Fiche du document numéro 2073

Num
2073
Date
Vendredi 1er juillet 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
617525
Surtitre
Paris veut passer rapidement le relais à l'ONU
Titre
Rwanda : les Français entre deux feux
Soustitre
Au fur et à mesure que les troupes du FPR se rapprochent, la population hutue est persuadée que les forces françaises vont s'interposer.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Une semaine après le déclenchement de l'opération « Turquoise » au Rwanda, la France, qui craint une dégradation de la situation, multiplie les appels à la communauté internationale et prépare activement le relais de l'ONU.

Le Canada a d'ores et déjà accepté de « déployer dans moins de deux semaines 350 Casques bleus à Kigali », a annoncé hier le commandant de la Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (Minuar), le général Dallaire. L'officier de la Minuar a rencontré hier, à Goma, le général Jean-Claude Lafourcade, commandant du dispositif français pour coordonner leur action. A Paris, le ministre de la Coopération, Michel Roussin, a estimé qu'il était urgent que « la force internationale de l'ONU soit mise en place » au Rwanda. « Nous progressons dangereusement à proximité de la ligne de front entre les forces armées rwandaises et celles du FPR » (Front patriotique rwandais), a-t-il déclaré.

Le massacre des Tutsis au Rwanda constitue en termes
légaux un « génocide », qui « semble avoir été programmé », a estimé
le rapporteur spécial de la commission des droits de l'homme de l'ONU,
René Degni-Séguy. (AFP, Reuter.)

Kibuye :
de l'un de nos envoyés spéciaux François Luizet

Les marins du commando Trepel ont installé leur poste dans la mairie de Kirambo au sommet d'une petite colline dominant le village et le camp de réfugiés où s'entasse un millier de
fugitifs. Le premier maître commandant ce détachement de solides gaillards a constaté que depuis le début de la semaine, l'exode des réfugiés était plus important. La plupart des déplacés viennent de Gitarama. Ils se sont enfuis lors de la dernière offensive menée par le FPR (Front patriotique rwandais). Elle lui a permis de s'emparer de la ville dont le gouvernement avait fait pendant quelques semaines sa capitale provisoire.

Le long de la piste poussiéreuse et interminable menant de Cyangugu à
Kibuye, des civils ont multiplié les barrages. Ils n'acceptent de
lever la barrière qu'après avoir constaté que les véhicules ne
transportent pas de Tutsis. Ces derniers, quand ils n'ont pas été
massacrés, ont disparu ou s'entassent dans les camps. Toutes les écoles des différentes paroisses traversées sont fermées. A Kilingo, le curé tutsi s'est enfui. Les vicaires hutus sont restés sur place. Ils restent de marbre quand on évoque le sort réservé aux Tutsis. L'un d'eux sourit même en jouant de l'harmonium. Près de la mairie, des jeunes endimanchés entourent une Jeep de marins.


Un peu plus loin à Gishyita, un portrait du « président François
Mitterrand
 » très saint-sulpicien a été placé près du barrage. Ceux
qui le gardent sont armés de gourdins et de machettes.

Légitime défense



Ici le mot « France » est encore un sésame. Tous ces jeunes gens
sont persuadés que les Français sont venus pour empêcher l'avance du
FPR mais le premier maître du commando Trepel a vite fait de dissiper
les illusions qu'ils pourraient nourrir: « Notre boulot est
d'assurer la sécurité du camp de réfugiés.
 »
Une autre partie du commando menée par un capitaine de frégate circule
sur les chemins les plus inaccessibles. Il s'agit de repérer les
Tutsis qui pourraient se cacher dans les forêts voisines. Ils ne
sortent de leur refuge qu'à la nuit tombée pour déterrer dans les champs des
patates douces.

Le travail des marins français et de leurs voisins les commandos de
l'air est d'autant plus délicat que chaque nuit, ils entendent des
coups de feu dans les collines voisines. Il est encore impossible de
savoir s'il s'agit d'actions ponctuelles menées par des petits
détachements du FPR qui ont réussi à s'infiltrer entre les lignes
hutues ou de la poursuite de la chasse aux Tutsis entamée il y aura
bientôt trois mois, aussitôt après l'assassinat du président rwandais
et de son homologue burundais.

Le plus dramatique est que les organisations humanitaires n'ont pas
encore pris en marche le train lancé par l'opération
« Turquoise ». Les militaires sont désemparés. Un lieutenant des
commandos de l'air dit : « Nous ne pouvons pas prendre en charge
les fugitifs. C'est aux ONG de jouer.
 »

Le problème est de savoir ce qui va se passer si la résistance des forces gouvernementales faiblit encore et si les combattants du FPR, poursuivant leur offensive, risquent le contact avec les Français. Sur le papier et dans les déclarations ministérielles (voir nos éditions du 29 juin), il n'est pas question de s'interposer entre les belligérants, mais une provocation est bien vite arrivée. Le général Lafourcade, commandant de l'opération « Turquoise », a déjà
averti que l'ouverture du feu ne pourrait intervenir qu'en cas de
« légitime défense ».

Ce n'est pas ce qu'ont compris les populations hutues de la région,
convaincues que l'avance du FPR va venir se briser sur les « forces
spéciales » françaises. Le fait est que le « COS » (Commandement des opérations spéciales)
a réuni ici les éléments d'élite de l'armée française.

Etait-ce bien nécessaire pour une opération qui se veut essentiellement humanitaire?
En réalité, il s'agit d'une manoeuvre idéale sur le terrain pour tester la capacité opérationnelle des éléments hétéroclites.

Tous ces soldats solidement armés constituent une force de dissuasion efficace mais quelques incidents montés en épingle pourraient bien précipiter le Rwanda dans un scénario de type somalien.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024