Fiche du document numéro 32061

Num
32061
Date
Mercredi Mars 2023
Amj
Taille
803813
Titre
Un couple face au génocide. Marguerite & Jean Carbonare
Nom cité
Extrait de
Le genre humain, n° 62. Le Génocide des Tutsi au Rwanda (1959-2023). Devoir de recherche et droit à la vérité, Seuil, mars 2023.
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
Un couple face au génocide
Marguerite & Jean Carbonare
Chantal Morelle1

Évoquer le nom de Carbonare conduit spontanément à l’intervention télévisée du
28 janvier 1993, lorsque Jean Carbonare, alors président de l’association Survie, répond à
l’invitation de Bruno Masure sur France 2. En quatre minutes marquées par une vive
émotion, Jean Carbonare raconte ce qu’il a vu et expose le processus génocidaire au Rwanda
constaté à la suite de l’enquête menée par une équipe internationale dont il a fait partie, à la
demande de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH2), sollicitée par les
associations rwandaises de défense des droits de l’homme. La situation n’était pas pour lui
une découverte, car le problème du Rwanda occupe les Carbonare depuis la fin des
années 1980, mais il a vu de près, en janvier 1993, la réalité des massacres.
Jean Carbonare n’agit pas seul : il fait partie d’une équipe de dix experts3 ; sa femme,
Marguerite Galland, protestante comme lui, est résolument engagée elle aussi dans la
défense des Tutsi promis à la mort génocidaire par un régime extrémiste que la France
soutient sans condition 4. Ils forment un couple dont l’engagement est complémentaire
Historienne, professeure honoraire de chaire supérieure, membre de l’Equipe de recherche-ERE. Je
remercie Vincent Duclert pour sa lecture éclairée et ses conseils très précieux.
2 Rapport de la Commission internationale d’enquête sur les violations des droits de l’homme au Rwanda
depuis le 1er octobre 1990 (7 au 21 janvier 1993), dit Rapport de la FIDH, publié en mars 1993, voir
https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/archives-diplomatiques/action-scientifique-etculturelle/expositions/expositions-dossiers-en-ligne/collection-de-documents-des-fonds-diplomatiquesfrancais-portant-sur-le-rwanda
3 Jean Carbonare est délégué d’Agir ensemble pour les droits de l’homme ; Philippe Dahinden, docteur en
droit et journaliste ; René Degni-Segui, président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme ; Alison
Des Forges conseillère pour Africa Watch ; Pol Dodinval, médecin légiste ; Éric Gillet, à la tête de la
commission d’enquête pour la Fédération internationale des droits de l’homme ; Rein Odink, juriste ;
Halidou Ouedraogo, président de l’Union interafricaine des droits de l’homme ; André Paradis, directeur
général de la Ligue des droits et libertés ; William Schabas, professeur de droit.
4 Voir La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994). Rapport remis au président de la République le
26 mars 2021 :
https://www.vie-publique.fr/rapport/279186-rapport-duclert-la-france-le-rwanda-et-legenocide-des-tutsi-1990-1994 ; A Foreseeable Genocide : the Role of the French State in Relation to the Genocide
Against the Tutsi in Rwanda, rapport Muse, remis au président Kagame le 19 avril 2021 ; conférence de presse
du président Emmanuel Macron et du président Paul Kagame à Kigali, le 27 mai 2021 :
https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/05/27/conference-de-presse-du-president-emmanuelmacron-et-du-president-du-rwanda-paul-kagame
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– l’un dans la lumière, l’autre davantage dans l’ombre – mais exemplaire, et pour qui la
religion chrétienne a toujours été un moteur, résolument tourné vers autrui pour aider à
construire. Les couples qui s’engagent dans une cause commune ne sont pas rares, l’affaire
Dreyfus en a été une première occasion, à commencer par le couple Alfred et Lucie
Dreyfus5 mais aussi celui que forment le directeur de l’Institut Pasteur Émile Duclaux et la
poétesse anglaise Mary Robinson, veuve Darmesteter, tous deux très impliqués dans
l’engagement dreyfusard 6 . La Première Guerre mondiale montre les exemples de
l’ethnologue et combattant Robert Hertz et de sa femme Alice 7 . Les correspondances
occupent une grande place pour situer et comprendre l’action commune de deux personnes
unies par des liens très forts, dépassant ceux du mariage. Mais les combats communs
conduisent à une action commune au présent, et il arrive que ces couples ne soient pas
amenés à correspondre, ou que leur correspondance disparaisse, ou encore que ces relations
épistolaires ne puissent se réaliser en raison des dangers qu’elles représenteraient face à un
ennemi implacable, comme cela a été le cas au temps de la résistance à l’occupation nazie.
On pense par exemple aux couples Lucie et Raymond Aubrac, Mélinée et Missak (Michel)
Manouchian8, Yvonne et Charles de Gaulle ou, moins connu, le couple Berty Albrecht et
Henri Frenay, non moins saisissant9.
La recherche a commencé de se saisir du sujet du « couple » dans l’histoire comme la
thèse de Clémentine Vidal-Naquet10, avec aussi de précieuses mises au point comme celle
de Mélanie Fabre en 2019 pour le dossier de la revue Les Études sociales11. Les chercheuses
et chercheurs ont pu venir au sujet, comme l’a formulé cette jeune historienne, à partir des
travaux d’histoire des femmes et d’histoire des intellectuelles – dont Nicole Racine pointait
déjà l’intérêt en 199812.
L’histoire des génocides, de la lutte contre les génocides fait apparaître aussi le rôle joué
par des couples dans différents engagements. Elle le montre même de manière intense,
signe de l’importance du sujet pour l’histoire de l’humanité. Nous pouvons évoquer le
couple protestant formé par Hélène Bonnard et Antony Krafft-Bonnard pour le sauvetage
des enfants arméniens victimes du premier génocide du XXe siècle13. Ou la jeune étudiante
Voir Alfred et Lucie Dreyfus, « Écris-moi souvent, écris-moi longuement… ». Correspondance de l’île du Diable,
Vincent Duclert (éd.), préface de Michelle Perrot, Paris, Mille et Une Nuits, 2005 ; Alfred et Lucie Dreyfus,
Écrire, c’est résister, Marie-Neige Coche et Vincent Duclert (éd.), Paris, Gallimard, « Folio histoire », 2019.
6 Voir Vincent Duclert, « Mary Robinson Darmesteter et Émile Duclaux. Le sens d’une rencontre pendant
l’affaire Dreyfus », Jean Jaurès cahiers trimestriels, nº 145, juillet-septembre 1997, p. 73-92, et id., « “Combien de
mariages a fait éclore l’affaire Dreyfus !” Mary Robinson Darmesteter et Émile Duclaux, de l’engagement
partagé à la vie commune », Les Études sociales, nº 170, dossier « Couples d’intellectuels, de l’intime à la
politique (1880-1940) » dirigé par Mélanie Fabre, 2019/2, p. 23-51.
7 Voir Un ethnologue dans les tranchées (août 1914-avril 1915). Lettres de Robert Hertz à sa femme Alice, Paris, CNRS
Éditions, 2002, présentation par Alexander Riley et Philippe Besnard, préface de Jean-Jacques Becker et
Christophe Prochasson ; et Nicolas Mariot, Histoire d’un sacrifice. Robert, Alice et la guerre (1914-1917), Paris,
Seuil, 2017.
8 Voir Laurent Douzou, Lucie Aubrac, Paris, Perrin, 2009 ; et Mélinée Manouchian, Manouchian, Québec,
Les Éditeurs réunis, 1974.
9 Dominique Missika, Berty Albrecht, Paris, Perrin, 2005.
10 Clémentine Vidal-Naquet, Couples dans la Grande Guerre. Le tragique et l’ordinaire du lien conjugal, Paris, Les
Belles Lettres, 2014.
11 Les Études sociales, nº 170, 2019/2.
12 Nicole Racine, « Figures d’intellectuelles », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, nº 16, 1998. Le
militantisme des couples est un champ de recherche continu : en préparation, sous la direction de Mélanie
Fabre et d’Emmanuel Jousse, « Couples en socialisme », Cahiers Jaurès, nº 247-248, janvier-juin 2023.
13 Voir Sauver les enfants, sauver l’Arménie. La contribution du pasteur Antony Krafft-Bonnard (1919-1945), Pascal
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Hélène Berr et son fiancé Jean Morawiecki face à l’extermination des Juifs d’Europe14. Cette
expérience pousse certains rescapés à témoigner et à éduquer les jeunes générations. C’est
le cas de Raphaël Esrail, résistant, arrêté à Lyon et déporté en Pologne. Avec son épouse,
Liliane Badour, qu’il a rencontrée au camp d’Auschwitz-Birkenau – où tous deux
parviennent à survivre –, il décide de témoigner auprès des jeunes générations pour
s’opposer au négationnisme grandissant15. Précédant leur engagement commun se révèle le
couple Beate et Serge Klarsfeld en lutte contre l’oubli et le négationnisme de la Shoah, pour
le jugement des coupables et la reconnaissance de la complicité de l’État français16.
Au moment où combattent Beate et Serge Klarsfeld, le couple de Fidèle et Spéciosa
Kanyabugoyi lutte à Kigali au sein de l’association des droits de l’homme Kanyarwanda,
présidée par Sylvestre Nsengiyumva, contre le processus de destruction des Tutsi du
Rwanda qui a commencé dès 195917, de même que Pierre-Claver Karenzi et sa femme
Alphonsine Mukamusoni 18 . Quant au couple rwando-canadien formé par Landoald
Ndasingwa19 et Hélène Pinski, cible de la haine extrémiste – lui tutsi, elle étrangère –, il est
exécuté aux premières heures du 7 avril 1994 avec ses deux enfants, Patrick et Malaïka. Face
au dernier génocide du XXe siècle se dresse en France le couple formé par Dafroza
Mukarumongi et Alain Gauthier, auquel la journaliste Maria Malagardis a consacré un livre
admiratif en 2012 20 . C’est d’ailleurs en écoutant l’appel à l’action contre le processus
génocidaire en cours au Rwanda – cet appel très informé autant que bouleversant de Jean
Carbonare sur France 2, le 28 janvier 1993 – qu’Alain Gauthier décide d’écrire au président
Mitterrand pour s’inquiéter de la dérive criminelle du régime d’Habyarimana soutenu par la
France21 et la dénoncer.
Dans la dénonciation du génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda et de
l’implication de la France, Dafroza et Alain Gauthier ne sont pas une exception. Jean et
Marguerite Carbonare forment ce couple très exceptionnel auquel cet article est consacré,
Roman et Sisvan Nigolian (dir.), Lausanne, Antipodes, 2020.
14 Hélène Berr, Journal, Paris, Tallandier, 2007. À la demande d’Hélène, son journal tenu entre 1942 et 1944
a été remis à son fiancé, Jean Morawiecki. Voir Se souvenir d’Hélène Berr. Une célébration collective, Mariette Job
et Karine Baranès-Bénichou (dir.), Paris, Fayard, 2021. Voir également Mariette Job, Dans les pas d’Hélène
Berr (1944-2008), Latresne, Le Bord de l’eau, « Nouveaux classiques », 2023.
15 Raphaël Esrail, L’Espérance d’un baiser. Le témoignage de l’un des derniers survivants d’Auschwitz (avec Isabelle
Ernot), Paris, Robert Laffont, 2017. Il devient, en 2008, président de l’Association des déportés d’Auschwitz
(UDA) et organise de nombreux voyages pédagogiques au camp d’Auschwitz-Birkenau.
16 Voir Beate et Serge Klarsfeld, Mémoires, Paris, Fayard/Flammarion, 2015. Au sein de l’association Fils et
filles de déportés juifs de France (FFDJF) est édité un Bulletin de liaison des fils et filles des déportés juifs de France
depuis juin 1979.
17 Cahiers de mémoire, Kigali, 2019, Florence Prudhomme (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 21-48.
Fidèle militait au sein de Kanyarwanda, association pour la promotion de l’union par la justice sociale, dont
il est fondateur avec Ignace Ruhatana, ce qui lui valut d’être emprisonné en 1992. Voir aussi Vincent Duclert,
« Archives des oppositions politiques, 1991-1993. Un temps disparu de démocratisation au Rwanda »,
Le Genre humain (publié en ligne : https://www.seuil.com/collection/le-genre-humain-550).
18 Pierre-Claver Karenzi et sa femme Alphonsine Mukamusoni, de Butare. Voir, de Vincent Duclert, l’étude :
« Archives des oppositions politiques, 1991-1993 », publiée sur ce même site du Genre humain en complément
du numéro 62 de la revue.
19 Landoald Ndasingwa a été président du Parti libéral et ministre du Travail et des Affaires sociales du
gouvernement de transition à base élargie (GTBE). Un hommage lui a été rendu par sa sœur, Anne-Marie
Kantengwa, et par Vincent Duclert au colloque international de septembre 2022 qui s’est tenu au Rwanda,
Chez Lando, son restaurant, repris par sa sœur, le 17 septembre 2022.
20 Maria Malagardis, Sur la piste des tueurs rwandais, Paris, Flammarion, 2012.
21 Ibid., p. 66.

