Fiche du document numéro 33126

Num
33126
Date
Mercredi 13 décembre 2017
Amj
Auteur
Fichier
Taille
976328
Titre
Rapport et recommandation au gouvernement du Rwanda sur le rôle des responsables français dans le génocide des Tutsi
Mot-clé
Mot-clé
Source
Type
Rapport
Langue
FR
Citation
RAPPORT ET RECOMMANDATION AU GOUVERNEMENT DU RWANDA SUR LE ROLE
DES RESPONSABLES FRANÇAIS DANS LE GENOCIDE DES TUTSI*

*Ce document est une traduction du rapport original en anglais. La version originale est disponible à
http://www.cunninghamlevy.com/news/2017/12/release-of-report-to-rwanda-on-genocide/.

TABLE DES MATIERES
I.

Résumé……………………………………………………………………………………4

II.

De 1962 à 1994, les responsables français ont renforcé leur soutien au gouvernement
du Rwanda sans se soucier des conséquences pour les Tutsi…………………………...9
A. Des années 1960 aux années 1980, parfaitement conscients de la violence et des
discriminations contre les Tutsi au Rwanda, les responsables français ont renforcé
l’aide qu’ils apportaient au gouvernement du Rwanda en intégrant un soutien
militaire………………………………………………………………………………..9
B. Au début des années 1990, la France est devenue le principal allié étranger du Rwanda,
sur le plan militaire, dans sa guerre contre le FPR…………………………………...11
1. Pendant la guerre de 1990-1993 contre le FPR, la France a fourni un soutien
militaire direct au régime Habyarimana.
2. Pendant la guerre de 1990-1993, les responsables français ont défini le 'Tutsi'
comme une menace alors même que les extrémistes propageaient une propagande
anti-Tutsi et que des Tutsi étaient massacrés
C. De 1990 à mars 1994, la France, consciente de l'implication du gouvernement
Habyarimana dans les massacres contre les Tutsi, a pourtant continué à lui fournir des
armes et des munitions.……….……………………………………………………...19
D. En dépit des massacres en cours au Rwanda, les responsables français ont renforcé la
gendarmerie et ont peut-être aidé les milices civiles…………………........................30
1. Les responsables français ont développé et assisté la gendarmerie rwandaise
2. Les autorités françaises ont peut-être formé et équipé des milices civiles

III.

Au cours du génocide des Tutsi, les responsables français ont soutenu le
Gouvernement Intérimaire du Rwanda (GIR) et les génocidaires…………………...32
A. Les responsables français ont été parmi les premiers à se rendre sur la scène du crash
de l’avion du Président Habyarimana, et peu de preuves ont émergé de ce site
depuis...........................................................................................................................33

2

B. Au cours du génocide, les responsables français ont adopté la posture d’opposition aux
Tutsi de leurs alliés…………………………………………………………………...34
C. Les extrémistes ont utilisé les institutions développées par les responsables français
pour perpétrer le génocide des Tutsi….………………………………………………35
D. Les responsables français ont abrité et soutenu le Gouvernement Intérimaire du
Rwanda (GIR)………………………………………………………………………..36
E. Les responsables français ont publiquement qualifié le génocide des Tutsi de guerre
civile………………………………………………………………………………….38
F. Au début du génocide, les responsables français ont évacué par avion les extrémistes
et leurs familles ………………………………………………………………………39
G. Durant le génocide, la France a facilité la livraison d’armes au Rwanda, et ce même
après l’imposition d’un embargo sur les armes par l’ONU…………………………..40
IV.

Sous le prétexte d’une mission humanitaire, les responsables français ont utilisé
l’opération Turquoise pour apporter de l’aide au GIR contre le FPR, et ce alors même
que le génocide des Tutsi se poursuivait……………………………………………….42

V.

Après la libération du Rwanda, les responsables français ont fourni un refuge aux
génocidaires et ont fait obstruction à la justice……………………………………….48
A. Les responsables français ont facilité la fuite des génocidaires au
Zaïre………………………………………………………………………………….48
B. Les responsables français ont fait obstruction aux efforts du TPIR et du gouvernement
du Rwanda pour juger les personnes suspectées de génocide………………………..52

VI.

Conclusion et recommandation………………………………………………………...54

3

RAPPORT ET RECOMMANDATION AU GOUVERNEMENT DU RWANDA SUR LE ROLE
DES RESPONSABLES FRANÇAIS DANS LE GENOCIDE DES TUTSI
Fin novembre 2016, le procureur général du Rwanda a confirmé l’ouverture d’une enquête sur le
rôle du gouvernement français et ses responsables dans le génocide des Tutsi en 19941. Dans cette
perspective, le gouvernement du Rwanda a retenu le cabinet d’avocats Cunningham Levy Muse
LLP, situé à Washington D.C., pour faire la synthèse des documents disponibles dans le domaine
public sur la connaissance et le rôle des responsables français dans le génocide des Tutsi.

I.

RESUME

Ce rapport résume l’état des connaissances actuelles versées dans le domaine public sur le rôle et
les informations dont disposaient les responsables français, avant, pendant, et après le génocide
des Tutsi. Bien que détaillé, ce rapport n’est pas une présentation exhaustive des informations
disponibles dans le domaine public. Partout où cela a été possible, nous avons cité des sources
primaires. En passant en revue les sources secondaires, nous avons vérifié les documents cités à
cet égard, afin de déterminer la fiabilité de ces sources secondaires. Nous fournissons une synthèse
des documents publics relatifs aux faits – c’est-à-dire, « que s’est-il passé ? » et « qu’est-ce qui
était connu ? ». Bien que de nombreuses observations puissent être faites sur le degré de
connaissance ou d’implication des responsables français, nous ne tirons aucune conclusion
définitive dans ce rapport, sachant que l’enquête en cours sur cette affaire doit se poursuivre et être
menée à son terme.
En 1998, une mission d’information parlementaire française a tenté d’enquêter sur le rôle des
responsables français au Rwanda. Les informations recueillies par cette mission constituent une
part importante des informations publiques aujourd’hui disponibles sur le rôle des responsables
français dans le génocide des Tutsi. Cependant, le travail de cette mission n’a été ni transparent ni
complet. En effet, certains témoignages n’ont pas été rendus publics, et la mission, n’ayant pas de
pouvoir contraignant, n’a pas pu auditionner certains témoins pourtant clés2. Le lendemain de la
1

Voir Ken Karuri, Le Rwanda ouvre une enquête sur le rôle des responsables français dans le génocide, AFRICA
NEWS, 30 novembre 2016, disponible à http://www.africanews.com/2016/11/30/rwanda-opens-investigation-intothe-role-of-french-officials-in-genocide/ (ang.).
2
Voir Humanitaire?, THE ECONOMIST, 23 avril 1998, disponible à http://www.economist.com/node/161052#print
(ang.); voir aussi COMMISSION DE LA DEFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMEES ET COMITE DES AFFAIRES
ETRANGERES, RAPPORT D’INFORMATION SUR LES OPERATIONS MILITAIRES MENEES PAR LA FRANCE, D’ AUTRES PAYS ET
L’ONU AU R WANDA ENTRE 1990 ET 1994 [ci-après MIP], Tome III, Volume 1 et 2. Une version numérique nonpaginée du Rapport, annexes, et auditions est disponible à http://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda/
rapport.asp.

4

publication de son rapport, Jean-Claude Lefort, député et vice-président de la mission, a publié un
communiqué de presse expliquant qu’il s’était abstenu de signer ce rapport en raison des
nombreuses zones d’ombre qui restaient à clarifier 3. En outre, le même M. Lefort a affirmé dans
une interview en 2008 : « J’estime que la mission d’information n’a pas accompli totalement sa
tâche, qui consistait à mettre en évidence la vérité »4.
L’examen des documents publics fait apparaitre une autre difficulté : le gouvernement français
continue de soustraire au public d’importants documents sur le rôle d’anciens responsables
français dans le génocide des Tutsi et sur les informations dont ceux-ci disposaient sur la
préparation ou l’exécution de celui-ci. En effet, d’anciens responsables français, ainsi que certains
responsables encore en activité, disposent d’informations de première main qu’ils n’ont jamais
révélées.
Bien qu’incomplet, l’ensemble des informations publiques, y compris le rapport de la mission
d’information parlementaire française et les travaux de journalistes et d’universitaires, suggère que
les autorités françaises avaient connaissance et ont été impliquées dans les évènements liés au
génocide. Les documents disponibles ne détaillent cependant pas l’étendue des informations dont
disposaient les autorités françaises, ni l’ampleur de leur participation. Une enquête plus
approfondie est nécessaire afin de le déterminer.
Le rapport révèle, en résumé, ce qui suit :
Premièrement, le rapport remonte aux origines de l’implication française dans les affaires
rwandaises. Suite aux pogroms, encouragés par l’Etat, qui ont visé les Tutsi en 1959 et ont abouti
à l’exil de milliers d’entre eux, la France a apporté son soutien au gouvernement du Rwanda et ce
dès 1962. Durant les années 1970 et 1980, le soutien français s’est accru, jusqu’à prendre la forme
d’un soutien militaire, alors même que les autorités françaises étaient au courant que des massacres
à grande échelle avaient été perpétrés contre les Tutsi dans les années 1960 et 1970 au Rwanda. A
l’aube des années 1990, l’implication de la France dans les affaires intérieures du Rwanda était
plus importante que celle de tout autre pays.
Les efforts d’associations de réfugiés, dont les intérêts coïncidaient avec ceux du Front Patriotique
Rwandais (FPR), l’organisation politique qui militait pour l’égalité des droits pour tous les
Rwandais, n’ont pas permis d’obtenir le retour pacifique des réfugiés Tutsi au Rwanda. Lorsque
la guerre entre le gouvernement rwandais et la branche armée du FPR, l’Armée Patriotique
Rwandaise (APR), a éclaté en octobre 1990, les responsables français ont envoyé des soldats au

3

Communiqué de Jean-Claude Lefort, député du Val-de-Marne Vice-Président de la Mission Rwanda, disponible à
https://www.lanuitrwandaise.org/revue/notes-du-depute-jean-claude-lefort,079.html?lang=fr.
4
Voir Jean-Claude Lefort : « La mission d’information parlementaire est passée à côté d’une vérité qu’il lui fallait
rechercher coûte que coûte » LA NUIT R WANDAISE, 7 avril 2008 à 230.

5

Rwanda (opération Noroît), officiellement pour protéger les citoyens français résidant sur place 5.
Le Président François Mitterrand d’autres responsables français ont cependant décidé d’élargir le
mandat de l’opération Noroît pour y incorporer un soutien à la fois stratégique et militaire au
gouvernement du Rwanda dans sa guerre contre le FPR. Durant ce conflit armé, des conseillers
français ont fourni une assistance stratégique et organisationnelle au gouvernement du Rwanda,
ainsi que des centaines (sinon des milliers) de soldats et des millions de dollars d’équipement
militaire. De hauts responsables français ont aussi contribué à l’élaboration de l’idéologie
génocidaire en identifiant l’ennemi, non pas sous l’appellation FPR, mais sous la dénomination de
« Tutsi », alors même qu’une campagne de haine anti-Tutsi avait lieu dans les médias publics
rwandais.
Au début des années 1990, des conseillers français étaient présents aux échelons les plus élevés du
pouvoir exécutif et militaire du Rwanda. Les informations disponibles dans le domaine public
indiquent que des militaires français ont contribué au développement d’institutions clés au sein de
l’appareil de sécurité rwandais, dont certains éléments serviraient plus tard à l’exécution du
génocide des Tutsi (par exemple, de nombreux membres des Forces Armées Rwandaises (FAR),
notamment la Garde présidentielle et le bataillon paracommando et son unité CRAP (Commandos
de Recherche et d’Action en Profondeur), ou encore la gendarmerie).
Deuxièmement, ce rapport passera en revue les éléments attestant de la connaissance, par les
responsables français, de massacres récurrents perpétrés contre les Tutsi dès le début des années
1990. Bien qu’ils aient eu conscience de ces crimes, les responsables français ont continué à fournir
des armes au gouvernement responsable de ces vagues de violence ethnique.
Le 6 avril 1994, au moins deux responsables français ont eu un accès privilégié (contrairement aux
forces de maintien de la paix de l’ONU et d’autres acteurs) au site où l’avion transportant le
président du Rwanda Juvénal Habyarimana s’est écrasé après avoir été abattu, alors que le
président revenait d’un sommet régional à Dar es Salaam. Peu de preuves ont émergé du site de
l’accident. Presqu’aussitôt après le crash, les génocidaires et les médias qu’ils contrôlaient ont
accusé le FPR et la Belgique d’avoir abattu cet avion. Ils ont utilisé cet évènement comme cri de
ralliement pour déclencher le génocide des Tutsi, alors qu’à la même période le FPR travaillait à
l’application des décisions sur le partage du pouvoir issues des Accords d’Arusha. La protection
du site l’accident, sous de faux prétextes, ainsi que le refus de présenter les preuves qui y ont été
collectées, ont permis aux génocidaires et à leurs alliés de continuer à promouvoir des théories du
complot sans fondement présentant le FPR et la Belgique comme étant les auteurs de l’attentat
contre cet avion.
Au lendemain de l’accident d’avion, en dépit des informations dont ils disposaient sur les violences
perpétrées contre les Tutsi au Rwanda, les responsables français ont permis aux génocidaires de
5

Bien que l’APR ait été le bras armé du FPR, nous utiliserons le terme “FPR” pour décrire leurs efforts conjoints.

6

se réunir à l’ambassade de France à Kigali pour former le Gouvernement Intérimaire du Rwanda
(GIR), qui dirigea le pays durant la période du génocide. Bien qu’ils aient su que le génocide des
Tutsi était en cours, les responsables français ont couvert les activités du GIR en présentant le
génocide comme une crise humanitaire bilatérale. Les responsables français ont utilisé cette
représentation faussée des faits pour répondre aux accusations de soutien aux génocidaires,
incluant, entre autres, le GIR et les FAR (dont de nombreux membres ont participé au génocide).
Après le déclenchement du génocide, des responsables français ont lancé l’opération Amaryllis,
une mission de sauvetage des ressortissants français. En plus des ressortissants français, Amaryllis
a facilité l’évacuation des membres de la famille Habyarimana ainsi que de certains leaders
extrémistes, et interféré avec les efforts des forces de maintien de la paix de l’ONU visant à
protéger les citoyens. Les troupes de l’opération Amaryllis n’ont rien entrepris pour sauver ou
protéger la vie des Tutsi ou des politiciens de l’opposition qui avaient échappé aux massacres
perpétrés aux premières heures du génocide.
Troisièmement, ce rapport examine la manière dont les autorités françaises ont lancé l’opération
Turquoise, dix semaines après le début du génocide, pour préserver ce qu’il restait du GIR. Malgré
cet objectif, la France a persuadé le Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) d'approuver
l'opération en tant que mission humanitaire. Cependant, la lecture des communications privées des
responsables français et l’examen de leur conduite montrent que l’objectif principal de cette
opération n’était pas humanitaire mais visait à empêcher la défaite du GIR face au FPR6. Cette
année, la presse française a rapporté qu’Hubert Védrine, le secrétaire général de l’Elysée sous
François Mitterrand, avait donné l’ordre aux troupes de Turquoise de réarmer les génocidaires7.
Quatrièmement, ce rapport analyse les documents et témoignages montrant que des responsables
français ont fourni un refuge aux génocidaires. Après la libération du Rwanda par le FPR et l’arrêt
du génocide, les responsables français ont permis la fuite des génocidaires dans les camps de
réfugiés du Zaïre (et ailleurs), où ces génocidaires se sont réorganisés, réarmés, et ont continué à
menacer et à tuer des survivants Tutsi. Simultanément, les autorités françaises ont suspendu et se
sont opposés à l’octroi de toute aide financière au nouveau gouvernement du Rwanda.
Depuis lors, les responsables français ont interféré avec les efforts visant à établir la vérité sur le
génocide et obtenir justice pour ses victimes. Ces interférences se sont manifestées de plusieurs
manières : la France n’a poursuivi que trois des trente génocidaires présumés qu’elle hébergerait
sur le territoire français ; elle a rejeté les demandes d’extradition du Rwanda et a refusé de
déclassifier des archives liées au génocide des Tutsi. Les responsables français ont continué
Voir par exemple L’interview de Guillaume Ancel par Mehdi Ba, L’histoire mythique de l’opération Turquoise ne
correspond pas à la réalité, JEUNE AFRIQUE (7 avril 2014) [ci-après Interview de Guillaume Ancel par Mehdi Ba]
disponible à http://www.jeuneafrique.com/164511/politique/guillaume-ancel-l-histoire-mythique-de-l-op-rationturquoise-ne-correspond-pas-la-r-alit/.
7
Patrick de Saint-Exupéry, Réarmez-les!, REVUE XXI, 64-65, juillet/août/septembre 2017.
6

7

d’ignorer les requêtes du gouvernement rwandais ainsi que de diverses organisations de la société
civile visant à obtenir des documents qui pourraient éclaircir les décisions prises et les actions
menées durant le génocide. Aujourd’hui encore, les responsables français continuent de détourner
l’attention du public du rôle des responsables français dans le génocide, et à entraver la poursuite
des génocidaires.
En résumé, tout au long de leur engagement au Rwanda, les responsables français étaient au
courant des violations des droits de l’homme qui avaient lieu dans le pays entre 1990 et 1994.
Pourtant, ils ont décidé de renforcer le soutien français à l’ancien gouvernement du Rwanda. Ce
soutien s’est poursuivi durant le génocide, et l’appui français aux génocidaires a continué même
après que le FPR ait mis fin au génocide en juillet 1994. Les autorités françaises continuent
aujourd’hui encore de dissimuler leur implication dans le génocide et d’entraver les tentatives de
poursuite des génocidaires. Or, sans les documents du gouvernement français et les témoignages
des responsables français qui ont participé à ces évènements, l’histoire du génocide des Tutsi
restera incomplète.
La France devrait faire tout ce qui est en son pouvoir pour aider les peuples français et rwandais à
obtenir la vérité. Jusqu’à présent, cependant, les autorités françaises ont continué de bafouer le
droit du public à connaître la vérité sur le génocide des Tutsi8. Les responsables français ont refusé
de coopérer avec le gouvernement rwandais lorsque celui-ci a demandé des documents ou des
témoignages. La France n’a que rarement poursuivi ou extradé des personnes présumées
génocidaires. A plusieurs reprises, les autorités françaises ont délibérément présenté une version
révisionniste de l’histoire du génocide, ce qui leur a permis de détourner l’attention du public sur
leur rôle dans le génocide des Tutsi. Ces efforts ont non seulement compromis la vérité, mais ont
aussi entravé le droit à la justice des victimes du génocide.
A la lumière des informations publiques, la décision du gouvernement rwandais d’enquêter sur le
rôle et le degré de connaissances des autorités françaises dans le génocide des Tutsi est justifiée.
Les faits doivent être compris et rendus publics. L’enquête devra s’appuyer non seulement sur les
documents disponibles dans le domaine public, mais aussi sur d’autres documents-sources
originaux et interviews de témoins. Elle devra également évaluer la manière dont les responsables
français ont réagi aux enquêtes passées et aux requêtes d’informations. La coopération française
est cruciale pour cette enquête. En effet, le gouvernement français a la garde de documents, de
photographies, de preuves matérielles, d’archives et de témoignages d’individus ayant une
connaissance directe de ce qui s’est passé et de ce qui était connu.

8

Voir, par exemple France-Rwanda : Dominique Bertinotti, la gardienne des archives, JEUNE AFRIQUE, 10 juillet
2017, disponible à http://www.jeuneafrique.com/mag/455237/politique/france-rwanda-dominique-bertinotti-gardien
ne-archives/.

8

II.

DE 1962

A

1994,

LES RESPONSABLES FRANÇAIS ONT RENFORCE LEUR SOUTIEN AU

GOUVERNEMENT DU RWANDA SANS SE SOUCIER DES CONSEQUENCES POUR LES TUTSI

Il est impossible de comprendre l’attitude des responsables français durant le génocide des Tutsi
sans examiner préalablement l’histoire des relations entre la France et le Rwanda.

A. Des années 1960 aux années 1980, parfaitement conscients de la violence et des
discriminations contre les Tutsi au Rwanda, les responsables français ont renforcé
l’aide qu’ils apportaient au gouvernement du Rwanda en intégrant un soutien
militaire.

