Fiche du document numéro 32111

Num
32111
Date
Dimanche 20 décembre 2009
Amj
Auteur
Taille
19465
Titre
Lettre à Madame Nicole Savy
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Type
Lettre
Langue
FR
Citation
Docteur Annie FAURE
Diplômée de la Faculté de Médecine Cochin-Port Royal
Ex attachée des Hôpitaux Cochin, Saint Antoine et Bichat
Médecin agréée par la DDASS de Paris
Membre de la FIDH

PNEUMOLOGUE

Cabinet Médical des Batignolles
4, rue Brochant
75017 PARIS

Tél. : 01.42.28.02.20
Fax : 01.42.26.70.67

Adulte, enfant
Conventionnée Secteur I
75 1 59 161 1

Double Michel Tubiana
Président d’honneur de la LDH

Ce 20 décembre 2009
Madame Nicole Savy,

Votre critique dans le mensuel de la Ligue des droits de L’Homme du film de « Arusha à Arusha »
de Christophe Gargot a retenu toute mon attention.
Vous écrivez : « On entend dans une extrême tension, les difficultés des procureurs successifs face
à la mauvaise foi des uns et aux pressions politiques du gouvernement de Paul Kagamé, qui tente de
paralyser le tribunal et dans une réunion publique accuse violemment la France d’avoir été complice des
massacres »
La réunion publique à laquelle vous faites allusion et qui figure dans le film était l’allocution de Paul
Kagamé au moment de la treizième commémoration du génocide ; Il s’insurge contre l'ordonnance du juge
Bruguière qui demande l’arrestation des proches de Kagamé, soupçonnés d’avoir fomenté l’attentat contre
l’avion présidentiel. Cet attentat a été le signe déclencheur du génocide des Tutsi et de ceux qui s’y
opposaient par les Forces armées Rwandaises et les miliciens.
Cette ordonnance Bruguière a été sévèrement critiquée en France sur la forme et sur le fond.
(Ordonnance à charge, pas d’enquête, assertions calquées sur la propagande antitutsi). Les évènements
récents confortent ces critiques ; Rose Kabuyé a été libérée, les témoins clés se sont désistés et la
responsabilité de la ligne dure des hutus –désireux de se débarrasser d’un Président Habyarimana
décidemment trop gentil avec le FPR– est maintenant flagrante. L’ordonnance Bruguière se révèle une
coquille vide, un pis aller judiciaire fabriqué par des politiques et militaires français soucieux de reculer leur
mise au ban des accusés du génocide des Tutsi.
L’accusation portée par Paul Kagamé sur la complicité de la France dans le génocide des Tutsi ne
fait de doute pour les rescapés Tutsi, ni pour de nombreux citoyens français - Michel Tubiana compris politiques, avocat, et journalistes ; je parle de ceux qui - attentifs à ce drame et instruits de l’histoire de
France - ne se font aucune illusion sur les capacités de collaboration inavouable de nos dirigeants avec les
pires dictatures au nom de la « sécurité ».
La phrase que j’ai sélectionnée montre que vous n’avez pas compris grand-chose à ce film.
Mais pouvait-il-en être autrement ? Vous avez exactement digéré la désinformation de talent orchestrée par
un réalisateur sans grand talent des images, Christophe Gargot ;
.

Ce metteur en scène s’est bien gardé de vous donner les clés pour comprendre ;
Pas un mot sur l’ordonnance Bruguière. Pas un mot sur l’instruction en cours en France
actuellement sur les actes de tortures des soldats de l’opération Turquoise. Pas un mot sur l’opposition du
gouvernement de Kigali à la création du TPIR à Arusha. Pas un rwandais n’est interrogé sur les raisons de
cette contestation. Pas une seule analyse des conditions imposées par la France au TPIR : auditions huis
clos et exclusion des faits antérieurs au 1 janvier 1994 c’est à dire exclusion des crimes de planifications et
de préméditation….

