Fiche du document numéro 4318

Num
4318
Date
Mercredi 2 août 1995
Amj
Auteur
Fichier
Taille
7364211
Titre
Rwanda. Trois jours qui ont fait basculer l'histoire [Projet confidentiel]
Soustitre
Avec en annexe un récit de 72 heures à Bujumbura
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Fonds d'archives
VdM
Type
Livre
Langue
FR
Citation
1

RWANDA TROIS JOURS QUI ONT FAIT BASCULER L'HISTOIRE

avec en annexe un récit de 72 heures à Bujumbura
par Filip Reyntjens

Contenu
Introduction
Antécédents
L'attentat
Deux parcours dans la nuit
L'assassinat d'Agathe Uwilingiyimana et des dix casques bleus
Vers le "gouvernement intérimaire"
72 heures à Bujumbura. Un putsch en direct
Conclusion

2

INTRODUCTION

Ce récit parait plus d'un an et demi après l'époque à laquelle
il a trait. Ce retard est dû à une combinaison de facteurs.
D'abord, durant les premiers mois qui ont suivi le début du
désastre rwandais, tout comme d'autres personnes intéressées au Rwanda, j'ai
été très pris par les aspects immédiats du
drame; l'une de nos préoccupations les plus urgentes était de
sauver des vies humaines, notamment en tentant d'obtenir
l'évacuation de Rwandais directement menacés de mort entre
avril et juin 1994. A peine les terribles violations des
droits de l'homme par l'ancien régime terminées suite à sa
défaite militaire, nous étions confrontés à de nouvelles
crises après l'installation du nouveau pouvoir à Kigali. Une
gestion de plus en plus totalitaire et une nouvelle pratique
de violations très graves des droits l'homme nous inquiétaient,
et il fallait une fois de plus "évacuer" des personnes menacées.

Ensuite, cette recherche menée parmi mille autres occupations
a été intrinsèquement difficile.
En effet, sa source principale est constituée de témoignages. Or de nombreux
témoins, qui furent tous d'une façon ou d'une autre des
acteurs du drame, avaient des raisons de ne rien dire ou de ne
pas dire (entièrement) la vérité, et d'ailleurs certains d'entre
eux modifiaient leur récit au fur et à mesure que progressait l'enquête.
Il fallait donc procéder à de nombreux recoupements et vérifications.
Le fait que la mémoire s'estompe et qu'en temps de crise
grave, les gens ne regardent pas constamment leurs montres
et ne tiennent pas de journal, n'a pas facilité les choses. Ce travail
a en outre été handicapé par le fait que ces témoins vivent éparpillés
dans de nombreux pays et que je n'avais ni les moyens financiers ni
le temps nécessaires pour les visiter tous. J'ai donc été contraint pour certains,
et non des moindres, de recourir à des échanges par lettre, fax ou téléphone, voies
qui sont loin de remplacer l'entretien direct. S'y est ajoutée début 1995

3

une interdiction de séjour au Rwanda, tandis qu'une mission
auprès des nouveaux réfugiés à Goma et Bukavu n'était pas sans
risques, puisque je n'avais pas ménagé mes critiques envers
l'ancien régime. Dans un paysage politique très polarisé, je
me suis donc retrouvé, comme d'autres personnes qui ont tenté
d'être objectives, entre le marteau et l'enclume: considéré
comme sympathisant du F.P.R. par les uns et comme sympathisant
de l'ancien régime par les autres.

C'est dire que la recherche présentée ici est loin d'être
complète et qu'elle comporte probablement des erreurs. Si j'ai
décidé de
nombreuses

la publier maintenant, tout
questions restent ouvertes

en
et

sachant que de
qu'il faudrait

idéalement puiser à d'autres sources, c'est que j'ai estimé
qu'il ne fallait pas s'éloigner trop de l'événement, et que de
toute

façon

elle

contient

suffisamment

d'éléments

nouveaux

pour présenter un certain intérêt.
Cette étude aborde une période très brève, mais cruciale de
l'histoire récente du Rwanda.' celle qui s'étale de la soirée
du 6 avril 1994, moment de l'attentat contre l'avion
présidentiel, au 9 avril lorsque le Itgouvernementintérimaire"
prête serment. C'est pendant ces 72 heures que se produisent
l'attentat, non pas la cause mais le prétexte des massacres et
de la reprise de la guerre, la mise à feu de la machine à tuer
qui allait
prendre
une
politiques qui mèneront à

allure génocidaire,
les choix
l'impasse et l'assassinat de dix

casques bleus qui a sans doute joué un rôle déterminant dans
le retrait de la communaut.é
internationale et l'abandon des
Rwandais à l'holocauste.
De nombreux écrits ont paru sur le Rwanda, le génocide et les
massacres, le drame humanitaire, mais à ma connaissance aucun
ne s'est intéressé de façon spécifique à ces
Certes, certains ouvrages -en particulier ceux

72
de

heures.
Colette

4

BraeckmanJ. et

de

François-Xavier

Verschave2-

en

abordent

certains moments forts, comme l'attentat ou la mort des dix
para-commandos belges. Ces écrits ont eu le mérite d'avoir été
publiés rapidement après les événements et d'avoir ainsi
interpellé le monde. En revanche, ils n'ont pas toujours bien
informé le monde. En effet, cette rapidité explique également
pourquoi ils sont inexacts en de nombreux points; trop de
faits et analyses sont basés sur une seule source, un seul
témoignage, qui de plus est parfois de seconde main. Il serait
fastidieux de relever toutes ces erreurs et je m'abstiendrai
de le faire, sauf là où c'est pertinent pour le récit3•
En fin d'ouvrage, j'ajoute le récit d'Une autre période de 72
heures, qui s'est étalée du 20 au 23 octobre 1993 au Burundi,
le voisin méridional du Rwanda. J'ai cru devoir l'inclure pour
trois raisons. D'abord, parce qu'il fallait rendre disponible
une description détaillée des événements de Bujumbura, tout
simplement pour servir à l'histoire4 • Ensuite, parce que les
événements violents au Rwanda et au Burundi ont tendance à se
renforcer mutuellement dans une dialectique perverse, et que
le coup d'Etat au Burundi et l'assassinat du Président Ndadaye
ont

contribué

J.

au

déroulement

du

drame

rwandais. Et

enfin,

C. BRAECKMAN, Rwanda. Histoire d'un génocide, Paris,
Fayard, 1994.
F.-X. VERSCHAVE, complicité de génocide? La politigue de la France au Rwanda, Paris, La Découverte,
1994.

Il faut d'ailleurs insister sur le fait que les
ouvrages de Braeckman et de Verschave sont parmi les
meilleurs; un des spécimens les plus frappants d'Une
"presse de boulevard" de très mauvais alloi a été
produit par Krop (P. KROP, Le génocide franco-africain, J.C. Lattès, 1994).
4

Ces données ont été recueillies en grande partie
lors d'une mission d'enquête qui a visité le Burundi
du 26 janvier au 10 février 1994. Le juge d'instruction français J.-P. Getti et le professeur canadien
W. Schabas étaient les autres membres de l'équipe au
sein de laquelle j'ai enquêté sur la période analysée ici.

5

parce que -comme on le montrera

dans la conclusion-

on observe

des analogies frappantes entre les événements d'octobre 1993 à
Bujumbura et d'avril 1994 à Kigali et que, dès lors, l'analyse
des premiers

fournit un matériel

utile de comparaison.

[remerciements]
Ce manuscrit

a été clôturé le

xxx.

6

ANTECEDENTS5

D'après

l'accord

d'Arusha,

signé

le

4

août

1993 entre

le

gouvernement
rwandais et
le Front Patriotique Rwandais
(F.P.R.), des institutions intérimaires (gouvernement de
transition à base élargie -GTBE- et Assemblée nationale de
transition -ANT) devaient être mises en place dans les 37
jours qui suivent la signature de l'accord de paix. Etait
prévue ensuite une période de transition qui devait en
principe durer 22 mois et qui devait être clôturée par des
élections.
La clé de voûte de l'arrangement est le déploiement par l'ONU
d'une
force militaire,
la
"Mission des
Nations unies
d'assistance au Rwanda" (MINUAR). C'est un des domaines où les
négociateurs d'Arusha n'ont pas fait preuve de réalisme; il
est, en effet, impossible de déployer un contingent de
quelques mi Iliers de casques bleus en 37 jours. Ce n'est que
par sa résolution 872 (1993) du 5 octobre 1993 que le Conseil
de sécurité décide de mettre sur pied la MINUAR, dont
déploiement débute dans la seconde moitié de novembre.

le

Alors que la présence de la MINUAR semble devoir permettre la
mise en application de
l'accord d'Arusha, de nouveaux
obstacles vont progressivement handicaper le processus. Dès le
milieu de 1993, les partis politiques de l'opposition
intérieure se scindent en ailes, l'une favorable au processus
d'Arusha (appelée "pro-F.P.R."), l'autre
l'égard du F.P.R. et se rapprochant de

très méfiante à
plus en plus de

l'ancien parti unique M.R.N.D. (appelée "Power"). Tour à tour,
le M.D.R., le P.L., le P.S.O. et le P.O.C. font l'expérience
de scissions le long de ces lignes, phénomène qui va
complètement bipolariser la vie politique. Le coup d'Etat du
5

Pour un historique plus élaboré de l'évolution politico-militaire du Rwanda pendant la période 19901994 , on pourra consulter F. REYNTJENS, L'Afrigue
des grands lacs en crise. Rwanda, Burundi: 19881993, Paris, Karthala, 1994.

7

20-21 octobre 1993 au Burundi et l'assassinat du premier Chef
d'Etat élu et hutu, Melchior Ndadaye, par des putschistes
tutsi contribuent de façon décisive à la méfiance envers le
F.P.R. et au rejet du partage du pouvoir. Avec le bénéfice du
recul, on peut dire que dans de très nombreux esprits l'accord
d'Arusha a disparu avec le Président Ndadaye.
Le 28 décembre 1993, des dirigeants du F.P.R. (y compris des
futurs ministres et députés) arrivent à Kigali , accompagnés
par un bataillon de 600 hommes de l'A.P.R. (Armée patriotique
rwandaise, aile armée du F.P.R.) qui doit assurer leur
protection. Ils sont cantonnés dans l'enceinte du Conseil
national de développement (C.N.D., nom donné au parlement sous
la deuxième République). QU'on ait choisi le symbole de la
souveraineté du peuple pour abriter le F.P.R. a causé de
profonds ressentiments, qui n'ont fait qu'ajouter au discrédit
qui frappait l'accord d'Arusha.
Les blocages politiques commencent dès le début 1994. A de
nombreuses reprises, on tentera de mettre en place le GTBE et
l'ANT, et à chaque fois l'un des deux blocs politicomilitaires -"M.R.N.D. et alliés" ou "F.P.R. et alliés"- font
de
l'obstruction.
Ains i , le
5
janvier,
le
Président
Habyarimana prête serment en tant que Chef de l'Etat devant la
Cour constitutionnelle, mais lorsque l'après-midi du même
jour, on tente de procéder à l'installation du GTBE et de
l'ANT, seuls les candidats de la mouvance M.R.N.D. sont
présents; ni les candidats de l'autre bloc, ni le Président de
la Cour constitutionnelle ne sont là, et la cérémonie est
reportée
reports.

sine die. C'est le
Le 8 janvier, des

début d'une longue série
manifestants (Interahamwe

de
du

M.R.N.D.,
Impuzamugambi de
la C.D.R. et M.D.R. Power)
empêchent le déroulement de la cérémonie. Le 23 février, ce
sont une fois de plus le "bloc F.P .R.Ilet le Président de la
Cour constitutionnelle qui manquent à l'appel. Le 21 mars, le
blocage vient du IIcampM.R.N.D.". Remise de quelques jours, la
cérémonie du 25 mars n'a pas lieu; tout le monde est là, sauf

8

le F.P.R. Le 28 mars, c'est le tour du Président Habyarimana
de bouder la prestation de serment ...
L'arithmétique de ces blocages successifs n'est pas difficile
à faire. En effet, les accords d'Arusha ont introduit des
techniques
typiquement
consociationnelles,
qui
tentent
d'éviter qu'une partie ne prenne le dessus et d'exclure les
décisions strictement majoritaires. Ainsi, si dans un premier
temps, les décisions du gouvernement doivent être prises par
consensus, dans un second temps elles requièrent toujours une
majorité des deux tiers des membres, c'est-à-dire 14 sur 21
ministres. De même au parlement certaines matières importantes
(notamment la mise en accusation du Président de la République
et le vote d'une motion de censure contre le gouvernement)
doivent être prises à la majorité des deux tiers, c'est-à-dire
48 députés sur 71. Afin de s'assurer la minorité de blocage
d'un tiers + une voix, le M.R.N.D. a donc besoin:
- au gouvernement: en plus de ses 5 ministres, de 3 autres
(sans doute 2 M.D.R. Power et 1 P.L. Power);
- au parlement: en plus de ses 11 députés, de 13 autres (sans
doute 6 M.D.R. Power, 5 P.L. Power et 2 des petits partis).
Le "camp F.P.R."

(F.P.R., P.S.D., M.D.R.-Twagiramungu, P.L.-

Ndasingwa, P.O.C.) tentera donc de s'assurer ces deux tiers,
et le "camp M.R.N.D." (M.R.N.D., M.D.R. Power, P.L. Power)
tentera de l'en empêcher. Puisque chaque bloc était si près de
son objectif, l'enjeu s'est finalement réduit à l'attribution
d'un portefeuille ministériel dévolu au P.L. et à un ou deux
sièges de
déput.é".
Dans
cette
lutte,
les
politiciens
démocratiques du milieu du terrain se sont avérés de
véritables apprentis-sorciers: ils sont tombés dans le piège
de la bipolarité leur tendu par le M.R.N.D. et le F.P.R.,
alors qu'ils auraient pu exercer une influence politique

6

Cela explique l'âpreté de la lutte autour de la
représentation du P.D.I. et au sujet de l'inclusion
ou non de la C.D.R., alors que ces partis n'avaient
de toute façon droit qu'à un seul député.

9

considérable

s'ils

s'étaient

profilés

comme

une

"troisième

forcen, capable d'arbitrer entre les deux extrêmes et de faire
pencher la balance.
Cette

lutte

graduellement

politique
au

et

pourrissement

les

blocages

général

de

contribuent
la

situation,

évolution qui va s'accompagner de nombreuses violences, qui
vont à leur tour davantage hypothéquer la recherche d'un
arrangement politique. Le 21 février, le meurtre du Ministre
des Travaux publics Félicien Gatabazi (P.S.D.) à KigalP, et
le lendemain, probablement en guise de représailles, celui du
Président
de
la C.D.R. Martin
Bucyana
à
Butare font
considérablement monter la tension. La semaine du 21 février
est particulièrement
agitée: des
dizaines de personnes
trouvent la mort dans des violences politiques, de nombreuses
autres sont blessées. En mars, des dizaines d'autres personnes
trouvent la mort ou sont blessées dans des incidents à l'arme
à feu ou à la grenade, notamment à Kinihira, Byumba et Kigali.

Dans l'entretemps, la pression internationale exercée envers
le
Président
Habyarimana
augmente
considérablement. Les
Ministres belges des Affaires étrangères W. Claes et de la
Défense L. Delcroix visitent le Rwanda en février et mars
respectivement. M. Claes prononcera la petite phrase tellement
mal perçue, adressée au Chef de l'Etat: fi Il est minuit moins
cinq". Le Secrétaire d'Etat adjoint aux Affaires africaines
George Moose et d'autres responsables américains (notamment
Prudence Bushnell, Sous-secrétaire d'Etat adjoint chargée de
l'Afrique) insistent dans le même sens. Le Secrétaire général
de l'O.N .U . menace de metre fin à la MINUAR, dont le terme
doit expirer le 3 avril, si les institutions d'Arusha ne sont
pas
installées.
internationale et

Ainsi
tiraillé
entre
la
communauté
sa propre base politique, le Président

Habyarimana cherche des soutiens dans la sous-région. Il se
rend à Gbadolite chez le Président Mobutu le 26 février et le

7

Je reviendrai plus tard sur cette affaire.

10

4 avril; le 7 mars, il rencontre le Président Museveni à
Kampala; le lendemain, il se rend à Dar-Es-Salaam pour un
entretien avec le Président Mwinyi, et il repartira en
Tanzanie le jour fatidique du 6 avril.
Dans cette situation de blocage, les deux parties se préparent
à la reprise de la guerre, notamment en se renforçant d'une
façon qui est manifestement contraire à l'accord de paix. Du
côté de l'armée rwandaise, un exemple est bien documenté à la
suite d'une enquête de la MINUAR. Le 21 janvier, un DC8 de la
compagnie East African Cargo, vol no. CDû483, attérit à Kigali
en provenance de Bruxelles; il a fait escale à Châteauroux
(France) où on a embarqué 90 caisses de munition mortierS. Les
milices continuent de s'armer et se préparent pour la
confrontation. De son côté, le bataillon du F.P.R. se renforce
bien au-delà de ses effectifs convenus. D'après des sources de
la MINUAR, des hommes, des armes et des munitions sont
infiltrés à l'occasion des navettes de rotation entre le
cantonnement au C.N.D. et la zone dans le Nord; les contrôles
des camions sont des plus sommaires. Le 6 mars , une jeep
Pajero avec plaque burundaise est impliquée dans un accident
de la circulation près du C.N .D.; le véhicule est bourré de
munitions et de grenades, vraisemblablement destinées au
F.P •R.

En outre, de nombreux sympathisants armés du F.P .R.

sont disséminés en ville.
Une atmosphère de guerre imminente règne donc à Kigali. Des
extraits du journal d'un Rwandais sans attaches politiques qui
suit attentivement
les choses
sont révélateurs:
"Cette
situation va de mal en pire" (23 février); "On al' impression
que le M.R.N.D. veut la guerreU (24 février); "Le spectre de
la guerre pèse plus que jamais" (13 mars); "tous redoutent la
recrudescence de la guerre civile" (2 avril). C'est dans cette
ambiance que le Président Habyarimana semble finalement céder.
Lors d'une rencontre qui a lieu à Gisenyi le 2 avril, et sur
S

Spécifications: 900 pièces de 60 mm.; poids total
3.240 kg.; type MC-HB60; no. lot 2BT-93.

11

laquelle je reviendrai, il annonce au représentant spécial du
Secrétaire général des Nations unies, Jacques-Roger Booh-Booh,
qu'il compte procéder à l'installation des institutions
intérimaires le 8 avril. Comme on le verra, il annonce cette
décision à son directeur de cabinet le 6 avril, avant de
s'envoler pour le sommet régional sur la situation au Burundi
et au Rwanda organisé à Dar-Es-Salaam.
Le

Président

mission.

Habyarimana

ne

rentrera

pas

vivant

de

cette

12
L'ATTENTAT

A 20.22 heures,

heure de Kigali,

l'avion

présidentiel

Falcon

50 s'écrase
à Kanombeaprès avoir été touché par un ou deux
missiles
sol-air.
Il n' y a aucun survivant parmi les neuf
passagers, dont les Présidents
amira du Burundi, et les trois

Habyarimana du Rwandaet Ntarymembresfrançais de l'équipage.

Des accusations sont immédiatement lancées et des
formulées.
Puisqu'il
s'est
avéré impossible de
preuves concluantes dans un sens ou dans un autre,
ici les données'que j'ai pu recueillir,
et je pèse
le contre des différents
scénarios.
ou non, sont fort nombreuses et je
celles

que j'estime

pertinentes

Les données, vérifiables
l imite ma présentation
à

pour ce récit.

Première hypothèse: le P.P.R.i variante:
agissant pour le compte du F.~.R.
Dès la

matinée du 7 avril,

hypothèses
réunir
des
je présente
le pour. et

des militaires

une déclaration

d'un

belges

"Comité de

or Lse" de la Communautérwandaise en Belgique" proche du
M.R.N.D. affirme que l'''attentat
(a été) perpétré par des
militaires
belges faisant parti
(sic) du contingent
ques bleus"; il se base sur des "sources militaires

des casdes cas-

ques bleus non-belges de la MINUAR"10Dans

une note verbale
en date du 20 avril,
l'Ambassadeur du Rwanda à Kinshasa
Etienne
"abattu

Sengegera sera tout
par des militaires

aussi affirmatif:
l'avion a été
belges ( ..• ) pour le compte du

Le terme "comité de crise" est également utilisé
les militaires
à Kigali,
lorsqu' ils
"prennent
choses en mains", voir infra.
10

par
les

Déclaration du 7 avril 1994 relative
à l'assassinat
de leurs excellences le Chef de l'Etat
rwandais, le
Général-Major Juvénal Habyarimana, et le Chef de
l'Etat
burundais,
Monsieur Cyprien Ntaryamira, et
les membres de leurs délégations,
Bruxelles, 7 avril
1994, signé par Papias Ngaboyamahina.

13

F.P.R. nu.

Mais, signe des mésententes au sein

du régime, une

note verbale publiée le lendemain par l'ambassade du Rwandaà
Bujumbura estime
qu""il
serai t
hasardeux de tirer
une
conclus ion défini ti ve sur les auteurs de l'attentat" 12. Tout
en accusant
implici tement la
Belgique,
le
gouvernement
rwandais reste officiellement
prudent. Dans une note du 10
avril,
le Ministre des Affaires étrangères dit que l'avion
présidentiel
a "subi des tirs de la part d'éléments non encore
identifiés"13; cependant, le lendemain le ministre évoque "des
défaillances
inexplicables
dans le
chargés de la sécurité de l'aéroport

chef des casques bleus
Grégoire Kayibanda.et de

ses environs14,
défaillances
qui ont permis à des criminels
d'abattre
l'avion présidentiel "1l5.Dans l' entretemps, R.T.L.M.
continue d'accuser
le F.P.R. et la Belgique, -eans que ces
allégations
ne
soient
contredites
par
les
autorités
rwandaises. De même, lors d'une émission de France 2 le 28
juin 1994, le Capitaine Paul Barril,
qu'on retrouvera encore
plus loin dans ce récit,
reprend les thèses de la famille
Habyarimana dont il
défend les
intérêts;
d'après
lui,
l'attentat
militaires

serait
l'oeuvre
du F.P.R. avec la complicité de
belges.
Il affirme en outre disposer de photos

satellite
indiquant que le F.P.R. aurait entamé une offensive
sur la frontière
ougandaise dès le 6 avril,
suggérant ainsi

11

Ambassade de la République Rwandaise, Note verbale
No. 138/03.11.07/A.1h, Kinshasa, 20 avril 1994.

12

Ambassade de la République Rwandaise, Note verbale
No. 49/C2, Bujumbura, 21 avril 1994.

13

République Rwandaise, Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération,. Note explicative
de la
situation
politique qui prévaut au Rwandadepuis la
mort du Président Juvénal Habyarimana, Kigali,
10
avril 1994.

14

Référence au bataillon
nie gardait l'aéroport.

115

République Rwandaise, Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Note verbale, Kigali, 11
avril 1994.

belge,

dont la 12èmecompag-

14
qu'il

était

au moins au courant

du complot. Jeune Afrique:t6

avait déjà formulé une suggestion analogue. D'après cet hebdomadaire proche du régime Habyarimana, "[l]e fait que les chefs
du Front aient déclenché leur offensive sur Kigali, sui vant
trois axes manifestement préétablies,
dès l'annonce de l'explosion; le fait
aussi que leurs principaux cadres avaient,
dit-on,
quitté
la capitale quelques jours auparavant militeraient

pour une programmation du coup par le F.P.R.".