Le soutien français au Rwanda a commencé au début des années 1960. En juillet 1962, le Rwanda
a obtenu son indépendance de la Belgique. Trois mois plus tard, en octobre 1962, les responsables
français ont signé un accord d’amitié et de coopération avec le gouvernement du Rwanda. Le pays
était alors dirigé par le Président anti-Tutsi Grégoire Kayibanda, sous le gouvernement duquel de
nombreux Tutsi avaient été chassés du Rwanda9. En décembre 1962, la France et le Rwanda ont
signé trois accords de coopération prévoyant une assistance économique, culturelle, et technique
(y compris une assistance pour la diffusion radiophonique)10. Tout au long des années 1960, la
France « envoie donc des missions ponctuelles d’experts concernant des domaines variés : le
développement agricole, les infrastructures routières, la sécurité aérienne, l’urbanisation, la petite
industrialisation, etc. »11 au Rwanda. En tant que membre émergent de l'Afrique francophone, le
Rwanda était mûr pour entrer dans la sphère d'influence française.
Certains commentateurs ont expliqué l'engagement français au Rwanda par un volonté d'expansion
et de préservation de l'Afrique francophone face à l'empiètement anglophone. D’après eux, cette
stratégie trouve son origine dans le « syndrome de Fachoda »12, en référence à Fachoda, une petite
ville de l'actuel Sud-Soudan où, juste avant le début du 19ème siècle, les britanniques ont forcé les

9

Voir MIP, Tome I 18-19.
Voir id. à 20.
11
Id. à 20.
12
Voir, par exemple, Patrick de Saint-Exupéry, France-Rwanda: Le syndrome de Fachoda, LE FIGARO, 13 janvier
1998, à 4; RONY BRAUMAN, MEDECINS SANS FRONTIERES, DEVANT LE MAL. R WANDA : UN GENOCIDE EN DIRECT 18
(1994). La MIP admet l’influence du syndrome de Fachoda, affirmant : « La présence de la France au Rwanda
répondrait donc au double souci de défendre, d’une part, ce que certains ont appelé la « ligne Maginot linguistique »,
d’autre part, de faire face à l’influence anglo-saxonne, par les Britanniques à l’origine, par les Etats-Unis par la suite
». MIP Tome I 31-32. La MIP est allée jusqu’à dire que les intérêts de la France n’étaient pas en conflit avec ceux des
Etats-Unis au Rwanda, mais elle n’a pas nié le rôle que la langue a joué dans son soutien au gouvernement rwandais
contre le FPR anglophone.
10

9

français à se retirer définitivement de la région13. Pour les autorités françaises, la défaite de
Fachoda demeure une « humiliation publique »14. En 1957, alors qu’il était ministre de la Justice,
François Mitterrand a étendu cette grille de lecture à toute l’Afrique : « tous les ennuis que nous
avons eus en Afrique occidentale française n’ont rien à voir avec un désir d’indépendance, mais
avec une rivalité entre les blocs français et britannique. Ce sont les agents britanniques qui ont
fomenté tous nos ennuis »15.
Peu importe les raisons sous-jacentes, les intérêts de la France au Rwanda passaient avant les
réserves éventuelles que les responsables français auraient pu avoir concernant les violations des
droits de l’homme commises par le régime Kayibanda. De novembre 1959 à février 1973, des
massacres ont en effet coûté la vie à des milliers de Tutsi et ont conduit à l’exil de centaines de
milliers d’autres, qui ont trouvé refuge en Ouganda, au Burundi, au Zaïre (aujourd’hui République
Démocratique du Congo), et ailleurs16. Par exemple, des câbles diplomatiques français détaillent
comment, en décembre 1963, en réponse à une attaque de rebelles Tutsi sur un camp militaire à
Gako, des membres du gouvernement de Kayibanda ont organisé des massacres Tutsi :
Des mesures « d’auto-défense civile » furent prises dans quatre préfectures du Sud. Elles
eurent pour conséquence l’organisation par chaque préfet, avec le soutien d’un ministre du
gouvernement, de réunions avec les bourgmestres pour transmettre, via leur intermédiaire,
des consignes aux paysans sur la manière de combattre l’ennemi. Trois jours plus tard, et
deux jours avant Noel, la campagne de massacres débuta. Il y avait des barrages routiers
partout, surveillés par des civils. A Kigali, des messages qui avertissaient qu’un complot
Tutsi pour réduire en esclave les Hutu était en cours, passaient en boucle17.
Le 17 janvier 1964, Le Monde décrivait des massacres perpétrés avec des bâtons et évoquait des
cadavres jetés à la rivière. Le 6 février 1964, le même journal français citait l’universitaire

13

P.M.H. Bell, FRANCE ET GRANDE-BRETAGNE, 1900-1940 : ENTENTE ET ELOIGNEMENT 3 (Groupe Taylor et Francis,
1996) (ang.).
14
Id.
15
MIP, Tome I 31 (citant Michel Brot, Mitterrand et l’Afrique en 1957 : une interview révélatrice, POLITIQUE
AFRICAINE, juin 1995, à 52).
16
Voir par exemple, L’extermination des Tutsi, LE MONDE, 4 février 1964, à 16 (qui traite la violence anti-Tutsi de
1959 – 1962 et des massacres systématiques en 1963 – 1964) ; A.J., De sanglants incidents auraient lieu au Rwanda,
LE MONDE, 17 janvier 1964, à 17 (affirmant qu’environ 84,000 réfugiés Tutsi ont fui le Rwanda pour se rendre en
Ouganda ou au Burundi) ; J ACQUES MOREL, LA FRANCE AU CŒUR DU GENOCIDE, 1415 – 1419 (2016). Voir aussi MIP
Tome I 67 (affirmant que les dernières estimations de réfugiés politiques rwandais au début des années 1990 parlaient
de 600,000 à 700,000 réfugiés).
17
LINDA MELVERN, UN PEUPLE TRAHI 27 (2e édition 2000) [ci-après Melvern, Un peuple trahi]. Voir aussi MOREL,
supra note 16, à 1417 (faisant référence aux télégrammes diplomatiques n° 561 et 565, de Jean-Marc Barbey,
Ambassadeur de France au Rwanda (23 décembre 1963) (ang.); GABRIEL PERIES ET DAVID SERVENAY, UNE GUERRE
NOIRE : ENQUETE SUR LES ORIGINES DU GENOCIDE RWANDAIS (1959 – 1994) 130 (2007).

10

britannique Bertrand Russell, qui affirmait que la persécution des Tutsi était la plus horrible et
extermination systématique d’un peuple depuis l’extermination des Juifs par les Nazis 18.
Le 5 juillet 1973, Juvénal Habyarimana prenait le pouvoir au Rwanda. Son gouvernement a
continué d’exiger la mention de l’ethnie sur les cartes d’identité, politique qui permettait
l’identification et la marginalisation des Tutsi19. Les gouvernements français successifs ont
néanmoins amplifié leur soutien au Rwanda.
Le 18 juillet 1975, la France a signé un Accord d’Assistance Militaire et Technique (AAMT) avec
le régime Habyarimana, dont l’objectif affiché était d’envoyer du personnel militaire français pour
organiser et former la gendarmerie rwandaise20. Les autorités françaises ont rapidement accru leur
soutien militaire au gouvernement rwandais au-delà de la gendarmerie, en fournissant armes et
formation à l’armée rwandaise. Par exemple, dans son mémorandum daté du 15 juin 1982, Guy
Penne, alors conseiller Afrique de François Mitterrand, a fait un résumé au Président de l’aide
militaire française et annoncé les contributions françaises au Rwanda prévues pour les années à
venir : « équipement et formation d’une unité parachutiste et mise sur pied d’un groupement de la
gendarmerie », ainsi que la fourniture de « 2 petits appareils du type « Rallye guerrier » qui
permettront la formation sur place des pilotes rwandais », d’ici 198421. L’« unité parachutiste »
(c’est-à-dire le bataillon de paracommandos) et la gendarmerie ont joué plus tard un rôle central
dans l’exécution du génocide des Tutsi22. Moins d’un an plus tard, en avril 1983, l’AAMT a été
amendé pour supprimer « l’interdiction faite aux coopérants français d’être associés de près ou de
loin à toute préparation ou exécution d’opération de guerre »23.

B. Au début des années 1990, la France est devenue le principal allié étranger du
Rwanda, sur le plan militaire, dans sa guerre contre le FPR.

Pendant deux décennies, la pression exercée sur le président Habyarimana pour permettre le retour
des réfugiés Tutsi s'est intensifiée. Cependant, ce dernier a seulement accepté le retour des plus
18

Voir A.J., De sanglants incidents auraient lieu au Rwanda, LE MONDE, 17 janvier 1964, à 17 ; Trois mille Tutsi au
Congo-Léopoldville lanceraient une attaque suicide contre le Rwanda, LE MONDE, 6 février1964.
19
Voir MIP Tome I 61-62.
20
Voir Accord Particulier d’Assistance Militaire du 18 juillet 1975 [ci-après APAM] art. 1(a), Fr-Rwanda, 18 juillet
1975, Journal officiel de la République française (« Le gouvernement de la République Française mettra à la
disposition du gouvernement de la République du Rwanda du personnel militaire français dont le soutien est nécessaire
pour l’organisation et l’entraînement de la gendarmerie rwandaise), disponible à https://goo.gl/9HKtG4.
21
Mémorandum de Guy Penne, Conseiller aux Affaires africaines du Président François Mitterrand (11 juin 1982),
disponible à http://francegenocidetutsi.org/Penne11juin1982.
22
Voir, par exemple : Aloys Ntabakuze v. Le Procureur, Affaire N°ICTR-98-41A-A, Jugement, 165, 234-244 (8 mai
2012) ; Le Procureur v. Théoneste Bagosora et al., Affaire N° ICTR-98-41-T, Jugement et sentence, 801 (18,
décembre 2008).
23
Voir MIP Tome I 29 & Tome II 86-89.

11

riches d’entre eux 24. En effet, en novembre 1989, le président d'une commission spéciale créée
plus tôt dans l’année pour traiter de la crise des réfugiés n’a pu citer que 300 retours négociés
depuis 198625. Le doute demeure sur le sérieux de cette commission, alors même que plus tard,
deux membres de celle-ci, Ferdinand Nahimana et Théoneste Bagosora, ont été jugés et condamnés
par le Tribunal Pénal International sur le Rwanda (TPIR) pour leur rôle respectif dans le génocide
des Tutsi26. Parallèlement au travail de cette commission, le gouvernement Habyarimana a refusé
les tentatives de résoudre le problème des réfugiés par des négociations pacifiques 27.
Le 1er octobre 1990, le FPR a lancé une offensive au Rwanda depuis l’Ouganda. L’objectif de cette
offensive était de provoquer un changement au Rwanda, dont la conséquence serait le rapatriement
des réfugiés. Le gouvernement français a répondu à la demande d’assistance militaire du régime
Habyarimana en lançant l’opération Noroit, conçue pour aider celui-ci à vaincre le FPR28. Des
câbles internes français montrent que de hauts responsables français, parallèlement à la propagande
anti-Tutsie promue par les média rwandais de l’époque, définissaient la menace qui pesait sur leurs
alliés au Rwanda comme émanant non pas du FPR, mais des « Tutsi ».

1. Pendant la guerre de 1990 – 1993 contre le FPR, la France a fourni un soutien
militaire directe au régime Habyarimana.
Quelques jours après l’incursion du FPR, le 1er octobre 1990, le Président Habyarimana a demandé
son aide à la France29. Il s’est entretenu avec Jean-Christophe Mitterrand, le fils du Président
français qui, de 1986 à 1992, était responsable de la cellule africaine de l’Elysée, service situé au
sein du Palais de l’Elysée et chargé d’articuler la politique africaine de la France. Gérard Prunier
était présent lors de cette conversation et a rapporté que le jeune Mitterrand rassura le Président
rwandais et lui confia avec un clin d’œil : « Nous allons lui envoyer quelques bidasses au petit
père Habyarimana. Nous allons le tirer d'affaire. En tout cas, cette histoire sera terminée en deux

24

Voir MIP Tome I 72.
Id.
26
Id.
27
Compte rendu de réunion, deuxième réunion du Comité Interministériel du Rwanda/Ouganda consacré aux réfugiés
rwandais en Ouganda 3 (17 novembre 1989), disponible à https://goo.gl/vf3Xaq. (ang).
28
Voir MIP Tome I 137-138 (affirmant que le colonel Gilbert Canovas s’est rappelé que « son travail consistait...à
fournir expertise et conseil au chef d’état-major de l’armée rwandaise et à son équipe », et à cet égard il avait « apporté
son aide à l’élaboration des plans de défense pour la ville de Kigali » et il avait participé dans les régions les plus
sensibles qu’étaient Gisenyi, Ruhengeri, Byumba, la région du lac du Mutara dans « aux travaux de planification
visant à renforcer les dispositifs militaires et à le doter de capacités de réaction ») ; Bernard Loth, Rwanda combats,
Intervention française au Rwanda, la deuxième en Afrique depuis janvier, AGENCE FRANCE-PRESSE, 5 octobre 1990
(rapportant que la France avait envoyé 300 soldats au Rwanda) ; HUMAN RIGHTS W ATCH, R WANDA/ZAÏRE : REARMER
EN TOUTE IMPUNITE 3 (1995) (ci-après Réarmer en toute impunité). Une version électronique de ce rapport est
disponible à https ://www.hrw.org/reports/1995/Rwanda1.htm. (ang).
29
Voir MIP Tome I 181-182.
25

12

ou trois mois »30 . Le 4 octobre 1990, trois cents soldats français ont atterri à Kigali et sécurisé
l’aéroport31. Le même jour, des centaines de troupes paramilitaires belges ont rejoint leurs
collègues français 32. C’est ainsi qu’a commencé l’opération Noroît.
Lorsque les troupes du Président Habyarimana perdaient du terrain face au FPR 33, les autorités
françaises réagissaient. Des années plus tard, Hubert Védrine, alors secrétaire général de l’Elysée,
a clarifié l’objectif de l’intervention française : la France voulait éviter qu’un pays étranger
renverse le gouvernement du Rwanda34. Les archives indiquent que les autorités françaises
voulaient éviter un autre « Fachoda », où un pays africain sous influence française tomberait dans
l’escarcelle de « puissances anglo-saxonnes ». Pour le chef d’état-major des armées de François
Mitterrand, l’amiral Jacques Lanxade, le FPR était le pion d’un « complot anglo-saxon »35. Selon
le journaliste français Patrick de Saint-Exupéry, un haut responsable français aurait admis
ceci : « le complexe de Fachoda, la vision francophones contre anglophones, le discours sur les
insurgés du FPR qualifiés de Khmers Noirs de l’Afrique, nos ennemis…tout cela c’est vrai »36.
Comme l’a dit le Président Mitterrand à son gouvernement au sujet du Rwanda : « nous sommes
à la limite du front anglophone »37. Monsieur Védrine a aussi émis l’hypothèse selon laquelle le
soutien militaire du Président Mitterrand au Président Habyarimana visait à rassurer les autres
régimes africains sur le fait qu’ils pouvaient compter sur la France:
Il [François Mitterrand] considérait que laisser, où que ce soit, un seul de ces régimes être
renversé par une faction, surtout si celle-ci était minoritaire et appuyée par l’armée d’un
pays voisin, suffirait à créer une réaction en chaîne qui compromettrait la sécurité de
l’ensemble des pays liés à la France et décrédibiliserait la garantie française.
Dans l’analyse du Président Mitterrand, ce qui importait était avant tout le raisonnement
global, il n’y avait pas de point d’application stratégique particulier, pas plus au Rwanda
qu’au Tchad. Il considérait comme ses trois prédécesseurs, que la France avait souscrit un
engagement de sécurité et que si elle n’était pas en mesure d’apporter une aide dans le cas
GERARD PRUNIER, LA CRISE RWANDAISE: HISTOIRE D’UN GENOCIDE 101 (1997) (qui raconte l’expérience de
l’auteur) (ang).
31
Voir MIP Tome I 128 ; Bernard Loth, Rwanda combats, intervention française au Rwanda, la deuxième en Afrique
depuis janvier, AGENCE FRANCE-PRESSE, 5 octobre 1990 (rapportant que la France avait envoyé 300 soldats au
Rwanda).
32
Cf. Mémorandum interne du Département d’Etat américain (5 octobre 1990) (affirmant que la Belgique déployait
600 troupes paramilitaires au Rwanda) (ang.); avec Patrick de Saint-Exupéry, France-Rwanda : Le Syndrome de
Fachoda, LE FIGARO, 13 janvier 1998 (rapportant que la Belgique déployait 400 troupes paramilitaires au Rwanda).
33
Par exemple, l’ambassadeur Martres a noté ceci dans un câble interne : « le Président Habyarimana ne se sent pas
capable de maîtriser seul la situation ». Câble en rapport avec la situation au Rwanda (7 oct. 1990), dans MIP Tome
II 131, disponible à http://francegenocidetutsi.org/Martres7octobre1990.pdf.
34
Voir MIP Tome III, Vol. 1 208 (Audition de Hubert Védrine).
35
Sam Kiley, L’influence française sauvée sur fond de ruines au Rwanda, THE TIMES, 22 août 1994 (ang.).
36
Patrick de Saint-Exupéry, France-Rwanda : Le Syndrome de Fachoda, LE FIGARO, 13 janvier 1998.
37
Comptes rendus du Conseil des Ministres français (23 janvier 1991), disponible à http://nsarchive.gwu.edu/
NSAEBB461/ docs/DOCUMENT%208%20-%20English.pdf.
30

13

aussi simple d’un Etat ami envahi par un pays armé, sa garantie de sécurité ne valait plus
rien.38
Lorsque l’opération Noroît a commencé, les autorités françaises ont annoncé à l’opinion publique
française que celle-ci visait à protéger les ressortissants français au Rwanda. Au cours d’une
allocution télévisée, le 6 octobre 1990, Michel Rocard, le Premier Ministre français, a
déclaré : « nous avons envoyé des troupes pour protéger les ressortissants français, rien de
plus »39. Cependant, au terme de l’opération Noroît, le soutien militaire français au Rwanda
semblait s’être tellement accru que, selon un mémorandum adressé au Président Mitterrand par le
général Christian Quesnot, en octobre 1993, les troupes du FPR considéraient les autorités et
l’armée françaises comme des « ennemis »40.
L'expansion du soutien militaire et des conseils stratégiques de la France a commencé quelques
jours après le début de la guerre. Le 11 octobre 1990, l’attaché de défense, le colonel René Galinié,
a recommandé l’envoi de conseillers français sur le terrain, sur le front nord-ouest, afin
« d’instruire, d’organiser et de motiver une troupe sclérosée depuis trente ans et qui a oublié les
règles élémentaires de combat »41. Cinq mois plus tard, dans un rapport daté du 30 avril 1991,
l’adjoint de l’attaché de défense, le colonel Gilbert Canovas, a recommandé au gouvernement
rwandais de recruter davantage de soldats, réduire la période de formation des nouvelles recrues,
et positionner des soldats déguisés en civils dans des zones tout au long de la frontière ougandaise
pour neutraliser les rebelles 42.
En plus des conseils, les responsables français ont fourni aux FAR des mortiers modernes, des
voitures blindées et autres véhicules, ainsi que des munitions et des roquettes 43. Les responsables
français ont également fourni et aidé au maintien d’hélicoptères-mitrailleuses qui pilonnaient les
positions du FPR44. D’après une plaisanterie qui circulait à l’époque « les soldats français
repéraient l’objectif, ils pointaient l’artillerie, l’officier français commandait le feu, et…le seul
militaire rwandais présent appuyait sur le bouton »45.

38

MIP Tome I 33-34.
MIP Tome III, Vol. 2235 (Audition de Michel Rocard) (citant une interview télévisée de Rocard sur la chaine TF1
le 6 octobre 1990).
40
Mémorandum du général Christian Quesnot au Président François Mitterrand (11 octobre 1993), disponible à
http://nsarchive.gwu.edu/NSAEBB/NSAEBB461/docs/DOCUMENT%2042%20-%20English.pdf (ang).
41
Voir MIP, Tome I 137-138.
42
Voir id. à Tome I 138 et 157.
43
HUMAN RIGHTS WATCH, LIVRAISON D’ ARMES AU R WANDA: LE COMMERCE DES ARMES ET LES VIOLATIONS DES
DROITS DE L’HOMME DURANT LA GUERRE DU R WANDA 15-16 (1994), [ci-après HRW, Livraison d’armes au Rwanda]
disponible à https://www.hrw.org/sites/default/files/reports/RWANDA941.PDF (ang.); voir MIP Tome III, Vol.1 133
(Audition de Jean-Christophe Mitterrand).
44
Voir HRW, Livraison d’armes au Rwanda, supra note 43, à 16.
45
Jean Chatain, Accablantes responsabilités françaises, L’HUMANITE, 17 juin 1994, à 17.
39

14

Les documents disponibles dans le domaine public indiquent également que le soutien militaire
français comprenait le développement de plans de bataille et la direction de bombardements
d’artillerie sur le champ de bataille 46. Marcel Gatsinzi, un officier supérieur des FAR à l’époque,
a plus tard décrit l’implication croissante de l’armée française au Rwanda :
[En octobre 1990,] des troupes françaises ont été initialement déployées dans la capitale
Kigali pour évacuer des citoyens français, mais sont restées trois ans. Durant cette période,
en plus d’armer et d’entrainer les Forces Armées Rwandaises, dont les effectifs ont
augmenté de façon exponentielle de 5 200 hommes en 1990 à 35 000 en 1993, les troupes
françaises ont maintenu une présence visible dans la ville – surveillant les barrages routiers,
faisant des patrouilles communes avec les FAR–. Et ont joué un rôle moins visible sur le
front – dirigeant des bombardements d’artillerie et, au moins à une occasion, assurant des
bombardements (à Byumba, bien loin des régions où se trouvaient des ressortissants
français, en octobre 1990)47.
De même, la mission parlementaire française a observé que,
[la France] a, de façon continue, participé à l’élaboration des plans de bataille, dispensé
des conseils à l’état-major et aux commandements de secteurs, proposant des
restructurations et des nouvelles tactiques. Elle a envoyé sur place des conseillers pour
instruire les FAR au maniement d’armes perfectionnées. Elle a enseigné les techniques de
piégeage et de minage, suggérant pour cela les endroits les plus appropriés 48.
Après le retrait initial du FPR, les forces françaises sont restées au Rwanda et ont accentué leur
assistance à travers les Détachements pour l’Assistance Militaire et l’Instruction (DAMI). Le 15
mars 1991, les autorités françaises ont annoncé aux FAR qu’elles enverraient les DAMI au nord
du Rwanda pour ce qui a été initialement présenté comme une présence temporaire afin d’entrainer
et de superviser l’armée rwandaise, protéger les ressortissants français de la région, et évaluer la
situation sécuritaire49. Le DAMI s’est développé, pour compter trois composantes : (1) un DAMI
Panda créé le 20 mars 1991 afin d’entrainer les FAR ; (2) une composante artillerie créée en 1992 ;

46

Voir MIP Tome I 170-171 ; DIDIER TAUZIN, JE DEMANDE JUSTICE POUR LA FRANCE ET SES SOLDATS 75-76 (2011)
(disant que le 25 février 1993, Tauzin a préparé l’ordre d’arrêter l’avancée du FPR dans le secteur de Rulindo avec
Jean-Michel Chereau, le Chef du Haut-Commandement militaire. Il a par ailleurs raconté comment des officiers
français ont dirigé les opérations de bombardements des FAR contre le FPR, lesquelles sont parvenues à ralentir la
progression du FPR vers Kigali).
47
Mel Mc Nulty, Le rôle de la France au Rwanda et les interventions militaires extérieures : un double discrédit, 14
Opérations de maintien de la paix internationales 3, 32 (1997) (citant une interview du colonel Marcel Gatsinzi) (ang.);
voir aussi MIP Tome I 175 (admission que les règles de comportement des soldats français postés aux barrages
routiers, et le comportement de ceux-ci, ont permis de livrer des suspects à la Gendarmerie rwandaise).
48
MIP Tome I 171.
49
Voir Câbles liés à l’implémentation des DAMI (15 mars 1991), dans MEP Tome II 178, disponible
à http://francegenocidetutsi.org/TaixDami15mars1991.pdf ; MIP Tome I 145, 153, 157 & 165.

