés et ont observé
des actes d’ingérence émanant des forces de police auxquelles les Inyangamugayo n’ont ni la capacité ni la
protection institutionnelle nécessaire attachée à leur fonction pour résister. Face à de tels abus
d’autorité, la population exprime sa vulnérabilité et sa résignation, tant le respect et la crainte des
autorités sont grands. Chacun sait alors combien le processus Gacaca peut être détourné de ses objectifs
initiaux. A ce propos, on peut citer un exemple : dans un district de la province de l’Ouest, le vice
président du Conseil consultatif du district a été mis sur la liste des accusés pour crimes de pillage. La
juridiction l’a classé dans la 1ère catégorie. Le coordinateur Gacaca a conseillé aux juges de changer cette
catégorie, car cela ne coïncidait pas avec les accusations, et immédiatement la police a exigé qu’il fasse
sa valise et regagne son domicile, sous prétexte qu’il soutenait les Interahamwe. Cet ordre a été donné par
le commandant de la police qui a même appelé le président de la juridiction et l’a obligé à juger l’accusé.
Le président lui a répondu qu’il ne jugeait pas les gens de la 1ère catégorie. On a alors incarcéré
provisoirement l’accusé.133
131

Rapport d’entretien (non enregistré) avec une Présidente d’une juridiction Gacaca de secteur, le 1er août 2007.

132

ROJG, Province de Kibuye(actuelle province de l’Ouest)/Itabire/Gashari, 21 août 2007.

133

Rapport d’analyse du 10 septembre 2007 sur l’ingérence « de la police » dans les activités Gacaca.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

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Comme on le voit, les Inyangamugayo ne bénéficient d’aucune protection institutionnelle véritable qui
leur permettrait d’écarter toute intervention des représentants du pouvoir exécutif et n'ont aucun
moyen d’affirmer leur indépendance afin de résister à de telles pressions accompagnées le plus souvent
de la force.

3. Certains responsables et membres influents d'associations de rescapés
Les entretiens menés avec les divers acteurs ont également mis en évidence combien certaines
interventions ne constituent plus simplement un appui ou un conseil, mais de réelles pressions exercées
en vue d’influer sur la marche du processus. Ces pressions sont possibles et rendues effectives par le
poids que confère à certaines personnes leur autorité d’intègres élus, de personnalités jouissant d’une
certaine notoriété, d’associations constituées et respectées, ou encore de positions sociales reconnues.
Il est ainsi incontestable qu’en leur qualité d’associations de rescapés du génocide qui réalise un travail
de mémoire et d’accompagnement des rescapés, celles-ci jouent un rôle important dans la
sensibilisation des rescapés à donner des témoignages sur ce qu’ils ont vu et subi, et à participer
activement dans Gacaca pour que les coupables du crime de génocide soient effectivement condamnés.
La question de la limite de leur rôle dans le suivi des activités des juridictions Gacaca se pose cependant
lorsque d’observateurs attentifs et conseils des victimes, le pas de l’influence sur les Inyangamugayo est
franchi par des attitudes ou intimidations qui ne sont plus de l’ordre de l’observation, mais relèvent
d’une immixtion visant à déstabiliser les intègres. Il ressort en effet des différents entretiens menés que
certains responsables d'associations de rescapés se présentent comme des personnes jouissant d’une
immunité de fait dont l’autorité et les prises de position ne sauraient être contestées.
« Souvent, on constate qu’au sein des sièges des juridictions Gacaca, il y a des rescapés qui
sont en même temps membres d'associations de victimes. Personne ne peut attaquer leurs
positions, parce qu’ils sont protégés par l’immunité. (…)
Dans leurs interventions, ces rescapés venus de Kigali parmi lesquels il y avait le chargé de
mémoire au sein d'une associations de rescapés voulaient faire comprendre que les accusés
n’avaient qu’à accepter sans discussions les accusations de participation au génocide portées
contre eux. 134»
« (…)D’emblée, nous avons constaté que du fait de la présence des membres de l'association
en question qui étaient venus de Kigali, l’audience s’est tenue dans un climat de tension et de
peur, car ces représentants, en collaboration avec la représentante d'une autre association dans
la province du Sud, n’étaient pas tolérants à l’endroit des témoignages à décharge des accusés.
Ils s’attaquaient aux rescapés témoins à décharge et cela a effrayé tous les témoins à décharge
de la nommée Christine 135».
La pression notamment exercée sur les rescapés et la tendance de ces derniers, en leur qualité de
victimes, à accuser « sans retenue » sont des constats relevés à plusieurs reprises, dont l’exemple qui suit
illustre la portée et l’impact sur le fond du processus.
« Le juriste du SNJG a dit que l’Etat condamne énergiquement les rescapés qui se prennent
pour des témoins à décharge. Il a dit que cela minimise le génocide, que le rescapé doit se

134

ROJG, Province de Butare (actuelle province du Sud)/Kiruhura/Gikirambwa,17 octobre 2007.

135

Ibid.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

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considérer et avoir confiance en lui, puisque un seul rescapé qui accuse surpasse mille
personnes qui donnent des témoignages à décharge, que ceux qui se contredisent dans les
témoignages devraient être punis exemplairement. »136

4. Pressions et ingérences venant de diverses autres personnalités
Les observateurs de PRI ont à plusieurs reprises relevé que certaines personnes au sein même des
Inyangamugayo, notamment du fait de leur autorité de président, n’hésitent pas à influencer ou parfois
intimider les autres juges intègres en imposant leurs décisions qui peuvent se révéler être sans
fondement légal, sans que soit remise en question leur autorité.
« Je parle du président de la Gacaca. Souvent, il ne prend pas en considération les informations
qui ont été données par la population lors de la collecte d’informations alors qu’il devrait les
considérer. Et puis, il pose seul les questions aux accusés, les autres membres du siège restent
passifs. Il intimide en quelque sorte. Cela ne permet pas aux accusés de se justifier.
Les informations sur les faits ont été données par la population au niveau de la cellule. On s’en
sert quand on pose des questions. Quand on a la parole pour parler, il réagit en précisant qu’on
n’est pas en train de faire la collecte d’informations. Du coup, on ne sait pas comment se
justifier137. »
Dans d’autres cas, certaines personnalités, de par leur position sociale, leur notoriété ou leur niveau de
fortune, exercent une réelle influence sur les Inyangamugayo. Il s'agit notamment des pressions et
ingérences des hommes d'église ou toutes autres personnes disposant d'une notoriété sociale.
« La personne qui m’accuse pense se faire épauler par un membre de sa famille. C’est un
pasteur dans l’Eglise Presbytérienne à Kigali. Il est rescapé. Il s’ingère beaucoup dans les
problèmes des gens d’ici puisqu’il est natif d’ici. Son ingérence a été citée plusieurs fois dans les
procès des gens de Rusenge, son Umudugudu, ainsi que dans les cas d’emprisonnement de
plusieurs personnes de Kirinda où il était pasteur. Il fait pression sur le siège. Je m’inquiète
alors, qu’il puisse faire de même sur mon cas…En fait, quand il ne veut pas de quelqu’un, il
fait pression sur le siège du fait de son statut. Ainsi, les membres du siège dont la majorité sont
des jeunes sont pris de peur et conséquemment, le fonctionnement du siège se paralyse et devient
partial.138»
Les immixtions et pressions exercées par et sur certains acteurs du processus Gacaca revêtent des
formes diverses. Elles constituent, avec la corruption, une menace importante pour la réalisation des
objectifs poursuivis par Gacaca. De telles pressions exercées notamment sur des personnes victimes,
souvent traumatisées, démunies et vulnérables, ne peuvent être écartées que par la capacité des
Inyangamugayo à exercer leur fonction en toute indépendance, sans crainte, avec la maîtrise et la précision
que requiert la vérification des témoignages recueillis permettant d’établir en toute impartialité la
culpabilité ou l'innocence des personnes accusées. Dans une société où la remise en question de
l’autorité est difficile, il nous semble essentiel de souligner combien le rôle et le soutien effectif apporté
aux Inyangamugayo par les autorités en charge du processus sont importants pour faire respecter la
fonction de juge qui ne peut s’exercer que dans l’indépendance, et la sécurité attachée à cette
indépendance.
Entretien (non enregistré) avec un rescapé à la suite de la réunion faite par le juriste du SNJG avec des rescapés (à
l’Ouest), le 17 août 2007.
136

137

Entretien avec un membre de la famille d’un accusé le 31 août 2007, n°1693.

138

Entretien PRI avec un accusé, le 22 août 2007, n°1709.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

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PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

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DEUXIEME PARTIE: LA CORRUPTION DE
DIFFERENTS ACTEURS DU PROCESSUS GACACA:
DE LA RUMEUR A LA REALITE?
Dans la très grande majorité des entretiens menés dans le cadre de cette recherche, la question de la
corruption des différents acteurs du processus Gacaca est évoquée, dénoncée et questionnée dans la
réalité de son existence. L’ensemble de la population évoque la corruption comme un phénomène
répandu qui affecte profondément le processus Gacaca, tout en soulignant dans le même temps les
grandes difficultés à rapporter la preuve de son existence139.
Au sens actif, la corruption peut se définir comme l’action de soudoyer quelqu’un aux fins de le faire
manquer à son devoir et à la justice. La corruption active consiste à proposer de l'argent ou un service à
une personne qui détient un pouvoir en échange d'un avantage indu. Au sens passif, c'est le fait
d'accepter d'être soudoyé140. Par définition, la corruption suppose donc une transaction secrète dont
seuls les acteurs ont connaissance et l’établissement de la preuve de cette transaction est souvent très
difficile.
Il nous a paru important de considérer cette préoccupation constamment évoquée par la population qui
affirme que cette pratique existe, combien elle dénature et détourne le processus Gacaca de ses objectifs
premiers que sont la recherche de la vérité, la lutte contre l’impunité et, à terme, la réconciliation des
Rwandais.
« Je suis juge au niveau de la juridiction Gacaca de Cellule. Considérant la sensibilisation
qui a été faite, nous avons remarqué que l’objectif qui était poursuivi par les juridictions
Gacaca a été dévié. Certaines expressions sont nées de ce mécanisme inquiétant notamment
appelé « Kugura umusozi » signifiant « achat de toute une colline » qui correspond au fait
qu’un des criminels endosse seul la responsabilité des faits qui ont eu lieu sur cette colline afin
d’être le seul puni et permettre l’acquittement de ses coauteurs. Ses coauteurs le prendront en
charge par la suite en prison afin de soulager sa famille.141 »
« L’objectif de la Gacaca est de dire la vérité pour que les crimes qui ont été commis soient
connus de tous. Quand il y a usage de la corruption, la vérité reste cachée142 »
Pour autant, certaines précautions sont nécessaires dans l’approche de cette question. En effet,
le processus Gacaca est un processus judiciaire qui, par nature, engendre très souvent l’insatisfaction
d’une ou des parties au procès face à la décision rendue par les juges. Dès lors, dans Gacaca comme
dans n’importe quel processus judiciaire, il est fréquent pour les parties de conclure rapidement à la
corruption des juges notamment, dont le jugement peut être vécu et ressenti comme « injuste » ou
partial. L’approche de la question de la corruption des acteurs du processus Gacaca ne peut donc être
traitée qu’avec circonspection et distance. Mais, le problème n’est pas ignoré par les plus hautes
autorités politiques qui affirment faire le nécessaire pour y remédier. Dans une récente interview
139

Sur la question de la corruption, v. aussi LIPRODHOR, rapport 2006, p.71.