En réalité,
peu d'éléments permettent de soutenir cette thèse,
avec ou sans appui étranger. Bien sûr, le F.P.R. -tout comme
son adversaire poli tique principal,
on l'a vu- pouvait avoir
un motif. En effet,
depuis le début de l'année il avait tenté
en vain de constituer
une coalition
politique
anti-M.R.N.D.
qui aurait eu une majori té qualifiée
à l'Assemblée nationale
de transition,
et il n'avait
pas été étranger aux multiples
obstacles mis sur la voie. de la mise en place·des institutions
prévues par les accords d'Arusha (voir supra). Sur le plan
politique
également,
le
F.P.R.
savait
qu'il
partait
probablement perdant dans un processus politique
compétitif.
Il en avait fait l'expérience amère lors des élections locales
organisées en septembre 1993 dans les huit communesde la zone
démilitarisée.
Alors qu'il
s'agissait
d'une région que ni
l'armée
rwandaise,
ni
le
M.R.N.D. ou les
milices
ne
contrôlaient
physiquement et que le F.P.R. y avait présenté
des candidats et mené campagne, l'ancien
parti unique avait
remporté tous
les
postes de bourgmestre dans les
souspréfectures
Clairement,

de Kinihira (Byumba) et de Kirambo (Ruhengeri).
le F. P.R. ne faisait
pas le poids par rapport au

M.R.N.D., du moins dans les préfectures
Il est vrai
des missiles

du Nord.

aussi que le F. P.R. possédait très probablement
sol-air
et qu'il savait les manier. Au début de

la guerre, en octobre 1990, il s'en était
des
hélicoptères
des
F.A.R.,
ainsi

1.6

No. 1736 du 14-20 avril

1994.

servi pour abattre
qu'un
avion
de

15

reconnaissance

gouvernemental

au-dessus

outre, le 10 septembre 1991 un
effectuant une liaison Kigali-Benps

de

Kagitumba17•

En

Fokker 27 de la SCIBE
a été touché au-dessus de

l'endroit où les frontières rwandaise, zaïroise et ougandaise
se touchent. L'avion, qui a pu effectuer un atterrissage forcé
~ Goma, a vraisemblablement été abattu par le F.P.R., mais il
n'est pas certain que l'arme utilisée à cette occasion ait été
un missile sol-air.
D'autres éléments sembleraient pointer dans la direction du
F.P .R. Plusieurs sources affirment que la réunion de Dar-EsSalaam aurait duré plus longtemps que prévu, ce qui a obligé
le Président Habyarimana de rentrer plus tard, alors que, pour
des raisons de sécurité, il aurait souhaité atterrir à Kigali
avant la tombée de la nuit. c'est le Président ougandais
Museveni, allié du F.P.R., qui aurait fait trainer la rencontre. Un rapport fait en 1993 par des gendarmes français affirme que "la majeure partie" des attentats qu'a connus le Rwanda
en 1991-1992 a été commanditée par le F.P.R.19• Stephen smith
rapporte que cette "stratégie du pire" est admise par un
dirigeant du F.P.R. qui, sous le couvert de l'anonymat, ne
veut "exclure la mise en place d'une cellule autonome chargée
d'abattre Habyarimana". Cet informateur révèle qu'en sa présence, au mois de mar-s 1994, le Président du F.P.R. Alexis
Kanyarengwe a envisagé de "descendre" (guhanura) le Président
rwandais:Ô!O

Même

si

17

le

F.P.R.

avait

un

motif

et

l'expertise requise,

Libération, 29 juillet 1994.
On observera en passant qu'il s'agit d'une liaison
curieuse, puisqu 1 il n'existait pas de vol régulier
entre Kigali et Beni.

19

République Rwandaise, Gendarmerie Nationale 1 Centre
de Recherche Criminelle et de Documentation à Kigali, Etude sur le terrorisme au Rwanda depuis 1990,
juin 1993, 9 pages.

20

Libération, 29 juillet 1994.

16

d'autres éléments paraissent devoir écarter cette hypothèse.
D'abord, on sait d'où sont partis les missiles. Il s'agit des
environs immédiats d'un endroit qui s'appelle "La Ferme",
situé sur la piste qui relie la colline de Masaka à la route
principale Kigali-Rwamagana-Kibungo; "La Fermelt se trouve à
quelques centaines de mètres à vol d'oiseau de cette dernière
(voir carte 1). Or, non seulement cette zone est très éloignée
du cantonnement du F.P.R. au C.N.D., mais elle se trouve en
outre à deux kilomètres à peine du camp militaire de Kanombe.
De plus, la zone est densément peuplée, de surcroît par de
nombreux civils et militaires proches du régime. Enfin, il se
trouvait à la bifurcation entre la route nationale et la piste
de Masaka une position de la gendarmerie et des F.A.R.; cette
dernière donnée est très importante et j'y reviendrai dans un
autre contexte. Il aurait été difficile, sinon impossible pour
le F.P.R. de mettre en place une position de tir de missile à
"La Ferme".
[ici, faire attention et vérifier les récits selon lesquels le
FPR aurait déjà entamé son offensive le 5 avril, cf.
témoignage Wieme et Gatsinzi] Ensuite, manifestement le F.P.R.
a été pris au dépourvu, ce qui n'aurait pas été le cas s'il
avait été l'auteur de l'attentat. Mis à part quelques sorties
isolées dans la nuit du 6 au 7 avril, les éléments du
bataillon F.P.R. à Kigali n'engagent les combats que dans
l'après-midi du 7 avril; le gros de ses effectifs ne lance son
offensive dans le Nord que le 8 avril (les affirmations du
Capitaine Barril concernant une offensive entamée dès le 6
avril
ne
sont
soutenues
par
aucun
indice
sérieux).
contrairement à ce qui a été dit21 , les principaux cadres du
F.P.R. n'avaient pas quitté la capitale quelques jours
auparavant; des dirigeants civils importants comme Seth
Sendashonga, Jacques Bihozagara et Tito Rutaremara étaient à

21

Notamment par Jeune Afrique, No. 1736 du 14-20 avril
1994.

17

Kigali22 et risquaient leur peau. Manifestement, le F.P.R. n'a
pas utilisé l'effet de surprise; tout indique en fait qu'il
ait été surpris lui-même.
Quant à la variante, rien de sérieux ne prouve ni l'implication, ni même la présence de militaires belges. La thèse est en
fait uniquement basée sur des soi-disant "témoignages", dont
cependant les auteurs n'ont jamais été produits ou entendus,
ni même identifiés; il est ainsi question de "bérets bleus
d'autres nationalités" et "des habitants de la zone de Masaka", qui auraient vu le forfait commis par des militaires
belges, mais il s'agit chaque fois de sources de- seconde main
proches du régime23• Ces divers récits, pour peu plausibles
qu'ils soient, soulèvent toutefois une énigme. Il y est ques~ion de trois militaires belges exécutés après leur forfait
"par des soldats en colère,,24.De même, un document diffusé le
15 avril par le gouvernement rwandais affirme: "Trois $uspects
de ce même contingent belge ont été appréhendés au moment où
un groupe de 8 casques bleus de la MINUAR tentait de récupérer

22

La plupart des responsables du F.P.R. avaient déjà
quitté Kigali dès janvier. Depuis cette époque,
trois candidats ministres et/ou députés restaient à
Kigali dans un système de rotation d'une durée de
trois semaines. La présence des trois personnalités
citées (qui n'étaient pas des moindres) était donc
de routine.

23

Ainsi la déclaration déjà citée de Papias Ngaboyamahina, Spérancie Karwera dans Jeune Afrique No. 1736
du 14-20 avril 1994, ou encore la famille Habyarimana dans Jeune Afrique No. 1738-1739 du 28 avril - 11
mai 1994. De même, le 7 avril les Belges sont accusés sur les ondes de l'O.Z.R.T. par le "journaliste" Imana Ingulu, qui est en réalité un agent du
S.A.R.M. (Service d'action et de renseignement militaires) (De standaard, 18 avril 1994).'

24

On retrouve cette référence notamment dans les récits déjà cités de l'Ambassadeur Sengegera et de
Spérancie Karwera.

18

par la force la boîte

noire sur l'épave

dence ou non, dans l'après-midi
l'O.N.U.,

Joe sills,

res belgesU
autre récit
de garder
abattus

de l'avion

du 7 avril,

annonce que trois

un porte-parole

"observateurs

ont été tués. Le même chiffre
qui affirme que trois militaires

des armes consignées

dans la soirée

lorsqu'ils

de

militai-

rèvient dans un
belges26 chargés

au camp Kigali,

du 6 avril,

Coïnci-

"2S •

auraient

auraient

l'accès
à ce stock à des mil i ta ires rwandais.
verra que des témoins ont compté non pas dix,

été

refusé

Et enf in, on
mais onze ou

treize
corps de militaires
belges à la morgue du Centre
hospitalier
de Kigali dans la soirée du 7 avril.
Or on sait
que dix casques bleus belges ont trouvé la mort dans des
circonstances relativement bien connues et dont je reparlerai
plus
loin.
officiellement

Aucun autre
militaire
belge
ne
à l'appel,
alors qu'il semble difficile,

manque
voire

impossible de cacher le fait que le nombre de victimes
plus élevé que celui officiellement
reconnu.

est

Quant à l'implication
de militaires
belges dans l'attentat,
il
faut relever, commel'a fait le Ministère belge de la Défense
nationale en réaction aux accusations lancées, que la MINUAR
et dès lors les casques bleus belges ne disposaient pas de
missiles sol-air.
Concernant la "négligence inexplicable" des
berets bleus belges, il faut relever que ceux-ci, une quarantaine d'hommes à peine, gardaient uniquement l'aéroport,
alors
que les missiles ont été tirés
quatre kilomètres du périmètre

d'un endroit
de l'aéroport,

situé à près
et qu'entre

de
ce

dernier et "La Fermen se trouve le camp militaire
de Kanombe.
En ce qui est des Belges qui ont tenté upar la forceu de
récupérer la boîte noire,
c'est
le commandementdu secteur
Kigali de la MINUAR
qui a demandé d'envoyer une section du
,2S

République Rwandaise, Ministère des Affaires étrangères et de la coopération, Mise au point au sujet
de la tragédie rwandaise, Kigali, 15 avril 1994, p.
3.

26

En réalité,
il n'a avait au camp que des observateurs non armés, mais il n'y avait pas de Belges
parmi eux.

19

détachement aéroport ("groupe airfield") au lieu du crash. But
de la mission: contrôler que l'on ne modifie pas les lieux et
monter la garde autour de l'épave jusqu'à l'arrivée d'une
commission de contrôle. Le commandant de secteur, le Colonel
Luc Marchal, annonce que l'état-major des F.A.R. est avisé et
que celui-ci contacterait la garde du camp de Kanombe. Mais
lorsque, le 7 avril vers 4.15 heures, la section du Sergent
Maufroid arrive au corps de garde, elle est refoulée avec
agressivité27• Il n'est dès lors aucunement question d'accéder
IJparla force" à l'épave; se voyant refusé l'accès aux lieux,
le peloton Maufroid s'est retiré sans combats ni victimes.
Enfin, une autre révélation du Capitaine Barril: lors de
l'émission d'Antenne 2, il affirme disposer d'enregistrements
de la tour de contrôle où il aurait reconnu des "accents
belges". Non seulement Barril n'a-t-il jamais fait écouter ces
enregistrements, mais l'affirmation parait très peu plausible,
puisque les militaires de la MINUAR n'ont jamais accédé à la
tour de contrôle, et ce depuis le début de l'opération28•
Deuxième hypothèse~ des éléments radicaux du régime et de
l'armée; ,variante: des militaires français agissant pour le
compte de ces radicaux
Il s'agit d'une hypothèse qui a recueilli plus d'adhésion que
la première. Voyons d'abord les éléments- à charge.
D'abord,

le

motif.

Celui-ci

serait

le même

que

celui

qui

aurait poussé le F.P.R.: tant la démocratisation en général
que la mise en application des accords d'Arusha constituaient
pour les "ultras" du régime une menace existentielle, et ce
pour des raisons économiques et politico-idéologiques. Du
point de vue économique, pour le réseau mafieux de l'entourage

27

Journal de campagne, 2ème bataillon commando.

28

contrairement à ce que plusieurs sources ont affirmé. Ainsi Colette Braeckman (Rwanda..., op. cit.,
p. 174) écrit que l'les Belges se sont vu interdire
l'accès [à la tour de contrôle] depuis deux jours".

20

présidentiel,
vilèges,
les

c'était

les

de

toutes

Politiquement

et

"purs et durs" les accords

cheval

de

crainte

Troie

renforcé

de

façon

tutsi

au Burundi

(voir infra).

départ

pour

finalement

avaient

de

mettre

à la mise

en place

accords

d'Arusha.

D'après

matin

de cabinet

du 6 avril
les

avri129•
moment

des

insti tutions
Ruhigira

de

se

des

démocratique

avait

tergiversations

un projet

prévues

de

avait

et
par

les
son

instruction

de communiqué

à

le

annonçant

installées

d'ailleurs

de

celui-ci,

reçu

seraient

du crash pour faire approuver

de

dont

Habyarimana

témoignage

trouvait

les

sentiment

façon

institutions

transition

pour

bien que, avant même son

aux

Enoch Ruhigira

de rédiger

la

Président

fin

le

F.P.R.,
par

et

la porte au

à l'expérience

le

les pri-

les fraudes

ouvraient

du

Or il semble

procéder

directeur

d'Arusha

fin

Dar-Es-Salaam,
décidé

sortes,

dramatique

mis

fini

idéologiquement,

politico-militaire

militaires

que

du pot-aux-roses;

"exonérations"

spéculations.

Hutu

la fin

le

l'aéroport

8
au

le texte par le Président

Habyarimana.
Il

est

probable

inquiété

les

rencontre

que

radicaux,

discrète
rwandais

antécédents

très
ici

Le 2 avril,
l'O.N.D.,

général
Théoneste

avaient

déjà

été

et

pointent

rendait

Par

et

membre

(Directeur

de

de

la

même

après

une

entre

les
deux

direction.

vérification]

au

auquel

Nzirorera
l'akazu)

ait

par

ailleurs

visite

cabinet

l'Etat

irrités

du Secrétaire

Lors de l'entretien,
Joseph

de

Kampala

dans

spécial

Habyarimana,

Bagosora

à

de Booh-Booh,

Booh-Booh,

M.R.N.D.

mars

ougandais.

le représentant

Mme.
du

Chef

le témoignage

à Gisenyi.

également

du

le: 9

récents

Roger

Habyarimana

nlâch?,ge"

qui

tenue

Présidents
[intégrer

le

et

général

de

Président
assistaien
(Secrétair
le

au Ministère

Colone
de

l

Le 5 avril, M. Ruhigira
a déjà fait savoir à M.
Mamadou Kane, conseiller politique de M. Booh-Booh,
qu'il prévoyait qu'à son retour de Tanzanie le Chef
de l'Etat fasse une déclaration proposant une solution pour mettre
un terme
à l'impasse
politique
(témoignage de M. Booh-Booh dans une lettre à l'auteur, datée de Yaounde le 20 juillet 1995).

21

Défense

et

également

membre

de

l'akazu) ,

le

Président

Habyarimana aurait demandé à Booh-Booh d'informer BoutrosGhali que les institutions seraient mises en place le 8 avril.
Sur ce, Nzirorera se serait levé en déclarant: "On ne se
laissera pas faire, M. le Président". Deux jours plus tard,
lors d'une
sénégalaise

réception à l'occasion de la fête nationale
au contingent MINUAR de ce pays, le Colonel

Bagosora, qui avait manifestement bu un verre de trop, disait
devant plusieurs témoins que les accords d'Arusha n'offraient
aucune perspective et qu'il fallait exterminer tous les Tutsi.
voilà pour le motif. Qu'en est-il de l'occasion et des moyens?
On observera d'abord que la zone d'où sont partis les missiles
était contrôlée par l'armée rwandaise et on pourrait avancer
ici a contrario les arguments avancés plus haut pour disculper
le F .P .R. Il existe à ce titre un témoignage important, recueilli par l'auditorat militaire belge; j'ai par ailleurs pu
interroger moi-même à Kigali le témoin P.H. et recouper l'essentiel de sa déclaration. Le matin du 6 avril, entre 10 et
10.30 heures, P.H., en route pour le Lac Muhazi, voit une
position mixte (F.A.R. et gendarmerie) à l'endroit où la piste
de Masaka rejoint la route nationale vers Rwamagana et Kibungo
(il s'agit de la position que j'ai déjà évoquée en parlant de
la première hypothèse). Ayant travaillé en tant que mécanicien
civil pour l'armée rwandaise, P.H. est frappé par plusieurs
détails: en contravention aux règles en vigueur dans la zone
de Kigali (KWSA: Kigali Weapons Secure Area), où le déploiement d'armes lourdes est interdit, il reconnaît une mitrailleuse quadruple sous bâche sur une remorque attachée à une
jeep; en outre, deux des militaires portent un étui en webb à"
la bretelle; ces étuis semblent contenir des tuyaux d'environ
1,5 mètres de long30• Lorsque P.H. rentre à Kigali, il constate qu'autour de 19.45 heures, la position est toujours au même

30

Il est également frappé par la façon dont ces deux
militaires portent leur beret. C'est la base d'une
des hypothèses "françaises" sur lesquelles je reviendrai.

22

endroit.

Mêmes'il

fait

nuit,

il

remarque que la mitrailleuse

quadruple est débâchée. On peut déduire de ce témoignage
qu'une bonne demi-heure avant l'attentat,
une position militaire rwandaise, disposant vraisemblablement de deux missiles
sol-air,
se trouvait
à quelques centaines de mètres de "La
Ferme". Cependant, je ferai
tion

évidente

plus tard

qu'inspirerait

ce

la critique

constat

et

je

de la déducle

situerai

également dans une autre hypothèse.
Ensuite se pose le problème de la disponibilité
de missiles
sol-air
et de la capacité de les utiliser.
Diverses prises de
position
disposait

ont voulu faire
pas de missiles

admettre
sol-air,

que l'armée rwandaise ne
ce qui suffirait
en soi

pour la mettre hors cause. Or, d'après un rapport de Human
Rights Watch, qui a fait l'inventaire
des armes emportées au
par les F.A.R. après leur défaite,
ce stock comprend
notamment entre 40 et 50 missiles
SAM-7et 15 MistraP1, ce
Zaïre

qui prouve bien que l'armée rwandaise possédait en réalité
une
capacité sol-air
assez importante. Il est évidemment invraisemblable qu'une armée disposerait
d'un arsenal coûteux dont
il ne saurait
se servir,
même si on a argué que les tirs
n'auraient
pu être l'oeuvre
de militaires
n'ayant pas été formés à ce type d'exercice.
loin

sur

cette

affirmation,

qui

s'inscrit

rwandais, ceux-ci
On reviendra> plus
dans

la

"thèse

française".
deuxième

Cette

l'extraordinaire
gendarmerie ont

31

hypothèse

est

également

rapidité
avec laquelle
réagi après l'attentat.

étayée

les F.A.R.
Endéans les

par
et la
quinze

Human Rights Watch, Rwanda. A New Catastrophe?,
décembre 1994, p. 4. En fait,
le bataillon belge de
la MINUAR
avait reçu une information commequoi les
F.A.R. disposaient de 15 Mistral. Moins d'une semaine avant l'attentat,
le Centre Opérations (C-Ops) de
l'armée belge avait fait état du danger de tirs de
missiles contre les C-130 de la force aérienne belge
(entretien
avec les officiers
32 du 1er bataillon
para et du 2ème bataillon commando,Diest, 4 janvier
1995).

23

minutes,

des

barrages

l'aéroport
et ailleurs
éléments belges de la

sont

en

place

dans

la

région

de

en ville.
Déjà à 20.45 heures, des
MINUAR
et de la coopération technique

militaire
belge
(C.T.M.) sont immobilisés et
neutralisés
autour et à l'intérieur
de l'aéroport.
D'après des témoins qui
connaissent bien l'armée rwandaise, celle-ci
était
incapable
de réagir dans un si bref délai, si elle n'était
pas avertie
d'avance.
Le
fait
que
la
garde
présidentieile
immédiatement interdi t l'accès
à l'épave de l'avion
et
débris
des
témoignages

missiles
semblent

paraît
suggérer

ait
aux

également suspect.
D'autres
une connaissance préalable.

Ainsi, d'après un témoin, des barrages auraient été mis en
place dans le quartier Kimihurura dès 19.30 heures, près d'une
heure avant l' attentat32; vers 17 heures déjà, un militaire
aurait conseillé à une amie de rentrer chez elle, "parce qu'il
va y avoir quelque chose,,33; et, d'après un troisième témoin,
déjà dans la matinée,

vers 9 heures,

un cadre des interahamwe

employé chez Rwandex, aurait
annoncé à son patron que ilIa
guerre va recommencer ce soirtP4•
De plus, des éléments des
F.A.R., en particulier
Kanombe, ont, dès la

du bataillon
parachutistes
stationné à
soirée du 6 avril,
tué de nombreuses

personnes (certaines
sources parlent
de plusieurs
milliers)
dans la zone de Masaka. Ces tueries massives, qui ont commencé
dans la nuit du 6-7 avril,
ont été achevées dans celle
avril. A-t-on voulu éliminer des témoins gênants?
Dernier
tout
tour

élément à charge,

l'attentat

cas très dangereux à réaliser
de contrôle.
puisqu' il faisait

était

difficile

du 8-9

et

en

sans la complicité de la
nuit, les comploteurs ne

pouvaient uniquement travailler
à vue; il fallait
être sûr que
c'était
bien l'avion visé qui était en approche finale,
étant
donné que deux autres le suivaient
d'assez près (un C-130
belge à 15 minutes, le beech-craft
burundais à 30 minutes).
32

TémoignageJ. Birara,

Bruxelles

26 août 1994.

33

TémoignageG.A., Bruxelles 4 août 1994.

34

TémoignageA.V., Kigali 19 octobre 1994.

24

Alors que, on l'a vu, la MINUAR n'a jamais été présente dans
la tour, des éléments de l'armée rwandaise s'y trouvaient.
D'après ce qu'aurait relaté le pilote du Beech burundais au
journal Le Citoyen, le contrôleur à la tour de Kigali aurait
été épié par des militaires, "qui ne cessaient de lui demander
l'état de progression du Falcon't35• Une complicité au sol est
également suggérée" par le fait que les feux de l'aéroport ont
été éteints lors de la finale de l'avion présidentiel. Dans
une conversation avec le C-130 belge, le contrôleur affirme
qu,nil y a une panne de oour arrcv , à quoi l'équipage belge
rétorque qu'il ne comprend pas pourquoi alors la radio et les
balises ILS fonctionnent.
Url dernier point avancé pour soutenir cette hypothèse (ou sa
variante, voir infra) est le décollage, dans les 15-20 minutes
du crash, d'un avion léger, qui aurait vraisemblablement
évacué le commando responsable de l'attentat. Or le témoignage
du Capitaine Vandriessche, commandant du groupe airfield du
bataillon belge de la MINUAR, est formel: aucun avion n'a
décollé après l'attentat. Le bruit des moteurs que plusieurs
témoins affirment avoir entendu est sans doute celui du C-130
belge, arrivé au-dessus de l'aéroport environ 15 à 20 minutes
après le crash; il a circulé, feux éteints, à 22.000 pieds
(17.000 pieds au-dessus de Kigali) et dans
nuages, ses moteurs étaient audibles au so136.

une

nuit

sans

S'il est incontestable qu'un nombre d'éléments pointent dans
la direction des "durs" du régime, raison pour laquelle cette

35

Le citoyen, No. 29 du 1-15 avril 1994. Cependant,
les interprétations du citoyen doivent être lues
avec circonspection. Ainsi, il avance l'hypothèse
que l'avion burundais aurait été invité à passer de
la fréquence radio 124.3 à la fréquence 118.3, "parce que la première était surveillée par des militaires". Or il s'agit d'un changement de routine, la
124.3 étant destinée à l'approche et la 118.3 à la
finale.

36

Entretien avec l'équipage du vol AFB 683, Melsbroek
24 janvier 1995.