15

et (3) une composante ingénierie rajoutée en 1993 50. Selon un câble d’information américain daté
d’avril 1991, toutes les troupes des FAR, qui à ce stade comptaient 21000 soldats, devaient subir
un entrainement au combat intensif qui comprenait l’usage de mortiers et des « opérations
spéciales de combat » 51. Le câble précisait, en outre, que des formateurs paramilitaires français
précédemment rattachés à un bataillon d’élite para-commando avaient contribué à la formation
d’une unité commando façonnée sur le modèle français 52. Par conséquent, les forces françaises au
Rwanda, alors au nombre de 21953, ont entrainé, armé, et assisté l’armée du Président Habyarimana
avec l’objectif de repousser le FPR. Le colonel DAMI Bernard Cussac a ajouté que, accompagné
du lieutenant-colonel Gilles Cholet, il avait participé à des interrogatoires de prisonniers du FPR54.
2. Pendant la guerre de 1990 – 1993, les responsables françaises ont défini le ‘Tutsi’
comme une menace alors même que les extrémistes propageaient une propagande
anti-Tutsi et que des Tutsi étaient massacrés.
Dès le début de l’opération Noroît, de hauts responsables français ont identifié les Tutsi (et pas
seulement le FPR) comme la menace au gouvernement du Rwanda. Par exemple, le 7 octobre
1990, l’ambassadeur Georges Martres écrit dans un câble destiné à Paris :
L’agression à laquelle il [Habyarimana] est confronté peut être considérée comme
étrangère dans la mesure où elle provient d’un pays voisin qui lui fournit les équipements
militaires et une partie des hommes. D’un autre côté cette agression s’appuie sur un projet
politique d’unité nationale des Tutsi et des Hutu qui tournerait sans doute à une domination
des Tutsi…Le choix politique est crucial pour les puissances occidentales qui aident le
Rwanda et notamment la Belgique et la France.
Ou bien elles considèrent avant tout l’aspect extérieur de l’agression et un engagement
accru de leur part est nécessaire sur le plan militaire pour y faire face. Ou bien elles
prennent en compte l’appui intérieur dont bénéficie ce mouvement, même s’il n’a pu se
développer qu’avec le concours de l’Ouganda, et même s’il convient de prévoir qu’après
la phase apparente de l’union nationale, il aboutira vraisemblablement à la prise de pouvoir
par les Tutsi ou tout au moins par la classe métisse… 55
50

Voir MIP Tome I 146-148.
Voir les câbles envoyés par l’ambassade US à Kigali au secrétaire d’état américain à Washington D.C. (2 avril
1991), disponible à https://goo.gl/MxfZ4W (ang.).
52
Voir id.
53
Voir id. à 3.
54
Voir MIP Tome I 176-177 et Tome II 23-24.
55
Câble de Georges Martres, ambassadeur de France au Rwanda, adressé au ministère des Affaires étrangères le 7
octobre 1990, disponible à MIP Tome II 131, disponible à http://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda/
anex4a00.pdf (le mot « métis » était utilisé pour désigner une personne d’ethnie mixte et a été utilisé au Rwanda pour
renvoyer péjorativement à une classe mixte de Tutsi et de Hutu) Ce câble fait référence aux autres télégrammes
51

16

Dans des rapports additionnels destinés au Président Mitterrand, de hauts responsables français au
Rwanda, tel que l’ambassadeur Martres, l’amiral Jacques Lanxade (alors chef d’état-major) ou
Claude Arnaud (conseiller proche du président), ont décrit l’origine de la menace comme étant les
« forces tutsies »56. Ces derniers, ainsi que d’autres responsables français, ont continué à identifier
les « Tutsi » comme la menace au Rwanda dans leurs correspondances avec Paris 57.
Les responsables français ont adopté ce langage dans leurs mémorandums et leurs communications
internes alors même que la machine propagandaire attisait la haine ethnique au Rwanda. La
croisade anti-Tutsi a atteint son « premier pic idéologique » 58 en décembre 1990, avec la
publication dans le journal rwandais Kangura d’un article intitulé « Appel à la Conscience
Hutu » 59. Bien que l’essentiel de Kangura ait été publié en Kinyarwanda, cet article-là a été publié

diplomatiques (ex. Télégrammes diplomatiques 447 & 510), que le gouvernement français n’a toujours pas rendus
publics ou mis à la disposition du Rwanda. D’après le rapport de la mission d’information parlementaire,
l’ambassadeur Martres est l’auteur de ce câble. Voir MIP Tome I 141-142.
56
Voir par exemple, courrier de l’amiral Jacques Lanxade au Président François Mitterrand (11 octobre 1990)
(décrivant le FPR comme « les forces tutsies » et « la poussée tutsie »), disponible à
http://francegenocidetutsi.org/Lanxade19901011.pdf; courrier de Claude Arnaud (conseiller spécial du Président) au
Président François Mitterrand (18 octobre 1990) (disant que le Rwanda a été attaqué par « des réfugiés d’origine
Tutsi » et décrivant le FPR comme étant des « rebelles Tutsi »), disponible à http://francegenocidetutsi.org/
Arnaud19901018.pdf; câble de l’ambassadeur Georges Martres au Président François Mitterrand (24 octobre 1990)
(rapportant sur le FPR, décrit comme «…Les Tutsi qui cherchent à reconquérir… le pouvoir »), disponible à
http://francegenocidetutsi.org/Martres24octobre1990.pdf.
57
Voir courrier de l’amiral Jacques Lanxade au Président François Mitterrand (2 janvier 1991) (parlant « d’incursions
tutsies » et de « forces tutsies »), disponible à http://francegenocidetutsi.org/Lanxade19910102.pdf; compte rendu
d’une réunion au Palais de l’Elysée (23 janvier 1991) (citant le Président Mitterrand comme ayant déclaré que « les
Tutsi ougandais se déplacent pour conquérir le Rwanda, c’est inquiétant »), disponible à http://France
genocidetutsi.org/ConseilRestreint23janv1991.pdf ; lettre de l’amiral Jacques Lanxade au Président Mitterrand (3
février 1991) de 1-2 (décrivant l’attaque du FPR sur le Rwanda comme une « nouvelle offensive ougando-tutsie » et
décrivant le FPR comme des « forces ougando-tutsies »), disponible à http://francegenocidetutsi.org/Lanxade3
fevrier1991.pdf; lettre de l’Amiral Jacques Lanxade au Président François Mitterrand (22 avril 1991) (parlant du FPR
comme des « rebelles ougando-Tutsi »), disponible à http://francegenocidetutsi.org/Lanxade19910422.pdf; lettre du
général Christian Quesnot au Président François Mitterrand (23 mai 1991) (désignant le FPR comme étant « des
rebelles ougando-Tutsi ») disponible à http://francegenocidetutsi.org/Quesnot23mai1991.pdf; courrier du général
Jean-Paul Huchon au Président François Mitterrand (20 novembre 1991) (parlant du FPR comme étant des «unités
ougandaises à majorité tutsie » ou des « forces tutsies »), disponible à http://francegenocidetutsi.org/Huchon20
novembre1991.pdf ; courrier du général Christian Quesnot au Président François Mitterrand (13 février 1993)
(décrivant les attaques du FPR sur le Rwanda comme étant une « offensive ougando-tutsie », disponible à
http://francegenocidetutsi.org/Quesnot13fevrier1993.pdf ; courrier de Dominique Pin (conseiller du Président ) et du
général Christian Quesnot au Président François Mitterrand (23 février 1993) (affirmant que la « victoire de l’ethnie
Tutsi qui dirige le FPR amènerait sans aucun doute un sursaut ethnique hutu dont les conséquences pourraient être
dramatiques », disponible à http://francegenocidetutsi.org/QuesnotPin23fevrier1993.pdf ; compte rendu du Conseil
des Ministres français, Section C sur la situation au Rwanda (3 mars 1993) (se référant à la guerre au Rwanda
impliquant le FPR comme « une révolte de la minorité tutsie, soutenue par l’Ouganda contre la majorité hutue qui
représente 90% de la population du Rwanda »), disponible à http://francegenocidetutsi.org/ConseilDesMinistres
3mars1993.pdf.
58
DANIELA KROSLAK, LA TRAHISON FRANÇAISE AU R WANDA 76 (2008) (ang).
59
Voir Appel à la conscience des Bahutu, KANGURA, N°6, décembre 1990, à 6-7, disponible à
http://www.collectifpartiescivilesrwanda.fr/wp-content/uploads/kangura-6.pdf.

17

en français 60 et affirmait : « En octobre 1990, le Rwanda a été l’objet d’une attaque extérieure
montée par des extrémistes Batutsi appuyés par l’armée ougandaise. Ces agresseurs, comptant sur
l’action des éléments infiltrés dans le pays et la complicité des Batutsi,…espéraient conquérir le
pays et installer leur régime féodo-monarchique en quelques jours »61. Les « Dix commandements
du Hutu », un ensemble de règles de conduite détaillées dans l’article, « véhiculait mépris et haine
pour l’ethnie Tutsi et pour les femmes Tutsi en particulier, présentées comme des agents
ennemis »62 en affirmant, entre autres choses, qu’un homme Hutu qui épouse une femme Tutsi est
un traître, et que tous les Tutsi sont malhonnêtes en affaires 63.
Le 17 décembre 1990, l’ambassadeur Martres a fait un rapport à Paris sur cet article de Kangura :
« la radicalisation du conflit ethnique ne peut que s’accentuer. Le journal Kangura, organe des
extrémistes Hutu, vient de publier une livraison qui ressuscite les haines ancestrales contre la
féodalité tutsie : les commandements Hutu »64. Sur la dernière page de ce numéro de Kangura se
trouvait une photo du Président Mitterrand intitulée « Un véritable ami du Rwanda »65. Aucune
information rendue publique à ce jour ne suggère que la France ait condamné la publication de ces
« dix commandements Hutu » ou ait rejeté le fait d’être qualifiée de « véritable ami du Rwanda »
par les tenants de la campagne anti-Tutsi.
De même, les responsables français semblent avoir été conscients des messages émanant du
complément radio de Kangura : Radio Rwanda et, plus tard, Radio-Télévision Libre des Mille
collines (« RTLM »). Radio Rwanda était la radio officielle du gouvernement rwandais et reflétait
les positions anti-Tutsi de celui-ci. En avril 1992, au cours des négociations de paix, la radio a
commencé à modérer son discours66. Les extrémistes Hutu ont par conséquent créé RTLM qui,
d’après les documents publics, a commencé à émettre en avril ou juillet 199367. RTLM diffusait
des messages discriminatoires en français et en kinyarwanda. Ainsi, les responsables français qui
écoutaient RTLM n’auraient eu aucune difficulté à comprendre son message68. Par exemple, les
animateurs de RTLM assimilaient les Tutsi rwandais avec le FPR et désignaient les deux par le
60

Voir id.
Voir id. à 6.
62
Le procureur vs Ferdinand Nahimana, et al., Case No. ICTR-99-52-T, Jugement (3 décembre 2003) 152, disponible
à http://unictr.unmict.org/sites/unictr.org/files/case-documents/ictr-99-52/trial-judgements/en/031203.pdf.
63
Appel à la conscience des Bahutu, KANGURA, No.6, décembre 1990, à 8, disponible à
http://www.collectifpartiescivilesrwanda.fr/wp-content/uploads/kangura-6.pdf.
64
MIP Tome 1 141. Dans un télégramme diplomatique daté du 19 décembre 1990, l’ambassadeur Martres a écrit : « la
détérioration rapide des relations entre les deux grandes ethnies, les Hutu et les Tutsi, au Rwanda, qui entraîne le
risque imminent d’un dérapage avec des conséquences néfastes pour le Rwanda et toute la région ». Id. à Tome II 139.
65
KANGURA, NO 6, décembre 1990, à 20, disponible à http://www.collectifpartiescivilesrwanda.fr/wpcontent/uploads/kangura-6.pdf.
66
ALISON DES FORGES, HUMAN RIGHTS W ATCH, NE LAISSER PERSONNE POUR R ACONTER CETTE HISTOIRE 68 (1999)
[ci-après Ne laisser personne] (ang).
67
Cf MIP Tome I 291 (affirmant que la RTLM a commencé à diffuser en avril 1993) ; avec le Procureur vs. Ferdinand
Nahimana, et al, Dossier No. ICTR-99-52-T, Jugement et sentence, 342 (3 décembre 2003) (affirmant que RTLM a
commencé à diffuser en juillet 1993).
68
Voir MIP Tome III, Vol. 1 306 (Audition de l’ambassadeur français Jean-Michel Marlaud).
61

18

terme « inyenzi », qui signifie cafard en kinyarwanda69. RTLM décrivait les Tutsi comme des
agresseurs menant une guerre militaire dans un but politique70. Un animateur de RTLM prévenait :
Ah…ceux qui ont, il y a des gens qui ont des enfants élancés, qui sont nés de quelques
familles (dont les mères sont tutsies), maintenant ils sont des membres du FPR. Il y a des
hommes qui marient des femmes tutsies en raison de leur beauté et qui prétendent être
membres de la CDR, nous leur disons que cela n’est pas possible, nous ne pouvons pas
l’admettre, nous connaissons le côté vers lequel vous penchez71.
La virulence du message de la RTLM était si apparente qu’au début 1994, avant le génocide, le
lieutenant-général canadien Roméo Dallaire, commandant de la Mission des Nations Unies pour
l’Assistance au Rwanda («MINUAR»), a demandé à plusieurs reprises de pouvoir brouiller la
diffusion de ses émissions. Bien que des appels à la violence contre les Tutsi, détaillant des
méthodes d’assassinat, étaient diffusés sur RTLM, ses demandes ont été rejetées72.

C. De 1990 à mars 1994, la France, consciente de l'implication du gouvernement
Habyarimana dans les massacres contre les Tutsi, a pourtant continué à lui fournir
des armes et des munitions.
Alors que des extrémistes massacraient les Tutsi au début des années 199073, les autorités
françaises étaient informées de ces atrocités par les câbles diplomatiques français ainsi que les
média français. Parallèlement à ces massacres, le gouvernement rwandais amplifiait la répression
et la brutalité contre les Tutsi. Par exemple, en octobre 1990, le gouvernement rwandais a arrêté
et détenu environ 10,000 personnes suspectées d’être des soutiens du FPR 74. Cependant, les
autorités françaises, à Paris et au Rwanda, ont continué à soutenir le régime qui supervisait ces
assassinats de masse et ces arrestations, et à faciliter l’acheminement d’armes vers le Rwanda.

Les responsables français savaient que les autorités rwandaises encourageaient ces massacres et
que la violence contre les civils s’était amplifiée en réponse à l’attaque du FPR. Par exemple, le
69

Voir par exemple transcription des programmes de la RTLM 25-26 (4 janvier 1994), disponible à
http://migs.concordia.ca/links/documents/RTLM_04Jan94_fr_K024-9406-K024-9452.pdf.
70
Id.
71
Transcription d’un programme de la RTLM 10 (1 janvier 1994), disponible à http://migs.concordia.ca/links/
documents/RTLM_04Jan94_fr_K024-9406-K024-9452.pdf (Fr.).
72
ROMEO DALLAIRE, LES MEDIA DANS LA DICHOTOMIE, dans LES MEDIA DANS LE GENOCIDE, édité par Allan
Thompson 18 (2007) (ang).
73
Voir par ex., FEDERATION INTERNATIONALE DES DROITS DE L’HOMME (« FIDH »), ET AL., RAPPORT DE LA
COMMISSION INTERNATIONALE D’ENQUETE SUR LES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME AU R WANDA DEPUIS LE 1ER
OCTOBRE 1990, disponible à https://goo.gl/jEkh4G.
74
Voir MEP Tome I 81 & Tome III, Vol. 1 27 (Audition Andrés Guichaoua).

19

13 octobre 1990, le colonel René Galinié, l’attaché de défense français, a rapporté que les paysans
Hutu, organisés par le parti du Président Habyarimana, le Mouvement Révolutionnaire National
pour le Développement (MRND), « ont intensifié la recherche des Tutsi suspects dans les collines,
des massacres sont signalés dans la région de Kibilira à 20 kilomètres nord-ouest de Gitarama. Le
risque de généralisation, déjà signalé, de cette confrontation, parait ainsi se concrétiser ».75 Le
câble de Galinié explique également que 90% de la population était favorable au régime du
Président Habyarimana et affirmait que le MRND « conduit une propagande habile appuyée sur
les vieux ressorts historiques et ethniques, qui restent puissants dans un pays isolé, sans
information (pas de journaux, pas de télévision, une radiodiffusion inféodée) »76. D’autres
responsables français étaient tout aussi conscients des projets que le gouvernement du Rwanda
nourrissait à l’endroit de ses citoyens Tutsi : Le général Jean Varret, ancien chef de la Mission
militaire de coopération d’octobre 1990 à avril 1993 a indiqué devant la mission d’information
parlementaire comment, lors de son arrivée au Rwanda, le colonel Rwagafilita, lui avait expliqué
la question tutsie : « ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider »77.
Le Président Paul Kagame a décrit plus tard ce que Paul Dijoud, directeur des affaires africaines
et malgaches au ministère des Affaires étrangères, lui avait dit lors d’une réunion à Paris en janvier
1992–à savoir que « si nous [c’est-à-dire le FPR] n’arrêtions pas, même si nous réussissions à
prendre Kigali, nous n’y trouverions pas notre peuple car il aurait été entièrement massacré ! »78.
Kagame en a donc déduit que « [Dijoud] devait savoir que le génocide était en préparation »79.
Deux ans plus tôt, l’ambassadeur français au Rwanda, Georges Martres, avait également reconnu
le risque de génocide. Le 15 octobre 1990, il avait averti Paris de l’imminence d’un génocide
contre les Tutsi : « elle [la population Tutsi] compte encore sur une victoire militaire ... Cette
victoire militaire, même partielle, lui permettrait, d'échapper au génocide »80. Le 24 octobre 1990,
un rapport conjoint de l’ambassadeur Martres et de l’attaché de défense Galinié notait que les
concessions du régime Habyarimana au FPR (que les auteurs qualifiaient « d’envahisseurs Tutsi »)
pourraient « entraîner, selon toute vraisemblance, l’élimination physique à l’intérieur du pays des
Tutsi, 500,000 à 700,000 personnes, par les Hutu 7,000,000 individus »81.
Comme l’a rapporté l’ambassadeur Martres dans un câble du 19 décembre 1990, un rapport
conjoint préparé par les ambassadeurs de France, de Belgique et d’Allemagne, avec la participation
du représentant de la Communauté économique européenne à Kigali, avait prévenu que les
75

Câble du colonel René Galinié 1 (13 octobre, 1990) disponible à https://goo.gl/rj7eJH.
Id. à 2.
77
Voir MEP Tome I 292
78
FRANCOIS SOUDAN, KAGAME : LE PRESIDENT DU R WANDA S’EXPRIME 51 (2015) (ang.).
79
Id.
80
Câble de l’ambassadeur français au Rwanda Georges Martres au Ministre français des Affaires étrangères 1 (15
octobre 1990), dans MEP Tome II 133, disponible à https://goo.gl/MYQhSH.
81
Câble de l’ambassadeur français au Rwanda Georges Martres (24 octobre 1990), dans MEP Tome II 134, disponible
à https://goo.gl/rgz8Jy.
76

20

violences ethniques créaient « le risque imminent d’un dérapage avec des conséquences néfastes
pour le Rwanda et toute la région »82. Comme nous le verrons plus en détail ci-après, en dépit de
ces avertissements, les responsables français ont continué à soutenir le gouvernement
Habyarimana, et celui-ci a continué à participer aux massacres de Tutsi. A l’inverse, le
gouvernement belge a décidé de suspendre son aide militaire en octobre 1990 et de retirer ses
troupes du Rwanda dès novembre 199083.
Des chercheurs ont établi qu’environ 2000 Tutsi ont été massacrés entre octobre 1990 et janvier
199384. Voici, par exemple, le compte rendu du massacre de Bugesera de mars 1992 :
Un … témoin, militaire lui-même, qui était en poste à Gako à la période des attaques, a
déclaré que le colonel Musonera, commandant du secteur, a reçu le 8 mars un télégramme
de l’Etat-Major de l'Armée Rwandaise lui donnant l'ordre de mettre une compagnie
(environ 150 hommes) à la disposition de l'opération pour tuer les Tutsi. L'opération a
débuté le lendemain le 9 mars… Pendant la journée, les hommes de cette compagnie étaient
habillés en tenue civile et étaient guidés par quelques personnes de la région pour indiquer
les habitations des Tutsi. Ils étaient précédés par une patrouille de militaires en uniforme
chargés de désarmer les Tutsi groupés pour se défendre et de les disperser... 85.
Un [autre] témoin militaire a déclaré aussi qu'il pouvait montrer des latrines où ils ont jeté
leurs victimes encore en vie. Il se rappelait aussi du marais près de Rilima où ils avaient
massacré environ 50 personnes qui s'y étaient cachées, en utilisant des grenades86.
L’ambassadeur Martres était au courant du massacre de mars 1992 dans le Bugesera et de
l’implication de responsables rwandais dans celui-ci :
De graves attaques des paysans Hutu contre les Tutsi ont commencé le 6 mars dans le
Bugesera, alors même que les négociations en vue de la formation d’un véritable
gouvernement de coalition paraissaient proches d’aboutir...
Les militaires paraissent avoir fait peu d’efforts pour désarmer la population…Depuis
plusieurs mois se sont développés des mouvements extrémistes…qui, soutenus par le
journal Kangura, appellent la nation Hutu à se regrouper autour de l’idéal de l’ancien

Câble de l’ambassadeur français au Rwanda Georges Martres au Ministre français des Affaires Etrangères (19
décembre 1990), dans MIP Tome II 139, 140, disponible à https://goo.gl/rgz8Jy.
83
Voir MIP Tome I 83 ; Le dispositif militaire français au Rwanda « demeure inchangé » AGENCE France-Presse,
29 octobre 1990 ; Département d’Etat américain mémorandum interne sur le Rwanda (29 octobre 1990) disponible à
https://goo.gl/56KfFA.
84
Voir Ne laisser personne, supra note 66, à 87
85
Voir le rapport FIDH, supra note 73 à 47.
86
Id.
82

21

Parmehutu, avec pour principal objectif la défense du peuple majoritaire contre l’ethnie qui
a fourni l’ancienne classe féodale.
Ces extrémistes…sont la plupart du temps issus de l’aile dure du MRND…
Des exactions étaient déjà commises depuis plusieurs mois dans le Bugesera, sous
l’impulsion du Bourgmestre de Kanzenze, connu pour son extrémisme 87.
Ce câble de l’ambassadeur Martres précisait également que ces massacres avaient été alimentés
par la propagande diffusée par la radio officielle du Rwanda, Radio Rwanda 88.
Les massacres de Tutsi ont continué tout au long de 1991, 1992, et jusqu’au génocide. Les
responsables français étaient au courant de ces massacres et de l’implication du gouvernement
Habyarimana dans ces derniers. En dépit de ces informations, le gouvernement français a maintenu
son soutien à l’armée rwandaise et a continué à lui livrer des armes 89. La France a en fait souvent
approuvé la livraison d’armes et d’autres formes d’assistance militaire après que des massacres de
Tutsi aient été perpétrés. Par exemple :


Janvier 1991 – mars 1991
Massacres. Début 1991, des responsables rwandais ont orchestré plusieurs massacres de
Bagogwe, terme qui désigne un clan de bergers Tutsi à Bigogwe, au nord-ouest du pays 90.
L’attaque la plus documentée a eu lieu le matin du 5 février 1991, lorsque « des soldats ont
organisé des groupes de Hutu pour chercher et attaquer des Tutsi. Plus de 300 Tutsi et
membres des partis politiques d’opposition ont été tués »91.
Soutien militaire français. Malgré les massacres de Bagogwe début 1991, la France a
renforcé sa mission d’assistance militaire le 21 mars 1991, avec des soldats
supplémentaires issus du DAMI Panda92.

