Fiche du document numéro 33326

Num
33326
Date
Vendredi 22 décembre 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
3858432
Urlorg
Surtitre
Cour d'assises de Paris statuant en premier ressort
Titre
Affaire Sosthène Munyemana : feuille de motivation
Nom cité
Nom cité
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Mot-clé
Source
Type
Jugement d'un tribunal
Langue
FR
Citation
MOTIVATION

La cour d'assises de Paris statuant en premier ressort à été convaincue de la culpabilité de Sosthène MUNYEMANA :

- d'avoir commis sur le territoire du Rwanda et dans le ressort de la préfecture de Butaré, courant avril 1994 à courant juin 1994, en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale où partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, des atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique à l'encontre des membres du groupe tutsi;

- d'avoir, sur le territoire du Rwanda et dans le ressort de la préfecture de Butaré, de courant avril 1994 à courant juin 1994, en exécution d'un plan concerté inspiré par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux, commis des actes ayant consisté en une pratique massive et systématique de torture ou d'actes inhumains, à l'encontre de la population civile tutsie. De s'être, sur le territoire du Rwanda et dans le ressort de la préfecture de Butaré, de courant avril 1994 à courant juin 1994, rendu complice par aïde ou assistance du crime contre l'humanité commis en exécution d'un plan concerté inspiré par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux, des actes ayant consisté en une pratique massive et systématique d'exécutions sommaires, d'enlèvements de personnes suivis de leur disparition à l'encontre de la population civile tutsie ;

- d'avoir sur le territoire du Rwanda, dans le ressort de la préfecture de Butaré, de courant avril 1994 à courant juin 1994, participé à un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de crimes définis par l'article 212:1 du code pénal en exécution d'un plan concerté inspiré par des motifs politiques, philosophiques, reciaux ou religieux à l'encontre d'un groupe de population civil, en l'espèce la population civile tutsie ;

- d'avoir sur le territoire du Rwanda, dans le ressort de là préfecture de Butaré, de courant avril 1994 à courant juin 1994, participé à un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un.ou plusieurs faits matériels, des crimes définis par l'article 211-1 code pénal, en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction partielle ou totale du groupe tutsi.

La cour et le jury ont acquitté Sosthène MUNYEMANA des autres chefs d'accusation.

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I. Analyse des éléments de preuve soumis à la cour et au jury et des déclarations de l'accusé



A l'issue des débats, la cour et le jury ont procédé durant le délibéré à une analyse minutieuse de l'ensemble des témoignages et auditions de parties civiles ainsi que des déclarations de l'accusé Sosthène MUNYEMANA ou encore des documents et des éléments de contexte qui ont été soumis à leur appréciation en les examinant séparément mais également globalement, en les confrontant les uns avec les autres ainsi qu'avec les éléments de contexte, en recherchant les éléments permettant de les vérifier, les étayer et les corroborer ou au contraire de les invalider et donc de les écarter. La cour et le jury, rappelant que les témoignages sont des éléments de preuve à part entière et qu'ils ont pu être débattus contradictoirement tout au long de l'instruction et des débats, ont pris en considération l'effet du temps sur les déclarations des uns et des autres s'agissant de faits remontant au printemps 1994, l'effet de la mémoire collective sur la mémoire individuelle, les conséquences sur le récit des traumatismes vécus, de même que les éventuels revirements, contradictions, imprécisions, oublis, incohérences, invraisemblances, ou encore mensonges mais également les souvenirs, les précisions et les éléments révélés par les débats. La cour et le jury se sont ainsi forgés une conviction en recherchant des éléments de preuve suffisamment solides et étayés pour appuyer leur délibéré et leur verdict au terme d'une analyse à charge comme à décharge sans jamais perdre de vue que le doute doit profiter à l'accusé.

S'il a été tenu compte des pièces produites et des arguments développés par la défense concernant des cas de procès politiques basés sur de fausses accusations et documentés par des associations comme Human Rights Watch ou la Fédération Internationale des Droits de l'Homme, il n'est pas apparu à l'issue des débats que des témoins ou des parties civiles avaient déposé sous la pression ou à la demande des autorités rwandaises. Par ailleurs, il a été constaté qu'aucun élément ne permettait de souscrire à la thèse du procès visant à éliminer un opposant politique motivée par les interventions publiques de l'accusé sur la situation rwandaise à partir du 26 novembre 1994, notamment devant le collectif girondin pour le Rwanda. En effet, il a pu être constaté que le nom de Sosthène MUNYEMANA avait été cité à plusieurs reprises avant cette intervention et notamment :

+ dans un article publié par le journal De Morgen le 8 août 1994

+ dans une note de la sûreté belge le 15 septembre 1994,

+ dans une note du 19 août 1994,

ce qui tend à invalider l'hypothèse d'une plainte motivée par des arrières pensées de règlements de comptes politiques.

La cour et le jury ont cependant écarté le rapport du Haut Commissariat aux Droits de l'Homme des Nations Unis ainsi que le rapport manuscrit non daté et non signé de la gendarmerie de Kigali qui ont été versés à l'appui de la plainte initiale en considérant que le premier était un faux document et que le second n'avait jamais été authentifié. Quant aux procès verbaux établis par le parquet de Butaré et transmis directement par le CPCR, ils ont été appréciés avec prudence, faute d'avoir été régulièrement transmis aux autorités françaises dans le respect des conventions d'entraide pénale internationale entre la France et le Rwanda.

A l'issue des débats, la cour et le jury ont analysé de la manière suivante les faits qui se sont déroulés au Rwanda, notamment sur la préfecture de Butaré et le secteur de Tumba et qui ont été débattus contradictoirement lors du procès.

1. L'existence du génocide au Rwanda et plus particulièrement dans la préfecture de Butaré entre le 7 avril et juin 1994




La cour et le jury ont considéré, ce qui n'est pas contesté par l'accusé lui-même, que les événements tragiques survenus au Rwanda à partir à partir du 7 avril 1994 et jusqu'au mois de juillet 1994 caractérisent en premier lieu le crime de génocide au sens de l'article 222-1 du code pénal, à savoir des atteintes volontaires à la vie ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique de personnes, en exécution

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d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle du groupe ethnique tutsi en tant que tel.

A l'issue des débats, la cour et le jury ont en effet retenu que l'existence d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle du groupe ethnique tutsi est clairement établie notamment par:

* les nombreux témoignages des rescapés ainsi que par les aveux de nombreuses personnes pour ces faits tant au Rwanda que devant le tribunal pénal international pour le Rwanda,

* les analyses des historiens, sociologues et journalistes tels que André GUICHAOUA, Alison DES FORGES, Stephen W. SMITH, Hervé DEGUINE, Stéphane AUDOIN-ROUZEAU, Hélène DUMAS, jacques SEMELIN, Alain VERHAAGEN, Lætitia HUSSON, les officiers de gendarmerie français jean Philippe REILAND et Olivier GRIFFOUL ou encore l'ambassadeur Jonathan SWINNEN qui étaient présent sur les lieux ou qui ont mené des recherches ou conduit des investigations sur les événements de 1994.

Il en ressort que des atteintes à la vie perpétrées dans le cadre d'exécutions systématiques et massives ainsi que des atteintes particulièrement graves à l'intégrité psychique ou physique, à savoir des actes de torture et de barbarie, des violences, des menaces, des viols, des agressions sexuelles, ou encore la soumission à des conditions de nature à entraîner la destruction totale où partielle comme la privation délibérée de moyens indispensables à la survie, inspirées par des motifs politiques ou ethniques ont été commises dans le cadre d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle des membres du groupe tutsi.

La cour et le jury ont également retenu que ce plan d'extermination des tutsis s'est inscrit dans un processus historique et politique mis en œuvre depuis plusieurs années par une élite hutue qui a cherché à conserver le pouvoir en suscitant et en entretenant la haine et la peur contre la minorité tutsie en l'accusant notamment d'être les complices de l'intérieur du FPR et de son armée et en attisant une haine ethnique. L'attentat perpétré le 6 avril 1994 contre l'avion du président de la République et dont les auteurs n'ont pas été identifié a été l'élément déclencheur tout d'abord d'une prise de pouvoir par l'élimination des opposants politiques puis du déclenchement, de la mise en œuvre et de l'exécution à grande échelle de la politique et du programme génocidaire par le gouvernement intérimaire installé le 9 avril 1994. Si ce gouvernement était composé d'hommes et de femmes politiques originaires de divers partis mais essentiellement du MRND, ils ont eu pour point commun de se retrouver dans la tendance extrémiste du Hutu Power et dans une même idéologie génocidaire en s'assurant de la bonne exécution du génocide par l'ensemble des rouages de l'État, à savoir les forces militaires, les forces de l'ordre, l'administration centrale et territoriale du pays, et une partie de la population hutue.

La cour et le jury se sont de même fondés sur les conclusions du rapporteur spécial de la commission des droits de l'homme des Nations unies pour le Rwanda dans son rapport du 28 juin 1994 qui indique que « la qualification de génocide doit d'ores et déjà être retenue en ce qui concerne les tutsis ».


La réalité de ce génocide contre l'humanité a par ailleurs été constatée judiciairement :

- par le tribunal pénal international pour le Rwanda notamment dans l'arrêt KAREMERA en date du 16 juin 2016 qui à dressé le constat judiciaire de l'existence d'une part de génocide commis au Rwanda en 1994 à l'encontre de la postulation tutsie, et d'autre part d'attaque systématique et généralisée contre un groupe de populations civiles, qualifiés de faits de notoriété publique et qui échappent à toute contestation raisonnable ;

- par des décisions de justice rendues par divers juridictions nationales, notamment en Belgique, au Canada, en Allemagne, en Suède, en Finlande ;

- par des décisions rendues par les cours d'assises en France dans les procès concernant le génocide des tutsis au Rwanda.

Plus spécifiquement, la cour et le jury ont constaté à l'issue des débats que:

+ la situation de la population appartenant à l'ethnie tutsie s'est considérablement dégradée à compter du mois d'octobre 1990 et cela jusqu'à la veille de l'attentat contre l'avion présidentiel du 6 avril 1994, les tutsis étant stigmatisés par le pouvoir, par des partis politiques comme le MRND et

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la CDR, par la faction Hutu Power des partis dits d'opposition et par certains médias tels que le journal KANGURA et la radiotélévision libre des Mille collines RTLM via des discriminations, un discours et une propagande racistes, la propagation de fausses informations et des appels à la traque et aux meurtres des tutsis ainsi que des opposants hutus, l'utilisation d'un double langage l'utilisation des termes « travailler », « assurer sa sécurité », « outils », « ennemis » qui signifiaient en réalité pourchasser et tuer les tutsis ainsi que les opposants au régime.

+ L'existence d'un plan concerté au plan national est établie, se traduisant dans les faits par une généralisation des massacres de tutsis avec des modes opératoires identiques qui ont été mis en œuvre dans le pays dès le 7 avril 1994, sur la préfecture de Butaré à partir du 20 avril 1994 et la secteur de Tumba à partir du 21 avril 1994, par des attaques simultanées et rapidement exécutées dans tout le pays, par la qualité des assaillants, des agresseurs et des tueurs à savoir des miliciens, des membres des forces de l'ordre et de l'armée ainsi que des autorités locales qui ont été mobilisés pour exécuter la politique génocidaire et entraîner dans le génocide la population, par une propagande appelant à la haine inter-ethnique et aux meurtres de tous les tutsis mais également des opposants politiques, par la distribution des armes aux miliciens et leur entraînement militaire, par le contrôle systématique des civils aux barrières et par la traque des victimes notamment lors des rondes mises en place au niveau local, des fouilles, des perquisitions, des défrichages …, par le massacre des victimes tantôt chez elle, tantôt dans la rue, tantôt sur les barrières mais également après avoir été rassemblées dans des écoles, des stades, des bâtiments administratifs ou encore des lieux de culte sur tout le territoire du Rwanda mais également par l'ampleur effroyable du nombre des victimes évalué parfois à 800.000 personnes, souvent à plus d'un million en l'espace de seulement trois mois.

La cour et le jury ont considéré qu'il s'agit d'autant d'éléments qui sont le révélateur d'une nécessaire et inévitable mais également redoutablement efficace organisation collective reposant sur un plan concerté, laquelle a été grandement facilitée dans cet État très centralisé.

C'est dans le cadre de ce plan concerté qu'ont été commis l'ensemble des meurtres, exactions, pillages, viols et agressions sexuelles, exactions et tortures, arrestations et détentions arbitraires, exécutions sommaires, enterrements dans des fosses communes qui caractérisent le génocide des tutsis dans une brutalité et une cruauté inouïes.

La cour et le jury ont constaté que le génocide des tutsis a également été perpétré dans la préfecture de Butaré, la commune de Ngoma et le secteur de Tumba. Après avoir entendu les témoins de contexte mentionnés ci-dessus, pris connaissance des travaux de Alison DES FORGES et André GUICHAOU, mais également après avoir pris connaissance des nombreux témoignages recueillis tout au long de la procédure et entendu de nombreux rescapés, la cour et le jury ont considéré qu'il n'est pas contestable au regard de ces éléments de preuve que des meurtres, des viols et des agressions sexuelles, des arrestations suivies de disparitions, des actes de torture et de barbarie, des faits de harcèlement ont été commis à grande échelle en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle du groupe tutsi. La préfecture de Butaré, la commune de Ngoma et le secteur de Tumba ont en effet été le théâtre à leur échelle de la même politique génocidaire, de la même mobilisation de l'état, de l'administration et de Ia population, de là même mise en œuvre, de la même propagande que celles déployées au niveau national. De là même manière que dans tous le reste du Rwanda, l'état, l'administration locale, l'armée, les forces de l'ordre, les médias, la propagande, le déploiement et l'armement des milices, l'utilisation des lieux habituellement considérés comme des refuges par les populations menacées ont été les outils du génocide. C'est la même cruauté et la même brutalité qui ont été exercées sur les tutsis de Butaré, de Ngoma et de Tumba que dans tout le reste du pays. La particularité de cette région est en définitive d'avoir résisté durant deux semaines à la vague génocidaire qui emportait le pays. En effet, les intellectuels locaux ont dû se mobiliser et le gouvernement intérimaire a dû mener des actions spécifiques pour d'abord destituer à partir du 17 avril le préfet HABIYALIMANA qui résistait par son action à l'extension du génocide sur sa région, pour que le président de la République, le premier ministre ainsi que plusieurs ministres participent à la cérémonie d'investiture d'un nouveau préfet plus complaisant à l'occasion de laquelle des discours qualifiés

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d'incendiaires et de génocidaires par tous les analystes et historiens ont été tenus et diffusés sur les ondes, ces actions ayant eu pour effet de faire basculer dans le génocide cette préfecture qualifiée de rebelle alors qu'elle était un enjeu essentiel pour un premier ministre issu de cette préfecture compte tenu de sa forte proportion de tutsis dans sa population.

Sosthène MUNYEMANA n'a pas contesté l'existence de ce génocide tant au niveau du pays que localement. Il a cependant contesté le caractère planifié du génocide avant l'attentat présidentiel en expliquant que le génocide a été improvisé après le 6 avril, sans planification tout en admettant qu'un groupe d'extrémistes a pu fomenter le génocide « dans son coin ». Il reconnaît par ailleurs qu'à Tumba, il y a eu un pilotage sans être en mesure d'en identifier les responsables sauf à diriger ses soupçons sur Siméon REMERA chez lequel il a vu « du mouvement », sans être en mesure d'identifier qui que ce soit.

Pourtant que de nombreux éléments tendent à démontrer que le génocide était en gestation et en préparation depuis le début des années 1990: le témoignage prophétique de M. CARBONARE suite au massacres de 1993, les 10 commandements Banahutu de 1990 largement diffusés, la définition de l'ennemi par la commission militaire largement diffusé en 1990, les notes personnelles du colonel BAGOSORA, le discours du vice-président du MRND du 22 novembre 1992 diffusé sur la radio nationale et exhortant à se dresser contre l'ennemi intérieur et contre les traîtres hutus qui doivent l'un et l'autre être liquidés, la réunion des extrémistes de tous les partis au sein de la mouvance Hutu Power avec des discours de haine et d'appel aux meurtres en dressant la majorité hutue contre la minorité tutsi et l'opposition hutue, l'existence d'une radio propagandiste dans un pays où les médias sont contrôlés par l'état et qu'on ne fera jamais taire, l'achat de 500 000 machettes en 1993 par un homme d'affaire proche du Hutu Power, l'existence de caches d'armes documentés par la MINUAR, recrutement, formation et l'encadrement des milices, le massacres de tutsis entre 1990 à début 1994 avec l'appui des militaires, des gendarmes, des autorités locales, le rapport de la commission internationale sur les atteintes aux DDLH de janvier 1993 qui évoque la promesse d'un génocide, l'établissement de listes …

2. L'existence de crimes contre l'humanité commis Rwanda et plus spécifiquement dans la préfecture de Butaré entre le 7 avril 1994 le mois de juillet 1994



La cour et le jury ont également été convaincus à l'issue des débats, et notamment grâce aux nombreux témoignages et documents déjà mentionnés que les événements survenus au Rwanda entre le 7 avril et le mois de juillet 1994 constituent des crimes contre l'humanité tels que définie par l'article 212-1 du code pénal en vigueur au moment des faits, à savoir des attaques massives et systématiques ayant conduit à des exécutions sommaires ainsi qu'à d'enlèvements de personnes suivis de leur disparition, à des actes torture ou d'actes humains, inspirées par des motifs politiques, philosophiques, raciaux et organisées en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile tutsie, ces attaques ayant lieu dans le cadre d'un plan concerté au nom de l'État rwandais.

On rappellera que le tribunal pénal international pour le Rwanda dans un arrêt en date du 16 juin 2016 à dressé le constat judiciaire de l'existence d'une part de génocide commis au Rwanda en 1994 à l'encontre de la population tutsie, et d'autre part d'attaque systématique et généralisée contre un groupe de populations civiles, qualifiés de faits de notoriété publique et qui échappent à toute contestation raisonnable. L'existence et la caractérisation de ces crimes ont par ailleurs été retenues par plusieurs décisions de cour d'assises ayant eu à juger de ce type de faits. La cour et le jury se sont également fondées sur les conclusions du rapporteur spécial de la commission des droits de l'homme des Nations unies pour le Rwanda dans son rapport du 28 juin 1994 qui indique que « les assassinats et les autres actes inhumains commis contre les populations civiles ainsi que les persécutions pour des motifs politiques en liaison avec les crimes de guerre constituent des crimes contre l'humanité ».

La preuve de l'existence non seulement du plan concerté mais également des attaques massives et systématiques à l'encontre de la population civile tutsie tient des même éléments que le génocide.

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3. le statut de notable influent



Après l'avoir longtemps réfuté en pensant que la notabilité signifiait nécessairement une personnalité écrasante associée à un sentiment de supériorité, Sosthène MUNYEMANA à fini par reconnaître qu'il faisait figure de notable auprès de la population de Tumba, qu'il représentait une une référence et une autorité morale et intellectuelle bénéficiant d'un prestige dont la parole comptait et pesait, Il est en effet apparu que du fait de son statut social, de ses fonctions de médecin et d'enseignant à l'université, d'intellectuel dans un pays où seule une très faible majorité de la population accédait à l'enseignement supérieur, de son engagement politique au sein du cercle des intellectuels MDR de Butaré ou encore de ses relations amicales avec le premier ministre Jean KAMBANDA ce qui était d'ailleurs de notoriété publique, il était perçu comme une personnalité influente au sein de la population de Butaré, laquelle l'avait d'ailleurs spontanément désigné comme un « sage » lors de la réunion du 17 avril 1994.

Il a en effet pu être établi par de nombreux témoignages (Monique AHEZAMAHO, Thomas BAVAKURE , Jean de Dieu BIRIGANDE, Celse GASANA , Jean Damascène MUNYANEZA, Emmanuel NIYITEGEKA .…) qu'avant le déclenchement du génocide à Tumba, l'accusé était perçu comme un notable, comme une personnalité du secteur mais qu'il n'avait jamais abusé de ce statut. Rares sont ceux (Liberata BANKUNDIYE, Fidèle MURERA) qui ne le considéraient pas comme un notable.

Certains témoins de contexte comme Alain VERHAAGEN, Hélène DUMAS ou Laurien NTEZIMANA ont confirmé que quiconque a une responsabilité administrative, politique, militaire, sociale a une autorité sur le reste de la population, qu'il existe une notabilité locale de celui qui à de l'éducation, qui est employé par l'état, qui a de l'argent de sorte qu'un médecin gynécologue et universitaire est forcément un notable, que les notables donnaient l'exemple et exerçaient de fait une forme d'autorité.



4. Le positionnement politique de Sosthène MUNYEMANA



Les nombreux témoignages de ceux qui ont côtoyé l'accusé évoqués lors des débats sont partagés sur le positionnement politique de l'accusé, les uns estimant qu'il appartenait à la branche modéré du parti MDR, les autres considérant au contraire qu'il s'était clairement positionné MDR Power, de sorte qu'il est apparu dificile de trancher son engagement politique.

Sosthène MUNYEMANA a toujours affirmé qu'il avait adhéré au MDR lors de l'avènement du multipartisme au Rwanda, avec un attachement sincère aux principes démocratiques et au respect des droits de l'homme, au règlement de la question des réfugiés et qu'il voyait dans les accords d'Arusha la solution aux défis que le Rwanda affrontait. Il s'est dit proche des idées soutenues par Dismas NSENGIYAREMYE au sein d'une tendance du MDR qu'il a qualifiée modérée et prônant l'application des accords d'Arusha, tout en précisant que depuis la scission du parti et l'émergence du MDR Power à l'automne 1993, cette tendance était une voie dormante qui n'avait pas de place pour s'exprimer dans le contexte de l'époque polarisé entre là tendance FPR du parti et la tendance adverse qui s'était rapproché de la coalition MRND - CDR, qui n'avait pas accès aux médias.

De nombreuses questions ont porté sur ce que l'accusé a appelé la voie médiane du MDR qui était la sienne, correspondant à ce qui serait la voie originelle du MDR et qui le démarquerait de toute pensée extrémiste et ethniste, se démarquant tant du MRND que du FPR, cette tendance n'étant pas clairement mentionnée dans les travaux de André GUICHAOUA et étant suspectée par Éric GILLET d'avoir été « inventée après coup ».