25

thèse a d'ailleurs reçu une adhésion considérable, ces indications ne sont pas univoques. stephen smith a faitremarquer
qu'au moins trois indices vont à l'encontre de cette thèse.
D'abord, le fait que le Colonel Elie sagatwa, un des principaux leaders de l'akazu, se trouvait lui-même dans l'avion;
ensuite, ni l'akazu ni leM.R.N.D.-C.D.R. n'avaient préparé la
relève; enfin, ce groupe, proche du Président Habyarimana,
n'avait nullement besoin d'abattre douze personnes, dont le
Président du Burundi; ils auraient facilement pu tuer Habyarimana d'une autre

f açon?",

En réalité et surtout, il nous manque la moindre indication
concrète et matérielle allant dans le sens des extrémistes
hutu. Bien sûr, des barrages sont très rapidement en place à
de nombreux endroits de Kigali, mais on verra que les tueries
politiques organisées par ce groupe ne débutent que dix heures
environ après l'attentat. Bien sûr, des éléments du bataillon
parachutiste tuent de nombreuses personnes à Masaka dès la
soirée du 6 avril, mais est-ce "pour éliminer des témoin::;;
gênants" ou s'agit-il d'une opération de ratissage et de
représailles? Quant à la position à la bifurcation de la piste
de Masaka, même si le témoignage de P.H. parait solide, une
question se pose: les auteurs de l'attentat seraient-ils
restés à découvert pr'ës de "La Ferme Il dès avant 10 heures du
matin, alors qu'ils savaient que l'avion ne rentrerait qu'en
fin

d'après-midi

et

qu'entretemps

ils

risquaient

d'être

repérés?
C'est autour de l'absence d'indications concrètes concernant
les auteurs matériels de l'attentat qu'apparaît la variante,
qui met en cause des militaires français. Il faut relever deux
témoignages dans ce cadre. Le premier est celui, déjà présenté
plus haut, de P.H., qui dit avoir été frappé par le fait que
les deux miiitaires portant les étuis qui auraient pu contenir

37

Libération, 29 juillet 1994.

26

les

lanceurs,

portaient

leur

P.R., ces deux militaires
peu à l'écart
des autres,

béret

"à la françaiseus8;

d'après

de race noire se tenaient quelque
et la tenue de l'armée rwandaise

qu'ils portaient était plus neuve. De là à déduire qu'il s'est
agi de militaires
français or-Lq Lna Lr'es des DOM-TOM,
il n'y a
qu'un pas, que l'on franchit peut-être un peu facilement. Le
deuxième témoignage ouvre également une piste française,
mais
il ne renforce pas forcément le premier, avec lequel il est
mêmeen contradiction.
Il s'agit
d'une lettre manuscrite reçue
vers la mi-juin 1994 par la journaliste
Colette Braeckman39•
La missive est datée du 29 mai et signée IIThaddée, chef de
milice
abattu

à Kigalill,

par

qui raconte que l'avion présidentiel
a été
deux militaires
français
du DAM! (Détachement

d'assistance
militaire
à
l'instruction),
opérant pou~ le
compte de quelques chefs de la C.D.R. IIThaddée" cite le nom
d'un

des Français:

Etienne.

Or nous connaissons

le

vrai

nom

40

d' "Etienne":
il s'agit
de Pascal Estrevada ,
dont on sait
qu'il avait fait partie de l'opération
Noroît. Ayant quitté le
pays à la fin de l'opération
en décembre 1993, il serait
revenu avec une dizaine ct' autres militaires
vrier 199441, et dès mai 1994 il se trouvait

français en féà Bujumbura dans

le cadre de l'opération
de protection rapprochée que la France
offrait
aux autorités burundaises. Cependant, le témoignage de
P.H. et celui de "Thaddée" ne se renforcent
pas, puisque
IIEtienne" est de race blanche et ne saurait être un des mili-

38

Alors que l'armée rwandaise, à la suite de l'armée
belge, porte le rabat du côté droit,
l'armée française le porte du côté gauche.

39

Pour des précisions,
voir
op. cit.,
p. 188-197.

40

Le prénom est un nom de guerre, qui commencepar la
pr esu.er'e lettre
du vrai nom de famille;
un autre
membredu DAMIprésent à Kigali le 6 avril,
le Lieutenant Ray, avait pour nomde guerre "Régis".

41

Plusieurs témoins ont remarqué des éléments du DAMI
de retour au Rwanda, en civil,
avant la date de
l'attentat.

C. BRAECKMAN,
Rwanda
... ,

27

taires noirs portant leur béret "à la françaiseu42•
D'autres suggestions et rumeurs se sont avérées invérifiables.
Ainsi, début juin 1994 une source de la C.I.A. affirme que
deux agents de la DGSE (Direction générale de la sécurité
extérieure)
appartenant
au camp
de Cercottes
(Loiret),
auraient été à l'origine de l'attentat. Cette affirmation, par
ailleurs pas assortie de preuves, est démentie par les milieux
de renseignements français4$. Ces derniers n'hésitent pas, eux
non plus, à brouiller les pistes en lançant des accusations
invérifiables et dont on ne parle plus par la suite; ainsi,
une source de la DGSE signale qu'une "société américaine
représentée en Centre-afriqueU~avait cherché à recruter, grâce
à

des intermédiaires belges, des mercenaires spécialisés dans

le maniement de missiles antichar et anti-aériens44•
Cela dit, de nombreuses zones d'ombre entourent la présence
française autour du moment de l'attentat. On a déjà évoqué le
retour clandestin d'éléments du DAMI, qui avaient quitté le
Rwanda à la fin de l'opération Noroît. Dans la nuit du 6 au 7
avril, deux membres du GIGN (Groupe d'intervention de la
Gendarmerie nationale), les adjudants-chef René Maïer et ~lain
Didot, ainsi que l'épouse du second, sont tués dans leur
maison, dite "La maison de l'agentU parce qu'un "correspondant Il de la DGSE l'avait occupée auparavantr'", Cette maison se

42

Verschave tente de concilier les deux témoignages en
disant qu'il s'est agi de "soldats de race blanche
(avec le soutien de deux soldats d'origine antillaise?)" (op. cit., p. 91). Le point d'interrogation
suggère que l'auteur se rend compte à quel point
cette version est forcée.

43

Le Monde,

18-19 juin 1994; Libération, 29 juillet

1994.
44

Le Monde, 28 juin 1994.

45

Voir pour des éléments de cette affaire: Le Monde,
28 juin 1994; Libération, 29 juillet 1994.

28

trouve près du rond-point
l 'hôtel
auteurs
loin

de Kimihurura46,

Méridien, ce : qui laisse
planer
de ce triple
meurtre47• En effet,

du camp de la

entre

le C.N.D. et

des doutes sur
l' endroi t n'est

Garde présidentielle,

mais le

les
pas

F. P. R. a

effectué des ~orties ponctuelles
dans cette zone durant la
nui t du 6 au 7 avril.
Pourquoi et par qui ont-ils
été tués?
Comments'explique-t-on

la discrétion

des autorités

françaises

au sujet de cet incident (la nouvelle de leur mort n'a été
rendue publique que le 11 avril et le certificat
de décès,
daté le 6 avril,
mentionne "mort accidentelle")?
Et surtout,
quelle était
la mission de Maïer et Didot? D'après un témoin
militaire,
ils effectuaient
un travail
d'écoute de communications,
notamment celles du F.P.R., à l'aide
de matériel sophistiqué.
Pour le compte de qui? Dans la mêmeveine, Colette
Braeckman fait état d'un témoin qui assure qu'un "mystérieux
ressortissant
étranger,
vraisemblablement
Français" ,
doté
d'équipements radio, aurait occupé jusqu'au jour de l'attentat
une chambre à l'Hôtel

des Diplomates48•

Autre zone d'ombre, alors
font interdire
l'accès
à

que les éléments de la MINUAR
se
l' endroi t où l'avion
présidentiel

s'est
écrasé, des militaires
français,
dont le Commandantde
St.Quentin, sont allés sur les lieux du crash dès la soirée du
6 avril et ils y sont retournés le lendemain. Ils y ont récolté des débris de l'avion et des missiles envoyés pour expertise

à

Paris49•

Alors

que ces

éléments

auraient

dû permettre

46

Et non, commel'a écrit Le Monde du 28 juin
dans la zone de Kanombe.

1994,

47

Colette Braeckman (Rwanda
... , op. cit.,
p. 196)
écrit que les trois ont été abattus par des membres
de la Garde présidentielle,
parce qu'ils
auraient
caché des Tutsi. Cela n'est pas prouvé et en réalité
peu probable, parce que les Français ont été tués
avant que la chasse aux Tutsi ne débute.

48

C. BRAECKMAN,
Rwanda
... , op. cit.,

49

Il Y a ici une autre énigme. D'après Stephen Smith
(Libération,
29 juillet
1994), un commandofrançais
serait retourné sur les lieux le matin du 10 avril,

p. 190.

29

l'identification du type d'arme utilisé, aucune conclusion n'a
jamais été rendue publique. On reviendra sur les enquêtes, ou
plutôt sur leur absence, mais déjà le mutisme de Paris interpelle.
Dernière énigme: le lendemain dé l'attentat de Kigali, François de Grossouvre se suicide à l'Elysée. Officiellement
Président du Comité des chasses présidentielles, de Grossouvre
était ami, confident et conseiller de François Mitterrand. Il
était bien au courant d'un nombre d' "affaires africaines",
notamment celles impliquant le fils du Président, Jean-Christophe Mitterrand, lorsque celui-ci dirigeait la cellule Afrique de l'Elysée. C'est grâce à l'appui de de Grossouvre qu'après sa mise en disponibilité suite à l'affaire des Irlandais
de Vincennes, le capâ t.a
i.ne Paul Barril a pu se mettre au
service de plusieurs Chefs d'Etat africains, dont Juvénal
HaOyarimana. De Grossouvre aurait été au courant de trafics de
drogues en provenance du Rwanda, trafics dans lesquels JeanChristophe Mitterrand et Jean-pierre, un des fils du Président
Habyarimana, auraient été impliqués; certaines sources affirment même que de Grossouvre y aurait été associé50• Le suicide
à l'Elysée de cette éminence grise aux liens brumeux avec les

magouilles

rwandaises,

moins

de

vingt-quatre

heures

après

l'attentat .de Kigali: simple coïncidence?
Alors que tous ces éléments confirment la profonde implication
de la France dans le guêpier rwandais, implication bien connue
et qui n'est pas neuve, en réalité les indications précises
d'une quelconque responsabilité française dans l'attentat luientre autres pour récupérer les corps des trois
membres d'équipage. Il est étonnant qu'on ait attendu plus de trois jours avant de les ramener, alors
que le site s'est avéré dès le début très accessible
pour les Français.
50

Pour une enquête pénétrante au sujet d'un certain
nombre dfl'affaires" de l'Elysée et du rôle joué par
de Grossouvre, mais sans la moindre référence à des
filières rwandais, voir J. MONTALDO, Mitterrand et
les 40 voleurs ..., Paris, Albin Michel, 1994.

30

même sont des plus minces.

En réalité, nous n'avons qu'une

lettre signée par un certain "Thaddée", par ailleurs inconnu,
et un témoignage de quelqu'un qui a vu deux militaires portant
leur béret "à la française". Dans le premier cas, la lettre qui est en fait anonyme- pourrait avoir été écrite par n'importe quel fantaisiste qu par quelqu'un désireux de brouiller
les pistes; dans le second, pour qui connaît la négligence
vestimentaire des militaires rwandais, l'argument en définitive ne pèse pas très lourd. Ces deux indices -et il s'agit des
seuls suggérant une implication française concrète et immédiate dans l'attentat- ne suffisent tout simplement pas.
En réalité, le consensus qui semble vouloir que des étrangers
-Belges, Français ou autres Sud-Africains- aient été impliqués
dans l'attentat est essentiellement basé sur la conviction
qu'il a été l'oeuvre de spécialistes et que des militaires
rwandais n'en auraient pas été capables. Ainsi, l'ancien
Ministre rwandais de la Défense James Gasana dit qu'à sa
connaissance, "aucun militaire des FAR n'avait été formé à
l'utilisation des missiles sol-air du genre utilisé dans
l'attentat"5~. Ne l'affirme-t-on pas un peu vite? Il semble en
effet que deux missiles sol-air aient été tirés; il s'agit
d'armes autoguidées à infrarouge, dites "fire and forget", qui
-même s'il ne suffit pas de pousser simplement un bouton- ne
sont pas d'un usage particulièrement sophistiqué. Colette
Braeckman déduit du fait qu'un tir en doublé a été effectué
qu'on ait voulu déjouer le système de défense de l'avion, ce
qui supposerait une certaine expertise52;
cependant, rien
n'indique que l'appareil était équipé d'un leurre. Comme dit
plus haut, l'armée rwandaise disposait de missiles sol-air des
types Sam-7 et Mistral; ne serait-ce pas normal quelle

51.

J. GASANA, Qui est responsable de l'attentat contre
le président Juvénal Habyarimana?, in: A. GUICHAOUA
(Ed.), Les crises politiques au Burundi et au Rwanda
(1993-1994), Lille, Université des Sciences et Technologies, 1995, p. 691.

52

C. BRAECKMAN, Rwanda ..., op. cit., p. 176.

31

possédait également la capacité de les utiliser?

Troisième hypothèse: la filière burundaise
Même si elle est très peu vraisemblable, j'examine sommairement cette troisième hypothèse, parce qu'elle a été évoquée et
qu'en effet elle repose sur l'un ou l'autre indice. Ce serait
le Président burundais Cyprien Ntaryamira qui aurait été visé
et non son homologue rwandais.
Deux choses sont acquises dans ce contexte. Primo, la participation de Ntaryamira au sommet de Dar-Es-Salaam était très mal
vue de l'opposition burundaise. Le journal Le citoyen53, sous
le titre "Le sommet de la trahison et de la mort", rend bien
ce sentiment: il relève que le sommet "était dès le départ
entouré de mystère si bien que feu Président Ntaryamira s'y
est rendu discrètement; pas de communiqué officiel informant
la population du déplacement du Chef de l'Etat, la presse
officielle n'en parlera qu'à partir des bribes recueillies
auprès des agences de presse internationales". "Sommet controversé Il
, parce que devant aboutir au I1démantèlementde l'armée
burundaisel1, toujours d'après Le citoyen. D'ailleurs, le
communiqué sanctionnant la rencontre de Dar-Es-Salaam stipule
dans son point 5c) que les chefs d'Etat et de délégation
"demandent que soit mis en place d'urgence un programme de
réforme de l'armée et des autres services de sécurité", ce qui
confirmait les pires craintes de milieux civils et militaires
de l'opposition burundaise. Secundo, d'après l'épouse du copilote qui avait l'habitude de suivre sur sa radio les communications de l'avion en phase d'approche, la tour de contrôle
a demandé à plusieurs reprises de préciser si le Président
burundais était bien à bord. La question a été tellement
répétée que le commandant, exaspéré, a fini par répondre qu"il

53

No. 29 du 1-15 avril 1994.

32

n'y a personne à bord".
L'hypothèse d'un attentat perpétré contre le Président Ntaryamira paraît cependant très peu probable. Ce n'est en effet
qu'à la dernière minute qu'avant le départ de Dar-Es-Salaam il
a été décidé que Ntaryamira emprunterait l'avion présidentiel
rwandalsë", Il est pratiquement exclu qu'on ait pu mettre en
place un dispositif d'attentat entre le départ de l'avion à
Dar-Es-Salaam et le moment de l'attentat à Kigali. En réalité,
le seul élément concret qui a fait penser à un attentat "burundais" sont les demandes répétées adressées par la tour de
contrôle à l'équipage de l'avion concernant la présence à bord
du Président Ntaryamira. Il est vrai que cela interpelle,
d'autant plus que l'Ambassadeur du Burundi à Kigali n'a été
avisé de la présence de son Président à bord de l'avion qu r
à

20.45 heures, c'est-à-dire après le crash. Ce
lorsque
l'Ambassadeur
Mfatiye
vérifie
à
la

n'est que
présidence

rwandaise qu'on lui apprend que l'avion s'est écrasé55•
Quatrième hypothèse: un "coup démocratigue" gui a mal tourné
Cette quatrième hypothèse n'a jamais été explorée, même si
elle a été suggérée à un moment donné par des représentants de
l'ancien régimes". C'est pour cette raison et également parce

54

La raison de cette décision n'est pas tout à fait
claire. Contrairement à ce qui a été écrit, l'avion
burundais n'était pas en panne. Une version dit que
Ntaryamira estimait que l'avion, un beechcraft affrêté par le gouvernement burundais, était trop lent
et bruyant. Une autre avance que la sûreté burundaise craignait un attentat. L'avion présidentiel burundais, un Falcon 50, était en révision et Habyarimana avait déjà offert un "lift" à Ntaryamira à
l'occasion d'une rencontre à Gbadolite deux jours
plus tôt.

55

Entretien avec S. Mfatiye, Bruxelles, 27 juin 1995.

56

Dans une déclaration faite par Mathieu Ngirumpatse,
Président du M.R.N.D., et Justin Mugenzi, Ministre
du Commerce dans le "gouvernement intérimaire", à
Nairobi autour du 20 avril 1994, le Premier Ministre

33

que la deuxième hypothèse paraissait
que. cette piste n'a pas été suivie57•
circonstances

qui

m'a

conduit

à

la plus vraisemblable,
C'est un concours de

m'intéresser

à

cette

hy-

pothèse. En effet, ayant appris un certain nombre d'éléments
factuels dont un témoin important, le Chef d'état-major de la
gendarmerie, le Général-Major Augustin Ndindiliyimana, devait
être au courant, je lui ai tout naturellement soumis ces
faits. Or, alors qu'ils sont incontestables, il les nie complètement. C'est ce qui m'a interpellé: pourquoi ment-il?
Qu'est-ce qu'il cache?
Voyons d'abord ces faits. Alors que formellement il est en
congé (qui devait s'étendre du 1er au 8 avril), le 5 avril
lors d'une réunion avec la MINUAR, Ndindiliyimana annonce
qu'on procédera à une opération de fouille et de désarmement
dans le secteur de Nyakabanda. Cette décision n'étonne personne. On avait déjà procédé à une opération du même genre à
Kacyiru, mais celle-ci s'était soldée par un échec; on s'était
promis à l'époque de tirer les leçons et de reconduire des
opérations de ce genre. La nouvelle opération doit avoir lieu
à 4.30 heures le matin du 7 avril. Dans la matinée du 6 avril,
une réunion de coordination à l'état-major de la Gendarmerie
prend les dispositions concrètes pour l'opération du lendemain: appui de la MINUAR en personnel et logistique, assistance du parquet (qui doit fournir des mandats de perquisition
et d'amener). En outre, les compagnies de la Gendarmerie à
Kigali seront consignées dans leurs camps durant la nuit du 6

Agathe uwilingiyimana est accusée d'avoir voulu
organiser un coup d'Etat. Faisant référence à une
réunion tenue chez elle le 4 avril, ils affirment
que "le Premier Ministre avait convoqué quelques
officiers supérieurs et leur avait dit son intention
d'organiser un coup d'état contre le Président".
57

Même si La cité du 14 avril 1994 cite un "intellectuel tutsi" qui invite à explorer la piste des officiers sudistes qu'a ulcérés l'assassinat par un
escadron de la mort, en février 1994, de l'ancien
Ministre des Travaux publics Félicien Gatabazi, issu
de leur région.

34

au 7 avril. J'aurais sans doute classé cela sous la rubrique
des coïncidences, si le Général Ndindiliyimana, qui a personnellement décidé et annoncé qu'on procéderait à cette opération, ne niait pas que cette décision ait été prise.
Il Y a plus. Le 4 avril, des officiers de la Gendarmerie
originaires du sud se sont réunis chez le Premier Ministre.
R.T.L.M. en faisait état dans la soirée du même jour et le
Premier Ministre ne nie pas que cette rencontre a eu lieu;
d'après elle, on a "partagé un verre" à cette occasion. Or, la
façon dont ces jeunes officiers, des lieutenants et souslieutenants pour la plupart, ont été conviés à ce "verre" est
assez curieuse; c'est en effet le Lieutenant Iradukunda,
juriste travaillant à l'état-major de la Gendarmerie, qui est
allé chercher chez eux les autres officiers afin de les conduire chez Mme. Uwilingiyimana. Il est frappant qu'une fois de
plus, le Général Ndindiliyimana prétend ne pas avoir été au
courant de cette rencontre, dont il n'aurait appris la tenue
que le soir du 4 avril, lorsque le Colonel Gatsinzi l'aurait
appelé de Butare pour lui dire que R.T.L.li. en avait fait
état. C'est difficile à croire: Ndindiliyimana était à Kigali
au moment de la rencontre, qui réunissait des officiers de la
Gendarmerie, son corps, et originaires du sud, sa région; il
avait des liens d'amitié étroits avec le Premier Ministre,
originaire de la même commune (Nyaruhengeri) que lui; son
propre officier de liaison MINUAR et ancien G2 (renseignements), le Major Pierre-Claver Karangwa, ainsi que le Major
Edouard Gasarabwe, originaire comme lui de Butare, étaient au
courant de la rencontre; enfin, le Colonel Gatsinzi affirme
qu'il n'a pas appelé Ndindiliyimana pour l'informer de la
rencontre.
Enfin, autour

de

21 heures

le

6 avril, un

officier belge

résidant en Belgique mais ayant des liens étroits avec l'armée
rwandaise, ayant appris que "quelque chose" se passe au Rwanda, appelle la ligne directe du Chef d'état-major des F.A.R.,
le Général Nsabimana, dont il ne sait pas qu'il a· péri dans

35

l'attentat.

C'est

le

Général

Ndindiliyimana

qui

répond

au

téléphone. Une fois de plus, ce dernier nie, alors que l'officier belge n'a aucune raison de mentir.
Rappelons un autre élément avant de formuler une hypothèse. La
position à la bifurcation de la piste de Masaka, dont on a
déjà parlé à plusieurs reprises, était composée en partie de
gendarmes. Ce poste dépendait en fait d'une antenne que la
Gendarmerie avait stationnée à Kabuga, non loin de là.
A présent, l'hypothèse. Des officiers "démocratiques", orlgl.naires surtout du sud et relevant surtout de la Gendarmerie,
excédés par les multiples blocages dans la mise en place des
institutions prévues par les accords d'Arusha, exaspérés par
les meurtres politiques touchant les leurs (cf. le cas Gatabazi, voir infra) et craignant une campagne de violences à
l'encontre des Banyenduga (les ressortissants des préfectures
autres que celles du nord), auraient décidé que la seule voie
de salut passait par la disparition de la cause majeure de ce
blocage et des
création
d'un

menaces, le régime Habyarimana, et par la
vide
institutionnel.
Dans
l'esprit
des

comploteurs, la chose aurait été relativement simple et on
saurait à peine parler d'un coup d'Etat: il aurait en effet
suffi de pourvoir au vide institutionnel ainsi créé, et pour
ce faire, le seul cadre était évidemment celui prévu par les
accords d'Arusha.
Ce scénario était manifestement pris très au sérieux par
l'entourage du Président Habyarimana. Des militaires de la
Garde présidentielle ont confié plus tard à un de mes informateurs58 qu'ils soupçonnaient Agathe Uwilingiyimana et Faustin
Twagiramungu de complicité dans l'attentat. Ils affirment même
qu'on aurait' trouvé le discours que le Premier Ministre comptait prononcer à la radio; elle y aurait voulu annoncer l'installation d'une Assemblée nationale de transition à composi-

58

Témoignage M. S. M., Bruxelles 22 février 1995.