87

Câble de Georges Martres, ambassadeur de France au Rwanda, au ministère des affaires étrangères français 1-3 (9
mars 1992), dans MEP Tome II 166, 166-167 disponible à https://goo.gl/NVGvxE.
88
Voir id. à 4.
89
Autorisations d’exportation d’armes (par la CIEEMG - Commission Interministérielle pour l’Etude des Exportations
du Matériel de Guerre) de la France au Rwanda pour la période 1987-1994 (année – nombre d’autorisations – valeur
en millions de francs) sont comme suit : 1987-4- 50M ; 1988-3-19M ; 1989-4-116M ; 1990-16-191M ; 1991-11-48M ;
1992-17-122M ; 1993-6-44M ; 1994-1-1M (ang). Voir MIP Tome I 178-179. Les informations suivantes concernent
les nombres d’autorisations d’exportations de matériel de guerre (AEMG) de la France au Rwanda pour la période du
1er janvier 1990 au 6 avril, 1994 (année – nombre d’autorisations – valeur en millions de francs) : 1990-13-9M ; 19919-5M ; 1992-33-90M ; 1993-23-32M ; 1994-6-0,4M. Voir MIP Tome I 179-180.
90
Rapport de la FIDH, supra note 73 de 26-29.
91
HRW, Livraison d’armes au Rwanda, supra note 43 à 12.
92
MIP Tome I 356.

22



Novembre 1991 – décembre 1991
Massacres. Durant la nuit du 7 au 8 novembre 1991, « des familles tutsies ont été attaquées
dans leurs maisons dans le secteur de Rwankuba, dans la commune de Murambi… 93». Au
cours de ces attaques, « une femme de 85 ans a été tuée, 3 filles ont été violées à plusieurs
reprises, et au moins une dizaine d’adultes ont été blessés à la machette ou ont été
sévèrement molestés, et une dizaine de maisons ont été pillées…Les survivants ont raconté
que pendant qu’ils étaient agressés à la machette ou avec des bâtons, leurs agresseurs les
insultaient parce qu’ils étaient Tutsi »94.
Soutien militaire français. Le 18 décembre 1991, un mois après les attaques de Murambi,
l’armée de l’air française a reçu l’autorisation d’exporter des pièces de rechange pour les
hélicoptères Gazelle, Alouette et Ecureuil, qui devaient être exportées le 8 avril 199295. Le
27 janvier 1992, le gouvernement français a accordé une licence d’exportation pour trois
hélicoptères Gazelle, que les responsables français ont exportés les 22 avril, 1er juillet, et
1er octobre 199296.



Février – mars 1992
Massacres. En février 1992, des Tutsi ont été massacrés dans le Bugesera, où l’éditeur de
Kangura avait répandu des rumeurs au sujet « du danger d’une infiltration des « Inyenzi »
et de probables attaques ». Radio Rwanda avait également encouragé le massacre de Tutsi
en « diffusant à cinq reprises la « nouvelle » qu'un « groupe des droits de l'homme » à
Nairobi avait publié un communiqué de presse avertissant que les Tutsi allaient tuer des
Hutu, en particulier des dirigeants politiques Hutu, dans le Bugesara »97. Parfois qualifiés
de « répétitions » en vue du génocide de 1994, le gouvernement du Rwanda a organisé des
attaques contre les Tutsi en mars 1992 qui ont fait 300 morts dans le Bugesera 98. Des
soldats déguisés en civil ont attaqué des Tutsi99. Des rapports ont indiqué que des membres
de la Garde présidentielle et des soldats issus du camp de Kanombe à Kigali étaient parmi
les auteurs de ces attaques. 100

93

Human Rights Watch, Parler de paix et faire la guerre 15 (1992) (ang).
Id.
95
Voir MIP Tome I à 183-84.
96
Voir id. à 183.
97
Ne laisser personne, supra note 66, 58 et 88-89.
98
Id. à 90 ; voir Bilan de la guerre ethnique au Rwanda « Environ 300 » : Organisations de Droits, Agence FrancePresse Anglais, 8 mars 1992 (rapport qui établit jusqu’à 300 morts et 6000 déplacés Tutsi) (ang).
99
Voir id., à 90; voir aussi Rapport FIDH, supra note 73, à 47.
100
Voir Rapport FIDH, supra note 73, à 47.
94

23

Au cours de la première semaine de mars 1992, des extrémistes ont attaqué Kibilira, tuant
5 personnes, détruisant 74 maisons appartenant à des Tutsi et forçant 1200 personnes à fuir
Kibilira, où le gouvernement avait déjà organisé des massacres de Tutsi en octobre 1990101.
Soutien financier et militaire. En dépit de ces évènements, en mars 1992, le Rwanda a
acheté pour 6 millions de dollars d’armements (parmi lesquels des explosifs plastiques, des
mines, des obus de mortier) à l’Egypte102, et des documents suggèrent une implication
française dans cette transaction. Human Rights Watch affirme que le Crédit Lyonnais
(banque nationalisée par le gouvernement français) a garanti cette transaction103, bien que
le président du Crédit Lyonnais ait nié ces allégations104.
De plus, le 4 mai 1992, la France a livré au Rwanda, via la société Thomson-CSF, des
équipements pour les communications cryptées, des centaines d'émetteurs-récepteurs (dont
certains étaient portables) et quatre téléphones numériques de haute sécurité105.


Juillet 1992 – août 1992
Cessez-le-feu suivi d’un soutien militaire français. La signature d’un cessez-le-feu entre
le gouvernement rwandais et le FPR en juillet 1992 et l’ouverture des négociations à
Arusha n’ont pas arrêté le flot de matériel et d’armes françaises 106. Ainsi, le 12 août 1992,
le ministère des Affaires étrangères français a décidé que l’accord de cessez-le-feu ne
devrait pas impacter la vente de 2000 obus de 105mm, 20 mitraillettes de 12,7mm, et
32,400 canons au Rwanda107.



Août 1992- février 1993
Massacres. Des partisans du MRND et du CDR ont massacré des Tutsi et ont brûlé leurs
maisons dans la préfecture de Kibuye, à l’ouest du Rwanda, entre le 20 et le 25 août
1992108. Des leaders politiques liés au MRND du Président Habyarimana et au parti
extrémiste CDR se sont servis des groupes de jeunes de leurs partis respectifs (c’est-à-dire
les Interahamwe et les Impuzamugambi) et de soldats des FAR pour perpétrer les

101

Voir id. à 22.
Voir MIP Tome I 178-180; voir aussi HRW, Livraison d’armes au Rwanda, supra note 43, à 14-15.
103
Voir HRW, Livraison d’armes au Rwanda, supra note 43, à 14-15.
104
Voir MIP Tome I 186.
105
Voir id. à 184.
106
Id.
107
Id.
108
Voir ASSOCIATION RWANDAISE POUR LA DEFENSE DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES LIBERTES PUBLIQUES,
RAPPORT SUR LES DROITS DE L’HOMME AU R WANDA SEPTEMBRE 1991 – SEPTEMBRE 1992, 245-264 (décembre 1992) ;
Ne laisser personne, supra note 66, à 80 ; Département d’Etat des Etats-Unis, Rwanda : Enfiler une aiguille dans
TENDANCES AFRICAINES 1, 12 (18 septembre 1992), disponible à https://goo.gl/MisZGA (documents déclassifiés du
département d’Etat des Etats-Unis, publiés en partie) (ang.).
102

24

massacres 109. Le 26 août 1992, quelques jours après que Habyarimana et le FPR aient
accepté un cessez-le-feu, la France et le gouvernement Habyarimana ont amendé l’APAM
de 1975, qui limitait auparavant la coopération militaire française à la gendarmerie, et ont
étendu cette coopération aux FAR 110.
En décembre 1992, pour la troisième fois en seulement deux ans, des villageois Tutsi ont
été massacrés à Kibilira111. Les Interahamwe et les Impuzamugambi ont mené les attaques
en partenariat avec les responsables locaux 112. Des rapports font aussi état de la
participation de la Garde présidentielle, dont les éléments étaient habillés en civil 113. Les
militaires ont ciblé à la fois les Tutsi et les Hutu membres de partis d’opposition114.
Soutien militaire français. Selon la mission d’information parlementaire française, les
responsables français ont continué à livrer des armes au Rwanda en février 1993.
Ainsi en février 1993, alors que le détachement Noroît venait d’être renforcé ..., l’étatmajor des armées a rappelle à l’attaché de défense qu’il devait « faire en sorte que l’armée
rwandaise ne se trouve pas en rupture de stocks de munitions sensibles... et que les
livraisons aux FAR de matériels militaires s’effectuent dans la plus grande discrétion ».
De fait, dans la chronologie qu’il établit dans son rapport de fin de mission, le colonel
Philippe Tracqui, commandant le détachement Noroît pour la période allant du 8 février
1993 au 21 mars 1993, note « vendredi 12 février 1993 : atterrissage d’un DC8 avec 50
mitrailleuses 12,7 mm et 100 000 cartouches pour les FAR. Mercredi 17 février 1993 :
atterrissage d’un Boeing 747 avec déchargement discret par les FAR d’obus de 105 mm et
de roquettes de 68 mm (Alat) »115.
Sur la base des comptes rendus de massacres mentionnés ci-dessus, un groupe d’organisations de
défense des droits de l’homme, dirigé par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme
(FIDH), a mené une mission d’enquête au Rwanda entre le 7 et le 21 janvier 1993. Le rapport final
de la mission, connu sous le nom de « Rapport FIDH », n’a été publié que le 8 mars 1993.
Cependant, les autorités françaises ont été informées du travail et des conclusions dur rapport avant
sa publication. Un câble du 19 janvier 1993 de l’ambassadeur Martres à Bruno Delaye, conseiller
aux Affaires africaines du Président Mitterrand, a mentionné des informations fournies par Jean
Carbonare, de l’organisation Survie et Développement, qui a participé à l’élaboration du rapport

109

Voir ROMEO DALLAIRE, SERRER LA MAIN DU DIABLE, 211 (2003) [ci-après Dallaire] (ang.).
Voir l’amendement à l’APAM, 26 août 1992, dans MIP 91-94 Tome II.
111
Voir Rapport FIDH, supra note 73, à 22.
112
Voir id. à 26.
113
Voir id. à 26
114
Voir id. à 23.
115
MIP Tome I 184-185
110

25

FIDH116. M. Carbonare a rapporté à l’ambassadeur Martres que le Président Habyarimana avait
ordonné les massacres au cours d’une réunion avec plusieurs hauts responsables rwandais (y
compris le Colonel Bagosora) 117. L’ambassadeur Martres a précisé : « Au cours de cette réunion,
l’opération aurait été programmée, avec l’ordre de procéder à un génocide systématique en
utilisant, si nécessaire, les concours de l’armée et en impliquant la population locale dans les
assassinats, sans doute pour rendre celle-ci plus solidaire dans la lutte contre l’ethnie ennemie »118.
L’ambassadeur Martres a reconnu que le rapport contenait de sérieuses critiques contre le Président
Habyarimana et admis que « le rapport que la mission déposera … ne fera qu’ajouter l’horreur à
l’horreur déjà connue »119.
Le 11 février 1993, la Belgique a annoncé qu’elle mettrait fin à son aide au Rwanda 120.
Cependant, les révélations des organisations des droits de l’homme sur les abus commis par les
autorités rwandaises n’ont pas ému les autorités françaises. Le 3 mars 1993, quelques jours
seulement avant la sortie du rapport final de la FIDH, le général Christian Quesnot, inquiet des
progrès continus du FPR121, a fait les recommandations suivantes au Président Mitterrand :
1) En première priorité, exiger une réorientation forte et immédiate de l’information
diffusée par les médias sur notre politique au Rwanda en rappelant notamment :




L’évolution démocratique du Rwanda depuis deux ans : multipartisme, premier
Ministre de l’opposition, etc.
L’agression ougandaise,
Les graves atteintes aux droits de l’homme du FPR : massacres systématiques de civils,
purification ethnique, déplacement de population, …

2) Poursuivre nos pressions sur les autorités rwandaises pour qu’elles présentent un front
unique dans les négociations et que l’armée rwandaise se sente soutenue fermement
dans la défense du territoire national,
3) Aider encore plus l’armée rwandaise afin de maintenir des unités solides et
suffisamment équipées entre le dispositif français de sécurité et les agresseurs,

116

Voir Câble de Georges Martres, ambassadeur Français au Rwanda, à Bruno Delaye, directeur de la cellule africaine
de l’Elysée 1 (19 janvier 1993), disponible à https://goo.gl/Nf46mz.
117
Voir id.
118
Id.
119
Id.
120
Voir La Belgique signale qu’elle suspendra son aide substantielle au Rwanda, AGENCE FRANCE-PRESSE ANGLAIS,
11 février 1993. (ang).
121
Voir Mémorandum du général Christian Quesnot, chef d’état-major du Président François Mitterrand 1 (3 mars
1993), disponible à http://francegenocidetutsi.org/Quesnot3mars1993.pdf (« La poursuite de l’offensive FPR…Notre
aide militaire et technologique aux soldats rwandais n’est toujours pas de nature à inverser le rapport de forces, ni
surtout, ce qui me paraît plus grave, à la hauteur des objectifs politiques décidés le 22 octobre. »).

26

4) Maintenir au minimum notre dispositif militaire en l’état 122.
Conscient des critiques médiatiques contre le Président Habyarimana, la première priorité du
général Quesnot semble avoir été de faire porter le chapeau au FPR, qu’il qualifiait
d’« agresseurs »123. Dans sa communication Quesnot n’a pas mentionné les violations des droits
de l'homme commises par le gouvernement rwandais et n’a pas recommandé de faire pression sur
les autorités rwandaises qu’elles montrent de la retenue.
Le jour suivant, le 4 mars 1993, le sénateur Guy Penne, préalablement conseiller au Président
Mitterrand pour les Affaires africaines, a conseillé au Premier ministre Pierre Bérégovoy de
suspendre sa coopération avec le Rwanda et de limiter le mandat des troupes françaises à la
protection des expatriés et à des missions humanitaires 124. Ce conseil a été ignoré.
Le 8 mars 1993, la FIDH a publié son rapport à Paris et à Bruxelles, concluant que des violations
des droits de l’homme « massives, systématiques » avaient été commises au Rwanda dès le 1er
octobre 1990, « avec l’intention délibérée de s’en prendre à une ethnie »125. La version anglaise du
rapport a été publiée le même mois. Parmi les révélations citées dans la section « Introduction et
résumé des conclusions » de la version anglaise, on trouve ce qui suit :









Des violations des droits de l’homme massives et systématiques ont été commises au
Rwanda depuis le 1er octobre 1990, avec l’intention délibérée de cibler une ethnie
particulière.
Le gouvernement du Rwanda a tué ou a causé la mort d’environ 2000 de ses propres
citoyens.
La majorité de ces victimes étaient Tutsi, et elles ont été tuées ou harcelées pour la seule
raison qu’elles étaient Tutsi.
Les autorités au plus haut niveau de l’Etat, y compris le Président de la République, ont
validé ces abus.
Des agents de l’Etat ont mené des attaques au niveau local. Dans certains cas, ils ont même
informé les Hutu que tuer des Tutsi faisait partie de l’Umuganda, les travaux
communautaire traditionnellement réalisés pour le bien commun.
Les FAR ont tué des civils au cours d’attaques contre les Bagogwe et dans le Bugesera.
Elles en ont massacré des centaines d’autres au cours d’une opération militaire dans le
Mutara. L’armée rwandaise a simulé de fausses agressions militaires, dont une à Kigali et

122

Id. à 1-2.
Id.
124
Lettre du Sénateur Guy Penne au Premier ministre Pierre Bérégovoy (4 mars 1993), disponible à
https://goo.gl/Nd5896.
125
Rapport de la FIDH, supra note 73 à 90.
123

27





une dans son camp de Bigogwe, s’en servant comme prétexte pour tuer et arrêter des Tutsi
ainsi que des opposants supposés au gouvernement.
L’armée rwandaise a assassiné ou sommairement exécuté des civils désignés par les
autorités civiles.
L’armée rwandaise a tué des soldats du FPR après qu’ils se soient rendus.
En violation flagrante de la loi rwandaise, le Président et le gouvernement du Rwanda ont
toléré et encouragé les activités des milices armées liées aux partis politiques. Ces derniers
mois les milices se sont substituées au gouvernement pour assumer le rôle principal dans
les violences contre les Tutsi et des membres de l’opposition politique, privatisant de fait
l’usage de la violence. 126

La sortie du rapport de la FIDH a été largement relayée dans les média français 127.
Le jour de la publication de ce rapport par la FIDH, la Belgique a rappelé son ambassadeur au
Rwanda pour consultation, affirmant qu’elle pourrait revoir sa coopération civile et militaire avec
le Rwanda128. De son côté, le ministère des Affaires étrangères français a convoqué l’ambassadeur
du Rwanda pour une explication. L’AFP a cependant rapporté que « le porte-parole du ministre
des Affaires étrangères, Daniel Bernard, a souligné que, contrairement à l’ancienne puissance
coloniale belge, la France n’avait pas l’intention de revoir sa politique de coopération avec le
Rwanda après le rapport de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) sur les
massacres et les fosses communes »129.
De même, suite à la publication du rapport de la FIDH, l'ambassadeur français Jean-Michel
Marlaud a tenté de détourner les accusations contre le gouvernement rwandais en déclarant: « il y
a des abus de la part de l’armée rwandaise ; davantage par l’absence de contrôle du gouvernement
que par une volonté délibérée de celui-ci »130.
Après la publication du rapport de la FIDH, les vendeurs d'armes français ont fourni des armes au
Rwanda, apparemment avec l'approbation des autorités françaises. Par exemple, en mai 1993, le
gouvernement rwandais a conclu un accord d'armement de 12 millions de dollars pour des armes
126

Id.
Voir par exemple, RWANDA: selon une commission internationale d’enquête des violations « systématiques » des
droits de l’homme ont fait plus de 2000 victimes civiles en deux ans » LE MONDE, 10 mars 1993 (rapportant une
conférence de presse par le Président de la FIDH, Daniel Jacoby, qui a affirmé que le gouvernement du Rwanda a été
impliqué « à un très haut niveau de responsabilité » dans le massacre de 2000 civils depuis le début de la guerre civile
en octobre 1990); Au Rwanda, les massacres ethniques au service de la dictature, LE MONDE DIPLOMATIQUE, 18-19
avril 1993, disponible à https://goo.gl/t7Ad8r ; Interview de Jean Carbonare, NEWS ANTENNA 2, 1993, disponible à
https://goo.gl/SGQpx9 ; Remy Ourdan, Les yeux fermés, LE MONDE, 1 avril 1998.
128
Voir La Belgique rappelle son ambassadeur du Rwanda, AGENCE FRANCE-PRESSE ANGLAIS, 8 mars 1993 (ang.).
129
Voir L’ambassadeur rwandais convoqué au sujet de violations des droits, AGENCE FRANCE-PRESSE ANGLAIS, 11
mars 1993 (ang.).
130
Voir Stephen D. Goose & Frank Smyth, Armer un génocide au Rwanda, FOREIGN AFFAIRS, septembre-octobre
1994, disponible à https://goo.gl/H5dy1K.(ang.).
127

28

et des munitions auprès d'une société française, DYL Investments, soumise à la réglementation
française131. De plus, d’après certains commentateurs, le consul de France à Goma aurait justifié
les livraisons d'armes de France et d'Europe de l'Est au Rwanda comme « l’application de contrats
français privés convenus avant que les massacres massifs de civils ne soient déclenchés par la mort
du président rwandais et de son homologue burundais le 6 avril »132. Comme l'a déclaré un
journaliste, « il est peu probable que les livraisons se soient déroulées sans l'approbation tacite des
autorités françaises qui, jusqu'à présent, étaient le principal fournisseur d'armes du Rwanda »133.
Le 25 janvier 1994, HRW a publié une lettre ouverte au Président François Mitterrand dans
laquelle l’organisation a accusé la France d’être « le principal soutien militaire au gouvernement
rwandais…fournissant assistance au combat à une armée rwandaise coupable de graves violations
des droits de l’homme, et omettant de faire pression sur ce gouvernement pour qu’il fasse preuve
de retenue134 ». La lettre prévenait la France que son soutien militaire au Rwanda s’apparentait à
une participation à la guerre135. Bien qu’il ait été rapporté que des responsables au sein du ministère
français de la Coopération préparaient une réponse à la lettre de HRW136, le gouvernement français
n’a manifestement jamais réagi à cette dernière.137
En conséquence, la mission parlementaire française a conclu ceci :
Face aux atermoiements des autorités rwandaises et préoccupée par la stabilité des Etats et
la sécurité régionale, la France n’a jamais pris la décision de suspendre toute coopération,
ou même de procéder à une baisse du niveau de son aide civile et militaire. Aussi, le
Président Juvénal Habyarimana a-t-il pu se convaincre lui-même que « la France… serait

131

Voir Lettre de Cyprien Kayumba, Officier de liaison au ministère de la Défense, au ministère de la défense de
Bukava (26 déc1994), dans MIP Tome II 563, 566 ; Lettre de Paul Barril à Dominique Lemonnier, PDG de DYL
Invest (13 juillet 1994), dans MIP Tome II 575-576 ; voir aussi MIP Tome II 581-589.
132
Voir Chris Mc Greal, Paris reste passif alors que des armes transitent vers l’est du Zaïre, THE GUARDIAN, 23 juin
1994 disponible à https://goo.gl/WVTXLS (ang.); voir aussi ANDY STOREY, LA VIOLENCE STRUCTURELLE ET LA
LUTTE POUR LE POUVOIR D’ETAT AU RWANDA 36 n.27 (2010) (affirmant qu’il est « improbable que le gouvernement
français n’ait pas été au courant de cet arrangement ») (ang.); Voir aussi Réarmer avec impunité, supra note 29, p. 4)
(Jean-Claude Urbano, consul français de Goma à l'époque, a justifié les cinq livraisons par l'exécution de contrats
négociés avec le gouvernement rwandais avant l'embargo sur les armes."). Jean-Claude Urbano avait l'intention de
poursuivre Human Rights Watch pour ses reportages, mais n'a pas donné suite. Voir Mémorandum de l'Officier de la
Défense du ministère de la Coopération au Ministre de la Coopération (1er septembre 1994), LAURE CORET &
FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE, L'HORREUR QUI NOUS PREND AU VISAGE: L'ETAT FRANÇAIS ET LE GENOCIDE (2005)
[ci-après Mémorandum Roussin] 126, disponible à https://goo.gl/neQHqe.
133
Paris reste passif alors que des armes transitent vers l’est du Zaïre supra note 133.
134
Frank Smyth, La connexion française au Rwanda, THE VILLAGE VOICE, 3 mai 1994 (ang.) [ci-après Smyth] ;
France : Mitterrand Fils Encore!, AFRICA CONFIDENTIAL, 4 février 1994, à 8 [ci-après Africa Confidential].
135
Monah Esipisu, Une organisation de défense des droits de l’homme exigent une interdiction des armes au Rwanda,
REUTERS, 25 janvier 1994 (ang.); Africa Confidential, supra note 134, à 8.
136
Africa Confidential, supra note 134, à 8.
137
Smyth, supra note 134.

