Fiche du document numéro 32870

Num
32870
Date
Mardi 29 août 2023
Amj
Taille
1014630
Titre
Coopération internationale : le colonel Laurent Lesaffre, premier attaché de sécurité intérieure au Rwanda
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Mot-clé
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Le 3e colloque de la Direction de la coopération internationale de sécurité, qui se tient du 28 août au 1er septembre 2023, consacre l’une de ses tables rondes aux nouveaux défis en matière de criminalité organisée, mettant notamment en lumière l’action de l’OCLCH. L’occasion pour Gend’Info de présenter les missions du premier attaché de sécurité intérieure au Rwanda, le colonel Laurent Lesaffre, dont la mission première consiste à appuyer la conduite des enquêtes et des procès liés au génocide perpétré contre les Tutsis. Une priorité qui amène l’officier à travailler en lien étroit avec l’office, mais également avec le pôle « crimes contre l’Humanité » du parquet national antiterroriste et le pôle de l’instruction spécialisée du tribunal judiciaire de Paris.

Le colonel Laurent Lesaffre, ASI du Rwanda, en visite au laboratoire médico-légal du Rwanda, ou « Rwanda Forensic Laboratory ». © D.R.

Vous occupez actuellement les fonctions d’Attaché de sécurité intérieure (ASI) au Rwanda, un poste inexistant jusqu’à ce début d’année, et à la création duquel vous avez œuvré depuis votre première affectation à Kigali, en 2021. Pouvez-vous revenir sur la genèse et les différentes étapes de cette création ?

La Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) a en effet été sollicitée pour mettre en place un officier de gendarmerie au sein de la chancellerie diplomatique à Kigali après la publication du rapport Duclert en mars 2021, qui concluait au fait que la France a des responsabilités dans le déroulement du génocide de 1994 sans en être complice, et la visite du Président de la République, Emmanuel Macron, le 27 mai à Kigali, où cours de laquelle il a affirmé que la France ne laisserait pas place à l’impunité pour les génocidaires.

Je suis arrivé au Rwanda en septembre 2021, quelques semaines après la nomination d’un ambassadeur de France. Notre pays n’avait plus d’ambassadeur en titre à Kigali depuis 2015, et moi-même j’étais le premier gendarme français à y revenir depuis 1994. À cette époque, l’attaché de défense était un gendarme et deux sous-officiers de l’arme étaient également affectés en tant que « radio ». Il me semble d’ailleurs important de rappeler que la gendarmerie a perdu deux sous-officiers et l’épouse de l’un d’eux durant la dramatique période du génocide de 1994. C’est un fait peu connu, même au sein de notre institution.

J’y suis tout d’abord arrivé dans le cadre d’une mission de préfiguration de courte durée, puis dans le cadre d’un Plan à impact rapide (PIR) financé par le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) qui s’est mis en place du 1er janvier au 31 décembre 2022. J’ai alors eu une triple mission : développer l’appui aux enquêtes et aux procès français liés au génocide de 1994 perpétré contre les Tutsis, établir un état des lieux de l’existant au Rwanda, car ni le MEAE, ni le Ministère de l’Intérieur et des Outre-mer (MIOM) n’avaient de vue claire sur le sujet, et, enfin, évaluer les pistes de coopération bilatérales futures. Au final, la solution de créer un Service de sécurité intérieure (SSI) a été retenue par le MIOM et la DGGN et je suis ainsi devenu Attaché de sécurité intérieure (ASI) le 1er janvier 2023. Il s’agissait à cette date du 75e poste d’ASI du réseau de la Direction de la coopération internationale de sécurité (DCIS). Depuis, trois autres ont vu le jour, au Suriname, en Suède et en Australie.

Est-ce un challenge supplémentaire que de partir d’une quasi-page blanche ?

C’est toujours un challenge de créer un service de toutes pièces, surtout dans un contexte tel que celui des relations franco-rwandaises, qui ont été quelque peu tendues au cours des vingt dernières années. Il faut en effet rappeler que les relations diplomatiques ont été rompues entre 2006 et 2010, puis que le Rwanda a refusé d’accréditer un ambassadeur français entre 2015 et 2021.

Ce n’est toutefois pas la première fois que je suis amené à participer à la création d’un service, puisque j’ai contribué à la création du Centre de coopération policière et douanière (CCPD) d’Hendaye en 2003, puis, quelques années plus tard, à la mise en place de la mission de la gendarmerie en Afghanistan, où 1 300 gendarmes ont été projetés entre 2001 et 2013.

J’avoue apprécier ces challenges. Partir d’une page blanche est forcément un sentiment particulier. En premier lieu, cela nécessite de bien comprendre les attentes de nos dirigeants et les enjeux de cette création. Mais cela offre également une certaine liberté d’initiative dans les propositions que l’on fait.