36

tion voulue par le F.P.R. "et ses alliés". Ils estiment enfin
que la réunion du 4 avril avait pour objet les préparatifs
d'un coup d'état. On retrouve le même soupçon chez le Colonel
Bagosora, dont on suivra plus loin le parcours. Appelé à
l'état-major après l'attentat, il se rend d'abord au Ministère
de la Défense pour téléphoner à l'état-major afin de savoir
,
quels officiers y sont présents: évoquant le "plan du coup
d'Etat", il dit avoir eu·peur qu'il s'agissait d'un complot et
qu'il risquait sa vie en se rendant à l'état-major: d'après
son récit, ce n'est qu'en apprenant que plusieurs
étaient présents qu'il aurait décidé d'y allers9•

"amis"

La séquence des événements à partir de l'attentat, séquence
qu'on décrira en plus de détail plus loin, est plus conforme à
cette hypothèse qu'aux autres scénarios. si le Premier Ministre avait pu, dans cette hypothèse, prononcer le discours
qu'elle projetait de faire à la radio tôt le matin du 7 avril,
elle aurait pu annoncer que le gouvernement assumait la gestion des affaires courantes et que les institutions de la transition seraient mises en place. On rétorquera que, en l'absence
de soutien militaire suffisant, ce plan était suicidaire et ne
pouvait aboutir. Je réponds que c'est exactement ce qui s'est
passé et que les durs du régime ne se sont pas laissés faire,
mais que le caractère irréaliste du plan n'exclut pas qu'il
ait existé. On verra que les militaires veulent à tout prix
empêcher le Premier Ministre de faire une déclaration à la
radio. Pourquoi cet acharnement, si ce n'est parce qu'on
craint qu'elle créera le fait accompli? On constate également
que, même s'il est vrai que des barrages sont mis en place
rapidement après l'attentat, ce n'est que vers la fin de la
nuit, à partir de 5-6 heures, que les tueries politiques
commencent. Serait-ce parce que les "durs" sont initialement
pris au dépourvu et qu'un des plus importants de leurs chefs
de file, le Colonel Bagosora, est occupé par d'autres tâches,
plus "officielles", en début de nuit (voir infra)? On y
59

Témoignage Th. Bagosora, par le biais de son avocat
Me. Luc De Temmerman, Goma 13 octobre 1994.

37

reviendra,

mais

constatons

déjà

que

parmi

les

personnes

assassinées tard dans la nuit et dans la matinée du 7 avril,
se trouvent ceux nécessaires pour la mise en application du
scénario évoqué ici. Les violences seraient alors un contrecoup opéré, comme l'avaient fait les putschistes burundais
d'octobre 1993 (voir infra), avec la constitution en main. En
effet, on retrouve parmi les premières victimes:
- Agathe Uwilingiyimana, le Premier Ministre, dont le gouvernement devait expédier les affaires courantes, en ce compris
mener les démarches nécessaires pour combler le vide institutionnel;
- Joseph Kavaruganda, le Président de la Cour constitutionnelle, indispensable pour recevoir le serment des nouveaux ministres et députés60;
- Félicien Ngango (P.S.D.) et Landoald Ndasingwa (P.L. ), les
deux candidats à la présidence de l'Assemblée nationale de
transition.
Résumons. Des officiers du sud appartenant surtout à la
Gendarmerie auraient préparé un coup en accord avec le Premier
Ministre et probablement avec le Premier Ministre désigné par
les accords d'Arusha, Faustin Twagiramungu. Ce coup
l'attentat contre l'avion présidentiel- aurait crée un vide
institutionnel permettant de débloquer l'application des
accords d'Arusha. Dans la seconde moitié de la nuit, ceux
opposés à ce scénario auraient effectué une riposte qui
l'aurait rendu impossible à réaliser, en créant d'abord un
contre-vide institutionnel et, dans la logique de celui-ci, en
entamant une campagne d'extermination politique préparée
depuis longtemps et qui allait rapidement prendre une allure
génocidaire.
Qu'on me comprenne bien. J'ai utilisé le conditionnel et ce

60

En vertu de l'article 9 du protocole du 3 août 1993,
il devait d'ailleurs présider la première séance de
l'Assemblée nationale de transition en l'absence du
Président de la République.

38

qui

est

décr i t

ici

n'est

qu'une

hypothèse.

Toutefois,

elle

n'est pas soutenue par moins d'éléments que les autres scénarios évoqués, et elle souffre de la mêmefaiblesse,
puisque
nous ne disposons d'aucune indication concrète concernant les
auteurs matériels de l'attentat.
Par ailleurs,
on verra plus
loin que ce scénario ne diminue en rien la responsabilité
de
ceux qui ont initié
le génocide et les massacres poli tiques.
Seulement, dans l'hypothèse évoquée ici, ceux responsables de
l'attentat
et ceux responsables des violences qui l'ont suivi
ne seraient

pas les mêmes.

L'écran de fumée
Il est étonnant en soi que, un an et demi après l'attentat,
l'on en soit toujours à des suppositions que ne viennent pas
réellement renforcer des preuves, ni mêmedes indices matériels.
En fait,
aucune version n'a à l'heure actuelle
"neuf
chances sur dix d' être exactefl6~, loin de là. colette Braeckman, qui s'est pourtant acharnée sur ce dossier, admet qu'flaucune hypothèse ne peut être excLue"?". Plusieurs personnes ont
dû être impliquées dans le complot, et il est dès lors surprenant qu'aucune fuite fiable n'est venue à la rescousse de la
découverte de la vérité.
Verschave constate que toutes les
parties
concernées
"sont
susceptibles
de
toutes
désinformations,
et passent des alliances
conjoncturelles
de
rétention d' Lnf or-mat.Lon"?",
Cela dit,
l'absence de la moindre
fuite réellement utile semble bien mo~trer que l'attentat
a dû
être
le fait
d'un très
petit
groupe, bien discipliné
et
professionnel.
Aucun des ensembles habituellement
mis en
cause, nIes ultras du régimefl, nIa Garde présidentielle"
(par
ailleurs,
on le verra, très loyale au président) et a fortiori

C'est ce qu'écrit
François-Xavier Verschave à ·propos
de la thèse élaborée par Colette Braeckman: QIh.
cit.,
p. 95.
62

C. BRAECKMAN,
Rwanda
... , op. cit.,

p. 199.

63

Complicité de génocide?, op. cit.,

p. 83.

39

"l'armée rwandaise", "le F.P •R. ", n'est probablement, ne fûtce que pour cette raison, responsable en tant que telle au
dans son ensemble.
En réalité, personne ne semble vouloir vraiment savoir: ni
l 'o. N .U., ni la Be.l.q i.que?", ni la F;rance, ni l'ancien pouvoir
rwandais,

ni

les nouvelles

autorités

de

Kigali,

alors que

chacun de ceux-ci est concerné d'une façon ou d'une autre.· En
ce qui concerne l'O.N.U., on a vu que la Garde présidentielle
a interdit l'accès à l'épave à un
MINUAR65• Même si, dès le 8 avril,

peloton belge de la
l'O.N.U. demande une

enquête internationale neutre et que, le 27 juin, le
Secrétaire général Boutros-Ghali est chargé d'une enquête par
le conseil de sécurité, rien ne semble avoir été entrepris et
la chose a quitté silencieusement l'ordre du jour. De même,
dans les jours qui suivent l'attentat, la Belgique demande à
l'OACI (Organisation de l'aviation civile internationale)
d'ouvrir une enquête, mais celle-ci ne paraît pas avoir eu
lieu. Dans un premier te~ps, les enquêteurs belges sont gênés
par les rapports de "bon voisinage" entre Paris et Bruxelles
et très concrètement par la candidature du Premier Ministre
belge J . L.
Dehaene à
la présidence de
la commission
européenne, candidature soutenue notamment par la France. Dans
le cadre de l'instruction par l'auditorat militaire,
témoins ont été entendus et une enquête balistique a

des
été

entreprise; juste avant d'accéder à l'éméritat en janvier 1995
et après avoir dû insister pendant des mois, l'auditeur Van
Winsen a même pu mener une commission rogatoire au Rwanda.
Tout cela ne semble pas avoir donné grande chose, du moins en
ce qui concerne l'attentat.

64

Exception faite de l'auditorat militaire, qui s'est
intéressé de façon marginale à l'attentat, qui dépassait son mandat.

65

Dans un communiqué diffusé le 8 avril 1994, le représentant spécial Boah-Bcch dit: "La MINUAR insiste
également sur la nécessité de prendre part, dans les
meilleurs délais, aux enquêtes qui permettront de
déterminer les causes du crash de l'avion (...)".

40

Du côté

français,

les

données que

d'éventuelles

enquêtes

auraient
s'appelle

pu fournir sont entourées par un mur en béton qui
"secret défense". Il est incontestable,
on l'a vu,

que des militaires
français,
dont le Commandant
de st. Quentin, ont visité les lieux du crash à diverses reprises et que
des débris de l'avion et des missiles ont été récoltés.
Divers
"services" français, dont le GIGN,la DGSE
et le DAMI,se sont
acti vement intéressés
au Rwanda où ils avaient des agents.
s'ils
sont aussi efficaces
qu'ils
prétendent l'être,
Paris
doit posséder de nombreuses informations,
mais la France
officielle
est muette. Entre alors en scène, le 27 juin 1994,
le Capitaine Paul Barril,
pour un bref numéro devant les
caméras d'Antenne 2. Il montre une boîte, dont il prétend que
c'est la "boîte noire" de l'avion qu'il aurait récupérée lors
d'un récent voyage à Kigali, et il dit la tenir à la disposition des
vite être

instances internationales.
La "révélation"
s'avère
soit un coup d'éclat publicitaire,
soit une opérati-

on de brouillage devant neutraliser
l'accusation
lancée contre
des Français par Colette Braeckmanune dizaine de jours plus
tôt.
En effet,
les véritables
"boîtes noires,,66 sont en réalité

de couleur

orange et

l'objet

que Barril

montre est

un

instrument de navigation Oméga, incapable d'enregistrer
quoi
que ce soit.
Qui plus est, d'après Dassault Falcon Service,
qui assurait la maintenance de l' avi on'" , celui -ci n'a jamais
été équipé d'une boîte noire et ne l'était
toujours pas lors

66

Il Y a en effet deux "boîtes noires":
voice recorder" et le "digi tal flight
der".

le "cockpit
data recor-

67

Ici encore, il y a du flou dans l'air:
la société
SATIF (Service et assistance
en techniques industrielles
françaises),
qu'on dit. proche de certains
"services" français,
qui a fait place à ASI (Aéroservices International),
se serait occupée de l'entretien
de l' avi on et de la gestion de l'équipage.
Cet équipage était constitué de coopérants militaires, dont un au moins est un ancien du GLAM
(Groupement de liaison aériennes ministérielles),
service
dissout immédiatement après l'élection
de Jacques
Chirac à la présidence.

41
de

son

dernier

que Barril
tour

entretien,

affirme

de contrôle

do-ougandaise,
trements,
deux

également
et

vu

lanceurs

disposer

personne

ces

de

n'a

photos.

aurait

rencontré

un témoin

yeux

qu'environ

un

après

avoir

ont

emporté

lui-même

pourquoi

l'armée

pourvu de tout
Enfin,
le

ni

déjà
bura

citée

lancer

lieux

rwandaise

les

aurait

ni

Il

une enquête

octobre

1994,

sur

les

a vu de ses

des

militaires

ne peut

donc

on

remis

nouveau
l'affaire.

[1 le

se
à

les

demande bien
quelqu'un

comprendre

que

rwandais

Même si

gouvernement

internationale
ni

dé-

Tito

enquêtant

l'attentat

En somme, personne

était
ne veut

le

loin

note
est

décidé

de

de l'attentat",

effectuée.

en

Et lorsqu'en
Président

génocide,
d'être

verbale

du Rwanda à Bujum-

Rutaremara,

sur

n'expriment

la

rwandais

au sujet

demandée ni

j'interrogeais

du F.P.R.

régime

1994 de l'Ambassade

n'est

commission
taire.

le

pour

que

celle-ci

et

les

mandat officiel.

du 21 avril

réalité

Barril

;

les

intérêt

affirme

lanceurs

posséder

qui

,

l'attentat,

sur

l'ancien

moindre

les

trouvé

à Masaka

rwanenregis-

retrouvé
69

7o

ces

di t

dit

de la

frontière

entendu

Barril

qu'il

Or j'ai

mois

de la

Enfin,

missiles,

On a dé j à

d'enregistrements

jam.ais

lieux.

rwandais

199368•

novembre

de photos-satellite

mais

ni

en

il

d'une

me faisait

un souci

priori-

savoir ...

68

Les avions de pl us de 5,7 tonnes
(c'est
le cas : du
Falcon 50) sont normalement équipés
de deux boîtes
noires,
mais celles-ci
ne sont pas obligatoires
pour
des avions n'assurant
pas le transport
régulier
de
passagers
payants.

69

Entretien
avec le
20 octobre 1994.

70

Encore une énigme: pourquoi l'armée rwandaise n'a-telle
visité
le lieu d'où les missiles
ont été tirés
qu'un mois après l'attentat?
Ce retard
dans la découverte
des lanceurs
serait
une autre
indication
à
décharge des F.A.R.; en effet,
si elles
avaient tiré
les missiles
elles-mêmes,
elles
les auraient
probablement enlevés immédiatement.

conseiller

de

secteur

de Masaka,

42
DEUX PARCOURS DANS LA NUIT

Le hasard veut que le sommet de l'armée rwandaise est dégarni
au moment de l'attentat. Le Général-Major Déo Nsabimana, chef
d'état-major, vient de trouver la mort dans l'avion présidentiel; le Ministre de la Défense et l'officier G2 (Renseignements militaires) le Colonel Ntiwiragabo, se trouvent au
Cameroun; le Colonel Kabiligi, officier G3 (Opérations) est en
mission en Egypte7~. Etaient à Kigali, le soir du 6 avril, les
officiers supérieurs
Ndindiliyimana, chef

suivants: le Général-Major Augustin
d'état-major de la Gendarmerie, qui

techniquement parlant ne fait pas partie
Colonel Théoneste Bagosora, le directeur

de l'armée;
de cabinet

le
du

Ministère de la Défense, qui remplace son ministre absent,
mais qui n'est plus officier d'active; le Colonel Leonidas
Rusatira, commandant de
fonction opérationnelle

l'Ecole supérieure militaire, sans
au sein de l'armée; le Colonel

Murasampongo, officier Gl (Personnel); en outre, il n'y avait
guère que des officiers de permanence et de liaison.
D'après son témoignage, le Colonel Bagosora se trouve depuis
18 heures au quartier général du contingent bengali de la
MINUAR, où il est invité à dîner. Lorsqu'il rentre chez lui à
Kimihurura vers 21 heures, son épouse lui apprend que l'avion
du Président de la République a été abattu et que l'état-major
est à sa recherche; il doit s'y rendre aussitôt. C'est ce
qu'il fait, non sans être .passé par le cabinet du Ministère de
la Défense pour s'assurer qu'il ne tombe pas dans un piège. A
l'état-major il retrouve d'autres officiers, déjà présents

71

On fera remarquer en passant qu'on peut se poser des
questions à propos de ces missions. L'Egypte avait
fourni des armes au Rwanda dans le passé; le Cameroun est le pays d'origine du Représentant spécial
au Rwanda du Secrétaire général de l'ONU, Jacques
Roger Booh-Booh, un parent du Président camerounais
Biya, qui à son tour a d'excellents rapports avec le
Président Habyarimana; certains "barons" du régime
Habyarimana se sont par la suite installés au Cameroun.

43

dans la salle de réunion.
Selon le récit

du Général Ndindiliyimana,

il est chez lui

lorsqu1autour de 20.30 heures il est appelé par son officier
de liaison MINUAR, le Major Karangwa, qui lui apprend que
l'avion vient d'être abattu. Dix minutes plus tard, la nouvelle est confirmée par le directeur de cabinet de la présidence,
Enoch Ruhigira, qui rentre de l'aéroport (voir supra). Ndindiliyimana part alors "aux nouvelles" à l'état-major, où il
arrive autour de 21 heures et il rejoint la réunion72• Contrairement à Bagosora, il ne prend aucune précaution et ne
semble pas craindre le traquenard.
Parmi les officiers présents on note, à part Bagosora et
Ndindiliyimana,
le Colonel Murasampongo, les LieutenantColonels Kayumba (officier de permanence au Ministère de la
Défense) et Rwabalinda (officier de liaison avec la MINUAR) et
les Majors Ntamagezo (officier de permanence à l'état-major)
et Kanyandekwe (officier du bureau opérations). Le Général
Dallaire assiste à la réunion dès X heures. Autour de 22
heures, il demandera au Colonel Marchal, commandant du secteur
Kigali, de l'y rejoindre; ayant eu des problèmes pour s'y
rendre à cause des barrages de blindés dans le quartier
Kiyovu, ce dernier n'arrive qu'autour de 23 heures. De même,
le Colonel Rusatira sera invité plus tard dans la soirée par
le Général Ndindiliyimana, qui veut s'assurer le soutien d'un
autre "modéré". Les officiers présents se constituent en
"comité de crise", qui va être formalisé le lendemain. La
réunion semble être dirigée par Ndindiliyimana et Bagosora,
même si le premier affirme que c'est uniquement le second qui
assumait la direction en tant que remplaçant du Ministre de la
Défense. Au cours de la réunion, le Colonel Laurent Serubuga,
ancien Chef d'état-major de l'armée appelle pour proposer ses
services

72

ainsi

que

ceux

du

Colonel

Pierre-Célestin

Le récit de cette réunion qui suit est basé sur le
témoignage des Généraux Ndindiliyimana et Dallaire
et des Colonels Rusatira, Bagesora et Marchal.

44

Rwagafilita,

ancien Chef d'état-major de la gendarmerie. En

juin 1992, ces deux officiers associés à l'akazu avaient été
mis à la retraite par le premier gouvernement de transition et
remplacés par des successeurs nettement mieux cotés.
Deux questions principales sont abordées. Il faut d'abord
remplacer le chef d'état-major de l'armée, qui a péri dans
l'attentat. Le choix aurait normalement dû se porter sur le
Colonel Rusatira, officier le plus ancien dans le grade le
plus élevé. Or depuis de nombreuses années, les rapports entre
celui-ci et le Colonel Bagosora sont très mauvais. Prédécesseur de Bagosora comme directeur de cabinet au Ministère de la
Défense, Rusatira avait tenté de limiter les excès de l'akazu,
ce qui l'avait souvent mis en conflit avec les Colonels Sagatwa et Bagosora, les relais les plus importants de l'akazu dans
l'armée. La nomination de Rusatira à l'ESM avait constitué une
véritable mise en voie de garage. Bagosora s'est dès lors
'opposé à la nomination de Rusatira et la décision de nommer le
Colonel Marcel Gatsinzi, à titre intérimaire, semble être le
fruit d'un compromis entre la tendance akazu et les autres
officiers. Pour les hommes du Nord, le choix de Gatsinzi n'est
pas sans avantages. Même s'il est originaire de Kigali, il est
"comptabilisé"
comme
sudiste
("Munyenduga") et
il
est
attrayant de pouvoir mettre la catastrophe qui se prépare sur
le dos de personnes qui ne sont pas du Nord73•
Autre
"avantage"
"poLd t.Lque "

de

Gatsinzi,
il est
peu
familier avec
la
à Kigali et connaît mal les réseaux parallèles,

les intrigues et les projets violents., Ainsi, on fait d'une
pierre deux coups: on a les coudées franches et on s'exonère
de toute responsabilité. Un message est immédiatement envoyé à
Butare, où Gatsinzi est commandant de place, l'invitant à

73

On verra qu'également au sommet civil de l'Etat, les
hommes promus aux plus hautes fonctions seront originaires de la préfecture méridionale de Butare. Il
eût été impensable avant que le Président de la
République, le Premier Ministre et les chefs d'étatmajor de l'armée et de la gendarmerie soient tous
des "Banyendugalt•

45

assumer sa nouvelle fonction sans délai. On verra plus loin
qu'il se méfie de la situation, et qu'il n'arrivera à Kigali
que dans l'après-midi du 7 avril.
La seconde question concerne la façon dont le vide institutionnel créé par la mort du Chef de l'Etat doit être comblé.
certains officiers, surtout parmi les plus jeunes, sont
favorables à la prise du pouvoir par l'armée. Le LieutenantColonel Kayumba en particulier, très excité et qui semble
quelque
peu
sous
l'effet
de
l'alcool,
argue que
le
gouvernement ne fait rien et qu'il faut "prendre les choses en
main". Kayumba est l'officier de permanence au Ministère de la
Défense, et on se rappelle que le Colonel Bagosora est passé
par là avant de se rendre à l'état-major. Il n'est pas exclu
que les deux hommes se sont concertés et que Kayumba, qui
donne l'impression de "pousser" Bagosora à prendre le pouvoir,
exprime en réalité les intentions de ce dernier. Mais d'autres
participants désirent éviter l'impression qu'on procède à un
coup d'Etat. Suite à une suggestion du Général Dallaire, il
est finalement décidé de solliciter l'avis du représentant
spécial Booh-Booh. Il est également convenu de convoquer une
réunion des commandants d'unité à 10 heures du matin et on
discute le texte d'un communiqué, qui ne sera diffusé que dans
l'après-midi du 7 avril et sur lequel on reviendra.
C'est entre 23 heures et 23.30 heures que le Général Dallaire
accompagne Bagosora et Rwabalinda chez Booh-Booh, où sont
également présents le porte-parole adjoint de la MINUAR Moctar
Gueye et l'assistant du représentant spécial Gilbert Ngi jol.
Bagosora annonce la mise en place d'un comité militaire pour
diriger provisoirement le pays. A la question de Booh-Booh
s'il
s'agit d'un
coup
d'Etat,
Bagosora
suggestion et affirme qu'il faut trouver

rejette cette
des solutions

politiques dans le respect des accords d'Arusha. Booh-Booh
estime que dans cette logique, les militaires doivent prendre
contact avec le Premier Mini stre , demander au M.R.N.D. de
désigner un Pr&ésident de la République et consulter les

46

observateurs
la

de l'accord

proposition

les
ne

avec

en

le

Bagosora
.Booh-Booh
qu'il

l'accord

de

réunion

chez

Peu après
sera

paix

des

MINUARoù il
qui

mission

restera

l'état-ma

Bagosora

le

à

logique

durant

tout

comité

de

cet

consti tutionnelle.
toute
plus

idée
loin

On a
de

Président

du

M.R.N.D.

rendez-vous

à 7 heures

Faisons

point

le

de

pour

9 heures.

La

à

et

demi.

M. Booh-Booh

alors

général

le

Général

politiques

des

de

la

militaires

en

du matin,

le

suggestions

l'assentiment
satisfaits

dans

du
dans

C'est

logique
de

le

rapport

la

curieux

refus

chez

et

Booh-Booh,

puisque

de

le

avec

Ministre,
la

les

dont

le

recherche

continuité

Bagosora
et

rejette
on verra

conséquences.

Bagosora

Ngirumpatse,

au Ministère
situation

ses

et

étonnante:

Mme. Uwilingiyimana,

ce

leur

légalité

la

Colonel

de

réunion.

en contact

Premier

la

que

de la

une chose

le

Mathieu

la

que
de

au quartier

moment été

vu

avec

comme convenu

alors

Il •

observateurs

heures,

s'inscrire

aucun

revanche,

les

rwandais

de minuit

compte

respectueuse

raison

les

1 heure

d' Arusha.

évident

de contact
la

avant

en particulier

solution

et

7 avril

on constate

à

pourtant

d'une

accords

n'a

civiles,

était

semble

épisode,

crise

autorités
rôle

des

par

Etats-unis

responsabilités

un peu

semblent

la

des

de

force.

présents

dans

rejetée

M.R. N. O.,

belges

brièvement

qui

le

Il

peuple

aspects

Les

Bagosora,

le

les

recevoir

par

et

C'est

semblent

fai t

été

l'abri.

Booh-Booh, qui
officiers

lia

2.30

bleus

de ses

jor

rend

que

autour

de

également

que commandant de la

Colonel

militaires

termine

casques

assumera

à

les

des F.A.R.

autour

de l'ONU, en plus

De retour

idée

avec

résidence

rencontre,
par

toute

rejette

l'Ambassadeur

Booh-Booh se

la

Dallaire
tant

sa

à

il

qu'elle

une délégation

escorté
la

avec

accepte

du M.R.N.D. et

arguant

contacts

Bagosora

responsables

gouvernement

des

s'arrange

reçoive

et

propre

s'occupera

les

Ministre,

pas"

son

Le Colonel

revanche,

Premier

l'accepteraient

membres de

de

de rencontrer

observateurs;

contact

de paix.

