Fiche du document numéro 1133

Num
1133
Date
Mercredi 26 octobre 1988
Amj
Auteur
Fichier
Taille
136088
Titre
Rwanda - Les « refoulés » du Burundi hésitent à regagner leur pays
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La nomination d'un nouveau gouvernement composé, pour la première fois
dans l'histoire du Burundi, d'une majorité de ministres de l'ethnie
hutue (le Monde du 21 octobre) est loin d'avoir provoqué l'euphorie
parmi les populations burundaises réfugiées dans le sud du Rwanda.
« Tous ces nouveaux ministres, moi ça ne me dit rien », lâche un jeune
étudiant du camp de Katarara, un des cinq sites d'accueil mis en place
après les tueries du mois d'août à quelques kilomètres de Butare. « Vous
savez, même avant il y avait des ministres hutus dans le gouvernement :
ils servaient de caution. A chaque fois qu'il y a eu des problèmes dus à
l'injustice sociale, ces gens-là, passez-moi l'expression, n'ont rien
foutu. Ils sont restés passifs
 », ajoute-t-il avec force.

La crainte de l'armée



« Au Burundi, le gouvernement n'a pas l'importance qu'il peut avoir dans
les pays occidentaux
 », explique un autre étudiant arrivé récemment lui
aussi de Bujumbura. « Au Burundi, ce n'est pas le gouvernement qui
décide, c'est l'armée. Au mois d'août, avant que l'on envoie les soldats
dans le Nord, aucun conseil des ministres n'a été réuni. En fait, c'est
de l'état-major que l'ordre est venu.
 » Moins enfiévré mais plus brutal,
un paysan de la région de Ntega résume le sentiment collectif d'une
phrase crue : « Ces Hutus-là, pour nous ce sont des traîtres »,
martèle-t-il d'une voix lente.

La crainte numéro un, qui revient comme un leitmotiv, tient en un mot :
l'armée. L'ethnie tutsie demeure largement majoritaire tant chez les
officiers de haut rang que chez les simples soldats. C'est elle qui a
« ramené l'ordre » sur les collines. Quelle victime des massacres pourrait
l'oublier ? « On nous dit que le premier ministre est hutu, très bien.
Mais un premier ministre ça n'a pas de fusil. Qui va me défendre si les
massacres recommencent ?
 », s'exclame un réfugié.

Pour les étudiants ayant fui les campus de la capitale, les espoirs de
retour semblent plus incertains encore : ils n'ont pas même le rêve d'un
lopin de terre auquel s'accrocher. « Pendant que les tueries se
poursuivaient dans le Nord, à Bujumbura, les arrestations arbitraires se
multipliaient
 », explique l'un d'eux. « C'est un ami zairois qui m'a
prévenu. Il m'a dit : ``Tu es recherché, tu ferais mieux de faire
attention sinon c'en est fini de toi, tu vas visiter la terre...''
Alors, je suis parti.
 »

Sur les campus de Bujumbura, le pourcentage d'étudiants hutus « ne
dépasse pas les 5 %
 », expliquaient les jeunes réfugiés. La plupart
d'entre eux aimeraient obtenir une bourse afin de pouvoir continuer
leurs études à l'étranger. Mais seuls, jusqu'à ce jour, huit des
signataires de la « Lettre ouverte au président Buyoya » publiée à
Bujumbura au lendemain des massacres ont quitté l'Afrique.

Pour l'immense majorité de ceux qui restent dans les camps, l'avenir
semble incertain. Si les blessures physiques sont cicatrisées, le
traumatisme psychologique risque, lui, d'être beaucoup plus long à
effacer. « La plupart des adultes sont encore en état de choc. Avant que
ça ne passe, il faudra bien compter six mois
 », explique Michèle Guitto,
une des infirmières de l'Action internationale contre la faim (AICF) qui
travaille au camp de Katarara. Seuls, les enfants ont rapidement repris
goût à la vie. « Depuis dix ou quinze jours, j'ai remarqué qu'ils
s'étaient mis à jouer de nouveau
 », note un membre de l'organisation
Swiss Disaster.

Un fardeau



Pour le Rwanda, pays minuscule et déjà surpeuplé, la présence des
réfugiés constitue un fardeau. La densité démographique du Rwanda était
estimée, en 1986, à 283 habitants au kilomètre carré. Dans la région de
Butare où sont concentrés les cinq camps de réfugiés, la densité est
encore plus inquiétante : 391 habitants au kilomètre carré. Pas
question, dans ce contexte, que les autorités de Kigali puissent
envisager de garder trop longtemps les « refoulés » du Burundi. Selon
les résultats du recensement effectué dans la nuit du 16 au 17 octobre
par le personnel du ministère rwandais de la santé, le nombre de
réfugiés burundais serait d'ores et déjà tombé à 46240. Cette soudaine
« évaporation » ne manque pas de surprendre bien des observateurs.
N'avançait-on pas, il y a quinze jours encore, le chiffre de 63 000
réfugiés ?
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024