Fiche du document numéro 31749

Num
31749
Date
Lundi 13 mars 2023
Amj
Taille
666296
Titre
M23 : le renseignement, arme diplomatique de Kigali et Kinshasa
Soustitre
Face aux accusations de Kinshasa autour du soutien du M23 par Kigali, les renseignements rwandais documentent depuis plusieurs mois les collusions entre l'armée congolaise et les milices rebelles des FDLR. Dans cette bataille des narratifs, chaque camp dissémine auprès des capitales occidentales ses informations classifiées. Des Grands Lacs à New York, révélations sur la guerre secrète des rapports.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Mot-clé
M23
Mot-clé
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Deux notes des National Intelligence and Security Services (NISS) rwandais sont sérieusement analysées dans les cénacles diplomatiques. Estampillés "confidentiel", ces documents datés du 7 février ont été discrètement remis par ces services de sécurité à des ambassadeurs occidentaux triés sur le volet. Particulièrement précis, ces textes déroulent le narratif de Kigali sur les événements en cours dans l'est de la RDC, qui mettent aux prises les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) avec les rebelles du M23. Depuis le début de la crise, le dispositif du renseignement rwandais oriente ses capteurs et ses analyses sur l'alliance nouée entre des hauts gradés des FARDC et une nébuleuse de groupes armés, à commencer par les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), constituée au milieu des années 1990 par des génocidaires hutus.

"FDLR CONNECTION"

Consultées par Africa Intelligence, ces notes de renseignement plongent dans les secrets d'un pacte scellé dès le début de l'année 2022. Officiellement démentie par l'armée congolaise, cette alliance se révèle patiemment documentée par les services de renseignement rwandais : ceux-ci ont mis en lumière des contacts directs entre le pouvoir politique et militaire congolais et des caciques des FDLR, dont le "major-général" Pacifique Ntawunguka, visé par des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies.

Egalement connu sous son nom de guerre Omega, le chef d'état-major des FDLR a discuté en personne avec le gouverneur militaire de la province du Nord-Kivu, Constant Ndima Kongba, selon les renseignements des NISS. Les notes des services rwandais assurent qu'il a réclamé, lors d'une conversation téléphonique datée du 19 juin 2022, le paiement de ses combattants pour continuer d'appuyer les FARDC dans le territoire de Rutshuru. Prix fixé par Omega : 300 dollars par soldat du commando de recherche et d'action en profondeur (Crap), l'unité d'élite des FDLR dirigée par le "colonel" Ruvugayimikore Ruhinda. Trois jours plus tard, faute de paiement, 45 de ces éléments issus de la compagnie menée par le "lieutenant" Noheli Nyiringabo ont refusé d'aller au front. Interrogé à ce sujet, le lieutenant-général Ndima Kongba dénonce un "vaste mensonge".

LES NISS ALERTENT TSHISEKEDI

Le commandement local de l'armée congolaise a, selon les dires d'un déserteur des FDLR mentionnés par les NISS, l'habitude de fournir des armes, des munitions, des véhicules et des uniformes. Ainsi vêtus en FARDC, des éléments des FDLR ont traversé la frontière pour opérer depuis le sol ougandais lors de l'assaut du M23 sur Bunagana en juin 2022. Une ruse également utilisée par l'ennemi, non sans une certaine passivité du pouvoir ougandais de Yoweri Museveni (AI du 22/12/22).

Certains des renseignements sur la collusion entre les FARDC et les FDLR ont été présentés le 11 juillet 2022 au chef d'Etat congolais, Félix Tshisekedi, à Kinshasa. Des émissaires du chef des NISS, le général Joseph Nzabamwita, et du brigadier général Vincent Nyakarundi, patron du renseignement militaire, s'étaient spécialement rendus dans la capitale congolaise, comme l'avait révélé Africa Intelligence (AI du 15/07/22).

Le président Tshisekedi leur a rétorqué ne pas avoir connaissance de telles alliances. Une position qui diffère de celle adoptée en avril, lors d'une réunion des chefs d'Etat de la région, pendant laquelle il avait implicitement admis des liens entre son armée et les FDLR. Le 6 juillet, le chef de l'Etat a ordonné la mutation du général-major Peter Nkuba Cirimwami dans la province de l'Ituri. Précédemment chargé des opérations dans une zone de combat avec le M23 (Sokola II), celui-ci est suspecté d'avoir orchestré la liaison avec les FDLR dès le début de l'année 2022.