Prenez le temps de revoir «D’Arusha à Arusha ».
Vous y détecterez un découpage soigneusement choisi. Ces choix vous susurrent à l’oreille « la thèse
des massacres de chaque coté, n’est ce pas ? », « Le FPR ne serait-il responsable de l’attentat, n’est ce
pas ? »
Ces « massacres de chaque coté, n’est ce pas ? » sont la version moderne du « double génocide » passé de mode car trop voyant- des négationnistes en robe du Tribunal Pénal International d’Arusha.
Prenez le temps de revoir « D’Arusha à Arusha ». Vous verrez que la véritable star du film est
Maître Constant. Ce bel avocat français d’un génocidaire patenté Théoneste Bagosora introduit le film et le
conclut. Sa plaidoirie encadre le film et lui donne son sens, son exécrable sens ;
Dès le départ, la voix off sur le décor des bureaux vides d’Arusha pose l'idée princeps du film :
« pourquoi, on ne juge pas le FPR n’est ce pas? » suivi en piqûre de rappel « Et si la FPR a tiré sur l’avion
c’est lui le responsable du génocide, n’est ce pas ? » Ces thèmes jalonnent le film en pointillé tout du long ;
Regardez la séquence Carla del Ponte : elle ne s'indigne pas du génocide, non, mais du refus de Kigali de
recevoir le procureur du TPIR. Passionnant…
Allez encore un effort ; Regardez « D’Arusha à Arusha ».
Vous ne connaissez pas le mémorial du génocide de Murambi ; Cette école où les cadavres des Tutsi
blanchis à la chaux vous poignardent en plein cœur. Dès l’entrée du mémorial, les photos des militaires
français et les légendes accusent clairement la France. Il est impossible de ne pas les voir. Christophe
Gargot ne les a pas vues. Un arrêt sur image de 2 secondes aurait bouleversé le sens du film. Aurait
relativisé la dissertation de Maître Constant sur « le tribunal des vainqueurs » et « le tribunal des vaincus ».
Cette ritournelle -chère à Thierry Cruvellier, inspirateur du film selon Gargot lui même - est la
version col blanc, poudrée, de « Pourquoi on ne juge pas le FPR , n’est ce pas ? » et son corollaire « Et si
Kagamé avait abattu l’avion pour faire massacrer les siens et prendre le pouvoir, n’est ce pas ? »
Transformer les victimes en coupables est le tour de passe-passe habituel de tous les négationnistes de
tous les génocides du monde.
La comparaison avec le Tribunal de Nuremberg est une escroquerie pure et simple. La seconde
guerre mondiale, les crimes Nazi, ont mobilisé massivement les forces des Alliés. L’effroyable génocide
d’un million de personnes en 3 mois s’est produit dans un coin du monde minuscule, devant une
communauté internationale aux bras croisés.
« D’Arusha à Arusha » est trop long.; heureusement, ennuyeux.
Les plans des salles vides d’Arusha sont tartes. Jamais les cadavres de Murambi n’ont été filmés avec tant
de froideur. Les gros plans esthétisants répétés des prisonniers en pyjama rose de la prison de Kigali
rendent mal à l’aise et sont inquiétants de non sens. Leurs corps charnus nourris et soignés gratuitement
auraient pu être comparés à la maigreur des enfants, orphelins jetés à la rue, là, par ces prisonniers là.
Quand au couple du Hutu et de la Tutsi, mari et femme, tueur et victime, condamné et juge des
gacacas, qui éclaire -avec force il est vrai- le mécanisme de la machine infernale- ils servent à mieux servir
de contre feux aux éventuelles critiques, dont la mienne.
Vous l’avez compris : ce film n’est pas un film négationniste ; il est pire.
En espérant vous avoir éclairé et restant à votre disposition.
Annie Faure,
Médecin humanitaire au Rwanda en 1994, membre de la commission d'enquête citoyenne sur la
responsabilité de la France dans le génocide des Tutsi .

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