Pour sa part, Dismas NSENGIYAREMYE est venu à la barre confirmer les convictions politiques de l'accusé telles qu'exprimées ci-dessus s'inscrivaient dans le courant politique dont il état le chef de file.


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Les débats, les auditions de témoins, l'analyse des travaux de André GUICHAOUA et de Alison DES FORGES ainsi que l'audition de Dismas NSENGIYAREMYE ont été l'occasion d'analyser le positionnement politique de cet ancien premier ministre du Rwanda qui à fui son pays fin juillet 1993 pour y revenir fin novembre début décembre 1993.

Il en est ressorti que l'histoire de ce parti montre une lutte fratricide sur fond d'ambitions et de querelles personnelles du fait d'une clause des accords d'Arusha prévoyant que le futur premier ministre devait être issu du MDR. À l'issue du congrès du MDR en juillet / août 1993, le parti avait décidé l'éviction d'une branche réputée favorable aux négociations avec le FPR (Faustin TWAGIRAMUNGU, Agathe UWILINGIYIMANA) qui obtint pourtant du président de la République HABYARIMANA le poste de premier ministre dans le gouvernement de coalition au détriment d'une autre branche (Jean KAMBANDA, Froduald KARIMERA), laquelle lancera le mouvement Hutu Power le 23 octobre 93 et se radicalisera en se rapprochant de la coalition MRND — CDR.

Les discours et les écrits de Dismas NSENGIYAREMYE produits lors des débats ont fait apparaître que celui-ci ne semblait pas s'inscrire dans la mouvance extrémiste, comme il a pu le lui être reproché au cours des débats, mais qu'au contraire, il avait dénoncé le génocide en prônant une issue démocratique sur la base des accords d'Arusha, dont il avait été un des artisans.


Cela étant, des éléments de preuve factuels et des écrits importants sont venus contrebalancer cet argument de la conviction politique de l'accusé soutenu par la défense qui ne repose en définitive que sur les seules affirmations de l'accusé. En effet, il est ressorti de l'audition par le TPIR du premier ministre du gouvernement intérimaire en poste au moment du génocide, Jean KAMBANDA, que si celui-ci a fait un récit de sa relation amicale avec l'accusé conforme aux déclarations de ce dernier, il a affirmé par deux fois que Sosthène MUNYEMANA appartenait à la même mouvance que lui, à savoir le MDR Power. Jean KAMBANDA était d'ailleurs un ami de l'accusé qu'il avait rencontré à la fin des années 70 via leurs épouses. Il a pu être établi que Jean KAMBANDA était venu se réfugier chez l'accusé courant 1993 alors qu'il se sentait menacé, qu'ils étaient en contact téléphoniques notamment le 7 avril 1994 après l'attentat contre l'avion présidentiel, que Jean KAMBANDA avait confié à l'accusé la gestion de la maison de son frère à Tumba, et enfin qu'il était venu rendre visite à l'accusé à Tumba le 19 juin 1994 lorsque que ce dernier l'avait prévenu
par écrit qu'il faisait l'objet de menaces. Il en est ressorti une réelle proximité entre les deux hommes, donnant du crédit aux déclarations du premier ministre du gouvernement génocidaire lorsqu'il affirme par deux fois que l'accusé appartient à la même idéologie politique que lui, à savoir le MDR Power.

En outre, il à pu être établi que Sosthène MUNYEMANA faisait partie du cercle des intellectuels MDR de Butaré dont il étai le vice-président et qui avait adressé au président de la République une lettre datée du 7 septembre 1993 pour dénoncer la désignation de Faustin TWAGIRAMUNGU et de Agathe UWILINGIYIMANA alors que ceux-ci avaient été exclus du parti suite au congrès du MDR et qu'une action en justice avait été engagée contre eux. Le cercle dénonçait ce qu'il appelait les «actes de piraterie» de Faustin TWAGIRAMUNGU et soutenait Jean KAMBANDA et Froduald KARIMERA. Or quelques semaines après, le 23 octobre 1993, donc deux jours après l'attentat qui a coûté la vie au président du Burundi, Froduald KARIMERA lançait officiellement à l'occasion d'un meeting le slogan du Hutu Power, dont ni l'accusé, ni le cercle des intellectuels MDR de Butaré ne se sont jamais désolidarisés. D'ailleurs, l'instruction a permis de découvrir un document dont l'accusé n'avait jamais parlé spontanément rédigé le 16 avril 1993 par le cercle des intellectuels MDR de Butaré, dont il est signataire en qualité de vice-président que la cour et le jury ont analysé comme une motion de soutien au gouvernement de Jean KAMBANDA (cf infra).

Il a enfin pu être constaté que le 14 mai 1994, alors que le génocide s'était généralisé à tout le pays, le premier ministre du gouvernement génocidaire Jean KAMBANDA avait répondu à une invitation pour prendre la parole à l'université de Butaré devant des enseignants, des médecins, des intellectuels et des universitaires, dont l'accusé. À cette occasion, le premier ministre avait tenu un discours ouvertement génocidaire avec un remerciement appuyé au soutien indéfectible du cercle des intellectuels MDR de Butaré qui avait prouvé à plusieurs reprises sa volonté de collaborer avec le gouvernement intérimaire. Le premier ministre avait également lancé un appel à la mobilisation des intellectuels dans le cadre de

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l'autodéfense civile, auquel avait répondu Alphonse KAREMERA au nom du cercle des intellectuels MDR de Butaré par un discours tout aussi génocidaire. L'accusé a reconnu avoir assisté à cette réunion durant laquelle il dit être resté taisant, en précisant qu'il n'avait pas compris la raison des remerciements du premier ministre, que Alphonse KAREMERA n'avait aucun mandat pour s'exprimer au nom du cercle des intellectuels MDR de Butaré et qu'il avait donc pris la parole sans la moindre concertation. Il a contesté en outre les déclarations de Vincent NTEZIMANA dont il ressortait que la réunion avait été organisée par deux groupes d'intellectuels dont le cercle. Enfin, il a été produit lors des débats un document dont il ressort que Alphonse KAREMERA a reçu le soutien de l'accusé alors qu'il faisait l'objet d'attaque après le génocide. Celui-ci fait en outre parti des personnes ayant témoigné en faveur de l'accusé.

Enfin, l'information judiciaire et les débats n'ont pas permis de mettre en évidence le moindre signe de désolidarisation de l'accusé avec le gouvernement génocidaire, alors pourtant que Sosthène MUNYEMANA s'est présenté comme un opposant, ce qu'il a justifié par le fait que dans les circonstances de 1994, critiquer ouvertement le gouvernement et les génocidaires revenait à s'exposer et à risquer sa vie et celles de ses proches, quand bien même il entretenait des relations de proximité avec deux ministres du gouvernement génocidaire, dont le premier d'entre eux.

Dans ces conditions, il est apparu à la cour et au jury que les convictions politiques de l'accusé ne sont pas aussi ancrées que ce qu'il veut le faire paraître mais qu'il a pu effectivement afficher a minima une convergence et un rapprochement avec la tendance Hutu Power qu'il n'a en définitive jamais condamnée avant son départ du Rwanda.

5. Les liens de Sosthène MUNYEMANA avec des personnalités impliquées dans le génocide



5.1. S'agissant des responsables administratifs



Sosthène MUNYEMANA a indiqué n'avoir entretenu aucun lien particulier avec Joseph KANYABASHI, le bourgmestre de la commune de Ngoma, lequel n'a pas été entendu au cours de la procédure. Il a cependant précisé lui avoir fait une confiance aveugle, en rappelant son surnom du fait de sa proximité avec des tutsis : KANYABATUTSI.

Concernant le rôle de Joseph KANYABASHI durant le génocide, il a été condamné par le TPIR à la peine de pour incitation directe et publique au génocide. L'accusé a indiqué ne jamais avoir entendu ces appels au génocide.

Il a par ailleurs prononcé un discours d'allégeance à la politique génocidaire le 19 avril 1993 lors de la cérémonie d'investiture du nouveau préfet de Butaré en présence du président de la République et du premier ministre, mais l'accusé a répondu ne jamais l'avoir entendu et ne jamais en avoir eu connaissance.

S'agissant de François BWANAKEYE, le conseiller du secteur de Tumba condamné par une Gacaca pour son implication dans le génocide, Sosthène MUNYEMANA à déclaré l'avoir rencontré pour se présenter à lui et prendre sa carte d'adhérent au MDR et lui avoir également fait confiance durant tout le génocide. La relation des deux hommes pendant le génocide sera évoquée plus loin.


Enfin, il ressort des déclarations de l'accusé concernant les démarches qu'il avait entreprises fin mai / début juin 1993 qu'il avait la possibilité de contacter le préfet comme le commandant de la gendarmerie pour tenter d'obtenir, en vain, un véhicule pour rapatrier à Tumba le corps d'un de ses amis tué par des militaires dans l'arboretum de Butaré Ville.

5.2. S'agissant des personnalités susceptibles d'avoir été impliqués dans le génocide à Tumba



Plusieurs noms sont revenus de manière constante dans les témoignages évoqués lors des débats (Monique AHEZAMAHO, Libérata BANKUDIVE, Thomas BAVAKURE, Anaclet DUFITUMUKIZA, Jean Marie Vianney



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GASHUGI, Emmanuel NSABIMANA, Alfred MAGEZA, Vénante MUKAKARANGWA Emmanuel NIVITEGEKA, Évariste NTIRENGANYA, Marie NYARAROMBA, Patrice NZEVIMANA, François RADUHUNGA, Augustin RUKINGA) comme faisant parti d'un noyau dur de personnalités locales liées à l'accusé et impliquées dans la mise en œuvre, l'organisation, le pilotage et le contrôle du génocide à Tumba et notamment deux :Siméon REMERA, président de la CDR à Butaré, Joseph HITIMANA alias RUGANZU.



Sosthène MUNYEMANA a reconnu des liens avec l'agronome RUGANZU, ce qui a été confirmé par leurs épouses respectives. Il a d'ailleurs reconnu des liens avec d'autres personnes influentes sur Tumba comme l'ancien conseiller de secteur KUBWIMANA, l'homme d'affaire Jean MUREKEZI, le médecin GASANA, qu'il a qualifiées de personnes respectables. Il a encore reconnu que Innocent HABYAREMEYE, alias maître, membre de là CDR, désigné comme extrémiste et condamné par une Gacaca, était venu chez lui pendant le génocide tout en précisant ne pas avoir constaté de dérive de sa part, même s'il l'avait vu « squatter une maison tutsie ».

Au titre de ses connaissances, il a également évoqué deux commerçants tutsis, M. KARANGANWA et un homme nommé SOMALYA qui ont été tués parmi les premiers le 21 avril.

Il a en revanche contesté la moindre relation avec Siméon REMERA, personnage infréquentable selon lui, du fait de son appartenance au parti extrémiste CDR. Pour répondre à la douzaine de témoins qui ont affirmé avoir vu l'accusé en compagnie notamment de Siméon REMERA et de RUGANZU dans la buvette que ce dernier tenait et qu'il n'avait jamais montré le moindre signe de désolidarisation à l'égard de ceux qui étaient présentés comme les responsables locaux du génocide, il a expliqué qu'il avait compris qu'il fallait s'y montrer en faisant semblant d'y boire de la bière pour ne pas se faire remarquer par son absence laquelle aurait pu être interprétée comme une défiance ou une opposition dans le contexte du génocide. C'est ainsi qu'il à déclaré : « on m'a collé REMERA comme ça, il m'entraîne au fond de l'océan car c'est un extrémiste »

6. Le niveau d'information de Sosthène MUNYEMANA



Durant l'information judiciaire comme durant les débats, Sosthène MUNYEMANA a soutenu qu'il n'avait eu accès qu'à une information très parcellaire, ne lui permettant pas de comprendre d'une part que le gouvernement intérimaire s'était engagé dans la mise en œuvre du génocide des tutsis, d'autre part et du moins jusqu'au 21 avril voire le 17 avec l'arrivée de réfugiés chez lui, que c'étaient les tutsis qui étaient victimes d'exactions et de tueries généralisées.

Cette ligne de défense, donnant l'impression que l'accusé a pu être coupé du monde ou encore qu'il n'avait accès qu'à une information sélective allant exclusivement dans le sens de sa défense tout en se montrant comme un fin analyste politique, n'a cependant pas convaincu la cour et le jury au regard des éléments de faits débattus.

Premièrement, Sosthène MUNYEMANA est apparu comme étant un intellectuel engagé et actif dans là politique de son pays, qui bénéficiait d'un tissu relationnel de haut niveau à Butaré ainsi qu'au sein du gouvernement compte tenu de ses liens de proximité avec Jean KAMBANDA mais également avec le ministre Straton NSABUMUNKUNZI. Lorsque le génocide s'est déclenché, et jusqu'au 9 mai 1993, il était en congés, il demeurait chez lui avec ses trois enfants, sachant que si son épouse était en France depuis le mois de mars, il pouvait compter sur l'aide de deux personnes qu'il employait à son service. Il avait accès à l'information par la radio. Il était en contact avec le conseiller BWANAKEYE ainsi qu'avec les personnalités les plus influentes de Tumba comme cela vient d'être démontré. Autant d'éléments qui rendent peu crédibles les explications de Sosthène MUNYEMANA sur son manque d'informations,

Deuxièmement, dès les premiers jours du génocide, de nombreux réfugiés tutsis, accompagnés également de hutus, ont fui la capitale Kigali et les préfectures gagnées par le génocide pour se réfugier notamment


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dans la préfecture de Butaré, réputée pour sa cohabitation pacifique entre tutsis et hutus et proche de la frontière burundaise. Plusieurs témoins ont évoqué cette arrivée de réfugiés tutsis fuyant les massacres Anaclet DUFITUMUKI2I, Jeanne d'Arc MUKAKAMARI, François RADUHINGA Jean Marie Vianney GASHUGI. Ce flux de réfugié était donc nécessairement une source d'information sur la réalité de la situation. Il ressort d'ailleurs des travaux d'Alison DES FORGES que des massacres avaient eu lieu dans le ressort de la préfecture de Butaré:

+ à Simbi le 15 avril,

+ à Kansi le 18 avril,

+ à Kigembe le 17 avril.



Troisièmement, la radio nationale, Radio Rwanda, qui était le média privilégié au Rwanda à cette époque et qui partageait selon Alison DES FORGES ses ondes avec la radio extrémiste RTLM, a très largement diffusé des communiqués, discours et messages ouvertement génocidaires venant du gouvernement ou des leaders politiques :

+ 12 avril 1993: discours de Froduald KARAMIRA, leader MDR Power et proche de Jean KAMBANDA, sur Radio Rwanda indiquant notamment que la guerre est la responsabilité de tous et que la population doit aider les forces armées à terminer le travail, le mot travail étant compris de tous comme signifiant exterminer les tutsis ;

+ 12 avril 1993 : communiqué du ministère de la défense sur Radio Rwanda indiquant que tous les soldats, gendarmes et tous les rwandais avaient décidé de lutter ensemble contre leur ennemi commun que tous ont identifié, que l'ennemi est toujours le même, à savoir celui qui n'a cessé de rétablir le monarque qui avait été renversé, ce qui désignait sans la moindre ambiguïté les tutsis ;

+ ce dernier message intervenait pour contredire un message diffusé sur les ondes par le haut commandement des forces armées rwandaise une heure plus tôt et appelant à la fin de la tragédie, à une rencontre FAR/FPR pour pacifier le pays, à la mise en place des institutions de transition à base élargie, à une trêve militaire à partir du 15 avril;

+ 13 avril 1993: directives sur les rondes et les barrières sur Radio Rwanda afin que la population fasse des barrières, des patrouilles, retrouve l'usage des outils traditionnels, s'assure qu'il n'y a pas d'inyenzi faufilés dans les marécages, dans les habitations, dans les bosquets qu'il faut fouiller en priorité ;

+ 14 avril 1994 : discours du président de la République : « pointez du doigt l'ennemi et avertissez le responsable de la sécurité, faire des rondes », ce discours ayant été qualifié par Alison DES FORGES de modèle de double discours.



Par ailleurs, la cour et le jury ont été convaincus par les explications fournies par Jonathan SWINNEN ou les analyses de André GUICHAOUA selon lesquelles nul ne pouvait prétendre croire au Rwanda aux prétendus efforts du gouvernement en vue d'un rétablissement de l'ordre dans la mesure où la réalité du terrain était la suivante : l'extermination des tutsis depuis le 7 avril et où les forces de l'ordre comme l'armée étaient impliquées dans le génocide, l'impunité régnait. En tant qu'intellectuel et fin analyste de la politique rwandaise comme il l'a montré lors de son procès, la cour et le jury n'ont pu croire qu'il était l'un des seuls à ne pas prendre la mesure de la situation à partir du 6 avril 1993.

Quatrièmement, la topographie du Rwanda permet de voir les maisons qui brûlent sur les autres collines dès le 15 avril 1993.

Il ressort donc de ce qui procède que Sosthène MUNYEMANA ne pouvait échapper à la connaissance et à la conscience du génocide jusqu'au 21, voire au 17 avril comme il l'a prétendu.

7. La motion de soutien du cercle des intellectuels MDR de Butaré du 16 avril 1994



A titre liminaire, il est apparu surprenant à la cour et au jury que ce document, découvert tardivement dans


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les archives du TPIR, n'ait jamais été évoqué spontanément par l'accusé devant OFPRA ou le juge d'instruction dans la mesure où il a soutenu qu'il s'agissait d'un document venant à l'appui de ses déclarations selon lesquelles il serait un modéré étranger à toute adhésion au projet génocidaire.



Sosthène MUNYEMANA a présenté le cercle des intellectuels MDR de Butaré comme un groupe informel d'une trentaine de personnes dont il était le vice-prédisent qui avait notamment produit un document adressé au Président de la République le 7 septembre 1993 pour éviter la partition du parti {cf supra)

S'agissant de la motion de soutien du cercle des intellectuels MDR de Butaré du 16 avril 1994, il s'agit d'une lettre ouverte signée de son président, M. AYOBANGIRA, et son son vice-président, Sosthène MUNYEMANA. Celui-ci a donné peu de précisions sur les conditions de sa rédaction sauf à dire qu'ils étaient quatre. Il a insisté sur le sens principal à donner selon lui à ce document, adressé aux ambassades étrangères et à la MINUAR et qui tendait d'une part à l'application des accords d'Arusha et d'autre part à un appel à l'aide et au soutien de la MINUAR. Il à également insisté sur le fait que ce document ne contenait aucun terme susceptible d'appartenir au registre du double langage. Enfin, il a indiqué que ce document n'était pas destiné à être diffusé et que c'était à son insu qu'il avait été rendu publique par Radio Rwanda le 19 avril 1994. Il a contesté le fait que ce document était une motion de soutien au gouvernement, comme l'indiquait pourtant son titre.



Interrogé sur l'information dont il disposait lors de la rédaction de ce document, l'accusé a répondu qu'il n'avait eu connaissance que du seul communiqué du 12 avril 1993 du haut commandement des FAR appelant à la fin de la tragédie, à une rencontre FAR/FPR pour pacifier le pays, à la mise en place des institutions de transition à base élargie, à une trêve militaire à partir du 15 avril. Il a soutenu ne jamais avoir entendu les communiqués et messages officiels diffusés par le gouvernement entre le 12 et le 14 avril 1994 tout en disant ne pas faire confiance au ministère de la défense dans la mesure où ce ministre était membre du MRND. Il a ainsi insisté sur la chronologie et la situation locale à la date du 16 avril en disant que les massacres n'avaient pas encore atteint la préfecture de Butaré et ne pas avoir su que les tutsis étaient massacrés dans tout le reste du pays, qu'il n'avait pas encore remarqué à cette date le durcissement de la position de Jean KAMBANDA, qu'ils avaient pu avec ses collègues se méprendre sur les objectifs du gouvernement sachant qu'à cette date, il était chez lui, avec ses enfants.


Il doit être souligné qu'aucun membre de ce cercle n'a été entendu sur ce document ni sur le cercle.

Sur le niveau d'information de l'accusé à cette date, il sera renvoyé à l'analyse développée ci-dessus.

Il ressort de l'analyse textuelle de ce document qu'il développe plusieurs idées:

+ la condamnation de l'attentat et expression des condoléances,

+ la condamnation des massacres aveugles qui ont coûté la vie à Agathe UWILINGYIAMANA et à de nombreux innocents,

+ Un remerciement aux FAR qui ont contribué à la mise en place du gouvernement de Jean KAMBANDA,

+ le soutien au gouvernement de Jean KAMBANDA dans sa mission de ramener la paix et de mettre en place les institutions sur une base élargie

+ la condamnation de la reprise des hostilités par le FPR,

+ la nécessité de la reprise des pourparlers avec le FPR et la mise en place des institutions de transition,

+ un remerciement à l'ONU pour l'envoi de là MINUAR dont il est cependant demandé le remplacement des éléments partisans qui sont clairement désignés comme les casques bleus belges,

+ la relance du processus de paix d'Arusha.


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Sur l'interprétation de ce document et le sens à lui donner dans le contexte du génocide :

+ la cour et le jury, rejoignant l'analyse de certains témoins comme Éric GILLET, ont considéré que ce texte correspondait à un soutien très clair au gouvernement intérimaire, lequel était pour moitié composé de membre du MRND, mais surtout comprenant selon tous les analystes des personnalités ouvertement Hutu Power. L'ancien ambassadeur de Belgique, M. SWINNEN à d'ailleurs déclaré devant la cour que la présence de ces ministres ne lui inspirait aucune confiance, d'autant plus que le gouvernement intérimaire n'avait jamais posé le moindre acte ni déployé le moindre effort pour mettre un terme aux massacres ou tenter de désarmer les milices, de rappeler les militaires pour les déplacer sur le front;

+ ce texte constitue clairement une mise en cause du FPR auquel il est reproché d'avoir lancé une attaque dès 7 avril 1994 mais également des casques belges accusés d'être des partisans du FPR, voire d'être en lien avec l'attentat, ces arguments correspondant à la rhétorique des extrémistes ;

+ ce texte contient un appel à la mise en œuvre des accords d'Arusha sachant que tous les analystes ont considéré qu'il s'agissait d'un discours de façade ;

+ ce texte est silencieux sur la réalité des massacres des tutsis, l'accusé s'en étant justifié de manière tortueuse en disant que « en parlant des tutsis, on les aurait désignés comme des cibles » ;

+ ce texte remercie les militaires des FAR pour la mise en place du gouvernement intérimaire ce qui révèle une très bonne connaissance de la réalité situation politique à Kigali;

+ ce texte constitue un soutien inconditionnel au gouvernement intérimaire dont la moitié des membres sont issu du MRND et qui comporte de nombreuses personnalités Hutu Power dont le premier ministre et ami de l'accusé.

