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MONDE Le 30 septembre à 0h00
 Qui défend l'honneur de la France au Rwanda ?
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 Par DOMINIQUE FRANCHE Géographe et historien
 
 La récente visite du président rwandais, Paul Kagame, a donné lieu à
 des propos haineux à l'encontre d'un pays qui salirait l'armée et les
 autorités françaises, accusées de complicité de génocide, et de
 Français qui s'interrogent. Pauvre France ! 
 
 En 1998, aux questions insistantes concernant son rôle, on opposa un
 écran de fumée. Tel fut le rôle de la mission d'information
 parlementaire sur la «tragédie rwandaise». Pas une commission
 d'enquête, difficile à contrôler. Pas un génocide, une «tragédie». 
 La mission a laissé dire les protagonistes convoqués sans les
 contredire, à la différence de la commission sénatoriale belge. Alain
 Juppé a ainsi pu déclarer, contre toute évidence, que l'armée
 française avait sauvé «des centaines de milliers de vies». Certes, le
 rapport et ses annexes ont apporté des éléments nouveaux. Des os à
 ronger jetés aux rares gens intéressés. Mais qui lirait 1 854 pages ?
 En revanche, Paul Quilès, président de la mission, en a présenté un
 résumé édulcoré au journal de 20 heures. L'occasion d'établir les
 responsabilités a été sabotée. 
 
 Parmi bien des points non résolus figure le massacre de Bisesero. Avec
 un autre chercheur, j'ai rencontré, après la fin des travaux de la
 mission, Pierre Brana, un des rapporteurs. Agacé par ses propos
 lénifiants, j'ai finalement soulevé la question de Bisesero. A
 l'évocation de ce nom, il m'a longuement foudroyé du regard. J'avais
 dit un gros mot. 
 
 Située dans la «zone humanitaire sûre» de l'opération Turquoise, cette
 colline hébergeait des milliers de Tutsi pourchassés. Fin juin 1994,
 le délai entre la parution de l'information et le sauvetage des
 dernières centaines de survivants par des militaires français m'avait
 frappé. En fait, selon le témoignage de l'un d'eux, diffusé en 2005
 sur France Culture, nos soldats ont dû désobéir à leurs officiers pour
 sauver ces vies ! 
 
 Plus inquiétantes encore, les manoeuvres d'enfumage autour de
 l'étincelle qui déclenche le génocide : la destruction de l'avion
 présidentiel. On ne sait toujours pas qui a ordonné l'attentat. En un
 sens, peu importe, le génocide étant prêt depuis des mois. Mais les
 négationnistes l'ont constamment utilisé en attribuant sa
 responsabilité à Kagame - hypothèse à considérer, même si celle des
 extrémistes hutus semble plus plausible. 
 
 Or, plusieurs manipulations ont entouré la boîte noire du Falcon
 présidentiel, comme si elle pouvait apporter quoi que ce fût. En juin
 1994, le capitaine Barril en exhibe une fausse. Plus tard, on en
 retrouve à l'ONU une autre, qui va s'avérer être celle d'un Concorde :
 qui a pris la peine de l'apporter sur le lieu du crash, où seuls ont
 accédé des militaires hutus et français ? Le rapport de la mission
 parlementaire a aussi noté une tentative de désinformation concernant
 l'origine des missiles utilisés. S'ajoute à cela l'instruction de
 Jean-Louis Bruguière, juge de la raison d'Etat, aujourd'hui mis en
 examen dans l'affaire Karachi, qui conclut en 2006 à la responsabilité
 de Kagame sans avoir mené une enquête digne de ce nom. 
 On finit par se demander si la thèse de la journaliste Colette
 Braeckman, qui attribue les tirs à des militaires ou à des mercenaires
 français agissant pour les extrémistes hutus, aussi ahurissante
 qu'elle semble, ne serait pas la bonne. D'autant plus que, grâce
 notamment au peu de curiosité du juge Bruguière, on ne sait toujours
 pas ce que faisaient exactement au Rwanda en avril 1994 Barril et 24
 coopérants militaires français - selon Quilès, nos soldats n'étaient
 plus présents. 
 
 Si nos militaires n'ont pas directement participé au génocide, des
 faits doivent néanmoins être rappelés. En octobre 1990, les forces
 essentiellement tutsies du Front patriotique rwandais (FPR)
 envahissent le nord-est du Rwanda pour obtenir le droit au retour des
 réfugiés chassés par vagues successives de 1959 à 1973. François
 Mitterrand décide d'envoyer des troupes. Sans cette intervention, il
 n'y aurait pas eu de génocide, car elle a donné aux radicaux hutus le
 temps de le préparer. Nos soldats équipent et entraînent l'armée
 hutue, en particulier la garde présidentielle, mais aussi des milices,
 alors que sont commis les premiers actes de génocide. 
 
 Le soir du 6 avril 1994, le gouvernement génocidaire est formé à
 l'ambassade de France, et deux ministres vont être reçus en plein
 génocide au Quai d'Orsay. En revanche, les employés tutsis de notre
 ambassade sont abandonnés aux tueurs ; un seul a la vie sauve, grâce
 aux soldats belges. Des livraisons d'armes, payées par la BNP-Paris,
 continuent. Fin juin, alors que la victoire du FPR met fin au
 génocide, l'opération Turquoise crée la zone humanitaire sûre. Sûre
 pour les génocidaires, qui y continuent les massacres avant de fuir au
 Zaïre, puis sous d'autres latitudes. Alors que plusieurs d'entre eux
 ont été condamnés par les tribunaux de différents pays, aucun de ceux
 qui se trouvent en France n'a encore été jugé, ce qui a valu à la
 France une condamnation de la Cour européenne. Complicité de la France
 ? Non. Ne sont accusés que quelques dizaines d'officiers et de civils
 proches, en général, de Mitterrand. C'est justement dans l'espoir
 d'échapper à leurs responsabilités qu'eux et leurs amis brandissent
 l'étendard. Ne soyez pas leurs dupes ! 
 
 Dernier ouvrage :«Généalogie du génocide rwandais».