Citation
Partie civile dans un procès qu'il intente à l'auteur d'un
 livre-témoignage sur les exactions des militaires durant la guerre
 d'Algérie, le général Maurice Schmitt, 74 ans, a détaillé, vendredi 14
 mai, devant le tribunal correctionnel de Marseille, ses positions sur
 l'usage de la torture. « Tout au long de ma carrière, j'ai pris des
 dispositions pour que la personne humaine soit respectée », a-t-il
 affirmé. Souhaitant que l'armée n'ait plus à assumer des missions de
 recherche de renseignements dans la lutte contre le terrorisme, le
 chef d'état-major des armées de 1987 à 1991 a précisé qu '« il peut se
 trouver des cas limites où il y ait à interroger durement des
 suspects. C'est au législatif et au pouvoir exécutif de dire ce qu'il
 convient de faire, de prendre leurs responsabilités par des
 dispositions exceptionnelles. Ce n'est pas à des exécutants de prendre
 l'initiative de transgresser la loi internationale et la loi
 nationale. »
 
 
 Le général Schmitt assignait en diffamation Henri Pouillot, 66 ans, un
 ancien appelé de la guerre d'Algérie qui, dans son livre La Villa
 Susini [1] (éd. Tirésias), a décrit la violence des interrogatoires
 pratiqués sous ses yeux en 1961 et 1962 alors qu'il était caporal du
 584e bataillon du train. Le 10 octobre 2003, la 17e chambre
 correctionnelle de Paris jugeait qu'en le qualifiant de « menteur ou
 criminel » au cours d'un débat télévisé Maurice Schmitt avait diffamé
 Henri Pouillot. Trois jours plus tard, dans L'Humanité, ce dernier
 déclarait : « Je crois qu'il est important dans le combat contre la
 torture de voir condamné un haut gradé qui a dit et répété que la
 torture, demain, pourrait être encore nécessaire en France et que
 l'armée serait, dans l'avenir, obligée de se salir les mains à
 nouveau. »
 
 
 
« Faxer à Rumsfeld »
 
 Le général Schmitt estime diffamatoire cette formulation de ses écrits
 et déclarations. « Je n'ai jamais pensé ou dit que l'armée française
 pouvait être amenée à torturer à nouveau. J'ai fait, dans mes
 fonctions, ce qu'il fallait pour qu'[elle] ne soit pas amenée à ce
 genre de situation. J'ai toujours dit : jamais plus. » Le tribunal
 s'est vu remettre une fiche destinée aux 10 000 soldats français
 engagés dans la guerre du Golfe, baptisée « les Douze Commandements du
 soldat » et consignant les règles à tenir vis-à-vis des prisonniers,
 des blessés et des civils. « On devrait faxer cette fiche à Rumsfeld,
 a lancé l'avocat du militaire. Si les Américains avaient eu un général
 Schmitt, peut-être auraient-ils fait l'économie de ce qui leur
 arrive. »
 
 
 Les défenseurs d'Henri Pouillot et de L'Humanité n'ont pas dénié au
 général Schmitt son « aversion pour ceux qui prenaient plaisir à
 torturer gratuitement » , mais Mes Pierre Mairat et Richard Valeanu
 ont puisé dans son livre Alger-été 1957 et dans son témoignage au
 procès Aussaresses une justification de la « torture-nécessité ». Maurice Schmitt y déclarait : « Lorsqu'il s'agit de sauver des
 innocents qui sont dans un danger immédiat, je choisis de me salir les
 mains. Mais je récuse absolument la torture sanction. »
 
 
 Me Mairat a opposé un refus de principe : « La problématique n'est pas
 de savoir si l'on peut accepter de torturer quelqu'un pour sauver des
 innocents. Dans une démocratie, a-t-il plaidé, on ne répond pas à la
 barbarie par des actes de barbarie. » L'avocat répliquait ainsi à Me
 José Allegrini, qui, dans son intervention, avait interpellé les « agitateurs de la torture oublieux du terrorisme ». « Si vous avez
 entre vos pattes celui qui va déclencher la bombe à Saint-Michel,
 qu'est-ce que vous faites ? », avait interrogé l'avocat. Le procureur
 Olivier Redon s'est borné à constater que les propos d'Henri Pouillot
 étaient diffamatoires, en ce qu'ils travestissaient la pensée du
 général Schmitt. Cependant, « circonspect sur sa bonne foi », le
 parquet s'en est rapporté à l'appréciation du tribunal. « Quelle que
 soit la décision, elle sera bonne », a dit M. Redon. Jugement le 18
 juin.