La cour et le jury ont retenu trois arguments de nature à confirmer que ce texte était un soutien au gouvernement génocidaire et à sa politique:

+ en premier lieu, il a été diffusé à la radio précisément le 19 avril 1994, journée déterminante durant laquelle les plus hautes autorités de l'état se sont rendues à Butaré pour y installer un nouveau préfet et ordonner le début du génocide dans la préfecture de Butaré ;

+ en second lieu, dans ces conditions, seule une motion allant dans le même sens que la démarche du gouvernement ne pouvait être diffusée sur les ondes de la radio contrôlée par l'état ;

+ enfin, le 14 mai 1994, à l'occasion d'un discours clairement génocidaire destiné aux intellectuels de Butaré et durant lequel le nom de Sosthène MUNYEMANA a été cité à plusieurs reprises, Jean KAMBANDA a publiquement remercié le cercle des intellectuels MDR de Butaré pour son soutien indéfectible.

La cour et le jury en ont donc conclu que ce texte est très clairement une motion de soutien du cercle des intellectuels du MDR de Butaré, dont Sosthène MUNYEMANA est l'une des figures en sa qualité de vice-président, au gouvernement génocidaire et donc à sa politique génocidaire au moment précisément où le basculement de la préfecture de Butaré dans le génocide constituait un enjeux. Un témoin, Éric GILLET, a vu dans ce texte, qu'il a qualifié de modèle de double discours, la caution des intellectuels au gouvernement intérimaire.

8. La réunion du bureau de secteur du 17 avril 1993



Il est constant que le 17 avril 1994, le conseiller de secteur François BWANAKEYE a organisé une réunion publique au bureau de secteur de Tumba semble-t-il selon les instructions données la veille par le préfet Jean Baptiste HABYALIMANA {dont l'annonce de la destitution allait être annoncée à la radio dans la soirée du 17 avril) afin de préserver Tumba des troubles pouvant venir des communes avoisinantes.

La cour et le jury ont retenu que la situation était alors la suivante, comme cela ressort notamment des travaux de Alison DES FORGES et André GUICHAOUA mais également des témoignages de Anaclet DUFITUMUKIZA, de Jeanne d'Arc MUKAKAMARI, de François RADUHINGA, de Jean Marie Vianney GASHUGI

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et de Onesphore KAMANZI : les massacres avaient commencé dans les communes avoisinantes depuis le 15 avril, les réfugiés qui affluaient sur Tumba ou qui traversaient le secteur étaient essentiellement des tutsis qui fuyaïent les massacres venant parfois des communes voisines ce que personne ne pouvait ignorer.

La cour et le jury ont procédé à l'analyse de 10 témoignages concordants, à savoir ceux de Monique AHEZAMAHO, de François BWANAKEYE, de Celse GASANA, de Vincent KAGERUKA, de Laurence KANAYERE, de Jean Damascène MUNYANEZA, de Emmanuel NDAGILAMANA, de François RUDAHINGA et de Jean Paul RWISBASIRA, qui tous convergent pour dire que, alors que le conseiller BWANAKEYE avait appelé la population au calme et à organiser des rondes mixtes, Sosthène MUNYEMANA avait pris la parole pour annoncer à la population qu'il venait d'accueillir chez lui des réfugiés hutus de Kigembe, la commune de son épouse, qui fuyaïent les massacres perpétrés par des tutsis venant du Burundi. La plupart des témoins ont en outre indiqué que l'accusé avait alors remis en cause les préconisations de François BWANAKEYE en lançant un appel afin que la population de Tumba se mobilise comme dans les communes voisines où les massacres de tutsis avaient commencé, où les maisons brûlaient, qu'il ne fallait pas rester inactif qu'il avait désigné les tutsis comme étant l'ennemi dont certains étaient même présents dans la réunion, conduisant certains tutsis à quitter là réunion. Tous ont affirmé que cette annonce, venant d'un notable tel que Sosthène MUNYEMANA, avait été de nature à propager non seulement la peur au sein de la population hutue mais également la méfiance entre tutsis et hutus et à exacerber les tensions ethniques,

Sosthène MUNYEMANA a reconnu avoir pris la parole lors de cette réunion, en réfutant ces témoignages et en précisant les circonstances de son intervention : alors que la réunion avait été commencé il avait été informé par son fils de l'arrivée de Bonaventure NKUDABATURA, de sa femme tutsie et de leurs enfants ainsi que de Onesphore KAMANZI dont toute la famille venait d'être massacrée ; il s'était alors rendu chez lui, ces faits ayant été confirmés à la barre par son fils; il était revenu à la réunion où il avait informé la population que des réfugiés de Kigembe venaient d'arriver chez lui. Il a donc contesté avoir jamais dit qu'il s'agissait de hutus fuyant les massacres perpétrés par des tutsis venant du Burundi. Pour expliquer l'accumulation de ces témoignages, il a indiqué qu'il suspectait les témoins d'avoir harmonisé leurs
témoignages ou d'avoir mal interprété ses propos.

Quatre témoins à décharge entendus soit durant l'instruction, soit devant la. cour, ont indiqué, pour le premier que l'accusé avait effectivement évoqué l'existence de troubles graves à Kigembe mais sans remettre en cause la parole du conseiller BWANAKEYE (Innocent HABIYAREMEYE), pour le deuxième que l'accusé n'avait jamais tenu ce type de propos (Josepha MUJAWAEYEZU), pour le troisième que l'accusé n'avait pas pris la parole (Michel UWIZIGAIYAMANA) tandis que le dernier disait ne pas avoir vu l'accusé lors de cette réunion (Alexis KANAMUGIRE)

Au regard de ces éléments, force est de constater qu'il existe une réelle convergence dans les nombreux témoignages mettant en cause l'accusé de nature à leur donner une force probante significative que la cour et jury ne peuvent écarter pour la seule raison que l'accusé les conteste.

Par ailleurs, à l'instar de tous les témoins, Sosthène MUNYEMANA a expliqué que deux décisions fortes avaient été prises à l'issue de cette réunion : ériger des barrière, instaurer des rondes, à savoir des patrouilles.

+ S'agissant des barrières, il a précisé que ces barrières avaient été érigées à l'extérieur du secteur afin non seulement de protéger le secteur des fauteurs de troubles mais également de laisser entrer dans le secteur les tutsis qui venaient y chercher refuge.

+ Quant aux rondes, il a expliqué qu'il s'agissait de patrouilles mixtes composées d'hommes hutus et tutsis chargés de s'assurer de la sécurité à l'intérieur du secteur. Il est apparu établi, d'après les témoignages venant corroborer les déclarations de l'accusé, que des rondes mixtes ont effectivement eu lieu les 18, 19 et 20 avril, avant le déclenchement du génocide à Tumba le 21 avril

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Il apparaît donc que si l'intervention de Sosthène MUNYEMANA n'a pas été déterminante le jour même pour le basculement de Tumba dans le génocide, les premiers meurtres n'ayant eu lieu que le 21 avril au matin, que si elle n'a pas empêché l'instauration de rondes mixtes, il n'en reste pas moins qu'elle a fortement marqué les esprits et les consciences en propageant de fausses informations, en préparant les esprits, en s'inscrivant précisément dans la propagande génocidaire que Alison DES FORGES a désigné sous l'expression « attaques en miroir », et qu'elle est de nature à constituer un élément de preuve de l'adhésion de l'accusé à la politique et au plan en vue du génocide des tutsis.

Enfin, Sosthène MUNYEMANA a expliqué qu'il avait été désigné, sans pour autant s'être porté candidat, pour faire partie avec RUGANZU, SOMALYA (tué le 21), Martin GATABAZI et Félix KUBWIMANA de ce qu'il à appelé le « comité des sages », censé apporter de la pondération et de la modération au comité de sécurité du secteur marqué par la présence d'éléments extrémistes, à savoir Siméon REMERA et le chef de la cellule connu sous le surnom de MAMBO et qui allait s'avérer comme étant l'un des principaux tueurs à Tumba. L'accusé à précisé que malgré les massacres, les enlèvements, les viols et les pillages qui avaient eu lieu à Tumba à partir du 21 avril, ce comité des sages n'avait jamais été activé ni sollicité et que ses membres n'avaient jamais songé à se réunir pour faire entendre la voix de leur sagesse tout simplement parce que le fonctionnement de ce comité n'avait pas été arrêté.



9. La fonction bureau de secteur à partir du 21 avril 1994



Afin d'analyser au mieux les faits concernant le bureau de secteur et qui sont au cœur de ce procès, il est important de rappeler les déclarations de l'accusé.

Sosthène MUNYEMANA a déclaré s'être levé le 21 avril 1994, à 6h30, s'être rendu à Rango entre 7h30 et 11h pour y faire des courses pour ses enfants mais également les réfugiés qui se trouvaient chez lui, puis avoir entendu les premiers coups de feu peu après son retour chez lui, correspondant aux premiers meurtres commis à Tumba sur KARANGANWA et sa famille. Il avait alors compris que les tueries avaient été lancées par les militaires relayés par les miliciens et la population. 5 à 6 personnes, dont plusieurs tueurs, à savoir MAMBO, Spératus SIBOMANA alias KABIGIRI et Anasthase étaient passés chez lui pour effectuer un simple contrôle. Inquiet, il était resté chez lui toute la journée et toute la nuit. Il disait s'être « auto confiné » chez lui jusqu'au 23 avril, ne sortant que sur le seuil de sa propriété.

Sosthène MUNYEMANA à ensuite expliqué les conditions dans lesquelles il s'était fait remettre les clés du bureau de secteur afin d'utiliser ce bâtiment administratif comme un refuge pour les réfugiés tutsis qui s'y présentaient. Il avait constaté depuis sa maison qui se trouvait à 275 mètres, soit une distance représentant un peu moins que trois terrains de football, que des réfugiés venant de MUSANGE s'étaient spontanément réunis devant le bureau de secteur, ce qui s'expliquait par le fait que traditionnellement, les bâtiments communaux à l'instar des édifices religieux étaient des lieux de refuge et de protection en période de troubles et de violences.

Le 22 avril au matin, il avait appris par RUGANZU que les réfugés tutsis qui s'étaient rassemblés spontanément devant le bureau de secteur la veille avaient tous été massacrés. Il avait donc contacté le conseiller BWANAKEYE, responsable administratif du secteur, afin de l'alerter mais celui-ci lui avait répondu qu'il était lui-même assiégé chez lui car sa femme était tutsie de sorte que la décision avait été prise de faire parvenir à Sosthène MUNYEMANA la clé du bureau de secteur afin qu'il puisse ouvrir ce bâtiment aux tutsis pour qu'ils y trouvent un refuge d'urgence. Mais la clé ne lui ayant pas été remise le 22 avril il avait appris par Félix KUBWIMANA qu'une autre clé du bureau était susceptible de se trouver chez le chef de la cellule, MAMBO, de sorte qu'il s'y étaient rendus ensemble. Mais MAMBO n'ayant pes cette clé il était rentré chez lui sans pouvoir apporter le moindre secours aux tutsis qui s'étalent de nouveau réunis devant le bureau de secteur. Ce déplacement au domicile de MAMBO a été confirmé par Venant GASHONGORE, le frère de MAMBO, celui-ci ayant toutefois donné plusieurs versions de La relation entre l'accusé et l'un des principaux tueurs de Tumba. II ressort finalement des déclarations de ce témoin que Sosthène MUNYEMANA avait besoin des clés pour y enfermer une quarantaine de tutsis rescapés des massacres perpétrés ce jour là dans

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le quartier voisin de Musange qui étaient venus se réfugier autour du bureau de secteur de Tumba où ils étaient gardés par des interahamwe armés, maïs que tous ces rescapés sans exception avaient été tués dans la nuit.

Sosthène MUNYEMANA a indiqué que la clé ne lui sera remise que le 23 avril par une personne qu'il ne connaissait pas mais qui avait été envoyé par le conseiller BWANAKEYE.

Si le conseiller BWANAKEYE et Celse GASANA ont l'un et l'autre indiqué que Sosthène MUNYEMANA était entré en possession de la clé le 17 avril à l'issue de la réunion dans le bureau de secteur, la cour et le jury ont retenu la date du 23 avril telle que précisée par l'accusé dans la mesure où ses déclarations très circonstanciées ont été confirmées par Venant GASHONGORE.

Par ailleurs, il a été observé par la cour et le jury que le conseiller BWANAKEYE, qui a pu être entendu par les autorités rwandaises mais qui est décédé, n'a jamais fait par des faits tels que rapportés par l'accusé, qu'il n'a jamais dit avoir été alerté par l'accusé de la présence de réfugiés devant le bureau de secteur, qu'il n'a jamais dit avoir convenu avec lui de lui envoyer la clé.

Sosthène MUNYEMANA a également expliqué qu'il avait ensuite été alerté par l'agitation causée par l'arrivée de nouveaux tutsis au bureau de secteur et leur encerclement par des miliciens qui les menaçaient. Il s'était alors rendu seul au bureau de secteur où se trouvaient 20 à 30 tutsis selon ses différentes déclarations, sachant qu'ils étaient moins nombreux que lors des deux premiers jours et qu'ils s'agissait de personnes qui avaient été contraintes de sortir de leurs cachettes à cause de la pluie et qui s'étaient donc librement et spontanément rendues au bureau de secteur pour y trouver refuge. Il avait constaté la présence de 5 à 10 miliciens, à savoir des jeunes hommes de Tumba, armés de machettes qui rôdaient autour des réfugiés en les menaçant de leurs regards et par leurs gestes. Il avait donc annoncé aux miliciens et aux réfugiés que le conseiller BWANAKEYE lui avait demandé de leur ouvrir le bureau de secteur; il leur avait ouvert la porte pour les faire entrer et les enfermer en fermant la porte à clé. II a précisé que les milicens, dont MAMBO, grognaient et rôdaient mais ne disaient rien, le laissant faire car il leur avait dit agir sur instructions du conseiller BWANAKEYE. Les miliciens avaient fini par quitter peu à peu le bureau de secteur, les uns après les autres, de sorte qu'il avait pu rentrer chez lui. Il avait enfin prévenu par téléphone le conseiller BWANAKEYE pour l'informer de la situation, celui-ci lui ayant répondu qu'il allait venir sur place.

S'agissänt des réfugiés, il les a décrits comme étant apeurés et désespérés mais soulagés de ne plus être directement exposés à la menace des miliciens ; aucun d'entre eux n'étaient blessés ni battus.


Sosthène MUNYEMANA a estimé avoir ainsi pu sauver des tutsis à 4 reprises:
+ le 23 avril, à savoir 20 à 30 personnes,
+ une date inconnue : 4 à 6 personnes,
+ à une autre date inconnue : 4 à 6 personnes,
* et enfin le 14 mai: 6 à 8 personnes, 11, voire 15 selon ses différentes déclarations, dont Vincent KAGERUKA.

Au total, il a expliqué avoir sauvé une cinquantaine de personne au moins étant toutefois observé que devant l'OFPRA où il était censé se présenter sous son meilleur jour et où il avait tout intérêt à faire valoir ses actions en faveur des tutsis, il avait dit n'en avoir sauvé que 10 à 12 personnes, de sorte qu'il est difficile de comprendre sa volonté d'occulter ce nombre s'il s'agissait de protéger des victimes.

Sosthène MUNVEMANA a ensuite expliqué les conditions dans lesquelles les tutsis avaient quitté le bureau de secteur, toujours selon lui dans un but de protection et de mise en sécurité. Il a précisé que le mode opératoire mis en œuvre le 24 avril 1994 s'est répété à chaque fois.
Il ressort de ses déclarations que le 24 avril, le conseiller BWANAKEYE est arrivé au bureau de secteur, qu'il à convoqué les chefs des cellules de Tumba dont MAMBO, que ceux-ci ont à leur tour convoqué là population de sorte qu'une réunion publique s'est tenue dans le bureau de secteur. Une cinquantaine de personnes


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assistait à cette réunion, de même que les tutsis qui avaient été enfermés dans le bureau de secteur. Le conseiller BWANAKEYE avait alors appris que des tutsis avaient été tués les jours précédents et que des corps avaient été jetés dans les fosses avoisinantes, et notamment celle de KARANGANWA située juste derrière le bureau de secteur, mais sans y apporter de solution. Le constat suivant à été fait et les décisions suivantes ont été prises :

+ il était décidé de reprendre les rondes telles qu'elles étaient pratiquées avec le souci de protéger les tutsis, la ronde de l'accusé s'inscrivant précisément dans cette perspective (cf infra) ;

+ la sécurité pour les réfugiés n'était garantie sur aucun des secteurs de Tumba dans la mesure où les tueries continuaient ;

+ le conseiller BWANAKEVE contactait le bourgmestre KANYABASHI par téléphone depuis le domicile de Sosthène MUNYEMANA, le bourgmestre prenant la décision d'envoyer un véhicule pour prendre en charge les tutsis enfermés dans le bureau ;

+ lorsque le véhicule arrivait, les tutsis étaient chargés à bord du véhicule pour être conduits à Butaré ville

Sosthène MUNYEMANA a précisé que lors des 4 réunions qui avaient été improvisées dans les mêmes conditions à chaque fois qu'il avait enfermé des tutsis dans le bureau de secteur, la même procédure s'était répétée et les mêmes décisions avaient été prises


Sosthène MUNYEMANA a affirmé tout au long de la procédure et des débats que compte tenu de là confiance aveugle qu'il plaçait dans les autorités représentées par le conseiller BWANAKEYE et le bourgmestre KANYABASHI il avait eu la certitude que les tutsis du bureau de secteur étaient conduits à Butaré ville pour y être pris en charge et protégés. Il a admis qu'il n'avait jamais cherché à avoir la moindre précision sur leur destination exacte, sur leur sort ni sur ce qu'ils étaient devenus. Il à également admis que lorsque les réfugiés montaient dans la camionnette, aucune parole rassurante ne leur était adressée, aucune information sur leur destination ne leur était donnée. II n'a pas été en mesure d'expliquer la raison pour laquelle il n'avait pas alerté les gendarmes alors pourtant que deux gendarmes étaient ses locataires, qu'il avait le téléphone, qu'il savait ce qui se passait et qu'il disait avoir pleine confiance dans les autorités. De même, il ne pouvait expliquer la raison pour laquelle il n'avait pas profité de la nuit, de l'absence des tueurs pour libérer les tutsis et leur donner une chance de survie, sauf à dire qu'il avait confiance en messieurs KANYABASHI et BWANAKEYE.

L'accusé s'est longuement expliqué sur sa démarche. Il a en effet présenté le bureau de secteur comme un refuge temporaire dans lequel les réfugiés ne restaient pas plus de 6 heures, ayant conscience avec François BWANAKEYE qu'il ne pouvait s'agir d'une solution pérenne. II a mentionné le « soulagement dans (le) regard » de l'un des réfugiés, à savoir Vincent KAGERUKA lorsqu'il l'avait enfermé dans le bureau. Il a répété à plusieurs reprise que s'il n'avait ouvert le bureau de secteur aux tutsis, ils auraient été massacrés au niveau des fosses de sorte qu'il n'avait pas d'autre solution. Il à donc soutenu qu'il avait pris là bonne décision en soustrayant les tutsis à la menace des miliciens, la seule qu'il pouvait utilement prendre dans le contexte de l'époque et dans l'urgence, chaque jour de survie étant préférable à la mort immédiate dans les fosses.

Sosthène MUNYEMANA a donc fermement contesté avoir été un des maillons de la chaîne génocidaire en détenant les clés, en se présentant comme l'envoyé du conseiller en lien avec le bourgmestre, en s'inscrivant dans l'action des autorités locales, tout en admettant que les témoins qui l'accusaient avaient pu croire à cette apparence.

Tout au plus a-t-il fini par admettre, lorsqu'il lui a été posé la question, qu'il avait pu être dupé et abusé, en disant : « c'est possible, c'est dommage pour moi, j'ai été naïf » mais avoir suivi « un cri du cœur » et en affirmant qu'aucune des personnes auxquelles il avait ouvert n'avait été tuée sur le secteur de Tumba puisqu'elles avaient toutes été transférées.

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Il a par ailleurs soutenu que, hormis ses quatre interventions, il n'avait pas constaté la présence de tutsis enfermés dans le bureau sachant qu'il était attentif à la situation du bureau qu'il surveillait depuis son domicile.

Quant à la date à laquelle il avait restitué la clé au conseiller BWANAKEYE, Sosthène MUNYEMANA a donné plusieurs versions au fil de ses auditions devant l'OFPRA, devant les juges d'instruction puis lors des débats, à savoir tantôt le 8 mai lors de la reprise de son travail, tantôt avant cette date, tantôt le 12 ou le 13 mai, tantôt le 18 mai et finalement le 15 mai.

François BWANAKEYE n'a jamais évoqué les réunions décrites par l'accusé ni les décisions prises à l'issue de ces réunions pour sauver les tutsis du bureau de secteur. D'ailleurs, la cour et le jury ont observé que l'existence des réunions publiques évoquées par l'accusé n'a été confirmée ni même évoquée par aucun des très nombreux témoins entendus.

Par ailleurs, peu de témoins sont venus corroborer les déclarations de l'accusé:

* Alexis KANAMUGIRE, condamné par la Gacaca, a affirmé que les tutsis étaient conduits devant le conseiller BWANAKEYE qui disait de les conduire au bureau afin d'assurer leur protection de sorte que ce n'était pas un lieu de détention.