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dans le sillage de l’historiographie mentionnée et sur la base d’archives dont le fonds est en
grande partie constitué par Jean Carbonare lui-même puis par son épouse, et déposé à
La Contemporaine 22 . Il montre l’engagement du couple dans sa diversité et sa
détermination. Les récits, notes, témoignages, correspondances, et la littérature grise
permettent d’en mesurer l’importance dès 1989. Ces archives sont complétées par le
témoignage que Marguerite Carbonare a accordé à l’auteure, par un témoignage filmé à cette
occasion23 et par d’autres documents personnels qu’elle lui a permis de consulter24. Ces
archives permettent de tracer le double engagement pour alerter, défendre, aider les Tutsi
avant, pendant et après le génocide. À l’occasion de cette rencontre, Marguerite Carbonare
évoque sa famille et son éducation qui, aussi loin qu’elle remonte, la tourne au service des
autres.
L’expérience algérienne et sénégalaise : un engagement humanitaire et religieux
Dès son jeune âge, Marguerite Galland veut être pasteure, comme son père et son grandpère, et partir en mission, comme ses parents l’ont fait au Cameroun après leur mariage.
Elle-même, petite fille, y séjourne entre 1945 et 1947. En 1954, elle vient d’entreprendre
des études de lettres classiques lorsque éclate la guerre d’Algérie. Elle a dix-huit ans et milite
très vite en faveur de la paix, autant avec les Jeunesses communistes qu’avec la Jeunesse
étudiante chrétienne (JEC) et d’autres mouvements 25 . C’est dans ce contexte qu’elle
rencontre Jean Carbonare, actif militant de la décolonisation. Une amitié complice se noue
entre la jeune intellectuelle et le commerçant de dix ans son aîné, autour de leur engagement.
Bien qu’elle n’imagine pas de vivre avec un autre homme qu’un pasteur, elle épouse Jean
Carbonare à vingt et un ans. « Je n’ai pas choisi mon mari », aime-t-elle répéter, tant ils se
sont senti « appelés » vers un destin commun.

Fonds Carbonare, La Contemporaine, ARCH 156/4, Rwanda et génocide des Tutsi (1994). Ce fonds est
travaillé aussi par l’historien François Robinet pour ses travaux à venir, comme il l’a évoqué dans une
intervention au colloque sur le génocide perpétré contre les Tutsi, qui s’est tenu au Rwanda en septembre
2022 à l’initiative de l’université du Rwanda et de l’équipe issue de la Commission de recherche sur les
archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi.
23 « Je me souviens », dont des extraits ont été projetés lors d’une soirée au Centre culturel francophone de
Kigali, le 17 septembre 2022, publié dans le volume n°62 du Genre humain, Le génocide des Tutsi au Rwanda.
Devoir de recherche et droit à la vérité, Paris, Seuil, 2023, p. 228-229.
24 Moins connue, souvent dans l’ombre de son époux, Marguerite Carbonare est davantage présentée dans
le cadre de cet article. Nous utilisons les archives qu’elle conserve chez elle à Dieulefit, dont certaines ont
servi à l’écriture de son livre. Il s’agit notamment de lettres qu’elle a écrites à ses proches lors de leurs séjours
au Rwanda. Très personnelles, elles révèlent une réalité sans fard, des sentiments non feints. Que Marguerite
Carbonare soit vivement remerciée pour son accueil chaleureux et confiant au Petit Vallon à Dieulefit, le
22 juin 2022.
25 Comme le montre Patrick Cabanel, les enfants de pasteur sont souvent plus ouverts, engagés, ayant été
éduqués à l’altruisme. Il note aussi que les filles de pasteur font aussi davantage d’études. Voir « Catherine
Krafft : l’altruisme en héritage ? », Sauver les enfants, sauver l’Arménie. La contribution du pasteur Antony KrafftBonnard (1919-1945), op. cit., p. 167-183. S’il parle des Justes, l’éducation et le profil de Marguerite Galland
se retrouvent parfaitement dans ce schéma. Il est pertinent d’y ajouter le dreyfusisme des grands-parents.
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Marguerite et Jean Carbonare en 2008 (DR)
« S’aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction »
(Antoine de Saint-Exupéry)