140

Cf. Dictionnaire Larousse, v. mot "corruption".

141

Entretien PRI avec un juge intègre d’une juridiction Gacaca de Cellule, 9 novembre 2007, n° 1826.

142

Entretien PRI un habitant, 14 novembre 2007, n° 1457.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 49 -

accordée à Jeune Afrique, le Président de la République rwandaise Paul KAGAME, à qui la question de la
corruption et de la partialité des juridictions Gacaca a été posée, a reconnu l’existence du phénomène
en ces termes : « La justice parfaite n’existe nulle part au monde. Des juges achetés, des sentences iniques, des erreurs
judiciaires, cela arrive au Rwanda comme ailleurs. Mais ce sont des cas isolés que nous nous efforçons à chaque fois de
corriger. Des dizaines de milliers de jugements ont été prononcés par les Gacaca sans que cela soulève le moindre
problème.»143
Le phénomène de corruption, qui à l’examen des divers propos rapportés ne se limite pas à la sphère
des Inyangamugayo, mais semble concerner l’ensemble des acteurs du processus Gacaca, trouve sa
principale explication dans l’extrême pauvreté de la population, dans la peur des accusés d’être
condamnés et de perdre tout statut social. Ces facteurs socio-économiques (I) sont accentués et doublés
par ceux que l’on peut facilement imputer à l’accélération récente du processus (II).

I. LES FACTEURS SOCIO-ECONOMIQUES: UNE CORRELATION
EVIDENTE ENTRE CORRUPTION ET PAUVRETE
Les causes de la corruption des différents acteurs du processus sont diverses et dépendent le plus
souvent du statut social de chaque acteur. Ainsi, l’indigence des rescapés du génocide les amène parfois
à accepter de « transiger » avec les auteurs des crimes (A) ; le désir des accusés de retrouver un statut
social respectable dans la société explique leur volonté d’échapper à la prison à tout prix (B). Enfin, la
situation économique fragile des Inyangamugayo (C) ne les prédispose guère à résister à diverses
propositions tendant à négocier leurs décisions.

A. L'indigence des rescapés
L’indigence des rescapés, leur solitude et leur frustration profonde face à l’absence de mécanismes
d’indemnisation ressortent de l’ensemble des entretiens menés par les observateurs de PRI. Les propos
suivants (tenus par une rescapée), reflètent le sentiment d’abandon que les rescapés peuvent ressentir
face à une justice qui, à leurs yeux, est plus favorable aux accusés de crimes de génocide et crimes
contre l’humanité qu’aux victimes:
« Un autre problème est qu’après sa libération, le criminel est visité par sa famille qui lui
apporte à boire, des habits etc. dans le but de fêter sa libération. La victime qui observe tout
cela, elle n’a ni maison ni chaises. Ses enfants, son mari, sa famille ont été tués ! Sans
mentir, l’Etat devait chercher à nous reconnaître ! Voilà ce qui nous inquiète. Lors de la
comparution, le présumé génocidaire est entouré par les membres de sa famille et dans ce cas,
il se sent réconforté. La victime comparaît seule. En cas d’acquittement, les membres de la
famille de l’accusé organisent une fête à cette occasion. Ils chantent et ils dansent au moment
où le rescapé rentre directement à la maison comme un voleur pour y rester seul, parce qu’on
l’a traité comme un voyou ou un fou !
Nous sommes envahis par la faim, les menaces et l’angoisse. Le Gouvernement devait réserver
une certaine assistance pour nous. Je suis pauvre et veuve, toute la famille de mon mari a été
exterminée. Je vis seule avec mes enfants. Je te jure, nous apprenons à la radio que ces aides
existent, mais je n’ai jamais bénéficié même d’une pièce de cinquante francs rwandais.

Rwanda : pour en finir avec le génocide. Une interview exclusive du président KAGAME, Jeune Afrique n° 2466 du
13 au 19 avril 2008, p. 30.
143

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 50 -

L’Etat devait dénombrer les indigents, les veuves et les orphelins pour les aider. Au lieu de
publier seulement à la radio que les aides sont disponibles alors qu’elles ne parviennent pas
aux concernés. 144»
L’indigence des rescapés qui ne cessent de crier leur misère semble être la raison première de leur
acceptation de la corruption. Eux-mêmes le disent et le reconnaissent. Certains d’entre eux ajoutent que
cela ne les empêche pas de témoigner à charge et de dénoncer les auteurs d’actes criminels.
« A mon avis, les rescapés sont pauvres, on les achète avec de l’argent. L’un se raisonne en
disant : ''si je refuse cet argent, l’autre l’acceptera''. En fait, les témoignages font aujourd’hui
objet de commerce. Après être corrompu, le rescapé se présente devant la juridiction Gacaca
pour dire qu’il s’est trompé en accusant cette personne. Cela existe145. »
« Même moi, si j’en trouvais, je pourrais en prendre, au lieu de continuer à parler dans
Gacaca pour ne rien gagner. Peut-être qu’avec cette corruption on peut trouver du ticket pour
arriver au lieu de la tenue des audiences Gacaca afin de témoigner. Nous, nous payons le
ticket pour être au lieu de tenue des audiences Gacaca où on a été invité par la juridiction. Je
peux prendre ce pot de vin de la part des accusés, mais je ne peux pas cesser de témoigner à
leur charge. Personne ne peut me tromper avec ça (la corruption).146»
« Les rescapés qui pensent que les accusés sont de toutes façons libérés préfèrent recevoir de
l’argent de la part de l’accusé pour ne se contenter que de cela.147 »
« Même les rescapés se sont livrés à la corruption qui se caractérise par des contradictions
volontaires dans les témoignages (ceux livrés lors de la collecte d’informations et ceux livrés
dans les procès)148 ».
La situation d’extrême pauvreté dans laquelle se trouvent bon nombre de rescapés favorise le recours à
la corruption. Les accusés, profitant de cette situation, « achètent » le silence des victimes. Ces
dernières, de leur côté, expriment leur découragement et leur incompréhension face à certaines
décisions politiques (par exemple l’introduction du TIG en faveur des accusés de la 2e catégorie) qui
encadrent le processus Gacaca et utilisent dès lors la corruption comme une sorte de compensation ou
comme un moyen d’assurer leur sécurité.
« Il y a ceux qui profitent de la misère des rescapés du génocide. Si un rescapé survit grâce à
des tâches journalières qu’il effectue en faveur de celui qui lui a fait subir des préjudices, il ne
peut pas oser être son témoin à charge de peur de perdre son emploi et de ne plus rien avoir à
manger.
C’est à cause de la pauvreté. Quand il te donne du travail et que tu ne le soutiens pas, il te
signifie que tu ne seras pas tranquille. Alors tu préfères rester sur ton travail tout en gardant
le chagrin pour pouvoir survivre.149 »

144

Entretien PRI avec une rescapée, 11 septembre 2007, n° 1738.

145

Entretien PRI avec une rescapée, 8 octobre 2007, n° 1783.

146

Entretien PRI avec une veuve du génocide, 17 août 2007, (non enregistré).

147

Entretien PRI avec un agent de secteur, 3 octobre 2007, (non enregistré).

148

Entretien PRI avec un juge intègre d’une Juridiction Gacaca de Cellule, 9 novembre 2007, n° 1826.

149

Entretien PRI avec un rescapé, le 6 octobre 2007, n°1781.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 51 -

Ce phénomène de corruption auquel des rescapés reconnaissent avoir recours est une « réponse » à
l’absence de véritables mécanismes de réparation pour les victimes qui, au terme de ce processus,
n’espèrent plus rien et « prennent ce qu’ils peuvent prendre ».
Ces désillusions et recours à des pratiques qui, à bien les analyser, cautionnent l’impunité et font échec à
l’établissement de la vérité, ne peuvent aujourd’hui prendre fin que par la prise en compte de l’intérêt
des victimes et la mise en place, même à une échelle modeste, d’un véritable mécanisme
d’indemnisation.

