Fiche du document numéro 33351

Num
33351
Date
Mardi 31 janvier 1995
Amj
Taille
29923
Titre
La France et le Rwanda à l'heure de la normalisation
Soustitre
Cinq mois après le changement de régime au Rwanda, la France rétablit pleinement ses relations diplomatiques et reprend sa coopération civile avec les nouvelles autorités de Kigali.
Nom cité
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Nom cité
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Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le ministre français de la Coopération, Bernard Debré, a annoncé hier soir «une transformation complète de notre politique envers le Rwanda». Jacques Courbin, jusqu'à présent chef d'une simple «antenne diplomatique» à Kigali, vient d'être nommé ambassadeur plénipotentiaire. A partir de mardi prochain, 85 tonnes de matériel scolaire partiront par avion au Rwanda, à titre d'aide humanitaire «posturgence». Plus important, Paris, accusé de boycotter le nouveau régime de Kigali, reprend sa coopération civile, avec un budget initial «de plus de 20 millions de francs» qui pourra «très rapidement être augmenté à 30 ou 35 millions». A titre de comparaison : l'année précédant le génocide au Rwanda, la coopération bilatérale disposait de 43 millions de francs.

«Nous n'allons pas à Canossa», a déclaré Bernard Debré, soulignant que «la France n'a pas à rougir de ce qu'elle a fait au Rwanda». Un message que le ministre précise avoir, par exemple lors de sa récente rencontre au Congo avec le président rwandais Pasteur Bizimungu, «très clairement» exprimé. «De notre part, il n'y a pas de repentir. J'ai dit aux responsables rwandais qu'il faut arrêter les critiques faciles de la France. Nous ne reprenons pas notre coopération pour nous faire vilipender dans les instances internationales.» Par ailleurs, le ministre ne cache pas «vouloir renforcer le camp des modérés» : non seulement au Rwanda mais aussi, par l'effet de vases communicants existant entre «les deux frères jumeaux aux sources du Nil», au Burundi voisin.

Une «politique lisible» à l'égard du Rwanda



Très politique, également sur le plan franco-français, Bernard Debré a souligné que son initiative était «dépourvue d'arrière-pensées». Outre le feu vert de Matignon, acquis d'avance au ministre balladurien, il a précisé agir avec l'accord de François Mitterrand qu'il a, à ce sujet, rencontré. «L'idée est d'avoir une politique lisible à l'égard du Rwanda», a-t-il expliqué, admettant que l'action de la France, dans le passé, «n'a pas toujours été bien comprise», notamment à l'étranger.

Nommé en Conseil des ministres la semaine dernière, Jacques Courbin, en qualité d'ambassadeur, est déjà reparti au Rwanda. Dans les jours à venir, l'ancien diplomate en poste à Beyrouth et, auparavant, à Nouakchott, en Mauritanie, recevra plusieurs missions d'évaluation dépêchées sur place depuis Paris. Par la suite, en attendant la réouverture d'une mission de coopération, un attaché chargé d'assurer le suivi des opérations sera envoyé à Kigali. Celui-ci coordonnera les actions entreprises, dans un premier temps, à trois niveaux : santé publique, développement rural et enseignement. «Le matériel scolaire que nous enverrons profitera à 600.000 enfants», a expliqué Bernard Debré, ajoutant : «Je n'ai pas honte de le dire : il y va, aussi, de la francophonie et, derrière elle, de l'économie.»

Au moment où la France exerce à son tour la présidence de l'Union europénne, elle tient à normaliser ses relations avec le premier pays de son «pré carré» francophone sur le continent où, malgré elle, un mouvement rebelle est arrivé au pouvoir. En réintégrant le «nouveau Rwanda», Paris compte non seulement mettre fin aux «procès d'intention» mais, aussi, stabiliser la région. Pour autant, Bernard Debré affirme ne pas se faire d'illusions : «On ne va pas se cacher derrière le petit doigt : actuellement, une bonne partie du Rwanda n'est pas contrôlée et, de part et d'autre, des exactions ont lieu.» Le retour des réfugiés hutus ­-- plus de 1 million rien qu'au Zaïre voisin­ -- paraît d'autant plus important. Fin février ou début mars, lors du sommet régional dans la capitale burundaise Bujumbura, il en sera question. Déjà, la semaine prochaine à Genève, devant les bailleurs de fonds, le gouvernement rwandais présentera son «programme de réhabilitation et de réconciliation». Le coût : plus de 4 milliards de francs.

Mise en place d'un «comité de sages»



Hier soir également, en présentant ses vœux à la presse, Bernard Debré a annoncé la mise en place d'un «comité de sages», composé d'une quinzaine de personnalités, dont plusieurs anciens locataires de la Rue Monsieur. D'ici à la fin mars, avant la présidentielle, ce comité doit proposer «une redéfinition du champ et des moyens du ministère de la Coopération». Vaste projet, à la mesure des ambitions expansionnistes de Bernard Debré qui, cependant, subira un coup de Jarnac de son prédécesseur : ces jours-ci, Michel Roussin publiera une tribune libre plaidant la transformation de la Rue Monsieur en simple ministère «délégué»...

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024