C’est de cette même volonté d’apporter très concrètement de l’aide aux populations qui
en ont besoin que le couple naît, vivant dans la ferveur de sa foi, et sans regret. Comme le
note Mélanie Fabre pour de nombreux couples d’intellectuels 26 , le couple formé par
Marguerite Galland et Jean Carbonare est né d’une histoire d’amour tout autant que du
militantisme, et au mépris des normes sociales. Il pourrait ressembler à quelques autres qui
se sont forgés autour de principes communs et d’actions militantes en faveur du respect
des peuples, des individus et de la vérité, comme nous l’avons vu, dès le tournant du
XXe siècle. Au milieu des années 1950, la guerre d’Algérie est aussi l’occasion d’engagements
communs, comme plus tard le génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda27. Le couple
Carbonare a tout fait pour alerter du processus génocidaire, puis pour le dénoncer ; Alain
et Dafroza Gauthier traquent les acteurs présumés comme Serge et Beate Klarsfeld l’ont
fait pour les responsables de la Shoah28.
Certains couples se soutiennent mutuellement dans leurs actions personnelles29, d’autres
se rencontrent parce qu’ils militent pour une même cause, d’autres encore sont diversement
Mélanie Fabre, « Explorer des couples d’intellectuels : le dialogue de l’intime et du politique », Les Études
sociales, nº 170, p. 15.
27 À propos du couple Dafroza et Alain Gauthier, voir Maria Malagardis, Sur la piste des tueurs rwandais, op. cit.
28 Serge Klarsfeld fonde l’association Fils et filles de déportés en 1979 pour défendre les droits des
descendants des déportés et rechercher les responsables allemands et français de la Shoah.
29 Susan K. Foley et Charles Sowerwine montrent bien dans la double biographie de Léon Gambetta et
Léonie Léon l’intensité des échanges chez ces deux « passionnés de l’idée républicaine » (Mélanie Fabre),
exaltant le sentiment amoureux et la vie politique, in A Political Romance : Léon Gambetta, Léonie Léon, and the
Making of French Republic (1872-1882), Houdmills, Palgrave Mac-millan, 2012.
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engagés : le plus souvent l’initiative vient du mari, soutenu moralement par son épouse qui
reste en retrait tout en partageant les valeurs du combat30. Ainsi, Marguerite Carbonare
accompagne son mari dans ses projets et leur réalisation, en Algérie et au Sénégal
principalement, mais aussi au Rwanda, même si à ce moment le compagnonnage n’est pas
vécu avec la même complicité : l’épouse défend son individualité et sa personnalité, fût-ce
au prix d’un moment douloureux, d’une « fracture31 » même.
« Vous êtes de ceux qui, inlassablement, ont tissé des liens entre les deux communautés
et entre dirigeants français et dirigeants FLN, et qui n’ont jamais hésité à retendre un autre
fil quand le premier était cassé et, de ceci, nous pouvons vous être reconnaissants32 », écrit
Robert Buron, ministre des Travaux publics, à Jean Carbonare, au lendemain de la signature
des accords d’Évian qu’il a négociés au sein de la délégation du gouvernement. À la
suggestion du ministre, le conseiller technique à l’Élysée pour les affaires algériennes,
Bernard Tricot, a demandé à Jean Carbonare de se rendre à Tunis pour sonder les membres
de l’Armée de libération nationale (ALN), en 196033. Il y a une amorce, comme le suggère
Robert Buron : « J’ai bien reçu votre lettre du 23 juin qui confirmait l’état d’esprit que nous
connaissons à Tunis par d’autres sources. […] Maintenant les procédures de contact ont
commencé officiellement et régulièrement. Espérons qu’elles aboutiront à la paix dans les
meilleures conditions possibles pour notre pays34. »
En 1961, le secrétaire général de la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des
évacués35) propose à Jean Carbonare de se rendre en Algérie, avec la mission de distribuer
des vivres aux populations des camps de regroupement dans les Aurès. Le couple accepte
comme une évidence, avec enthousiasme, malgré la guerre et l’insécurité, mais avec l’accord
du Croissant-Rouge. Son engagement pour la cause de l’indépendance passe par ce chemin.
Celui de Marguerite Carbonare est multiple et discret. Elle enseigne au lycée de jeunes filles
de Constantine et, par exemple, avec l’aide de la directrice du lycée, elle organise des cours
d’alphabétisation en français pour les mères d’élèves. Son traitement constitue l’essentiel
des ressources de la famille, les revenus de son mari étant plus limités et aléatoires. Ce
partage va dans le sens de l’engagement commun constitutif du couple.
Les deux années qui séparent l’arrivée des Carbonare et l’indépendance de l’Algérie sont
difficiles, le danger est permanent et les menaces réelles. Le conseil presbytéral de
Constantine et son pasteur, soutenu par une population favorable à l’Algérie française, le
convoquent pour le « juger » à l’automne 196136. Le couple résiste et, à l’indépendance,
envisage de rester sur place pour participer à la construction de l’État algérien quand
30 C’est le cas, par exemple, de Speciosa Mukayiranga et de son époux, Fidèle Kanyabugoyi. Speciosa a été
victime de multiples violences et blessures perpétrées par les Hutu, mais elle a toujours défendu son mari.
Voir Cahiers de mémoire, op. cit., p. 33-34 par exemple.
31 C’est ce qui l’a conduite à la rédaction de son livre, Fracture et souffle de vie (Paris, L’Harmattan, 2012), décidé
en 1995 et qu’elle termine à l’automne 2010.
32 Lettre de Robert Buron à Jean Carbonare, 11 avril 1962. Il lui demande de continuer à l’informer sur l’état
d’esprit à Constantine : « Je suis très averti de la situation d’Alger et d’Oran d’une part, aisément averti de
ce qui se passe dans le bled mais mal du climat des grandes villes », ajoute-t-il. Voir Jean Carbonare, Ensemble,
se remettre debout, Lyon, Éditions Olivétan, 2010.
33 D’après les souvenirs de sa femme, Jean Carbonare a été sollicité par Guy Mollet puis par de Gaulle. Voir
Marguerite Carbonare, Fracture et souffle de vie, op. cit., p. 43.
34 Lettre de Robert Buron à Jean Carbonare, 27 juin 1960, in Jean Carbonare, Ensemble, se remettre debout,
op. cit. Il est question de la rencontre de Melun (25-29 juin 1960) qui est un échec.
35 Créée par des protestants pour aider, sur le plan matériel et juridique, les étrangers réfugiés au début de la
Seconde Guerre mondiale, l’association poursuit et étend ses secours dans les décennies suivantes.
36 Témoignage de Marguerite Carbonare à l’auteure, 22 juin 2022.

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beaucoup se préparent à partir. Jean Carbonare propose d’organiser des chantiers
populaires de reboisement (CPR) dans le Constantinois. Il bénéficie de fonds récoltés par
la Cimade et le Comité chrétien de service en Algérie (CCSA) créé par le Conseil
œcuménique des Églises et utilise du matériel laissé par l’armée française. Les employés
sont payés en vivres par le Programme alimentaire mondial (PAM), au titre du programme
travail contre nourriture ; cent millions d’arbres sont plantés, un lac de 5 hectares est recréé
dans les plaines de Boulhilet, permettant le développement de l’agriculture.
L’expérience algérienne est si positive que le Sénégalais Abdoulaye Wade, que les
Carbonare ont connu quand il était président de la Fédération des étudiants d’Afrique noire
de France, les contacte. Devenu doyen de la faculté de droit de Dakar et fondateur du récent
Parti démocratique sénégalais (PDS), Wade souhaite que Jean Carbonare organise au
Sénégal des coopératives, et, en 1975, la famille s’installe à Dakar et y vit jusqu’en 1987. Il
n’y a pas de rupture entre ces deux expériences, algérienne et sénégalaise. C’est la découverte
de l’existence d’un petit pays de la région des Grands Lacs, le Rwanda, qui transforme leur
engagement. En effet au Sénégal, les Carbonare se lient d’amitié avec Ézéchias Rwabuhihi
et sa femme Joséphine, Tutsi exilés à la suite des violences ethniques du régime rwandais,
un couple actif dans la dénonciation du génocide en train de se faire, qui agit dans le cadre
de la communauté des réfugiés rwandais au Sénégal37. Un nouvel engagement s’accomplit
et même se prolonge par-delà la mort de Jean Carbonare, puisque sa femme poursuit et
tient à faire connaître non seulement l’œuvre de son mari, mais aussi celle des Rwandais
combattant le génocide, survivant à l’après.
Le Rwanda : un drame humanitaire et un engagement personnel
À leur retour de Dakar en 1987, les Carbonare ne peuvent laisser de côté le drame des
Tutsi, ni abandonner une cause à faire connaître et à défendre ; ils mobilisent le maximum
d’énergies – personnes et institutions politiques et religieuses, nationales et internationales.
Ils deviennent des « lanceurs d’alerte38 » à un moment où la question est méconnue. Ils se
font les relais de la communauté des réfugiés rwandais du Sénégal. Jean est sollicité pour
présider en France l’association Survie, il est actif au sein du Forum de Lisbonne créé en
1990 pour la promotion du dialogue Nord-Sud, espérant atteindre ainsi le Conseil de
l’Europe. Sa participation à l’enquête internationale de la FIDH en janvier 1993 amplifie
son engagement et ses alertes contre le processus génocidaire qu’il constate sur place. S’il
est le plus visible, toujours en mouvement, grand épistolier, conférencier infatigable,
multipliant les contacts et les informations, s’il est un « homme public », son épouse n’est
pas en reste. Moins connue car elle se tient davantage hors champ, elle n’est pas moins
engagée que son mari39. Il s’agit absolument d’un combat du couple en faveur des Tutsi du
Rwanda.