* Josepha MUJAWAEYZU, une amie de l'accusé, à confirmé mais sans en avoir été elle-même le témoin, que les gens venaient se réfugier après le 21 avril au bureau et repartaient ensuite ; que les personnes qui protégealent les tutsis avaient pris la décision de les enfermer à clé dans le bureau pour empêcher les assaillants de s'en prendre à eux et que c'était la raison pour laquelle le conseiller BWANAKEYE avait donné les clés à l'accusé car ce dernier s'impliquait dans la protection des tutsis; que l'accusé contactait le bourgmestre KANYABASHI qui envoyait une camionnette pour conduire les réfugiés au centre ville ; qu'il n'y avait pas eu la moindre victime parmi les tutsis enfermés dans le bureau de sorte que le bureau était un refuge, pas une prison.

* Vénantie MUKAKARANGWA (compagne de RUGANZU et amie de l'accusé) a confirmé que Sosthène MUNYEMANA avait appelé le conseiller BWANKEYE car des tutsis étaient venus se réfugier au bureau et étaient sous la menace des tueurs de sorte que la décision avait été prise d'ouvrir le bureau pour les protéger ; que si les réfugiés n'étaient pas bien dans le bureau, ils étaient en vie ; qu'elle n'avait jamais vu de prisonniers dans le bureau dont elle était voisine.

* Justin MUSEKERA a affirmé que le bureau de secteur était un lieu de refuge.

Cependant, les explications fournies par l'accusé et ces témoignages se heurtent à de très nombreux témoignages qui ont été analysés et dont il ressort de manière unanime que d'une part, de nombreux tutsis ont été conduits sous bonne escorte au bureau de secteur, d'autre part qu'ils étaient enfermés et surveillés dans le bureau de secteur, et enfin qu'aucun d'entre eux à l'exception de Vincent KAGERUKA n'a survécu. Il s'agit des témoignages suivants :

+ Thomas BAVAKURE qui a constaté le 23 avril la présence d'une soixantaine de tutsis capturés par les bandes de tueurs dans la journée et qui a constaté le lendemain que les prisonniers tutsis de la veille avaient disparu du bureau de secteur dont des gens nettoyalent l'intérieur tâché de sang.

+ Anaclet DUFITUMUKIZA (caporal de gendarmerie faisant fonction de chauffeur) qui a vu des tutsis prisonniers dans le bureau, qui a précisé que le cousin de sa femme avait été emprisonné quelques jours au bureau de secteur avant d'être emmené et tué, qui à ajouté que les tutsis étaient conduits au bureau de secteur par les miliciens et les tueurs car il fallait l'autorisation du comité pour les tuer et qui a conclu que le bureau n'était pas un lieu de protection.

+ Marie GAFARAZI qui a entendu les militaires dire à ceux qui venaient de la capturer qu'il fallait la conduire au bureau de secteur dont les clés étaient détenues par Sosthène MUNYEMANA ou par le conseiller BWANAKEYE et qui, après avoir été sauvée de ses tueurs grâce à l'intervention de sa propriétaire, a entendu depuis sa cachette des tueurs dire qu'ils n'avaient pas trouvé les clés du bureau et qu'il leur fallait aller voir Sosthène MUNYEMANA.

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+ Celse GASANA selon lequel Ernest MUTESA a été conduit au « cachot » de Tumba dont Sosthène MUNYEMANA gardait les clés,

+ Jean Paul HABINEZA selon lequel les tutsis arrêtés étaient conduits au bureau de secteur pour y être interrogés par le conseiller ou le responsable de la cellule, et parfois torturés, puis tués.

+ Bosco HABINEZA qui a vu une seule fois Sosthène MUNYEMANA alors que des tutsis du bureau de secteur étaient chargés à bord d'un véhicule pour être tués, l'accusé se comportant comme celui qui dirigeait les opérations.

+ Martin HABYARIMANA, qui habitait TUMBA à proximité immédiate du bureau de secteur et qui a indiqué que le bureau de secteur était gardé par les interahamwe, qu'en mai un groupe de militaires était venu chercher l'accusé qui leur avait alors ouvert la porte, les interahamwe ayant chargé les tutsis dans une voiture avec l'aide des militaires et des gendarmes, le seul rescapé de ce convoi étant Vincent KAGERUKA.

+ Vincent HABYARIMANA :

- le 21 avril, des personnes fuyant des communes voisines étaient venues au bureau de secteur croyant y trouver un refuge mais certaines d'entre elles y avaient été enfermées alors que d'autres, trop nombreuses, étaient restées à l'extérieur, celles qui étaient enfermées ayant ensuite été tuées et jetées dans la fosse de KARANGANWA ;

- alors qu'il était caché chez une femme à 20 mètres du bureau de secteur, il avait vu Sosthène MUNYEMANA ouvrir la porte du bureau de secteur dans lequel se trouvaient des tutsis ; le bureau de secteur était gardé mais il n'y avait pas de gardien spécialement affecté à cette tâches, les hommes se relayant.

+ Anne Marie KAMANZI : après le meurtre de son bébé et de son père, elle avait été conduite au bureau de secteur avec 4 autres personnes où elle avait retrouvé 2 frères et où elle avait passé deux jours sans nourriture ni soin, à l'extérieur du bureau de secteur, avec d'autres réfugiés, gardés par des hommes avant qu'on lui dise de partir ; elle avait vu Sosthène MUNYEMANA venir du domicile de RUGANZU en compagnie de celui-ci, s'arrêter, et dire aux blessés de se mettre de côté pour être soignés, ce qu'elle n'avait pas fait car elle savait que les blessés ne revenaient jamais.

+ Laurence KANAYERE : la maison du secteur de TUMBA servait à enfermer le jour les tutsis qui devaient être tués la nuit pour éviter les photographies aériennes.

+ Alfred MAGEZA selon lequel le bureau de secteur servait à différer les éliminations à des fins de simulation et à opérer un tri entre tutsis de sexe masculin, jeunes et vigoureux à tuer en priorité et les autres, étant précisé que la plupart des victimes de la fosse de KARANGANWA étaient des tutsis qui avaient été enfermés dans le bureau gardé par des interahamwe.

+ Providence MUKANDOLI :

- après le massacre de la colline de KABAKOBWA, deux à trois jours avant le décès de son père qu'elle datait le 6 mai, elle avait fini par être capturée par habitants muni d'armes traditionnelles sur le ressort de TUMBA ; les interahamwe ayant dit que toutes les personnes appréhendées devaient être emmenées au bureau de secteur sur instruction de François BWANAKEYE, elle y avait été conduite ; elle avait constaté la présence de plus d'une trentaine de personnes ; elle y avait retrouvé son père qui lui avait confié que « c'était le gynécologue Sosthène MUNYEMANA qui avait la clef », que son père avait entendu dire que si on avait pas la clef du bureau de secteur pour y mettre les tutsis, on allait chez Sosthène MUNYEMANA et que c'était ainsi que lui-même avait été enfermé par l'accusé. L'accusé était arrivé en fin de journée avec François BWANAKEYE ainsi que des interahamwe et leur avait donné l'ordre de sélectionner des jeunes gens filles et garçons qu'on avait fait sortir de la salle. Son père l'ayant cachée, elle n'avait pas été sélectionnée en dépit du fait qu'elle était âgée de 20 ans. Son père avait alors personnellement supplié l'accusé de les laisser partir après là sélection, en invoquant des relations professionnelles qu'ils avaient entretenues par le passé. Sosthène MUNYEMANA avait d'abord dit qu'il n'avait rien à leur dire et que leurs jours étaient finis pour finalement les laisser sortir en disant qu'ils iraient mourir ailleurs. Au terme de ce témoignage, l'accusé avait donc sauvé ce jour le témoin et son père dans le cadre de l'autorité qu'il exerçait

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sur le bureau de secteur et sur les miliciens.
- Le témoin Providence MUKANDOLI a en outre décrit une salle dans laquelle se trouvaient plus de trente personnes, certaines grièvement blessées, dont une jeune file dont on avait clairement coupé le sein, un homme qui saignait de la tête avec sur l'arrière du crâne une marque de machette, des gens qui criaient de douleur et que personne n'est venu soigner.

+ Jean Damascène MUNYANEZA selon lequel Sosthène MUNYEMANA et ses complices avaient transformé le bureau de secteur en « dépôt pour les tutsis à tuer » de sorte que ce n'était pas un lieu de refuge.

+ Fidèle MURERA qui a déclaré que le bureau de secteur avait servi, sur ordre de Siméon REMERA, à emprisonner les tutsis qui venaient d'être capturés, sous la garde des tueurs avant leur exécution à la fosse de Ruganzu, étant précisé qu'ils étaient maltraités, qu'ils mourraient de faim, que des tutsis y étaient conduits pratiquement tous les jours, tout en disant ne pas avoir vu l'accusé en possession de la clé.

+ Emmanuel NIVITEGEKA : le bureau n'était pas un lieu de refuge, il a servi à rassembler les tutsis pour les tuer ce que l'accusé ne pouvait ignorer.

+ Emmanuel NSABIMANA : alors qu'il était caché dans le champs de sorgho de François BWANAKEYE, il a vu l'accusé ouvrir à 4 tutsis de Rango pour les enfermer dans le bureau et ouvrir ensuite pour les faire monter dans une camionnette d'interahamwe chargé de les conduire à la préfecture.

+ Gloriose NYIRANGIRUWONSANGA qui habitait à quelques dizaines de mètres du bureau à déclaré lors de sa confrontation avec Sosthène MUNYEMANA que celui-ci avait les clés durant les mois d'avril et de mai, que les tueurs comme MAMBO, NGENZI (en fuite au Burundi), GAPIKIRI (en prison à Karubanda), NTIRENGANYA Évariste (en prison à Karubanda), NCAGURE Tharcisse (décédé), Anselme (en fuite) venaient la chercher chez lui afin d'ouvrir le bureau, qu'elle les avaient vus venir au moins 3 fois pour y enfermer des tutsis qui étaient ensuite tués et jetés dans la fosse de KARANGANWA, que ce n'était alors pas l'accusé qui ouvrait le bureau, qu'elle voyait le bureau depuis son domicile, qu'aucun tutsi ne s'y rendait de son plein gré de sorte que le bureau de secteur qui était un lieu de détention et qu'on pouvait voir cela de chez elle, que les tutsis
disparaissalent après leur détention.

+ Marie NYARAROMBA tutsie, dont le mari et les enfants ont été enlevés et tués sur le secteur de Tumba : elle à vu Sosthène MUNYEMANA avec les clés ouvrir le bureau pour y enfermer les prisonniers avant leur exécution, qu'il s'agissait de prisonniers de Tumba et d'ailleurs qu'on n'avait jamais revus par la suite. Ce témoin a cependant émis des doutes sur les raisons de cet enfermement en disant que : « peut être qu'en lui donnant les clés cela préservait les prisonniers, je ne sais pas quoi penser » ou encore « on les ramassait dans tous les coins pour les conduire au bureau sous prétexte de leur procurer un refuge »

+ Boniface NZYYUMVIRA (condamné à 30 ans) qui à déclaré avoir vu 2 tueurs, Philippe GAPITA et Tharcisse NCAGURE qui avait capturé Vincent KAGERUKA, venir chercher les clés auprès du conseiller BWANAKEYE qui leur avait dit d'aller chez Sosthène MUNYEMANA, et qui a précisé que toutes personnes enfermées dans le bureau étaient mortes à l'exception de Vincent KAGERUKA.

+ Augustin RUKINGA (condamné) a reconnu avoir lui-même escorté des tutsis à plusieurs reprises au bureau de secteur dont la garde était assurée par des burundais et dont le sort était d'être d'exécutés le soir, sachant que selon lui, c'était le conseiller BWANAKEYE qui avait les clés et non pas Sosthène MUNYEMANA.

+ Patrice NZEYMANA a déclaré avoir conduit 8 tutsis au bureau de secteur en vue de leur transfert vers Butaré,

+ Évariste SENKWARE (voisin de l'accusé qui avait eu la vie sauve à plusieurs reprises grâce à l'accusé) et dont il ressort du témoignage, réitéré à plusieurs reprises, que les clés avaient été remises par le conseiller BWANAKEVE à Sosthène MUNYEMANA car il habitait plus près que lui du bureau ; que les tutsis y étaient enfermés pendant le génocide ; que lorsque les bandes de tueurs interahamwe avaient capturé des tutsi, Sosthène MUNYEMANA leur remettait les clés du bureau de secteur pour qu'ils y enferment leurs prisonniers avant de lui ramener les clés ; qu'il avait pu observer cette

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scène depuis chez lui à plusieurs reprises en citant notamment Spératus SIBOMANA alias KABIRIGI. Évariste SENKWARE a par ailleurs relaté qu'un jour, lui même, alors que ces fils avaient été tués, était venu avec un ami chercher les clés du bureau de secteur chez Sosthène MUNYEMANA dans l'idée de s'y faire enfermer pour s'y faire lui aussi tuer, ce dont l'accusé l'avait dissuadé.

Sosthène MUNYEMANA a rejeté l'intégralité de ces témoignages, reprochant aux témoins soit de mentir, soit de se tromper, soit de faire une confusion entre les tutsis qui étaient exécutés au niveau du bureau de secteur, c'est à dire dans les fosses qui se trouvaient à proximité du bureau, et ceux qui étaient en sécurité dans le bureau de secteur.

Les débats ont en outre permis d'analyser le témoignage de Vincent KAGERUKA, décédé depuis, devant les juges d'instruction et confronté avec l'accusé. Il en ressort qu'il a été capturé le 14 mai; qu'il désigne Sosthène MUNYEMANA comme étant celui qui l'a enfermé dans le cachot qu'était devenu le bureau de secteur de TUMBA en disant : "voilà un autre inkotanyi; viens mourir comme tes parentés!" au même titre qu'une dizaine d'autres tutsis capturés après lui au cours de la nuit ; qu'il à ainsi d'abord été enfermé seul dans le bureau de secteur par Sosthène MUNYEMANA ; que 11 autres tutsis ont ensuite été enfermés par Sosthène MUNYEMANA ; que leur transfert à été organisé le lendemain à la gendarmerie de Butaré par le conseiller BWANAKEYE et son chauffeur. Vincent KAGERUKA a ensuite expliqué le sort qui avait été le leur à Butaré Ville où ils avaient été emprisonnés, affamés, laissés sans soins, battus, avant d'être embarqués dans un camion. Vincent KAGERUKA à eu la vie sauve parce qu'il avait profité de la nuit et de l'inattention de ses gardiens pour se glisser sous le camion dans lequel les autres prisonniers étaient embarqués. Il est le dernier à les avoir vus en vie, leurs corps n'ayant jamais été retrouvés.

Vincent KAGERUKA a rejeté lors de sa confrontation avec l'accusé l'idée que le bureau de secteur ait pu être un secteur, le qualifiant au contraire de lieu de transit vers la mort, tout en admettant que s'il n'avait pas été enfermé immédiatement, il aurait peut être été tué sur place, mais que « ce n'était que partie remise, ma mort n'était remise qu'à un autre jour, un autre lieu ». Il affirmait donc que ce n'était pas un lieu de protection, qu'il avait été conduit au bureau de secteur sur instructions des organisateurs du génocide qui avaient pris la décision de ne pas les tuer sur place mais à Butaré ville. Il a précisé que l'accusé ne l'avait jamais rassuré en lui disant qu'il agissalt pour le protéger des miliciens.

Il a évoqué une dizaine de personnes enfermés avec lui ce jour là, dont son frère, tout le monde s'attendant à être tué incessamment. Il a jugé ridicule l'idée de les protéger dans un endroit public aussi exposé que le bureau de secteur, dans « l'œil du cyclope, sous surveillance », dans un lieu qui était pour lui pire qu'une prison et qu'il a qualifié de « couloir de la mort, de transit comme un camp de concentration pour des gens qui étaient condamnés à mort d'office ».

Vincent KAGERUKA à par ailleurs évoqué le fait que le conseiller BWANAKEVE avait effectivement dirigé la réunion dont est probablement sortie la décision de les « déporter » vers Butaré. Il a accusé le comité de Tumba, dont faisait partie l'accusé, de les envoyer à une mort certaine à Butaré.

Les déclarations de Vincent KAGERUKA ont trouvé écho dans celles concordantes de Générose MUKAMULISA, Gaudiose NTAKIRUTIMANA, Consolata NYIRACEKERI, Rose NIKUZE, Marie DUSABE, Séraphine NIBAKURE, Vincent Nyandwi HABYARIMANA dont il est ressorti les faits suivants:

+ au cours d'une même nuit de mai 1994, 7 hommes ont été capturés à Rango (secteur de TUMBA) pour être enfermés à Rango dans la « maison 60 » avant d'être conduits sous escorte au bureau du secteur de TUMBA où ils ont été enfermés avec d'autres tutsis capturés, dont Vincent KAGERUKA, seul rescapé ;

+ le lendemain, c'est Sosthène MUNYEMANA qui a ouvert la porte verrouillée du bureau de secteur aux "interahamwe", aux militaires et aux gendarmes venus charger les tutsis enfermés à l'intérieur du bâtiment, dans un véhicule ;

+ tous ces hommes sont morts, à l'exception de Vincent KAGERUKA qui a pu s'enfuir, après avoir été détenus dans un local de la gendarmerie à Butaré Ville où ils ont été violentés et battus.

Certaines de ces témoins ont en outre rapporté les aveux devant la Gacaca de RURANGWA, l'un des

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hommes qui avait participé à l'arrestation et au transfert de leurs proches entre Rango et le bureau de secteur, dont il ressortait que c'était l'accusé et le conseiller BWANAKEYE qui étaient intervenus pour enfermer ces tutsis dans le bureau de secteur puis pour les en faire sortir afin-de les conduire à Butaré Ville.

Ces témoignages ont permis d'identifier certains des tutsis qui ont été enfermés en même temps que Vincent KAGERUKA dans le bureau de secteur puis transférés sous bonne escorte à Butaré Ville pour y être exécutés après plusieurs jours de captivité et de violences :

+ Innocent NTINDENDEREZA, époux de Générose MUKAMULISA et frère de Vincent KAGERUKA

+ Innocent RUTAYISIRE, époux de Gaudiose NTAKIRUTIMANA

+ Venuste GASIRABO, époux de Rose NIKUZE

+ Ramadan GASENGAYIRE, fils de Consolata dite "marna Ramadan"

+ Claude NKUBITO, époux de Marie DUSABE

+ Jean Bosco KABEYI, le fils de la voisine d'une amie réfugiée chez Séraphine NYRABUKE

+ Innocent SIBUKERA dit "Météro”, père de Bosco HABINEZA et époux de Spéciose NYANDWI

Elles ont confirmé les déclarations de Vincent KAGERUKA sur leur transfert à la gendarmerie de Butaré, sur leurs conditions épouvantables de détention, sur les violences et les tortures subies, ajoutant qu'elles n'avaient jamais su comment leurs proches avaient été tués et que leurs corps n'avaient jamais été retrouvés.

Les compagnes de ces disparus ont déclaré unanimement que si « Sosthène MUNYEMANA n'avait pas donné les clés du bureau de secteur pour qu'on les y enferme, peut être qu'ils auraient eu les moyens de fuir ».

Il résulte donc de ces témoignages que ces hommes n'étaient pas des réfugiés mais des captifs emmenés par des miliciens au bureau de secteur sous la contrainte, pour certains blessés, et qu'ils ont tous disparus après avoir été embarqués dans un véhicule conduit par les autorités,

Il ressort également de l'ensemble de ces témoignages d'une part que l'accusé avait la totale maîtrise des clés du bureau de secteur, qu'il ne pouvait ignorer que le bureau de secteur n'était pas un lieu de refuge mais bien d'emprisonnement avant élimination et qu'il a pris une part active à ce mode opératoire.

Sosthène MUNYEMANA a cependant maintenu ses déclarations. Il à en effet contesté les déclarations de Vincent KAGERUKA sur son intervention lors de son arrestation et il a au contraire affirmé que Vincent KAGERUKA avait été soulagé par son intervention et le fait qu'il avait dit être envoyé par le conseiller BWANAKEYE. Il a admis que les tutsis de Rango avaient pu être conduits au bureau contre leur gré tout en disant qu'il ne l'avait lui-même pas vu ni su car is étaient déjà au bureau mais entourés de miliciens quand il est intervenu de sorte qu'il a cru qu'ils étaient venus seuls. Il à émis un doute, au regard des dates mentionnées, sur le fait que les tutsis de Rango aient pu être enfermés en même temps que Vincent KAGERUKA.

Outre le fait que les déclarations de l'accusé se heurtent à celles de ces témoins, la cour et le jury ont considéré que la présentation du bureau de secteur comme un refuge se heurte au contexte local de Tumba:

+ le bureau était le point névralgique du plateau de Tumba, au cœur du secteur et au croisement de plusieurs routes ;

+ le bureau de secteur se trouvait à proximité des domiciles des tueurs tels que MAMBO, du leader des extrémistes à savoir Siméon REMERA et il était mitoyen de la buvette de RUGANZU où se retrouvaient les extrémistes du Hutu Power ;

+ le bureau de secteur était donc l'endroit le plus exposé de Tumba, au sein de l'environnement le plus hostile, encerclé par les barrières ;

+ il est incompréhensible voire irréaliste que le bureau n'ait jamais été attaqué par les miliciens, les militaires, les voisins qui mettaient en œuvre au quotidien le génocide à Tumba en perquisitionnant les maisons à la recherche des tutsis, en défrichant les champs, en débroussaillant les forêt, en

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fouillant les marécages alors que des tutsis étaient sous leurs yeux et à leur merci dans le bureau de secteur, à proximité immédiates de plusieurs fosses ;

+ l'utilisation du bureau de secteur comme lieu d'enfermement s'inscrivait très précisément dans la stratégie génocidaire au niveau national, comme cela ressort des travaux d'Alison DES FORGES et de André GUICHAOUA ou encore de l'audition de Hélène DUMAS et qui consistait à réunir les tutsis, à les enfermer, à les affamer, à les affaiblir avant de les exécuter ;

+ concentrer les tutsis sous prétexte de les protéger pour mieux les tuer alors qu'ils étaient déjà affaiblis, terrorisés, affamés, blessés a constitué un des modes opératoires du génocide selon Alain VERHAAGEN, Damien VANDERMEERSCH ayant quant à lui précisé que les lieux de refuge avaient été systématiquement attaqués.