B. Le désir des accusés de retrouver leur place dans la société
Le recours à la corruption par des accusés ressort des entretiens menés et trouve son origine pour
certains d’entre eux dans la volonté de ne pas subir l’humiliation d’être condamné pour crime de
génocide ou crime contre l’humanité, et dans le souci de protection de leur famille exposée à
d'éventuelles vengeances. Les accusés tentent alors de corrompre intègres et rescapés aux fins
d’obtenir une décision d’acquittement et pouvoir vivre sans la souillure d’une condamnation pour
crime de génocide.
« Celui qui donne le pot de vin veut dissimuler ses actes afin d’être légèrement sanctionné ou
échapper carrément à la poursuite judiciaire…En fait, celui qui corrompt veut garder son
honneur pour ne pas avouer qu’il a tué. »150.
« (…) Il a corrompu les juges. Ils ont reçu de lui trente mille francs, mais ils ont mal partagé
cette somme. Celui qui a récupéré ce montant chez l’accusé a pris cinq mille francs avant le
partage. Ces informations ont été connues avant que l’accusé soit emprisonné. Les juges se
sont disputés lors du partage et finalement, les uns se sont révoltés contre les autres, parce
qu’ils avaient reçu une petite somme. C’est comme ça que les informations ont été connues par
le public. Après le délibéré, les juges ont clôturé les débats et ils ont ajourné tous les procès qui
étaient à l’ordre du jour. Ils ont demandé à la population de rentrer chez elle et ils sont restés
avec l’accusé, sa femme et son gendre qui avaient livré cet argent. Ils ont tenu une réunion à
huit clos, l’accusé a dit que sa famille avait payé trente mille francs et que la différence avait
été retenue. On a fait appel au Coordinateur de cellule qui, à son tour, a demandé le secours
de la police. On a directement arrêté ces gens et on les a mis en prison. 151»
D’autres accusés, clamant leur innocence mais ne disposant d’aucune défense face à des victimes et
témoins à charge présents à l’audience, « achètent leur droit » et recourent à la corruption comme seul
moyen d’obtenir une décision d’acquittement.
« En voulant savoir pourquoi l’accusé préfère recourir à la corruption alors que la loi diminue
les peines, il a répondu qu’il le fait pour éviter d’être bombardé de questions. Certains intègres
intimident et menacent les accusés de les emprisonner et même s’il a plaidé coupable, il préfère
donner de l’argent. Il ajoute que c’est acheter son droit 152»

150

Entretien PRI avec un libéré, 5 septembre 2007, n° 1726.

151

Entretien PRI avec un condamné en liberté, 5 septembre 2007, n° 1782.

152

Entretien PRI avec un intègre, 10 septembre 2007, n°1733.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

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C. L'intégrité des Inyangamugayo mise à mal par leur situation
économique
Issus de la population et élus par elle, les Inyangamugayo sont connus et reconnus pour être des
personnes dont l’intégrité ne fait aucun doute. La probité morale est d'ailleurs la condition première
pour être élu Inyangamugayo, c'est-à-dire "personne intègre"153. L’article 14 de la loi organique du 16 juin
2004 précise en son article 14 que « les membres des sièges des juridictions Gacaca sont des Rwandais intègres élus
par les Assemblées Générales des cellules dans lesquelles ils résident154.»
L’engagement des Inyangamugayo a été largement reconnu et leur implication dans le processus est à la
hauteur des enjeux de celui-ci. Néanmoins, il ressort des entretiens menés par nos observateurs que le
rôle de juge exercé par les Inyangamugayo est source de rumeurs qui alimentent le discrédit porté sur leur
fonction juridictionnelle, sur leur situation de tiers impartial chargé de rendre justice. Il est dès lors aisé
de penser corruption lorsqu’il s’agit de trouver une explication à l’insatisfaction provoquée par un
jugement.
« Souvent, ceux qui reprochent aux Intègres d’être corrompus sont ceux qui formulent contre
d’autres de fausses accusations à cause des conflits qui existent entre eux. Ils nous accusent de
tout ce qu’ils veulent puisqu’ils sont insatisfaits du jugement rendu. C’est alors qu’on indique
que certains des membres de notre siège sont corrompus. Cela est dans le but de nous diffamer,
car celui qui le fait est celui qui n’est pas satisfait des jugements qui sont rendus. Il nous
arrive d’ajourner deux fois les procès dans lesquels on signale de la corruption afin de mener
des enquêtes dans le but de savoir si cela est fait par les rescapés ou les libérés, et qui
sanctionner. Nous, les Intègres, nous travaillons bénévolement. Nous ne travaillons pas pour
un intérêt autre que de rendre justice pour les Rwandais. Tu as remarqué combien c’est
pénible, parce que quelques fois nous passons toute la journée en train de rendre des
jugements. Ce que nous gagnons, c’est la réconciliation des Rwandais, et, cela est pour nous
satisfaisant. 155»
Des Inyangamugayo reconnaissent combien les témoignages, accusations et autres silences font l’objet de
négociations. Ainsi que le rapporte ce juge intègre, pour certains d’entre eux, ces négociations ne les
détournent pas de leur intime conviction forgée à partir de leurs investigations. Ils continuent d’exercer
leur fonction avec dignité et intégrité, rejettent toute tentative de corruption et, tout en rappelant la
dureté de leur tâche, n’acceptent pas d’être molestés, menacés ou accusés sans preuve d’avoir recours à
cette pratique.
«(…) Ce qui me pousse à dire qu’ils donnent des témoignages contradictoires pour un profit,
c’est que pour un procès pour meurtre, quand une personne condamnée souhaite interjeter
appel, un membre de sa famille peut aller voir le proche de la victime et lui proposer de lui
verser quelque chose pour qu’en appel, il témoigne à décharge alors qu’au niveau de la Gacaca
de secteur, il avait témoigné à charge contre cette personne. Il arrive aussi que la personne
condamnée aille voir elle-même ce membre de la famille de la victime et lui propose de lui
donner quelque chose, de l’argent parfois, et ce dans le but de changer le témoignage
initialement donné. Face à un tel cas, nous, nous faisons des investigations. Quand nous
153

Art. 10, a) loi organique n°40/2000 du 26 janvier 2001, JO du 15 mars 2001.

154

Article 14 de la loi organique du 16 juin 2004 .

155

Entretien PRI avec un juge intègre, 25 septembre 2007, n° 1761.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

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trouvons que cette personne est réellement coupable, nous tranchons l’affaire en nous basant
sur nos constatations sans tenir compte du fait de la corruption.156»
En dépit de cette probité morale dont font preuve un grand nombre d’entre eux, à l’instar de ce que
rapporte dans les propos suivants ce juge intègre, la corruption est un phénomène qui atteint aussi les
Inyangamugayo qui sont non seulement sollicités par les parties au procès, dont les enjeux et intérêts sont
importants et contradictoires, mais également par leurs pairs qui souhaitent protéger les leurs.
« On parle de la corruption au sein des juges intègres. Mais, il n’y a pas d'éléments pour le
prouver. Moi-même je me suis finalement rendu compte que cette corruption existe. A la fin
de l’assemblée générale, une juge intègre est venue me dire qu’il fallait qu’elle me parle de
l’affaire de son mari qui devait comparaître. Je lui ai répondu que ce sont ceux qui ont
commencé ce jugement qui devaient le terminer en lui disant que cela ne me concernait pas.
Comme j’avais entendu dire qu’il y avait le problème de corruption, je lui ai dit de partir et
de revenir un autre jour pour que nous puissions en parler. Elle m’a demandé de revenir le
lendemain mais j’ai refusé. Je lui ai donné un autre rendez-vous. Comme je pensais que ce
juge voulait me corrompre, je suis allé avertir la police et le coordinateur des juridictions
Gacaca. Ils se sont alors intéressés à ce cas. Ils ont découvert que cette juge « intègre » voulait
me corrompre en tant que président de cette juridiction. La police a trouvé la solution. Elle est
seulement venue me dire le problème de son mari. Comme son mari était emprisonné, je lui ai
conseillé de lui demander de venir avouer s’il se sent coupable. Elle m’a dit que les gens
portaient de fausses accusations contre lui. Elle m’a dit les noms de ceux qui l’accusaient y
compris le président de la juridiction Gacaca de l’ancienne Cellule de … qui a collecté les
informations. C’est lui qui aurait frauduleusement confectionné ce dossier. Elle m’a chargé de
ce problème et m’a demandé de lui trouver la bonne solution. Elle me disait qu’elle allait me
donner un pourboire assez important quand j’aurais bien réglé ce problème. Je lui ai dit que
je ne travaille pas pour me payer des pourboires. Je lui ai demandé de se rappeler que dans
notre serment, nous avons juré que nous n’utiliserions pas le pouvoir qu’on nous a donné pour
nos propres intérêts. Je lui ai demandé de partir et d’attendre la décision de la juridiction.
Alors elle m’a supplié de poursuivre ce dossier en tant que collègue de travail, promettant
qu’elle me donnerait du pourboire même si je le refusais. Elle a ajouté qu’elle avait une
bouteille de bière qu’elle allait me donner de façon à ce que je m’intéresse à son problème après
avoir bu cette bière.157»
Une des raisons majeures qui peut expliquer l’acceptation de la corruption par les Inyangamugayo est la
situation d'indigence dans laquelle ils se trouvent. Une enquête réalisée en novembre 2005 par la CTB158
a mis en évidence que 92,7% des Inyangamugayo sont des paysans, et 81,1% d'entre eux gagnent moins
de 5000 FRW par mois159. Cette étude a été réalisée avant la multiplication des sièges issue de la loi du
1er mars 2007 et 50% des juges intègres consacraient déjà deux jours par semaine à Gacaca.
« Après un certain temps, on a remarqué une défaillance au sein des juges intègres, ils ont
voulu gagner quelque chose de leur travail et ils ont accepté la corruption. Il y a une
expression ‘‘amafranga ashakirwa aho ari’’ signifiant qu’il faut chercher l’argent là où on
peut en trouver, car si les intègres continuent de juger les pauvres seulement, ils n’auront rien
156

Ibid.

157

Entretien PRI avec un juge intègre, président du siège d’une Juridiction Gacaca de Secteur 24 juillet 2007, n°1672.

158

Coopération Technique Belge, Report on improving the living conditions for the Inyangamugayo, novembre 2005.