Marguerite Carbonare, Fracture et souffle de vie, op. cit., p. 92, et Fonds Carbonare, La Contemporaine, note
dactylographiée « Être à côté de Jean », sans date.
38 L’expression devient légale par la loi 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite loi Sapin 2.
39 Il est en effet fréquent que le mari se distingue mieux que la femme, même si l’épouse a un rôle
déterminant et non d’appoint. Ce fut le cas de Jules et Marie-Louise Puech, comme le montrent Rémy Cazals
(voir « L’intellectuel protestant était un couple, Jules et Marie-Louise Puech », Bulletin de la Société d’histoire du
protestantisme français, vol. 149, juillet-août-septembre 2003, p. 591-610) ainsi que Françoise Thébaud (voir
Une traversée du siècle. Marguerite Thibert, femme engagée et fonctionnaire internationale, Paris, Belin/Humensis, 2017).
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Marguerite Carbonare, éveilleuse informée
À partir de 1989, de Dieulefit, dans la Drôme, où le couple s’est installé, Marguerite
Carbonare est un relais, elle utilise ses liens avec les responsables d’associations et de
journaux de l’Église réformée40, et avec la tradition associative de Dieulefit. Dans le cadre
d’une association de la petite cité drômoise pour le développement de la culture et des arts,
« Échanges et rencontres », elle participe inlassablement à la section « Le tiers-monde et
nous » par laquelle elle transmet des articles, des messages de la communauté des réfugiés
rwandais ; elle suggère des pétitions, contacte les médias pour faire connaître et défendre
une « cause si méconnue, si injuste41 ».
Nous réprouvons votre politique de discrimination ethnique et
régionale et tout particulièrement votre refus au retour de plus d’un
million de réfugiés rwandais dans leur patrie.
Le sommet de Dakar se tient au moment où le monde entier
commémore la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
En vous écrivant, nous voulons informer et prendre à témoin toute la
famille francophone réunie à Dakar de la façon dont vous bafouez les
droits les plus élémentaires de la personne humaine au Rwanda.
En effet, Monsieur le Président, dans un pays où la nature et l’histoire
avaient forgé une unité linguistique, religieuse et culturelle entre les
trois ethnies : Hutu, Tutsi et Twa, vous avez délibérément choisi la
politique d’équilibrisme ethnique et régionale qui n’est pas sans
rappeler celle de l’apartheid en vigueur en Afrique du Sud. Le Rwanda
et l’Afrique du Sud sont les seuls pays d’Afrique où est mentionnée sur
la carte d’identité l’ethnie de chaque citoyen42.

40 En juillet 1989, Marguerite Carbonare écrit à un mensuel régional de l’Église réformée de France, Le Réveil,
pour faire publier un article sur le sujet. Voir Fracture et souffle de vie, op. cit., p. 160-161.
41 Archives de Marguerite Carbonare conservées à Dieulefit, fonds privé (désormais : AMC), « Échanges et
rencontres », lettre de Marguerite Carbonare, 30 juin 1989.
42 Fonds Carbonare, La Contemporaine, ARCH 156/4, dossier 2, « Lettre ouverte à Monsieur le Président
de la République rwandaise », 1989.

8

Marguerite Carbonare à Dieulefit en 2022 (© Ch. Morelle)

Marguerite Carbonare s’appuie sur cette lettre ouverte que la communauté des réfugiés
rwandais au Sénégal a écrite au président Habyarimana à l’occasion du sommet de la
francophonie qui s’est tenu à Dakar du 24 au 26 mai 1989, pour rappeler « le courage de
cette poignée d’hommes qui, sans aucun appui international, se sont lancés dans ce combat
pour recouvrer, avec plus d’un million de leurs compatriotes, leur liberté et leur dignité
d’hommes43 ». Elle suggère de contacter le producteur de France Culture Antoine Spire et
43

AMC, « Échanges et rencontres », lettres de Marguerite Carbonare, 30 juin 1989 et 10 juillet 1989.

9

un journaliste suisse à rencontrer très vite l’un des signataires et membres de la communauté
des réfugiés, leur ami le docteur Ézéchias Rwabuhihi :
Il est important de faire connaître la situation douloureuse du million
de réfugiés tutsi, dans l’impossibilité de rentrer dans leur pays
uniquement parce qu’ils appartiennent à l’ethnie qui n’est pas au
pouvoir. Ils représentent à eux seuls près du tiers des réfugiés africains
et personne n’en parle. Nous souhaitons que ce silence soit enfin
rompu44.

Marguerite Carbonare suggère à des journaux de publier la lettre ouverte de la
communauté des réfugiés rwandais, signale les quotas scolaires et les dangers de « génocide
culturel », la discrimination à l’embauche et l’absence de représentation des Tutsi dans les
institutions, les cartes d’identité ethniques, le régionalisme et l’impossibilité d’obtenir une
carte d’identité rwandaise pour les réfugiés45. Ce document de mai 1989 donne un éclairage
net et il sert de viatique pour le combat du couple.
Aussitôt après l’attaque du FPR le 1er octobre 1990, par le biais de l’association Échanges
et rencontres, Marguerite Carbonare écrit au président Mitterrand pour lui demander de
mettre fin au soutien au régime d’Habyarimana 46 . Très documentée, elle démonte les
arguments trop souvent avancés et admis : contrairement à ce qui est systématiquement dit,
il ne s’agit pas d’une « guerre tribale » et elle rapporte, au conditionnel certes, que le colonel
Kanyarengwe 47 – hutu, en exil en Tanzanie depuis décembre 1980 – soutiendrait les
troupes du FPR de même que de nombreux Hutu (« un tiers des effectifs en rébellion »).
Elle demande, sur un ton incisif, que les effectifs militaires envoyés par la France au titre
de l’opération Noroît pour évacuer les ressortissants français ne soient pas renforcés. La
dénonciation de l’action des armées française, belge et zaïroise montre que ni elle ni son
association ne sont dupes : il ne s’agit pas d’une action humanitaire classique de la part de
pays dont les ressortissants sont en danger, mais de soulager les Forces armées
rwandaises (FAR) par le contrôle des points stratégiques, leur laissant alors « le temps de se
consacrer à des opérations de ratissage et de neutraliser des opposants de toute origine ».
La responsabilité de la France va au-delà, puisqu’elle soutient un régime fermement
dénoncé :
Nous, Français, n’avons pas à pérenniser par la présence de notre armée
des pouvoirs injustes, comme nous l’avons fait dans un passé encore
récent. Une partie du peuple rwandais, en dehors de toute
discrimination raciale, cherche à instaurer un système politique plus
juste pour tous. Nous intégrerons-nous dans ce pays en allant à contrecourant des droits de l’homme, ou bien nous servirons-nous du « droit
et du devoir d’ingérence » dont parle M. Tévoédjrè48, pour redonner à
Fonds Carbonare, La Contemporaine, ARCH 156/4, dossier 2, lettre de Marguerite Carbonare à Frank
Musy de la Radio-Télévision Suisse romande, 10 août 1989.
45 AMC, « Échanges et rencontres », lettre de Marguerite Carbonare, 30 juin 1989.
46 Ibid., lettre de Marguerite Carbonare à François Mitterrand, 10 octobre 1990. Cette lettre ne se trouve pas
dans les archives du fonds déclassifié de l’Élysée.
47 Alexis Kanyarengwe devient le président du FPR à la suite de Fred Rwigyema, mort dès le 2 octobre 1990.
48 Albert Tévoédjrè, béninois, fonctionnaire international, a participé à la fondation de l’Association
44

10

chaque citoyen rwandais sa dignité et son identité ?
Nous comptons fermement sur votre action pour éviter que la France,
par la présence de son armée, ne participe au maintien au pouvoir du
général-major Juvénal Habyarimana, ce que beaucoup d’Africains
craignent et nous reprocheraient immédiatement49.

Cette lettre laissée sans réponse n’est évidemment pas unique50 ; comme d’autres, elle
entre en contradiction avec les télégrammes de l’ambassadeur Martres qui met en avant le
fait que les populations souhaitent la présence militaire française parce que leur seule
présence peut éviter un « génocide » – il utilise le mot. Et l’ambassadeur dénonce la
manipulation des médias occidentaux par la diaspora tutsi 51 , décrédibilisant ainsi les
dénonciations précises. La lettre de Marguerite Carbonare atteste d’informations précoces,
critiques et dénonciatrices. La communauté des réfugiés rwandais au Sénégal salue son
soutien : « Vous nous avez montré que vous étiez avec nous dans notre lutte52 » et regrette
l’attitude de la France :
[Les troupes françaises] restent sur les mêmes positions. Le Front
patriotique rwandais ayant déjà prouvé qu’il ne s’en prend pas aux civils
rwandais et étrangers, nous ne voyons plus la moindre justification de
la présence militaire sinon dans le dessein de protéger le régime de
Kigali53.

Aussi, ces réfugiés demandent à Marguerite Carbonare et à son association de maintenir
la pression sur le gouvernement, et joignent à la lettre des coupures de presse rapportant
l’opinion négative des Africains sur l’interventionnisme de François Mitterrand, mettant fin
aux espoirs allumés le 10 mai 1981 54 . Ainsi, lors d’un passage d’Ézéchias Rwabuhihi à
Dieulefit, une conférence est organisée par Jean Carbonare, président du Comité français
de défense des droits de l’homme au Rwanda. L’affiche d’annonce55 est à la fois classique
et éloquente avec le dessin très simple d’une colombe et une carte du Rwanda, et le titre de
la conférence : « Le Rwanda de l’espoir ». L’optimisme est-il vraiment de mise en
août 1991 ?

mondiale de prospective sociale (1976) et créé le Centre panafricain de prospective sociale (1987), en faveur
de programmes du développement socio-économique en Afrique.
49 AMC, « Échanges et rencontres », Marguerite Carbonare à François Mitterrand, 10 octobre 1990, déjà
citée.
50 Une lettre ouverte adressée à Mitterrand, Mobutu et Martens, du 10 octobre 1990 également, est
conservée dans les archives de Dominique Pin, AN/PR-PIN, AG/5(4)/DP/34.
51 La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994). Rapport remis au président de la République, op. cit., p. 94,
TD Kigali, 298, 24 octobre 1990, ADIPLO, 20200018AC/3.
52 AMC, communauté des réfugiés rwandais de Dakar à Marguerite Carbonare, 30 octobre 1990, en
référence à une lettre du 12 octobre 1989.
53 Ibid.
54 Les coupures de presse sont absentes du dossier.
55 AMC, affiche de la conférence organisée par Échanges et Rencontres, 12 août 1991. La Contemporaine,
ARCH 156/4, dossier 4.