La cour et le jury ont également estimé ne pas devoir donner crédit aux déclarations de l'accusé concernant la confiance aveugle qu'il dit avoir placée en Joseph KANYABASHI et François BWANAKEYE dans la mesure où ses déclarations se heurtent au fait que l'un et l'autre ont été condamnés pour leur implication dans le génocide mais surtout où les explications de l'accusé sont incompatibles avec la réalité du contexte : les militaires et les forces de l'ordre participaient au génocide ; l'impunité régnait ; plusieurs témoins ont indiqué que Joseph KANYABASHI avait donné l'ordre de faire disparaître les corps.

La cour et le jury ont aussi retenu le témoignage de Laurien NTEZIMANA, cousin de Joseph KANYABASHI dont il a dit qu'au fond de lui, le bourgmestre KANYABASHI n'avait strictement rien contre les tutsis, d'autant plus qu'on le surnommait KANABATUTSI, mais qu'il avait eu peur, qu'il avait prêté allégeance au gouvernement sans oser s'opposer, de sorte qu'il s'était affiché comme un génocidaire, qu'il avait porté la veste militaire et le fusil, qu'il tenait des discours officiels dans la lignée de ceux du gouvernement, qu'il s'était engagé dans le génocide en tant qu'homme politique d'autant plus qu'il était surveillé.

Enfin, il à été rappelé lors des débats que l'accusé avait reconnu devant le juge d'instruction que les autorités favorisaient les tueries.

Dans ces conditions, la cour et le jury ont conclu que le bureau de secteur n'avait jamais été un lieu de refuge contrairement à ce que l'accusé a prétendu pour sa défense, qu'il s'agissait d'un lieu de détention où des réfugiés qui sy étaient spontanément présentés ont été enfermés dans les tous premiers jours du génocide, et où par la suite, des tutsis capturés par les génocidaires ont été conduits pour y être enfermés, avant leur exécution dans les fosses de Tumba puis, lorsque celles-ci étaient pleines, puis à Butaré Ville. Le bureau de secteur répondait non seulement à la nécessité de tuer les tutsis durant la nuit et non pas la journée mais également au défi de la gestion des cadavres alors que les fosses étaient pleines. Il à été utilisé pour réunir, enfermer, affaiblir les tutsis avant leur exécution.


La cour et le jury ont considéré que l'accusé a ainsi pleinement et en toute conscience pris part à cette organisation mise en place pour conduire les tutsis à une mort certaine, parce qu'ils étaient tutsis.

Enfin, il a été retenu que la détention des clés avait une valeur symbolique, s'agissant du lieu de l'exercice local du pouvoir de sorte qu'aux yeux de tous, Sosthène MUNYEMANA exerçait désormais une responsabilité, s'inscrivant ostensiblement et publiquement dans une chaîne administrative et cela durant des semaines.

10. Les conditions de détention dans le bureau de secteur



Plusieurs témoins ont rapporté les conditions effroyables de détention des tutsis, enfermés en nombre dans le bureau de secteur, sans nourriture, sans eau, sans soins pour les blessés dont certains souffrant de graves blessures par armes blanches voire d'amputation, sans sanitaires, alors qu'ils avaient été traqués, capturés, qu'ils s'attendaient à une mort certaine après avoir vu mourir des proches, des amis, des voisins,

Interrogé sur les conditions de détention, Sosthène MUNYEMANA n'a pas contesté l'absence d'hygiène, de


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soins, d'eau, de nourriture mais il a observé d'une part que les tutsis ne restaient pas enfermés plus de 36 heures dans le bureau, d'autre part qu'il avait demandé à une femme qui tenait un kiosque à proximité de les nourrir sans pour autant s'assurer qu'elle en avait les moyens ni qu'elle l'avait fait. Il a ajouté que leur approvisionnement était laissé à l'initiative individuelle de femmes hutus qui nourrissaient leur mari et ceux de femmes tutsis, ce qui a pu être confirmé par certaines compagnes des tutsis de Rango.

Il a cependant reconnu, comme il l'avait dit devant le juge d'instruction, que s'agissant des trois derniers groupes de réfugiés, ils « se traînaient de faim et de fatigue » et il a admis qu'il s'agissait de tutsis traqués, qui étaient affaiblis, apeurés, terrorisés, raison précisément pour lesquelles il leur avait apporté son aide en leur offrant un refuge momentané.

S'agissant des blessures, il a évoqué des blessures superficielles par armes blanches ce qui paraît incompatible avec la violence du génocide et l'utilisation d'armes blanches. Il a en revanche affirmé ne pas avoir vu les atrocités décrites par certains témoins et notamment qu'une femme avait un sein tranché où qu'un homme avait été blessé à la tête par un coup de machette.

Il a reconnu que bien que médecin, il ne leur avait prodigué aucun soin et qu'il n'avait alerté aucun service susceptible de le faire.

Il a répété qu'il s'agissait d'uné situation de force majeure et que son intervention ne s'inscrivait en aucun cas dans une dispositif et dans une logistique de rationalisation du génocide.

Au regard de ces éléments, la cour et le jury ont considéré que les conditions de détention auxquelles l'accusé avait soumis les détenus tutsis qu'il avait enfermé et fait enfermer par des miliciens est de nature à constituer des tortures physiques ou psychiques ainsi que des actes inhumains.

11. les rondes



Il ressort des témoignages des habitants de Tumba ainsi que des témoins de contexte que les rondes ont été l'un des instruments du génocide sur tout le territoire rwandais. Elles ont été utilisées pour traquer et débusquer les tutsis selon Alain VERHAAGEN, il s'agissait de structures dynamiques et mobiles selon Hélène DUMAS qui n'a jamais entendu parler de ronde protégeant les tutsis. Alison DES FORGES a quant à elle écrit que quiconque ne participait pas aux rondes était un ennemi et que si ces rondes avaient peut-être servi dans un premier temps à lutter contre la criminalité, ce premier objectif a été détourné vers un objectif de capture des tutsis. Jean-Paul HABINEZA qui participait aux rondes dans la cellule de MAMBO a expliqué que ces rondes avaient pour but de débusquer des étrangers et les personnes dépourvues de carte d'identité qui étaient soupçonnés d'être tutsi étaient envoyées au bureau de secteur pour ensuite être tuées, que tout homme valide devait participer aux rondes ou donner de l'argent en compensation, que tout le monde était sensibilisés sur le fait que le tutsi était l'ennemi.


Sosthène MUNYEMANA à déclaré avoir participé aux rondes mixtes mises en place par le conseiller BWANAKEYE à partir du 17 avril, sur instruction du préfet HABILYAMANA, avec pour objectif de protéger la population, ce qui apparaît établi et corroboré par plusieurs témoignages. Il a expliqué que par la suite, il avait suspendu sa participation aux rondes entre le 21 et le 24 avril, pour la reprendre à partir du 24 avril, mais sans la participation des tutsis puisque ceux qui avaient survécu aux premiers massacres se cachaient.

Par ailleurs, Sosthène MUNYEMANA a indiqué que si la plupart des rondes ont été détournées de leur but protecteur dès le 21 avril il avait lui-même dirigé une ronde autour de son pâté de maison qui était restée fidèle à sa fonction, à savoir protéger et sauver toute personne qui en avait besoin et plus particulièrement les tutsis. Il ressort de ses déclarations que sa ronde s'autogérait autour de son pâté de maison, sans coordination avec les autres rondes qui n'étaient pas, contrairement à la sienne, une ronde de protection. La ronde qu'il dirigeait et encadrait était organisée en deux groupes de 7 ou 8 personnes armées de cannes


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et de bâtons qui patrouillaient une nuit sur deux, entre 19h et 4h, puis 5h. Il a ajouté que sa ronde avait subi des attaques de miliciens qui avaient pu être mis en fuite car moins nombreux. Il considérait que sa ronde avait empêché les miliciens d'avoir un accès direct aux fosses ce qui pouvait expliquer la raison pour laquelle sa ronde n'a jamais intercepté de militants escortant des tutsis. Il a soutenu avoir ainsi mené pendant 6 semaines une politique et une action de protection des tutsis, sans jamais être inquiété par les génocidaires.

Parmi les actions à mettre au crédit de sa ronde, l'accusé a mentionné :

+ le fait d'avoir couru pour apporter de l'aide à une femme qu'ils avaient entendu crier mais être arrivés trop tard et avoir constaté qu'elle était qu'elle est morte non loin de la maison de KARANGANWA ;

+ le fait d'être intervenu au domicile d'une femme dont il ignore le nom qui criait alors qu'elle était attaquée par un militaire qui voulait la violer, celui-ci étant déjà parti lorsque sa ronde était arrivée sur place.

Il a en outre précisé que la nuit il n'avait entendu aucun autre cri car les gens « mourraient en silence », Il a ainsi insisté sur le caractère protecteur de sa ronde, malgré les appels du Président de la République, du gouvernement intérimaire, du nouveau préfet à s'impliquer et à mettre en œuvre la politique génocidaire.

Sosthène MUNYEMANA à cité le nom de 13 personnes qui participaient à sa ronde, dont certains sont décédés, certains avaient été exclus car participant aux tueries. En définitive, seules deux personnes figurant dans cette liste ont pu être entendues (Claude SIBOMANA et Évariste SENKWARE) mais aucun d'entre eux n'a confirmé la fonction protectrice et salvatrice de cette ronde.

Quelques témoins ont cependant pu apporter des informations sur la ronde de l'accusé. La cour et le jury ont ainsi relevé les déclarations de Marie NYARAROMBA selon laquelle Sosthène MUNYEMANA avait sa propre ronde durant laquelle personne n'avait été tué de sorte que Tharcisse NCAGURE, un « grand tueur », reprochait à M. MUNYEMANA que sa ronde ne travaillait pas assez, qu'on ne tuait pas assez dans sa ronde, ce témoin ayant par ailleurs précisé qu'alors qu'elle était cachée dans les bananiers, une femme avait crié la nuit, qu'elle a vu Sosthène MUNYEMANA et sa ronde passer en courant pour arriver trop tard. Innocent HABIVAREMEYE a confirmé que les rondes et les barrières avaient été instituées dans un souci de protection et de maintien de la sécurité mais qu'elles avaient été détournées de leurs buts après le discours du président de la République. Il a précisé que la ronde de l'accusé était surnommée la ronde du bonheur.

La cour et le jury ont donc conclu qu'aucun élément ne permet de mettre en cause la ronde de l'accusé pour avoir traqué et capturé des tutsis.

En revanche, il ressort des débats que l'accusé a pris part aux décisions ayant conduit à instaurer le système des rondes pour la première fois le 17 avril, donc avant le début du génocide à Tumba, puis lors des 4 réunions auxquelles il à participé entre le 24 avril et le 15 mai à l'occasion desquelles il a été décidé de maintenir le système des barrières, alors qu'à ces dates, il savait pertinemment comme il l'a d'ailleurs reconnu que les rondes avaient été détournées de leur esprit de protection pour devenir des outils du génocide.

12. Les barrières



A l'instar des rondes, il ressort des travaux de Alison DES FORGES, d'André GUICHAOUA, des témoignages de Hélène DUMAS, de J.W. SMITH que le pays s'est hérissé de barrières destinées à quadriller le territoire, à contrôler toute personne, à identifier les tutsis ou les personnes soupçonnées de l'être en vue de leur élimination. Le premier ministre Jean KAMBANDA a lui-même reconnu devant le TPIR que les barrières étaient l'un des outils du génocide.



Un plan établi sur la base des témoignages des habitants de Tumba a été versé aux débats, faisant état, en



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plus des 3 barrières érigées sur la grande route passant par Tumba et reliant Rango à Butaré Ville, 9 autres barrières dont deux situées non loin et de part et d'autre du domicile de l'accusé. Celui-ci a pourtant rejeté en bloc ces témoignages: il n'a admis l'existence que de 3 barrières à MUKONI, RANGO et MUKURA au sud de RANGO et a contesté les autres barrières évoquées par les témoin sur le plateau de Tumba.


S'agissant de Sosthène MUNYEMANA, la cour et le jury ont constaté que sa présence sur les barrières, dans un rôle de contrôle et de supervision, a été mentionnée par 8 témoins dont les dépositions ont été retenues.

+ Thomas BAVAKURE, un menuisier Hutu de Tumba, membre du MDR, considéré comme un des grands tueurs du secteur de TUMBA, poursuivi et condamné à perpétuité après avoir plaidé coupable du chef de meurtres, a déclaré que Sosthène MUNYEMANA se rendait sur les barrières avec Siméon REMERA, RUGANZU, Spératus SIBOMANA pour contrôler les barrières, interdire d'y faire du feu ou encore reprocher à la barrière de Déo NKUKIYIMFURA de n'avoir tué aucun tutsi.

* Emmanuel NIYITEGEKA a confirmé les déclarations de Thomas BAVAKURE, à savoir que MUNYEMANA se rendait sur les barrières avec Siméon REMERA, RUGANZU, Spératus SIBOMANA pour contrôler les barrières, interdire d'y faire du feu.

+ Anaclet DUFITUMUKIZA (caporal de gendarmerie faisant fonction de chauffeur) a déclaré avoir vu Sosthène MUNYEMANA patrouiller sur les barrières, comme un véritable officier, non pas comme un simple passant, accompagné d'autres membres du comité de crise ou de gendarmes

+ Celse GASANA a déclaré avoir vu l'accusé au mois de mai 1994 alors qu'il était caché dans un champ de sorgho et qu'il circulait la nuit, Sosthène MUNYEMANA à une barrière située à côté de son domicile.

+ Vincent HABYARIMANA alias NYANDWI, voisin de l'accusé, a dit avoir vu Sosthène MUNYEMANA vers le mois de mai 1994 par deux fois sur des barrières, au niveau de la statue de la vierge et en contrebas de son domicile. Il a précisé qu'alors qu'il venait de se faire arrêter, ses assaillants l'avaient conduit dans Tumba jusqu'à une barrière sur laquelle se trouvait l'accusé ainsi que d'autres hommes qui venaient du bureau de secteur avec des tutsis qu'ils conduisaient à la fosse de Damascène pour les tuer, que Sosthène MUNYEMANA ne les avait pas suivis et qu'il était resté au niveau de la barrière.

+ Évariste NTIRENGANYA a expliqué que Sosthène MUNYEMANA ne restait pas en faction : il circulait de barrière en barrière avec sa voiture (il a cependant pu être établi que l'accusé n'avait pas de voiture), il s'assurait du bon déroulement des gardes aux barrières, il ne donnait pas des ordres, se renseignait, il demandait comment cela se passait.

+ Patrice NZEYIMANA a dit avoir vu l'accusé sur la barrière de chez « Foro » près de chez Félicien KUBWIMANA à de nombreuses reprises, expliquant, son témoignage étant très isolé sur ce point, que l'accusé assurait son tour de garde et contrôlait l'identité des personnes arrivant au barrage.

+ Claire UWABABEYE, habltante de Sahera, survivante de Kabakobwa, est venue expliquer à la cour que, alors qu'elle fuyait les massacres et les viols depuis plusieurs jours et qu'elle tentait de rejoindre Butaré avec ses deux petits frères de 8 et 6 ans, elle avait été arrêtée à une barrière à Tumba sur laquelle une jeune femme avec laquelle elle attendait lui avait dit que l'homme qui était en train de discuter avec les jeunes miliciens était MUNYEMANA qu'elle n'avait jusqu'alors jamais vu. Les miliciens l'avaient laisser partir mais avaient gardé ses deux frères pour les tuer. Elle a précisé avoir entendu les miliciens dire « Sosthène est là ».


L'accusé à cependant rejeté en bloc l'ensemble de ces témoignages, contestant avoir participé aux barrières, les avoir contrôlées, y avoir seulement été vu, les avoir ordonnées ou organisées.

S'il ressort que ces témoignages situent l'accusé comme ayant eu un rôle de superviseur des barrières ou de contrôle de ce dispositif, il apparaît en outre établi que l'accusé a également pris part aux décisions ayant instauré le système des barrières pour la première fois le 17 avril, donc avant le début du génocide à Tumba, puis lors des 4 réunions auxquelles il a participé entre le 24 avril et le 15 mai à l'occasion desquelles il a été

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décidé de maintenir le système des barrières, alors qu'à ces dates, il savait pertinemment comme il l'a d'ailleurs reconnu que ces dispositifs avaient été détournés de leur esprit de protection pour devenir des outils du génocide.

13: Les fosses



La cour et le jury ont constaté que 5 fosses ont été utilisées à Tumba durant le génocide, comme cela ressort des témoignages de nombreux habitants ainsi que de certaines constatations effectuées sur place.

Il semble ressortir des débats que le retard dans le déclenchement du génocide sur la préfecture de Butaré est de nature à pouvoir expliquer pourquoi l'accusé n'a vu qu'un seul cadavre dans les rues, ce qui a pu surprendre dans un premier temps mais qui a été confirmé par Anaclet DUFITUMUKIZA et François RADUHINGA qui eux-mêmes n'ont pas vu de cadavres alors pourtant qu'ils pouvaient se déplacer. Les tueurs de Tumba ont en effet adopté un mode opératoire rationnel et discret, pragmatique, consistant à ne pas tuer leurs victimes dans la rue, sauf si elles résistaient, et à les conduire au niveau des fosses où elles étaient exécutées.

La fosse la plus importante, dite de KARANGANWA, se trouvait juste derrière le bureau de secteur. 200 à 250 corps y ont été exhumés selon certains témoins (notamment messieurs GASANE et HABYARIMANA) qui ont participé à l'exhumation. Une autre fosse, la fosse de Damascène, se situait non loin, où une vingtaine de corps au moins ont été exhumés selon deux témoins. La fosse de James a également été répertoriée, dans laquelle les 13 corps de la famille de Claude UMUHOZA ont été enfouis.

Le témoignage d'Alfred MAZEGA, qui faisait partie d'un groupe de tueurs ayant tué près de 300 personnes, est éloquent sur l'utilisation des fosses à Tumba : les victimes étaient conduites la nuit à proximité des fosses pour y être exécutées, certaines victimes étant enterrées dans les fosses alors qu'elles étaient encore vivantes : « ceux qui étaient vivants bougeaient là-dessous, parfois toute la journée. On voyait la terre bouger. II souffraient là-dessous ». Selon lui, la plupart des corps présents dans la fosse de KANAGANWA correspond à des tutsis qui avaient été préalablement enfermés dans le bureau de secteur. Il à précisé que sur instructions de Sosthène MUNYEMANA et de Siméon REMERA, il avait été décidé de tuer de nuit car le bourgmestre et le conseiller ne voulaient pas que les corps soient visibles par satellite.

Sosthène MUNYEMANA à reconnu l'existence de ces fosses dont il dit avoir senti l'odeur des cadavres et avoir su que des personnes étaient tués et enterrées dans les fosses, RUGANZU lui ayant dit dès le 22 que KARANGANWA et sa famille avaient été jetés dans leur propre fosse. II a en revanche contesté toute implication dans l'utilisation et la gestion de ces fosses.

L'implication de l'accusé concernant les fosses n'a été évoquée qu'une seule fois durant l'instruction et au cours des débats. Elle ressort principalement du témoignage de Matthias NSANZABAHIZI, chauffeur du bourgmestre KANYABASHI. Il a en effet expliqué que dans les tous premiers jours du génocide, le bourgmestre avait été avisé de la présence de corps à Tumba de sorte qu'il avait sollicité le directeur de la prison afin que celui-ci mette à sa disposition des prisonniers pour enterrer les corps. Sur place, le témoin avait constaté la présence de plusieurs corps sur la route qui empêchaient le passage de son véhicule, ainsi que la présence de l'accusé, de Siméon REMERA, de Spératus SIBOMANA et de RUGANZU. Le témoin a précisé que le bourgmestre était descendu du véhicule pour parler à messieurs MUNYEMANA et REMERA en leur demandant pourquoi les corps étaient ainsi exposés malgré les risques d'être vus par les satellites ce qui pouvait révéler l'ampleur des massacres. C'était RUGANZU qui avait alors évoqué la fosse de KARANGANWA. Le bourgmestre s'était ensuite rendu chez Sosthène MUNYEMANA pour parler avec lui, l'accusé ayant dit aux autres de continuer les opérations. Thomas BAVAKURE a confirmé dans les grandes lignes les déclarations de Matthias NZANZABAHIZI. Spératus SIBOMANA alias KABIGIRI a reconnu sa présence date cette épisode au 23 avril de même qu'il a confirmé l'arrivée du bourgmestre KANYABASHI qui a donné pour instruction d'arrêter les massacres à cause des satellites. S'il a affirmé dans un premier

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temps avoir lui-même vu des corps pour revenir sur ce point, il a toujours dit ne pas avoir vu Sosthène MUNYEMANA.

Pour sa part, l'accusé a toujours nié avoir participé à ces faits,

La cour et le jury ont constaté que l'intervention du bourgmestre était également mentionnée par Évariste SENKWARE qui à indiqué que des corps étaient restés exposés sans être ensevelis jusqu'à l'intervention du bourgmestre KANYABASHI qui avait demandé qu'ils soient enterrés pour ne pas être vus par les satellites.

Il ressort de ces éléments que si l'accusé n'est pas à l'origine de l'utilisation des fosses, il ne pouvait ignorer l'utilisation qui en était faite et qu'une fois de plus, sa présence est mentionnée au sein du noyau dur qu'il composait avec RUGANZU et Siméon REMERA.



14. Les réunions



Sosthène MUNYEMANA reconnait avoir pris part à 5 réunions entre le 17 avril et le 15 mai 1993, en insistant sur le fait qu'il n'a jamais pris aucune décision défavorable aux tutsis.

L'analyse des éléments exposés au cours des débats a conduit la cour et le jury à considérer que le génocide n'a pas été improvisé à Tumba, qu'il a au contraire été organisé à l'instar de ce qui s'est passé dans tous le pays en ciblant les victimes, en organisant leur traque, la fouille des maisons, les barrières, les rondes, les opérations de débroussaillage, la détention des tutsis dans le bureau de secteur, leurs exécutions dans les fosses puis leurs transferts à Butaré Ville, le pillage des biens et leur répartition, la gestion des cadavres, autant d'opérations qui ont nécessité une organisation, des instructions, une coordination et un pilotage.