29

derrière lui quelle que soit la situation, qu’il pouvait faire n’importe quoi sur le plan
militaire et politique … »138.

D. En dépit des massacres en cours au Rwanda, les responsables français ont renforcé la
gendarmerie et ont peut-être aidé les milices civiles.

Alors que des massacres avaient lieu au Rwanda, les informations publiques montrent que la
France a renforcé son soutien aux institutions rwandaises, dont certains éléments clés
participeraient par la suite au génocide des Tutsi139.

1. Les responsables français ont développé et assisté la gendarmerie rwandaise.

A travers l’AAMT (Accord d’Assistance Militaire et Technique) de 1975, les autorités françaises
ont aidé à développer la gendarmerie rwandaise. Ce soutien s’est intensifié au début des années
1990. En novembre 1990, les responsables rwandais ont demandé aux responsables français de
continuer à former la gendarmerie rwandaise et, au sein de celle-ci, la police judiciaire140. Des
communications internes datant de 1991 révèlent que des officiers français assistaient la
gendarmerie dans sa préparation pour la défense de Kigali et que ladite gendarmerie bénéficieait
d’une assistance technique, dirigée par le Col. Canovas141.
Les conseillers français ont également assisté la gendarmerie dans l’investigation d’actes de
« terrorisme ». Cependant, deux rapports français sur le sujet (un daté du 1er juin 1992 et l’autre
de juin 1993) suggèrent que les conseillers DAMI, qui épaulaient la gendarmerie, étaient plus
préoccupés par la recherche de preuves de crimes supposément commis par le FPR que par le
désir de mettre un terme aux massacres de masse de civils Tutsi 142. Bien que les deux rapports

MIP Tome I 36 (citant le témoignage de l’ancien Sous-secrétaire d’Etat en charge des Affaires africaines Herman
Cohen).
139
Voir généralement LAURE DE V ULPAIN ET THIERRY PRUNGNAUD, SILENCE TURQUOISE : R WANDA, 1992-1994
RESPONSABILITES DE L’ETAT FRANÇAIS DANS LE GENOCIDE DES TUTSI 65 (2012) [ci-après Vulpian & Prungnaud]; La
France accusée d’avoir formée des rwandais avant le génocide de 94, THE NEW YORK TIMES, 23 avril 2005,
disponible http://www.nytimes.com/2005/04/23/world/europe/france-said-to-train-rwandans-before-94genocide.html (ang.); DROITS, MORTS, DESESPOIR, ET DEFIANCE AFRICAINS 55 (1995) (ang.).
140
Voir Mémorandum du colonel Leonidas Rusatira 2 (17 novembre 1990), disponible à https://goo.gl/HBv6yV.
141
Voir Câble de René Galinié à Jacques Ruelle, Patron de la DMAT/Gendarmerie 1 (18 février 1991), disponible à
http://francegenocidetutsi.org/GalinieRuelle18fevrier1991.pdf.
142
REPUBLIQUE RWANDAISE GENDARMERIE NATIONALE, ETUDE SUR LE TERRORISME AU R WANDA DEPUIS 1990
(1993) [ci-après Etude sur le terrorisme], disponible à https://goo.gl/HBv6yV.
138

30

aient reconnu l’absence de preuves concluantes dans la pose de mine et les attentats dirigés contre
les taxis de Kigali, le rapport de 1993, en particulier, accusait le FPR d’en être l’auteur 143.
Aucun de ces rapports n’a enquêté sur les massacres, pourtant bien documentés, qui se produisaient
toujours à travers le pays. Au lieu de cela, ils ont fait allusion à la « violence ethnique » et ont
accusé le FPR d’encourager les massacres pour déstabiliser le régime Habyarimana 144. La théorie
selon laquelle le FPR cherchait à susciter des massacres contre son propre peuple n’est pas
soutenue par le rapport de la FIDH, publié à la même époque, qui note cependant la participation
de la gendarmerie à de nombreux massacres de Tutsi145.

2. Les responsables français ont peut-être formé et équipé des milices civiles.

Malgré la violence et l’atmosphère bouillonnante qui régnait au Rwanda , les archives publiques
suggèrent que les soldats français ont peut-être formé et équipé les milices civiles. Par exemple,
Thierry Prungnaud, ancien membre du Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale
(GIGN), a révélé à la radio France Culture qu’en 1992 il a vu « des militaires français en train de
former des milices civiles à l’utilisation d’armes à feu…Il y avait environ 30 militants qui suivaient
une formation à l’emploi d’armes à feu dans le parc de l’Akagera »146. Ces milices étaient
organisées et opéraient de la même façon que les Interahamwe et les Impuzamugambi,
responsables de la mort de centaines de milliers de personnes pendant le génocide des Tutsi. Elles

143

Voir REPUBLIQUE RWANDAISE GENDARMERIE NATIONALE, ETUDE SUR LE TERRORISME AU R WANDA DEPUIS 1990,
supra note 143, à 508 (« nous pouvons affirmer que le sponsor de la plupart des attaques est le FPR »).
144
Voir par exemple, ACTES DE TERRORISME PERPETRES AU R WANDA DEPUIS DECEMBRE 1991, à 6 (« une part
significative de ces actions sont à mettre à l’actif du FPR, qui les exécute depuis le Burundi, peut-être via le Zaïre. Ils
visent à déstabiliser le pays et à discréditer le Président de la République auprès de l’opinion publique et des bailleurs
de fonds (en provoquant par exemple des massacres ethniques) ») ; voir aussi REPUBLIQUE RWANDAISE GENDARMERIE
NATIONALE, ETUDE SUR LE TERRORISME AU R WANDA DEPUIS 1990, supra note 143, §§ VII et VIII (concluant que «
les preuves montrent clairement que le FPR est derrière ces attaques » et suggèrent en particulier qu’à Bugesera, le
FPR a commis des « attaques contre des soldats du Camp de Gako pour provoquer des troubles et une répression
indiscriminée sur base ethnique »).
145
Voir Rapport de la FIDH, supra note 73, à 53 (« Les forces armées rwandaises, parmi lesquelles l’on inclut la
gendarmerie, sont citées dans plusieurs chapitres du présent rapport comme les auteurs de violations particulièrement
graves des droits de l’homme. »).
146
La France accusée d’avoir entraîné les rwandais avant le génocide de 94, THE NEW YORK TIMES, 23 avril 2005
disponible à http://www.nytimes.com/2005/04/23/world/europe/france-said-to-train-rwandans-before-94genocide.html (ang.); Voir aussi MIP Tome 1 369 (qui parle du témoignage de Venuste Kayimahe, qui a dit avoir vu
deux soldats français entrainant des milices à Kigali, mais les deux soldats réfutent cette accusation) & 370 (qui aborde
la mémoire de Gérard Prunier au sujet de l’entrainement des milices par des soldats français); DROITS, MORTS,
DESESPOIR, ET DEFIANCE AFRICAINS 60 (1995) (« environ 8000 [I]nterahamwe bien entrainés et équipés par l’armée
française attendent le signal pour commencer les assassinats parmi les résidents de Kigali et les environs ») ; Vulpain
et Prugnaud, supra note 139 à 66, 78-80 (2012).

31

étaient entraînées (pas nécessairement par les français) à voir les Tutsi comme l’ennemi, des
« cafards » qui méritaient de mourir 147.
Au cours des mois qui ont précédé le génocide des Tutsi, les responsables français ont reçu des
rapports sur les activités des Interahamwe et d’autres groupes extrémistes. Le 12 janvier 1994, la
Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE), le service du renseignement extérieur
français, a informé le Ministère français des Affaires étrangères que des éléments au sein des
Interahamwe tentaient de provoquer les soldats du FPR stationnés au parlement rwandais ("CND")
afin d'utiliser leur réaction comme prétexte pour tuer les Tutsi à Kigali 148.

III.

AU COURS DU GENOCIDE DES TUTSI, LES RESPONSABLES FRANÇAIS ONT SOUTENU LE
REGIME LE GOUVERNEMENT INTERIMAIRE DU RWANDA (GIR) ET LES
GENOCIDAIRES.

Le 30 mars 1994, une semaine avant le déclenchement du génocide des Tutsi, le commandant de
la MINUAR, le lieutenant-général Roméo Dallaire, a découvert que le gouvernement français avait
été informé de ses rapports sur la collaboration des français avec les groupes extrémistes et, en
réaction à ces rapports, avait essayé de le faire renvoyer. Il a expliqué :
La France avait écrit au gouvernement canadien pour solliciter mon relèvement comme
commandant de la MINUAR. Apparemment quelqu’un avait lu mes rapports et n’avait pas
apprécié que je fasse référence à la présence d’officiers français au sein de la Garde
présidentielle, en particulier à la lumière de la proximité entre cette unité et les milices
Interahamwe. Le ministère français de la Défense devait être au courant de ce qui se passait
Lors du procès d’Augustin Ndidiliyimana au TPIR, un témoin (« GFC ») a affirmé que les stagiaires de la
Commune de Mukingo en 1993 avaient été informé que « les Tutsi présentés étaient méchants, des Tutsi-Inyenzi, et
que c’étaient les Tutsi qui nous avaient attaqués et nous devions les chasser » et que les autorités ont donné des armes
aux stagiaires et leur ont dit qu’ils seraient postés à des barrages routiers pour poursuivre l’ennemi Tutsi. Le Procureur
v. Augustin Ndidiliyimana et al., Cas N° ICTR-00-56-T, Jugement et sentence, 354-356 (17 mai 2011), disponible à
http://unictr.unmict.org/sites/unictr.org/files/case-documents/ictr-99-50/trial-judgements/en/110517.pdf (ang.); voir
aussi Les survivants du génocide ne peuvent pas pardonner, BBC News, 7 avril 2006 (citant une survivante du
génocide qui affirmait qu’elle avait rencontré « plusieurs Interahamwe , des hommes qui avaient été entrainés pour
tuer les Tutsi, » et qualifié Tutsi d’ « Inyenzi » ou cafards), disponible à https://goo.gl/YbkpK3 (ang.); voir aussi le
câble du lieutenant-général Roméo Dallaire, Commandant des Forces de la MINUAR, aux Nations-Unies,
Département des opérations de maintien de la paix (11 janvier 1994) (notant qu’alors que l’objectif officiel des
Interahamwe stationnés dans la ville de Kigali était de protéger la ville contre le FPR, un de leurs superviseurs avait
reçu un ordre d’établir une liste de tous les Tutsi à Kigali et soupçonnait que cette manœuvre servait en fait le projet
d’extermination des Tutsi), disponible à http://www.rwandadocumentsproject.net/gsdl/cgi-bin/library?e=d-01000-00--off-0RW2--00-1--0-10-0---0---0prompt-10---4-------0-1l--11-en-1000---50-about---00-3-1-00-0-0-11-1-0utfZz-800&a=d&cl=CL1.6.1&d=HASHac5d200ba6db810c1d0329.1.
148
Voir Mémorandum de Pierre-Henri Bunel, officier de la DGSE 228 (12 janvier 1994), dans MIP Tome II 228,
disponible à http://francegenocidetutsi.org/Bunel12janvier1994.pdf.
147

32

et fermait les yeux. Ma franchise a suffisamment irrité les français pour qu’ils décident, ce
qui est inhabituel, de demander mon renvoi. Il était clair que j’avais toujours la confiance
d’Ottawa et du Département des opérations de maintien de la paix, et je me suis promis de
continuer à surveiller le comportement des français au Rwanda, de maintenir mon
scepticisme quant à leurs motivations, et de continuer d’enquêter sur la présence de
militaires français au sein de l’élite de la Garde Républicaine et leur possible implication
dans l’entraînement des Interahamwe149.
Lorsque le génocide des Tutsi a débuté le 7 avril 1994, plusieurs responsables français ont
immédiatement pris conscience que le niveau des violences excéderait celui des massacres que le
pays avait connus jusque-là. Selon le rapport de la mission d’information parlementaire française,
le général Quesnot a concédé qu’ils savaient ce qui se passait et ce qui arriverait : « lorsque le
Président Habyarimana avait été assassiné, les politiciens comme les militaires ayant tout de suite
compris qu’on allait vers des massacres sans commune mesure avec ce qu’il s’était passé
auparavant »150. En effet, le matin du 7 avril 1994, le génocide a commencé par des massacres de
masse de Tutsi et leaders politiques modérés (y compris le Premier ministre Agathe Uwilingiyama,
la responsable autorisée légalement à diriger le gouvernement rwandais après l’assassinat du
Président Habyarimana)151.

A. Les responsables français ont été parmi les premiers à se rendre sur la scène du crash
de l’avion du Président Habyarimana, et peu de preuves ont émergé de ce site depuis.

La Garde présidentielle, entrainée par les français, a refusé à la MINUAR et à d'autres personnes
l’accès au lieu de l'accident152. Le commandant Aloys Ntabakuze (génocidaire reconnu coupable
et commandant du bataillon FAR para-commando) a affirmé avoir envoyé un peloton sur le site 153.
Alors que la MINUAR n’a pas pu accéder au site de l'accident, au moins deux responsables
français (le lieutenant-colonel Grégoire de Saint-Quentin et un assistant) sont arrivés tôt sur la
scène du crash, où ils ont cherché des preuves 154 et n’ont pas sécurisé correctement le site afin de
préserver les preuves. Du fait de la mort des pilotes et de l’équipage français du Falcon 50, un
avion offert par le gouvernement français au Président Habyarimana, on aurait pu supposer que le

149

Dallaire, supra note 109, à 209-210.
MIP Tome III, Vol. 1 344 (Audition du général Christian Quesnot).
151
Voir généralement Dallaire, supra note 109, ch.10.
152
Voir MIP Tome I 247 ; Lettre du lieutenant-général Roméo Dallaire, Commandant de la MINUAR, à Jean
Kambanda, Premier Ministre du Rwanda, dans MIP Tome II 244.
153
Procureur v. Théoneste Bagosora et al, Affaire No. ICTR-98-41-T, Jugement et sentence, para. 830 (18 décembre
2008).
154
Voir le tableau de données du ministère de la Défense de la France 3 (7 juillet 1998), disponible à
https://goo.gl/aEthso; MIP Tome I 247-248.
150

33

gouvernement français enquêterait sur la question en temps réel. La France n'a pourtant jamais
divulgué ni un rapport d'enquête ni aucune preuve matérielle provenant du site du crash.
B. Au cours du génocide, les responsables français ont adopté la posture d’opposition
aux Tutsi de leurs alliés.

Alors que le génocide des Tutsi se poursuivait, les responsables français ont accepté plusieurs des
mythes extrémistes et la haine ethnique qui ont contribué à provoquer les massacres de masse des
Tutsi.
Lorsque le génocide a commencé le 7 avril 1994, les radios extrémistes ont immédiatement
encouragé les massacres en diffusant des accusations selon lesquelles le FPR et la Belgique avaient
abattu l'avion présidentiel et en conseillant aux civils d'alerter les autorités de la présence de
Tutsi155. Dans un câble du 7 avril 1994, adressé au Président Mitterrand, Bruno Delaye (directeur
de la cellule africaine de l’Elysée) a rapporté avoir entendu sur ces radios extrémistes le même
récit d’un attentat perpétré par le FPR contre le Falcon 50 156. Cependant, le 11 avril 1994, un câble
de la DGSE a rejeté « l’hypothèse » d’un attentat commis par le FPR, la qualifiant de « non
satisfaisante ». En effet, la DGSE a expliqué que les missiles avaient été tirés depuis la bordure du
camp de Kanombe, contrôlé par l’armée rwandaise, et – du fait des nombreux barrages routiers –
nécessairement par du personnel se trouvant déjà à l’intérieur du périmètre de sécurité de
l’aéroport157.
Les responsables français n’ont pas corrigé la désinformation publique sur le crash aérien et, au
moins dans un cas, ont désigné le FPR et « les Tutsi » comme étant responsables des massacres
qui ont suivi. Le 13 avril 1994, lorsque le Président Mitterrand a demandé au chef d’état-major des
armées, Jacques Lanxade, si les massacres s’étendraient, ce dernier a prédit : « Ils sont déjà
considérables. Mais maintenant ce sont les Tutsi qui massacreront les Hutu dans Kigali158 ». Le 19
avril 1994, le général Quesnot a dit à un journaliste que le président ougandais Museveni, à travers
son soutien au FPR, « veut créer un Tutsiland », mais qu’il allait échouer parce qu’ « une majorité

155

Voir
par
exemple.
Transcription
de
la
RTLM
(9
avril
1994),
disponible
à
http://www.rwandafile.com/rtlm/pdf/rtlm/0122.pdf (dans lequel le journaliste Philippe Mbirizi dit « Non seulement
les faits prouvent l’implication du FPR dans l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana, mais le FPR s’est
aussi empressé dans le recommencement de la guerre et l’élimination des leaders Hutu parmi leurs rangs » et il
encourage aussi les citoyens à dénoncer les « Inyenzi » aux autorités).
156
Voir Mémorandum de Bruno Delaye, Directeur de la cellule africain de l’Elysée, au Président Mitterrand (7 avril
1994), disponible à http://nsarchive.gwu.edu/NSAEBB/NSAEBB461/docs/DOCUMENT%2020%20%20
French.pdf.
157
JEAN-FRANCOIS DUPAQUIER, POLITIQUES, MILITAIRE, ET MERCENAIRES FRANÇAIS AU R WANDA : CHRONIQUE
D’UNE DESINFORMATION 349 (2014) (citant câble 18502/N du DGSE).
158
Transcription de la rencontre du Conseil restreint 2 (13 avril 1994) (disponible sur demande).

34

ethnique de 90% n’acceptera pas la domination d’une minorité ethnique »159. Dans la même
interview, le général Quesnot a comparé le FPR à des « khmers noirs »160.

C. Les extrémistes ont utilisé les institutions développées par les responsables français
pour perpétrer le génocide des Tutsi.
Quelques heures après le crash de l’avion, les extrémistes ont utilisé les institutions et moyens
préalablement développés avec l’assistance des autorités françaises pour initier les massacres de
masse contre les Tutsi. Par exemple :


Les listes : La gendarmerie rwandaise a été formée et organisée par les autorités françaises.
Avec leur assistance, la gendarmerie enregistrait les noms des personnes sous surveillance
dans une base de données161. Le colonel Augustin Ndindiliyimana, le chef d’état-major de
la gendarmerie, a demandé au lieutenant-colonel Robardey que soit formé « le personnel
des Brigades Judiciaires et des Groupements pour pouvoir exploiter au maximum cet
outil »162. Il a été rapporté qu’au soir du 6 avril 1994, après que l’avion ait été abattu, les
extrémistes ont commencé à utiliser des listes pour identifier et cibler les personnes qui
devaient être tuées 163. Mais il ne ressort pas clairement des documents officiels si ces listes
étaient identiques à celles produites par la gendarmerie.



Radio : Dès le déclenchement du génocide des Tutsi, la RTLM et les autres stations radios
diffusant en français et kinyarwanda ont accusé les Tutsi d’avoir abattu l’avion présidentiel
et ont encouragé le peuple rwandais à se soulever et tuer « l’ennemi » – c’est-à-dire les
Tutsi164. Pendant les premiers jours du génocide, les autorités françaises ont permis au cofondateur de la RTLM, Ferdinand Nahimana, de se réfugier à l’ambassade de France à
Kigali avec sa famille165.

159

Interview de François Carle avec le Général Christian Quesnot 3 (29 avril 1994) disponible à
http://nsarchive.gwu.edu/ageofgenocide/Session%204%20Documents%20(with%20list).pdf.
160
Id. à 2.
161
Voir Lettre du Lt. Col. Michel Robardey à Augustin Ndindiliyimana, chef d’état-major de la Gendarmerie, (14
octobre 1992), disponible à https://goo.gl/VXbpKc; voir aussi Lettre du colonel Augustin Ndindiliyimana au Lt. Col.
Michel Robardey (28 octobre 1992) [ci-après Ndindiliyimana, lettre du 28 octobre 1992], disponible à
http://francegenocidetutsi.org/NdindiliyimanaChefCrcd28octobre1992.pdf.
162
Ndindiliyimana, lettre du 28 octobre 1992, supra note 161.
163
Voir FRANÇOIS GRANER, LE SABRE ET LA MACHETTE: OFFICIERS FRANÇAIS ET GENOCIDE TUTSI 71 (citant PHILIPPE
BREWAEYS, R WANDA 1994 : NOIRS ET BLANCS MENTEURS] 157 (2013) et C APITAINE THIERRY JOUAN, UNE VIE DANS
L’OMBRE 186 (2012).
164
Voir par exemple, MIP Tome I 291; voir par exemple, transcription des programmes de la RTLM (9 avril 1994),
(disponible sur demande), transcription de programmes RTLM (4 juin, 1994) (disponible sur demande).
165
Voir MIP Tome III, Vol. 1 31-32 (Audition André Guichaoua).

35



Les FAR et la Garde présidentielle : Entre avril et mai 1994 le Gouvernement Intérimaire
du Rwanda (GIR) a employé de nombreux membres des FAR et de la Garde présidentielle,
deux unités entraînées par des responsables français, pour tenter d’exterminer les Tutsi166.



Barrages routiers : En 1993, les soldats français surveillaient les barrages routiers 167.
Accompagnés de collègues rwandais, ils vérifiaient les cartes d’identité pour déterminer
l’identité des citoyens contrôlés. Lorsque ceux-ci étaient « Tutsi »168, ils étaient harcelés.
Dès le déclenchement du génocide, des génocidaires se sont postés aux barrages routiers,
où des milliers de Tutsi ont été identifiés et massacrés.