"PACIFIQUE" REPREND DU SERVICE

La question des FDLR s'est retrouvée au cœur des relations entre Kigali et Kinshasa dès l'arrivée au pouvoir en 2019 de Félix Tshisekedi, qui s'était empressé d'entamer un spectaculaire rapprochement avec la présidence de Paul Kagame. Ce réchauffement diplomatique s'était traduit par l'envoi d'escadrons de troupes d'élite de la Rwanda Defence Force (RDF) sur le territoire congolais pour traquer et éliminer les responsables des FDLR.

En septembre 2019, le chef suprême des FDLR, Sylvestre Mudacumura, a été nuitamment abattu à la suite d'une opération attribuée à l'armée congolaise. Plusieurs centaines d'éléments capturés et démobilisés ont également été rapatriées au Rwanda. Face au bilan de cette coopération, Kinshasa estime avoir démontré sa bonne volonté face à ce groupe armé jugé affaibli au point de ne plus être en mesure de déstabiliser le Rwanda.

En toute discrétion, des responsables des FARDC, pour certains viscéralement anti-Kagame, ont maintenu le lien avec des cadres des FDLR. Deux ans plus tard, alors que débutait la crise avec le M23, ces réseaux ont été discrètement réactivés pour pallier les faiblesses de l'armée congolaise dans l'est de la RDC. Les NISS ont découvert que, fin janvier 2022, le commandant militaire des FDLR, Pacifique Ntawunguka, avait repris du service.

LE PACTE DE PINGA

Le chef de guerre a d'abord négocié le soutien de certaines autorités locales sur le territoire du Rutshuru, selon le récit des services rwandais confirmé par plusieurs sources diplomatiques. Puis, le 3 février, il s'est entretenu avec le gouverneur militaire Constant Ndima Kongba au camp militaire de Rumangabo, en présence du général Sylvain Ekenge, porte-parole des FARDC, et de plusieurs officiers chargés du renseignement dans la zone. Quelques jours plus tard, une cinquantaine de combattants FDLR ont été déployés à Kibumba, en étroite coordination avec un officier supérieur FARDC.

Encore embryonnaire, cette collaboration va se structurer les 8 et 9 mai à Pinga, à l'occasion d'une réunion qui a vu la participation de plusieurs représentants de groupes armés. Outre les FDLR, étaient présents des cadres de l'Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain (APCLS), du NDC-Rénové (NDCR) et de Maï-Maï Nyatura. Organisée à l'initiative du brigadier-général Peter Nkuba Cirimwami, cette rencontre a débouché sur un pacte de non-agression, doublé de la constitution d'une coalition destinée à lutter contre le M23 aux côtés des FARDC qui ont distribué de l'équipement militaire.

LES FDLR PROFITENT DE LA CRISE

D'autres rencontres entre des responsables des FARDC dans le Nord-Kivu et des dirigeants des FDLR - ainsi que de leurs forces spéciales des Crap - ont été documentées par les services de renseignement rwandais, de même que par les Nations unies et leur mission en RDC, la Monusco. Parmi leurs interlocuteurs confirmés, se trouvent le gouverneur militaire Constant Ndima, le général-major des FARDC Peter Nkuba Cirimwami, mais aussi le colonel Salomon Tokolonga, ancien responsable du renseignement de l'opération Sokola II, qui est désormais commandant du régiment 3410 déployé dans le Masisi, où les FDLR ont disposé d'un centre d'entraînement.

A la faveur de la crise, les FDLR ont su tirer profit de la faiblesse des FARDC et de l'échec du pouvoir rwandais à les éradiquer. Auparavant résiduel et fragilisé par les désertions, le groupe armé est parvenu à monnayer ses services auprès de l'armée congolaise et à se renforcer peu à peu. Selon Kigali, le groupe compterait entre 2 000 et 2 500 éléments, auxquels s'ajoutent quelques centaines de nouveaux membres recrutés ces dernières semaines. Des estimations largement supérieures à celles des Nations unies, qui évaluent leur nombre à environ 1 500 membres, dont seulement 250 seraient aptes au combat.

LA DÉROUTE FACE AU M23

Si la véritable capacité militaire de ce groupe demeure sujette à caution, les services rwandais jugent cependant la menace sérieuse pour leur sécurité nationale. Les NISS s'étaient notamment inquiétés vis-à-vis de son aptitude à mener des actions susceptibles de nuire à la bonne tenue du sommet des 54 pays du Commonwealth, en juin 2022 à Kigali. Pour prévenir une éventuelle attaque, un dispositif spécial avait été déployé le long de la frontière avec la RDC.

Jusqu'à ce jour, cette "coalition" combat le M23 aux côtés des FARDC, sans toutefois parvenir à endiguer la montée en puissance du mouvement rebelle. Kinshasa accuse Kigali d'amplifier et d'instrumentaliser la menace des FDLR, quand Kigali reproche à Kinshasa de se focaliser sur le M23.