à

de la

Défense.

telle

qu'elle

appelle

qui

se

il

En
le
fixe

présente

47

autour de 2 heures à l'issue de la rencontre à l'état-major.
Les choses semblent sous contrôle et personne ne s'inquiète
outre mesure. En effet, la situation en ville est calme et le
comité de crise paraît avoir les choses en main. Il a décidé
essentiellement: (i) de poursuivre le processus d'Arusha et de
suivre en cela les recommandations de M. Booh-Booh; (ii)
d'éviter de donner l'impression que l'armée commet un coup
d'Etat; et (iii) de passer le plus rapidement possible le
relais aux politiciens, afin que ceux-ci reprennent en mains
les affaires de l'Etat. C'est de cette façon que Dallaire,
Booh-Booh et Marchal voient les choses, et cette évaluation
est manifestement partagée par des officiers rwandais comme
Ndindiliyimana et Rusatira. C'est ainsi que s'installe le
grand malentendu, qui va s'avérer très coûteux en vies
humaines, y compris probablement celles des dix casques bleus
belges (voir infra). En effet, le comité des militaires qui
viennent de se réunir à l'état-major n'est que la structure
visible, sur les engagements de laquelle on croit pouvoir
compter. Or on ignore tout d'un second parcours, invisible
pour les non-initiéS, qui va court-circuiter le comité en
faisant exactement le contraire de ce que la structure visible
a
décidé.
Ses
actions vont
mettre
certains officiers
supérieurs rwandais et la MINUAR devant le fait accompli et
rendre

impossible

toute

solution

pacifique

aux

problèmes

suscités par l'attentat.
Ce second parcours débute autour de 2 heures. Même si on a vu
que l'armée réagit très rapidement après l'attentat en
installant des
barrages
et
en
rendant
difficiles
les
déplacements de certaines unités de la MINUAR, en réalité les
massacres politiques ne débutent qu'en fin de nuit, voire dans
la matinée du 7 avril. Ce n'est d'ailleurs que vers 7.15
heures que le Commandant de la compagnie de sécurité de la
Gendarmerie signale au Colonel Marchal que deux pelotons de la
Garde
présidentielle
sont
en
train
d'assassiner
des
personnalités politiques. c'est autour de 5.30 heures que
débute l'attaque contre le premier Ministre; on reviendra plus

48

loin sur cet

incident qui a

également coûté la vie à dix

casques bleus belges. La maison de Félicien Ngango, candidat
du P.S.D. à la présidence de l'Assemblée nationale de
transition, est attaquée vers 6.30 heures; celle du Ministre
Ngurinzira l'est vers 7 heures; celle du Président de la Cour
constitutionnelle Joseph Kavaruganda autour de 7.30 heures;
d'après le Colonel Marchal, qui était en contact téléphonique
avec lui, le Ministre Landoald Ndasingwa du P.L. et sa famille
ne seront assassinés qu'en fin de matinée.
Comment

s'explique-t-on

ce

"retard"

dans

le

début

de

ces

massacres, alors que ceux-ci, on le verra, étaient préparés à
l'avance? C'est là qu'il faut sans doute suivre le trajet du
Colonel Bagosora. Dans une déclaration?4, celui-ci prétend
qu'après son retour de l'entrevue avec M. Booh-Booh, il est
resté à l'état-major jusque vers 5 heures, moment où il serait
rentré chez lui pour prendre un bain et changer de tenue. Or
plusieurs
qu'environ

témoins
affirment
que
Bagosora
n'est
resté
un quart d'heure à l'état-major lorsqu'il est

revenu de chez Booh-Booh, ce qui situe son départ avant 2
heures. Confronté à cette contradiction, dans une nouvelle
déclaration faite à mon attention, le Colonel Bagosora dit
qu'''ily a une erreur" dans sa précédente version, et il situe
maintenant son départ ftvers 3 heures du mat.Ln"?", En réalité,
c'est même bien avant cela qu'il a quitté l'état-major. On le
retrouvera à 7 heures au Ministère de la Défense pour la
rencontre avec la direction du M.R.N.D. De 2 à 7 heures: cela
laisse un grand trou dans l'emploi du temps du Colonel Bagosora. Qu'a-t-il fait pendant ces cinq heures, durant lesquelles
se situe manifestement l'allumage de la "machine à tuer"?
D'après son récit,
jusque vers
6 .30

le Colonel Bagosora est resté chez lui
heures, lien compagnie de ma famille

74

Rédigée à Gama le 8 août 1994 et confiée à son avocat, Me. Luc De Temmerman.

?5

Lettre datée de Gama le 5 juin 1995.

49

uniquement".

Cependant

on

observera

qu'il

disposait

d'un

réseau radio parallèle à celui de l'armée et de la gendarmerie
et qui le reliait à la Garde présidentielle, au bataillon
para-commando et au bataillon de reconnaissance. Or ce sont
précisément ces unités, et plus particulièrement la Garde
présidentielle, qui ont entamé la chasse à l'homme. On sait
que la Garde présidentielle relève d'un commandement sans -lien
direct avec les structures ordinaires de l'armée. Alors que ce
bataillon est formellement commandé par le Major Protais
Mpiranya, son véritable chef eqt le Colonel Elie Sagatwa,
secrétaire particulier du Président de la République et chargé
de la sécurité présidentielle. Etant donné que Sagatwa a péri
dans l'attentat, il est tout à fait raisonnable de penser que
le Colonel Bagosora, par ailleurs très proche de Sagatwa,
l'ait remplacé dans cette fonction, d'autant plus que Mpiranya
est absent de Kigali.
Des offficiers présents à la réunion à l'état-major plus tôt
durant la nuit avaient été intrigués par le fait que, lorsque
le téléphone sonnait pour lui, le Colonel Bagosora avait
l'habitude de dire à certains de ses correspondants qu'il les
rappellerait, ce qu'il fit à plusieurs reprises à partir d'un
autre bureau à l'abri des oreilles des autres participants à
la
réunion.
Toujours
dans
le
registre
des
"réseaux
parallèles" , il faut également rappeler qu'en janvier 1993
s'exprime une
"Alliance des militaires agacés par
séculaires actes sournois des Unaristes" (AMASASU)76,
utilise
un
d f opposition

les
qui

langage
menaçant
à
l'adresse
des
partis
et rejette le processus de paix d'Arusha. Le

Colonel Bagosora a été largement soupçonné d'être parmi les
auteurs de cette initiative . Dans une lettre adressée le 3
décembre 1993 au Général Dallaire, des officiers supérieurs,
être obligés
de
rester
anonymes, attirent
qui
disent

76

En fait le nom français n'a pas beaucoup de sens et
tente de présenter le terme amasasu comme une abréviation. En réalité, amasasu (sing. isasu) est un
mot kinyarwanda qui signifie "balles", "munitions".

50

militaires
"certains
de
soutien
le
sur
l'attention
essentiellement
originaires
de la mêmerégion que le Président
de la République" à des "manoeuvres diaboliques
tendant à
semer le désordre et la désolation au sein de la population".
Ils avertissent
que 11 [dl 'autres massacres ( .•• ) sont en train
de se préparer et devront s'étendre
sur toutes les régions du
pays". Le Colonel Rusatira figure parmi les auteurs présumés
de cette

lettre.

On savait depuis longtemps qu'un projet violent
des listes
de personnes à éliminer existaient,
ciens étaient entraînés et
des échelles plus réduites

existait,
que
que des mili-

armés. Des répétitions
générales à
de déstabilisation
organisée avai-

ent eu lieu dès 1991 à Murambi, au Bugesera et dans les préfectures
de Kibuye, de Ruhengeri et de Gisenyi 77. Tout cela
était
connu?", mais relativement mal documenté. Dans la première moitié de janvier 1994, un "repenti n met la MINUAR
sur
la piste d'un véritable
projet
d'extermination79•
L'informateur, J.-P. T., est un leader des interahamwe de Kigali, qui
explique vouloir libérer
protection
diplomatique

sa conscience et qui sollicite
en échange de ses révélations.

une
Ce

qu'il dénonce est gravissime: il parle de caches d'armes et de
dépôts de munitions, d'entraînements militaires
de miliciens,
tant au Rwandaqu'à l'étranger,
de soutien logistique
fourni
par l'armée et la sûreté, d'organisation
en cellules
d' escadrons de la mort...
La MINUAR
procède à des vérifications,
notamment quant aux dépôts d'armes et de munitions; on en
trouve des quantités considérables à des endroits désignés par
J.-P. T., notammentdans une maison utilisée
par le M.R.N.D. à
77

Voir pour un aperçu F. REYNTJENS,
L'Afrique
grands lacs en crise ... , op. cit.,
p. 183-196.

des

78

Notammentgrâce à une enquête minutieuse menée début
1993 par une commission internationale:
Fédération
internationale
des Droits de l' Hommeet aL,
Rapport ... , op. cit.

79

Les données qui sui vent sont basées sur le récit
fai t par des officiers
de la MINUAR
qui ont participé à l'enquête.

51

Kimihurura. suite

à d'autres

de l'informateur
se précise:
Kigali,
un réseau d'environ
entre
soir,

entretiens

et enquêtes,

le récit

il y a, pour la seule ville de
30 cellules,
comptant chacune

20 et 30 miliciens armés et prêts à intervenir.
Chaque
un commandement
central est en contact avec les cellules

pour faire le point sur la situation de sécurité en ville.
Il
s'agit
d'une véritable
machine à tuer des Tutsi, des opposants', voire
D'après J.-P.
structure

est

mêmedes étrangers,
des Belges en particulier.
T., dans l'heure qui suit l'ordre initial,
cette
capable

de tuer

un millier

de personnes

par

heure.
convaincu de la cohérence et du sérieux

de ces informations,

le Général Dallaire avertit NewYork et demandel'autorisation
de mener des opérations de fouille
et de désarmement. Les
ambassades de France, des
également mises au courant,

Etats-Unis et de Belgique sont
notamment pour qu'un de ces pays

offre l'asile
politique à J.-P. T. La réponse de NewYork est
négati ve:
la
MINUAR"ne peut
pas
bouger" ,
parce
que
l'opération
proposée constituerait
une "action offensive" qui
n'entre pas dans les termes de son mandat. Paris, Washington
et
Bruxelles,
mis au courant
par
leurs
ambassades,
réag i ssent pas, ni quant à l' opportuni té de mesures sur

ne
le

terrain,
ni concernant la demande de protection formulée par
J. -P. T. Ainsi, un appareil qui s'est
avéré génocidaire et
dont la découverte a été qualifiée
d'''énormeu paz une de mes
sources au sein de la MINUAR
continue à fonctionner au vu et
au su de la communautéinternationale.
Dès 1992, des noms de responsables et commanditaires d'''escadrons de la mort" sont cités.
Ainsi, le journaliste
Janvier
Afrika publiait
en août 1992 déjà un article
décrivant minutieusement la façon de procéder d'un groupe de proches du
Président
Habyarimana. Afrika affirme avoir lui-même fait
partie de ce réseau et avoir participé
à des actions violentes. Il cite une liste de plus de 25 noms, dont le Président
Habyarimana lui-même, ainsi que trois de s~s beaux-frères et

52

Un gendreso•

Lors d'une

enquête

effectuée

au Rwanda avec le

Sénateur belge Willy Kuijpers,
j'ai
pu recouper et vérifier
ces informations et récolter des précisions sur les opérations
de ces escadrons au BugeseraS1• De même, une partie du rapport
de la commission internationale
d'enquête est consacrée aux
escadrons de la mortS2• Cependant, aucune enquête judiciaire
n'avait
pu être menée pour identifier
de façon décisive les
commanditaires de cette campagneviolente de déstabilisation.
C'est une fois de plus la MINUAR
qui fait
à ce sujet
des
découvertes importantes dans le cadre de l'enquête
sujet du meurtre de Félicien Gatabazi. Ce dirigeant

menée au
du P.S.D.

et Ministre des Travaux publics est assassiné à Kigali
février
1994. L'enquête effectuée par la police civile

le 21
de la

MINUAR
a permis d'établir
que ce forfait
aurait été accompli
par des sous-officiers
et caporaux nominativement connus de la
Garde
aurait

présidentielle.
identifié
le

Parmi
Capitaine

les
commanditaires l'enquête
Pascal Simbikangwa, beau-frère

du Colonel sagatwa, Alphonse Ntirivamunda, gendre du Président
Habyarimana, et un politicien
du P.S.D. rival
de Gatabazi,
Emile NyunguraS3• Deux rencontres de préparation
lieu au début février,
l'une
dans un pavillon

auraient eu
de l'Hôtel

Rebero-L'Horizon, propriété du Président Habyarimana, l'autre
dans la maison de Simbikangwa. Une jeep Pajero blanche utilisée lors de l'attentat
appartenait
au M.R.N.O. Les données recueillies

selon toute vraisemblance
par la MINUAR
après une

enquête policière
permettrÇlit ainsi d'établir
un lien direct
entre des actes criminels et des personnes citées depuis 1992

80

Umurava, no. 10, 28 août 1992, p. 5-8.

81

F. REYNTJENS,
Données sur les escadrons de la mort
au Rwanda, Anvers, 9 octobre 1992; des extraits
de
ce document ont par la suite été publiés dans le
Bulletin CRIDEV,no. 110, février-mars 1993.

82

Fédération internationale
al., Rapport .•• , op. cit.,

83

Ce dernier avait été suspendu lors du congrès du
P.S.D. des 18 et 19 décembre 1993, "pour avoir semé
des dissensions au sein du parti".

des Droits
p. 78-84.

de l'Homme et

53

comme faisant partie du noyau des escadrons de la mort. Lorsqu'on rapproche les données connues depuis longtemps de celles
résultant des deux enquêtes menées par la MINUAR, le caractère
organisé des violences est évident. D'ailleurs, d'après un
témoin84 auquel le Général Nsabimana se serait confié, les
listes de personnes à éliminer auraient contenu, pour la seule
ville de Kigali, 1500 noms en février 1994; ce témoignage est
toutefois contredit par la famille du Général Nsabimana au
sein de laquelle ces listes n'auraient jamais été évoquéesB5•
Nsabimana s'était déjà opposé à des tentatives de provoquer
des massacres, et sa présence dans l'avion abattu l'en a
empêché à partir du 7 avri186•
La machine à tuer, découverte dès janvier, se met en marche
tôt dans la matinée du 7 avril. Les assassinats politiques
d'abord, les actes de génocide et les massacres ensuite
Cependant, une
travai187•
ce
les
limites de
dépassent
84

Entretien avec J. Birara, Bruxelles 26 août 1994. En
outre, A. Guichaoua (Les crises politiques..•, QIh.
cit., p. 662-667) publie une liste de 331 "personnes
à contacter" (agents et "complices" du F.P.R.). Elle
ne comprend que moins de 200 personnes pour la ville
de Kigali. Signalons que c'est en mars 1993 et non
en mars 1994 que cette liste a été découverte dans
le véhicule accidenté du Général Nsabimana.

85

Entretien
1995.

86

D'après mes informations, Nsabimana n'avait pas
quitté le pays depuis le début de la guerre en octobre 1990. Le fait qu'il ait participé à une mission
qui, en principe, ne le concernait pas intrigue. Il
semble bien que le Président Habyarimana se méfiait
de Nsabimana, dont des rumeurs disaient qu'il préparait un coup d'Etat. c'est peut-être pour cette
raison qu'il a été inclu dans la délégation, décision qu'il n'a apprise que dans la soirée du 5 avril
lors d'une conversation avec le Président Habyarimana et le Colonel sagatwa, alors que la tenue du
sommet était prévue depuis un certain temps (Entretien avec M. Nsabimana, Bruxelles 14 juin 1995).

87

avec

M.

Nsabimana,

Bruxelles,

14

juin

On consultera à ce sujet: African Rights, Rwanda.
Death, Despair and Defiance, Londres, septembre
1994, nouvelle édition revue et augmentée juin 1995;

54

clarification

s'impose à

ce

sujet. Alors que

les massacres

commis par des éléments de l'armée et par les milices sont
relativement bien documentés, on a peu évoqué les tueries par
le F.P.R. dès le 7 avril. En particulier à Remera, un quartier
tout proche du cantonnement du bataillon F.P.R., il a tué des
dizaines de personnes, essentiellement des intellectuels hutu
avec leurs familles. La façon sélective et ciblée de ces
massacres fait penser à une opération bien organisée et
préparée, et probablement effectuée à l'aide de listesss• sont
ainsi notamment tués avec leurs familles: le Colonel en
retraite Pontien Hakizimana, l'épouse et les enfants du Major
Nubaha, l'économiste Daniel Rwamaniye, le juriste Félicien
Mbanzarugamba, l'épouse et les enfants du sous-préfet Faustin
Sekagina, l'agronome Aloys Habimana, l'avocat Paul Bizimana,
le docteur Charles Mujwangeyo, le fonctionnaire Jean Gahutu,
l'ancien Ministre

de

la Justice

Théoneste Mujyanama

et

de

nombreux autresS9•
D'autres personnalités ont
partir de la soirée du 6

pu se mettre à l'abri. Déjà à
avril, on assiste à d'étonnants

mouvements de politiciens et de cadres de tous bords
politiques. Vers 22.30 heures, des gendarmes viennent évacuer
des personnalités liées à la mouvance présidentielle à

CLADHO-Kanyarwanda, Rapport de l'enquête sur les
violations massives des droits de l'ho:mm.ecommises
au Rwanda à partir du 6 avril 1994, première phase,
Kigali, 10 décembre 1994. Cette référence ne signifie pas que je souscris entièrement à ces documents;
le second en particulier contient de nombreuses
faiblesses, ce qui est par ailleurs souligné dans
une lettre adressé le 3 janvier 1995 au CLADHO par
l'A.D.L., qui se désolidarise du rapport.
SS

Le témoignage concernant l'assassinat d'Emmanuel
Bagihiki et sa famille mentionne explicitement l'utilisation d'une liste par les militaires du F.P.R.

S9

Je possède une liste nominative de 121 personnes
tuées par le F.P .R. pour le seul secteur de Remera
et pour la seule période du 7 au 9 avril 1994.

55

Kimihurura9o•

Le

Procureur-général

A.

Nkubito

se

réfugie

d'abord à la résidence de l'Ambassadeur de Belgique, d'où il
est ensuite transféré à l'Ambassade de France. Cette dernière
devient un véritable lieu de rassemblement: si la plupart des
réfugiés y sont liés au régime -ce qui expliquerait leur choix
de chercher asile sur sol français- quelques-uns sont des
opposants en danger de mort91• Quant à lui, le Premier
Ministre désigné Faustin Twagiramungu se réfugie au quartier
général du secteur Kigali de la MINUARi le 19 avril, il sera
discrètement embarqué dans un avion Iliouchine de l'ONU au
milieu de militaires bengalais qui quittent Kigali pour
Nairobi.
Alors que je n'aborderai pas ici le thème des massacres, ni
d'ailleurs celui des opérations militaires, un mot doit être
dit à propos du meurtre du Premier Ministre et des casques
bleus qui la gardaient, avant de retourner au parcours des
principaux acteurs politiques et militaires.

90

Journal de campagne, 2e. bataillon commando.

91

Une liste classée "secret défense" de ·178 personnalités évacuées par l'Ambassade de France est publiée
dans A. GUICHAOUA (Ed.), Les crises politiques •••,
op. cit., p. 697-701. Cette liste n'inclut pas les
membres de l'entourage présidentiel, évacués séparément le 9 avril sur Bangui d'abord, Paris ensuite.

56
L'ASSASSINAT

D'AGATHE

On a vu que le
Premier
qu'il

Colonel

Ministre
invoque

devant
pas",

profond.
le

est

difficile;

lent

les

ment.

depuis

La goutte

avril

avec

R.T.L.M.

en réalité

le

des

entre

mois,

le

a qualifié

conflit

le
des

et

du

Sud

de complot

que

avec
la

le

raison

militaires

ne

est

plus

ancien

et

partie

de

l'aile

du

en opposition

ouverte

M.R.N.D. La cohabitation
échanges

Président
a sans

officiers

Alors

fait

et

contact

"les

d'Arusha

proverbiale

des

tout

que

Ministre

Habyarimana

rapports

refusait

Booh-Booh est

aux accords

Président

ET DES DIX CASQUES BLEUS

Uwilingiyimana.

Le Premier

M.D.R. favorable
avec

Bagosora

Agathe

l'accepteraient
plus

UWILINGIYIMANA

et

le

doute

été

(cf.

hostiles

émail-

Chef du gouvernela

rencontre

supra),

du 4

rencontre

que

en vue de l'organisation

d'un

coup d'Etat.
Agathe Uwilingiyimana

est

à ce

doit

(cf.

titre

déjà

supra).

6 avril

elle

Mais il

et

durant

compte lire

à la

Elle

a à ce

ment

avec

Dallaire
heure

du

pour

Ministre
devai t
accords

message
du

être

Bagosora

comblé,

et

opposés

sénégalaise).

que

rendre

Général
de

elle,
à

diffuser,

sûr

radicaux

rappellera

à l'occasion
D'ailleurs,

la

évident:
dans

radio
le

pour

les

Premier

institutionnel
respect

s'étaient

de la

et

contenu

le

le

de ce

Mme.
spécial

mais

vide

1

militaires

pu établir

était

bien
les

se

notam-

le

les

avec

annoncé que le

cela

du

heures.

Lorsqu'autour

n'ai

danger

dit

Booh-Booh,

se

comptait

(on

à 5.30

demande au représentant
Je

autres

soirée

téléphone,

contact

rwandais.
le

par

apprend

puisse

auxquels

en a encore

nationale

qu'elle

logiquement

d'Arusha

farouchement

et

qu'elle

régime,

aurait

émissions

Belgique.

lui

de la

et

un communiqué qu'elle

Roger

tout

excédée

au peuple

du

radicaux

fête

de

Booh-Booh

de

exact

des

que les

courant

prépare

Twagiramungu,

est

s'adresser

même sort

de nombreux contacts

Uwilingiyimana
tout

comme une opposante,

Dans le

au début

énergiquement

faire

le

elle

l'Ambassadeur

matin,

rejettent

nuit,

radio

Faustin
et

subir

y a plus.

la

sujet

donc perçue

que

des

toujours
le

Colonel

célébration

de la

on a vu que,

quoique

57
Mme. uwilingiyimana ait eu l'intention de déclarer, la conviction régnait dans l'entourage présidentiel qu'elle comptait
effectuer un "coup d'Etat constitutionnel", ce qui en soi la
condamnait92•

Pour éviter cette perspective, il fallait à tout

prix éviter qu'elle ne s'adresse à la radio.
Même si le Premier Ministre a pu avoir de nombreux contacts
par téléphone, elle sera en réalité isolée toute la nuit.
Boudée par les militaires, elle restera physiquement éloignée
d'autres personnalités rwandaises et étrangères qui n'osent ou
ne veulent la rejoindre à cause de l'insécurité qui règne dans
la ville. D'après un témoignage recueilli par Guichaoua, des
amis préviennent le Premier Ministre du danger qu'elle court
dans la soirée du 6 avril autour de 21 heures et lui proposent
de se mettre en sécurité, mais elle refuse: animée par un sens
aigu de l'intérêt public, elle estime devoir assurer la
continuité de l'Etat et sauvegarder la pai.x civile93 • Il se
pourrait également qu'elle ait sousestimé la menace, comme
l'ont fait tant d'autres. J'ai moi-même, durant la soirée et
la nuit du 6-7 avril, conseillé à plusieurs amis politiciens
et cadres de la société civile de se mettre à l'abri. La
plupart ne l'estimaient pas nécessaire ~ certains d'eux l'ont
payé de leur vie. On verra que lorsque le Premier Ministre se
rend compte que l'étau se reserre autour d'elle, ce sera trop
tard. Autour de 6 heures du matin, Monique Mas de R.F.1. la
contacte par téléphone. Elle est très inquiète et impuissante:
Il ( •••
)
Nous sommes en train de subir les conséquences de la
mort du Chef de l'Etat, je pense. Nous, les civils, ne sommes
pas responsables pour la mort de notre Chef d'Etatll•
En prévision de l'émission, deux équipes du peloton mortier du

92

Le lendemain, le 7 avril autour de midi, un officier
de permanence de la Gendarmerie à Kacyiru apprend au
Général Ndindiliyimana que "Agathe a été tuée parce
qu'elle allait prononcer un discoursll•

93

A. GUICHAOUA (Ed.), Les crises
cit., p. 694.

politiques..., QIh.