D. Les responsables français ont abrité et soutenu le Gouvernement Intérimaire du
Rwanda (GIR).

Lorsque, le 8 avril 1994, des génocidaires (y compris des membres du gouvernement
Habyarimana) se sont réunis pour constituer un nouveau gouvernement, ils l’ont fait à l’intérieur
de l’ambassade de France à Kigali 169. Selon l’ambassadeur français Jean-Michel Marlaud, les
ministres rwandais présents à cette réunion ont pris plusieurs engagements, comme par exemple,
remplacer certains ministres et reprendre le contrôle de la Garde présidentielle 170. L’ambassadeur
Marlaud a ajouté que ces ministres ont réaffirmé leur engagement aux accords d’Arusha mais ont
166

Voir Mémorandum du ministère de la Défense nationale du Rwanda 8 (1 janvier 1993), disponible à
https://goo.gl/5AF9fN (montrant que le Lt Col. Grégoire de Saint-Martin, entre autres, a été intégré avec les FAR) ;
Mémorandum du ministère de la Défense nationale du Rwanda (5 mars 1994), disponible à
https://goo.gl/No1dTE (montrant que Saint-Quentin était toujours avec les FAR le 5 mars 1994); MIP Tome I 369
(rapportant que la Garde présidentielle a bénéficié de la présence d’officiers DAMI sous le commandement du
Lieutenant Denis Roux) ; Vulpian & Prungnaud, supra note 139 à 74 ; La France accusée d’avoir entrainé les
rwandais avant le génocide de 94, THE NEW YORK TIMES, 23 avril 2005, disponible à http://nytimes.com/
2005/04/23/world/europe/france-said-to-train-rwandans-before-94-genocide.html (déclarant que Thierry Prungnaud
avait été envoyé pour entrainer la Garde présidentielle) ; DROITS, MORTS, DESESPOIR, ET DEFIANCE AFRICAINS 55
(1995) (disant que des membres de la Garde présidentielle basés dans des casernes à Kanombe à Kigali et entrainés
par les français ont participé à l’entrainement de milices locales) ; Procureur v. Aloys Ntabakuze, Dossier N° ICTR98-41A-A, Jugement, 245-250 (8 mai 2012), disponible à https://goo.gl/kMHgXB.
167
Voir MIP Tome I 172 (citant l’audition du responsable de MSF Jean-Hervé Bradol) ; id. Tome I 175-176.
168
Voir Kigali, AGENCE FRANCE-PRESSE ANGLAIS 3 mars 1993 (« Les troupes françaises accompagnées par des
soldats rwandais contrôlent les barrages routiers en périphérie de la capitale. Les soldats français vérifiaient les papiers
d’identité des rwandais qui voyageaient depuis et en direction de Kigali le Mercredi ») ; ORGANISATION DE L’UNITE
AFRICAINE, RWANDA : LE GENOCIDE EVITABLE 76 (2000) (ang.) (« les soldats français étaient déployés, gardant les
barrages routiers et examinant les cartes d’identité loin des zones habitées par les français, mais très près de la région
contrôlée par le FPR. Un médecin néerlandais travaillant pour Médecins Sans Frontières au Rwanda, a souvent trouvé
des soldats français qui tenaient des postes de contrôle à la campagne ») (citations omises) ; HRW, Livraison d’armes
au Rwanda, supra note 43, à 24 (« Le Projet d’Armes a observé des soldats français postés à des barrages routiers au
Nord de Kigali sur la route de Ruhengeri et Byumba. Ils étaient armés de fusils automatiques FAMAS 5.56mm, ainsi
que de lanceurs de fusées d’assaut Wasp 58 et autres armes d’infanterie. Comme les soldats rwandais, les soldats
français exigeaient les cartes d’identité des passants»).
169
Voir MIP Tome III Vol. 1 296 (Audition de l’ambassadeur Jean-Michel Marlaud).
170
Voir id.

36

refusé de mettre en place le Gouvernement de Transition à Base Elargie (GTBE), que le FPR et
d’autres partis politiques avaient accepté de créer dans le cadre du processus d’Arusha 171. Aux
environs de vingt heures ce soir-là, l’ambassade de France a été informée de la nomination d’un
Président et du GIR - et non du GTBE172.
Les autorités françaises ont reconnu le GIR et ont reçu ses responsables à Paris. Cette
reconnaissance du GIR et de ses représentants est significative car, à l’époque, seule l’Egypte a
accepté de faire de même. D’autres Etats, comme la Belgique et les Etats-Unis ont refusé173. Le
27 avril 1994, avant de se rendre à une réunion de l’ONU à New-York, Jerôme Bicamumpaka
(ministre intérimaire des Affaires étrangères) et Jean-Bosco Barayagwiza (le chef du CDR) ont
rencontré Bruno Delaye (responsable de la cellule africaine de l’Elysée) et le cabinet du Premier
ministre français à Paris 174. Delaye a justifié ces réunions en déclarant: « on ne peut pas ne pas se
salir les mains avec l’Afrique »175.
Selon une correspondance du lieutenant-colonel Ephrem Rwabalinda, datée du 16 mai 1994 et
adressée au ministre de la Défense rwandais, Augustin Bizimana, ainsi qu’au chef d’état-major
des armées, Augustin Bizimungu, le général Jean-Pierre Huchon (chef de la mission militaire de
coopération) avait confirmé, au cours d’une réunion en France, que des systèmes de
communication cryptés, à utiliser pour les échanges entre Kigali et Paris, avaient été envoyés par
le général Huchon au général Bizimungu176. Le message de Rwabalinda ajoutait que le général
Huchon pensait qu’il « faut sans tarder fournir toutes les preuves prouvant la légitimité de la guerre
que mène le Rwanda de façon à retourner l’opinion internationale en faveur du Rwanda… »177, et
expliquait que les français étaient incapables de fournir une assistance militaire directe à ce stade
en raison de l’opinion publique défavorable contre le régime rwandais 178.

171

Voir id.
Voir id. à 296-297.
173
Voir Ne laisser personne, supra note 66, à 25.
174
Voir MIP Tome I 316 ; Communique de Presse, Human Rights Watch/Africa, Les Représentants du gouvernement
génocidaire rwandais attendus à New-York ; les milices ont reçu l’ordre d’arrêter les massacres durant la visite à
Kigali de Haut-Commissaire aux Droits de l’Homme 13 (11 mai 1994), disponible à http://nsarchive.
gwu.edu/NSAEBB/NSAEBB472/pdf/nz2597.pdf (ang.); Patrick Saint-Exupéry, France-Rwanda : un génocide sans
importance…, LE FIGARO 12 janvier 1998. Voir aussi Ne Laisser Personne, supra note 66 à 285-86 (affirmant que les
responsables du GIR ont aussi rencontré le Président Mitterrand et le Ministre français des Affaires étrangères Alain
Juppé).
175
Patrick Saint-Exupéry, France-Rwanda : un génocide sans importance… LE FIGARO, 12 janvier 1998.
176
Voir par exemple, Lettre du Lt. Col. Ephrem Rwabalinda, Conseiller du chef d’état-major des Forces armées, à
Augustin Bizimana, ministre rwandais de la Défense, et Augustin Bizimungu, chef d’état-major des Forces armées du
Rwanda 2-3 (16 mai 1994), disponible à http://francegenocidetutsi.org/RapportRwabalinda16mai1994.pdf.
177
Id.
178
Id.
172

37

Selon des articles de presse de l’époque, les responsables français ont continué à acheminer des
armes au Rwanda en violation de l’embargo sur les armes pendant le déroulement du génocide des
Tutsi, décrété par le Conseil de Sécurité des Nations-Unies (CSNU) le 17 mai 1994 179.

E. Les responsables français ont publiquement qualifié le génocide des Tutsi de guerre
civile.
Le 11 avril 1994, le Parisien a publié un article intitulé « C’est un véritable génocide », dans lequel
il a qualifié la situation au Rwanda de génocide contre les Tutsi180. Alors que le génocide se
déroulait à pleine intensité, les responsables français ont faussement présenté la situation au
Rwanda comme une crise humanitaire bilatérale provoquée par un conflit armé181. Ces
représentations faussées ont dénaturé la vérité d’un massacre systématique perpétré par des forces
armées et des milices contre une population civile.
Ces représentations faussées ont été promulguées aussi bien en France que sur la scène
internationale. En 1994, le Rwanda occupait un des dix sièges tournants du CSNU. Fin avril 1994,
après le début du génocide, les représentants français et rwandais au CSNU ont « cherché à
amender les paragraphes d’introduction d’un brouillon de résolution préparé par le Conseil de
sécurité, pour retirer le passage selon lequel des institutions gouvernementales étaient responsables
de l’essentiel des massacres » au Rwanda182. Malgré ces suggestions rwando-françaises, le
communiqué présidentiel du CSNU sur le Rwanda, publié le 30 avril 1994, a retenu que les
massacres se produisaient « dans tout le pays, et en particulier dans des zones contrôlées par des
membres ou des partisans des forces armées du Gouvernement Intérimaire du Rwanda »183.
Bien que peu de gouvernements aient correctement qualifié les événements au Rwanda de
génocide,184 les autorités françaises ont faussement présenté la situation comme une guerre civile
179

Voir MIP Tome I 186.
Bruno Fanucchi, C’est un véritable génocide, Le Parisien, 11 avril 1994, disponible à https://goo.gl/9k2NM3.
181
Voir par exemple, MIP Tome III, Vol. 1 210 (Audition de Hubert Védrine) (qualifiant le génocide comme une
« confrontation terrible » et indiquant qu’« un cessez-le-feu » pourrait résoudre la situation au Rwanda).
182
Câble N° C04395 du Représentant du gouvernement néo-zélandais au Conseil de sécurité de l’ONU à New-York,
au Bureau du représentant du Conseil de sécurité de l’ONU à Wellington, Nouvelle-Zélande 2 (2 mai 1994), disponible
à http://nsarchive.gwu.edu/NSAEBB/NSAEBB472/pdf/nzc04395.pdf.
183
Communiqué du Président du Conseil de sécurité, C.S.N.U. Communiqué S/PRST/1994/21 1(30 avril 1994),
disponible à http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=S/PRST/1994/21.
184
La République tchèque, avec la Nouvelle-Zélande, était une aberration à cet égard. Selon l'ancien ambassadeur
tchèque auprès de l'ONU Karel Kovanda, le 25 avril 1994, elle comprenait que le génocide n'était pas simplement une
catastrophe humanitaire, mais plutôt « l'extermination délibérée d'un groupe ethnique ». Dans sa correspondance avec
le gouvernement chèque à Prague, elle a noté qu' « il s'agit clairement d'un génocide commis par les unités
gouvernementales et présidentielles des Hutu contre les Tutsi ». Le 28 avril 1994, la délégation tchèque a présenté au
Conseil de sécurité un projet de déclaration présidentielle qui stipulait que "Le Conseil de sécurité réaffirme que le
meurtre systématique de tout groupe ethnique, avec l'intention de le détruire en totalité ou en partie, constitue un acte
de génocide ... ». Karel Kovanda, La République tchèque au Conseil de sécurité de l'ONU: Génocide rwandais, dans
180

38

ou un double génocide,185 particulièrement en avril 1994 alors que la France soutenait, conseillait
et aidait à la formation du GIR. Au même moment, comme nous le verrons plus bas, les
responsables français étaient témoins du génocide des Tutsi et continuaient à fournir des armes au
Rwanda.

F. Au début du génocide, les responsables français ont évacué par avion les extrémistes
et leurs familles.

Le 8 avril 1994, les autorités françaises ont lancé l'opération Amaryllis, dans le cadre de laquelle
ils ont évacué les citoyens français ainsi que 394 Rwandais, y compris la veuve du Président
Habyarimana (Agathe Kanziga, membre du groupe extrémiste Akazu), ses trois enfants et ses deux
petits-enfants, Ferdinand Nahimana (co-fondateur de la RTLM) et sa famille, 40 membres du
MRND et d'autres extrémistes, tout en refusant d'évacuer les politiciens Tutsi ou les membres de
l'opposition186. Les autorités françaises ont commencé et mené jusqu’au bout cette opération, bien
qu’elles aient noté dans l'ordre officiel de l'opération Amaryllis, publié le 8 avril 1994, que la
Garde présidentielle avait commencé à éliminer les membres de l'opposition et les Tutsi187.
Dans la matinée du 9 avril 1994, 190 soldats français auraient atterri à l'aéroport international de
Kigali, l'auraient occupé et auraient installé des pièces d'artillerie et des armes antiaériennes 188.
Plus tard dans la journée, 400 soldats français supplémentaires ont atterri à l’aéroport 189. Le soir
du 10 avril 1994, le lieutenant-général Dallaire s’est entretenu avec un conseiller du secrétairegénéral des Nations-Unies, qu’il « a ébranlé de toute ma colère suite aux actions des français et
des belges, y compris le fait que les français tiraient depuis des véhicules de la MINUAR qu’ils
avaient volés à l’aéroport »190.

Études et prévention du génocide 193, 204 (août 2010) (ang). Dans un télégramme du 25 avril 1994, le représentant
de la CSNU en Nouvelle-Zélande a demandé une enquête sur ce qui se passait au Rwanda, « à tout le moins pour
ouvrir un dossier dans lequel les preuves des MSF [Médecin Sans Frontiers] pourraient être déposées de sorte que
l'action à plus long terme est engagée pour que les auteurs de ce génocide soient tenus responsables » [.] Câble no.
C04362 du représentant néo-zélandais au Conseil de sécurité de l'ONU à New York, au bureau du représentant du
Conseil de sécurité de la Nouvelle-Zélande à Wellington 3 (25 avril 1994), disponible à https://nsarchive2.gwu.edu/
NSAEBB/NSAEBB472/docs/ Document% 2011.pdf.
185
Voir la Transcription de la réunion restreinte du Conseil 2 (13 avril 1994) (« [Les massacres] sont déjà
considérables, mais en ce moment ce sont les Tutsi qui vont massacrer les Hutu à Kigali. »), Disponible à
http://francegenocidetutsi.org/ConseilRestreint13avril1994.pdf; Mémorandum de l'Amiral Jacques Lanxade 1 (2
juillet 1994), disponible à https://goo.gl/oZQDB7.
186
Voir ANDRE GUICHAOUA, LES CRISES POLITIQUES AU BURUNDI ET AU R WANDA (1993-1994) Annexe 83 (2000),
disponible à http://francegenocidetutsi.org/ListeEvacuesParFrance12avrilGuichaouaAnnexe83.pdf; MIP Tome I 260.
187
Ordre de lancement de l’opération Amaryllis (8 avril 1994), dans MIP Tome II 344.
188
Melvern, Un peuple trahi, supra note 17, à 141.
189
Id.
190
Dallaire, supra note 109, à 289.

39

G. Durant le génocide, la France a facilité la livraison d’armes au Rwanda, et ce même
après l’imposition d’un embargo sur les armes par l’ONU.

Le 3 mai 1994, le général Quesnot a envoyé le message suivant au Président Mitterrand, afin de
convaincre les plus hautes autorités du gouvernement français de la nécessité d’armer le GIR et
les FAR, un mois après le déclenchement du génocide des Tutsi :
Or, les forces gouvernementales rwandaises sont à court de munitions et d’équipements
militaires. Mais le Quai d’Orsay, faisant état de l’opinion publique et de la nécessité de
ne pas alimenter le conflit, estime nécessaire d’appuyer la proposition américaine
d‘embargo sur les armes et munitions à destination du Rwanda. Cet embargo n’est pas
élargi au Burundi où il convient de stabiliser la situation afin en particulier de pouvoir
l’utiliser comme un relais humanitaire 191.
Trois jours plus tard, le 6 mai 1994, le général Quesnot a envoyé l’avertissement suivant au
Président Mitterrand :
Sur le terrain, le FPR refuse tout cessez-le-feu et aura incessamment atteint ses buts de
guerre : le contrôle de toute la partie est du Rwanda y compris la capitale, afin d’assurer
une continuité territoriale entre l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi. Le Président
Museveni et ses alliés auront ainsi constitué un « Tutsiland » avec l’aide anglo-saxonne
et la complicité objective de nos faux intellectuels, remarquables relais d’un lobby tutsi
auquel est également sensible une partie de notre appareil d’Etat. 192
Dans le même câble du 6 mai 1994, adressé au Président Mitterrand, le général Quesnot a exprimé
son inquiétude face au risque d’une perte d’influence de la France vis-à-vis de ses autres alliés en
Afrique, au cas où la France perdait le contrôle du Rwanda :
A travers la tragédie rwandaise et l’abandon de fait d’années de coopération francorwandaise, serait-il possible de garantir aux autres alliés africains que des situations
similaires ne conduiront pas à une réaction identique de retrait ? En excluant l’emploi
d’une stratégie d’implication directe dans la région, qui serait politiquement difficile à
implémenter, nous avons les moyens et les intermédiaires pour une stratégie indirecte
qui pourrait rétablir un certain équilibre. 193

191

Lettre du général Christian Quesnot au Président François Mitterrand 1 (3 mai 1994) disponible à
http://francegenocidetutsi.org/Quesnot3mai1994.
192
Lettre du général Christian Quesnot au Président François Mitterrand 1 (6 mai 1994) disponible à
https://goo.gl/qT6vVf.
193
Voir id. à 2.

40

Le 17 mai 1994, le CSNU a mis en place un embargo sur les armes à destination du Rwanda 194.
Malgré cela, des rapports officiels ont conclu que des fonctionnaires et des individus français ont
aidé à réarmer les génocidaires à travers des livraisons au Zaïre195. Dans un rapport de 1995 intitulé
« Réarmement en toute impunité : le soutien international aux génocidaires rwandais », HRW a
établi les faits suivants :
La livraison des armes aux FAR n’a pas été immédiatement suspendue par la France
après l’imposition de l’embargo du 17 mai 1994. Au contraire, elle a été détournée vers
l’aéroport de Goma au Zaïre. Celui-ci émergea comme une alternative à Kigali, la
capitale du Rwanda, où les combats entre les FAR et les rebelles du FPR ainsi qu’une
présence internationale compliquaient la poursuite des livraisons. Quelques-unes des
premières livraisons d’armes qui arrivèrent à Goma après le 17 mai étaient fournies aux
FAR par le gouvernement français. Human Rights Watch apprit par le personnel de
l’aéroport et les hommes d’affaires locaux que cinq cargaisons sont arrivées en mai et
en juin et contenaient de l’artillerie, des mitraillettes, des fusils d’assaut et des
munitions fournis par le gouvernement français. Ces armes étaient transportées de
l’autre côté de la frontière au Rwanda par des membres de l’armée zaïroise, et
distribuées aux FAR à Gisenyi. Le consul français à Goma à l’époque, Jean-Claude
Urbano, a justifié les cinq livraisons en disant qu’elles honoraient un contrat négocié
avec le gouvernement du Rwanda avant l’embargo sur les armes196.

194

Voir CSNU. Résolution 918, para. 13, S/RES/18 (17 mai 1994), disponible à https://documents-ddsny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N94/218/36/PDF/N9421836.pdf?OpenElement.
195
Voir MIP Tome I 186.
196
Voir Réarmement en toute Impunité, supra note 29, à 4.

41

IV.

SOUS

LE PRETEXTE D’UNE MISSION HUMANITAIRE, LES RESPONSABLES FRANÇAIS

ONT UTILISE L’OPERATION TURQUOISE POUR APPORTER DE L’AIDE AU GIR CONTRE
LE FPR, ET CE ALORS MEME QUE LE GENOCIDE DES TUTSIS SE POURSUIVAIT.

Dès la mi-juin 1994, il est devenu apparent que les auteurs du génocide perdaient la guerre et que
le FPR prendrait bientôt le contrôle du pays. Dans une lettre du 22 mai 1994, adressée au Président
Mitterrand, le Président du GIR, Théodore Sindikubwabo, a sollicité « un soutien diplomatique et
matériel » du gouvernement français, soulignant que « l’appui de l’Ouganda au Front Patriotique
Rwandais a été massif et déterminant »197. « Sans votre aide urgente », a affirmé le Président du
GIR, « nos agresseurs risquent de réaliser leurs plans »198. Les documents disponibles dans le
domaine public suggèrent que la France a initié et exécuté l’opération Turquoise afin de soutenir
le GIR en difficulté et de préserver son influence au Rwanda. Cependant, elle a dissimulé cet
objectif au public. Bien que les responsables français aient présenté l’opération comme une
mission humanitaire à l’opinion publique et au CSNU, les documents officiels contiennent des
informations qui attestent que les soldats ayant participé à la mission avaient pour ordre de réarmer
le GIR.
L’opération Turquoise, initiée le 23 juin 1994, est devenue un moyen pour la France d’intervenir
au Rwanda en prétextant une opération humanitaire.
Le journaliste français Patrick de Saint-Exupéry a rapporté récemment qu’un haut fonctionnaire
français qui a pu consulter les archives françaises sur le Rwanda a confirmé l’existence d’une note
ordonnant aux soldats français d’obéir à l’ordre de réarmer les génocidaires 199. Ce haut
fonctionnaire a dit à Saint-Exupéry qu’il y avait plusieurs documents abordant le cas de soldats
qui ne comprenaient pas cet ordre et ne voulaient pas y obéir 200. Selon Saint-Exupéry, le
fonctionnaire français a rapporté qu’en marge d’un de ces documents se trouvait une note « disant
qu’il fallait s’en tenir aux directives fixées, donc réarmer les Hutu »201. Selon le haut fonctionnaire,
cette note aurait été écrite par Hubert Védrine, secrétaire général de l’Elysée sous François
Mitterrand.202
Les révélations récentes de Saint-Exupéry confirment les soupçons exprimés par certains pays au
sujet des intentions françaises lors du lancement de l’opération Turquoise. Par exemple, fin mai
ou début juin 1994, des responsables français ont demandé aux Etats-Unis de se livrer à une
opération militaire conjointe au Rwanda, ce que les Etats-Unis ont refusé de faire, en partie parce
197

Lettre du Président Théodore Sindikiwabo au Président François Mitterrand 1 (22 mai 1994), disponible à
https://goo.gl/jVCsvv.
198
Id.
199
Patrick de Saint-Exupéry, Réarmez-les! REVUE XXI, 64-65, juillet/août/septembre 2017.
200
Id à 64.
201
Id.
202
Id. à 60 & 64.