Interrogé sur ce point, Sosthène MUNYEMANA à seulement été en mesure de répondre qu'il suspectait, sans en avoir la preuve, l'existence de réunions liées au génocide chez Siméon REMERA où il a vu se rendre plusieurs personnes qu'il ne connaissait pas.

Pourtant, de très nombreux témoignages ont évoqué l'existence de réunions informelles liées à l'organisation du génocide auxquelles Sosthène MUNYEMANA a participé, chez Siméon REMERA, chez RUGANZU, au bureau de secteur, chez Foro. La cour et le jury ont ainsi retenu que les témoignages suivants allaient dans ce sens, sachant que d'autres témoignages évoquant pourtant ces réunions n'ont pas été retenus car jugés moins fiables:

+ Monique AHEZAMAHO selon laquelle Sosthène MUNYEMANA se rendait à des réunions chez RUGANZU avec REMERA et qui a ajouté que Xavier fils de BAHIZI, qui la protégeait mais la violait, lui avait dit que des réunions avaient lieu au bureau de secteur avec l'accusé, messieurs REMERA, BWANAKEVE, BAVAKURE et d'autres pour préparer les tueries, donner des ordres aux tueurs, donner les noms des tutsis à tuer.

+ Thomas BAVAKURE selon lequel M. MUNYEMANA participait à des réunions chez RUGANZU en présence de messieurs REMERA, RUGANZU, SIBOMANA, KUBWIMANA sachant que les réunions étaient dirigées par REMERA, que leur but était l'organisation des attaques.

+ Jean de Dieu BIRIGANDE : il était voisin de REMERA président de la CDR, chez lequel il a vu venir régulièrement M. MUNYEMANA ainsi que des tueurs de renom tels que KABIRIGI, MABONGOROBO. Il avait appris grâce à un jeune homme ARITEBU qui fréquentai le domicile de Siméon REMERA que ce dernier organisait le génocide avec ce comité, qu'ils établissaient des listes, qu'ils recrutaient les exécutants du génocide, que le génocide qui devait commencer le 20 a finalement commencé le 21 sachant que le témoin s'était caché dans les champs dès le 20 au soir. Il accusait donc M. MUNYEMANA, comme messieurs REMERA et RUGANZU d'avoir « initié le génocide » à Tumba.

+ François BWANAKEYE selon lequel rien ne pouvait se faire à l'insu de messieurs MUNYEMANA, REMERA, RUGANZU.


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+ Anaclet DUFITUMUKIZA (caporal de gendarmerie faisant fonction de chauffeur) a expliqué avoir été invité avec d'autres gendarmes (messieurs BAGIRISITYA, SERONGU, KARINGANIRE qui n'ont jamais été entendus) chez l'accusé qui leur avait dit « nous les civils nous sommes en train de combattre les Inyenzi », qu'un comité de crise avait été constitué avec messieurs RUGANZU, GATABAZI, MUREKEZI, KUBWIMANA, REMERA, que ce comité était consulté lorsqu'il y avait un doute sur un tutsi à tuer mais aussi pour transmettre les décisions aux tueurs et aux barrières. C'était selon ses informations ce groupe qui avait décidé l'élimination d'abord des hommes et des familles les plus riches, puis des paysans et enfin des femmes et des enfants, sachant que les femmes étaient violées.

+ Marie GAFARAZI, qui avait échappé à la mort en se cachant dans un faux plafond chez NGAMIJE, à dit avoir entendu à deux reprises, depuis sa cachette, l'accusé se rendre à des réunions chez Foro en lien avec le suivi des massacres

- la première fois elle avait entendu M. MUNYEMANA dire que la réunion devait servir à évaluer la situation, à savoir combien de tutsis il restait,

- la deuxième fois, elle avait entendu messieurs MUNYEMANA et BWANAKEYE parler et l'accusé dire « fouilez et ne laissez aucun tutsis ».

+ Celse GASANA selon lequel l'accusé faisait partie du groupe avec messieurs REMERA, RUGANZU et KUBWIMANA qui avait pris la situation en main et qui décidait qui devait être tué, qui devait être gardé.

+ Jean Marie Vianney GASHUGI: étant voisin de RUGANZU, il avait vu messieurs MUNYEMANA, REMERA, MUREKEZI et Fidèle MURERA se rendre chez RUGANZU dans les jours qui précédalent le génocide, sans pour autant entendre ce qu'ils s'y disaient, sachant que les tutsis n'étaient pas invités

+ Alphonse GATERA selon lequel Sosthène MUNYEMANA prenait part à des réunions avec RUGANZU et le conseiller BWANAKEYE.

+ Vincent HABYARIMANA selon lequel Sosthène MUNYEMANA participait à des réunions chez RUGANZU, chez Foro avec messieurs REMERA, GATABIZI, SIBOMANA concernant l'organisation des tueries, l'établissement des listes.

+ Alfred MAZEGA qui a évoqué un groupe de décideurs composé de messieurs MUNYEMANA, KUBWIMANA, MUREZEKI, REMERA, RUGANZU et SIBOMANA dont le rôle consistait à encadrer la population dans les tueries afin d'être plus efficaces, décider d'enfermer les tutsis dans le bureau de secteur après avoir été invités à sortir de leurs cachettes, sachant que le témoin a précisé devant la cour que l'accusé était le président d'un petit comité qui parcourait le secteur pour trancher les confits entre hutus pendant le génocide concernant le partage des biens.

+ Providence MUKANDOLI selon laquelle Charles GASHIBARAKE, un tueur, lui a dit agir sur les instructions de Sosthène MUNYEMANA qui faisait partie d'un comité réunissant également messieurs KUBWIMANA et REMERA.

+ Gaudiose NTAKIRUTIMANA qui a expliqué que RURANGWA était venu lui dire qu'il sortait d'une réunion tenue chez REMERA durant laquelle Sosthène MUNYEMANA avait donné pour instructions de s'emparer des biens des tutsis et de se les partager, RURANGWA ayant répété en Gacaca qu'il recevait ses instructions de M. MUNYEMANA.

+ Évariste NTIRENGANYA qui à désigné les organisateurs du génocide comme étant notamment messieurs REMERA, GATABAZI, MUNYEMANA, RUGANZU, SIBOMANA, BWANAKEYE, MAMBO, Siméon REMERA étant le leader de ce groupe.

+ Jean Paul RWIBASIRA qui a dit devant la cour avoir su par le neveu de l'épouse de Siméon REMERA dont il était proche (RITEGU susceptible d'être Éric KAMENYEOR) qu'à partir du 10 avril et jusqu'au 17 avril, Siméon REMERA avait organisé des réunions chez lui avec messieurs MUNYEMANA, RUGANZU, MUREKEZI, Fidèle MURERA, Martin GATABAZI, MABONGOROBO durant lesquels ils préparaïent les massacres des tutsis de Tumba avec des listes ; que Sosthène MUNYEMANA avait suggéré que les responsables de cellule devaient se rapprocher des chefs de dizaine (groupes de 10 maisons) pour localiser les tutsis, faire des rapports, livrer les noms pour faire les listes ; que


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Sosthène MUNYEMANA détenait les listes, que Sosthène MUNYEMANA avait suggéré qu'aucun tutsis ne devaient être tués chez lui ni à l'extérieur mais qu'ils devaient être conduits au bureau de secteur afin de pouvoir les compter avant leur exécution; que RITEGU leur avait dit que les massacres allaient commencer le 20 de sorte qu'ils s'étaient cachés mais les tueurs n'avaient pas recu les armes nécessaires ce qui expliquait pourquoi le génocide n'avait commencé que le 21 avril.

+ Marie UWIMANA qui a indiqué que l'accusé participait à des réunions chez RUGANZU en compagnie de Siméon REMERA, Martin GATABAZI, Félicien KUBWIMANA et François BWANAKEYE.

+ Spératus SIBOMANA alias KABIGIRI qui a dit devant la cour qu'avec la proclamation de l'accalmie, Sosthène MUNYEMANA avait été élu au sein d'un comité ayant pour fonction de superviser l'arrêt des massacres, sachant que ce témoin a contesté pour sa part les témoignages qui le mettent en cause pour avoir lui-même participé à des réunions.

Confronté à ces nombreux témoignages qui l'associent aux organisateurs du génocide au niveau de Tumba, articulé autour d'un noyau dur dont il ferait parti avec RUGANZU et Siméon REMERA, et qui se réunissait de manière informelle tantôt au bureau de secteur, tantôt chez Siméon REMERA, tantôt à la buvette de RUGANZU, tantôt chez « FORO », Sosthène MUNYEMANA les a tous contestés, affirmant ne jamais avoir participé à ces réunions. De même, il a réfuté avoir participé à des réunions avec MAMBO, avec Félicien et Félix KUBWIMANA ou d'autres génocidaires. Il a en revanche répété qu'il allait seulement de temps en temps chez RUGANZU, en faisant semblant de boire, afin de ne pas se faire remarquer par son absence, ce qui avait pu prêter à confusion.



15. le piège de la pacification



Le piège de la pacification concomitant au renforcement des contrôles, largement documenté par Alison DES FORGES et André GUICHAOUA et évoqué à la barre par Hélène DUMAS comme ayant été mis en œuvre au niveau national, est apparu établi aux yeux de la cour et du jury, d'autant plus que le 27 avri, Jean KAMBANDA avait diffusé ses directives sur les ondes.

De même, la cour et le jury ont estimé établi là mise en œuvre de cette stratégie à Tumba comme cela ressort de 8 témoignages:

* Monique AHEZAMAHO : le 20 mai, messieurs MUNYEMANA, REMERA, MURERA, RUGANZU ont fait circuler Le message que c'était l'accalmie de sorte que son mari était sorti de sa cachette et avait été tué, étant toutefois observé qu'elle avait dit dans un premier temps que c'était un jeune qui avait fait passer le message de pacification.

* Jean Damascène MUNYANEZA : l'accusé participait avec Siméon REMERA et Straton KABIRIGI au comité de pacification qui avait pour finalité de faire croire aux tutsis que les massacres avaient pris fin dans le but de les faire sortir et de pouvoir les arrêter.

* Vincent HABYARIMANA : il a dit avoir vu l'accusé sortir d'une réunion chez Foro où étaient MAMBO, KIRIBIGI, Maître, KUBWIMANA et entendu MAMBO dire qu'il fallait annoncer aux tutsis qu'ils pouvaient sortir de leur cachette.

* Alfred MAZEGA : l'accusé et REMERA, 3 jours après l'annonce par le bourgmestre KANYABASHI que la sécurité avait été rétablie sur le secteur afin de faire sortir les tutsis de leurs cachettes, avait ordonné à la population de conduire les tutsis au bureau de secteur.

* Marie NYARAROMBA : elle a assisté à une réunion qui était en réalité un piège organisée par messieurs BWANAKEVE, MUNYEMANA, REMERA, GATABAZI durant laquelle ils avaient tous pris la parole pour parler de sécurité avec de belles paroles, pour faire revenir les tutsis. Elle a précisé : « Quand des personnes importantes, de grandes personnes parlent, quand on entend de belles paroles comme a, on se réjouit, on y croit, on rentre à la maison et c'est comme ça qu'on est tué ».

* Patrice NZEYIMANA selon lequel l'accusé a participé à une réunion organisée par le major HABYARABATUMA (il est cependant apparu que ce major avait quitté Butaré le 19 avril pour rejoindre le front) au bureau en mai pour annoncer que les tutsis ne seront plus poursuivis et qu'il


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fallait les regrouper, ce qui était un mensonge pour mieux les réunir et les tuer

* Patrice NZEYIMANA selon lequel M. MUNYEMANA appartient à un groupe composé de BWANAKEVE, REMERA, Faustin fils de Félix KUBWIMANA, MUREKEZI, SIBMANA, RUGANZU, Maître, GASHUGI qui a dirigé les jeunes formés au maniement des armes, donné des instructions aux barrières, donné des instructions en vue des attaques, organisé le partage des biens, supervisé l'activité des barrières, En juin, ce même groupe a diffusé l'ordre d'arrêter les tueries afin que les tutsis sortent de leurs cachettes mais un jour plus tard, l'ordre a été donné de les arrêter et de les conduire au bureau de secteur où les dirigeants les enfermaient avant que des camionnettes et des véhicules de la gendarmerie ne viennent les prendre en charge pour les tuer en ville (le témoin appartient lui-même à un groupe qui a capturé 8 personnes dans une église pour les conduire au bureau de secteur).

* Augustin RUKINGA selon lequel il y avait eu un message en mai de messieurs MUNYEMANA, RUGANZU, REMERA et BWANAKEYE pour dire que la paix était revenue, que les tutsis pouvaient sortir, ce qui était en réalité un piège.

+ Claudette UMUHOZA qui a expliqué que lors de la pacification, MAMBO était venu la trouver chez sa tante où elle se cachait pour lui dire de rejoindre ses sœurs car la situation était désormais apaisée et qu'il fallait aller au bureau de secteur. Sosthène MUNYEMANA leur avait ouvert le bureau de secteur où des gens étaient enfermés. Il avait remercié les gens qui avaient bien travaillé (tué), il leur avait demandé s'ils avaient reçu les outils (machettes) et leur avait dit que « lorsque vous cultivez après avoir semé, vous devez sarcler (retourner tuer les survivants) » mais qu'il ne fallait pas tuer les femmes car l'heure de les tuer n'est pas venue.



L'accusé à répondu ne pas avoir entendu ces directives, ne rien en savoir allant jusqu'à ignorer même le terme. Il a rejeté en bloc l'ensemble des témoignage le concernant, en disant par ailleurs que Marie NYARAROMBA et Claudette UMUHOZA avaient probablement dû mal interpréter un message d'appel à la sécurité.

D'une manière générale, la cour et le jury ont considéré que le seul fait que l'accusé conteste en bloc l'ensemble des témoignages dès lors qu'ils contiennent un élément à charge n'est pas de nature à les rejeter comme étant des éléments de preuve à prendre en compte.

16. L'autodéfense civile



La cour et le jury ont estimé que les éléments concernant la participation de l'accusé au financement de l'autodéfense civile sont trop fraglles pour l'établir dans la mesure où ils ne reposent que sur la seule note de André GUICHAOUA qui mentionne le nom de Sosthène MUNYEMANA sans pour autant citer ses sources. En outre, l'accusé a toujours fermement contesté ces faits.

17. La coopération avec les miliciens et les tueurs



Sosthène MUNYEMANA a toujours contesté la moindre coopération ou collaboration avec les miliciens, les tueurs et l'ensemble des génocidaires de Tumba.

Pourtant, de nombreux témoins ont évoqué cette collaboration active, là cour et le jury ayant notamment retenu les témoignages suivants :

+ Anaclet DUFITUMUKIZA : il ne sait pas si M. MUNYEMANA commandait les tueurs mais il leur a déjà donné des ordres d'après ce qui lui a été rapporté par des gendarmes et des hutus qui n'étaient pas de grands extrémistes, sachant que l'accusé a été vu de nombreuses fois avec RUGANZU et REMERA en compagnie de gendarmes alors que ceux-ci sortaient pour « travailler » et qu'ils avaient besoin d'indications pour savoir où demeuraient les tutsis car ils n'étaient pas de Tumba.

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+ Celse GASANA : l'accusé décidait avec REMERA, RUGANZU et KUBWIMANA qui devait être tué, qui devait être gardé, les tueurs amenant les victimes au bureau où il était décidé de leur sort.

+ Charles GASHIRABAKI qui est un tueur ayant sévi sur Rango à fait part de l'existence d'une chaîne de décision entre l'accusé et les tueurs qui faisaient ensuite leur rapport.

+ Vincent KAGERUKA : le 14 mai, lors de sa capture, il a été conduit par ceux qui l'avaient capturé devant Sosthène MUNYEMANA qui satisfait de son arrestation, avait décidé de l'enfermer dans le bureau de secteur.

+ Alfred MAZEGA : M. MUNYEMANA était intervenu auprès d'une patrouille qui venait d'arrêter une personne sans papier et étrangère à Tumba de sorte qu'il avait envoyé une demande auprès de sa commune pour vérifier sa situation mais des militaires situés à une barrière ont finalement décidé de tuer cette personne.

+ Matthias NSANZABAHIZI à évoqué la présence de l'accusé lors de l'intervention du bourgmestre KANYABASHI pour ordonner que les corps soient jetés dans les fosses {cf supra).

+ Vénantie NYIRAMINANI : début mai 1994, elle avait été arrétée et conduite au bureau de secteur de Tumba en passant par une barrière proche du domicile de M. MUNYEMANA car il avait la clé du bureau ; M. MUNYEMANA avait donné l'instruction de conduire les hommes au bureau et de laisser les femmes et les jeunes files car ce n'était pas le moment de les tuer ; puis il avait accompagné le groupe de tueurs pour leur ouvrir le bureau de secteur tandis que les filles étaient conduites dans une bananeraie où elles avaient été violées.

+ Gloriose NYRANGIRUWONSAGA : voisine mitoyenne de M. MUNYEMANA, elle avait vu que des hommes avaient été arrêtés et conduits chez M. MUNYEMANA qui avait dit de les laisser car leur heure n'était pas venue ; elle avait vu des miliciens, comme MAMBO et MAROMBOGORO, se rendre chez M. MUNYEMANA pour venir notamment chercher la clé, ceci à 3 reprises, mais elle ne savait pas si MAMBO avait rendu la clé à MUNYEMANA après avoir tué les tutsis; elle avait entendu des miliciens venir informer M. MUNYEMANA du nombre de personnes tuées et qu'ils n'avaïent pas trouvé les 2 fils de SENKWARE

+ Claudette UMUHOZA : Célestin RUGEMINTWAZA qui l'avait cachée chez lui l'avait présentée à Siméon REMERA qui était avec des hommes en uniformes colorés et avec M. MUNYEMANA, ce dernier ayant dit à RUGEMINTWAZA qu'il pouvait partir avec elle, prendre soin d'elle, l'éduquer, l'autorisant ainsi à la violer alors qu'elle n'avait que 11 ans. Elle était restée 2 mois chez RUGEMINTWAZA qui lui donnait tous les jours des informations et qui la violait. Elle a également indiqué qu'alors qu'elle était cachée dans la forêt avec d'autres personnes, M. MUNYEMANA était arrivé avec MAMBO, NGENZI, GAPYIKIRI en demandant à la population pourquoi ils étaient dans le froid, que ce n'étaient pas eux qu'ils recherchaient de sorte qu'ils avaient pu rentrer chez eux. Puis, alors qu'elle était à la recherche d'un refuge après le début des massacres, elle avait croisé plusieurs personnes suivies par M. MUNYEMANA lequel avait à la main une liste de tutsi à tuer.

+ Marie Rose UMUGWANEZA : M. MUNYEMANA était venu avec des hommes dans le débit de boissons familiale à Tumba, sur la route de Rango et ils avaient tiré sur le débit pour ensuite prendre de la nourriture et des boissons.

L'accusé a rejeté ces nombreux témoignages qui faisaient état de ses relations à divers titres avec les tueurs et les miliciens.

18. Les viols



Ces témoignages ont été l'occasion pour la cour et le jury d'analyser la question des viols, qui sont clairement des outils du génocide dans la mesure où ils ont constitué avec l'esclavage sexuel une pratique massive sur tout le territoire du Rwanda et à Tumba, comme cela ressort des auditions devant la cour de Claudette UMUHOZA, de Monique AZEHNAHO, de Vestine NYIRAMINANI.

S'agissant de Sosthène MUNYEMANA, la cour et le jury n'ont retenu aucune charge contre lui en lien avec

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les viols. En effet, s'il n'est pas question de remettre en cause la crédibilité des révélations faites par les femmes victimes de viol qui ont révélé ces crimes dont elles ont été les victimes, il est apparu que les éléments de preuve sont insuffisants pour en imputer la responsabilité, à quelque titre que ce soit, à l'accusé.

19. Le statut de résistant, de protecteur et d'opposant



La cour et le jury ont considéré que le statut d'opposant et de résistant de Sosthène MUNYEMANA tel qu'il l'a présenté lors de l'instruction et des débats se heurte au contexte et à la réalité du génocide telle qu'elle est ressortie des débats. En effet, Tumba n'était pas un îlot faisant exception. Les témoins de contexte ont bien expliqué comment, durant le génocide des tutsis, toute résistance et toute opposition conduisait, sauf à de rares exceptions comme celle de Laurien NTEZIMANA, à l'élimination. Dans le contexte local de Tumba, il est difficile de donner du crédit aux affirmations de l'accusé qui aurait réussi à organiser pendant plus de 6 semaines une action dans le cadre des rondes puis de l'utilisation du bureau de secteur comme lieu de refuge non seulement de résistance maïs également de protection au cœur de ville, aux yeux et au su de tous, au milieu des organisateurs du génocide. Aucun témoignage déterminant n'est d'ailleurs venu attester de manière convaincante de la réalité de ses allégations, alors qu'au contraire, de nombreux témoignages ont décrit un intellectuel qui avait une autorité, qui donnait l'exemple et qui exerçait des responsabilités au cœur et au service de la machine génocidaire.

La cour et le jury ont en revanche constaté qu'il ressort des débats que l'accusé a, durant toute la période du génocide, apporté son aide de divers manières à des réfugiés ou à des tutsis qui l'ont sollicité. Ces actions, au cœur du chaos, doivent bien évidemment être portées au crédit de Sosthène MUNYEMANA. La cour et le jury n'ont toutefois pas compté les prisonniers du bureau de secteur parmi les bénéficiaires de cette aide, s'agissant bien au contraire de victimes.

Il est ainsi ressorti de plusieurs témoignages concordants que l'accusé était intervenu pour porter aide et assistance aux personnes suivantes dans les circonstances suivantes :

+ il a recueilli chez lui le 17 avril 1994 la femme tutsie et les enfants de Bonaventure NKUNDABAKURA, un commerçant accusé d'être un hutu organisateur du génocide de la commune de Kigembe, durant une semaine (témoignages de Marie GORETTI, Bonaventure NKUDABAKURA condamné par la Gacaca mais qui conteste les accusations le concernant, Onesphore KAMANZI, Claude SIBOMANA).

