Fiche du document numéro 23639

Num
23639
Date
Dimanche 10 février 2019
Amj
Auteur
Fichier
Taille
428167
Titre
Lettre à Madame Emmanuelle Daviet, médiatrice de France Culture
Source
Type
Lettre
Langue
FR
Citation
Madame la Médiatrice,

Nous avons entendu hier sur l’antenne de France Culture une émission dont le propos nous a blessés par l’ignorance, l’arrogance et le mépris de l’invité. Au micro d’ Etienne Klein, Monsieur Ghislain de Marsily a cru que son statut de scientifique lui conférait compétence pour parler publiquement de tout, y compris du génocide des Tutsi du Rwanda. Selon lui, parce qu’ils souffraient de la faim, les Rwandais se sont entretués, les Tutsi étaient au sommet du panier, dirigeaient toute l’administration…

A lui seul, ce dernier élément montre à quel point l’homme ne sait pas de quoi il parle. Depuis plus de 30 ans, les Tutsi ne contrôlaient rien au Rwanda. Ils étaient bien au contraire exclus de tout, de l’école, de l’emploi et même du droit de vivre dans leur pays et condamnés à l’exil. Entre les multiples pogromes, les migrations forcées et les politiques des quotas, les Tutsi avaient été, depuis belle lurette, expulsés de ce qu’il appelle le panier. Ce n’est pas bien grave de ne pas savoir tout. Mais, il est malhonnête pour un scientifique de parler des choses qu’il
ignore, surtout lorsqu’il se trouve que celles-ci sont aussi graves qu’un génocide !

« S’entretuer », voilà un mot qui exprime l’intolérable déni. Nous demandons à France Culture de dire ce qu’elle a compris et ce qu’elle envisage de publier pour éclairer ses auditeurs. Dans un génocide, il y a des victimes et des bourreaux. Votre invité n’est pas dans le partage de la connaissance scientifique mais dans la promotion des clichés déjà maintes fois diffusés. Il place le génocide dans l’imagerie des sauvageries africaines.

Penser à ce qui s’est passé dans l’une ou l’autre église du Rwanda, Ntarama, Nyamata, Kibeho, Kaduha, là où des enfants, des femmes et des hommes ont été massacrés par des miliciens armés de machettes ou de massues et appuyés par des gendarmes ou des militaires armés de fusils, et dire qu’ils se sont entretués, n’est pas simplement une révision de l’histoire. C’est une mise en accusation agressive des victimes, une injure à leur mémoire, une main tendue aux bourreaux qui ont inventé cette version des faits pour justifier les forfaits commis contre des innocents
privés de tout moyen de se défendre.

Ainsi donc, poussés par la faim, les noirs s’entretuent en l’absence de toute idéologie ! Est-ce à dire que chez nous, les noirs, les estomacs parlent plus fort que les esprits ou que nous sommes tout simplement dénués d’âme ? En même temps que ce Monsieur nous insulte, il trahit les progrès de la recherche sur le monde noir !

L’injure s’est substituée à la rigueur dans une conversation qui se voulait scientifique ! L’invité a la responsabilité du propos. Certes. Mais comment se fait-il que le producteur de l’émission, un autre scientifique, donc tenu par l’éthique de la rigueur en sciences, n’ait pas réagi à cette saillie verbale ? M. Etienne Klein adhère-t-il à l’idée selon laquelle le génocide des Tutsi a résulté d’une sanglante mêlée entre les sauvages ? Nous avons besoin de le savoir.

Il est donc bien loin le temps où Emmanuel Laurentin parlait du génocide des Tutsi sur votre chaîne en donnant la parole aux rescapés et à ceux qui ont fait des recherches sur cette catastrophe ? L’approche de la 25ème
commémoration du génocide des Tutsi serait-elle à l’origine de cette incroyable régression ?

Bien cordialement,

Marcel Kabanda, Président Ibuka France

Par délégation, le Secrétaire Général
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