42

qu’ils ne souhaitaient pas aider la France à ralentir l’avancée du FPR ou à revigorer le GIR 203.
Plusieurs Etats membres du CSNU avaient compris ce qui se jouait derrière la justification
humanitaire de la France pour le redéploiement des troupes françaises au Rwanda, et s’étaient
abstenus de soutenir cette mesure204. Dans un câble du 17 juin 1994, le représentant néo-zélandais
au CSNU a informé son gouvernement à Wellington que le représentant français au Conseil avait
admis que l’intervention française aiderait les FAR 205. Un membre de la mission des Etats-Unis
aux Nations-Unies a également confirmé cette information206. Le 21 juin 1994, le représentant
néo-zélandais a appris que « des conseillers militaires français étaient restés dans le pays et avaient
entraîné des Hutu », et a recommandé à la Nouvelle Zélande de ne pas soutenir la résolution207.
Selon le représentant néo-zélandais: « les preuves montrant qu’il s’agissait d’une opération mal
conçue et aux motifs discutables ont continué à s’accumuler » 208 .
Après le début de l’opération Turquoise, un article du New York Times confirmait le scepticisme
des représentants du CSNU qui avaient exprimé des réserves quant aux motivations de l’opération
française :
Le projet français d’établir une zone de sécurité et d’arrêter l’avancée des rebelles, qui a
reçu l’aval du Président François Mitterrand, constitue un changement substantiel de sa
mission. Jusqu’à maintenant, les français avaient affirmé qu’ils étaient neutres. Mais en
protégeant une région qui abrite des forces gouvernementales mais pas de troupes rebelles,
la France est de fait venue à la rescousse du gouvernement Hutu assiégé209.
Le commandant de la MINUAR, le lieutenant-général Dallaire, était plus que sceptique quant à
l’opération Turquoise et s’y est ouvertement opposé. Il n’a pas été mis au courant du plan de
l’opération Turquoise avant le 17 juin 1994 et a manifesté ses objections, en personne, à l’envoyé
de François Mitterrand, Bernard Kouchner 210. Concernant les intentions de la France à l’époque,
le lieutenant-général Dallaire a expliqué que la France, sous couvert d’une mission humanitaire,
tentait de permettre au GIR de tenir ses positions sur certaines parties du Rwanda, ainsi que de

203

Voir Ne laisser personne, supra note 67, à 669-670 (citant une interview).
CSNU, 49e Session 3392., S/PV.3392, voté sur S/RES/929, disponible à http://unbisnet.un.org:8080/ipac20/
ipac.jsp?profile=voting&index=.VM&term=sres929.
205
Câble no. C04641 du Représentant de Nouvelle-Zélande au Conseil de sécurité de l’ONU à New York au bureau
du Représentant du Conseil de sécurité de l’ONU à Wellington, Nouvelle-Zélande 3 (17 juin 1994), disponible à
http://nsarchive.gwu.edu/NSAEBB/NSAEBB472/pdf/nzc04641.pdf.
206
Voir id. à 4 & 5.
207
Câble no C04652 du Représentant de Nouvelle-Zélande au Conseil de sécurité de l’ONU à New-York au bureau
du Représentant du Conseil de sécurité de l’ONU à Wellington, Nouvelle-Zélande 3 (21 juin 1994), disponible à
http://nsarchive.gwu.edu/NSAEBB/NSAEBB472/pdf/nzc04652.pdf.
208
Voir id. à 5.
209
Raymond Bonner, La France établit une base au Rwanda pour Bloquer Les Rebelles, N.Y.TIMES, 5 juillet 1994
disponible à http://www.nytimes.com/1994/07/05/world/french-establish-a-base-in-rwanda-to-block-rebelles.html/
(ang.).
210
Dallaire, supra note 110 à 422.
204

43

maintenir sa légitimité211. « En ce qui me concerne, ils utilisaient un prétexte humanitaire pour
intervenir au Rwanda, de manière à permettre aux [FAR] de tenir leurs positions sur une portion
du pays et par là-même de conserver un brin de légitimité face à une défaite certaine », a écrit le
lieutenant-général Dallaire212. L’opération « humanitaire » française a réduit l’impact de la
MINUAR au Rwanda. Le lieutenant-général Dallaire a renvoyé les casques bleus originaires
d’Afrique francophone dans leur pays respectifs car la présence des troupes de Turquoise (qui
avaient précédemment conseillé les FAR) mettait en péril le statut de neutralité de ces casques
bleus francophones, et par conséquent les mettait en danger 213.
En outre, des témoignages de soldats français qui ont participé à l’opération Turquoise ont
contredit la justification « humanitaire » de cette opération. Par exemple, le colonel Jacques
Rosier, un commandant de l’opération Turquoise, aurait résumé l’objectif de la mission à l’époque
en disant : « le FPR sera très surpris. Nous n’appellerons pas cela Dien Bien Phu, nous appellerons
cela Austerlitz »214. En racontant son expérience comme membre de l’opération Turquoise,
Guillaume Ancel, un ancien officier de l’armée française, a affirmé : « [l’]ordre initial, que j’ai
reçu autour du 24 juin, était très clair : préparer un raid sur la capitale rwandaise, Kigali, alors
passée en quasi-totalité sous le contrôle du FPR»215. L’unité d’Ancel était chargée de guider des
avions de combat pour dégager un couloir qui permettrait aux troupes de prendre Kigali avant que
quiconque n’ait le temps de réagir 216. Cependant, ce plan a été remplacé par d’autres
instructions 217. Si Ancel a affirmé que les soldats français, lui-même y compris, ont réalisé des
missions humanitaires pour protéger des victimes potentielles du génocide218, il a aussi affirmé
que dès le début l’objectif humanitaire de l’opération Turquoise n’était que le « camouflage » de
son véritable but: « combattre le FPR, ces soldats Tutsi qui menaçaient le gouvernement rwandais,
allié de la France… »219.
Ancel a également raconté qu’il avait personnellement exécuté des ordres visant à réarmer les
génocidaires qui avaient fui au Zaïre et à dissimuler cette information aux médias :
Nous avons confisqué des dizaines de milliers d’armes légères aux Hutu qui traversaient
la frontière, essentiellement des pistolets, des fusils d’assaut et des grenades. Toutes ces
armes étaient stockées dans des conteneurs maritimes sur la base de la Légion étrangère à
l’aéroport de Cyangugu. Vers la mi-juillet, nous avons vu arriver une colonne de camions
211

Voir id. à 425.
Voir id.
213
Id. à 427-428.
214
Michela Wrong, La France promet d’arrêter l’avancée des rebelles rwandais, REUTERS, 4 juillet 1994 (ang.).
215
Interview de Guillaume Ancel par Mehdi Ba, supra note 7.
216
Id.
217
Id.
218
Id.
219
Guillaume Ancel, Génocide rwandais : pourquoi l’armée française a tardé à intervenir à Bisesero, LE MONDE, 17
février 2016, disponible à http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/02/16/rwanda-pourquoi-l-armee-francaise-atarde-a-intervenir-a-bisesero_48664_3212.html.
212

44

civils. Instruction a été donnée de charger les conteneurs d’armes sur ces camions, qui les
ont emmenées ensuite au Zaïre pour les remettre aux forces gouvernementales rwandaises.
On m’a même suggéré d’occuper les journalistes pendant ce temps pour éviter qu’ils s’en
rendent compte. Quand je lui ai fait part de ma désapprobation, le commandant de la Légion
m’a répondu que l’état-major avait estimé qu’il fallait montrer à l’armée rwandaise que
nous n’étions pas devenus ses ennemis, afin qu’elle ne se retourne pas contre nous 220.
En effet, au début de l’opération Turquoise les forces rwandaises pensaient que la France était
venue les sauver 221. Des soldats des FAR, des miliciens et des civils ont accueilli les soldats de
Turquoise avec des pancartes « Bienvenue Hutu français »222. La RTLM a également diffusé
l’information selon laquelle les militaires français étaient venus combattre le FPR 223. De leur côté,
les responsables français ont refusé de mettre un terme à la propagande haineuse diffusée par la
RTLM et Radio Rwanda. Non seulement n’ont-ils pas brouillé leurs transmissions, mais ils ont
permis que celles-ci se poursuivent depuis Gisenyi dans la zone humanitaire contrôlée par la
France, où la RTLM a continué à émettre jusqu’au 16 ou au 17 juillet 1994224. Les responsables
français ont justifié leur décision de ne pas interrompre la transmission des programmes haineux
de cette radio par le fait que le GIR était toujours reconnu comme un gouvernement légitime ; que
bloquer des signaux de transmissions n’était pas dans le mandat l’opération Turquoise défini par
l’ONU ; et que la France ne pouvait pas légalement restreindre le droit à la liberté d’expression 225.
Plusieurs officiers et soldats membres de l’opération Turquoise avaient préalablement servi dans
l’opération Noroît, où ils avaient été exposés au fort sentiment anti-tutsi qui prévalait dans le pays.

220

Voir Interview de Guillaume Ancel par Mehdi Ba, supra note 7.
Voir Dallaire, supra note 110, à 426 ; Câble du lieutenant-général Roméo Dallaire, Commandant de la MINUAR,
à Kofi Annan, Chef du Département des Opérations de maintien de la paix 2 (17 juin 1994, 10h39) ; Câble du
lieutenant-général Roméo Dallaire, Commandant de la MINUAR, à Kofi Annan, chef du Département des Opérations
de maintien de la paix 2 (17 juin 1994, 21h53) ; Câble du lieutenant-général Roméo Dallaire, Commandant de la
MINUAR, à Kofi Annan, Chef du Département des Opérations de maintien de la paix 2 (20 juin 1994) ; Câble du
lieutenant-général Roméo Dallaire, Commandant de la MINUAR, à Kofi Annan, Chef du Département des Opérations
de maintien de la paix 2 (25 juin 1994).
222
PHILIP GOUREVITCH, NOUS VOULONS VOUS INFORMER QUE DEMAIN VOUS SEREZ TUES AVEC VOS FAMILLES 155
(1998) [ci-après Gourevitch] (ang.).
223
Voir Dallaire, supra note 110 à 437.
224
Voir Les extrémistes de la « Radio Machette », LE MONDE DIPLOMATIQUE, mars 1995 [ci-après Les extrémistes de
« Radio Machette »] (citant des sources diplomatiques américaines exprimant leur surprise devant la décision de la
France de ne pas immédiatement couper les transmissions de la RTLM et citant une réponse du ministre de la Défense
François Léotard expliquant que brouiller le signal d’émission de la RTLM ne faisait pas partie du mandat des
militaires) ; Voir aussi Ne laisser personne, supra note 67, à 520 (affirmant que ce n’est que lorsque la radio a
commencé à faire de la propagande hostile aux forces françaises que les agents français se sont décidés à détruire
certaines chaines de radio appartenant à la RTLM) ; voir aussi Gabriel Péries & David Servenay, Une guerre noire :
Enquête sur les origines du génocide rwandais (1959-1994) 336 (2007) (citant une interview des auteurs avec Gén.
Lafourcade, qui a dit que sa demande de bloquer les émissions de RTLM a été refusé par l’état-major).
225
Voir Les extrémistes de « Radio Machette », supra note 225; ANDREW W ALLIS, COMPLICE SILENCIEUX :
L’HISTOIRE JAMAIS DEVOILE DU ROLE DE LA FRANCE DANS LE GÉNOCIDE RWANDAIS 173 (2014) ; Morel, supra note
17, à 1247 ; Radio Mille Collines épargnée?, LE MONDE, 31 juillet 1994.
221

45

Ils étaient par conséquent prédisposés à penser que les génocidaires étaient leurs alliés 226. Ainsi,
Thierry Prungnaud, un ancien membre du GIGN qui a participé à l’opération Turquoise, a écrit
dans son livre « Silence Turquoise », au sujet du colonel Jacques Rosier : « le vocabulaire de
Rosier est sans nuance. Selon lui, les Tutsi sont des « envahisseurs » qui « zigouillent » « tous les
autres », c’est-à-dire les Hutu, civils et militaires confondus »227.
Les documents publics sur le degré de connaissance et la conduite des troupes françaises à Bisesero
et Murambi, où des milliers de Tutsi furent tués, ont également soulevé des questions concernant
l’objectif de l’opération Turquoise, les ordres donnés aux troupes françaises sur le terrain et les
communications entre l’état-major de l’armée française et le sommet du gouvernement civil228.
Compte tenu de tout ce qui a été écrit dans les média français au sujet des évènements de la fin du
mois de juin 1994 à Bisesero, on aurait pu s’attendre à ce que le gouvernement français examine
ses actions et publie, en interne, un bilan de ses opérations. Cependant, aucun rapport de ce type
n’a été révélé au public ou partagé avec le gouvernement du Rwanda. Il est aussi raisonnable
d’imaginer que le gouvernement français ait en sa possession des correspondances, des
mémorandums internes, des plans, des journaux personnels ou toute documentation montrant qui
a reçu le fax hyper-médiatisé, envoyé le 27 juin 1994 par lieutenant-colonel Jean-Rémy Duval,
qui abordait les appels à l’aide des Tutsi à Bisesero, et ce qui a été dit en interne sur le sujet. Les
informations officielles montrent que l’armée française n’est pas immédiatement retournée à
Bisesero après que le fax du 27 juin 1994 ait été envoyé ; dès lors, le moindre document émanant

226

Voir MIP Tome I 292 (citant le témoignage du général Varret).
Vulpian & Prungnaud, supra note 140, à 103 ; voir aussi AFP, Génocide Rwanda : l’armée française mise en cause,
LE VIF, 1er décembre 2015, disponible à https://goo.gl/DZDMur (citant un soldat de l’opération Turquoise indiquant
que « notamment Rosier, nous ont tenu le discours que c’était les Tutsi qui tuaient les Hutu » et reportant que Rosier
niait avoir fait cette déclaration).
228
Voir par exemple Michel Peyrard, Nos reporters découvrent les morts vivants de Bisesero, PARIS MATCH , 14 juillet
1994, disponible à http://francegenocidetutsi.org/ParisMatch14juillet1994.pdf; Sam Kiley, Les troupes françaises
ignorent les tueries, ‘elles détournent les yeux’ du massacre des Tutsi, THE TIMES, 3 avril 1998, disponible à
http://francegenocidetutsi.org/KileyTroopsIgnoreKilling3April1998.pdf (ang.); Vincent Hugueux, Dix ans après le
génocide, Retour à Bisesero, L’EXPRESS, 13 avril 2004, disponible à http://francegenocidetutsi.org/HugueuxExpress
13avril2004.pdf; Mémorandum du Capitaine de frégate Marin Gillier, 30 juin 1998, dans MIP Tome II 400 ; Patrick
de Saint- Exupéry, Un accueil sous les vivats, LE FIGARO, 27 juin 1994 ; Sam Kiley, L’ONU hésite à intervenir au
Rwanda tandis que les Tutsi interpellent les troupes françaises, LONDON TIMES, 27 juin 1994 disponible à
http://francegenocidetutsi.org/KileyTimes27June1994.pdf (ang.); Procureur contre Kayishema, Affaire N° ICTR-951-T, Témoignage de Patrick de Saint-Exupéry 131, 18 novembre 1997; Patrick de Saint-Exupéry, Rwanda : Les
assassins racontent leurs massacres, LE FIGARO 29 juin 1994, disponible à http://goo.gl/g1LT9d; Benoît Collomba,
Rwanda : les documents qui accusent la France, Inter France, 30 novembre 2015, disponible à https://goo.gl/
DMzTGD ; Jacques Morel, La découverte, l’abandon puis le sauvetage des Tutsi survivants de Bisesero, RFI, 9 février
2011, disponible à https://goo.gl/o3L4Tj; Dominique Garraud, Le nettoyage ethnique continue dans les montagnes
rwandaises, LIBERATION, 29 juin 1994 disponible à http://francegenocidetutsi.org/GarraudBiseseroLiberation29juin
1994.pdf ; Raymond Bonner, Une macabre découverte au Rwanda conduit les troupes françaises à élargir leur rôle,
N.Y. TIMES, 1er juillet 1994, disponible à http://www.nytimes.com/1994/07/01/world/grisly-discovery-in-rwandaleads-french-to-widen-role.html (ang.); Corine Lesnes, Une semaine après le « feu vert » de l’ONU à l’intervention
française au Rwanda M. Léotard craint de nouvelles difficultés pour le dispositif, LE MONDE, 1 juillet 1994, disponible
à http://francegenocidetutsi.org/LeMondeLesnesLeotard1juillet1994p4.pdf; GENERAL JEAN-CLAUDE LAFOURCADE,
OPERATION TURQUOISE RWANDA 105 (1994).
227

46

du gouvernement français et relatif aux communications internes sur ce sujet devrait être révélé au
public.
Dans son rapport de 1995, HRW recommandait à la France de révéler « toute la nature du soutien
militaire et sécuritaire français, ainsi que les livraisons d’armes au gouvernement du Rwanda après
le 17 mai 1994, y compris celles qui ont eu lieu dans le sillage du départ de ce gouvernement, en
juillet 1994, étant donné que de telles actions ont soutenu un acteur largement reconnu comme
ayant perpétré le génocide »229 . Le soutien continu de la France, en violation de l’embargo, est
d’ailleurs à l’origine d’une plainte civile récemment déposée en France. Le 29 juin 2017, trois
associations ont déposé plainte contre BNP Paribas pour complicité de génocide, crimes contre
l’humanité, et crimes de guerre 230. BNP Paribas est l’héritière de la Banque Nationale de Paris
(« BNP »), banque publique jusqu’à sa privatisation en 1993 231. La plainte dont elle fait l’objet
s’appuie sur l’autorisation donnée par cette banque de deux transferts de fonds d’un montant total
de 1,3 million de dollars, « du compte BNP de la Banque Nationale du Rwanda (BNR) à un compte
UBP suisse » en juin 1994, pour l’achat de 80 tonnes d’armes par le GIR 232. Citant une déclaration
du colonel Théoneste Bagosora, les associations soutiennent que les armes ont été livrées à la
milice de Gisenyi au Rwanda, en vue de perpétrer le génocide233. Selon la plainte contre BNP, ces
transactions violaient l’embargo sur les armes du CSNU du 17 mai 1994 234.
Le 30 juin 2017, un journaliste a demandé à Olivier Gauvin, le conseiller en communication du
ministre français des Affaires étrangères :
Est-il exact que la présidence de la République a ordonné en 1994, pendant l’opération
Turquoise, de réarmer les responsables des massacres de Tutsi au Rwanda ? Les autorités
françaises savaient-elles en juin 1994 que 1,3 million de dollars débloqués par la BNP à la
demande de la banque centrale française allaient servir à acheter des armes pour le
gouvernement rwandais, malgré l’embargo décrété par l’Onu (ce qui est l’objet d’une
plainte de trois ONG) ?235

229

Réarmer en toute impunité, supra note 29, à 10.
Voir Communiqué de presse Sherpa et al., Génocide au Rwanda: Sherpa, CPCR et Ibuka France déposent plainte
contre BNP Paribas sur le fondement de complicité de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre (29 juin
2017) [ci-après Communiqué de presse Sherpa], disponible à https://goo.gl/QLcGLK (ang.).
231
BNP a racheté Paribas en 1999 et a fusionné avec le groupe Paribas en 2000. Voir Histoire du Groupe, BNP
PARIBAS, disponible à https://goo.gl/PH26KM (ang.) (dernière visite 20 juillet 2017).
232
Communiqué de presse de Sherpa, supra note 232.
233
Voir Id.
234
Voir CSNU. Résolution. 918, para. 13, ONU. Doc. S/RES/918 (17 mai 1994) disponible à
http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=S/RES/918(1994).
235
Quai d’Orsay : Déclarations du sous-directeur de la presse et agenda du ministre, de la ministre chargée des
affaires européennes et du secrétaire d’Etat, LA MINUTE.INFO, 30 juin 2017, disponible à https://www.laminute.info/
france-mali-france-libye-france-egypte-france-maroc-france-rwanda-france-tchad-quai-dorsay-declarations-du-sousdirecteur-de-la-presse-et-agenda-du-ministre-de-la-mini/.
230

47

Mr Gauvin a répondu : « Nous n’avons aucun commentaire sur ces allégations »236.

V.

APRES LA LIBERATION DU RWANDA, LES RESPONSABLES FRANÇAIS ONT FOURNI UN
REFUGE AUX GENOCIDAIRES ET ONT FAIT OBSTRUCTION A LA JUSTICE.
A. Les responsables français ont facilité la fuite des génocidaires au Zaïre.

Les responsables français ont facilité la fuite des génocidaires du Rwanda au Zaïre. Une fois sur
place, ils ont bénéficié du soutien matériel des autorités françaises dans les camps de réfugiés. A
l’inverse, celles-ci ont refusé toute aide au gouvernement post-GIR au Rwanda, rassurant ainsi les
génocidaires, lesquels planifiaient de prendre leur revanche et de renverser le nouveau
gouvernement.