11

Jean Carbonare et l’enquête internationale de janvier 1993
Le rôle que Marguerite s’est donné est de lutter, d’alerter, d’écouter. Elle veille aussi sur
son mari comme il veille sur les Tutsi. Elle l’accompagne, le soutient lorsqu’il est au bord
de l’effondrement, partage la douleur qu’il vit au souvenir des Tutsi traqués qu’il a
découverts lors de l’enquête internationale de janvier 1993. Jean Carbonare n’a aucun lien
avec la FIDH quand on lui demande de remplacer un des enquêteurs ; accepter va de soi.
Son rôle d’éveilleur va prendre un tour plus important. La médiatisation de son témoignage
est décisive, mais elle dérange. Plusieurs récits présents dans les archives témoignent de la
violence de ce qu’ont découvert Jean Carbonare et l’ensemble des enquêteurs au cours de
leur séjour au Rwanda du 7 au 21 janvier 199356.
Le 7 janvier 1993, j’arrive à Kigali, membre d’une commission d’enquête
internationale de la FIDH, sur les violations des droits de l’homme au
Rwanda. Je croyais, avec toute ma naïveté, que nous allions « défendre
la veuve et l’orphelin » et prendre fait et cause pour « le faible et
l’opprimé ».
Peu à peu je découvre que mon pays « fait la guerre », il est engagé avec
les meilleurs de ses soldats.
[…] Sur tous les barrages, les soldats des FAR, les gendarmes et les
miliciens des partis du gouvernement, tous armés jusqu’aux dents,
contrôlent rigoureusement tous les déplacements, regardant la carte
d’identité qui mentionne l’ethnie. […]
Cette violence, nous nous y attendions, mais nous avons été surpris par
sa généralisation, nous l’avons trouvée dans toutes les régions où nous
sommes allés57.

Jean Carbonare rappelle qu’ils ont vu « avec un certain malaise » des soldats français sur
ces barrages, et les inquiétudes justifiées pour leur interprète tutsi58. Il précise que tout le
monde savait, au Rwanda et à l’étranger ; par exemple, il note le silence d’un prêtre qu’il
interroge sur le vide des églises, ses échanges avec l’ambassadeur de France, Jean-Michel
Marlaud : « Il était informé, mais avait banalisé l’inacceptable : “Ce sont des rumeurs.”
Quelques jours plus tard, j’ai pu lui dire, après des visites sur le terrain, que ces rumeurs
étaient des certitudes. » Enfin, aucune ambiguïté n’a sa place : « Au cours de nos
investigations, nous nous sommes peu à peu rendu compte que les autorités du pays ne
coopéraient pas avec nous ; au contraire, elles participaient directement à l’organisation du
génocide. » Les tortures, les massacres des familles, les mensonges des bourgmestres
bouleversent les enquêteurs.

Fonds Carbonare, La Contemporaine, ARCH 156/4, dossier 6, témoignage de Jean Carbonare, trois
pages dactylographiées (sans date).
57 Ibid.
58 Alors qu’il est sommé de descendre à un barrage, la présence d’esprit d’Alison Des Forges, enquêtrice
pour Africa Watch, qui verrouille les portières au bon moment, évite le pire à l’interprète.
56

12

Le devoir de transmettre
L’horreur des découvertes, les massacres, les souffrances sont tels qu’au retour Jean et
Marguerite passent une nuit à raconter, prier, pleurer59. Leur devoir est de faire connaître
le génocide en cours, fût-ce au prix de leur tranquillité. Par l’intermédiaire de leur amie
Sharon Courtoux, fondatrice de l’association Survie, la journaliste Geneviève Moll incite
Bruno Masure à inviter Jean Carbonare au 20 heures de France 2, le 28 janvier 1993. Si cette
interview est marquante par les exemples confirmant le génocide, par l’émotion de
l’enquêteur et ses appels à « faire quelque chose », elle n’est pas toujours reçue avec
empathie : « Il veut ameuter le chaland », aurait dit Hubert Védrine par la suite60. En effet,
Jean Carbonare n’est pas bien vu à l’Élysée. Jean Lacouture, qui connaît le conseiller pour
les affaires africaines, Bruno Delaye, met les deux hommes en relation, mais le conseiller
reçoit le témoin avec le plus grand mépris. Les humiliations subies par Jean Carbonare ce
jour-là et par la suite sont « le prix de la vérité », affirme aujourd’hui sa veuve61. Bruno
Delaye peut dire un an plus tard que Jean Carbonare est un exalté62. Exalté, certes, et
passionné ; il lui est impossible de laisser ce drame génocidaire dans l’ignorance ou, pire,
l’indifférence.
Dès son retour, Jean Carbonare alerte la classe politique. Des copies de lettres adressées
aux ministres et députés présentes dans les archives l’attestent, comme les quelques
réponses qui manifestent l’incompréhension ou l’indifférence. À Claude Cheysson,
Carbonare affirme qu’une partie de la solution se trouve à Paris63 ; Jean Auroux répond en
rappelant le rôle positif du discours de La Baule de 1990 et les entraves mises par
l’opposition 64 . Le Centre Nord-Sud lié au Conseil de l’Europe se tourne vers Jean
Carbonare pour qu’il fasse des propositions concrètes afin d’agir65, preuve que les alertes
sont parfois entendues, même si cela ne suffit pas. Les deux années qui suivent sont
dominées par le poids de l’histoire, comme l’écrit son épouse : « La vision d’un génocide en
germe, à annoncer pour le prévenir, et face à cette annonce, l’indifférence de la plupart, la
complicité et les mensonges des autres, enfin l’indicible du génocide66 . » Sans compter
l’assignation par le président Habyarimana des associations Survie, Africa Watch et du
Centre pour les droits de l’homme de Montréal devant le Tribunal de grande instance de
Paris après la publication du rapport de la FIDH.

Marguerite Carbonare, Fracture et souffle de vie, op. cit., p. 131.
Témoignage filmé et entretien avec Marguerite Carbonare, 22 juin 2022.
61 Bruno Delaye le reçoit les pieds sur une table, au point que le visiteur ne voit son visage qu’à travers eux.
Il téléphone à Mobutu pendant l’entretien – pour montrer qu’il a des contacts plus importants ? Témoignage
écrit de Jean Carbonare, La Contemporaine, ARCH 156/4, dossier 6 ; entretien avec Marguerite Carbonare,
22 juin 2022.
62 Note d’Hubert Védrine à François Mitterrand, 17 juin 1994 (AN, AG/5(4)/HV/12, HV/F).
63 « Nous avons compris que la solution de cette grave crise se trouve en grande partie à Paris et que seule
une intervention pressante et au niveau le plus élevé pourrait stopper les horreurs que nous avons vues sur
le terrain. » Fonds Carbonare, La Contemporaine, ARCH 156/4, dossier 6, lettre de Jean Carbonare à
Claude Cheysson, 11 février 1993.
64 Ibid., dossier 6, lettre de Jean Auroux, président du groupe socialiste, à Jean Carbonare, 3 mars 1993.
65 Ibid. ARCH 156/5, dossier 1, lettre de Jos Lemmers, directeur exécutif du Centre Nord-Sud du Conseil
de l’Europe, 3 mai 1994. Jean Carbonare y est lié par le Forum de Lisbonne.
66 Marguerite Carbonare, Fracture et souffle de vie, op. cit., p. 114.
59
60