159

Sur la situation de pauvreté au Rwanda: v. notamment Frédéric GATERA, Le phénomène de pauvreté au Rwanda:
définitions, profils et remèdes (rapport de recherche), oct. 2006; UNDP, Turning Vision 2020 into Reality, National Human
Development Report, Rwanda 2007, pp. 92-96.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 54 -

gagné après les procès. Ainsi, certains cherchent à construire des dossiers mettant en cause des
personnes qui ont de l’argent à donner aux intègres et aux victimes. 160»
« Les intègres demandent de l’argent aux accusés pour ne pas rejeter leurs aveux. Les
accusés, même s’ils ont tout avoué, par peur, donnent l’argent. Ceux qui refusent, sont
condamnés pour se venger du refus 161»
Effacer les témoignages fournis par un accusé en détention sur une personne en liberté, transmettre aux
prisonniers leurs fiches d’aveux afin qu’ils puissent enlever quelques informations déjà notées pour
protéger certaines personnes qui ont donné de l’argent 162, soudoyer les accusés pour ne pas rejeter leurs
aveux163, s’entendre avec une autorité ou personnalité rescapée qui, de fait, bénéficie d’une immunité,
pour condamner ou acquitter telle ou telle personne164; telles sont quelques formes que peuvent revêtir
la corruption des Inyangamugayo. On peut également évoqué le fait que certains dossiers disparaissent ou
ne sont carrément pas constitués alors que des témoignages à charge ont été recueillis.
« (…) Cet intègre de la juridiction Gacaca d’appel m’avait dit que si je lui donnais 50 000
frws, il allait sensibiliser ces gens qui avaient interjeté appel afin qu’ils renoncent à ce projet et
pour qu’à la fin de l’affaire je puisse lui offrir encore 1.000.000 frws…165»
Plusieurs dossiers dans lesquels la corruption des juges intègres est rapportée sont aujourd’hui entre les
mains de l’institution judiciaire166.
« Dans la juridiction Gacaca du secteur… il n’est plus parlé de rumeur sur la corruption, car
il y a eu des preuves. Un intègre a reçu de l’argent de la part d’un accusé. Il a été arrêté par la
police. Cet intègre a demandé à un accusé de l’argent et ce dernier a passé l30.000frws par le
biais de son beau-fils pour les lui faire parvenir. Pour chercher plus d’appui au moment du
délibéré, l’intègre a donné à deux de ses collègues intègres 1500frs et ces derniers l’ont dénoncé
parce qu’il leur avait donné peu par rapport à la somme qu’il avait reçue, ce qui a été porté à
la connaissance des instances judiciaires.167»
« Quand il s’agit de juger les riches, ils s’arrangent avec les juges grâce à leurs fortunes.
Presque tous les riches qui comparaissent sont acquittés168. Bref, nous ne nous réjouissons pas
de la façon dont la juridiction Gacaca rend des jugements. Il y a un jugement qui a été rendu
dans notre Secteur qui a semé des troubles. Les trois fils de Charles ont comparu en même
temps qu’une autre personne qui, elle, est pauvre. Comme cette personne est pauvre, elle a été
condamnée à une lourde peine alors qu’ils étaient tous accusés des mêmes infractions. Deux
des fils de Charles ont été innocentés et le troisième a été condamné à une peine minime de
160

Entretien PRI avec un juge intègre d’une juridiction Gacaca de Cellule, 9 novembre 2007, n° 1826.

161

Entretien PRI avec un rescapé, Province de l'Ouest, le 22 août 2007, n° 1711.

162

ROJG Province de Butare, (actuelle province du Sud)/Kiruhura/Gikirambwa, 17 août 2007.

163

Entretien PRI avec un rescapé, ibid.

164

Entretien PRI avec un juge intègre d’une Juridiction Gacaca de Cellule, 9 novembre 2007, n° 1826.

165

Entretien PRI avec un religieux, 10 octobre 2007, n° 1786.

166

Cf. Journal IMVAHO nshya n° 1727 du 17 au 23 octobre 2007 ; Journal RUGARI, n°21 du 10 au 24 mai 2007.

167

Entretien PRI avec un juge intègre d’une juridiction Gacaca de secteur le 19 septembre 2007, n°1751.

"Selon que vous serez puissant ou misérable / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir", disait LA FONTAINE dans ses
Fables….
168

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

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sorte que cela a été à l’origine de troubles au sein de la population. Après, une enquête a été
menée et a permis d’établir l’usage de la corruption. Pour le moment les trois juges de la
juridiction de secteur sont emprisonnés.169 »
« Le commandant de la police a évoqué des cas de corruption et a déclaré que ces cas s’étaient
produits surtout à Kamembe et à Shangi. Il a précisé que dans tous les cas de corruption qui
ont été présentés à la police, les intègres des juridictions Gacaca sont concernés et certains sont
actuellement emprisonnés pour cela. Certaines victimes rescapées sont également concernées. 170»
La situation économique des Inyangamugayo qui n’ont que très peu de temps à consacrer à des activités
lucratives qui assurent leur subsistance et celle de leurs familles explique très probablement la
propension d’un certain nombre d’entre eux à accepter d’être soudoyés. Lors d’une réunion de
concertation avec ses partenaires sur le monitoring des juridictions Gacaca organisée par la CNDP à
Kigali le 18 décembre 2007, cette question de la corruption des Inyangamugayo a été évoquée et des cas
ont été signalés dans les districts de Nyabihu, Rubavu et Ngororero. Certains des concernés ont été
emprisonnés dans le secteur de Cyumba.
Les observateurs de PRI ont pu constater que le phénomène de corruption des intègres est fréquent et
semble dépasser quelques cas isolés171. L'intégrité des "intègres" se trouve ainsi sérieusement mise à
rude épreuve du fait de la fragilité de leur situation économique et sociale. L’effet dévastateur de ce
phénomène réside dans le fait qu’une partie de la population dit avoir peur, dit s’attendre à de
nouvelles accusations qui n’avaient jamais été évoquées auparavant, dit encore la différence de
traitement entre les personnes qui ont un peu de fortune et les pauvres. Cette absence d’égalité de
traitement devant la loi, ces peurs exprimées ne peuvent que renforcer le recours à la corruption,
chacun tentant d’échapper comme il peut à une justice qui inquiète plus qu’elle ne rassure.

II. LES FACTEURS DE CORRUPTION LIÉS À L'ACCÉLÉRATION DU
PROCESSUS
A l’état d’indigence dans lequel se trouvent presque tous les acteurs du processus Gacaca et qui
explique largement ce phénomène de corruption, il faut peut-être ajouter le fait que depuis plus d’une
année, les autorités politiques de haut niveau ont décidé d’une accélération du processus en incitant les
autorités locales à insérer les activités Gacaca dans des « contrats de performance » (A). Cette culture du
résultat n’induit pas forcément le recours à la corruption, mais elle favorise un phénomène dont la
pratique, déjà répandue, semble se justifier par l’accélération des Gacaca (B).

A. L'insertion des activités Gacaca dans les "contrats de performance"
Postérieurement à la réforme des structures administratives du pays intervenue en 2006172, les autorités
nationales ont sensibilisé les autorités provinciales afin que celles-ci établissent un calendrier des
attentes et objectifs à réaliser sur une période allant de six mois à une année, échéance au terme de
169

Entretien PRI avec un habitant, 14 novembre 2007, n° 1457.

Rapport d’observation de la réunion tenue par la Secrétaire Exécutive du SNJG avec les autorités et les intègres des
juridictions dans le district Rusizi, 2 octobre 2007.
170

171

V. un article du Journal Umurabyo, n° 12, du 12 au 26 mai 2008, sur la question de la corruption dans les Gacaca : « les
juridictions Gacaca seront une mesure de l’idéologie qui marquera l’avenir du Rwanda » (traduction PRI).
172

Loi n° 06/07 du 16 août 2006.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 56 -

laquelle ces dernières présentent les résultats obtenus à leurs supérieurs hiérarchiques. Ces résultats sont
portés sur un document intitulé «contrat de performance », désormais officialisé à tous les niveaux
administratifs, province, district, secteur, cellule et village. Compte tenu de la volonté politique
clairement énoncée au plus haut niveau de l’Etat d’accélérer, si possible d’achever à la fin de l’année
2007 le traitement du contentieux du génocide, les activités des juridictions Gacaca ont été insérées
dans les contrats de performance à tous les niveaux administratifs. Gacaca devient une priorité pour
toutes les instances administratives et politiques. Les activités Gacaca ont ainsi rapidement pris place
dans les contrats de performance173. Les Inyangamugayo s’engagent ainsi à respecter les prévisions fixées
par les organes administratifs. Nombre d’observateurs ont relevé combien cette "politique" de résultats,
dans des délais de plus en plus courts, a pesé sur le fonctionnement des juridictions Gacaca.
« Nous avons constaté que dans certains secteurs, toujours dans un souci d'accélération, les
Gacaca se tiennent plusieurs fois par semaine. A titre d'exemple, à Mutete (Province du
Nord, ex-Byumba), l’assemblée générale se réunit le lundi et le samedi. A Kiramuruzi
(Province de l'Est, ex-Umutara) le mardi et le dimanche, et à Gashari (Province de l'Ouest,
ex-Kibuye) les mardis et jeudis. A cela il faut bien sûr ajouter les séances qui se tiennent
toutes les semaines au niveau des cellules concernant les jugements des infractions contre les
biens. A ce caractère obligatoire des Gacaca, il faut ajouter celui de l'Umuganda, travaux
communautaires obligatoires qui dans certaines localités se tiennent toutes les semaines même
si la consigne au niveau national est qu'elle se tienne une fois par mois, celle des rondes de
nuit, et des différentes réunions obligatoires174.»
Les conséquences de cette pression sont multiples et se traduisent notamment au niveau de la
population par une lassitude certaine, malgré la sensibilisation et la pression des autorités. Par ailleurs, la
tâche des coordinateurs Gacaca qui suivent le travail des juridictions dont ils ont la charge est rendue
encore plus difficile, car ceux-ci ne disposent pas du temps matériel pour vérifier la légalité des pièces
notamment nécessaires à l’emprisonnement des personnes accusées ou condamnées, ce qui augmente
le risque de détentions illégales.
Enfin, en ce qui concerne les Inyangamugayo, ainsi que cela a été explicité tout au long de ce travail, non
seulement ceux-ci ne disposent pas toujours d’une réelle indépendance et ne parviennent pas à
préserver leur impartialité, mais l’accélération des procès a également engendré, sinon favorisé
l’acceptation de la corruption. Il en est de même pour tous les autres acteurs du processus. Certains
observateurs ont également souligné combien la pression subie par les Inyangamugayo pour terminer
leurs activités au mois de décembre 2007 a nui à la qualité des jugements rendus, favorisé le recours à la
corruption émanant notamment des personnalités influentes et des personnes qui ont des moyens
financiers qui, pour obtenir leur acquittement, n’hésitent pas à avoir recours à de telles pratiques.

