Fiche du document numéro 31522

Num
31522
Date
Jeudi 17 décembre 1998
Amj
Fichier
Taille
44795
Urlorg
Titre
L'opération « Noroît » [Extraits du rapport de la MIP]
Soustitre
L'ATTAQUE du FPR [Front patriotique rwandais, le 1er octobre 1990, va déclencher l'opération « Noroît » et modifier très sensiblement les caractéristiques de la présence militaire française au Rwanda.
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MIP
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation

Motifs et modalités



LORS de son audition devant la Mission, le général Maurice Schmitt, en sa qualité d'ancien chef d'état-major des armées, a précisé les conditions dans lesquelles la décision d'envoyer des troupes françaises au Rwanda avait été prise le 4 octobre par le président de la République, afin de protéger les ressortissants français.

Il a rapporté plus précisément que lui-même avait accompagné, le 3 octobre 1990, le président François Mitterrand, Jean-Pierre Chevènement, Roland Dumas et Hubert Védrine, ainsi que l'amiral Jacques Lanxade dans un voyage au Moyen-Orient : « Le 4 octobre, après une nuit à Abou Dhabi, l'ensemble de la délégation est arrivé à Djeddah où elle était reçue à déjeuner par le roi Fahd. Peu avant, deux messages sont arrivés, en provenance respectivement de l'Elysée et de l'état-major des armées. Ces messages précisaient que des risques graves d'exactions existaient à Kigali et que le président Juvénal Habyarimana demandait l'intervention de l'armée française. Un conseil de défense restreint, très bref, s'est tenu sur l'heure à Riyad, sous la présidence du président de la République, à la suite duquel l'ordre a été donné d'envoyer au plus vite deux compagnies à Kigali, avec la mission de protéger les Européens, les installations françaises et de contrôler l'aérodrome afin d'assurer l'évacuation des Français et étrangers qui le demandaient. Ces troupes ne devaient en aucun cas se mêler des questions de maintien de l'ordre qui étaient du ressort du gouvernement rwandais (...). »

Il est demandé aux compagnies « Noroît » « d'adopter une attitude discrète » car il ne saurait être créé « le sentiment de notre engagement aux côtés des FAR. » (...)

Les autres composantes de la présence française



Entre le 11 octobre 1990 et le 26 novembre 1990, le colonel Gilbert Canovas est nommé comme adjoint de l'attaché de défense, chargé de conseiller l'état-major des FAR.

L'offensive du FPR lancée le 1er octobre 1990 a mis en évidence les faiblesses de l'armée rwandaise que l'attaché de défense, le colonel René Galinié, juge ainsi dans un télégramme date du 11 octobre : « L'armée rwandaise n'est pas en mesure de faire face à la situation. »

L'appréciation de la situation par les représentants de la France sur place



A la veille de la première offensive du Front patriotique rwandais, le 1er octobre 1990, la coopération militaire française au Rwanda comptait, conformément à l'accord particulier d'assistance militaire de 1975, une vingtaine d'assistants militaires techniques relevant de la mission militaire de coopération. (...)

La permanence de cette structure et la présence sur le terrain avant l'offensive du 1er octobre 1990 du colonel René Galinié en fait un observateur privilégié. Il juge avec inquiétude et pertinence la situation politique rwandaise dans les nombreux messages qu'il envoie en tant qu'attaché de défense.

Le 15 octobre 1990 : « Certains Tutsis (...) pensent enfin qu'il convient de craindre un génocide si les forces européennes (françaises et belges) se retirent trop tôt et ne l'interdisent pas, ne serait-ce que par leur seule présence. » (...)

Le 24 octobre 1990 : « Les autorités gouvernementales ne peuvent admettre que leur soit imposé un abandon territorial, au motif d'établir un cessez-le- feu, au profit d'envahisseurs tutsis désireux de reprendre le pouvoir perdu en 1959. Elles peuvent d'autant moins l'admettre que ceux-ci rétabliraient probablement au nord-est le régime honni du premier royaume tutsi (...) ; ce rétablissement avoué ou déguisé entraînant selon toute vraisemblance l'élimination physique à l'intérieur du pays des Tutsis, 500 000 à 700 000 personnes, par les Hutus, 7 millions d'individus... »

L'ambassadeur de France à Kigali, Georges Martres, a également souligné les risques de violences ethniques. Il adresse, le 15 octobre 1990, au Quai d'Orsay et au chef d'état-major particulier du président de la République, l'amiral Jacques Lanxade, le télégramme suivant : « La population rwandaise d'origine tutsie pense que le coup de main militaire a échoué dans ses prolongements psychologiques. Elle compte encore sur une victoire militaire, grâce à l'appui en hommes et en moyens venus de la diaspora. Cette victoire militaire, même partielle, lui permettrait d'échapper au génocide. »

Le 17 décembre 1990, il indique : « La radicalisation du conflit ethnique ne peut que s'accentuer. Le journal Kangura, organe des extrémistes hutus, vient de publier une livraison qui ressuscite les haines ancestrales contre la féodalité tutsie : les " commandements hutus." »

Le 19 décembre il indique que les ambassadeurs français, belge et allemand, ainsi que le délégué de la Communauté économique européenne ont approuvé un rapport commun constatant « la détérioration rapide des relations entre les deux grandes ethnies, les Hutus et les Tutsis, au Rwanda, qui entraîne le risque imminent d'un dérapage avec des conséquences néfastes pour le Rwanda et toute la région. » (...)