Dans le cadre de cette création ex-nihilo, j’ai vraiment bénéficié de l’appui et de la confiance de tous les services impliqués, à commencer par ceux de la DGGN, au travers du Pôle des affaires européennes et internationales (PAEI) du cabinet du DGGN et du Commandement de la gendarmerie pour les missions extérieures (CGMEx), de la DCIS et, enfin, du MEAE, au travers de M. Antoine Anfré, notre ambassadeur au Rwanda, et de la Direction de la Coopération de sécurité et de défense (DCSD).

Sur place, il a aussi fallu nouer de très nombreux contacts afin de créer un réseau solide, en particulier avec le Procureur général du Rwanda et les magistrats du National Public Prosecution Authority (NPPA), dans le cadre des enquêtes et des procès français liés au génocide perpétré contre les Tutsis, mais aussi avec tous les acteurs, et ils sont nombreux, liés au domaine de la sécurité intérieure. Pour le Rwanda, il s’agit de la Rwanda national police (RNP), du Rwanda investigation bureau (RIB), du Rwanda correctional service (RCS), autrement dit l’administration pénitentiaire, qui dépend ici du ministère de la Justice, du Rwanda forensic laboratory (RFL), et enfin de la Direction générale de l’immigration et l’émigration (DGIE). Au Burundi, je travaille en lien avec la Police nationale du Burundi (PNB), qui traite entre autres la police judiciaire et l’immigration, et le ministère de la Justice.

Le colonel Laurent Lesaffre, ASI, au côté de Monsieur Antoine Anfré, ambassadeur de France au Rwanda. © D.R.

Votre SSI est donc compétent sur deux pays. Quels sont les enjeux dans cette région ?

La zone de compétence du SSI de Kigali s’étend en effet également au Burundi. Dans ce pays, qui partage une histoire commune avec le Rwanda, la situation est bien différente. La coopération bilatérale a été mise en sommeil à compter de 2016. Entre 2000 et 2015, la France avait été un partenaire majeur du Burundi, contribuant par exemple à la mise en place de la Brigade départementale de renseignements et d'investigations judiciaires (BDRIJ), à la création de l’Institut supérieur de police (ISP), ou encore au développement de la Police technique et scientifique (PTS). À ce titre, plusieurs Experts techniques internationaux (ETI) y ont été déployés comme formateurs. Le Burundi est aujourd’hui l’un des pays les plus pauvres au monde.

Les enjeux sont vraiment différents pour les deux pays de ma compétence. Au Burundi, il va s’agir d'appuyer les efforts de formation de la police et lui permettre de compléter ses équipements, alors qu’au Rwanda, l’objectif est de contribuer à la montée en gamme de forces qui ont un excellent niveau de base. Les deux approches sont donc totalement différentes.

Le Rwanda, où le nombre de représentations diplomatiques ne cesse d’augmenter, est considéré comme un exemple de stabilité et de « modernisme » dans la région. De nombreux dirigeants politiques internationaux s’y rendent régulièrement, et le président rwandais est également reçu partout dans le monde. À titre d’exemple, le Rwanda a reçu quinze délégations de haut rang au cours des trois derniers mois et le Président s’est déplacé dans huit pays pour assister à des réunions internationales. C’est d’ailleurs le deuxième pays organisateur de conférences internationales en Afrique, après le Cap. Il est également classé parmi les pays les moins corrompus au monde.

Il est aujourd’hui communément acquis que le Rwanda est amené à être conforté comme un acteur géopolitique essentiel en Afrique de l’Est. Y développer une coopération bilatérale a donc du sens, au-delà du rôle de notre pays dans la lutte contre l’impunité des présumés génocidaires.

Enfin, pour le réseau DCIS, l’enjeu était également d’assurer la couverture par un ASI des deux derniers pays de la zone qui n’en bénéficiaient pas. En 2021, la Tanzanie n’était pas couverte non plus, mais elle a été rattachée à l’ASI des Comores en 2022.

En qualité d’ASI, quelles sont aujourd’hui vos priorités ?

Ma priorité reste sans hésiter l’appui aux enquêtes et aux procès liés au génocide. Cette thématique est la singularité du SSI Rwanda. C’est, et cela restera pour longtemps, un axe central de la coopération. Le renouveau des relations franco-rwandaises est d’ailleurs lié à la prise en compte de ce sujet.