B. Une situation favorisant la corruption des Inyangamugayo.
Les enquêtes menées par les observateurs de PRI mettent en évidence qu’au-delà de la pauvreté, le
phénomène de corruption s’est certainement amplifié au cours de l'année 2007 avec, d’une part, la

Modèle en annexe (n°3). Les contrats de performance sont remplis par chaque chef de famille, qui transmet sa fiche au
chef de village (umudugudu) ; ce dernier transmet une synthèse de toutes les fiches au responsable de cellule. Ainsi de suite
jusqu’au niveau des districts.
173

Rapport PRI « Le jugement des infractions commises contre les biens pendant le génocide : le contraste entre la théorie
de la réparation et la réalité socio-économique du Rwanda», juillet 2007.
174

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 57 -

multiplication des sièges et d’autre part l'accumulation accélérée des outils juridiques175 mis à disposition
des Inyangamugayo. Ceux-ci sont tenus d’atteindre des objectifs en termes de résultats et de nombre de
dossiers traités. Compte tenu de la nécessité régulièrement rappelée par les autorités nationales
d'accélérer le processus Gacaca, cela fait plus de deux années consécutives, pour beaucoup d’entre eux,
qu’au moins deux jours par semaine, ils donnent de leur temps bénévolement pour juger des dossiers
d’une extrême complexité dans un contexte qui n’a cessé de s’alourdir. Les Inyangamugayo sont en effet
au carrefour de la lassitude et des craintes exprimées de la population, des négociations qui existent
entre victimes et accusés sur les aveux et témoignages à produire, et d’une volonté politique qui affiche
très clairement son souhait d'en finir le plus rapidement possible avec le processus.
« Les intègres travaillent beaucoup sans salaire avec deux journées d’activités par semaine en
plus de leur participation à d’autres activités telle que umuganda, réunion de cellule… tout
ceci favorise l’attrait pour la corruption 176. »
Des juges intègres, en acceptant d'être soudoyés, attestent combien l’équation entre ce qui leur est
demandé en terme de justice à rendre au peuple rwandais dans un contexte social très complexe – fait
de traumatismes, de peurs et de suspicions–, et leur capacité à résister à diverses sollicitations est
difficile, sinon impossible à résoudre.
« Ce que je voudrais dire est que plusieurs personnes ont peur de la Gacaca. Elles ont peur
parce qu’aujourd’hui, chaque personne économiquement forte, même au cas où elle serait sage,
est accusée devant la Gacaca. Si l’on vérifiait, on pourrait trouver que les personnes dont les
dossiers ont été constitués depuis le mois d’août n’ont pas été accusées lors de la collecte
d’informations. En tout cas, l’objectif des juridictions Gacaca a été détourné. Aujourd’hui,
plus de 80% de la population de notre localité a peur. Si elle a des moyens, chaque personne
cherche à fuir. (…)177. »
Les propos tenus par ce juge intègre illustrent la défiance de la population vis-à-vis du processus
Gacaca qui n’est pas en capacité de garantir les justiciables contre l'arbitraire du juge, d'assurer la
sécurité attachée au respect des principes fondamentaux du droit à un procès équitable.
Le contexte d'extrême pauvreté dans lequel se trouvent la très grande majorité des acteurs du processus
Gacaca, le manque de temps ou la sujétion des juges intègres vis à vis du pouvoir exécutif sont autant
de facteurs qui expliquent le recours à la corruption. Lors de l’atelier sur la lutte contre la corruption et
l’injustice organisé par l’Office de l’Ombudsman le 3 juillet 2007 à Kigali, les représentants de l’Office
ont publiquement déclaré que cette question de la corruption des Inyangamugayo dans le cadre du
processus Gacaca était une réalité à laquelle l’Office était attentif et avait demandé au Ministre de la
justice l’autorisation d’investiguer plus profondément sur cette question.
L’établissement de la vérité, préalable inconditionnel à la lutte contre l’impunité, est compromis dans un
contexte où des acteurs directement concernés négocient leurs paroles, leurs silences et témoignages.
L’absence de mécanismes de réparation effective pour les victimes est un frein au processus judiciaire
dans son ensemble et explique en partie le fait que des victimes rescapées négocient aujourd’hui leur
silence et leur sécurité. La population met souvent en doute la crédibilité de certaines décisions rendues
qui ne semblent être ni le reflet de la vérité judiciaire ni celui de la vérité historique. C'est toute la
problématique d'une véritable réconciliation de la société rwandaise qui risque ainsi d’être mise en
cause.
175

V. supra, notes 113 et 114.

176

Entretien avec un agent de secteur, le 3 octobre 2007, entretien (non enregistré).

177

Entretien PRI avec un "Intègre", 9 septembre 2007, n°1826.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 58 -

Pour éviter que le processus Gacaca ne dérive définitivement de ses objectifs primordiaux que sont la
recherche de la vérité sur le génocide de 1994, la fin de l'impunité et la réconciliation nationale, il est
donc essentiel que les autorités en charge du processus prennent les mesures nécessaires pour que les
actes de corruption soient identifiés, les auteurs systématiquement poursuivis. Non seulement les débats
judiciaires doivent être libres de toute interférence, mais également les juges intègres doivent adopter
une sorte de code moral qui leur permette de résister à la corruption, afin de veiller à ce que les
coupables de faits criminels soient effectivement condamnés et les innocents acquittés et socialement
réhabilités.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 59 -

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 60 -

CONCLUSION :

LA

DIFFICILE CONCILIATION ENTRE
CELERITE ET SERENITE DANS LA RECHERCHE DE LA PREUVE
Le facteur temps est déterminant dans l'activité juridictionnelle de tout système judiciaire et
particulièrement dans le traitement d'un contentieux aussi lourd que celui d'un génocide. Pour tenter de
répondre à l’immense défi que représentait l’arriéré judiciaire lié au génocide de 1994 qu'aucune
institution judiciaire classique ne saurait relever compte tenu de l'ampleur de la tragédie, le Rwanda s'est
orienté vers la voie d'une justice dite "participative" à travers la mobilisation des Gacaca, cadre
traditionnel servant jusqu'alors à résoudre en assemblée des querelles locales178. Les autorités politiques,
dans un souci de mobiliser la loi pénale dans sa dimension pédagogique, ont décidé de s'inspirer de la
Gacaca traditionnelle en aménageant un système judiciaire unique fondé à la fois sur le droit écrit et sur
la coutume. Les juridictions Gacaca "réinventées" comme mode de résolution du contentieux du
génocide ont ainsi vu le jour179.
Processus sociopolitique, entièrement encadré par une procédure dont les aspects juridiques sont
essentiels, les juridictions Gacaca sont confrontées à la résolution d’une équation dont les termes sont
complexes et parfois contradictoires. Le peuple rwandais qui a assisté, et pour partie, participé à la
commission des actes criminels constitutifs du crime de génocide et crimes contre l’humanité est
appelé, en application d’une loi écrite, à témoigner, à avouer…à "se juger". Dans un contexte social et
politique difficile, les juridictions Gacaca composées des Inyangamugayo, dont le métier n’est pas celui du
juge, sont investies d’une mission qui ne peut se réaliser, au regard des objectifs fixés, qu’en privilégiant
la sérénité nécessaire au débat judiciaire, en favorisant la liberté de parole, en se donnant le temps
nécessaire à la vérification des informations recueillies.
Quatorze ans après le génocide, la volonté affichée par les autorités en charge du processus d'épuiser
rapidement ce lourd et douloureux contentieux pour l’ensemble du pays est légitime et compréhensible.
La question qui se pose cependant est de savoir si cette accélération du processus n'est pas
contreproductive au regard des attentes, notamment l'établissement de la vérité sur le génocide du
printemps 1994. Sur ce point, il semble exister un fossé entre les annonces officielles et la réalité sur le
terrain. Le contentieux du génocide de 1994 est loin de s'épuiser dans quelques semaines180. La
multiplication des procédures d’appel et de révision des procès, l'apparition de nouvelles accusations, le
transfert probable d'une bonne partie du contentieux pendant devant les juridictions ordinaires et la
possibilité envisagée dans le nouveau projet de loi portant sur les juridictions Gacaca 181 de faire juger
notamment les auteurs de viols devant Gacaca sont autant d’éléments qui contredisent les déclarations
officielles annonçant la fin imminente du processus.

Les juridictions Gacaca, in Justice et Gacaca, L'expérience rwandaise et le génocide (sous la dir. de F. DIGNEFFE et
J. FIERENS,) Presses universitaires de Namur, 2000, p. 77.
178

179

Avec la loi organique n° 40/2000 du 26 janvier 2001 portant création des "juridictions Gacaca" et organisation des
poursuites des infractions constitutives de crime de génocide ou de crimes contre l'humanité, commises entre le 1er octobre
1990 et le 31 décembre 1994 : Journal Officiel n°6 du 15 mars 2001.
Lors d'une réunion avec la Secrétaire exécutive du SNJG le 11 mars 2008, celle-ci a réaffirmé la nécessité pour les Gacaca
de s'achever avant la fin du premier trimestre, en dépit de l'imminence d'une nouvelle loi organique portant sur les
juridictions Gacaca.
180

Des précisions ont été récemment données par Mme la Secrétaire exécutive lors d'une rencontre avec les acteurs et
partenaires du processus Gacaca au siège du SNJG, le 28 mars 2008.
181