13

Les Églises et la foi
La foi chrétienne tient une place fondamentale dans la vie du couple : éducation
méthodiste stricte pour Marguerite Galland, éducation presbytérienne pour Jean
Carbonare. Dans les moments difficiles, la prière leur est un recours précieux, la réflexion
commune nécessaire, soit dans le cadre synodal, soit dans des relations plus singulières. La
foi ne signifie pas aveuglement sur le rôle des Églises, protestante et catholique, sur celui
du clergé et de diverses associations.
Dès 1989, le couple met en contact ses amis rwandais avec les amis pasteurs, dont
Jacques Stewart, président de la Fédération protestante de France67, comme l’atteste un
certain nombre de lettres ; les Carbonare participent à une réunion de la Conférence des
Églises de toute l’Afrique (CETA), dont le but est de réfléchir, à la lumière des Écritures,
aux problèmes spécifiques à l’Afrique. En 1993, une conférence se tient à Mombasa sur la
question de la construction de la paix au Rwanda, avec des représentants des partis
politiques, des Églises, de la société civile. Marguerite et Jean Carbonare et leurs amis
mettent leur espoir dans la signature des accords d’Arusha (4 août 1993). « Mensonge
partout… Quand on pense à ce que [les Églises] ont fait après… », constate Marguerite
plus tard68, d’autant que certains participants à la réunion de Mombasa ont participé au
génocide, comme le couple le découvre en 199669.
La découverte progressive du rôle des Églises et des membres du clergé dans le génocide
ne cesse de les poursuivre. Les témoignages sont nombreux, d’Aron Mugemera – pasteur
de l’Église presbytérienne dont la femme et les enfants ont été assassinés devant lui au cours
d’un office religieux à Kilinda, le 17 avril 199470 – aux récits des visites de Ntarama et de
Nyamata, à l’automne 1994, où les traces du génocide sont particulièrement fortes, et aux
réactions toujours odieuses de plusieurs pasteurs dont certains pensent qu’il est temps de
pardonner. Rien ne peut laisser les Carbonare indifférents, et rien ne peut les détourner de
la nécessité de prier et d’aider à la reconstruction des populations et du pays.
Les rescapés du génocide qui ont participé à la conférence de la CETA à Mombasa
– dont le Premier ministre Faustin Twagiramungu – demandent en 1996 à la Fondation
pour le progrès de l’homme (FPH) de Paris et au Comité de liaison des associations pour
les droits de l’homme (CLADHO) au Rwanda d’organiser un séminaire sur le rôle des
Églises rwandaises, toutes confessions confondues, dans le génocide et sur la
reconstruction. Le constat est sévère, comme l’écrit Marguerite Carbonare71 : l’Église était
inféodée au pouvoir politique ; elle a manqué de vigilance et a fait preuve de « paresse
intellectuelle » ; elle a négligé le problème des réfugiés et n’a jamais dénoncé le génocide ;
« au lieu d’évangéliser, elle a endoctriné, et, pire, des membres de l’Église ont donné le
mauvais exemple », souvent au niveau le plus élevé de la hiérarchie.
Fonds Carbonare, La Contemporaine, ARCH 156/4, dossier 2, lettre de Jacques Stewart à Ézéchias
Rwabuhihi, 10 juillet 1989, après l’avoir rencontré avec Jean Carbonare. Il dit s’associer aux espoirs d’égalité
au sein de l’ensemble de la population rwandaise, mais ne promet qu’un soutien moral.
68 Entretien avec Marguerite Carbonare, 22 juin 2022.
69 AMC, le responsable d’Amnesty International pour la région des Grands Lacs était responsable des
relations internationales à la CETA. Extrémiste hutu du Burundi, il avait, de son propre chef, annulé la
conférence de Mombasa, rattrapée in extremis par André Karamago. Lettre de Marguerite Carbonare,
11 octobre 1996.
70 Ibid., texte dactylographié, 1 page, sans date. Marguerite Carbonare ajoute en conclusion : « Sur soixante
pasteurs tutsi, il n’en reste que trois. Tous les autres ont été tués » (Fracture et souffle de vie, op. cit., p. 18).
71 Marguerite Carbonare donne des exemples dans son livre (ibid.), notamment p. 142-145 et p. 167.
67

14

Reconstruire
Pour Marguerite et Jean Carbonare, ce mot a un sens moral autant que pratique. Il pèse
lourd, car il évoque la destruction du Rwanda, de la population tutsi, mais aussi celle du
couple qui endure cette histoire et vit une expérience totale. Par leurs amis rwandais du
Sénégal, ils ont fait connaissance de François Rutayisire. Ce représentant du FPR en France
met en relation Jean Carbonare et Jacques Bihozagara, cofondateur du FPR. Dès la
signature des accords d’Arusha, celui-ci demande à Jean Carbonare, sur une décision
du FPR – « au plus haut niveau de notre hiérarchie » –, d’utiliser son expérience en matière
de reconstruction pour prendre contact avec des associations et des bailleurs de fonds en
vue d’une aide au profit du projet du secrétariat d’État à la Réhabilitation et la Réinsertion
sociale du futur gouvernement de transition à base élargie (GTBE72). Jacques Bihozagara
fait venir Carbonare à Mulindi, dans la zone nord du Rwanda contrôlée par le FPR, pour
qu’il expose son travail en Algérie. Les Rwandais décident d’utiliser ses compétences,
comme le lui écrit aussitôt le président de la République, Pasteur Bizimungu73 :
Monsieur et cher ami,
Je voudrais profiter de votre expérience et des relations que vous avez
tissées au cours de votre long passage en Afrique pour vous demander
de nous accompagner dans les moments particulièrement difficiles que
nous traversons.
Les propositions de coopération que vous pouvez nous suggérer seront
accueillies très attentivement, et nous les attendrons le plus rapidement
possible.
Ces missions seront conduites dans le cadre de notre gouvernement, et
dans l’esprit de la politique que nous avons définie.

C’est le point de départ de l’Agence rwandaise pour le développement et la coopération
(ARDEC), sur le modèle de l’Office africain pour le développement et la coopération, créé
en Algérie. Le travail consiste en la fabrication de briques qui serviront à la construction de
maisons à Runda, à une quinzaine de kilomètres de Kigali. L’ARDEC est confiée à Ézéchias
Rwabuhihi, qui délaisse l’hôpital à cette fin74. Jeannette Kagame, très investie75, en est la
présidente et Jean Carbonare le vice-président. « Cette vision de résurrection l’emportera
sur les charniers76 », espère, admirative, Marguerite.
Trois mois après la fin du génocide, Marguerite et Jean Carbonare se rendent au Rwanda.
« Mon dernier séjour, en octobre 1994, m’a éprouvée plus que je ne le pensais », écrit
Fonds Carbonare, La Contemporaine, ARCH 156/4, dossier 6, lettre de Jacques Bihozagara à Jean
Carbonare, 16 août 1993.
73 Ibid., lettre de Pasteur Bizimungu à Jean Carbonare, 22 août 1994.
74 Ézéchias et Joséphine Rwabuhihi n’ont pas délaissé la cause qu’ils ont défendue lorsqu’ils étaient exilés
au Sénégal. Ils ont fait découvrir aux Carbonare la réalité du Rwanda, ils ont travaillé avec eux à la faire
connaître et dénoncer en France, et s’engagent à leurs côtés dans la reconstruction du pays.
75 AMC, lettre de Marguerite Carbonare à sa famille, 14 février 1995.
76 Id., Fracture et souffle de vie, op. cit., p. 131.
72

15

Marguerite dans son livre de souvenirs. Elle a vu tant de traces du génocide récent.
Pourtant, à part les chaussures et les vêtements jonchant les bas-côtés
de la rue qui montait vers Kigali, vestiges de la fuite des enfants, des
femmes et des hommes qui essayaient d’échapper aux miliciens, je n’ai
rien vu : ni blessés, ni enfants entaillés par les machettes, ni orphelinats
bondés d’enfants aux yeux hébétés, comme on les décrivait dans la
presse à sensation, mais j’ai entendu.
J’ai écouté pendant des soirées entières les récits des survivants77.

Une chute malencontreuse, une mauvaise fracture du bras droit alertent Marguerite : elle
prend conscience qu’elle ne souhaite pas repartir pour le Rwanda, que le voyage d’octobre
a été une épreuve difficile à surmonter ; que son couple est en train de se fracturer, lui aussi.
Pour Jean, la souffrance des rescapés l’emporte sur celle de sa femme ; elle mesure avec une
infinie tristesse le décalage croissant entre le choix de son époux de poursuivre le combat
qu’il a toujours mené, celui d’aider à construire – et que Marguerite a toujours soutenu et
partagé –, et le sien qui est de vivre en famille une retraite plus calme78. C’est ce qu’elle
rapporte avec la force que lui dicte la faiblesse qu’elle traverse, et avec sincérité dans son
livre, Fracture et souffle de vie, un beau travail de reconstruction.
En février 1995, le couple retourne au Rwanda – Jean Carbonare y avait fait un séjour
après celui de l’automne. Marguerite Carbonare reprend le fil un temps interrompu. Au
cours de ce séjour de plusieurs semaines, elle voit l’ampleur du désastre déjà mesuré en
octobre, et le travail de son mari. Dans une de ses lettres, elle exprime son admiration pour
l’œuvre et l’ardeur des travailleurs. Il s’agit de fabriquer des briques – et d’abord des fours79.
Une part des briques sert à construire des maisons pour les nombreuses veuves dans le
village, et l’autre part à la construction de logements bon marché à Kigali, selon le souhait
du ministre de la Reconstruction, grâce à l’aide, indispensable, des diverses organisations
humanitaires80. Comme en Algérie, la main-d’œuvre est payée en vivres grâce au PAM ;
l’US Agency for International Development (USAID) verse des subsides qui permettront
de payer les salaires81 ; les maçons qui encadrent les jeunes reçoivent le leur de la Cimade.
Cette aide montre l’intérêt que suscitent ces chantiers de l’ARDEC : les représentants de
ces organisations n’apportent pas d’aide à l’aveugle ; ils se déplacent pour visiter les
chantiers : ainsi, le général Tousignant, commandant la Mission des Nations unies pour
l’assistance au Rwanda (MINUAR), dit sa fascination et apporte lui aussi son aide en
donnant des véhicules indispensables au transport des briques. En octobre suivant,
Marguerite raconte sa visite du troisième chantier de briques82. Elle enseigne en même
temps le français au lycée de Kigali83. Le couple, qui vit dans cette ville, est installé dans une
maison sommairement équipée qui devient un lieu de rencontre avec des journalistes ou
Ibid., p. 15.
« Comme si j’avais déjà donné suffisamment, je veux que notre couple vive enfin un peu égoïstement. Et
peu m’importent maintenant la faim, le froid des autres. Toujours il a fallu sacrifier notre vie de famille à
“une bonne cause” » (ibid., p. 21).
79 AMC, lettre de Marguerite Carbonare à sa famille, 14 février 1995.
80 Ibid. Après un stage de quinze jours, les jeunes chômeurs travailleront à la construction de ces logements.
81 La production agricole a diminué de 50 %, le gouvernement est dans l’incapacité de verser les salaires.
82 AMC, lettre de Marguerite Carbonare, 15 août 1995.
83 Ibid., lettre de Marguerite Carbonare, 13 novembre 1995.
77
78