Les années 1991-1992



La directive 3146 du 20 mars 1991 de l'état-major des armées destinée à l'attaché de défense à Kigali prévoit, à la demande des autorités rwandaises, d'implanter à Ruhengeri un détachement d'assistance militaire et d'instruction (DAMI), qui prend le nom de « Panda », pour une durée de quatre mois, directement subordonné à l'attaché de défense. (...)

Les missions du DAMI sont les suivantes : 1) participer à la formation et au recyclage des FAR et plus spécialement des unités situées dans le secteur de Ruhengeri et de Gisenyi ; 2) parallèlement, en contribuant à restaurer un climat de sécurité et de confiance, permettre le retour des coopérants français et étrangers dans cette zone ; 3) en cas d'attaque contre Ruhengeri ou Gisenyi, assurer le regroupement et la protection des ressortissants français et étrangers, en attendant l'arrivée des renforts ; 4) renseigner sur la situation locale, en se limitant au recueil passif des informations.

Les points 2, 3 et 4 ont un caractère confidentiel. Les opérations d'instruction consistent notamment à : - conseiller les commandants du bataillon dans l'organisation de leur unité, la formation du personnel, l'utilisation des appuis ; - recycler les commandants de compagnie dans le domaine tactique ; - former, recycler ou initier le personnel des FAR, dans la mise en œuvre et l'emploi d'armes lourdes (mortiers 120 mm AML 60 et 90) et dans la formation élémentaire en matière de génie (mines, explosifs). (...)

L'envoi d'un DAMI va être complété par la désignation, à deux reprises et à la demande des autorités rwandaises, d'un officier français adjoint de l'attaché de défense, spécialement chargé de conseiller le chef d'état-major des FAR. (...)

Entendu par la Mission, le lieutenant-colonel Jean-Jacques Maurin a déclaré qu'il avait été désigné par l'amiral Jacques Lanxade pour une mission temporaire de durée indéterminée en tant qu'adjoint opérationnel plus spécialement chargé de conseiller le chef d'état-major de l'armée rwandaise dans la conduite des opérations et dans la préparation et l'entraînement des forces (...). Il a indiqué qu'il participait au titre de cette mission à l'élaboration des plans de bataille quotidiens et était partie prenante aux décisions. (...)

L'opération Chimère (22 février-28 mars 1993)



APRÈS l'offensive généralisée du FPR le 8 février, l'armée rwandaise, totalement démoralisée, ne contrôle plus la situation. Le général Dominique Delort est informé de l'arrivée à Kigali, le 22 février, du colonel Didier Tauzin, accompagné d'une vingtaine d'officiers et spécialistes du 1er RPIMA, connu sous le nom de Chimère en raison du nom de la station de transmission de ce régiment.

Sur décision du général Dominique Delort, le colonel Didier Tauzin reçoit sous ses ordres la totalité des militaires du DAMI, soit 69 hommes au total. Le détachement Chimère regroupe donc le DAMI Panda, déjà présent, et le détachement venu en renfort avec le colonel Didier Tauzin (...). D'après les documents recueillis par la Mission, l'objectif du détachement était d'encadrer indirectement une armée d'environ 20 000 hommes et de la commander indirectement. (...)

Les interrogations



La Mission a reçu des informations selon lesquelles les militaires français étaient très fortement impliqués sur le terrain, qu'ils se disaient que l'ennemi, venu d'Ouganda, menaçait les ressortissants français et que, dans un tel contexte, étant donné la faible compétence de l'armée rwandaise, il n'est pas absurde de penser que certains aient pu aider à régler les tirs de certaines armes d'artillerie comme les mortiers. (...)

Si la France n'est pas allée aux combats, elle est toutefois intervenue sur le terrain de façon extrêmement proche des FAR. Elle a, de façon continue, participé à l'élaboration des plans de bataille, dispensé des conseils à l'état-major et aux commandements de secteurs, proposant des restructurations et des nouvelles tactiques. Elle a envoyé sur place des conseillers pour instruire les FAR aux maniement d'armes perfectionnées. Elle a enseigné les techniques de piégeage et de minage, suggérant pour cela les emplacements les plus appropriés. (...)

Les livraisons d'armes (...) La presse a fait état d'une violation par la France de l'embargo posé par elle le 8 avril 1994 et par l'ONU le 17 mai. Il est ainsi reproché à la Sofremas, société française d'exploitation de matériels et systèmes d'armement contrôlée par l'Etat, d'avoir rompu l'embargo en procédant à des livraisons via Goma au Zaïre. De même, la société Luchaire, dépendant à 100 % de Giat Industries, aurait également procédé par ce biais à des livraisons.

Dans son rapport de mai 1995, Human Rights Watch indique avoir appris du personnel de l'aéroport et d'un homme d'affaires local que cinq convois étaient arrivés à Goma en mai et juin 1994 contenant de l'armement et des munitions venant de France et destinés aux FAR.

Sur ces différents points, la Mission n'a pas pu recueillir à ce jour d'éléments probants, en dépit des demandes qu'elle a formulées pour obtenir, notamment de l'association Human Rights Watch, copie des documents ou bordereaux relatifs à la Sofremas et trouvés au Zaïre dans un bus abandonné près de Goma. (...)

La violation de l'embargo et les exportations illégales d'armements, qui auraient été connues des autorités françaises et qu'elles auraient laissé se produire n'ont pas été démontrées.

On sait au contraire que les fournisseurs ayant « pignon sur rue » se sont, pour certains, posé des questions quant à la nécessité, avant même le prononcé de l'embargo par la France, de poursuivre certaines livraisons. Ainsi la Mission a-t-elle eu connaissance du fait que la société Thomson-Brandt s'est interrogée sur le bien-fondé de la livraison de 2 000 obus supplémentaires au Rwanda en février 1994. (...)
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024