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 61 -

1. La célérité au détriment de la qualité ou de la vérité?
Nous avons montré combien l’insistance des autorités de voir s’accélérer et se terminer au plus vite les
procès en cours a considérablement dégradé la qualité des jugements rendus, favorisé le non respect des
procédures, le recours à la corruption et, si l'on ne prend garde, risque de discréditer un processus dont
la réussite devrait aider à la réconciliation des Rwandais.
Nous avons aussi analysé les difficultés rencontrées par les Inyangamugayo pour recueillir les
témoignages, les traiter et les confronter dans le but d'organiser un débat contradictoire susceptible
d'orienter leurs décisions182.
« (…) Il arrive que, par exemple, les juges prononcent le jugement avant que plusieurs
témoins soient là. Une autre conséquence est que les affaires ne sont pas profondément
examinées. Les juges intègres rendent des jugements dans le but de respecter le temps.
Ils rendent les jugements avant que les affaires soient bien clôturées. Lorsqu’on dit que tel est
coauteur de tel accusé et qu’on ne juge que l’affaire de l’auteur principal afin de clôturer le
procès, je ne peux pas penser que réellement cette affaire est bien tranchée 183».
Que ce soit les rescapés, les Inyangamugayo ou les personnes accusées, tout le monde s’accorde à dire que
l’accélération des procès a une certaine incidence sur la qualité des décisions rendues. Il n'est pas certain
qu'elles soient toujours la traduction de la culpabilité ou de l'innocence des accusés, ni le reflet de la
vérité historique, encore moins la reconnaissance attendue des rescapés. Lors d’une réunion de
concertation organisée par la Commission Nationale des Droits de la personne (CNDP) qui s’est tenue
le 18 décembre 2007 à Kigali, les représentants de la Commission qui travaillent sur l’ensemble du
territoire ont souligné le fait que l’accélération des procès engendre un relâchement des Inyangamugayo
qui ne prennent plus le temps de l’analyse avant de rendre leurs décisions184.
« L’accélération des procès provoque beaucoup de fatigue chez les juges intègres du fait qu’ils
jugent beaucoup d’accusés. Cela fait qu’ils prennent des décisions à la hâte sans que certaines
lois soient mises en application.185 »
Le travail des juges devient donc de plus en plus difficile. Ils finissent tard, traitent beaucoup de
dossiers dans une même journée et, en conséquence, ne peuvent pas prêter attention aux détails, aux
incohérences et imprécisions contenues dans les témoignages. Le fait de se réunir deux fois par
semaine est un fardeau pour la population et très souvent, pour gagner du temps, les témoins ne sont
pas entendus186.

2. L'insécurité engendrée dans la population par de nouvelles accusations
Comme déjà précisé, nos analyses ont montré que l’accélération des procès et la multiplication des
sièges ont eu notamment pour conséquence de déférer devant les juridictions Gacaca des personnes
dont les dossiers n’avaient jamais été constitués pendant la phase de collecte d’informations, pas plus
qu’ils n’avaient fait l’objet de dénonciation de la part d’éventuels coauteurs ou complices.
182

V. supra, notamm. pp. 28-40

183

Entretien PRI avec un rescapé, le 28 octobre 2007, n° 1804-1805.

184

Propos tenus par les agents de la CNDP en charge de la Province du Nord et de la Province de l’Est.

185

Rapport d’entretien avec un habitant le 4 octobre 2007, entretien (non enregistré).

186

V. supra, notamment les pp. 36 et 38.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 62 -

Ainsi que le rapporte cette personne :
« Il y a des juges intègres qui complotent avec les rescapés du génocide en élaborant des dossiers
contre une personne qui a des conflits avec un des juges intègres et se retrouve donc accusée
alors qu’aucune accusation n’avait été mentionnée ni portée à son encontre lors de la collecte
d’informations.187 »
Nous citerons sur ce point deux exemples qui illustrent combien les juridictions Gacaca peuvent être
détournées de l’objectif de justice qui leur est assigné et devenir des instruments de vengeance ou de
règlements de compte d’ordre privé. Dans le cas suivant, alors qu’aucun dossier n’avait jamais été
constitué lors de la collecte d’informations, Gacaca a été utilisée comme un outil de vengeance privée
par une personne qui n’a pas supporté la nomination d’un autre candidat à un poste de responsabilité.
Dans un district de l’Ouest, une personne connue pour avoir rempli de 1994 à août 2007 des fonctions
importantes au niveau du secteur et du district, a occupé une place au sein du Comité de
Développement Communautaire de district après avoir été en concurrence pour cette place avec le
président d'une association de rescapés au niveau du district. Ce dernier, frustré et mécontent, a déclaré
à certaines personnes que son rival « verrait par la suite ». Après une période de moins de deux mois
passés à ce poste, Nicolas a été convoqué pour passer en jugement devant la juridiction Gacaca de ce
secteur. Il a été condamné à 17 ans d’emprisonnement au niveau du secteur et à 19 ans
d’emprisonnement en appel188.
Nos enquêteurs ont pu constater que le président de l'association de rescapés en question avait en outre
commencé à sensibiliser les rescapés du secteur pour que ceux-ci soient témoins à charge lors de la
révision du procès de cette personne; ceci sous la menace de les priver de leurs cartes de mutuelle de
santé délivrées par le Fonds d'Assistance aux Rescapés du Génocide (FARG). Ce dossier n’a jamais été
constitué lors de la phase de collecte d’informations et cette personne n’avait jamais fait l’objet d’une
quelconque accusation pendant la phase de collecte d'informations. Un autre exemple illustre
parfaitement une possible perversion du processus.
Il ne nous appartient pas de jeter du discrédit sur une décision de justice, mais le cas d'une personne
accusée, condamnée en première instance et en appel à 19 ans d’emprisonnement a défrayé la
chronique et fait l’objet de nombreux articles de presse dénonçant l’instrumentalisation de Gacaca à des
fins personnelles189. Il est en effet de notoriété publique que l'accusé, après avoir porté une accusation à
l’encontre d’un Inyangamugayo, s’est retrouvé convoqué devant une juridiction Gacaca composé
notamment par celui-là même avec qui il était en conflit. La demande de récusation de l'Inyangamugayo
formulée par l'accusé a été refusée en première instance.
Dans le cadre des audiences tenues par la juridiction Gacaca d’appel190 les 4, 11 et 18 août 2007, les
témoignages à décharge entendus n’ont pas été considérés, alors même que le seul témoin à charge
entendu dans le cadre d’une affaire jugée par une juridiction ordinaire191 n’était pas même cité devant la
juridiction Gacaca!

187

Entretien PRI avec un habitant, 4 octobre 2007, n°0497.

188

Entretien avec un Intègre, le 9 septembre 2007, n° 1826.

189

V. notamment: Amani, août 2007, n° 88; Umukindo, Kanama 2007, n° 34; Umuseso, , Kamena 2007, n° 284.

190

191

ROJG, ville de Kigali/Nyarugenge/Biryogo, les 4, 11 et 18 août 2007.
RP 0060/04/TP/KG/RMP 6519/S12/ du 25 novembre 2005, Tribunal de première Instance de Kigali.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 63 -

Ces deux affaires illustrent parfaitement combien des conflits d’ordre privé peuvent interférer dans le
processus et être utilisés à des fins de vengeance ou de règlement de compte192 dans le cadre d’une
justice qui inspire parfois crainte et défiance à la population. Nombre de personnes interviewées disent
en effet ne pas se sentir à l’abri d'éventuelles fausses accusations qui les amèneraient à comparaître pour
crime de génocide ou crimes contre l’humanité devant les juridictions Gacaca.
« De nouvelles accusations qui n’avaient pas été mentionnées dans la collecte d’informations
ont été souvent à l’origine de la fuite des accusés. On leur conseille de nier ces accusations,
mais quand ils les nient, ils sont emprisonnés193 ».
« Ce que je voudrais dire est que plusieurs personnes ont peur de la Gacaca. Elles ont peur
parce qu’aujourd’hui, chaque personne économiquement forte, même au cas où elle serait sage,
est accusée devant la Gacaca. En cas de vérification, on peut trouver que les personnes dont
les dossiers ont été constitués depuis le mois d’août n’ont pas été accusées lors de la collecte
d’informations. En tout cas, l’objectif des juridictions Gacaca a été détourné.194 »
De nouvelles accusations sont également parfois portées par des témoins à charge ou des victimes à
l’audience et ce, même au niveau de l’appel, à l’encontre de personnes dont les dossiers n'ont pas été
constitués lors de la phase de collecte d'informations.
Par ailleurs, il faut noter que ces accusations nouvelles peuvent résulter du mécontentement des
victimes rescapées qui parfois sont sous l’influence de personnalités extérieures (tels que les
responsables d'associations de victimes ou encore la police locale). Elles peuvent également provenir de
témoins avisés tardivement qui, apprenant que le procès est en cours, viennent porter ces accusations
nouvelles. Suivant une recommandation du Service National des Juridictions Gacaca, ces nouvelles
accusations doivent être traitées par les juges saisis du dossier lorsqu’elles relèvent de la compétence des
juridictions Gacaca195. Le fait de ne pas renvoyer (sauf au niveau de l’appel) ces accusations nouvelles
devant les juridictions Gacaca de cellules pour qu'elles puissent être instruites et jugées d'une manière
autonome procède de la volonté de mettre fin le plus rapidement possible au processus. Le danger
d'une telle situation est le risque élevé d'erreurs judiciaires qui peuvent naître d'une procédure bâclée,
dont le seul moteur est la "célérité". Or, le sentiment d’insécurité ressenti par la population s'accentue
par la multiplication des accusations nouvelles dont les origines sont souvent liées à des conflits d’ordre
privé et qui n’ont parfois rien à voir avec une quelconque participation à des faits criminels en lien avec
le contentieux du génocide.
La réalité est qu’aujourd’hui beaucoup de personnes vivent dans la crainte réelle d'être faussement
accusées et de n'avoir ni le temps ni les moyens nécessaires pour se défendre. Le risque d'une
instrumentalisation des Gacaca est réel et les autorités en charge du processus doivent prêter attention
aux nombreuses mises en garde données par les organisations de défense des droits de l'homme, aux
inquiétudes exprimées par la société civile qui s'interroge sur une possible dérive du processus.

192

V. aussi ROJG, province d’Umutara (actuelle province de l’Est)/Rukara/Gahini, 7 juin 2007.

193

Entretien PRI avec un habitant, 4 octobre 2007, n°0497.

194

Entretien PRI avec un sage, 9 novembre 2007, n° 1826.