58

bataillon belge iront renforcer la garde du Premier Ministre
(cette garde ne compte à ce moment que cinq militaires ghanéens) et l'escorteront de sa résidence à la radio; deux sections du groupe city du batai Ll.on protègeront l'extérieur du
bâtiment de la radio. Les deux équipes du peloton mortier,
commandées respectivement par le Lieutenant Lotin et le Premier Sergent Leroy, partent vers la résidence du Premier
Ministre autour de 2.30 heures, la première à partir de l'aéroport, la seconde en revenant du Q.G. de la force, vers où
elle vient d'escorter M. Baoh-Booh. Les deux équipes se heurtent à des problèmes considérables, puisque des barrages
successifs empêchent leur progression, surtout dans le quartier Kiyovu au centre ville. Des gendarmes censés débloquer la
situation n'y parviennent pas. Pendant plusieurs heures, les
équipes tentent sans succès de trouver des voies alternatives,
de parlementer, de faire intervenir l'officier de liaison des
F.A.R. Autour de 5.30 heures la source des ennuis se précise:
le Premier Sergent Leroy signale qu/une équipe de blindé en
poste près de l'Hôtel des mille collines lui dit que seul le
Ministre de la Défense peut donner la permission au Premier
Ministre d'aller parler à la radio; en l'absence du Ministre,
cela

signifie

en

clair

que

c'est

le

Colonel

Bagosora

qui

empêche la radiodiffusion du discours.
Un peu après 5.30 heures, les deux équipes passent un barrage
que le groupe City leur a ouvert, ce qui leur permet d'arriver
à la résidence du Premier Ministre, avenue Paul VI. Ils sont
pris sous le feu dès leur arrivée, et deux des quatre jeeps
sont immédiatement inutilisables. Nous sommes autour de 5.45
heures et il n'est évidemment plus question que le Premier
Ministre s'adresse à la radio. D'ailIeurs, dans l'entretemps
les deux sections du groupe City sous le commandement du
Capitaine Marchal, qui devaient protéger la radio de l'extérieur, sont bloqués par des blindés. Déjà autour de 3.45
heures, le Capitaine Marchal est obligé de signaler au bataillon qu'il ne pourra pas effectuer la mission. Il tentera alors
de rejoindre le groupe Lotin, mais n'y parviendra pas.

59

Entre

6

et

8.30

heures,

c'est

l'impasse.

Les

équipes

du

peloton mortier se trouvent aux alentours et dans la résidence
du Premier Ministre; autour de la parcelle, il y a des
mouvements de troupes et on tire à intermittence. Cette longue
période de deux heures et demie soulève des questions
importantes.
Qui
commande
les
militaires
rwandais,
vraisemblablement de la Garde présidentielle, qui encerclent
la parcelle? Est-ce que le haut commandement militaire était
au courant de cette situation et, si oui (ce qui paraît
vraisemblable), pourquoi n'a-t-il rien fait? puisque la MINUAR
connaissait certainement la situation précaire tant du Premier
Ministre que de son escorte, qu'a-t-elle fait pour débloquer
la situation? En effet, quand bien même l'attitude agressive
des militaires rwandais avait été le fait de subalternes sur
le terrain, une reprise en main aurait pu et dû être réalisée
durant ces deux heures et demie. Rappelons, en ce qui concerne
les deux officiers supérieurs qui durant la nuit ont dirigé la
réunion à l'état-major, que le Colonel Bagosora est chez lui
jusque vers 6.30 heures et qu'il se trouve au Ministère de la
Défense à partir de 7 heures; pour se rendre de sa maison à
son bureau, il passe à quelques centaines de mètres de
l'endroit où se déroule le drame. Rappelons également que
c'est le Ministère de la Défense qui interdit au Premier
Ministre
de se rendre à
la radio. Quant au Général
Ndindiliyimana, il est chez lui jusqu'un peu avant 9 heures;
sa maison dans la rue du Mont Juru se trouve également à
quelques centaines dé mètres de la résidence du Premier
Ministre. Il est évidemment très peu probable que ces deux
officiers, dont le second est en outre un ami personnel de
Mme. Uwilingiyimana, n'aient pas été au courant d'un incident
de cette importance.
Autour de 8.3D heures, Agathe uwilingiyimana décide de fuir,
même si son escorte le lui déconseillei les militaires belges
ne peuvent en effet pas la suivre à pied, puisque leur matériel de communications se trouve dans les jeeps. Le Premier
Ministre franchit quand-même le mur d'enceinte pour se réfu-

60

gier chez des voisins. Son escorte reçoit llordre de ne pas la
suivre, et autour de 8.45 heures le Lieutenant-Colonel Dewez
décharge le peloton mortier de la protection du Premier Ministre.
[parcours Agathe - récit Adama Daff]
Dans llentretemps, les choses se sont précipitées autour de la
résidence du Premier Ministre. Vers 8.45 heures, les militaires rwandais sont devenus très menaçants. Ils exigent la
personne du Premier Ministre, demande à laquelle le Lieutenant
Lotin réplique qu'elle est partie et qulil ne sait pas où elle
se trouve. Les Rwandais demandent alors à l'escorte de rendre
les armes, et ils passent à l'action. Deux hommes sont
immobilisés par terre et un troi~ième se fait désarmer. Dewez
enjoint Lotin de ne pas rendre les armes et de "négocier à
11 africaine". Lorsque Lotin signale à Dewez que trois de ces
hommes sont au sol, désarmés par les militaires rwandais, le
Colonel Marchal intervient dans le réseau bataillon et dit que
Lotin étant sur place est le mieux placé pour apprécier la
sit.uat.Lon'" • Dewez autorise alors de faire ce que
les
militaires rwandais demandent et de rendre les armes si Lotin
le juge nécessaire. Clest la décision qu'il est amené à
prendre.
Les quinze militaires de la MINUAR, dix Belges et cinq Ghanéens95, sont transportés par minibus au camp Kigali, situé à
moins d'un kilomètre de la résidence du Premier Ministre.
D'après le témoignage du Colonel Bagosora, les casques bleus

94

Le Colonel Marchal affirme qu'il n'a' lien aucun cas
donné, ou fait donner un ordre qui pouvait être
interprété de près ou de loin comme ma volonté que
les hommes déposent les armes. Donner un ordre de
cette nature est fondamentalement contraire à mes
principes de commandement. En ce qui me concerne,
seul le responsable sur place est en mesure d'apprécier exactement la situation".

95

Ces derniers seront séparés des Belges et relâchés.

61

sont escortés
qui les
héberge

sous le commandement
du Major Bernard Ntuyahaga,

aurait déposé au camp "sans aucun problème". Ce camp
également l'état-major,
où Ntayuhaga se rend. Les

casques bleus
le Lieutenant
de bataillon
militaire)
sur

arrivent
autour de 9 heures. Vers 9.10 heures,
Lotin a un dernier contact avec son Commandant
par
la
motorola
d'un
MILOB (observateur
place, le Capitaine togolais Apedor c'est
le

seul moyen de communication qui
branché sur le réseau bataillon

reste 1 puisque l'équipement
est resté dans les jeeps96.

Lotin dit à Dewez: "Nous avons été désarmés et emmenésquelque
pazt;"? • J'ai
deux hommesà l'extérieur,
ils se font tabasser.
Je ne sais pas ce qui leur arrive, mon Colonel, ils vont nous
lyncher". Manifestement ignorant la gravi té de la situation,
le Lieutenant-Colonel
Dewez lui demande ce qu'il
entend par
"se faire
lyncher". et lui dit:
"Tu ne crois pas que tu
exagères?" Lotin répond qu'il
est pourtant très clair et que
cela va être son tour. À partir
de ce moment, les hommesdu
peloton mortier n'auront

plus de contact

avec le bataillon.

Le Colonel Dewez prend alors contact avec le
informe de ce que ses hommessont en difficulté

secteur,
qu'il
dans un camp.

Il dit ne pas savoir lequel, mais qu'il devrait être possible
de le localiser
sur base de la motorola utilisée.
Il demande
d'intervenir
auprès de l'état-major
des F.À.R. Le secteur
semble parvenir à identifier
le camp en question, puisqu'avant
9.30 heures déjà il
ses hommes auraient

fait
été

savoir que "le Lieutenant Lotin et
emmenés dans une caserne près de

l'Ecole militaire";
or il n'y a qu'une seule caserne dans le
quartier
de l'E.S.M. et il s'agit
du camp Kigali. Puisque le
secteur n'a plus
seul
moyen de

de contact motorola
communication avec

avec l'observateur,
l'état-major
est

le
le

96

C'est parce que ces radios sont aux mains des F.À.R.
que le bataillon
belge passe sur la fréquence de
réserve à 9 heures.

97

Il est étonnant que le Lieutenant Lotin ne sait pas
où il se trouve, alors qu'il utilise
la motorola du
Capitaine Apedo, qui évidemment sait quf on est au
camp Kigali. .

62

téléphone. Or très opportunément personne ne répond jusqu'à
12.08

heures,

lorsqu'ènfin

l'officier

de

permanence

le

décroche; ce sera alors trop tard9c6•
Ce qui se passe par la suite au camp Kigali demeure en partie
incertain. D'après le témoignage du Colonel Bagosora, des
militaires présents au camp (notamment des blessés de guerre),
convaincus par une rumeur qui voulait que les Belges faits
prisonnier avaient participé à l'attentat contre l'avion
présidentiel, se seraient spontanément rués sur les casques
bleus belges, après les avoir séparé des Ghanéens99• D'après
un autre témoignage, c'est l'adjudant-chef Subutiyongera, qui
travaille à la présidence, qui aurait lancé l'accusation et
incité les militaires à s'en prendre aux casques bleus. Les
officiers qui auraient voulu s'interposer, dont le Major
Nubaha, commandant du camp, et le Major Kanyandekwe, auraient
failli se faire abattre. L'enquête de l'auditorat militaire
belge estime qu'initialement six ou sept casques bleus
auraient été rapidement mis hors d'état de se défendre, alors
que trois ou quatre autres se seraient réfugiés dans le local
de permanence du MILOB, où le dernier Belge, armé d'une arme
de poing et d'un fusil récupéré sur un soldat rwandais,
n'aurait cessé la résistance qu'autour de 11 heures.
Cela
voudrait

dire que

l'incident

s'est étalé sur près de

deux

96

Les informations reprises ci-dessus sur les diverses
communications sont reprises du journal de campagne
du 2ème. bataillon commando, d'un document de l'auditorat militaire belge dont des extraits ont été
publiés dans le journal La Dernière Heure du 7 avril
1995 et de transcriptions d'enregistrements reprises
dans le manuscrit Goffin.

99

Cela n'est devenu clair que plus tard. Dans le message qu'il adresse à toutes lés stations le 8 avril
à 6.25 heures, le Lieutenant-Colonel Dewez dit:
"Je dois vous transmettre le pire message que
je n'aurais jamais voulu communiquer. Nos dix
camarades de l'escorte d'Agathe ont été lâchement assassinés. Plusieurs amis ghanéens semblent avoir subi le même sort [..•J".
Dans le même message, il dit: "Pour' terminer, dans
plus aucun cas vous ne vous laisserez désarmer".

63

heures,
autour
savoir

ce

qui

soulève

-tout

comme à propos de l'incident

de la résidence du Premier Ministrecomment il est possible que le haut

la question de
commandementde

l'armée
n'ait
été au courant
et n'ait
pris
nécessaires
pour reprendre la troupe en main.

les mesures
D'après le

Colonel Bagosora, il a remplacé le Major Nubaha commecommandant du camp par le Lieutenant-Colonel Ndahimana, "parce qu'il
estimai t

que le

Major

Nubaha aurai t

dû ou pu contenir

ses

militaires".
Les mêmes questions
bataillon
que l'on

surgissent

à propos de la

MlNUAR
et

belge. Ce n'est qu'en étudiant le contexte
peut comprendre pourquoi la situation
a été

du

général
évaluée

commeelle l'a été. On observera d'abord qu'au moment où se
déroule le drame à la résidence du Premier Ministre d'abord et
au camp Kigal i ensui te, le secteur Kigal i de la MINUAR
est
confronté
à de nombreux incidents
d'inégale
importance.
Plusieurs éléments de la Force sont bloqués à l'aéroport
et à
di vers endroits en ville;
on est sans nouvelles de certains
éléments isolés
et l'éparpillement
du bataillon
belge
l'ensemble du territoire
de la ville
se fait
sentir.
assassinats
confrontée

sur
Les

politiques
viennent de débuter et la force est
à de nombreux appels à l'aide
venant de partout et

émanant de Rwandais et d'expatriés.
Des éléments des F.A.R.
commencent à récupérer
leur
armement lourd en flagrante
contravention
des
règles
régissant
le
KWSA. L'incident
impliquant le Premier Ministre et le peleton mortier n'est
donc qu'un incident
de plus.
La situation
est compliquée
davantage
par
le
fai t
que le
bataillon
bengalais
en
particulier
s'avère ni professionnel
ni fiable et les règles
d'engagement (ROE- Rules of Engagement) de la force demeurent
inchangées, alors qu'elles
sont totalement inadaptées à
nouvelle situation:LOo. Enfin, on l'a déjà relevé plus haut,

:LOO

la
le

Par la sui te, des éléments du bataillon
belge vont
ignorer les règles d'engagement et feront usage de
leurs armes, d'ailleurs
dans des circonstances

cela est parfaitement légitime, mandat ou non.

64

commandement de la MINUAR raisonne toujours dans la logique
que llinterlocuteur valable du côté rwandais est le comité de
crise dont on croit connaître les bonnes dispositions; or
est le scénario du pire qui est en train de se dérouler,
sans que la MINUAR sien rende compte dans la matinée du 7

Cl

avril. En tout état de cause, même si elle avait voulu
sladapter à ce nouveau scénario, cela lui aurait été difficile
vu 11 insuffisance en armes et munitions. Dès le 15 janvier
1994, le Colonel Marchal a demandé des équipements mieux
adaptés tant au Centre des opérations (COps) de llarmée belge
qu/à
New York. Il lia
rappelé à diverses occasions, la
dernière fois le 14 mars, mais aucune suite n'a été réservée à
ces demandes.
Informé, on lia

vu, autour de 9.15 heures de ce gu/il y a un

problème
au
camp
Kigali,
Marchal
demande
à
Dallaire
dl intervenir auprès du commandement des F .À. R. En route pour
une réunion à l'Ecole supérieure militaire (ESM), sur laquelle
on reviendra, le Général Dallaire, accompagné du Major Peter
Maggen, un officier belge de son état-major, passe devant le
camp Kigali autour de 11 heures. Ils y aperçoivent des corps
de casques bleus dans la cour

intérieure, mais niosent pas

s'approcher. Dallaire poursuit sa route vers l'E.S.M. où
autour de 11.15 heures il rejoint la réunion qui a débuté à 10
heures. Les officiers présents sont déjà au courant de
l'existence d'un problème au camp, parce que le Major Nubaha
le leur a signalé autour de 10.30 heures. Lorsque Dallaire
exprime son inquiétude, Bagosora résume ce qui s'est dit,
clôture la réunion et part au camp "pour aller arranger les
choses Il • Dans un témoignage dont la presse a fait étatJ.oJ.,
il
déclare qu "'un élément belge de la MINUAR a attaqué le camp
Kigali aux armes automatiques et les militaires de ce camp ont
riposté de façon qu'il est devenu impossible de tenter
dlentrer au camp". Cependant, Bagosora se rétracte quelque peu
dans une lettre à mon intention: il nia pas vu de militaires

J.OJ.

La Dernière Heure, 6 avril 1995.

65

belges attaquant le camp et c'est "par déduction" qu'il leur
attribue les tiraillements102• Il n'est pas exclu qu'il ait
entendu les échanges de feu entre les militaires rwandais et
le dernier militaire belge à résister à l'intérieur du camp;
si cette hypothèse était vraie, cela situerait la mort du
dernier Belge aux alentours de 12-12.30 heures. C'est en tout
cas peu après 12 heures que le Major Breadsley, assistant
militaire
du
Général
Dallaire,
signale par
radio
que
l'observateur militaire du camp Kigali a communiqué que deux
ou troisJ.03 casques bleus ont certainement été abattus et que
onze l'ont été en toute probabilité.
Aurait-il été possible de dégager les hommes détenus au camp,
comme l'affirme Colette Braeckman? Il faut d'abord rappeler la
situation très confuse dans le secteur Kigali, où se
produisent de nombreux petits et grands incidents, qui
limitent considérablement la liberté de mouvement des troupes
de la MINUAR et la vue d'ensemble de leurs commandants. Il
faut également relever que le récit que Braeckman fournit sur
cet épisode est erroné sur des points importants. Ainsi, il
n'est pas vrai que le bataillon
"n'a rien perdu des
événements n104 ;
le contraire est vrai, puisque le dernier
contact date de 9.10 heures par le réseau motorola. Ensuite,
elle signale la proximité d'uni~és belges qui auraient pu
libérer leurs camarades par la force. Il est vrai que les 36
hommes du peloton B du groupe City (16e. compagnie) et le PC
de la 16e. compagnie (15 hommes) sont en ville, mais pas nà
quelques mètres de leurs camarades en danger"lOS, mais séparés
du camp Kigali par environ 1 kilomètre et plusieurs barrages.

102

Lettre du Colonel Bagosora, Goma 5 juin 1995.

103

Ce chiffre est étonnant, puisque Dallaire lui-même
en a déjà vu davantage plus d'une heure avant cette
communication.

104

C.BRAECKMAN, Rwanda .•., op. cit., p. 184.

105

Idem, ibid.

66

Les autres éléments du bataillon ne se trouvent pas "à
proximité".106
, mais à des kilomètres de distance et très
limités dans leurs mouvements.
Rappelons également qu'on
n'était pas en contact avec les dix.1O?et que le bataillon
ignorait leur situation exacte. Même si on avait su où se
trouvaient les hommes, est-ce que la cinquantaine d'effectifs
disponibles de la 16e. compagnie aurait pu prévaloir contre le
camp Kigali. Cela paraît très peu probable, et il n'est pas
étonnant que dans ces conditions, le Colonel Dewez donne ordre
au peloton B de rester dans son cantonnement.
Cela dit, des questions restent posées. Dès 9.10 heures, le
Lieutenant-Colonel Dewez sait par le message Motorola que ses
hommes craignent Use faire lyncher"; moins d'un demi-heure
plus tard, le Colonel Marchal sait qu'ils se trouvent au camp
Kigali; un peu plus tard le Général Dallaire passe devant le
camp, accompagné par un officier belge qui ne semble pas avoir
informé Dewez ou Marchal. Du côté rwandais, Nubaha fuit le
camp et informe les officiers à l'E.S.M., alors qu'on ne
retrouve pas de trace d'autres officiers supérieurs présents
comme les Majors Ntuyahaga et Kanyandekwe; lorsque Bagosora se
rend au camp, il n'ose pas entrer, arguant qu'il entend des
échanges de feu. En somme, tout le monde semble s'être caché.
Que penser enfin du prétexte avancé pour expliquer ce qui est
présenté comme un "accident", un "malentenduU (les militaires
rwandais qui réagissent dans un élan de colère incontrôlée,
pensant que les casques bleus emmenés au camp ont abattu
l'avion présidentiel); n'est-ce pas un peu léger, surtout s'il
était vrai que les militaires ont été excité par un adjudantchef travaillant à la présidence de la République, dont on se
demande bien ce qu'il faisait au camp Kigali.

.106

Idem, ibid •

.107

Il est techniquement impossible que II [l]e peloton
qui se trouve non loin des lieux du supplice suit
par radio, impuissant, toutes les séquences de la
mise à mort de ses camarades" (Idem, p. 185).

67

VERS LE "GOUVERNEMENT INTERIMAIRE"
Le

matin

du

7

avril,

on

retrouve

le

Colonel

Bagosora

au

Ministère de la Défense, où il a fixé rendez-vous à 7 heures
au comité exécutif du M.R.N .D.
On se rappelle que M. BoohBooh a suggéré durant la nuit de demander au M.R.N •D. de
présenter un candidat à la succession présidentielle. Mais le
comité exécutif est très réticent.
Il n'est pas prêt à
désigner un candidat dans les circonstances confuses du
moment, d'autant plus qu'il est évidemment impossible de
réunir le congrès national, organe compétent en vertu des
statuts pour prendre pareille décision.
Bagosora est obligé
d'abréger la rencontre, sans que celle-cil n'ait abouti à une
solution, parce qu'il doit se rendre à la réunion prévue pour
9 heures à la résidence de l'Ambassadeur des Etats-unis, que
Booh-Booh a organisée.
Bagosora ne retrouve chez l'Ambassadeur Rawson que le Général
Ndindiliyimana et le Lieutenant-Colonel Rwabalinda.
Aucun
autre chef de mission diplomatique n'est présent: les ambassadeurs n'ont pu se déplacer à cause de l'insécurité et des
barrages qui empêchent tout mouvement.
Ainsi par exemple,
l'Ambassadeur de Belgique restera bloqué dans sa résidence
jusqu'au matin du lundi 11 avril, après l'arrivée de paracommandos belges, envoyés dans le cadre de l'opération d'évacuation des ressortissants étrangers.
On est frappé par le
fait que les officiers et politiciens rwandais de la mouvance
présidentielle semblent pouvoir se déplacer sans entrave,
alors que les militaires de la MINUAR et les diplomates et
autres étrangers sont très limités dans leur liberté de mouvement. Autre point curieux, qui se situe dans la suite de ce
qu'on avait déjà observé durant la nuit: les Rwandais conviés
chez l'Ambassadeur des Etats-Unis sont des Off iciers supérieurs; une fois de plus , aucune tentative n'est faite pour
associer les institutions constitutionnelles, en particulier
le gouvernement, à la gestion de la crise.
La rencontre a
d'ailleurs lieu autour du moment que le Premier Ministre est

68

assassinée.
A

10 heures

débute à

l'Ecole Supérieure Militaire

(ESM) la

réunion des commandants d'unité, dont la tenue a été décidée
lors de la réunion nocturne à l'état-major. La constitution du
"comité de crise" est formalisée; d'après le Colonel Bagosora,
c'est le Général Ndindiliyimana qui le présidera en tant
qu'officier le plus ancien dans le grade le plus élevé. Les
participants sont également d'accord sur le principe que la
politique incombe aux civils, et que les militaires s'occuperont uniquement des problèmes de sécurité. On s'accorde enfin
sur la teneur d'un communiqué qui sera lancé dans l'aprèsmidi, et sur lequel on reviendra [à un moment donné, Dallaire
rejoint la réunion ( timing, articulation avec passage au camp
Kigali] .
Les participants à la réunion prennent le déjeuner au mess de
l'ESM avant de Se séparer. Cependant, à partir de 14 heures
les membres du "comité de crise" se réunissent à nouveau pour
finaliser le communiqué dont il a été question. Le texte,
finalement diffusé à la radio à partir de 17.20 heures sous la
signature du Colonel Bagosora, est extraordinaire. En effet,
il est demandé
Itavec
insistance aux responsables politiques de
s'investir davantage dans l'accomplissement de leur
devoir, spécialement en cette période de crise.
c'est dans ce cadre que le Gouvernement en place est
prié de s'acquitter de ses fonctions; de même les
instances politiques concernées sont invitées à
accélérer la mise en place des organes de transition
prévus dans l'accord d'Arusha.lI
Cette mise en demeure est adressée au "gouvernement en place Il
un moment où les rédacteurs du communiqué savent que le
Premier Ministre et plusieurs ministres ont été assassinés par

à

des militaires; en d'autres termes, il n'y a pas de gouvernement en place. D'ailleurs, on a vu également que le "comité de
crise" n'a fait aucun effort pour entrer en. contact avec les

69

autorités

civilesJ.os.La

référence

à

l'accord

d'Arusha

est

particulièrement cynique, puisque les actions menées par
l'armée ont précisément pour effet qu'il est devenu impossible
de l'appliquer. On a vu en effet que les assassinats ont été
menés dans une logique "constitutionnelle" qui devait aboutir
à l'impasse. On est enfin frappé par le fait que le communiqué

est signé par le. Colonel Bagosora, alors que d'après ce dernier, c'est le Général Ndindiliyimana qui dirige le "comité de
crise".
Autour de 15 heures, Bagosora, Ndindiliyimana et Dallaire se
retrouvent au Ministère de la Défense. Le Général Dallaire a
une conversation téléphonique avec Tito Ruteramera du F.P.R.,
qui est avec le bataillon F.P.R. au C.N.D. et qui annonce que
ces hommes "vont sortirU si on n'arrête pas la vague de massacres perpétrés par la Garde présidentielle. Mais personne au
Ministère de la Défense ne semble pouvoir ou vouloir faire
quoi que ce soit. Lorsque le Général Ndindiliyimana reprend la
conversation, il se dit impuissant et passe le combiné au
Colonel Bagosora; celui-ci affirme n'être que directeur de
cabinet, incompétent pour commander la Garde présidentielle;
il renvoie Rutaremara

à

un

co l.one L"?".