Il y a environ trente dossiers judiciaires ouverts en France et de nouveaux s’ouvrent régulièrement. Le Rwanda estime à 47 le nombre de génocidaires présumés qui se trouveraient sur le sol français actuellement. Si l’on considère que la moitié de ces dossiers pourraient donner lieu à des procès devant les assises de Paris, que deux procès par an pourraient être organisés et que chacun procès donnerait probablement lieu à un procès en appel, on voit bien qu’il s’agit là d’un sujet d’ampleur. D’autant que le Rwanda est le seul pays, où la France participe à tout le process, des enquêtes sur le sol rwandais, pour lesquelles des militaires sont projetés sur place, aux procès.

Ma seconde priorité est d’aboutir à la signature d’accords de coopération de sécurité intérieure avec le Rwanda et le Burundi, car il n’en existe aucun de nature formelle à ce jour. Des accords sur la thématique de l’immigration irrégulière et des réadmissions sont d’ailleurs en cours de négociation et pourraient aboutir dans les semaines ou les mois à venir.

Enfin, l’objectif général, comme pour tous les SSI du réseau de la DCIS, est de développer la coopération technique et opérationnelle avec nos partenaires des forces de sécurité intérieure.

Le colonel Lesaffre aux côtés des magistrats du Parquet national antiterroriste (PNAT) français, en mission auprès du National public prosecution authority (NPPA) du Rwanda. © D.R.

Sur la question des enquêtes et des procès français liés au génocide perpétré contre les Tutsis, vous travaillez notamment en lien étroit avec l’OCLCH et le PNAT…

C’est exact. Je fais, en quelque sorte, aussi fonction d’officier de liaison pour l’OCLCH (Office Central de Lutte contre les Crimes contre l'Humanité et les crimes de haine), qui, il ne faut pas l’oublier, militait depuis longtemps pour ouvrir un tel poste au Rwanda. Le rôle de l’office a été prépondérant dans la concrétisation de la création de ce poste. Plus indirectement, notamment à travers l’arrestation de Félicien Kabuga (considéré comme l’un des principaux financiers du génocide, NDLR) en France, le 16 mai 2020, et sa remise au MRTPIR (Mécanisme Résiduel du Tribunal Pénal International pour le Rwanda), le travail de l’OCLCH a également contribué à la bonne reprise des relations bilatérales.

Mon rôle au profit de l’OCLCH est d’appuyer les deux à trois missions annuelles effectuées au Rwanda par les enquêteurs, en particulier dans la phase de préparation. Cela leur a déjà permis de ne plus devoir envoyer de précurseurs en amont de ces missions, puis, au quotidien, je fais le relais avec les autorités rwandaises pour faciliter les déplacements.

Et en effet, je joue également un rôle d’officier de liaison au profit du pôle « crimes contre l’Humanité » du Parquet national antiterroriste (PNAT) et du pôle de l’instruction spécialisée du tribunal judiciaire de Paris. À ce titre, je gère désormais la transmission des Commissions rogatoires internationales (CRI) et des demandes d'entraide pénale internationale (DEPI) en lien avec les autorités rwandaises compétentes. Depuis mon arrivée, j’en suis à plus de trente CRI et DEPI traitées. Je m’occupe également de coordonner des confrontations par visioconférence au profit de certains juges d’instruction français.

J’appuie également le PNAT dans la préparation des procès des présumés génocidaires qui se déroulent devant la Cour d’assises de Paris, puis dans leur déroulement. En amont du procès, je suis amené à coordonner les convocations des témoins entre le National public prosecution Authority (NPPA), la plus haute autorité judiciaire au Rwanda, et le Tribunal judiciaire de Paris. Durant le procès, je coordonne les auditions en visioconférence depuis Kigali, pour les témoins qui ne sont pas amenés à se déplacer à Paris, et je joue la fonction de « police d’audience », en veillant à ce que ces auditions se passent dans des conditions optimales.

Depuis mon arrivée, j’ai ainsi déjà appuyé trois procès, et je suis actuellement dans la phase de préparation du prochain, qui débutera à Paris le 13 novembre 2023. À titre de comparaison, il n’y avait eu que deux procès avant septembre 2021, un en 2014 et un autre en 2016.

Cette affectation semble être une suite logique dans votre parcours professionnel, marqué par une forte empreinte P.J. (Police Judiciaire) et international ?

Il est vrai que depuis la fin de mon temps de commandement en compagnie, j’ai alterné les postes à l’international et en police judiciaire, ce qui me donne probablement un profil adapté pour ce poste spécifique au Rwanda. Avant cette affectation, j’ai en effet occupé le poste d’ASI en Argentine, puis j’ai commandé les Sections de recherches (S.R.) de Pau et de Lyon, toutes deux tournées vers la délinquance transfrontalière et la coopération internationale. J’avoue que c’est une réelle chance de pouvoir alterner, voire de coupler, ces deux spécificités.

Par le commandant Céline Morin.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024