V. Question et réponse n° 18 de "Les problèmes fréquents qui engagent beaucoup de discussions", SNJG, mars 2005,
(traduction PRI).
195

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 64 -

3. Le paradoxe d'une fin annoncée des Gacaca
La loi organique n°10/2007 du 1er mars 2007 a modifié en son article 20 l’article 93 de la loi organique
n°16/2004 du 16 juin 2004 en élargissant les conditions d’ouverture des demandes de révisions portées
par les parties au procès ou par toute autre personne dans l’intérêt de la justice.196 Ce texte a été suivi
d’une instruction n°12/07 émanant du Service National des Juridictions Gacaca197 le 15 mars 2007,
vraisemblablement motivée par l’importance du nombre de demandes en révision adressées au SNJG
et aux présidents des Assemblées Générales de secteur.
Si à l'heure actuelle, l’on ne dispose d'aucune donnée fiable, le constat d'une augmentation du nombre
de demandes de révision est réel198. Cette augmentation s’explique en grande partie par le fait que les
révélations contenues dans les aveux faits par des accusés qui ont plaidé coupable permettent à d'autres
condamnés de les faire valoir comme "éléments nouveaux" pour soutenir leurs demandes en révision.
Cette augmentation des demandes en révision s’est encore accentuée avec la publication de l’instruction
n° 15/2007 du 1er juin 2007199 qui, en substance, a posé comme règle que la personne classée dans la
2ème catégorie, reconnue coupable, dont les aveux ont été acceptés, n’effectuerait la peine
d’emprisonnement ferme à laquelle elle a pu être condamnée qu’après avoir effectué sa peine alternative
à l’emprisonnement sous forme de travail d’intérêt général (TIG) qui représente jusqu’à la moitié de la
peine prononcée200. Pour beaucoup de condamnés, cela signifie donc qu’ils ont tout intérêt à repasser
devant une juridiction Gacaca pour pouvoir, moyennant la production d’éléments nouveaux, faire
examiner leur cause une seconde fois et échapper ainsi peut-être à l'emprisonnement.
Par ailleurs, beaucoup d’accusés ont été condamnés sous l’emprise de la loi du 16 juin 2004 à des peines
d’emprisonnement ferme n’incluant pas de peines alternatives, notamment le TIG . Ceux-ci tentent
alors par le biais de la révision de leurs procès d’obtenir un nouvel examen de leur jugement en
application de la loi du 1er mars 2007 qui, en tout état de cause, prévoit une diminution et une
modération des peines pour les accusés relevant de la 2ème catégorie ayant plaidé coupable. L'espérance
de voir son cas réexaminé ou sa peine diminuée et les campagnes de sensibilisation intenses expliquant
les avantages liés à la procédure de plaidoyer de culpabilité ont eu pour conséquence prévisible
l'augmentation sensible du nombre de demandes en révision déposées devant les Assemblées Générales
de secteurs. La majorité des détenus ont été arrêtés en 1997 après leur retour d’exil. Après avoir
compris que les peines ont été allégées avec la réforme de la loi Gacaca, ils pensent que s’ils demandent
la révision de leurs procès et que cela leur est accordé, ils passeront peu de temps encore en détention
ou ils seront directement libérés compte tenu des peines moins lourdes qui leur seraient infligées et des
années qu’ils viennent de passer en détention.
Les décisions politiques concernant la fin imminente du processus Gacaca paraissent donc
contradictoires avec la réalité du contentieux telle qu’il existe encore aujourd’hui. Certes, il semble que
Article 20 de la loi organique n°10/2007 du 1er mars 2007 « …..Il s’agit d’un jugement coulé en force de chose jugée rendu par une
juridiction Gacaca et que par la suite il est constaté des preuves contredisant celles sur lesquelles le jugement de cette juridiction Gacaca s’était
fondé » .
196

« Considérant qu’un grand nombre de gens qui demandent la révision de leurs jugements ne donnent pas la raison
fondée de cette révision telle que prévue à l’article 93 de la loi Organique N°16/2004 du 19/06/2004 portant organisation,
compétence et fonctionnement des Juridictions… ».
197

Madame la Secrétaire exécutive du SNJG a reconnu cet état de fait et se dit n'être pas en mesure de communiquer dans
l'immédiat des chiffres (Réunion du 28 mars 2008, au siège du SNJG).
198

Article 1 instruction N° 15/2007 : «La personne coupable de crime du génocide ou d’autres crimes contre l’humanité placée dans la
deuxième catégorie qui a recouru a la procédure d’aveu, de plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuse et dont l’aveu est accepté, exécute sa peine
d’emprisonnement prononcée par la juridiction Gacaca en commençant par le TIG et puis l’emprisonnement enfin le sursis …. »
199

200

Article 14 de la loi organique n°10/2007 du 1er mars 2007.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 65 -

nombre de juridictions Gacaca ont déjà clôturé leurs activités ou sont sur le point de le faire, mais le
directeur des affaires juridiques du SNJG a précisé le 29 janvier 2008 lors d’une émission sur les ondes
de la radio nationale sur les juridictions Gacaca que la collecte d’informations allait être reprise, voire
être refaite sur les lieux où les massacres ont été très importants tels que les stades, les hôpitaux, les
écoles, les Eglises. Cela signifie que de nouveaux dossiers seraient constitués et transmis aux juridictions
Gacaca.
A cette situation générale qui ne présage guère une fin immédiate, il faut mentionner le fait que, le crime
de génocide étant imprescriptible, le contentieux lié à son jugement ne saurait s'arrêter si tôt (14 ans
après), tant qu'il est possible de retrouver d'éventuels accusés encore en vie. Madame la Secrétaire
exécutive du SNJG a d'ailleurs conscience d'une telle situation et répond que les nouvelles accusations
qui viendraient à surgir après la clôture officielle des Gacaca seraient examinées par les juridictions
classiques201; ce qui contraste avec la volonté de désengorger ces dernières qui a conduit à la mise en
place des Gacaca. On précisera enfin que le projet de loi Gacaca envisage un transfert généralisé des
procès actuellement en cours devant les juridictions classiques aux Gacaca, y compris les "catégorie 1"
(notamment les viols). Autrement dit, après Gacaca, il risque d'y avoir pour longtemps
encore…Gacaca.

4. Recommandations
-

Renforcer la protection des témoins pour les encourager à témoigner devant les
juridictions Gacaca

Le manque de témoignages dû à divers facteurs analysés dans le présent rapport, notamment la non
comparution des témoins convoqués ou leur réticence à témoigner, la multiplication des sièges
consécutive à la réforme de la loi Gacaca du 1er mars 2007, ne rend pas facile la mission confiée aux
Inyangamugayo, qui se plaignent d’être parfois contraints de juger sans avoir suffisamment recueilli les
éléments de preuve nécessaires à la détermination de leur intime conviction. Mais il est impératif que les
autorités en charge du processus puissent se pencher sérieusement sur cette question, peut-être en
mettant en place un mécanisme de protection des témoins, afin de les prémunir contre les représailles et
intimidations qui les dissuadent souvent d’apporter leur contribution à la recherche de la vérité. La mise
en place d’un véritable statut des témoins (à charge comme à décharge)202, notamment pour les rescapés
du génocide est essentielle, non seulement pour prévenir les actes de représailles dont ils font l’objet ces
derniers mois, mais également pour qu’ils puissent continuer à porter leurs témoignages devant les
juridictions Gacaca chargées de juger les auteurs présumés des crimes dont ils ont été victimes. Une
telle protection devra aller au-delà de la période de jugement qui est censée s’achever bientôt, afin que
le retour éventuel sur les collines des condamnés qui auront fini de purger leur peine ne constitue pas
un autre signe d’inquiétude pour ceux qui ont témoigné contre eux, pour les rescapés du génocide et
peut-être même pour les Inyangamugayo, qui ne sont pas moins inquiets de l’après Gacaca.
-

Garantir l’indépendance et l’impartialité aux juges intègres

Aussi, les Inyangamugayo ne peuvent-ils convenablement accomplir leur tâche que dans l’indépendance et
l’impartialité qui constituent des garanties fondamentales à la tenue d’un procès équitable. Ils doivent
être en mesure de résister non seulement à de nombreux actes d’intimidation ou abus d’influence dont
ils sont souvent l’objet, mais également aux diverses tentatives de corruption venant des parties au
201

Réunion avec les partenaires le 28 mars 2008, au SNJG.

202

Le mot « témoin » doit être entendu au sens large, c’est-à-dire tous ceux qui ont d’une façon ou d’une autre apporté des
informations ou collaboré à la manifestation de la vérité devant les juridictions Gacaca. Certes, depuis 2006, le
Gouvernement a créé un Bureau de protection des témoins. Il nous semble nécessaire d’étendre ses attributions et ses
compétences.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 66 -

procès. Ces dernières en effet, dont les intérêts sont divergents et contradictoires, cherchent par tous les
moyens à orienter la conscience des juges en ayant recours à diverses pratiques qui risquent, à terme, de
faire dévier les juridictions Gacaca de leur mission première qui est de rendre justice aux victimes du
génocide. Le risque d’une perversion du processus qui consiste à utiliser les Gacaca à des fins privées
est réel : il est donc impératif que des mesures soient prises afin de lutter contre les divers
marchandages et négociations auxquels se livrent souvent les différents acteurs du procès. Il est donc
impératif que Gacaca ne soit détournée de ses objectifs primordiaux que sont la recherche de la vérité,
la lutte contre l’impunité et la réconciliation nationale.
-