Cependant, après cet

entretien Bagosora demande au Major Mpiranya, commandant de la
Garde présidentielle, de "ramasser ses types",
éléments du bataillon en train de semer la
d'après Marchal qui cite Dallaire: lorsque plus
contacte la GP pour obtenir un cessez-le-feu, la

référence aux
terreur [cf.
tard Dallaire
GP marque son

accord, mais elle veut "continuer à exterminer les extrémistes
de la CDR". suppositian: la GP pense que la CDR a descendu
l'avion présidentiel] Le bataillon F.P.R. sort effectivement à
16.11 heures et engage des combats avec des éléments de la
Garde présidentielle, dont le camp se trouve à proximité du
parlement. Ce sera le début de combats qui vont permettre au

lOS

Sauf les dirigeants du M.R.N.D., mais ceux-ci n'ont
aucune fonction institutionnelle.

109

Témoignages A. Ndindiliyimana et S. Sendashonga.

70

F.P.R. de contrôler de plus en plus de terrain à Kigali. La
sortie initiale est surtout dirigée vers le quartier tout
proche de Remera, où le camp de Gendarmerie tombe quasiment
immédiatement; on a également vu que c'est la zone où le
F.P.R. fait de nombreuses victimes civiles dès le début des
hostilités.
Ce n'est qu'autour de 16.15 heures que le Colonel Gatsinzi
arrive à Kigali. On se rappelle qu'il a été appelé dans le
oourant de la nuit par le Colonel Bagosora, qui lui a demandé
d'être à Kigali à 6 heures du matin pour assumer sa fonction
de Chef d'état-major ad interim.
instinctivement. Il sait très bien

Gatsinzi s'est méfié
qu'il est mal vu des

officiers et politiciens du Nord et il flaire le traquenard,
d'autant plus que le Colonel Bagosora lui a refusé un
hélicoptère pour le trajet et qu'il devra faire le déplacement
par la route. Voulant voir plus clair dans la situation à
Kigali et préférant voyager de jour, ce n'est que vers 14
heures que Gatsinzi quitte Butare. Il embarque dans son convoi
notamment le Dr. Théodore sindikubwabo, Président du Parlement
qui assurera l'intérim de la Présidence de la République (voir
infra), le
Habyarimana

Dr.
et

Séraphin
Alphonse

Bararengana, frère du Président
Higaniro, beau-fils du médecin

personnel du Chef de l'Etat. A l'arrivée à Kigali, le convoi
est pris sous le feu par des éléments non-identifiés tout près
du grand rond-point, mais personne n'est touché. Le Colonel
Gatsinzi se rend immédiatement à l'état-major pour prendre
connaissance

de

la

situation

opérationnelle,

puisque

les

combats viennent de reprendre.
Le comité de crise se réunit autour de 19 heures à l'E .S .M.
Parmi les présents on note Ndindiliyimana, Rusatira et
Gatsinzi. Le Colonel Bagosora n'est pas du nombre. Il affirme
qu'ayant appris la sortie du F.P.R., il se rend à Kimihurura
pour évacuer sa famille vers le camp militaire de Kanombe, où
il serait resté jusqu'au matin du vendredi 8 avril; dans le
courant de la soirée du 7 avril, il serait allé présenter ses

71

condoléances à la famille Habyarimana et se recueillir devant
les dépouilles mortelles des victimes de l'attentat. Le
Général Dallaire assiste également à la réunion. On attend de
lui qu'il établisse des contacts avec le F.P.R. afin de
convenir d'un cessez-le-feu. Ce sera d'ailleurs une constante
dans les préoccupations du haut-commandement de l'armée
rwandaise, mais qui va se heurter à son impuissance de mettre
fin aux massacres; or le F.P.R. refuse de négocier quoi que ce
soit aussi longtemps que persiste la violence.
A la fin de la rencontre, le Général Dallaire insiste pour
voir

les

corps

des

dix

casques

bleus

belges.

Le

Colonel

Murasampongo précise qu'ils se trouvent à la morgue, face au
camp Kigali.
Quelques officiers dont Ndindiliyimana et
Dallaire s'y rendent et 'trouvent les corps pêle-mêle dans la
cour intérieure. Même s'il est difficile de faire le décompte
(il fait nuit et les corps sont entassés) d'après les Généraux
Ndindiliyimana et Dallaire il s'agit certainement de onze et
probablement de treize corps1.1.o.
Ce n'est finalement qu'à
21.30 heures que Dallaire confirme à Marchal qu'il a vu les
hommes et que le contingent belge est confronté à une réalité
laquelle il n'a pas voulu croire. Choqué par l'état dans
lequel se trouvent les victimes, le Général Ndindiliyimana se

à

rend au camp pour demander qu'on en prenne soin; devant la
réticence des militaires, il est amené à payer de sa poche
10.000 FRw à l'un d'eux pour qu'il lave les corps et les mette
dans des couvertures. C'est dans cet état qu'une patrouille
envoyée pour les récupérer les trouvera le 8 avril autour de
15.30 heures11.1..
Après la visite à la morgue, Dallaire qui est là sans escorte
110

On a évoqué plus haut cette énigme, qui n'est pas
levée. Rappelons que l'observateur militaire au camp
Kigali mentionne également onze victimes au Major
Breadsley . On ne connaît pas l'identité du onzième
corps, voire des trois corps supplémentaires.

111

Journal de campagne du 2e. bataillon commando, qui
ne mentionne que dix corps.

72

demande de pouvoir disposer de celle de Ndindiliyimana afin de
pouvoir regagner son quartier général. Puisque son escorte ne
revient pas de cette mission, Ndindiliyimana n'ose pas rentrer
seul chez lui et préfère passer la nuit à l'hôtel
Diplomates à quelques pas de la morgue et du camp Kigali.

des

Le 8 avril, on retrouve le comité de crise à l'ESM à 8 heures.
Rusatira et Ndindiliyimana demandent qu'on présente des excuses à la Belgique, qu'on mette en place les autorités civiles
-et que le statut du "comité" soit précisé. Débute alors un
conflit entre le Colonel Bagosora et des officiers supérieurs
d'active, en particulier Ndindiliyimana, Rusatira et Gatsinzi.
Bagosora revendique la présidence du comité, ce que les autres
refusent: ils estiment que le comité étant militaire, il faut
un officier d'active pour le présider~ en outre, en tant que
directeur de cabinet, Bagosora est considéré par eux comme un
"politicien".
Irrité,
Bagosora
dira:
"Je
crée
une
organisation, et vous voulez m'en exclure", il quitte la
réunion, et par la suite boudera le comité. Il part au
Ministère de la Défense où une réunion doit avoir lieu avec
les partis politiques appelés à participer au gouvernement.
C'est mandaté par le. comité de crise que Bagosora s'occupera
des
aspects
politiques
de
la
situation,
mais
dans
l'entendement des autres officiers la solution s'inspirera des
conseils donnés la veille par M. Booh-Booh.
Ce n'est pas ainsi que se dérouleront les choses et c'est ici
que se situe le début de la rupture entre le sommet de l'armée
et le gouvernement en cours de formation. En effet, on verra
que les démarches politiques sont menées par le Colonel
Bagosora, et que le comité de crise n'y est pas associé. L~s
officiers, du moins les deux chefs d'état-major et le Colonel
Rusatira, constateront que le gouvernement qui prête serment
le 9 avril n'est pas de nature à résoudre les problèmes et ils
prendront leurs distances. Cela se manifeste de la façon la
plus visible
intérimaire"

lorsque le 12 avril, jour où le "gouvernement
quitte Kigali pour Gitarama, dix officiers

73

supérieurs publient un communiqué par lequel ils tentent de
court-circuiter le gouvernement, en proposant une rencontre
directe avec le commandement du F.P.R. "pour examiner ensemble
comment pacifier le pays sans plus tarder, et contribuer à la
mise
en
place des
Institutions de Transition à
base
élargie"l.J.2. Ce communiqué, diffusé sans que le gouvernement
n'ait été consulté ou avisé, voulait le mettre devant le fait
accompli.
Jusqu'au moment de la nomination du Colonel Augustin Bizimungu
comme nouveau Chef d'état-major le 17 avril, les relations
entre le haut-commandement de l'armée et le gouvernement
intérimaire resteront tendues et les contacts très limités,
voire inexistants, même avec le Ministre de la Défense. Les
pourparlers menés avec l'aide de Booh-Booh et Dallaire par
l'armée avec le F.P.R. pour négocier un cessez-le-feu auront
lieu sans l'accord et même contre le gré du gouvernement, mais
ils n'aboutiront pas.
L'armée n'a donc pas été impliquée en tant que telle dans la
formation du gouvernement. Lorsque le Colonel Bagosora quitte
la réunion du comité de crise en claquant la porte, c'est au
Ministère de la Défense qu'il entame les pourparlers qui vont
aboutir à la formation du "gouvernement intérimaire". Alors
que le communiqué diffusé la veille sous la signature de
Bagosora évoquait les accords d'Arusha, c'est manifestement
une logique opposée qui prévaut. En effet, les négociateurs
sont des représentants des seules ailes "Power" des partis
politiques. Sont présents lors d'une série de réunions qui
vont avoir lieu
Edouard Karemera

durant la
et Joseph

journée: Mathieu Ngirumpatse,
Nzirorera pour le M.R.N.D.,

Communiqué du Commandement des Forces Armées Rwandaises, Kigali, 12 avril 1994. Les signataires sont
les Colonels Rusatira, Gatsinzi, Muberuka, Ntiwiragabo, Kanyamanza, Murasampongo et Hakizimana et les
Lieutenant-Colonels Rwabalinda, Rwamanywa et Kanyendekwe. Le Général Ndindiliyimana était à Gitarama au
moment de la rédaction du texte, mais il fit savoir
par téléphone qu'il était d'accord avec son contenu.

74

Froduald Karamira et Donat Murego pour le M.D.R., Hyacinthe
Nsengiyumva Rafiki et François Ndungutse pour le P.S.D.,
Justin Mugenzi et Agnès Ntamabyaliro pour le P.L., et JeanMarie Vianney Sibomana, Gaspard Ruhumuliza et Célestin Kabanda
pour le P.D.C. Les ténors des ailes opposées des partis sont à
ce moment soit 'morts, soit se cachent. Dans la même logique,
aucun Tutsi n'est associé aux négociations, auxq~elles le
F.P.R. n'est évidemment pas convié. On est manifestement très
loin d'Arusha.
Les pourparlers continuent jusque vers 17 ~30 heures. Pendant
toute

la

journée,

les membres

du

comité

de

crise

restent

réunis à l 'E .S .M., tout en se rendant de temps en temps à
l'état-major pour suivre les aspects opérationnels. Les
contacts avec le Ministère de la Défense sont des plus réduits
et se limitent à des coups de téléphone occassionels tendant à
obtenir
des
informations
sur
l'état
d'avancement
des
pourparlers politiques. On verra que finalement ils seront mis
devant le fait accompli.
Que le gouvernement ait été formé à

l'Ambassade de France,

comme certains commentateurs l'ont affirmé , est exagéré. En
revanche, il est certain que l'Ambassadeur de France, JeanMichel MarIaud, est constamment tenu au courant des progrès et
qu'il est consulté. Les liens du Colonel Bagosora avec
l'hexagone sont d'ailleurs très réels: il est le premier
officier rwandais à avoir fréquenté l'Ecole de Guerre en
France. Dans le courant de la matinée, Marlaud contacte son
collègue belge, auquel il fournit une liste de ministres
potentiels. L'Ambassadeur Swinnen, estimant que la tendance
est trop "Power", réagit avec réserve et exprime le point de
vue que pareil gouvernement paraît loin d'être idéal. Plus
tard dans la journée, Marlaud annonce à Swinnen: "Je viens de
présider mon premier conseil des ministres", à quoi ce dernier
répond: nA ta place, je ne serais pas si fier". Mais MarIaud
est plutôt satisfait et; il semble bien qu'il ait donné son
aval aux nouvelles institutions. En revanche, le représentant

75

spécial

affirme

n'avoir

été

à

aucun

moment

associé

aux

démarches politiques, auxquelles il se dit d'ailleurs hostile.
Jusqu'à son départ de Kigali le 12 mai, il ne rencontre aucun
membre du gouvernement intérimaire113•
Le protocole signé par les cinq partis en vue de la mise en
place du gouvernement est un document étonnant. C'est ainsi
que le préambule évoque ilIamort inopinéelldu Premier Ministre
et de certains membres du gouvernement, alors que ces personnes ont été froidement abattues par la Garde présidentielle.
Le préambule tient également compte "du souhait exprimé par
les représentants du parti PSD à cause de la situation particulière qui prévaut au niveau de la direction du parti"; cette
formule opaque doit expliquer que le P.S.D. n'est représenté
que par deux membres du bureau politique, ce que l'on comprend
mieux si l'on sait que le Président et. les deux Vice-Présidents du parti ont également été assassinés. Le protocole est
étonnant également par l'air de "normalité" qu'il respire. Il
est présenté comme la simple prolongation et l'amendement du
protocole d'entente signé le 7 avril 1992 en vue de la formation du gouvernement Nsengiyaremye, protocole déjà amendé à
deux reprises dans le courant de 1993. L'article 4 du protocole additionnel du 8 avril 1994 assigne, outre celles déjà
prévues dans

le protocole de

1992, les tâches suivantes au

gouvernement:
"- Assurer la gestion effective des affaires de
l'Etat en mettant un accent particulier sur le rétablissement rapide de l'ordre et de la sécurité des
personnes et des biens;
- Poursuivre les discussions avec le F.P.R. pour la
mise en place des institutions de la transition à
base élargie, dans un délai ne dépassant pas six
semaines;
S'attaquer énergiquement au problème de pénurie
alimentaire en cherchant les voies et moyens de
secourir les populations sinistrées de certaines
préfectures et les déplacés de guerre".

1J.3

Cependant, son attitude n'est pas exempte d'ambiguité, puisqu'il dit ne pas s'être rendu aux cérémonies de prestation de serment des autorités "intérimaires" pour des raisons de sécurité.

76

En somme donc, "business as usual". c'est assez surréaliste
lorsqu'on sait qu'au moment où ce protocole est finalisé, le
génocide et les massacres politiques sont pleinement engagés,
que le bataillon F.P.R. de Kigali est sorti depuis 24 heures
et que le gros des forces du F.P.R. vient d'entamer son offensive dans le Nord.
Autour de 17.30 heures, à l'issue de la rencontre au Ministère
de la Défense qui aura duré pratiquement toute la journée, le
Colonel Bagosora accompagne le Dr. Théodore sindikubwabo,
Président du parlement, et les autres politiciens à l'ESM, où
ils doivent rencontrer le comité de crise1J.4
. C'est donc à
l'ESM que Sindikubwabo est proclamé Président de la République
par
intérim,
en
vertu
d'une
disposition
(article 42)
manifestement caduque de la constitution de 1991, qui prévoit
qu'en cas de décès du Président de la République, l'intérim
est assuré par
le Président de
l'Assemblée Nationale.
Cependant, même si on l'avait voulu, il n'est pas possible
d'appliquer la disposition pertinente de l'accord d'Arusha,
puisque l'article 48 du protocole sur le partage du pouvoir
prévoit qu' n [e]n cas de démission, de décès, d'incapacité ou
d'empêchement définitifs du Président de la République, 10. la
vacance de poste est constatée par la Cour Suprême sur saisine
du Gouvernement de transition à base élargie; 20. l'intérim
est assuré par le Président de l'Assemblée nationale de

~~4

Comme on l'a vu, Sindikubwabo est arrivé la veille à
Kigali dans le convoi dont faisait également partie
le Colonel Gatsinzi. C'est le Ministre des Transports et Communications André Ntagerura qui a demandé à Gatsinzi d'aviser Sindikubwabo qu'il est
attendu à Kigali. Ceci est l'endroit pour attirer
l'attention sur le rôle, sans doute effacé mais
important que joue Ntagerura. Très proche du Président Habyarimana, il détient un record de longévité
politique, puisqu'il a fait partie de tous les gouvernements depuis 1982. A un moment important de la
crise, c'est lui que le Chef de l'Etat envoie le 4
mars 1994 comme envoyé spécial chez le secrétaire
général Boutros-Ghali. Et maintenant, c'est à lui
qu'on confie la tâche de faire jonction avec Sindikubwabo.

77
transition". Or aucun des trois organes appelés à intervenir
dans cette procédure n'est en place: les blocages des mois
précédents ont empêché l'installation de la Cour Suprême, du
Gouvernement de transition à base élargie et de l'Assemblée
nationale de transition. Même si le vide juridique auxquels se
trouvent confrontés les négociateurs est incontestable, ils
l'ont rempli de la façon la plus éloignée possible de l'esprit
et de la lettre des accords d'Arusha.
Cette même logique de rejet préside à l'installation du lfgouvernement intérimaire". La réunion à l'ESM s'accorde sur le
nom de Jean Kambanda comme Premier Ministre et sur une liste
de 19 ministres. Ces décisions sont ensuite officialisées par
deux arrêtés présidentiels datés du 8 avril 1994, le premier
portant nomination de Jean Kambanda comme Premier Ministre, le
second, portant nomination des membres du gouvernement. A des
degrés divers:l:l.5,
tous les ministres sont liés
à la tendance
"Power" de leurs partis respectifs. Par ailleurs, le 20 juillet 1993, le M.D.R. avait proposé d'inscrire le nom de Kambanda dans l'accord d'Arusha comme Premier Ministre du gouvernement de transition à base élargie~ il avait à cette occasion
été jugé "trop r-ad.i.ca.l
" et ce fut finalement Faustin Twagiramungu qui réussit à faire avaliser son autocandidature116• En
rupture avec une politique de longue date, on remarquera enfin
que le gouvernement ne compte aucun ministre tutsi. Cela n'est
pas illogique, puisque c'est sous la responsabilité du gouver-

1.1.5

1.1.6

A des degrés divers en effet: certains ministres ne
s'attendaient pas à cet honneur, et ceux-là ont été
amenés à l'accepter la baïonette dans le dos. Parmi
les ministres nommés, deux étaient à l'étranger.
celui de la Défense, Augustin Bizimana, rentre effectivement pour occuper son poste, mais celui de
l'Intérieur, Faustin Munyazesa, remerciera pour
l'honneur et restera à l'étranger. De même, Enoch
Ruhigira, confirmé comme directeur de cabinet à la.
présidence, quittera le pays quelques jours après sa
nomination en guise de protestation contre les massacres.
Voir à ce sujet F. REYNTJENS, L'Afrique des grands
lacs ..., op. cit., p. 122-124.

78

nement Kambanda que le génocide contre les Tutsi est mis en
exécution. Le gouvernement, présenté comme une coalition, n'en
est en réalité qu'une en apparence, lorsqu'on le place dans le
contexte du paysage politique tel qu'il se redessine depuis
plusieurs mois. En effet, même si l'équipe comporte les mêmes
parties que l'ancien, en réalité elle appartient intégralement
à la 1lmouvance présidentielle": les ministres issus des "partis d'opposition" font partie des ailes de leurs partis respectifs qui s'étaient rapprochées du M.R.N.D. dans le cadre
d'alliances sans cesse changeantes et qui avaient en commun
leur rejet de plus en plus prononcé de l'accord d'Arusha et
leur méfiance de plus en plus nette envers le F.P.R. et ceux
disposés à cohabiter avec lui.
Le Président et le gouvernement intérimaires prêtent serment à
l'hôtel des Diplomates dans la matinée du 9 avril. La
cérémonie est brève et l'assistance limitée: les membres du
nouvel exécutif, quelques députés, quelques dirigeants de
partis, quelques officiers, aucun étranger. C'est à partir de
ce moment que prend fin, du moins formellement, le rôle
politique joué par le Colonel Bagosora. Quant au "comité de
crise", il ne se réunira plus et on a vu que, de toute façon,
son rôle a été des plus limités. Politiquement, il a subi les
événements, alors qu'il aurait sans doute pu s'investir plus
activement dans la promotion de solutions plus à mêmes de
résoudre l'impasse. Plusieurs de ses membres vont par la suite
tenter de promouvoir le dialogue avec le F.P •R.: on a vu
qu'ils prennent leurs distances par rapport aux autorités
intérimaires par le communiqué du 12 avril; certains d'entre
eux publieront encore en juillet une "Déclaration de Kigeme"
dont la teneur est similaire; d'aucuns (notam~ent Rusatira et
Gatsinzi) rejoindront le Rwanda pour se faire intégrer dans la
nouvelle armée.
Tôt ce même matin du 9 avril, à

3.45 heures, les premiers

79

éléments

français

ont

attéri

à

Kigali117

pour

entamer

l'opération d'évacuation des ressortissants étrangers et de
quelques rares Rwandais. Cette opération et plus généralement
la façon dont le monde extérieur fermera la porte sur le
peuple rwandais ne seront pas abordées dans le cadre de cette
étude.

Un des premiers avions français amène un plein chargement de munitions à destination des F.A.R. (source
MINUAR) •

80

à Bujumbura.

72 heures

Un putsch en direct.