+ Il a hébergé chez lui à partir du 17 avril 1994 Onesphore KAMANZI, juge à Kigembe, arrivé chez l'accusé en même temps que Marie GORETTI alors que sa femme et ses enfants avaient été massacrés le jour même à Kigembe ; l'accusé l'avait hébergé pendant près d'un mois; il a désigné le commerçant Bonaventure NKUNDABAKURA, chef Hutu, comme étant l'un des auteurs des massacres sur leur colline ; il a précisé que la maison de l'accusé avait été fouillée 3 fois pour finir par dire qu'il n'en avait aucun souvenir; il a qualifié l'accusé d'homme digne (témoignages de Josepha MUJAWAYEZU, Marie GORETTI Justin MUSEKERA, Bonaventure NKUDABARUKA, Claude SIBOMANA)

+ Il est intervenu alors que Innocent HATEGEKIMANA était pourchassé par des tueurs qui avaient trouvé sa cachette et qu'il venait d'escalader la clôture de Sosthène MUNYEMANA pour se réfugier chez l'accusé ; celui-ci était alors sorti selon plusieurs témoignages pour dire que ce n'était pas des analphabètes comme le témoin qu'il fallait rechercher et tuer (témoignages de Innocent HATEGEKIMANA, Justin MUSEKERA, Marie NYARAROMBA, Évariste NYIRIMANA). S'agissant de cette intervention, Emmanuel TWAGIRAYEZU qui faisait partie des agresseurs l'a confirmée en disant que l'accusé s'était adressé à la bande des poursuivants en leur disant qu'il ne fallait pas le tuer ni entrer chez lui.

+ Il est intervenu pour donner de l'argent afin de payer la rançon pour sauver une femme qui avait été blessée à la tête, Spéciose MURORUNKWERE, et qui s'était réfugiée chez une voisine

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(témoignage de Josepha MUJAWAEVZU, Justin MUSEKERA).

+ Il a pratiqué l'accouchement par césarienne de Béata UWAMARIYA, une femme tutsie, et a rédigé une attestation de garde malade pour sa sœur afin de lui permettre de se cacher à la mater (témoignages de Béata UWAMARIYA et de son mari Stanislas KAGENZA).

+ Il est intervenu pour récupérer le corps de son ami Hutu, KAVAHANGA, qui avait été tué par les militaires à l'arboretum de Butaré pour ensuite pouvoir l'enterrer (témoignages et attestations de Justin MUSEKERA, Alphonse KAREMERA, Claver KARERA, Fulgence NIOMUBAGO).

+ Il a été accoucher une femme, Assumpta MUKAFURIKA, l'épouse du comptable de Ngoma, à l'hôpital le 25 mai (témoignages de Assumpta MUKAFURIKA et de Matthias NZANZABAHIZI).

+ Il a sauvé à plusieurs reprises la vie de Évariste SWENKARE en l'informant à chaque fois que son nom figurait sur la lite des tutsis à tuer (témoignages de Évariste SENKWARE, Marie NYARAROMBA).



L'accusé a confirmé l'ensemble de ces interventions tout en contestant certaines qui sont à double tranchants dans la mesure où elles sont de nature à établir la preuve de son autorité sur les tueurs. Il a ainsi contesté avoir eu connaissance de la présence du nom de Évariste SENKWARE sur la liste des tutsis à éliminer. Il a par ailleurs précisé que ce n'était que grâce à l'intervention de ses deux locataires gendarmes que les tueurs avaient renoncé à capturer Innocent HATEGEKIMANA qui venait de se réfugier chez lui, Emmanuel NSABIMANA a fourni un témoignage concordant avec la version de l'accusé.

20. Les menaces dont l'accusé a fait l'objet et sa fuite vers l'étranger



L'accusé a détaillé les conditions dans lesquelles il avait, à partir du 01 juin 1994, entrepris des démarches pour retrouver son ami François KAVAHANGA pour finir par retrouver son corps dans l'arboretum de Butaré Ville et apprendre qu'il avait été tué par des militaires. Il avait ensuite rapatrié son corps à Tumba et assisté à son enterrement. Ces démarches ont été selon l'accusé à l'origine de menaces exercées sur sa personne par les assassins de son ami, ce qu'il l'a conduit dans un premier temps à se réfugier avec ses enfants à Kigembe avec l'aide de son ami Bonaventure NKUNDABAKURA pour ensuite solliciter par écrit l'aide de son ami Jean KAMBANDA qui était venu lui rendre visite le 19 juin. Il a enfin réussi à organiser sa fuite à travers le Rwanda dans le convoi de son ami le ministre Straton NSABUMUNKUNZI en emmenant ses trois enfants ainsi que la fille du ministre qui était par ailleurs la filleule de son épouse.

Sosthène MUNYEMANA à ainsi toujours maintenu avoir fui des menaces dont il était l'objet mas ne pas voir fui l'avancée du FPR. De même, il a justifié le fait d'avoir fui le Rwanda par le Zaire, et non pas par la frontière burundaise qui était proche de Tumba, en même temps et selon le même itinéraire que le gouvernement intérimaire par le fait que compte tenu des circonstance, c'était auprès de son ami Straton NSABUMUNKUNZI qu'il avait trouvé de l'aide, l'appui et la logistique pour fuir, étant précisé qu'il s'était lui-même engagé à rapatrier en Europe la fille de son ami. Il avait ainsi quitté Tumba le 22 juin 1994, franchi la frontière avec le Zaïre le 27 juin 1994 comme l'attestait un tampon sur son passeport après avoir passé 2 jours et 2 nuits à Gisenyi au même moment et au même endroit que les membres du gouvernement en fuite.

La cour et le jury n'ont pas remis en doute les déclarations de l'accusé sur les circonstance de sa fuite mais ‘ont cependant observé qu'elles étaient significatives de liens étroits entre l'accusé et des membres du gouvernement génocidaire.

21. Les victimes de Tumba et de la préfecture de Butaré



L'accusé a estimé à 400 personnes le nombres de personnes mortes à Tumba dans le cadre du génocide. Si la cour et le jury ne disposent d'aucune donnée ni d'aucun recensement officiel il ressort des investigations menées à titre personnel par Vincent KAGERUKA que 650 habitants de Tumba seraient morts où auraient

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disparu dans le cadre de génocide, dont 400 seraient passés par le bureau de secteur.

Quant à la préfecture de Butaré, 214 000 auraient péri dans le génocide selon André GUICHAOUA, estimation qui n'a pas été contestée par l'accusé.

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II L'analyse juridique des faits analysés par la cour et le jury



1 le génocide et la complicité de génocide



Le génocide est défini par l'article 211-1 du code pénal, dans sa version applicable en 1994 : constitue un génocide le fait, en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national ethnique, racial ou religieux, ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, de commettre ou de faire commettre, à l'encontre de membres de ce groupe », certain d'actes limitativement énumérés et en particulier

+ les atteintes volontaires à la vie, qui comprennent les meurtres et les assassinats ;

+ les atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique, qui comprennent les violences, les viols, ou encore les actes de torture et de barbarie.



1.1. S'agissant de l'élément contextuel



Il correspond à l'exécution d'un plan concerté tendant à la destruction du groupe tutsi.

Pour être constitué en tant que crime, le génocide exige non seulement que l'un des actes mentionnés dans sa définition légale soit commis mais qu'il l'ait été en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe. L'acte reproché à l'auteur doit relever de l'exécution d'un plan concerté ce qui requiert d'établir l'intégration de cet acte dans ce plan.

La notion de plan concerté exprime l'idée que le génocide a un caractère planifié, organisé et systématique. Le plan concerté exige une élaboration préalable.

La preuve du plan concerté peut être déduite des crimes commis qui attestent une organisation collective reposant nécessairement sur un plan concerté.

En l'espèce, il ressort des analyses ainsi que des auditions des témoins de contexte qui ont été débattues devant la cour, des auditions des habitants de Tumba, de l'examen des arrêts du TPIR, que la preuve de ce plan tant au niveau national qu'au niveau de là préfecture de Butaré, de la commune de Ngoma et du secteur de Tumba est parfaitement caractérisée, ce que l'accusé ne conteste d'ailleurs pas.

Le TPIR a dressé le "constat judiciaire” du génocide des tutsis. Plusieurs cours d'assises ont déjà eu à se prononcer et à analyser cette notion. Toutes ces cours ont jugé que le génocide, comme les crimes contre l'humanité, ont été perpétrés sur le territoire du Rwanda contre les tutsis en exécution d'un plan concerté. La cour et le jury ont partagé ce constat qui se déduit sans le moindre doute des faits et notamment :

+ de la simultanéité des massacres sur tout le territoire rwandais,
+ de leur généralisation à l'ensemble du territoire,
+ de la rapidité de leur mise en œuvre sur tout le territoire,
+ d'une propagande médiatique incitant à la traque des tutsis et à leur massacre,
+ de la distribution des armes,
+ de l'organisation de milices et de la formation des miliciens,
+ de l'établissement de listes de victimes,
+ de la mobilisation de toutes les structures étatiques, tant au niveau gouvernemental que préfectoral ou local ainsi que de l'armée et des forces de l'ordre et mais aussi de la population,
+ de la mise en place de barrières et de rondes sur l'ensemble du territoire,
de l'organisation d'opérations de fouilles, de perquisitions, de battues, d'opération de défrichage, de la gestion des cadavres avec l'utilisation de fosses,
+ de la coordination des actions sur tout le territoire dans le cadre de la pacification puis de

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l'autodéfense civile,

+ de l'ampleur des destructions et pillages

+ de l'ampleur du nombre de victimes puisqu'en à peine 100 jours, le génocide a fait selon les estimations entre 800 000 et plus de 1 000 000 de morts dans le pays.

L'existence d'un plan concerté au niveau national comme au niveau de la préfecture de Butaré, de la commune de Ngoma et du secteur de Tumba ressort sans le moindre doute des analyses historiques sur cette période, des auditions des témoins de contexte, des travaux de Alison DES FORGES et de André GUICHAOUA mais également de l'ensemble des témoignages des habitants de Tumba.



S'agissant de Butaré, du ressort de la commune de Ngoma et du secteur de Tumba, il n'est pas contestable au regard de ces éléments de preuve que des meurtres, des viols, des arrestations suivies de disparitions, des actes de torture et de barbarie ont été commis à grande échelle en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle du groupe tutsi. La préfecture de Butaré, la commune de Ngoma et le secteur de Tumba ont été le théâtre à leur échelle de la même politique génocidaire, de la même mobilisation de l'état, de l'administration et de la population, de la même mise en œuvre, de la même propagande que celles déployées au niveau national. De la même manière que dans tous le reste du Rwanda, l'état, l'administration locale, l'armée, les forces de l'ordre, les médias, la propagande, le déploiement et l'armement des milices, l'utilisation des lieux habituellement considérés comme des refuges par les populations menacées ont été les outils mis en œuvre dans le cadre de la stratégie génocidaire.

La particularité de cette région est en définitive d'avoir résisté durant deux semaines à la vague génocidaire qui emportait le pays, d'avoir nécessité la mobilisation des intellectuels locaux, d'avoir nécessité l'éviction puis l'élimination du seul préfet tutsi du pays qui avait courageusement tenté de résister aux ordres du gouvernement génocidaire, d'avoir exigé une tournée du président de la République et du gouvernement dans la préfecture de Butaré le 19 avril 1994 lors de l'investiture d'un nouveau préfet plus complaisant à l'occasion de laquelle des discours qualifiés d'incendiaires et de génocidaires par tous les analystes et historiens ont été diffusés pour faire basculer dans le génocide cette préfecture qualifiée de rebelle alors qu'elle était un enjeu essentiel pour un premier ministre issu de cette préfecture compte tenu de sa forte proportion de tutsis dans sa population.

1.2. S'agissant de l'élément matériel du génocide



La cour et le jury ont considéré que deux des actes matériels limitativement définis par l'article 211-1 du code pénal dans la définition du génocide doivent être retenus à l'encontre de Sosthène MUNYEMANA

1) des atteintes volontaires à la vie en ce qu'il a fait commettre ces actes en tant qu'auteur intellectuel,

2). des atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique en ce qu'il a lui-même commis ces actes en tant qu'auteur matériel.

1) En l'espèce, s'agissant des atteintes à la vie, il est apparu établi que Sosthène MUNYEMANA a fait commettre des atteintes à la vie en participant à l'organisation du génocide à Tumba, en participant à la supervision et au contrôle des barrières, en donnant des instructions aux miliciens et aux tueurs concernant les barrières ou le sort des tutsis qu'ils venaient d'arrêter, en détenant les tutsis dans le bureau de secteur dont il assurait la gestion, en les livrant aux autorités ou aux miliciens en vue de leur exécution dans les fosses de Tumba ou après leur transfert à Butaré Ville, en mettant en œuvre la logique de mort conformément à la politique du gouvernement.

A l'exception de Vincent KAGERUKA, aucun des tutsis enfermés dans le bureau de secteur n'a survécu au génocide.

La cour et le jury ont considéré que Sosthène MUNYEMANA, personnalité influente et respectée au sein du secteur de Tumba dont la parole avait du poids, faisait partie du petit groupe de ceux qui ont organisé, mis

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en œuvre, supervisé et piloté le génocide à Tumba à travers les agissements meurtriers des bandes de tueurs, de miliciens et des habitants de Tumba, que ceux-ci agissaient en exécution des instructions de ce petit groupe de décideurs qui exerçaient sur eux une autorité de fait comme cela résulte des témoignages, sachant qu'il a pu être établi qu'il avait lui-même donné des instructions à des tueurs alors qu'il était seul avec eux.

Il doit donc être tenu responsable des atteintes à la vie qu'il a fait commettre par les exécutants qui ont tué en masse les tutsis présents sur le secteur de Tumba.



2) S'agissant des atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique, l'accusé doit être considéré comme ayant personnellement commis ces actes en enfermant au moyen de la clé qu'il détenait des hommes, des femmes, des enfants, des personnes âgées tutsis traqués, affamés, épuisés dans le bureau de secteur, dont certains étaient gravement blessés ou mutilés, ces personnes ayant dans les tous premiers jours pu croire y trouver un refuge alors que par la suite elles y étaient conduites par les miliciens, en les y laissant pendant parfois 36 heures, sans soins, sans nourriture, sans eau, sans hygiène, dans l'attente d'une mort certaine et donc dans des conditions effroyables qui peuvent être qualifiées d'inhumaines.

Le fait qu'il était médecin au moment des faits et qu'il exerçait un contrôle effectif sur ce bâtiment administratif transformé en prison collective est d'ailleurs de nature à rendre encore plus évidente la conscience qu'il ne pouvait qu'avoir sur la réalité des conditions de détentions de ces personnes qui ne pouvaient que s'affaiblir heure après heure dans l'attente et l'angoisse de la mort à laquelle elles étaient promises.

1.3. S'agissant de l'élément intentionnel du génocide



La cour et le jury ont jugé que les éléments de preuve tels que rapportés et analysés ci-dessus sont de nature à établir que Sosthène MUNYEMANA avait l'intention de commettre des atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique mais également de faire commettre des atteintes volontaires à la vie. La cour et le jury ont d'ailleurs conclu à l'issue de leur analyse des faits et des déclarations de Sosthène MUNYEMANA qu'aucun crédit ne doit être donné aux explications de l'accusé selon lesquelles l'ensemble de ces actes devrait être apprécié dans la perspective d'une démarche de secours, d'aide et de protection.


Quant au dol spécial propre au crime de génocide, à savoir l'adhésion de l'accusé au génocide lors de la commission de ces actes matériels qui s'articule en trois éléments, la cour et le jury ont estimé qu'il était caractérisé, étant rappelé que ce dol spécial consiste en :

1. Une intention de détruire, à savoir la finalité de l'agissement qui résulte de la volonté de détruire un groupe humain et qui doit préexister à l'acte ;

2. en tout ou en partie, ce qui signifie qu'il n'est pas nécessaire que la totalité du groupe soit détruite, dès lors qu'un un nombre significatif de victime est établi;

3. un groupe spécifique : national, ethnique, racial, religieux, ou déterminé à partir de tout autre critère arbitraire.

En effet il existe dans le génocide un élément intentionnel supplémentaire résidant dans la finalité que l'auteur veut donner aux actes matériels qu'il a commis ou ordonnés : la destruction volontaire du groupe précisément visé. L'intention génocidaire de l'auteur doit donc préexister à son acte. L'auteur doit avoir eu connaissance de ce plan concerté et doit avoir manifesté son adhésion à celui-ci. Cette intention particulière constitue le critère permettant de distinguer le génocide de tous les autres crimes.

Il n'est pas nécessaire qu'une personne soit informée de tous les détails du plan ou de la politique de génocide pour y avoir consciemment pris par. La connaissance du plan concerté est en effet une circonstance variable selon le niveau de responsabilité de l'auteur. L'analyse de l'intention doit donc tenir compte des circonstances personnelles à son auteur (son niveau de responsabilité, ses fonctions, son adhésion à des doctrines ou à des organisations prônant le génocide, des discours de haine), ainsi que les circonstances extérieures (contexte historique et social, propagande ...). Le plan concerté peut se déduire d'un contexte systématique ou généralisé (atrocités commises à une vaste échelle, généralisation des

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violences contre un groupe, variété des actes commis contre les victimes en raison de leur appartenance) dans lequel la destruction d'un groupe ciblé est recherchée.

En l'espèce, il ressort des éléments analysés ci-dessus que cette volonté génocidaire et cette adhésion au génocide apparaissent clairement caractérisées chez l'accusé:

+ du fait de son positionnement à plusieurs reprises dans la mouvance Hutu Power avec laquelle il ne s'est jamais désolidarisé ;

+ du fait de sa connaissance de la politique et de l'action génocidaire du gouvernement intérimaire ainsi que des autorités locales via les médias, l'afflux de réfugiés sur Tumba et son rôle au sein de la communauté du secteur de Tumba ;

+ du fait de son soutien indéfectible et jamais remis en cause au moment des faits au gouvernement génocidaire et à sa politique, soutien dont le chef du gouvernement génocidaire a publiquement remercié le cercle des intellectuels MOR de Butaré dont l'accusé était le vice-président ;

+ du fait des propos incendiaires qu'il à tenus lors de la réunion du 17 avril 1994 ;

+ du fait des actes matériels qu'il a commis en cohérence avec son adhésion au plan concerté de génocide, notamment par sa participation à de nombreuses réunions avec les organisateurs locaux du génocide, de ses liens avec les tueurs et les miliciens, de son action au niveau des barrières, des responsabilités qu'il a prises en gérant le bureau de secteur transformé en lieu de détention des tutsis avant leur exécution sur place ou après leur transfert.

Plus de 200.000 personnes ont été exterminées dans la préfecture de Tumba en 100 jours, simplement parce qu'elles étaient tutsies. À Tumba, un témoin a estimé le nombre de victimes à plus de 650, Sosthène MUNYEMANA l'ayant quant à lui estimé à environ 400 personnes. Ce macabre résultat n'a pu être atteint qu'en raison d'une organisation collective reposant sur un plan concerté visant à exterminer le groupe des tutsis auquel l'accusé a eu pleinement conscience de participer.

La cour et le jury ont donc estimé que les atteintes volontaires à la vie que l'accusé a fait commettre en tant qu'auteur intellectuel et les atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique qu'il à lui-même commis en tant qu'auteur matériel l'ont été en exécution du plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle des membres du groupe tutsi et qu'il a en toute conscience adhéré à ce plan en commettant ces actes.

La cour et le jury ont en conséquence déclaré l'accusé coupable des crimes suivants :

+ d'avoir commis sur le territoire du Rwanda et dans le ressort de la préfecture de Butaré, courant avril 1994 à courant juin 1994, en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, des atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique à l'encontre des membres du groupe tutsi ;

+ d'avoir fait commettre sur le territoire du Rwanda et dans le ressort de la préfecture de Butaré, de courant avril 1994 à courant juin 1994, en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, des atteintes volontaires à la vie à l'encontre des membres du groupe tutsi.

1.4. S'agissant de la complicité de génocide



Selon l'article 121-7 du code pénal : « est complice d'un crime la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation ».

1) L'auteur d'un fait ne peut être à la fois auteur de ce fait et complice du même fait. Dans la mesure où l'accusé a été reconnu coupable du chef d'avoir fait commettre sur le territoire du Rwanda et dans le ressort de la préfecture de Butaré, de courant avril 1994 à courant juin 1994, en exécution d'un plan concerté

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tendant à la destruction totale où partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux où d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, des atteintes volontaires à la vie à l'encontre des membres du groupe tutsi, la cour et le jury ont considéré que les accusations de complicité de génocide devenaient sans objet.

En effet, les avocats généraux ayant requis une déclaration de culpabilité de Sosthène MUNYEMANA pour s'être rendu complice du génocide, par aide et assistance en raison de l’aide apportée dans le transfert des tutsis détenus dans le bureau de secteur vers le site de la préfecture de Butaré pour y être tués. Mais la cour et le jury ont considéré que cet acte commis par l'accusé doit être retenu au titre de sa culpabilité en tant qu'auteur principal.

La cour et le jury ont donc acquitté Sosthène MUNYEMANA de ce chef d'accusation.

2) S'agissant de la mise en accusation et des réquisitions visant à la condamnation de Sosthène MUNYEMANA en qualité de complice d'atteintes graves à l'intégrité physique et psychique, constitutives de génocide, ces faits constitueralent en une caution morale et donc une aide ou une assistance apportées aux auteurs des atteintes graves à l'intégrité physique et psychique constituées par les viols perpétrés contre des tutsis.

S'il est constant que de très nombreuses femmes, parce qu'elles étaient tutsies, ont, après avoir été arrêtées sur les barrières, par les rondes ou lors des fouilles, subi des viols souvent répétés et ont même été réduites à la condition d'esclave sexuelle, et s'il n'est pas contestable que le viol massif des femmes, des adolescentes voire des jeunes filles tutsies a été l'un des instruments du génocide de sorte que ces crimes se sont inscrits dans le plan concerté du génocide des tutsis, la cour et le jury ont relevé que ces faits n'avaient fait l'objet d'aucune investigations pendant l'instruction et que l'accusé n'avait jamais été interrogé sur ces faits, sachant qu'à aucun moment il ne lui à été reproché d'avoir lui-même commis le moindre viol.