Eviter la précipitation dans le règlement du contentieux du génocide

Le contentieux du génocide a forcément besoin du temps. Les Inyangamugayo à qui a été confiée la
lourde mission de juger les auteurs du génocide doivent avoir le temps nécessaire, même en cette phase
ultime (?) du processus, de recevoir tous les témoignages disponibles sur les faits, de les examiner, de les
croiser afin que l'établissement de la preuve de la culpabilité ou de l'innocence des accusés se fasse dans
la sérénité et le calme.
Le crime du génocide est imprescriptible. Son contentieux n’est pas prêt de s’épuiser, malgré les
annonces officielles de la clôture imminente des activités des juridictions Gacaca. L’accélération des
procès consécutive à la volonté politique de terminer le processus Gacaca dans les mois à venir a
amplifié un certain nombre de dysfonctionnements et d’anomalies dans la gestion du contentieux du
génocide par les Inyangamugayo, notamment leur tendance à vouloir se passer de certains témoignages et
du débat contradictoire, faute de temps. Il semble également qu’elle a exacerbé le phénomène de
corruption des différents acteurs. Le contentieux du génocide n’est pas un contentieux ordinaire. Les
Inyangamugayo, juges non professionnels à qui il est demandé d’aider à solder ce difficile contentieux,
doivent avoir le temps nécessaire pour recueillir tous les témoignages disponibles, instaurer un débat
contradictoire entre les parties au procès, faire des investigations supplémentaires susceptibles de les
éclairer dans l’établissement de la culpabilité ou de l’innocence des personnes accusées.
Cela demande forcément du temps, même pour un système judiciaire classique, car, faut-il peut-être
rappeler qu’en matière judiciaire, « si la célérité est nécessaire, la précipitation est un grand mal » 203;
malgré la forte envie de connaître la vérité le plus rapidement possible, il faut du temps pour démêler
des affaires judiciaires, surtout les plus graves ou les plus complexes. Les imperfections ou anomalies du
processus Gacaca dans la production des témoignages et l’établissement de la preuve signalées dans le
présent rapport (réticence de la population à témoigner, la tendance au refus des témoignages à
décharge, la corruption des différents acteurs Gacaca, etc.) peuvent y trouver un début de solution. Ceci
est d’autant plus impératif que les demandes en révision des procès et de nouvelles accusations sont en
augmentation, malgré la fin prochaine des Gacaca. Sur ce point, l’annonce faite par Mme la Secrétaire
exécutive du SNJG selon laquelle le projet de loi Gacaca actuellement en préparation devant le
Parlement prévoit que ces dernières soient portées devant les juridictions classiques204 contraste avec la
volonté préalablement affichée de désengorger les tribunaux ordinaires d’une grande partie du
contentieux lié au génocide. Aussi, faudra-t-il mettre en place une instance juridictionnelle autonome,
chargée de statuer sur ces nouvelles accusations et demandes en révision, si l’on souhaite répondre aux
nombreuses inquiétudes et craintes exprimées par la population et signalées dans ce rapport.

203

J. PRADEL, Procédure pénale, 13e éd., Cujas 2007, n° 379.

204

Réunion avec les partenaires le 28 mars 2008, au SNJG.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

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PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 68 -

ANNEXES

N°1 : Carte d’Umuganda, de Gacaca et de contrat de performance205

SEMAINES

PREMIERE SEMAINE

DEUXIEME SEMAINE

TROISIEME SEMAINE

QUATRIEME SEMAINE

MOIS

UMUGANDA

GACACA

UMUGANDA

GACACA

UMUGANDA

GACACA

UMUGANDA

GACACA

DATE

DATE

DATE

DATE

DATE

DATE

DATE

DATE

SIGNA
TURE

SIGNA
TURE

SIGNA
TURE

SIGNA
TURE

SIGNA
TURE

SIGNA
TURE

SIGNA
TURE

SIGNA
TURE

JANVIER
FEVRIER
MARS
AVRIL
MAI
JUIN
JUILLET
AOUT
SEPTEMBRE
OCTOBRE
NOVEMBRE
DECEMBRE

Activités

1-6 mois

Oui

7-12 mois

Non

Oui

Non

Mutuelle de santé
205

Traduction libre du kinyarwanda réalisée par les soins de PRI.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 69 -

Contribution au fonds de
l’éducation + Fonds d’Assistance
aux Rescapés du Génocide
(FARG)
Foyers améliorés (Rondereza)
Toilettes
« Compostière »
Terrasses « radicales »
Espacement des naissances
Port de souliers
Collecte des eaux des pluies
Fossés anti-érosifs
Alphabétisation
Une petite plantation des légumes
Elevage dans des étables
Mariages civils

REPUBLIQUE RWANDAISE
(Sceau de la République)
DISTRICT DE ………………………………
SECTEUR DE :………………………………
CELLULE DE :………………………………
UMUDUGUDU DE :………………………...
NOMS ET PRENOMS……………………….
C.I. N° :…………………………

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 70 -

N° 2 : Carte administrative du Rwanda

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

- 71 -

N° 3 : Echantillonnage géographique

TOTAL

0
0

0
0

6
8

4
0

4
0

6
7

5
1

0
0

0
0
2
2
0
4

0
0
0
1
0
1

7
2
19
7
6
55

1
1
3
3
1
13

2
0
6
0
0
12

6
5
12
2
9
47

7
3
9
4
3
35

0
1
1
2
0
4

TOTAL

Ville de Kigali207

« Tigistes »

Umutara

Rescapés

Cyangugu
Gisenyi
Kibuye

Population

1
7
0
0
1
1
10

Accusés et
Condamnés

Byumba206

Libérés et
Acquittés

0

Juges Gacaca

Butare

Coordinateurs
Gacaca

Associations

Localités
personnes
ou
Provinces

Autorités

Qualité des

25
17
30
12
52
22
20
178

N.B. :Les dénominations des provinces sont anciennes et antérieures à la réforme des entités
administratives intervenue au 31 décembre 2005208.
- L’ancienne de province de Byumba est dans l’actuelle province du Nord.
- Les anciennes provinces de Gisenyi, Cyangugu et Kibuye sont dans l’actuelle province de l’Ouest..
- L’ancienne province d’Umutara est dans l’actuelle province de l’Est.

Références bibliographiques
1. Ouvrages généraux
-

Jeremy BENTHAM, Traités des preuves, I.
Françoise DIGNEFFE et Jacques FIERENS, Justice et Gacaca, l’expérience rwandaise et le
génocide, Presses Universitaires de Namur, 2001.
Dominique FRANCHE, Généalogie du génocide rwandais, Flibuste, 2004.
Frédéric GATERA, Le phonème de pauvreté au Rwanda : définitions, profils et remèdes ;
texte dactylographié, oct. 2006.
Jean PRADEL, Procédure pénale, 13e éd., Cujas, 2007.

2. Rapports
206

Pour ce thème, Byumba et Gisenyi n’ont été visités qu’une seule fois par les assistants, le reste du travail a été fait
par les enquêteurs.
207

Le terrain de Kigali est réservé aux assistants seulement, car il n’y a pas d’enquêteur.

208

Conformément à la loi organique n° 29/2005 du 31 décembre 2005 portant organisation des entités
administratives de la République du Rwanda.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

72

a. Penal Reform International (PRI)
-

La procédure d’aveu, pierre angulaire de la justice rwandaise, janvier 2003.
La collecte d’informations en phase nationale, juin 2006.
Le jugement des infractions contre les biens commis pendant le génocide : le contraste
entre la théorie de la réparation et la réalité socio-économique du Rwanda, juillet 2007.

b. Autres rapports cités
-

-

Avocats Sans Frontières, rapport analytique n° 2, phase de jugement, mars-septembre
2005.
Avocats Sans Frontières, rapport analytique n° 3, phase de jugement, octobre 2006-avril
2007.
Coopération Technique Belge, Report on improving the living conditions for the
Inyangamugayo, novembre 2005.
Ligue rwandaise pour la protection des droits de l’homme (LIPRODHOR),
Problématique de la preuve dans les procès de génocide : l’institution imminente des
juridictions Gacaca constituerait-elle une panacée ?, juin 2000.
LIPRODHOR, Problématique des informations et témoignages devant les juridictions
Gacaca, décembre 2006.
LIPRODHOR, Situation des droits de la personne au Rwanda, rapport 2005, décembre
2006
LIPRODHOR, Situation des droits de la personnes au Rwanda, rapport 2006,
septembre 2007.
United Nations Development Program, Turning vision 2020 in Reality. National
development report, Rwanda, 2007.

3. Lois et autres textes officiels
a. Lois organiques
-

-

-

-

Loi organique n°10/2007 du 1er mars 2007 modifiant et complétant la loi organique
n°16/2004 du 19 juin 2004 portant organisation, compétence et fonctionnement des
juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives
du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre
1990 et le 31 décembre 1994, J.O. n° 5 du 1er mars 2007.
Loi organique n° 16/2004portant organisation, compétence et fonctionnement des
juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives
du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre
1990 et le 31 décembre 1994, J.O. n° spécial du 19 juin 2004.
Loi organique n°33/2001 du 22 juin 2001 modifiant et complétant la loi organique n° 40
portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions Gacaca chargées des
poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d’autres
crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, J.O.
n° 14 du 15 juillet 2001.
Loi organique n° 40/2000 du 26 janvier 2001 portant organisation, compétence et
fonctionnement des juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement des

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

73

infractions constitutives du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité
commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, J.O. n° 6 du 15 mars 2001.
b. Instructions du Service National des Juridictions Gacaca
-

-

-

-

Instruction n° 15/2007 du 1er juin du Secrétaire exécutif du SNJG relative à l’exécution
des peines prononcées contre une personne qui a recouru à la procédure d’aveu, de
plaidoyer de culpabilité, de repentir et d’excuse et dont l’aveu est accepté par le juridiction
Gacaca.
Instruction n°14/2007 du 30 mars 2007 du Secrétaire exécutif national des juridictions
Gacaca concernant le dédommagement des biens endommagés pendant le génocide et
d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre et le 31 décembre 1994.
Instruction n° 13/2007 du 2007 du 20 mars 2003 du Secrétaire exécutif du SNJG dont
l’objectif est d’aider les juridictions Gacaca à mettre en exécution ce qui est prévu par la
loi organique n°10/2007 du 1er mars 2007 modifiant et complétant la loi organique
n°16/2004 du 19 juin 2004 portant organisation, compétence et fonctionnement des
juridictions Gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives
du crime de génocide et d’autres crimes contre l’humanité commis entre le 1er octobre
1990 et le 31 décembre 1994, J.O. n° 5 du 1er mars 2007.
Instruction n° 12/2007 du 15 mars 2007 du Secrétaire exécutif du SNJG concernant la
révision des jugements rendus par les juridictions Gacaca.
Instructions n° 11/2007 du 02 mars 2007 du Secrétaire exécutif du SNJG relative à la
mise en place des comités des juridictions et leurs collaborateurs.

PRI -Rapport Gacaca. Août 2008

74

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