Fiche du document numéro 2660

Num
2660
Date
Jeudi 9 mars 1995
Amj
Auteur
Fichier
Taille
142468
Titre
Paul Barril : capitaine multicarte
Soustitre
Ex-héros du GIGN, il a quitté la cellule de l'Elysée après l'affaire des Irlandais de Vincennes. Depuis, ce proche de Pasqua prospère dans la sécurité privée et les barbouzeries.
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
CÔTÉ VITRINE, la vie de Paul Barril, 48 ans,
n'est qu'une succession de missions secrètes, de manchettes de karaté,
de sauts en parachute et de tirs de précision. On le trouve aux côtés
de l'émir du Qatar à Cannes, en protection rapprochée lors de ses
vacances sur la Côte d'Azur. On le croise en serviteur musclé de chefs
d'Etat africains. On le voit voler au secours de Me Jacques Vergès,
après le déballage d'archives de la Stasi est-allemande liées à
Carlos, et jurer la main sur le coeur avoir été mandaté pour
assassiner l'avocat. On le découvre en défenseur de la veuve du
président rwandais Juvénal Habyarimana, partir à l'assaut des médias
avec la « boîte noire » du Falcon 50, qui transportait le dictateur hutu
lorsqu'il fut abattu en vol le 6 avril 1994 à Kigali. Une fausse
« crash box » qui s'est avérée être un vulgaire instrument de
navigation.

Les mensonges du capitaine passent, sans laisser de traces
apparentes. Que voulez-vous dire à un gendarme aux yeux bleus qui,
« pour l'honneur de la France », a tombé l'uniforme de numéro deux du
GIGN pour se hisser au rang des héros nationaux? Ses exploits
remontent aux années 1970, au sauvetage des enfants dans un car
détourné à Djibouti et à la « libération » de la grande mosquée de La
Mecque occupée par des insurgés en 1979. Sur ordre du président
Giscard d'Estaing, le capitaine Barril a dégagé du lieu saint de
l'Islam les opposants à la famille royale saoudienne et les milliers
d'otages. Un massacre pour sauver le trône de Riyad. En octobre 1981,
il a bien commis une petite bavure en donnant à son copain de régiment
Philippe Léonard, arrêté pour trafic d'armes, des détonateurs
« prélevés sur sa réserve personnelle de l'expédition de La Mecque »,
a-t-il juré au juge antiterroriste Gilles Boulouque (aujourd'hui
décédé), et « destinés à creuser des trous pour une fosse de
ball-trap ». La justice a passé l'éponge.

Dans le sillage du « grand » commandant Prouteau, chef du GIGN, le
« petit » Barril se retrouve en août 1982 à la cellule antiterroriste de
l'Elysée, créée en catastrophe par François Mitterrand, qui n'a pas
confiance dans la police, au lendemain de l'attentat de la rue des
Rosiers (six morts et 22 blessés). Toujours prompt à servir son pays,
le capitaine s'illustre dès le 28 août avec l'arrestation de
terroristes présumés, trois Irlandais habitant Vincennes. Mais
« Popaul » ­ pour ses amis ­ veut tellement bien faire qu'il apporte
lui-même au domicile de Michaël Plunkett les pièces à conviction,
armes, explosifs et documents. Ce haut fait d'armes n'empêche pas Paul
Barril d'être mandaté par l'Elysée pour mener des négociations
secrètes avec Action directe et le Front de libération nationale de la
Corse (FLNC). En juillet 1983, le voilà quand même contraint de
quitter la cellule.

Il monte alors une société de sécurité privée au nom évocateur,
Secrets. A jouer de ses relations avec l'Elysée - Christian Prouteau à
la cellule et François de Grossouvre dans l'entourage direct du
Président -, il décroche de beaux contrats de gardiennage, avec la
chaîne de distribution Casino et même la sécurité du centre
informatique de Marcel Dassault à Saint-Cloud. Mais l'affaire étouffée
des Irlandais de Vincennes se réveille en janvier 1985: Bernard Jégat,
l'indic à l'origine du tuyau sur les terroristes, en balance les
dessous à la DST (le contre-espionnage), puis au juge Alain Verleene
huit mois plus tard. Là encore, le parquet classe sans suite. Derrière
l'invulnérabilité du capitaine, ses adversaires voient alors le tas de
petits ou grands secrets qu'il a amassés dans sa musette au contact
des hommes d'Etat.

Entre les mailles de la justice. Finalement, le procès de la
perquisition truquée chez les Irlandais aura lieu en juin 1991, sans
Paul Barril. Mais Christian Prouteau, désormais préfet, et le
lieutenant-colonel de gendarmerie Jean-Michel Beau seront condamnés
pour « subornation de témoins », pour avoir « couvert » l'opération et
« menti » à la justice. Prouteau sera finalement relaxé en appel.
Les affaires de « Popaul » dans le privé prospèrent en Afrique, au
Proche-Orient et en France. Mais Paul Barril a un motif de grosse
colère, voire de guerre. Il est furieux de la manière dont son associé
Pierre-Yves Gilleron, ex-commissaire de la DST en poste cinq ans à la
cellule élyséenne, prend ses cliques et ses claques en octobre
1988. Et parce que, dans la foulée, la société Yves Saint Laurent,
dirigé par Pierre Bergé, dénonce le contrat de gardiennage avec
Secrets. Sa colère culmine quand Gilleron crée en janvier 1990 une
entreprise concurrente, Iris Analyse.

Et voilà que la vieille affaire des Irlandais, dont Barril se croyait
désormais à l'abri, est brusquement exhumée le 3 août 1992 sur une
plainte des Irlandais pour « attentat à la liberté ». Autre coup dur, le
capitaine perd le 17 septembre suivant son procès en diffamation
contre le Monde, pour un article sur la manip' de Vincennes. Fait
rarissime dans un jugement en diffamation, le tribunal de Paris estime
alors que le journaliste a apporté la preuve de ses écrits et se
prononce sur le fond en désignant le coupable: « L'opération des
Irlandais n'a été de bout en bout qu'un montage réalisé par le
capitaine Barril ».

Pendant ce temps, son ennemi juré, Pierre-Yves Gilleron, commence à
chasser sur « son » terrain de chasse, au Congo, chez le président de la
République Pascal Lissouba, dont il devient le conseiller en sécurité
en janvier 1993. Un mois plus tard, Paul Barril « distribue » des
documents confidentiels sur Edwy, des écoutes dont le nom de
l'agent-traitant sur le document est « PYVES » et se vante dans ses
coups de fil captés par la DGSE: « Le p'tit blond (Gilleron, ndlr),
j'ai de quoi le carboniser. »

A deux mois des législatives de 1993, qui salueront le retour de son
ami Charles Pasqua au ministère de l'Intérieur, la bombe des écoutes
de la cellule élyséenne explose. Depuis, Paul Barril a retrouvé ses
entrées à l'Intérieur et des coups de pouce pour des marchés en
Afrique, notamment en Centrafrique. Il n'hésite jamais à dire du bien
des « amis » qu'il compte au gouvernement. Dans la dernière Lettre de la
sécurité du capitaine Barril, il écrit au sujet de la prise d'otages
de l'Airbus d'Air France: « Le GIGN a réalisé, encore une fois, sous
l'impulsion d'Edouard Balladur et de la poigne de fer de Charles
Pasqua, un courageux exploit remplissant de fierté chaque Français. » -
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