Lors des débats, Claudette UMUHOZA, Monique AHEZANAHO et Vestine NYRAMINANI sont venues témoigner des circonstances dans lesquelles elles avaient été violées en accusant Sosthène MUNYEMANA de les avoir livrées à ses hommes ou de les avoir laissés faire. L'accusé à fermement réfuté ces accusations.

Dans ces conditions et sans qu'il s'agisse de remettre en question la parole de ces femmes, la cour et le jury ont estimé que faute d'avoir été corroborées par d'autres éléments de preuve, les déclarations de ces femmes ne peuvent suffire à elles seules à constituer des éléments de preuve suffisants pour justifier la culpabilité de l'accusé. Aucun des autres éléments débattus durant le procès ne permet en effet d'imputer à l'accusé une responsabilité pénale dans ces viols au titre de la complicité, même en considérant qu'ils ont été tolérés, voire encouragés, par les autorités locales que ce soit ouvertement ou en les approuvant tacitement ou dans le cadre d'une autorisation générale de violer les femmes tutsies.

La cour et le jury ont donc acquitté Sosthène MUNYEMANA de ce chef d'accusation.

2. Les autres crimes contre l'humanité et la complicité de crimes contre l'humanité



Les crimes contre l'humanité sont définis à l'article 212-1 du code pénal comme la pratique massive et systématique notamment d'exécutions sommaires, d'enlèvements de personnes suivis de leur disparition, de tortures ou d'actes inhumains, inspirées par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisées en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile.

Depuis un arrêt rendu par la Cour de cassation le 15 décembre 2021, il est constant que les qualifications de génocide et de crime contre l'humanité peuvent se cumuler dans la mesure où l'une, le génocide, vise l'éradication, la destruction d'un groupe pour ce qu'il est et où l'autre, les crimes contre l'humanité, vise la soumission à des attaques massives et systématique d'une population civile.



2.1. S'agissant de l'élément contextuel (l'exécution d'un plan concerté),





Le plan concerté peut en premier lieu être caractérisé par les éléments de faits développés concernant le génocide.

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La cour et le jury ont en outre constaté qu'au Rwanda, à Butaré, sur la commune de Ngoma et sur le secteur de Tumba, des exécutions sommaires, des enlèvements de personnes suivis de leur disparition, des tortures et des actes inhumains ont été commis à grand échelle à l'encontre d'un groupe de population civile, de manière massive et systématique.

L'existence de crimes contre l'humanité, commis au Rwanda entre le 6 avril et juillet 1994 ne fait pas débat et l'accusé ne le conteste pas. Le TPIR a d'ailleurs dressé le "constat judiciaire" des crimes contre l'humanité commis au préjudice de la population civile tutsie et toutes les cours d'assises françaises ayant déjà eu à juger ces crimes se sont également prononcées en ce sens.

Pour rappel, le crime contre l'humanité est constitué par un acte matériel commis en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de populations civiles dans le cadre d'une attaque systématique ou généralisée.

+ L'attaque est un élément nécessaire à la qualification de crime contre l'humanité, car sans elle, seule demeure le crime de droit commun. Selon la jurisprudence des juridictions internationales et nationales, une attaque peut s'analyser comme un type de comportement entraînant des actes de violence contre une population civile ou encore comme la commission de multiples actes sous-jacents contre une population civile. L'attaque peut également comprendre des situations ou des mauvais traitements infligés à des populations civiles.

+ L'attaque doit par ailleurs être dirigée contre une population civile et revêtir une ampleur certaine par son caractère systématique où généralisé. Les deux critères sont alternatifs et non pas cumulatifs.

+ Une attaque généralisée est une attaque de grande envergure qui a fait un grand nombre de victimes, qui présente un caractère massif, fréquent, menée de manière collective, à grande échelle.

S'agissant du Rwanda, le caractère généralisé de l'attaque est démontré parce que l'ampleur de l'attaque était extraordinaire, qu'elle visait toute la population civile des tutsis, par la masse indénombrable des massacres et des exactions qui ont été perpétrés en un temps record dans tout le pays. Les tutsi étaient incontestablement la cible de cette agression comme cela résulte de la propagande médiatique et des discours du gouvernement intérimaire comme des autorités locales.

Quant au caractère systématique de l'attaque, c'est encore le nombre et la répétition des faits selon des modes opératoires très organisés et concertés et des stratégies identiques à l'échelle de tout un pays, avec la mobilisation de tous les rouages de l'état qui le caractérisent.

Le crime contre l'humanité doit avoir été commis dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique dirigée contre une population civile pour un motif discriminatoire. En l'espèce, il ne fait aucun doute que c'était la population civile tutsie qui était spécifiquement visée.



2.2. S'agissant de l'élément matériel



Le code pénal détermine de manière limitative les agissements incriminés. Parmi eux figurent les exécutions sommaires, les enlèvements de personnes suivis de leur disparition ainsi que la torture ou d'actes inhumains.

En l'espèce, il est reproché à Sosthène MUNYEMANA d'avoir personnellement et en conscience commis des actes constitutifs de crimes contre l'humanité, en l'espèce des actes de tortures et autres actes inhumains, en enfermant et en gardant détenus, pendant plusieurs jours, des civils tutsis, précisément parce qu'ils étaient tutsis, dans des conditions inhumaines dans les locaux du bureau de secteur de Tumba.


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Au regard des éléments de preuve et des déclarations de l'accusé tels qu'analysés précédemment, la cour et le jury ont été convaincus que l'accusé avait volontairement et en toute connaissance de cause enfermé des hommes, des femmes, des enfants, des personnes âgées, parce qu'ils appartenaient à la population tutsi dans le bureau de secteur de Tumba dont il avait la clé et dont il assurait la gestion. C'était lui et lui seul qui exerçait une autorité sur ce bâtiment administratif qu'il contrôlait régulièrement depuis son domicile. Ce lieu de détention qui ne peut en aucun cas être considéré comme un refuge, a constitué ce qu'un témoin a appelé un « couloir de la mort » dans lequel des tutsis étaient détenus dans l'attente d'une mort certaine. Leurs conditions de détention, dont l'accusé était conscient d'autant plus qu'il était médecin au moment des faits, ont constitué des actes de tortures et des actes inhumains. En effet, les tutsis, traqués, affamés, épuisés, parfois gravement blessés voire mutilés, ayant pour certains perdu de nombreux parents et amis, étaient enfermés parfois pendant près de deux jours sans nourriture, sans eau, sans soins, sans accès à des sanitaires. Sans espoir ils se savaient promis à une mort certaine tout comme les proches qui étaient avec eux, ce qui constituent une souffrance psychologique extrême s'ajoutant à la souffrance physique extrême de la soif, de la faim et de la douleur. En outre, Sosthène MUNYEMANA ne s'est jamais soucié de manière concrète de leurs conditions de détention, de leur approvisionnement, de leurs soins. Le fait que certaines femmes hutues ont réussi à apporter à boire et à manger à leurs proches ne sauraient en aucun cas être mis au crédit de l'accusé.


2.3. S'agissant de l'élément intentionnel



Outre la démonstration de l'intention de commettre l'acte et d'un plan concerté, il est nécessaire de démontrer que l'auteur était animé d'une intention spécifique, à savoir qu'il était conscient que son acte faisait partie d'une attaque généralisée ou systématique contre une population civile.



L'auteur des crimes contre l'humanité doit avoir agi en connaissance de cause c'est-à-dire qu'il doit comprendre le contexte général dans lequel s'inscrit son acte. Une connaissance objective du contexte dans lequel s'inscrit l'acte s'avère donc nécessaire pour établir l'élément intentionnel du crime contre l'humanité. L'accusé doit en effet savoir que son acte est partie intégrante d'une attaque généralisée et systématique contre la population civile et qu'il a été accompli pour donner un effet à une politique ou un plan donné. Le crime contre l'humanité est constitué si l'auteur savait que ses agissements faisaient parti d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile.

En l'espèce, comme cela a déjà été analysé, la cour et le jury ont considéré que Sosthène MUNYEMANA avait effectivement conscience que les actes qu'il a commis se sont inscrits dans une attaque systématique et généralisée contre la population civile tutsie. Il avait connaissance de l'existence du plan concerté en vue de l'attaque massive et systématique contre la population civile tutsie et il a manifesté par ses actes comme par ses paroles l'intention de prendre part à cette attaque contre ses victimes. Le motif discriminatoire ne fait pas débat : les victimes ont été ciblées parce qu'elles faisaient partie de la population civile tutsie. Et les actes matériels que l'accusé a commis l'ont été pour un motif de discrimination, contre toute une population civile qui faisait l'objet d'une attaque massive et systématique, dans le cadre d'un plan concerté auquel l'accusé a délibérément participé. Les actes qu'il a commis ne sont en aucun cas des actes isolés et distincts de cette attaque massive et systématique organisée contre la population civile tutsie dans le cadre d'un plan concerté.



Dans ces conditions, la cour et le jury ont jugé que l'accusé doit être déclaré coupable d'avoir, sur le territoire du Rwanda et dans le ressort de la préfecture de Butaré, de courant avril 1994 à courant juin 1994, en exécution d'un plan concerté inspiré par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux, commis des actes ayant consisté en une pratique massive et systématique de torture ou d'actes inhumains, à l'encontre de la population civile tutsie.

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2.4. S'agissant de la complicité de crimes contre l'humanité



1) En premier lieu, la cour et le jury ont acquitté Sosthène MUNYEMANA de l'accusation de s'être sciemment rendu complice de crimes contre l'humanité, en aidant, encourageant, facilitant la perpétration d'actes de tortures et autre actes inhumains et plus précisément des viols, commis sur les personnes interpellées aux barrières et lors des rondes à Tumba. Il sera renvoyé à la motivation exposée au sujet de l'acquittement prononcé du chef de complicité de génocide concernant les viols.

2) En revanche, la cour et le jury ont considéré que la culpabilité de Sosthène MUNYEMANA doit être retenue pour s'être sciemment rendu complice de crimes contre l'humanité, en aidant, encourageant, facilitant la perpétration des crimes d'exécutions sommaires, d'enlèvements suivis de disparition et d'actes de tortures, faits commis sur les personnes arrêtées aux barrières, détenues dans le bureau de secteur pour être ensuite exécutées au niveau des fosses de Tumba ou être transférées à Butaré Ville en vue de leur exécution.

La cour et le jury ont repris les éléments de motivation concernant le crime de génocide par atteintes volontaires à la vie. Il est en effet apparu établi que Sosthène MUNYEMANA, en participant à l'organisation, à la supervision et au contrôle des barrières, en donnant des instructions aux miliciens et aux tueurs concernant les barrières ou le sort des tutsis qu'ils venaient d'arrêter, en détenant les tutsis dans le bureau de secteur, en les livrant aux autorités ou aux miliciens en vue de leur exécution à Tumba, en prenant part à leur transfert vers Butaré Ville afin qu'ils soient exécutés, en mettant en œuvre la logique de mort conformément à la politique du gouvernement, s'est rendu complice par aide ou assistance du crime contre l'humanité commis en exécution d'un plan concerté inspiré par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux, des actes ayant consisté en une pratique massive et systématique d'exécutions sommaires, d'enlèvements de personnes suivis de leur disparition à l'encontre de la population civile tutsie. À l'exception de Vincent KAGERUKA, aucun des tutsis enfermés dans le bureau de secteur n'a survécu au génocide : ils ont tous été victimes d'exécutions sommaires à Tumba et ceux qui ont été enlevés pour être transférés à Butaré Ville ont tous disparus.

Ainsi, selon la cour et le jury, Sosthène MUNYEMANA, personnalité notable, influente et respectée au sein du secteur de Tumba dont la parole avait du poids, doit être considéré comme complice de ces exécutions sommaires ainsi que de ces enlèvement suivis de disparition.

3. participation à un groupement formé ou une entente en vue de la préparation d'un crime contre l'humanité




Cette incrimination permet d'engager la répression avant même que les crimes contre l'humanité aient commencé à être exécutés. Son intérêt est donc d'autoriser une répression située très en amont de la commission d’un crime contre l'humanité.

S'agissant du crime d'entente, il est également possible de le cumuler avec les crimes de génocide et les crimes contre l'humanité dès lors qu'il est caractérisé par des actes matériels distincts de ceux qui caractérisent la commission des crimes de génocide et des crimes contre l'humanité en tant qu'auteur ou complice.

Ce crime implique d'abord
+ une entente établie entre plusieurs personnes,
+ supposant l'existence d'une résolution d'agir,
+ en vue de la commission du génocide ou crimes contre l'humanité,
ensuite la résolution extériorisée par des faits matériels caractérisant la préparation de ces infractions.

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S'agissant en premier lieu de l'entente ou du groupement, elle apparaît caractérisée à deux niveaux :

+ Au niveau de la Préfecture de Butaré :

- L'existence de liens étroits entre l'accusé et le premier ministre du gouvernement intérimaire, Jean KAMBANDA, dont il partageait les idées politiques (Jean KAMBANDA à dit par deux fois que l'accusé appartenait comme lui à la branche Power du MDR) a été démontrée tant avant le déclenchement du génocide qu'après.

- L'existence d'un groupement appelé le cercle des intellectuels MDR de Butaré a été établie, de même que son soutien dès le 16 avril 1994 au gouvernement engagé depuis plus d'une semaine dans le génocide avec la rédaction de la motion de soutien du 16 avril puis le 19 avril avec la diffusion à la radio d'état contrôlée par le gouvernement de ce texte lors d'une journée déterminante pour le basculement de la préfecture de Butaré, puis le 14 mai lorsque le premier ministre a remercié le cercle des intellectuels MDR de Butaré pour son soutien indéfectible et que M. KAREMERA a tenu, au nom du cercle et en présence de l'accusé, un discours ouvertement génocidaire.

- La résolution d'agir avec le gouvernement génocidaire dans le cadre d'un soutien apporté par les intellectuels au projet et à l'action génocidaire résulte de l'analyse de ces relations politiques et de cette motion, les témoins de contexte ainsi que Alison DES FORGES ayant documenté le fait que le gouvernement intérimaire était précisément à la recherche de la caution des intellectuels pour justifier et propager le génocide dans tout le territoire et notamment sur Butaré.

- Autant d'éléments susceptibles de caractériser une première entente ou groupement.

+ Au niveau du secteur de Tumba :

- La cour et le jury ont considéré qu'il est établi que l'accusé faisait partie du noyau dur, sans pour autant en être le leader, des extrémistes qui ont organisé, mis en œuvre, animé, contrôlé et piloté le génocide au niveau local, ce noyau dur étant composé notamment de l'accusé, de Siméon REMERA et de RUGANZU.

- Ce groupement informel dont la composition pouvait varier ressort de la participation de l'accusé à plusieurs réunions : celle du 17 avril durant laquelle il a tenu des propos de nature à attiser la peur et là haine à l'encontre des tutsis et durant laquelle les barrières et les rondes ont été instituées avant d'être détournées de leur objectif comme cela avait déjà été le cas de tout le pays ; celles qui ont eu lieu selon ses propres déclarations entre le 24 avril et le 15 mai pour statuer sur la poursuite de la politique locale des barrières et des rondes et sur le sort des tutsis détenus dans le bureau de secteur ; celles qui ont été tenues de manière informelles chez RUGANZU, chez Siméon REMERA, chez FORO ou encore au bureau de secteur en présence des leaders locaux du génocide,

Il est apparu évident à la cour et au jury que le génocide et les crimes contre l'humanité commis à l'échelle de Tumba ont été organisés et coordonnés : les massacres ont été déclenché le 21 avril 1994 soit moins de 48 heures après la journée décisives du 19 avril; les premières victimes étaient précisément ciblées comme étant des tutsis influents sachant que la plupart des femmes de même que les personnes âgées et les pauvres ont été épargnés dans un premier temps avec d'être pourchassés et traqués ; des bandes de tueurs ont été constituées ; les victimes n'étaient pas tuées dans la rue ou chez elles sauf si elles résistaient mais au niveau des fosses ou après avoir été détenues dans le bureau de secteur ce qui est de nature à expliquer les très faibles nombres de cadavres dans les rues de Tumba ; les victimes étaient tuées au niveau des fosses puis lorsque celles-ci étaient pleines étaient transférées à Butaré Ville en vue de leur exécution … Autant d'éléments qui sont la preuve d'une nécessaire organisation, coordination, supervision et pilotage qui est le fait d'un petit groupe dont l'accusé faisait partie.


Comme cela ressort des témoignages, ce groupe constitué de personnalités locales ayant le statut de

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notable (Sosthène MUNYEMANA, RUGANZU, Siméon REMERA, Félicien KUBWIMANA...) était informel, se réunissait en fonction des nécessités, dans des lieux différents, parfois en présence d'autorités comme le conseiller BWANAKEYE. C'est ce groupe de personnes qui ont décidé de mettre en place des barrières, des rondes, de regrouper des tutsis dans les lieux de détention, d'organiser les transferts vers d'autres sites, d'ensevelir des corps dans des latrines mais aussi d'organiser la traque des tutsis dans le cadre de la pacification. C'est ce même groupe qui a supervisé les barrières et leur emplacement afin de quadriller le secteur, tenu le décompte des victimes, décidé de leur sort en cas de doute sur leur ethnie … C'est ce groupe qui était en lien avec les bandes de tueurs. C'est ce groupe, dont Sosthène MUNYEMANA faisait partie, qui s'est inscrit dans un projet et une action commune tendant au génocide des tutsis de Tumba et aux crimes contre l'humanité commis contre la population civile des tutsis de Tumba.



En conséquence, la cour et le jury ont déclaré l'accusé Sosthène MUNYEMANA coupable de participation à une entente ou un groupement établie en vue de commettre un génocide et des crimes contre l'humanité.


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III.Sur la peine



La cour et le jury ont condamné Sosthène MUNYEMANA pour les crimes dont il a été déclaré coupable à la peine de vingt-quatre ans de réclusion en réduisant la période de sûreté à huit ans après avoir considéré, au vu des éléments exposés au cours des débats, puis des délibérations menées par la cour et le jury
préalablement au vote sur la peine, que les éléments suivants tenant aux circonstances de l'infraction, à la personnalité de l'accusé, à sa situation matérielle, famille et sociale, à la situation de la victime, devaient être pris en compte et notamment :

Les articles qui répriment le crime de génocide, les crimes contre l'humanité et l'entente ou le groupement en vue de commettre ces crimes, applicables à l'époque des faits, prévoient la peine de de la réclusion criminelle à perpétuité.

L'article 130-1 du code pénal dispose que « afin d'assurer la protection de la
société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonction de sanctionner l'auteur de l'infraction et de favoriser son amendement,
son insertion ou sa réinsertion ».

L'article 132-1 du code pénal prescrit que toute peine prononcer par la juridiction doit être individualisée. Dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l'infraction de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l'article 130-1 du code pénal.

Les crimes contre l'humanité et de génocide appartiennent à la catégorie des crimes le plus graves. Il s'agit en effet de crimes de masse, qui se situent au sommet de la hiérarchie des crimes, que le TPIR a considéré comme étant le crime des crimes. Ces crimes ont pour résultats de telles atteintes à la personne humaine, à sa dignité et à sa condition mais également à l'humanité tout entière qu'ils entraînent un trouble exceptionnel et pérenne à l'ordre public international, qu'ils traumatisent de manière durable et irrémédiable non seulement les populations visées, les survivants et leurs proches mais également l'humanité toute entière ainsi que la conscience humaine par tant le nombre de victimes directes et indirectes et que par l'atrocité des crimes commis, marquant ainsi à jamais l'histoire de l'humanité. La cour et le jury ont donc tenu compte de l'extrême et exceptionnelle gravité des faits commis par l'accusé pour apprécier la peine.


Il a été retenu que Sosthène MUNYEMANA s'est inscrit dans la poltique et l'objectif génocidaires en y adhérant, en y coopérant, en l'organisant et en y prenant une part active, à l'échelle de la préfecture de Butaré et du secteur de Tumba, que ce soit de manière intellectuelle ou matérielle.
Il à fait partie d'un petit groupe d'individus, qu'il s'agisse du cercle des intellectuels MDR de Butaré ou des leaders locaux du secteur de Tumba qui ont œuvré délibérément à l'exécution du génocide des tutsis.

Sosthène MUNYEMANA est un médecin et un intellectuel, un homme qui était respectable et dont la parole comptait, ce qui constitue également un élément d'aggravation de la peine.

Il a toujours nié les faits reprochant à ses nombreux accusateurs de mentir, alléguant un prétendu procès
politique. Il ne peut lui être tenu grief de ne pas reconnaître les faits dans la mesure où l'exercice par les personnes poursuivies du droit de ne pas s'incriminer soi-même ne saurait être retenu contre eux. Mais il ne peut en revanche lui être fait crédit d'avoir reconnus les faits et d'avoir permis d'apporter des réponses aux victimes,


S'agissant de la personnalité de l'accusé, la cour et le jury ont constaté que les conclusions des deux


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expertises psychologique étaient contradictoires en tous points et que les débats n'ont pas permis à la cour et au jury de trancher entre ces deux analyses de sa personnalité de sorte que la personnalité de l'accusé est restée difficile à appréhender.

Mais il a été retenu, dans le sens d'une minoration de la peine prononcée, les éléments suivants :

+ le fait qu'avant le génocide des tutsis et depuis son arrivée en France, l'accusé à été décrit notamment comme un homme équitable, juste, sage, modéré, bon, travailleur, moderne, éclairé, compatissant serviable, intègre, ne faisant aucune distinction dans sa pratique professionnelle entre hutus et tutsis, respectueux, courageux, prônant la tolérance...

+ son fils est venu dire à la barre que son père lui avait transmis des valeurs d'humanisme ;

+ ses anciens collègues ont salué ses qualités professionnelles et humaines ;

+ l'accusé est âgé de 68 ans ;

+ retraité après avoir exercé comme médecin dans plusieurs spécialités, son insertion socioprofessionnelle ne pose pas question ;

+ le risque de récidive apparaît inexistant ;

+ il n'a jamais été condamné et il a respecté de manière scrupuleuse le contrôle judiciaire auquel il a été astreint durant 12 ans.


Fait à la cour d'appel de Paris, le 22 décembre 2023

Le premier juré



Le président de la cour d'assises de Paris


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