Le mouvement rebelle a consolidé ses positions et inflige des défaites en série aux forces armées congolaises - qui évitent les combats - et à leurs supplétifs, auxquels s'ajoutent désormais des combattants roumains autrefois passés par la Légion étrangère française (AI du 06/01/23). Officiellement dévolus à l'instruction des FARDC, ces derniers ont été aperçus à leurs côtés lors d'affrontements, fin février, contre le M23 dans les alentours de Saké, une localité du territoire de Masisi à l'ouest de Goma.

KINSHASA À L'AVEUGLE

La faiblesse des FARDC se conjugue à une capacité de renseignement particulièrement réduite, tant du côté des services de l'armée (ex-Détection militaire des activités anti-patrie, Demiap) et de l'Agence nationale de renseignement (ANR) que de la Direction générale de migration (DGM). Leurs patrons, notamment Jean-Claude Bukasa, qui dirige le Conseil national de sécurité (CNS), et Jean-Hervé Mbelu Biosha, numéro 1 de l'ANR, sont régulièrement critiqués par leurs homologues dans les Grands lacs, ainsi qu'en Occident. Les services congolais pâtissent d'un manque de compétences, d'entregent dans la région, mais aussi de capacité de traitement des renseignements récoltés et de moyens technologiques. Ce qui limite leur aptitude à éclairer le pouvoir politique en informations stratégiques.

Par défaut, l'administration politique et militaire du président Tshisekedi s'appuie sur le renseignement humain et technique produit par la Monusco pour penser une offensive militaire (AI du 27/01/23). La mission des Nations unies, le plus souvent tenue à l'écart des décisions politiques et militaires stratégiques, s'est révélée pourtant indispensable : ce sont les drones onusiens qui ont permis, dès le début de la crise, de documenter la présence de troupes de la RDF aux côtés du M23. Des preuves transmises au groupe des experts de l'ONU et ensuite utilisées par la présidence congolaise pour étayer ses attaques contre le Rwanda dans les enceintes diplomatiques et médiatiques.

L'ONU AVISÉE

De son côté, la mission permanente du Rwanda aux Nations unies a remis de manière confidentielle, le 23 décembre, un "brief" au Conseil de sécurité. Consulté par Africa Intelligence, le document de dix pages recense des actes de la RDC présentés comme "hostiles" aux Tutsis congolais et plus largement à Kigali. La diplomatie rwandaise a joint au dossier des organigrammes établis par les NISS et datés du 9 décembre, qui cartographient les structures de commandement des FDLR et géolocalisent leurs cadres en RDC, ainsi que des centres d'entraînement.

Les services rwandais partagent également des informations confidentielles sur des milices dissidentes, telles que le RUD-Urunana ou encore la Force pour la protection du peuple hutu (FPPH). Pour renforcer ses arguments, Kigali n'hésite pas à dévoiler un pan de sa capacité d'observation - voire d'intervention - sur le territoire congolais. Dans cette guerre diplomatique, le renseignement constitue un instrument privilégié pour renforcer l'impression de vérités concomitantes dans l'espoir d'imposer la sienne. Les partenaires occidentaux, sous pression en vue de déclencher ou d'empêcher des prises de position, se retrouvent contraints à une quête d'un impossible équilibre.

DU VATICAN À L'ELYSÉE

Même le M23 s'y est essayé. En marge de la visite du pape François à Kinshasa fin janvier, un émissaire avait été missionné par la direction politique du mouvement à Rome pour délivrer un message sur la situation du conflit et sa version sur les causes profondes, incombant à Félix Tshisekedi. A contrario, ce dernier avait utilisé la visite papale comme une énième tribune pour pointer la responsabilité du Rwanda.

Au grand dam du pouvoir congolais, la brève visite, début mars, du président français Emmanuel Macron ne s'est pas accompagnée d'une prise de position en sa faveur. Un déplacement scruté par Paul Kagame, ses services en lien avec la DGSE et son chef de la diplomatie, Vincent Biruta, ce dernier l'ayant fait savoir à l'Elysée.

Paris, qui s'est considérablement rapproché de Kigali, préfère soutenir les initiatives de l'Union africaine (UA) et de l'East African Community (EAC). A l'administration Tshisekedi considérée comme fragile et défaillante, sont privilégiées des puissances régionales telles que l'Angola de João Lourenço, médiateur entre Kinshasa et Kigali ayant établi des contacts directs avec la direction du M23. En position de force sur le plan militaire, le mouvement rebelle au dessein politique exige, une fois encore, un "dialogue direct" avec le gouvernement congolais qui le considère comme "terroriste".

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024