Fiche du document numéro 2826

Num
2826
Date
Vendredi 6 mai 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
19027
Titre
Massacres au Rwanda : le fond de l'horreur
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Des morts par centaine de milliers, des nuées de déplacés et
de réfugiés affamés, malades: l'« horrible génocide » se poursuit. Alors
que les plus violents duels d'artillerie depuis un mois faisaient rage
hier et ce matin à Kigali et que l'aéroport était fermé, à la suite de
tirs non identifiés contre un appareil militaire canadien, chaque jour
apporte son lot d'informations sur de nouvelles tueries au Rwanda:
massacres de civils, nouveaux charniers découverts dans des villages,
amoncellements de corps le long des routes parcourues par les quelques
travailleurs d'organisations humanitaires toujours en action. Si cela
se confirme, les massacres du Rwanda prendront les proportions d'un
horrible génocide, a averti l'organisation britannique Oxfam, pour qui
les tueries rwandaises pourraient être les plus graves dans le monde
depuis celles du Cambodge, qui avaient fait plus d'un million de morts
à la fin des années 70. On avançait jusqu'ici le chiffre de 100.000
victimes mais, selon les Nations unies, le bilan est actuellement de
200.000 morts. Et, d'après le directeur d'Oxfam, David Bryer, près de
500.000 personnes, en majorité des Tutsis, auraient été massacrées...
Chiffres énormes, évidemment difficiles à vérifier dans le chaos
actuel, mais encore plus atroces quand on les met en rapport avec la
population totale du Rwanda qui, il n'y a pas si longtemps, comptait
un peu plus de 7 millions d'habitants - à peine moins qu'en
Belgique...

Selon l'organisation de secours international Caritas, les
massacres continuent, même s'il y a une certaine accalmie, peut-être
due au fait que les cibles principales ont déjà été éliminées. Le
gouvernement ne contrôle en tous cas nullement la situation. Alors
qu'à Gitarama, Byumba, Nyundo et Kibungo, des dizaines de milliers de
personnes déplacées et de réfugiés ont un gigantesque besoin de
secours, une ville comme Gikongoro ne compte pas de regroupements de
déplacés, car les tueries y ont été systématiques...

L'envoyé spécial
de « L'Humanité » a de son côté rencontré Mgr Rubwejango, évêque de
Kibungo, près de la frontière tanzanienne, qui lui a raconté ce qui
s'est passé dans les jours qui ont précédé l'arrivée des forces du
FPR: A l'évêché, nous avions 800 réfugiés. Le 15 avril, ils ont été
massacrés sous mes yeux. Au fusil, au gourdin... Deux jours après, les
camions sont arrivés pour emmener les corps. Pendant qu'ils
dégageaient les cadavres, ils trouvaient des survivants. Parfois
ceux-ci étaient achevés, parfois non... Les massacres ont duré
jusqu'au 22 avril au matin. Ce jour-là, le FPR est arrivé. Il n'y a
pas eu de massacres qu'à Kibungo: à Zaza, un millier de personnes
tuées en deux jours; à Rwamagana, 700 réfugiés assassinés dans une
école; à Dabarondo, environ 1.200...

Face à cette macabre litanie, les
appels au secours se sont multipliés cette semaine: Amnesty
International réclame une action exceptionnelle de l'ONU au Rwanda et
au Burundi, sous la forme d'une mission d'enquête sur les exécutions
sommaires, les disparitions, la torture, la violence contre les femmes
et les déplacements de personnes. Évoquant le récent massacre de 21
petits orphelins, qui dépasse toutes les limites, le directeur général
de l'Unicef a imploré les parties au conflit d'épargner les enfants.

La FAO (Organisation pour l'alimentation et l'agriculture) a de son
côté lancé un appel pour qu'une aide alimentaire d'urgence soit
envoyée au Rwanda pour éviter une hécatombe supplémentaire parmi les
réfugiés et les personnes déplacées qu'elle évalue à deux millions. A
la frontière du Rwanda et de la Tanzanie, 250.000 réfugiés, dont une
moitié d'enfants, qui ont fui les massacres, dépendent entièrement des
organisations humanitaires. Selon le Haut Commissariat aux réfugiés,
les pluies torrentielles qui se sont abattues sur la région ces
jours-ci risquent de provoquer des épidémies. Car, malgré la pluie et
la présence d'une rivière à côté du camp, raconte l'envoyé spécial de
Reuter, la pénurie d'eau devient dramatique. Les réfugiés ne peuvent
pas boire l'eau de l'Akagera, qui marque la frontière, car elle
charrie les cadavres des victimes des massacres perpétrés depuis un
mois au Rwanda.

La Belgique a décidé hier d'affecter 100 millions de
FB à l'aide d'urgence aux réfugiés rwandais, via les organisations
actives sur place, principalement la Croix-Rouge et Médecins sans
frontières. Le seul véritable espoir serait de voir les parties au
conflit cesser les combats. Peut-on attendre ce résultat du
cessez-le-feu conclu hier soir en Tanzanie - pour samedi - entre le
gouvernement rwandais, qui a signé un document en ce sens, et le Front
patriotique, qui n'a pas signé mais s'est engagé verbalement?

VÉRONIQUE KIESEL
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