16

des membres d’ONG. Jean Carbonare facilite une entrevue entre le président de Médecins
du monde – Michel Brugière –, celui de Juristes sans frontières – Alain Ottan – et le
président Bizimungu, pour une mission sur les jeunes assassins en détention84. Si la situation
économique reste complexe et fragile85, la situation politique semble se détendre mais reste
fragile elle aussi.
On a ralenti le rythme des arrestations et on a relâché certains, mais
libérations à double tranchant car il y a eu quelques assassinats ces
jours-ci, vengeances de Tutsi qui trouvent insupportable de voir relâché
l’assassin de leur famille (parce qu’on n’a pas assez de preuves contre
lui ?) ou précaution de certains miliciens qui préfèrent liquider certains
collègues qui pourraient témoigner contre eux ? Ou tout simplement
actes de banditisme ? Toutes ces questions restent pour le moment en
suspens86.

Plus tard, en 1997, Jean Carbonare facilite le voyage de Michel Rocard87, alors député
européen et président de la Commission du développement et de la coopération, qui s’y
rend entre le 28 août et le 1er septembre à l’invitation du président Bizimungu88. Outre les
contacts avec les personnalités rwandaises, Michel Rocard mesure le travail effectué par
Jean Carbonare et l’ARDEC, et appelle à une « nouvelle politique africaine de la France »
et de l’Europe. Jean Carbonare fait un rapport de cette mission au cardinal Etchegaray, et
le secrétaire général de la Conférence des évêques de France assure qu’il fera connaître
l’appel de Rocard à l’Église catholique.

Réflexions sur le génocide
Une conférence est organisée au siège du Parlement rwandais, en novembre 1995, sur le
84 « Ils revenaient de la prison de Kigali, surchargée, et ils ont fait des propositions pour la prise en charge
des problèmes de santé et pour la question des mineurs qui sont emprisonnés dans le même espace que les
adultes » (ibid., lettre de Marguerite Carbonare, 14 février 1995, déjà citée). Voir le témoignage de la
magistrate Hélène Rauline, in Genre humain, Le génocide des Tutsi au Rwanda. Devoir de recherche et droit à la vérité,
op. cit., p. 229-230.
85 « Dans le travail, beaucoup de promesses de financement faites depuis plusieurs mois, soit par certaines
ambassades, soit par certaines agences onusiennes, et toujours pas réalisées… » (AMC, lettre de Marguerite
Carbonare, 15 août 1995, déjà citée).
86 Ibid.
87 Fonds Carbonare, La Contemporaine, ARCH 156 /5 dossier 4, lettre de Michel Rocard à Jean Carbonare
et rapport de la mission : « L’initiative de cette mission revient à Jean Carbonare. »
88 Voir Vincent Duclert, « Michel Rocard, le Rwanda et le génocide des Tutsi : un engagement révélé », site
de
l’association
des
amis
de
Michel
Rocard,
3 juin 2021,
https://michelrocard.org/app/photopro.sk/rocard/publi?docid=657353#sessionhistory-ready, suivi de :
« Michel Rocard, le Rwanda et le génocide des Tutsi, II. Addendum sur la note confidentielle au
gouvernement
français »,
19 juillet 2021,
https://michelrocard.org/app/photopro.sk/rocard/publi?docid=672384#sessionhistory-ready,
et
Marguerite Carbonare, Fracture et souffle de vie, op. cit., p. 167.

17

thème suivant : « Le génocide, impunité et responsabilités. Dialogue pour une solution
nationale et internationale », avec les interventions de chercheurs, juristes, journalistes89, de
représentants des communautés juives car il ne s’agit pas uniquement du génocide perpétré
contre les Tutsi, mais aussi de la Shoah et des massacres de masse qui ont eu lieu dans divers
pays (Ouganda, Éthiopie, Afrique du Sud, Argentine). La question de la mémoire et de la
justice est centrale, et chacun fait part de ses expériences, des formes de justice alternative
en constituant des tribunaux traditionnels comme les gacaca. Les responsabilités sont
pointées : « Les responsabilités de la France, de la Belgique, des Nations unies, du clergé
belge et rwandais ont été clairement dénoncées, particulièrement celle de la France dans
l’opération Turquoise90. » L’ambassadeur de France, Jacques Courbin, est présent lors de la
discussion portant sur la « responsabilité de la communauté internationale dans la période
post-génocide » et manifeste son mécontentement91, sans doute du fait des accusations
dont la France est la cible, d’autant que les réserves de Paris sont nettement officialisées
avec le refus d’inviter le Rwanda au sommet franco-africain de Biarritz l’année précédente
(8-9 novembre 1994).
La question des justices alternatives qu’évoque Marguerite Carbonare est de celles qu’elle
vit d’assez près avec notamment l’ami du couple, Ézéchias Rwabuhihi, qui a perdu sa
famille. Celui-ci doit assister à une confrontation entre le tueur présumé de sa mère – qui
nie l’avoir enterrée sous un avocatier dans sa cour – et une femme qui entend témoigner de
l’endroit. « Espérons qu’il avouera, mais c’est sans doute un de ses fils qui l’a tuée, alors on
comprend sa peine, ses mensonges et son agressivité…92 ». L’important est de pouvoir
exhumer les os pour pouvoir enterrer dignement les deux parents. L’enterrement en dignité
est la préoccupation de tous les rescapés.
Les détracteurs et les soutiens
Le fonds Carbonare de La Contemporaine93 compte plusieurs dossiers sur les combats
que Jean Carbonare a dû mener contre ses détracteurs et ses accusateurs. Ils révèlent le lien
entre le refus de reconnaître le processus génocidaire et le génocide d’une part, et la
responsabilité morale de « lanceurs d’alerte » qu’ont été Jean et Marguerite Carbonare
d’autre part. C’est une autre lutte que doit mener le couple, comme doit le faire aussi le
couple Gauthier, du fait de leur action au sein de l’association qu’ils ont créée, le Collectif
des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), en 2001.
Jean Carbonare est une cible. Tout est bon dans les médias pour l’attaquer et le
discréditer. Sa proximité supposée avec Paul Kagame est présentée comme une complicité
aux dépens de la France. Il est vrai que son prédécesseur, le président Bizimungu (19942000), a sollicité Jean en août 1994 pour mettre au point le projet de ce qui deviendra
l’ARDEC et qu’il l’a reçu dans la résidence de Kanombe. Il est vrai aussi que Jeannette
Kagame préside l’ARDEC et que les deux couples ont l’occasion de se voir, soit sur le plan
professionnel pour Jean, soit dans un cadre plus intime. Marguerite Carbonare rapporte les
échanges et les interrogations de Paul Kagame quant à l’indifférence ou l’incompréhension
Marguerite Carbonare cite Jean-Pierre Chrétien et Colette Braeckman, lettre du 13 novembre 1995.
AMC, lettre de Marguerite Carbonare, 13 novembre 1995.
91 Ibid.
92 Ibid.
93 Centre d’archives et bibliothèque installés à l’université de Paris-Nanterre.
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face au gouvernement que les pays occidentaux qualifient de « tutsi94 ». Elle fait le lien entre
toutes les minorités méprisées ou incomprises, juives, kurdes, palestiniennes et bamilékés
dont la puissance est souvent stigmatisée au Cameroun – sans doute le fait-elle avec les
protestants dont elle porte l’histoire en elle.
Marguerite et Jean Carbonare sont souvent contraints de se défendre. « On n’a pas su se
protéger95 », confie-t-elle en 2022. En 1996, Stephen Smith signe un article particulièrement
médisant à leur sujet : selon lui, Jean Carbonare est « installé à Kigali comme chargé de
mission à la présidence et [est], de fait, conseiller spécial du vice-président » ; et son épouse
donne des cours de français à Jeannette Kagame (qui parle pourtant un excellent français).
Jean Carbonare s’explique longuement dans une réponse au journaliste de Libération 96 ,
réponse totalement déformée dans un autre article97 :
Je ne pensais pas avoir à revenir sur [le] contenu [de cet article].
Je vous avais précisé que je n’étais pas conseiller du président de la
République mais simplement chargé de mission dans les domaines de
la reconstruction, relance de l’agriculture avec la jeunesse, et autres
activités de développement. Ceci vous avait déjà été précisé en ajoutant
que les Rwandais étaient assez grands et n’avaient pas besoin de
conseils. […]
Toujours votre « honnêteté scrupuleuse »… et votre souci de la
précision, vous écrivez que « j’ai appelé à faire confiance au FPR » en
déformant mes paroles et en escamotant l’essentiel de ma déclaration
écrite au Nouvel Observateur… « Faire confiance au nouveau pouvoir à
Kigali, jusqu’à preuve du contraire. » Aujourd’hui, je maintiens ces
déclarations, mais vous n’êtes pas obligé de partager mes vues.
[…] Je regrette simplement qu’aujourd’hui vous participiez à une
campagne visant à discréditer et à disqualifier les autorités de Kigali
qui, je le pense de toutes mes forces, font ce qu’elles peuvent avec les
moyens mis à leur disposition.