Alors que la victoire du FPR semblait assurée, des civils ont envahi la zone Turquoise, après que
des dirigeants du gouvernement et des messages de la RTLM les aient encouragés à fuir l’avancée
du FPR237. Des membres de milices et des soldats des FAR ont aussi gagné la zone Turquoise238.
Certains soldats ont emporté avec eux de l’artillerie, des mortiers, des missiles anti-aériens, et des
armes antichars 239. Cependant, à la fin du mois de juillet 1994, le général français Lafourcade a
envoyé au commandant de la MINUAR, le lieutenant-général Dallaire, un mémorandum
confirmant que les responsables français ne désarmeraient pas les soldats des FAR, ni les milices
qui pénétraient dans la zone Turquoise, à moins qu’ils ne constituent un risque pour les réfugiés
présents sur place240.
Durant les deux premières semaines du mois de juillet 1994, avec l’aide de la France, l’exode
massif de rwandais, parmi lesquels se trouvaient des génocidaires, a commencé241. A la mi-juillet,
environ un million de réfugiés avaient passé la frontière du Zaïre 242. Les troupes françaises ont
permis le passage d’anciens soldats des FAR dans la zone Turquoise en toute impunité 243, et
l’armée française a transporté des ex- FAR au Zaïre244. De nombreux soldats des FAR en fuite ont
236

Id.
Voir Ne laisser personne, supra note 67, à 518.
238
Voir MIP Tome I 343-347.
239
Voir Melvern, UN PEUPLE TRAHI, supra note 18, à 243.
240
Voir Dallaire, supra note à 457; voir aussi MIP Tome I 345.
241
Voir MIP Tome I 334 ; Lettre du lieutenant-colonel Jacques Hogard au général Gérard Mourgeon (23 octobre
1998), dans MIP Tome II 537.
242
Voir id. Tome I 344 ; Voir Florence Aubenas, De Kigali à Gisenyi. Le grand exode des Hutu, LIBERATION 11 juillet
1994.
243
Voir Ne laisser personne, supra note 66, à 688.
244
Voir CHRIS MCGREAL, La France Accusée de Protéger Les Tueurs, THE GUARDIAN, 27 août 1994, disponible à
http://francegenocidetutsi.org/ChrisMcGrealGuardian27aout1994.pdf (ang.).
237

48

obligé des populations entières à les suivre 245. Par conséquent, des génocidaires (plusieurs d’entre
eux encore armés), des civils, et même des victimes du génocide, se sont retrouvés ensemble dans
les camps de réfugiés au Zaïre. Les génocidaires utilisaient ces camps pour se cacher et préparer
un complot visant à renverser le nouveau gouvernement rwandais 246.
En juillet 1994, expliquant que les arrestations étaient en dehors de leur « mandat », des
responsables français ont refusé d’arrêter les génocidaires rwandais présents au Zaïre 247. De plus,
les soldats de Turquoise n’ont pas essayé de désarmer les FAR ni les membres de milices présents
dans les camps 248. Bien qu’un mémorandum du 18 août 1994, émanant du ministère des Affaires
étrangères français, rapportait que les milices et les ex-membres des FAR étaient désarmés dans
la zone Turquoise, la mission d’information parlementaire française a déterminé que cette
affirmation était incorrecte249. De même, les soldats de Turquoise n’ont pas entrepris de désarmer
les FAR qui se trouvaient dans la région au nord de la zone Turquoise, tant que les armes en
question n’étaient pas utilisées dans la zone elle-même250. Ils ont par contre confisqué les armes
des civils qui avaient surveillé des barrages routiers251. Cependant, les responsables français ont
autorisé certains civils à garder un minimum d’armes lorsque les responsables du camp (qui
souvent étaient des bourgmestres et autres responsables locaux impliqués dans le génocide)
estimaient que celles-ci étaient nécessaires pour assurer un contrôle policier et protéger le camp
contre les voleurs 252.
En laissant les génocidaires garder leurs armes, les soldats français ont permis que des attaques
aient lieu depuis la frontière zaïroise contre les Tutsi et le gouvernement post-GIR253. Les
responsables français ont pris d’autres dispositions pour armer et protéger les génocidaires, par
exemple en livrant les armes confisquées aux FAR aux autorités zaïroises, alors même qu’ils
savaient que le Zaïre fournissait des armes aux forces rwandaises en fuite 254. De plus, les autorités

245

SARAH KENYON LISCHER, DANGEREUX SANCTUAIRES : CAMPS DE REFUGIES, GUERRE CIVILE ET LES DILEMMES
DE L’AIDE HUMANITAIRE 79, 2005 [ci-après Lischer] ; voir aussi Florence Aubenas, La Longue Marche vers Kigali,
LIBERATION, 2 août 1994 ; Rapporteur spécial du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’homme
(HCR), Rapport sur les violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le monde, avec une
référence particulière aux territoires coloniaux et autres pays dépendants, ONU, Doc. E/CN.4/1995/12 (12 août
1994).
246
Voir Réarmer en toute impunité, supra note 28 à 2 ; Raymond Bonner, L'armée Rwandaise en déroute intimide
désormais ses réfugiés, N.Y. TIMES, 2 août 1994, disponible à http://www.nytimes.com/1994/08/02/world /armyrouted-from-rwanda-now-intimidates-its-refugees.html?emc=etal (ang.).
247
Voir MIP Tome I 344.
248
Voir MIP Tome II 447.
249
Voir MIP Tome I 345-346.
250
Voir id. Tome I 346.
251
Voir id.
252
Voir id. Tome I 346-347.
253
Ian Martin, Choix Difficiles après le génocide, dans DILEMMES MORAUX DANS INTERVENTION HUMANITAIRE, 157,
171 (Moore, ed. 1998) (ang.).
254
Voir Réarmer en toute impunité, supra note 28, à 5.

49

françaises ont continué à entraîner militairement des Hutu rwandais dans un camp militaire
français situé en République Centrafricaine 255.
Alors même que les soldats français protégeaient les génocidaires au Zaïre et ailleurs, les
responsables français refusaient de reconnaître et de respecter le nouveau gouvernement rwandais.
Par exemple, lorsqu’en septembre 1994, le Président Rwandais Pasteur Bizimungu a pris la parole
au cours d’une conférence sur le Rwanda à La Haye, l’ambassadeur français au Pays-Bas a quitté
la salle « dans une manifestation évidente d’animosité »256. D’après un article du journal The
Economist, daté du 26 novembre 1994, « [l]es français prétendent que le nouveau gouvernement
rwandais est illégitime et compromis »257. En novembre 1994, les autorités françaises ont refusé
d’inviter à la fois le Rwanda et l’Ouganda à un sommet franco-africain à Biarritz258, une décision
que les autres états africains ont manifestement contestée 259. Bruno Delaye, un conseiller du
Président Mitterrand, a visiblement essayé de justifier la tentative française d’exclure le Rwanda
de Biarritz en affirmant que le nouveau gouvernement Rwandais allait « s’effondrer d’une minute
à l’autre »260. Alain Juppé a quant à lui affirmé que le Rwanda était « agressif » avec la France261.
En automne 1994, l’Union Européenne a envisagé de fournir une aide d’urgence au gouvernement
rwandais post-génocide, mais la France a tenté de bloquer cette aide262. Une telle aide étrangère
était cruciale pour le Rwanda dans la mesure où le GIR avait vidé le trésor public rwandais durant
l’opération Turquoise. Les émissaires de l’ancien gouvernement rwandais ont aussi volé les actifs
de l’ambassade rwandaise au Kenya 263. Certains de ces actifs dérobés auraient dû attirer l’attention
des soldats de l’opération Turquoise qui supervisaient l’afflux de réfugiés. Par exemple, des
employés du HCR se rappellent avoir vu des chars siglés FAR et des avions de guerre stationnés
à l’aéroport de Bukavu 264. D’autres auraient vu des réfugiés conduisant des bus de transport public
rwandais et au moins une Mercedes gold autour des camps 265.
Au cours des mois qui ont suivi le génocide des Tutsi, l’information disponible dans les archives
publiques montrent que la France a continué à soutenir les génocidaires. Le 3 août 1994, alors que
le secrétaire général de l’ONU avait proposé que la communauté internationale travaille avec la
255

Id.
Voir Wallis, supra note 225, à 185 (citant Billets d’Afrique, no. 15, octobre 1994).
257
Le Rwanda Abandonné, THE ECONOMIST, 26 novembre 1994 (ang.).
258
Voir ARTHUR J. KLINGHOFFER, LA DIMENSION INTERNATIONALE DU GÉNOCIDE AU RWANDA 85 (1998) (ang.). Voir
aussi la note de Bruno Delaye, Directeur de la cellule africain de l’Elysée sous François Mitterrand (24 octobre 1994).
259
Voir HOWARD W. FRENCH Lors de la Conférence Franco-Américaine, Les dictateurs ont suscité l’attention, N.Y.
TIMES, 9 novembre 1994 disponible à http://www.nytimes.com/1994/11/10/world/at-french-african-conferencedictators-got-the-attention.html (ang.).
260
Voir Klinghoffer, supra note 258, à 85.
261
Voir id.
262
Voir Melvern, Un peuple trahi, supra note 17.
263
Voir Réarmer en toute impunité, supra note 28, à 2 n. 13
264
Voir Lischer, supra note 245, à 79 (citant une interview avec un officiel du HCR, Genève, 15 juillet 1999).
265
Voir id. (citant une interview avec Eleanor Bedford, Comité pour les Réfugiés des Etats-Unis, Washington, D.C.,
2 novembre 1999).
256

50

MINUAR pour identifier, parmi les réfugiés, ceux responsables de crimes de génocide afin de les
traduire en justice266, les soldats français ont accompagné et relâché les suspects au Zaïre 267. Entre
juillet et septembre 1994, des hélicoptères militaires français ont évacué hors de Goma le colonel
Bagosora, Jean-Baptiste Gatete ainsi que d’autres anciens militaires des FAR et des miliciens 268.
Le 1er septembre 1994, un officier français a envoyé un mémorandum à Michel Roussin, ministre
français de la Coopération, dans lequel il demandait des visas pour des anciens responsables du
régime Habyarimana et du GIR qui résidaient à Goma à l’époque 269. Le mémorandum de l’officier
ajoutait : « Dans le but de préserver l’avenir, une suite favorable pourrait, peut-être, dans un
premier temps, être donnée à quelques-uns d’entre eux270 ». Cette liste comptait, mais ne se limitait
pas à :









Jérôme Bicamumpaka – ministère des Affaires étrangères ;
Mathieu Ngirumpatse – secrétaire-général du MNRD ;
Pierre-Claver Kanyaru – ambassadeur à Kampala :
Augustin Bizimungu – ministre de la Défense ;
Jean-Damascène Bizimana – ambassadeur aux Nations-Unies ;
Agnès Ntamabyariro – ministre du Commerce – durant le génocide ;
Stanilas Mbonampeka – ministre du gouvernement du Rwanda en exil
James Gasana, ministre de la Défense sous Habyarimana 271.

Plusieurs de ces responsables ont depuis été arrêtés, et certains ont été inculpés de participation au
génocide des Tutsi272. La protection française des génocidaires était si importante qu’ « au moment
où la France se retirait du Rwanda en août 1994, pas un seul génocidaire n’avait été remis, soit aux
Nations-Unies, soit aux nouvelles autorités rwandaises »273.

Voir Secrétaire général de l’ONU, Rapport du Secrétariat général de l’ONU sur la Situation au Rwanda, para. 29
& 31, ONU Doc. S/1994/924 (3 août 1994).
267
Voir Réarmer en toute impunité, supra note 28, à 4.
268
Voir id.
269
Voir Mémorandum Roussin, supra note 132, à 1
270
Id.
271
Id.
272
Voir par exemple Mathieu Ngirumpatse, PROCÈS INTERNATIONAL (16 juin 2016) disponible à
https://goo.gl/R6VJwi (ang.) (indiquant que Karemera et Ngirumpatse étaient reconnu coupable de génocide, entre
autres crimes en 2011) ; Jérôme Bicamumpaka, PROCÈS INTERNATIONAL (7 juin 2016), disponible à
https://goo.gl/rLE3qt (ang.) (indiquant que malgré l’acquittement du fait d’insuffisance de preuve, Bicamumpaka a
été accusé de conspiration de commettre et de complicité de génocide et jugé par le TPIR) ; Augustin Bizimungu,
PROCÈS INTERNATIONAL, (16 juin 2016) d disponible à https://goo.gl/qaijyF (ang.) (indiquant que Bizimungu a été
arrêté le 12 Août 2002 en Angola et a été reconnu coupable par le TPIR en 2011) ; Karwera arrêté en France pour
génocide, RWANDA NEWS AGENCY, 18 octobre 2013 disponible à https://goo.gl/WcfnY5 (indiquant que Karwera
Mutwe n’a été arrêté qu’en 2013).
273
ORGANISATION DE L’UNITE AFRICAINE, RWANDA : UN GENOCIDE PREVISIBLE para.15.74 (2000) (ang.).
266

51

B. Les responsables français ont fait obstruction aux efforts du TPIR et du
gouvernement du Rwanda pour juger les personnes suspectées de génocide.

Il apparait que les responsables français ont protégé leurs alliés ayant commis le génocide, malgré
les obligations auxquelles était soumise la France et qui interdisaient un tel soutien. L’article 1 de
la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, ratifiée par la
France, requiert des Etats parties qu’ils prennent des mesures pour prévenir et punir le crime de
génocide274. Dans son allocution pour commémorer le 20e anniversaire du génocide des Tutsi,
Hassan Jallow, le procureur du TPIR, a affirmé ceci : « les suspects de génocide…doivent, en
accord avec le droit international, être inculpés par les pays qui les hébergent ou être extradés au
Rwanda pour y être jugés »275. Lorsque les tribunaux français ont refusé d’extrader des suspects
de crimes de génocide sur des bases autres que la constatation de preuves insuffisantes, les
procureurs français avaient l’obligation, selon le droit international, de poursuivre ces suspects en
France. Pourtant, la France abrite toujours des dizaines de personnes suspectées de génocide276.
Jallow aurait affirmé que, dans l’ensemble, « la justice française a été lente à traiter les dossiers
rwandais »277. Malgré le refus de la justice française d’extrader des personnes accusées 278 de
génocide, à l’instar d’Agathe Habyarimana279, Pierre Tegera280, Claude Muhayimana281, ou encore
Innocent Bagabo282, la France a seulement jugé une poignée de suspects en 23 ans 283. Elle n’a pas
davantage donné suite aux demandes du TPIR, qui souhaitait que des suspects de génocide, comme
le Père Wencelas Munyeshyaka de l’Eglise Saintes Familles de Kigali, ou encore Laurent
274

Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, article 1, 12 janvier 1951, S. Exec. Doc. O, 811 (1949), 78 U.N.T.C. 277.
275
Juge Hassan B. Jallow, Déclaration lors de la Commémoration du 20 ième Anniversaire du génocide au Rwanda (10
avril 2014), disponible à https://goo.gl/ErxhZb (ang.).
276
Voir par exemple Maïa de la Baume, Efforts laborieux pour traduire en justice les suspects du génocide Au Rwanda
N.Y. TIMES, 10 janvier 2014, disponible à http//www.nytimes.com/2014/01/11/world/africa/toiling- to- bringrwanda-genocide-suspects-to-justice.html (ang.).
277
Melvern, UN PEUPLE TRAHI, supra note 18.
278
Voir La France rejette la demande d'extradition du Rwanda, AL JAZEERA, 28 septembre 2011 [ci-après La France
rejette la demande d'extradition du Rwanda] disponible à https://goo.gl/gVAD3Y (ang.); voir aussi Kim Willsher,
Rwanda, l’Ancien Patron des Services d’Espionnage, Pascal Simbikangwa emprisonné pour génocide THE
GUARDIAN, 14 mars 2014 [ci-après Rwanda, l’Ancien Patron des Services d’Espionnage, Pascal Simbikangwa
emprisonné pour génocide], disponible à https://goo.gl/j471QE (ang.).
279
Voir La France rejette la demande d'extradition du Rwanda supra note 279.
280
Voir James Karuhanga La justice Française refuse une autre demande d'extradition de, THE NEW TIMES, 11 avril
2014 disponible à https://goo.gl/umWPHQ (ang.).
281
Voir La France va libérer un suspect du génocide Rwandais, la demande d'extradition de Kigali a été
précédemment rejetée, MAIL & GUARDIAN AFRICA, 4 avril 2015, disponible à https://goo.gl/Gd9yP8 (ang.).
282
Voir France : l’Avis Favorable à une extradition vers le Rwanda annulé, AFP, 16 octobre 2015.
283
Voir Rwanda, l’Ancien Patron des Services d’Espionnage, Pascal Simbikangwa emprisonné pour genocide, supra
note 279; voir aussi Lisa Bryant, L’Histoire Est Suspendue à l’Attente du Procès Sur Le génocide Rwandais en France,
VOICE OF AMERICA, 10 mai 2016, disponible à https://goo.gl/DER2FW(ang.).

52

Bucyibaruta, le préfet de Gikongoro, qui avaient été inculpés par le TPIR en 2005 284 et avaient été
retrouvés en France, y soient jugés. D’ailleurs, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a
réprimandé la France pour la lenteur dont elle a fait preuve dans le traitement du dossier du Père
Munyeshyaka, un échec qui a empêché ses victimes d’obtenir justice 285. Les quelques individus
qui ont été traduits en justice par les tribunaux français furent jugés et condamnés en grande partie
grâce au travail d’une ONG qui avait rassemblé des preuves et des témoins en vue du procès 286.
A contrario, de nombreux autres Etats ont jugé les suspects de génocide et coopéré avec le TPIR
et les autorités judiciaires rwandaises. Le Canada, par exemple, a extradé trois personnes
suspectées de génocide (y compris Léon Mugesera) au Rwanda, et a jugé deux génocidaires
présumés dans ses tribunaux nationaux 287. En novembre 2016, les Pays-Bas ont extradé deux
génocidaires présumés au Rwanda – l’un accusé d’être un des leaders de la milice Interahamwe
(Jean-Claude Iyamuremye), et l’autre accusé d’avoir compilé des listes de Tutsi devant être
massacrés et d’avoir attaqué des victimes autour de Kigali (Jean-Baptiste Mugimba288). En juillet
2014, le Danemark a extradé Emmanuel Mbarushimana, accusé d’avoir supervisé des massacres
à Butare289. La Norvège a extradé plusieurs génocidaires au Rwanda, à l’instar de Charles Bandora
en 2013290. Cette même année, la Norvège a jugé le génocidaire Sadi Bugingo pour sa participation
au génocide et l’a condamné à plus de 21 ans d’emprisonnement 291. De la même façon, les EtatsUnis ont renvoyé au Rwanda les génocidaires présumés Léopold Munyakazi 292, Enos Kagaba293,

284

Voir Procureur contre Wenceslas Munyeshyaka N° ICTR-2005-87-1, Décision sur la demande de renvoi, 20
novembre 2007, disponible à https://goo.gl/ooENV5 (ang.).; Procureur contre Laurent Bucyibaruta N° ICTR-200585-I, Décision sur la demande de renvoi (20 novembre 2007) disponible à http://unictr.unmict.org/sites/
unictr.org/files/case-documents/ictr-05-85/trial-decisions/en/071120.pdf (ang).
285
Voir l’Affaire Mutimura contre la France, Cour européenne des droits de l’homme 12 (2004) disponible à
https://goo.gl/QncEUW.
286
Voir par exemple, Se battre pour que le Rwanda obtienne justice en France, NATIONAL PUBLIC R ADIO, 6 avril
2014, disponible à http://www.npr.org/2014/04/06/299503308/frances-rwandan-genocide-hunter-dafr (ang.).
287
Voir Relations Canado-Rwandaises, Haut-Commissariat du Canada au Kenya, https://goo.gl/CZ815r (ang.).
(dernière visite le 29 mai 2017).
288
Voir Landelijk Parket, Un suspect de génocide Rwandais extradé au Rwanda, OPENBAAR MINISTERIE 12 novembre
2016, disponible à https://goo.gl/craFeq (ang.).
289
Voir James Karuhanga, Le Danemark extrade un suspect de génocide, THE NEW TIMES, 4 juillet 2014, disponible
à at https://goo.gl/RcYRUC (ang.).
290
Voir Solrun F. Faull, Accusé de génocide et extradé au Rwanda, NORWAY TODAY, 24 juin 2016, disponible à
https://goo.gl/aPYwDa.(ang.).
291
Voir id.
292
Voir Les États-Unis extrade un Professeur de la ville de Baltimore pour être juger pour génocide au Rwanda, NBC
NEWS VIA REUTERS, 28 septembre 2016 disponible à https://www.nbcnews.com/news/world/u-s-extraditesbaltimore-professor-rwanda-stand-trial-genocide-n656401(ang.).
293
Voir Communiqué de Presse des Services Américains d’Immigration et de Douanes, Centre des Violations des
Droits de l’Homme et des Crimes de Guerre, Réalisations Importantes en Matière de Droits de l’Homme de 2003 à
2013 (2 décembre 2013), disponible à https://www.ice.gov/doclib/news/releases/2013/131202washingtondc3.pdf
(ang.).

53

Marie-Claire Mukeshimana294, et Jean-Marie Vianney Mudahinyuka 295. Lors de la clôture de ses
travaux, le TPIR a également renvoyé des génocidaires présumés au Rwanda 296. Pendant ce temps,
en refusant de juger des dizaines de génocidaires présumés, ou de les renvoyer au Rwanda ou
devant le TPIR (lorsque celui-ci était en activité), les autorités françaises ont nié le droit à la justice
du peuple rwandais, un déni qui se poursuit aujourd’hui.

VII.

CONCLUSION ET RECOMMANDATION

Compte tenu des documents publics aujourd’hui, il est possible d’affirmer que les responsables
français étaient au courant et ont soutenu les actions et les objectifs à la fois du gouvernement
Habyarimana et des génocidaires qui ont le pouvoir après l’attentat contre l’avion présidentiel. En
outre, les autorités françaises ont continué à faire obstacle aux tentatives d’établissement de la
vérité et d’obtention de justice pour les victimes du génocide des Tutsi. Par conséquent, une
enquête approfondie sur le niveau de connaissances dont disposaient les responsables français, leur
conduite et leur complicité est justifiée.
La France devrait coopérer pleinement avec l’enquête du gouvernement du Rwanda. Il ne fait
aucun doute que les archives françaises contiennent des documents sans lesquels il sera impossible
d’établir toute la vérité sur cette période. Durant des décennies, l’armée française et les
responsables civils ont régulièrement et abondamment couvert les affaires rwandaises pour le
compte de leur gouvernement à Paris. Plusieurs de leurs rapports étaient classés confidentiels et
soustraits à la connaissance du public. Il ne fait aucun doute que cette confidentialité se justifiait à
l’époque. Cependant, presqu’un quart de siècle après le génocide, elle ne semble plus justifiée297.
Voir Communiqué de Presse des Services Américains d’Immigration et de Douanes, L'ICE expulse un Rwandais
condamné pour son rôle dans le génocide de 1994 (21 décembre 2011), disponible à
https://www.ice.gov/news/releases/ice-deports-convicted-rwandan-serve-sentence-role-1994-genocide (ang.).
295
Voir Communiqué de Presse, Services américains d’immigration et de douanes, L’ICE expulse un Rwandais
recherché pour avoir commis des crimes de guerre durant le génocide de 1994 (29 janvier 2011), disponible à
https://www.ice.gov/news/releases/ice-deports-rwandan-wanted-committing-war-crimes-during-1994genocide#wcm-survey-target-id (ang.).
296
Voir Juge Vagn Joensen, Rapport Final sur la stratégie de clôture du Tribunal Pénal International pour le Rwanda,
Adresse au Conseil de sécurité des Nations Unies (9 décembre 2015), disponible à https://goo.gl/RUKtmD (ang.).
294

297

A ce jour, le gouvernement Français a refusé toute requête de déclassifier et divulguer les documents clés liés au
génocide contre les Tutsi. Aussi récemment que le 15 septembre 2017, la Cour Constitutionnelle Française a refusé
l’accès aux archives de François Mitterrand à Francis Graner, un chercheur intéressé par le rôle joué par les officiels
français au Rwanda. Voir génocide au Rwanda: La France garde les archives des années 1990 secrètes, BBC, 15
septembre 2017, disponible à https://goo.gl/BoJJen (ang.). Ce rejet est survenu plus de deux ans après que le Président
Français François Hollande ait décidé de déclassifier les documents dans les archives de Mitterrand, mais a seulement
publié un sous-ensemble inconséquent des documents relatifs.; voir aussi La France sous Hollande va déclassifier
les documents liés au génocide au Rwanda : source, REUTERS , 7 avril 2015, disponible à

54

Les peuples du Rwanda et de la France doivent avancer. Pour cela, la France doit mettre à
disposition ses archives, documents, et preuves matérielles ainsi que laisser témoigner ses
responsables (actuels comme anciens). Toute enquête du gouvernement du Rwanda devrait
examiner ce qui s’est passé dans les années 1990, mais aussi ce qui s’est produit après cette
période, en particulier, mais pas uniquement, la coopération de la France à l’enquête du Rwanda
sur la complicité de la France dans le génocide.

Robert F. Muse
Joshua A. Levy
Daren H. Firestone
Margaret E. Whitney
Yannick B. Morgan
Cunningham Levy Muse LLP

http://www.reuters.com/article/us-France-rwanda/frances-hollande-to-declassify-rwanda-genocide-documentssource-idUSKBN0MY1S820150407 (ang.).

55

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024