Fiche du document numéro 30495

Num
30495
Date
Lundi 1er août 2022
Amj
Auteur
Fichier
Taille
157227
Titre
RD Congo : la grave crise de confiance entre Kinshasa et la Monusco
Soustitre
Deux personnes ont été tuées dimanche lorsque des Casques bleus ont ouvert le feu sur un poste frontalier avec l’Ouganda, dans l’est troublé de la RDC, où des manifestations anti-ONU ont secoué la région la semaine dernière. L’incident a été qualifié de grave par le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres.
Nom cité
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M23
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Parmi les griefs, celui que les Casques bleus originaires du Bangladesh et du Pakistan ont conjugué le prosélytisme et les actions sociales: l’islam a progressé dans des régions où les catholiques étaient majoritaires.


Colette Braeckman Journaliste au service Monde Colette Braeckman Publié le 1/08/2022


Les réunions de haut niveau se succèdent à Kinshasa, où, dès le départ pour l’Est du secrétaire général adjoint de l’ONU Jean-Pierre Lacroix chargé des opérations de paix, on attend le secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken. Au cœur des rencontres : les manifestations violentes qui se sont déroulées à Goma, Butembo, Uvira, visant les installations et les contingents de la Monusco et qui se sont soldées par le décès de trois Casques bleus et d’une quinzaine de Congolais tandis que des installations onusiennes ont été pillées, y compris par des militaires nationaux. Dimanche de nouveaux incidents ont éclaté sur la frontière ougandaise à Kasindi, faisant deux morts du côté congolais.

Les entretiens du chef de l’Etat avec ses visiteurs ont été qualifiés de « francs », ce qui est sans doute un euphémisme. En effet, l’ONU ne décolère pas depuis que le président du Sénat Modeste Bahati, deuxième personnage de l’Etat a demandé publiquement le retrait de la force onusienne, présente en RDC depuis 22 ans et New York a rappelé que, selon les conventions internationales, il appartient au pays hôte de protéger le personnel et les installations de l’ONU.

L’exaspération est réciproque : si l’ONU s’inquiète de l’ingratitude du Congo et se demande si on n’assiste pas à un prélude annonçant le recours à d’autres intervenants (chacun songe aux mercenaires russes de la société Wagner déjà présents en Centrafrique et au Mali) les Congolais, quel que soit leur niveau, ne cachent pas leur mécontentement. A Bukavu, un défenseur des droits de l’homme soupçonne Kinshasa de souhaiter à la fois le départ de la Monusco, l’intervention des Russes et… un délai permettant de ne pas organiser les élections d’ici fin 2023 : « dans la capitale, d’aucuns rêvent déjà de Poutine… »


130 groupes rebelles !



Les explications d’un Congolais ayant longtemps travaillé au sein de la Monusco sont plus prosaïques : « C’est le ras-le-bol… Lorsque, voici 22 ans, les Casques bleus sont arrivés au Sud Kivu, la province comptait quatre groupes armés rebelles, ils sont plus de 60 aujourd’hui et dans tout l’Est du Congo, on en dénombre plus que 130 ! Chacun a vu des groupes de rebelles passer devant les bases onusiennes et se diriger vers un village pour l’attaquer, sans être inquiété le moins du monde. Comment avoir confiance quand les Casques bleus ne réagissent pas aux massacres et se contentent d’envoyer des rapports à New York ? »

Observateur de l’intérieur, notre interlocuteur dénonce aussi le fait que la Monusco n’engagerait que trop peu de personnel local, du moins à un certain niveau : « les expatriés forment de 94 à 97 % des effectifs, au niveau supérieur ; il n’y a pas de conseillers congolais et le niveau de salaire des étrangers suscite évidemment bien des jalousies. Ils louent des villas le long du lac Kivu à raison de 7 à 8.000 euros par mois, disposent de véhicules, de radios alors qu’au front nos militaires souffrent de la faim. » Notre interlocuteur ne relève cependant pas le fait que les officiers congolais, pour améliorer leur ordinaire, font eux-mêmes du commerce avec les groupes armés quand ils ne détournent pas les soldes de leurs soldats, et il oublie de dire que si la Monusco ne se bat pas, elle rend des services aux Forces armées congolaises, comme celui de transporter les vivres et les munitions et de rédiger de nombreux rapports sur les opérations militaires, les violations des droits de l’homme, la situation sanitaire, etc.

A ces griefs « opérationnels », à ces difficultés de communication s’ajoute le fait que les Casques bleus originaires du Bangladesh et du Pakistan – présents en RDC depuis deux décennies car les Européens ne voulaient plus envoyer de militaires dans les Grands Lacs – ont conjugué le prosélytisme et les actions sociales : les mosquées se sont multipliées dans les villages jalonnant les rives du lac Kivu, dans des régions où les catholiques étaient majoritaires, des bourses d’étude ont été accordées aux jeunes désireux d’étudier à l’étranger, les menant au Pakistan, dans les Etats du Golfe et en Arabie Saoudite. « Au retour, on les retrouve dans les quartiers populaires, la barbe teinte en rouge, devenus prêcheurs à leur tour » nous assure un défenseur des droits de l’homme tandis que le journaliste Nicaise Kibel Om Bel souligne depuis des années cette progression de l’islam, dénonce les soutiens locaux dont bénéficient les milices islamistes des ADF dans l’Ituri et l’existence de camps d’entraînement dans le parc des Virunga.

De nouveaux intervenants



Au-delà de ces reproches récurrents et de la tentation de congédier la Monusco, c’est la reprise des hostilités par le M23 qui a mis le feu aux poudres : les brigades onusiennes se sont déclarées impuissantes à barrer la route à quelque 500 rebelles qui occupent le poste frontière de Bunagana, proche de l’Ouganda et ont commencé à mettre en place des administrations parallèles dans les zones occupées. Ayant été obligé de se replier en Ouganda voici dix ans à la suite d’une offensive conjointe des FARDC et de la Monusco, le M23 dénonce la non-application des accords qui prévoyaient la réintégration de ses combattants au sein de l’armée et leur amnistie. Du côté congolais, on rappelle que ces accords, signés sous la contrainte internationale, revenaient, une fois de plus, à intégrer au sein de l’armée des hommes considérés comme des relais de l’influence rwandaise. A nouveau, le rôle de Kigali a mené à des manifestations et des actes d’hostilité contre des citoyens congolais d’origine tutsi.

Dans ce climat de tension et d’impuissance, non seulement Kinshasa est en délicatesse avec la Monusco, mais a tendance à « africaniser » le conflit, ayant autorisé le déploiement d’une nouvelle force régionale, composée de soldats appartenant à des pays membres de l’East African Community, dont des militaires kényans et tanzaniens, tandis que les Rwandais ont été exclus du dispositif et que l’armée burundaise opère déjà dans le Sud Kivu, poursuivant ses propres groupes rebelles… Est-il nécessaire de souligner que tous ces nouveaux intervenants, eux aussi fascinés par des ressources minières et peu désireux de se sacrifier pour les Congolais, ne seront peut-être pas plus efficaces que leurs prédécesseurs et risquent de brouiller les cartes davantage encore…
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