Le couple Carbonare a sympathisé avec Pierre Péan au Bénin en 1989, alors qu’il couvrait
l’inauguration d’un hôpital financé par Emmaüs. Cependant, le livre du journaliste, Noires
Fureurs, Blancs menteurs98, qui paraît en 2005, est pour une grande part à charge contre Jean
Carbonare, mais aussi contre Alain et Dafroza Gauthier. Non seulement l’action de Jean
Carbonare au Rwanda est visée, mais le journaliste remonte à la Seconde Guerre mondiale
pour présenter négativement la position de Jean Carbonare99, jetant ainsi le discrédit sur
Marguerite Carbonare, Fracture et souffle de vie, op. cit., p. 136. « Leur sentiment d’isolement est poignant »,
ajoute-t-elle.
95 Entretien du 22 juin 2022.
96 Fonds Carbonare, La Contemporaine, ARCH 156/5, dossier 1, lettre dactylographiée de Jean Carbonare
à Stephen Smith, incomplète, avec copie aux membres de Survie et à Libération.
97 « Quand les observateurs préfèrent fermer les yeux », Libération, 27 février 1996. Marguerite Carbonare
note sur le texte de l’article : « Jeannette est parfaitement bilingue. Le Président n’avait pas le temps
d’apprendre le français. Jean n’est pas son conseiller spécial » (Fonds Carbonare, La Contemporaine. L’ajout
de Marguerite Carbonare est sans doute tardif et complète les propos de son mari à Stephen Smith).
98 Pierre Péan, Noires Fureurs, Blancs menteurs. Rwanda 1990-1994, Paris, Fayard, « Mille et Une Nuits », 2005.
99 Jean Carbonare, Ensemble se mettre debout, Olivetan, 2010, p. 17-18
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tout ce qui constitue sa vie et son combat – Jean Carbonare ferait partie des « Blancs
menteurs », des falsificateurs. Quand les Gauthier préfèrent écrire une lettre à Pierre
Péan100, les Carbonare prennent une voie plus officielle. Il faut une énergie farouche au
couple pour se défendre contre les attaques qui visent à nuire à sa réputation101. Les archives
montrent l’importance de cet ultime combat : maître Jean-Jacques de Félice, défenseur des
droits de l’homme (il a été vice-président de la Ligue des droits de l’homme), est contacté
et Jean Carbonare rassemble à son intention de nombreux éléments ; en vain, puisque
l’avocat renonce à le défendre, considérant qu’il n’a aucune chance de l’emporter102. Ce
combat est épuisant, physiquement et moralement : de nombreux proches se mettent à
douter de la sincérité de Jean Carbonare, ébranlés par les propos du journaliste. Jean
Carbonare s’en explique notamment dans un document dans lequel il relate les découvertes
faites lors de l’enquête de la FIDH de janvier 1993 :
[Pierre Péan] a cherché à me discréditer pour discréditer mes
avertissements de janvier 1993, à savoir la découverte des préparatifs du
génocide au vu et au su de tout le monde, quinze mois avant.
Je ne regrette pas de l’avoir fait. Je dis souvent qu’il faut savoir payer le
prix de son engagement.
Mais ces mensonges sur ma vie privée ne sont que peu de chose au
regard de ma question : quel intérêt M. Péan a-t-il trouvé à me faire
passer pour un ennemi acharné de la France ?
Mon combat n’était pas dirigé contre mon pays, mais contre une image
défigurée de la France.
J’ai toujours voulu la réhabiliter en établissant des liens entre notre pays
et les communautés étrangères, qu’elles soient algériennes ou
rwandaises, pour une recherche de plus de paix et de justice.
C’était l’une des exigences de mon engagement chrétien103.

Si ce combat l’a épuisé, l’admiration et les soutiens ne manquent pas, de la part non
seulement des Rwandais, mais aussi de membres d’associations comme Survie, et de
journalistes. C’est le cas de Maria Malagardis, particulièrement intéressée104 par le sujet et
qui ne cesse de porter à la connaissance des lecteurs de Libération la vérité progressivement
révélée sur le génocide et la position de la France. D’autres soutiens se manifestent plus ou
moins directement. C’est le cas de Jean Lacouture. Après le génocide, mis au courant par
« notre ami commun Jean Carbonare105 » des problèmes que vit le Rwanda, le journaliste
écrit ainsi au président Bizimungu qu’il va s’employer à faire connaître « le rôle, parfois
malencontreux, parfois néfaste, joué par notre pays dans votre histoire récente ». Il ne
mesure pas encore l’ampleur du « rôle parfois néfaste » joué par les plus hautes autorités de
l’État. Quand il en prend la mesure, il écrit une lettre à Jean Carbonare, le 19 juin 2004,
Maria Malagardis, Sur la piste des tueurs rwandais, op. cit., p. 223 sq.
Fonds Carbonare, La Contemporaine, ARCH 156/5, dossiers 11 et 12.
102 Témoignage de Marguerite Carbonare recueilli par l’auteure, 22 juin 2022.
103 Fonds Carbonare, La Contemporaine, ARCH 156/5, dossier 11, témoignage dactylographié (sans date).
104 Témoignage de Marguerite Carbonare recueilli par l’auteure, 22 juin 2022.
105 AN, lettre de Jean Lacouture à Pasteur Bizimungu, 11 octobre 1995.
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dans laquelle il manifeste clairement sa reconnaissance pour le travail accompli et la vérité
révélée.
Cher Jean Carbonare,
Votre visite, ce matin, à Roussillon, a ranimé notre alliance de naguère
dans le sens de la solidarité avec l’Afrique.
S’il y a des choses de ma vie dont je ne suis pas fier – de ma lenteur à
m’engager dans le sens de la résistance à l’occupation, à mes illusions
sur les sentiments démocratiques des libérateurs du tiers-monde –, il y
a celle-ci : de n’avoir pas su prendre suffisamment conscience des
responsabilités encourues par mon pays dans le génocide rwandais. J’ai
tenté, grâce à vous et quelques autres, de me tenir informé, à l’époque,
des plans de Juvénal Habyarimana, mais j’aurais dû être beaucoup plus
attentif à ce qui se tramait et au comportement des hommes qui
détenaient les divers pouvoirs à Paris. La traduction que j’en ai donnée
dans le tome II de mon Mitterrand106 est à coup sûr édulcorée.
Je souhaite pouvoir, dans les pauvres limites qui sont désormais les
miennes, contribuer un tant soit peu à réparer le mal qui a été commis
par notre communauté nationale107.

Que ce journaliste issu de la gauche reconnaisse ses propres hésitations et la politique de
l’Élysée souligne bien l’importance de son aveuglement, qu’il regrette. Les Carbonare, qui
pourraient être considérés aujourd’hui comme des « lanceurs d’alerte », ne sont pas les seuls
à agir, mais ils le font tôt, dès 1989, soucieux d’aider leurs amis exilés, de dénoncer pour
tenter de freiner la course vers le génocide, puis le génocide lui-même. Les archives
montrent des combats inlassables, des informations envoyées dans toutes les directions, au
sommet du pouvoir ou dans les associations locales car il est indispensable de mobiliser au
maximum. La médiatisation de l’enquête internationale de 1993 n’a pas suffi. Pour le couple,
l’aide et le secours ne peuvent s’arrêter au terme du génocide, ils doivent se poursuivre par
la reconstruction matérielle, mais aussi spirituelle et morale, fût-ce au prix de sa propre
tranquillité.
La reconnaissance du président Kagame se manifeste par l’attribution, à titre posthume,
de la médaille de l’Umurinzi. Il s’agit de la médaille nationale de la campagne contre le
génocide, attribuée à quelques étrangers, le 4 juillet 2010108.
L’action des Carbonare a-t-elle été utile ? Les archives montrent que les autorités
politiques et spirituelles sont restées sourdes et aveugles, mais que la conscience morale
qu’ils ont cherché à mobiliser s’est révélée plus tardivement, soutenus par quelques médias,
quelques associations et quelques individus. La valeur des archives réside en ce qu’elles
Jean Lacouture, Mitterrand. Une histoire de Français. 2. Les vertiges du sommet, Paris, Seuil, 1998.
Fonds Carbonare, La Contemporaine, ARCH 156/5, dossier 10, lettre de Jean Lacouture à Jean
Carbonare, 19 juin 2004. Cette lettre a tant d’importance pour le couple que Marguerite Carbonare en a
gardé une photocopie et une copie dactylographiée. Nous remercions les descendants de Jean Lacouture
qui ont autorisé Vincent Duclert à publier sa lettre dans ce volume du Genre humain.
108 Une salle est réservée aux Justes bénéficiaires de la médaille Umurinzi. Voir Rémi Korman, « Rwanda,
de la commémoration de la guerre de Libération à la patrimonialisation de la “Campagne contre le
génocide” », Mémoires en jeu, 2021.
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permettent de mesurer l’ampleur de la mobilisation autant que le refus de savoir, sur le
moment et par la suite.

Jean Carbonare, Musée de la campagne contre le génocide à Kigali (© Ch. Morelle)

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024