Fiche du document numéro 23951

Num
23951
Date
Mardi 21 avril 1998
Amj
Auteur
Fichier
Taille
117860
Surtitre
Quand deux pistes différentes se recoupent sur le déclenchement du génocide rwandais
Titre
L'attentat contre Habyarimana : un détour par la Belgique
Mot-clé
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Malgré l'absence de toute enquête internationale, les informations
commencent à se multiplier à propos de l'attentat contre l'avion du
président Habyarimana qui, le 6 avril 1994, a fait basculer le Rwanda
dans la tragédie. C'est ainsi que Christian Tavernier, connu pour
avoir été le chef (belge) des mercenaires à Kisangani en 1997, mais
qui fut durant longtemps membre du Conseil national de sécurité de
Mobutu, affirme que les missiles qui furent utilisés lors de
l'attentat avaient transité... par la Belgique!

Cette conviction, Tavernier la tient d'une enquête qui aurait été
effectuée au Zaïre par le Sarm (Service d'action et de renseignements
militaires) à la demande du président Mobutu. Il apparaît qu'un
marchand d'armes bien connu en Afrique centrale, M. H., aurait
acheminé quatre missiles sol-air sur Goma, en passant par Ostende.
Depuis longtemps en relations d'affaires avec les autorités zaïroises,
H. aurait obtenu l'aide de l'ambassade du Zaïre à Bruxelles, qui lui
aurait prêté le garage situé rue Marie de Bourgogne pour entreposer
les caisses contenant les missiles et fourni les certificats
d'utilisateur final!

Commanditaires



Toujours selon Tavernier, les missiles, arrivés à Goma, auraient été
réceptionnés par une équipe s'ex-pri-mant en hébreu, une langue qui
aurait été identifiée par des membres de la Division spéciale
présidentielle entraînés en Israël.

Ici s'arrête la piste de Tavernier qui précise qu'à l'époque de
l'enquête, le président Mobutu imposa le silence pour cacher des faits
impliquant des membres de son entourage.

Si elle devait se confirmer, l'implication de H. ouvrirait plusieurs
perspectives. L'intermédiaire, d'origine burundaise, dispose de
relations multiples: il a soutenu des milices privées à Bujumbura et
approvisionné le président ougandais Museveni; il connaît
personnellement le vice-président du Rwanda Paul Kagame et il était
très bien introduit auprès du président Mobutu, ayant fait affaire
avec son fils Kongolo, ainsi qu'avec les généraux Nzimbi et Baramoto.
En outre, c'est le conseiller spécial de Mobutu, Mokolo wa Pombo, qui
introduisit H. à l'Elysée, ce qui permit à ce dernier, en une
occasion au moins, de présenter à Paris un représentant du Front
patriotique rwandais (FPR, l'ex-rébellion aujourd'hui au pouvoir à
Kigali)... Nombreux sont donc les commanditaires qui ont pu recourir
aux bons offices du fournissant. Le transit par la Belgique n'exclut
donc pas que les missiles SAM, d'origine soviétique et saisis en Irak,
soient venus de France, qu'ils aient été mis à la disposition des
extrémistes hutus et utilisés par des spécialistes étrangers.
Il est aussi possible que le FPR ait été mis au courant du projet
d'attentat, ce qui expliquerait pourquoi il ne s'est jamais soucié de
mener une enquête éclaircissant les diverses responsabilités!

Bruxelles, on savait aussi



Les informations de Christian Tavernier auraient pu n'être qu'une
pièce supplémentaire à verser au dossier, sertie de quelques points
d'interrogation, si elles ne recoupaient une note des Services de
renseignement belges (SGR) datée du 22 avril 1994. Selon l'un des
informateurs du SGR, les missiles venaient de France; ils ont été
stockés à l'ambassade du Zaïre à Bruxelles et, accompagnés par le fils
du président Mobutu, ils sont partis en avion d'Ostende.

La source du SGR ajoute qu'un attentat est prévu contre Etienne
Tshisekedi, le leader de l'opposition zaïroise (et aujourd'hui
congolaise), à la date du 24 avril, à l'occasion d'une manifestation
(manifestation qui sera d'ailleurs annulée in extremis).

A l'époque, cette note, cependant dûment communiquée à tous les
départements concernés (Affaires étrangères, Défense, état-major,
Sûreté de l'Etat, Palais royal), ne suscite aucune réaction et...
finit par s'égarer! A la Sûreté de l'Etat, le fonctionnaire chargé des
affaires africaines assure jusqu'à aujourd'hui qu'il s'agit d'une
information très discutable, qui ne méritait pas d'être relevée et
qu'il était matériellement impossible de stocker des missiles dans le
garage de l'ambassade du Zaïre.

Il faudra attendre décembre 1994 pour que Mme Véronique Paulus de
Châtelet, qui vient d'être nommée à la tête du Comité R (chargé du
contrôle des services de renseignement), reçoive une copie de cette
note secrète et s'inquiète de sa disparition. Elle découvre alors que
personne n'a sérieusement analysé les informations contenues dans ce
document malgré leur importance. Cette affaire suscitera d'ailleurs
une sérieuse tension entre le responsable de la Sûreté de l'Etat de
l'époque, Bart van Lijsebeth, et la présidente du Comité R (voir Le
Soir
du 26 octobre 1995).

Au fil de la guerre des polices qui s'en suit, d'autres précisions
devaient émerger, tenues secrètes à l'époque. Selon l'informateur du
SGR, l'attentat aurait été un coup monté par le président Mobutu, et
les missiles, achetés en France, auraient été acheminés en camion sur
Ostende puis envoyés par vol cargo (probablement par la compagnie
Scibe) vers Kinshasa puis Goma. Au Kivu, les missiles auraient été
réceptionnés par la Division spéciale présidentielle et mis en place à
Kigali début avril.

Un témoin indépendant, connu par le SGR (et par nous-mêmes), affirme
d'ailleurs avoir vu passer dans la ville rwandaise de Gisenyi, le 4
avril 1994, deux camions bâchés venant de Goma et accompagnés par la
garde présidentielle rwandaise, véhicules qui auraient pu transporter
les missiles.

L'informateur du SGR ne précisant pas pourquoi le président Mobutu
aurait approuvé un attentat contre son ami Habyarimana, on en est
réduit aux supputations: on sait que le chef de l'Etat zaïrois, qui
résistait à la démocratisation des institutions de son pays, craignait
l'exemple des élections démocratiques qui avaient eu lieu au Burundi
en 1993 et désapprouvait les accords d'Arusha au Rwanda. En acceptant
finalement le partage du pouvoir, le président Habyarimana, soumis à
une forte pression internationale, prenait le risque de se couper à la
fois des durs de son entourage, peu soucieux de partager leurs
privilèges, et de mécontenter un Mobutu qui n'entendait pas demeurer
le seul mauvais élève.

On sait aussi qu'attendu au sommet régional de Dar es Salam, qui fut
le dernier voyage d'Habyarimana, le président Mobutu avait déclaré
forfait en dernière minute...

COLETTE BRAECKMAN
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024