1. Les préparatifs
A Bujumbura,
trottoir

ville

annonce

qu'il

y a déjà

date

de l'élection

dent

de la

tement
res

après

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putsch

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avait

à rumeurs,

se

la
lui

prépa-

Ndageya-

à l'occasion

de

81

la tentative du 2-3 juillet, le major Nibizi s'est avéré loyal
et bien informé, et il a joué un rôle important dans l'échec
de cette tentative là. Mais ce n'est pas l'avis de tout le
monde. Lorsque Ndageyamiye appelle le chef d'état-major de
l'armée, le lieutenant-colonel Jean Bikomagu, pour lui demander de prendre les mesures nécessaires, celui-ci dit être au
courant, mais il estime qu'il ne s'agit que de la énième
rumeur, et qu'elle ne doit pas être trop prise au sérieux.
Réaction similaire de la part de Richard Ndikumwami, administrateur-général de la Documentataion et des Migrations (sûreté nationale): "on m'en a parlé, mais vous savez qu'on vit
constamment dans cette psychose du coup d'Etat. Ce n'est sans
doute qu'une rumeur •••u Il promet cependant de reprendre
contact à l'issue de la réunion qu'il est en train de présider. Ce nouveau contact n'aura pas lieu et Ndayegamiye ne
reverra pas Ndikumwami vivant.
Aussitôt la réunion du conseil des ministres terminée autour
de 20.30 heures, Ndayegamiye annonce la nouvelle au président
Ndadaye, qu'il trouve en présence du ministre de la communication Jean-Marie Ngendahayo et du ministre de la défense le
lieutenant-colonel Charles Ntak.:tje.C'est presqu'en plaisantant que le président répond à son directeur de cabinet que
ces deux ministres viennent de lui apprendre la nouvelle. Le
ministre Ntakije est rassurant: on a pris toutes les précautions nécessaires pour faire échec à une tentative, s'il y en
avait une. Ngendahayo suggère de déplacer le lieutenant-colonel Ningaba, en prison à Rumonge pour sa participation à la
tentative du 2-3 juillet et soupçonné d'être également impliqué dans le complot en préparation. Ntakije estime inutile
cette mesure et propose uniquement de renforcer la garde de la
prison de Rumonge. Il fait le point sur les autres mesures
prises: les positions au palais présidentiel seront renforcées, le camp Muha qui abrite le 2ème. bataillon commando
est mis en alerte maximum, les commandants du 1er. bataillon
para et du l1ème. bataillon blindé -unités soupçonnées de
préparer le coup- resteront de garde au camp, l'officier G3

82

(opérations), le lieutenant-colonel Twagiramungu, passera la
n'uit dans la salle opérations à l'état-major. Tout le monde
rentre plus ou moins rassuré de cette rencontre. Vers 21.30
heures le président Ndadaye arrive au palais. Après avoir diné
et se sentant fatigué, il se couche tôt, autour de 22.30
heures. Il parle à son épouse des rumeurs, mais ne paraît pas
inquiet outre mesure.
Entretemps, le major Nibizi prend certaines mesures. Il rappelle d'abord vers 21 heures tous ses officiers au camp; à
part le lieutenant Edouard Ntarataza, qu'on ne trouve pas chez
lui, tous sont de garde au camp ou sur des positions de sécurité~ notamment au palais présidentiel. Vers 23 heures, le
capitaine Ildephonse Mushwabure, commandant "de la garde présidentielle, va d'ailleurs rejoindre le palais, même s'il n'est
pas de garde ce jour-là; il y rejoint le lieutenant Gabriël
Bigabari qui y assure le commandement. Aussitôt, Mushwabure
met la garde en position d'alerte. C'est autour de 23 heures
également que le lieutenant-colonel Twagiramungu, le G3 dont
on a vu qu'il assure la permanence à l'état-major, demande au
major Nibizi de prendre une précaution très concrète: il doit
s'assurer du contrôle des trois ponts sur la rivière Muha qui
sépare le camp bataillon para du centre ville. Nibizi demande
au commandant de l'escadron blindé du 2ème. bataillon, le
lieutenant Rugigana, d'apprêter ses blindés et de mettre en
alerte les équipages.
Juste après minuit, le commandant du 11ème. bataillon blindé,
le lieutenant-colonel Pancrace Girukwikomba, informe tant
l'état-major que le major Nibizi que "ses hommes se préparent
pour sortirlf• Le capitaine Mushwabure est aussitôt averti par
Nibizi, qui lui annonce des signes de mouvement des unités
para et blindés et qui recommande de mettre la garde du palais
en position de défense. Mushwabure tente d'appeler le président Ndadaye, mais son téléphone est occupé. Nibizi décide
également de mettre en place le dispositif sur les ponts, mais
le lieutenant Rugigana vient l'avertir que les équipages de

83

ses

blindés

sont

moins

qu'enthousiastes

pour

entamer

leur

mission. Nibizi' est obligé de les convaincre en menaçant de
les sanctionner~ finalement des éléments de l'escadron blindé
du 2ème. bataillon se mettent en marche pour occuper leurs
positions, mais d'après Nibizi ils y vont lien traînant des
pieds". On va retrouver cette atmosphère de complicité passive
tout au long de la nuit.
2. Une nuit tragique
Il est autour àe 0.30 heures. C'est à ce moment que l'alerte
est donnée aux 1er. et 11ème. bataillons, basés dans un seul
et même camp. Les comploteurs se préparent pour sortir ~ les
militaires qui ne sont pas dans le coup sont réveillés par des
coups de feu tirés en l'air. La position des officiers est
quelque peu obscure. Apparamment les commandants des deux
unités où débute l'insurrection sont neutralisés sous la
menace des armes et séquestrés. En revanche, d'après certains
témoins, le lieutenant-colonel Daniël Nengeri, commandant du
camp Base, dont de nombreux hommes ont rejoint les insurgés,
aurait lui-même autour de minuit autorisé l'ouverture de
l'arsenal du camp, ce qui laisserait supposer sa complicité
active.
Autour de 1.30 heures, des blindés AML du 11ème. bataillon et
des camions remplis de parachutistes quittent le camp. Un
blindé passe au camp Base tout proche, et il est immédiatement
suivi par de nombreux militaires de cette unité manifestement
au courant de ce qui se trame. De même quelques éléments du
2ème. bataillon commando, dont le camp se trouve également
dans le voisinage immédiat, sont embarqués. En réalité, il y a
une grande concentration d'installations militaires dans cette
zone de Musaga, juste au sud de la rivière Muha. AU même
moment, quelques officiers détenus à la prison de Mpimba
(située dans le même quartier), soupçonnés d'être impliqués
dans la tentative du 2-3 juillet, sont libérés~ il s'agit
notamment des majors Busokoza et Rumbete, que les mutins n'ont

84

aucun mal à extraire de la prison.

Lorsque la colonne fran-

chit le pont de la rivière Muha, les blindés du 2ème. bataillon qui y ont pris position, on l'a vu, à contrecoeur ne leur
opposent aucUne résistance. Cette complicité, une réelle
trahison, ouvre la voie vers le centre ville. D'autres camps
rejoignent les putschistes. Des centaines de parachutistes,
gendarmes, infantéristes et même quelques commandos, appuyés
par une dizaine de blindés arrivent en ville, où ils occupent
des points stratégiques et ouvrent la chasse à des responsables politiques. Ils prennent immédiatement position autour du
palais présidentiel.
A l'intérieur de l'enceinte du palais, il n'y a que 38 militaires de la garde présidentielle, commandés par le capitaine
Mushwabure et le lieutenant Bigabari. Ils sont appuyés par
deux blindés BRDM, rejoint in extremis -on le verra- par un
troisième, et ils disposent de quelques missiles Milan. C'est
autour de 1.30 heures, à peu près lorsque les putschistes
commencent à quitter le camp bataillon para, que le président
Ndadaye est appellé par le ministre Ntakije, qui lui apprend
que des militaires sortent. Selon son témoignage, Ntakije
recommande au président de quitter le palais le plus tôt
possible et de se cacher en un endroit sûr et près d'un téléphone. Ndadaye quitte aussitôt la résidence. Au moment de
sortir il rencontre Mushwabure, venu à la résidence pour
parler au président; on se souvient qu'ayant voulu le rejoindre par téléphone, cela sonnait occupé. D'après Mushwabure, il
propose au présidént de le faire quitter immédiatement le
palais dans sa jeep. Ndadaye refuse cette proposition, affirmant que Ntakije lui a conseillé de se mettre à l'abri dans un
blindé. Sur ce point crucial, les témoignages de Ntakije et de
Mushwabure sont donc contradictoires. Quoi qu'il en soit, le
président ne quitte pas le palais et s'installe dans un des
blindés BRDM; il met un treillis militaire, lui fourni par
Mushwabure.
C'est le début d'une longue et bizarre attente. Bizarre sur-

85

tout: on a vu que Ndadaye a quitté la résidence vers 1.30
heures; il s'installe immédiatement dans le blindé après avoir
mis une tenue militaire; entre ce moment et environ 6 heures,
il n'aura plus aucun contact, notamment avec son épouse,
restée à l'intérieur avec leurs trois enfants. QU'a fait le
président pendant quatre heures et demie? pourquoi n'a-t-il
pas tenté d'entrer en contact ni avec sa famille, ni avec des
responsables civils et militaires? Etait-il libre de ses
mouvements? Son seul contact avec l'extérieur est le capitaine
Mushwabure, avec qui il a eu trois brèves conversations durant
la nuit. D'après les trois membres de l'équipage du blindé, on
n'a pas utilisé la radio du véhicule; en revanche, Ndadaye
ava i t son télécel, mais il ne l'a pas utilisé: les relevés
télécel renseignent deux appels entrants (à 1.42 heures une
conversation d'à peine 27 secondes avec son directeur de
cabinet; à 3.13 heures une conversation de 59 secondes avec un
abonné Onatel non identifié), mais aucun appel sortant. Cette
longue situation d'isolement et d'apparante passivité laisse
perplexe: Ndadaye était-il prisonnier dès son introduction
dans le blindé?
Il est vrai que vers 1.45 heures l'attaque du palais a commencé et que la garde est confrontée à un sérieux problème de
sécurité. Cependant, de ce point de vue on se trouve également
face à une situation curieuse. La seule confrontataion militaire a lieu tout à fait au début de l'encerclement du palais,
lorsque quelques parachutistes tentent de pénétrer dans l'enceinte dans le sillage d'un blindé, commandé par le lieutenant
Rugigana et envoyé en renfort par le major Nibizi. La garde du
palais ouvre le feu sur les assaillants, qui rebroussent
chemin; deux parachutistes sont blessés à cette occasion: ce
seront les seulés victimes militaires du putsch. D'autres
blindés du 2ème. bataillon n'arriveront pas au palais et il
semble bien qu'ils n'aient pas vraiment essayé; ainsi un
blindé commandé par le lieutenant Manegure restera stationné
pendant au moins deux heures à deux cents mètres à peine du
palais, sans tenter quoi que ce soit.

86

Sur le terrain, les opérations des insurgés sont dirigées par
le lieutenant Jean-Paul Kamana du 11ème. bataillon blindé.
Parmi ceux activement impliqués, on remarque de nombreux
militaires qui ont fait partie de la sécurité de l'ancien
président Pierre Buyoya. Mutés en juillet-août 1993 après la
défaite électorale de leur patron, certains ont pu sous des
prétextes divers éviter de rejoindre leurs nouvelles unités,
alors que d'autres se sont arrangés (pour cause de "congé" ou
"pour soins médicaux") pour être à Bujumbura au moment du
putsch.
Alors que le palais est encerclé pendant plus de quatre heures, on est frappé par l'absence totale de réels combats. Les
putschistes ne font plus aucune tentative pour pénétrer à
l'intérieur de l'enceinte. Or leur supériorité numérique est
considérable (des centaines d'hommes et plusieurs blindés) et
la supérficiè du domaine le rend difficile à tenir: quelques
dizaines d'hommes à peine pour empêcher l'infiltration de nuit
d'un parc grand d'environ deux hectares; en outre, la garde du
palais est en position défavorable, puisque le mur d'enceinte
l'empêche d'observer l'adversaire. De part et d'autre, on fait
beaucoup de bruit, mais peu de casse: à part deux trous dans
le mur du palais et des dégâts à la résidence (la toiture ét
des vitres sont cassées), peu de traces font penser à des
combats. A peine huit obus sont tirés par les blindés assaillants; quant à eux, les BRDM ont tiré des rafales de mitrailleuse au-dessus du mur et un seul Milan a été utilisé. En
somme, il n'y a pas eu de véritables combats, et les militaires de part et d'autre ont manifestement raisonné dans une
logique qui voulait éviter de "se rentrer dedans'". On a observé le même phénomène au pont de la Muha et on le retrouvera
plus tard dans la matinée au camp Muha.
Tandis qu'on se regarde comme des chiens de faïence autour du
palais, la ville est investie par les mutins, qui ont des
objectifs très précis. Ils déclenchent d'abord une véritable
chasse à l'homme. c'est comme s'ils procèdent avec la

87

constitution en main; les personnalités visées constituent le
sommet de
militaires

l'Etat et du FRODEBU. Vers 2.30 heures, des
avec des blindés et des camions arrivent à la

résidence du président de l'Assemblée nationale, Pontien
Karibwami. Sans que la garde du 2ème. bataillon, qui assure sa
,sécurité, n'offre la moindre résistance, ils entrent par
effraction dans la maison et enlèvent Karibwami sous les yeux
de son épouse et de ses enfants. Il sera assassiné quelques
heures plus tard au camp bataillon para.
Entre 3 heures et
3.30 heures, le ministre de l'Intérieur Juvénal Ndayikeza
appelle le major Nibizi pour demander de lui envoyer une
protection; il n'a pas confiance dans les policiers qui
assurent habituellement sa garde. Nibizi envoie tout de suite
un peleton sous les ordres du capitaine Cishahayo. c'est
presqu'au même moment qu'un blindé et deux camions remplis de
parachutistes arrivent à la résidence de Ndayikeza. Une fois
de plus, c'est sans combats que les putschistes s'emparent de
la personne du ministre de l'Intérieur. Autour de 4 heures,
c'est le tour de Gilles Bimazubute, vice-président de
l'Assemblée, enlevé chez lui dans des circonstances analogues.
Richard Ndikumwami, administrateur-général de ia sûreté est
enlevé de la même façon à Ngagara sans que les policiers qui
le gardent n'opposent la moindre résistance. Cependant, dans
quelques cas les putschistes loupent le coche, non sans
conséquences dramatiques. Ne trouvant pas le ministre des
Affaires étrangères sylvestre Ntibantunganya chez lui, ils
abattent froidement son épouse et une amie de celle-ci. D'autres ministres prennent le maquis en se cachant chez des amis,
de préférence des étrangers. Les ministres Léonard Nyangoma et
Jean-Marie Ngendahayo échappent de justesse à l'arr~station.
Lorsque de leur cachette Ngendahayo appelle le ministre Ntakije vers 7 heures pour demander une protection, ce dernier
(lui-même planqué dans les bureaux d'un expatrié) conseille
d'appeler Nibizi; au numéro de télécel de celui-ci, c'est le
chef d'état-major, le lieutenant-colonel Jean Bikomagu, qui
répond et qui note l'adresse de sa cachette avec la promesse
d'envoyer une patrouille. Une heure plus tard, ce n'est pas

88

une patrouille qui arrive, mais un groupe de putschistes venus
pour arrêter les deux ministres, qui ont la chance d'être
partis se planquer ailleurs vingt'minutes plus tôt. D'après le
ministre Ngendahayo, le chef d'état-major était le seul à
connaître l'endroit de leur cachette ..• Dans le courant de la
nuit, d'autres personnalités sont arrêtées et emmenées au camp
bataillon para, où tout converge, comme on va le voir.
A part les coups de filet coordonnés, les insurgés s'assurent
du contrôle de la ville. Les axes principaux sont occupés et
des bâtiments officiels, dont la radio et la télévision,
investis. Ce n'est pas sans peine que le téléphone est coupé
un peu après 5 heures (les numéros commençant par 23 et le
télécel ne seront supprimés que dans l'après-midi). A aucun
moment lors de leurs opérations, les putschistes ne rencontrent la moindre résistance, alors que Bujumbura ne manque pas
d'unités qui auraient pu s'opposer à la tentative (la ville
compte douze installations militaires). Au contraire, on verra
qu'en général les unités de la ville, des alentours et de la
province rejoignent la tentative, même si plusieurs officiers
supérieurs y étaient en réalité opposés.
Retournons

au palais présidentiel, qu'on a laissé en pleine

"drôle de guerre". Le capitaine Mushwabure a pu rester en
contact tant avec le commandant de son bataillon, le major
Nibizi, qu'avec le ministre Ntakije. Vers 4 heures, ceux-ci
demandent de tenir ferme jusqu'à l'aube, lorsque des hélicoptères viendront le dégager et évacuer la famille présidentielle. Mushwabure confirme que cela ne pose pas de problème, mais
son optimisme n'est pas partagé par d'autres, y compris son
second, le lieutenant BigabarL
Par la suite, les contacts
deviendront impossibles, puisque le téléphone sera coupé un
peu plus tard~ la motorola de Mushwabure est déchargée vers le
même moment et les communications directes avec le camp Muha
par les radios des blindés s'avèrent impossibles. A partir
d'environ 5 heures, le palais est donc coupé du reste du
monde, ce qui ajoute au caractère surréaliste de la situation:

89

l'enceinte

du

palais

est

encerclée,

à

l'intérieur

il y. a

quelques dizaines d'hommes, le président (vêtu d'un uniforme
militaire) se trouve dans un blindé, sa famille est à l'intérieur de la résidence ... Toute cette scène se déroule de façon
déconnectée par rapport au reste du monde, comme en vase clos:
pas de contacts avec l'extérieur, pas de véritables combats,
pas de renforts, pas d'initiative pour dégager le palais. Tout
le monde semble attendre, sans rien faire.
Un peu avant 6 heures, lorsqu'il commence à faire jour, quelques tirs touchent la résidence, qui subit des dégâts; un des
enfants du président est légèrement blessé. C'est autour du
même moment que le blindé du 2ème. bataillon commandé par le
lieutenant Managure se présente à l'entrée du palais. On a vu
que ce véhicule était resté stationné tout près durant la
nuit. Lorsqu'il a voulu changer de position de stationnement,
ce blindé a été bloqué par des éléments putschistes, commandés
par le lieutenant Kamana, qui exige qu'il se rende au palais
pour porter un message à Mushwabure. Menacé, Managure accepte.
Arrivé à l'entrée, le blindé est interdit d'accès, mais Managure quitte le véhicule et entre sans armes dans l'enceinte.
Il annonce à Mushwabure qu'il est l'otage des putschistes et
qu'il apporte un message de la part de Kamana: "Si vous ne
quittez pas l'enceinte, on va détruire le palais par bombardement. Il va de soi que les blindés 9uittant l'enceinte seront
fouillés". c'est alors que Mushwabure décide qu'il faut évacuer le président et sa famille. Lorsqu'il annonce sa décision
au lieutenant Rugigana, celui-ci est consterné d'apprendre que
le président est toujours là; il le croyait évacué depuis le
début de la nuit.
Alors débute une saga qui se soldera par le drame. Des soldats
vont d'abord chercher l'épouse du président, leurs enfants et
deux domestiques; ils sont installés dans un premier blindé
qui ne démarre pas. Transférés dans un deuxième blindé, ils
rejoignent celui où se trouve le président depuis 1.30 heures.
On fait ct' abord une tentative de faire passer les occupants

90

au-dessus du mur mitoyen avec le terrain de l'hôtel Source du
Nill mais cette idée est abandonnée vu la présence de militaires putschistes tout autour de l'enceinte. C'est alors que
Mushwabure décide qui il faut faire quitter la famille présidentielle en blindé. Lorsqu'il donne ordre au lieutenant
Rugigana de prendre le commandement du blindé chargé de l'évacuation, celui-ci est très pessimiste quant' aux chances de
l'opération; il dit au président: "On tentera la sortie, mais
nous allons mourir ensemble". Le président souscrit toutefois
au projet dlévacuation et propose qu'on l'emmène à Jabe ou au
quartier 7 à Ngagara, mais le capitaine Mushwabure s'oppose à
ces destinations et ordonne à Rugigana de se rendre au camp
Muha. Le président insiste pour que tous voyagent dans un seul
blindé, par peur que l'autre ne soit pris en otage. c'est donc
très serré qu'on voyage: à part le lieutenant Rugigana et les
trois membres de l'équipage (chauffeur, tireur et pourvoyeur),
s'y entassent le président, son épouse Laurence, les trois
enfants et deux domestiques. Vers 6.30 heures,
qui~te l'enceinte du palais par la porte sud.

le

blindé

Avant de le suivre, il faut faire un saut en arrière parce que
beaucoup s'est passé depuis le début de l'insurrection. On a
laissé la ville investie par les putschistes, qui ont déclenché leur chasse à l'homme. Regardons maintenant le parcours de
deux acteurs importants. Vers 3 heures, le député et ancien
ministre de l'Intérieur François Ngeze est réveillé par des
bruits provenant d'une parcelle en bas de la sienne; en fait
cela vient de la résidence du
nationale que les putschistes sont
enfile sa tenue de sport, pantalon
aller voir ce qui se passe dans la

président de l'Assemblée
en train d'investir. Ngeze
ntraining" et maillot, pour
rue. C'est à ce moment que

des militaires frappent à la porte et exigent qu'il les suive.
D'après Ngeze, c'est menacé de mort qu'il accepte de les
accompagner, tout en insistant de conduire sa propre VW Jetta.
Gardé par trois militaires, il suit le convoi, qui finalement
l'emmène au camp bataillon para, où il arrive autour de 4
heures. Il Y est introduit dans un pièce, mais il ne semble

91

pas gardé

de

très

près. Une

demi-heure

plus

tard,

il est

rejoint pendant quelques instants par le lieutenant-colonel
Bikomagu, dont on suivra bientôt le parcours. Lorsque ce
dernier repart un peu plus tard, Ngeze le suit et demande de
pouvoir l'accompagner, ce que Bikomagu refuse. En somme, c'est
lui qui empêche Ngeze de quitter le camp et non les militaires
qui l'y ont emmené et qui semblent se désintéresser de lui. On
1

retrouvera Ngeze au camp quelques heures plus tard.
Le chef d'état-major Bikomagu, quant à lui, a pris dans le
courant de la soirée de mercredi les quelques mesures qu'on a
déjà évoquées: consignation dans leur camp des commandants des
1er. et llème. bataillons, alerte du 2ème. bataillon, ordre
donné à l'officier G3 de rester de garde en salle opérations. .. On a également vu que Bikomagu ne prend pas très au
sérieux la "rumeur" de putsch et qu'il estime qu'en tout état
de cause, les précautions prises sont suffisantes. Vers 1
heure, le G3 informe Bikomagu de la sortie des insurgés.
S'étant rendu à l'état-major, il apprend que les mutins ont pu
franchir la rivière Muha et qu'ils sont en route pour le
palais. Vers 3 heures, un groupe de militaires vient arrêter
Bikomagu à l'état-major. Débute alors une épopée assez bizarre. Bikomagu refuse de monter dans un camion et suit les
mutins dans son véhicule de service. Arrivé au camp para, il
reste libre de ses mouvements: on a vu qu'il y rencontre
Ngeze, qu 1 il refuse de faire sortir du camp; il parle au
commandant du 1er. bataillon, ainsi qu'à un groupe de mutins,
qu'il tente de convaincre d'abandonner la tentative. N'osant
pas retourner à l'état-major, il se rend au camp Muha, où le
major Nibizi l'informe de ce que le palais tient. Bikomagu
fait alors appeler des officiers des 1er. et llème. bataillons; ceux-ci ne sont manifestement pas aux arrêts, puisqu'ils
rejoignent Bikomagu, qui leur demande de raisonner leurs
hommes. Vers 6 heures, il est rejoint au camp Muha par le
lieutenant-colonel Lazare Gakoryo, secrétaire d'Etat à sécurité du territoire.

92

3M

L'assassinat

du président

On a assisté au départ du blindé évacuant la famille présidentielle. Lorsqu'il quitte l'enceinte, il rencontre très peu de
résistance. Sur la place de l'Indépendance, il tourne à gauche
et s'engage dans la rue du stade, où il se fait brièvement
arrêter devant l'hôtel Source du Nil par le lieutenant Kamana.
Après une brève palabre, le lieutenant Rugigana décide de
foncer. Personne ne tente de poursuivre le blindé, et il est
manifeste que tout le monde savait qu'il se dirigerait vers le
camp Muha. Rugigana suit un itinéraire sinueux pour éviter
d'éventuels barrages: à la fin de l'avenue du stade, il passe
à droite dans le boulevard du port, ensuite à droite sur la
chaussée du peuple murundi; devant le Novotel, tout près de
son point de départ, il vire à gauche et emprunte le boulevard
de l'Uprona, où il passe devant l'ambassade de France: celleci n'est pas gardée et le blindé aurait sans doute pu
simplement y entrer et mettre la famille présidentielle en
sécurité. Mais le blindé ne s'arrête pas et poursuit son
chemin. Derrière la présidence, il tourne à droite pour
s'engager dans le boulevard de l'indépendance; il croise la
chaussée Prince Louis Rwagasore et emprunte l'avenue UJRB;
après un crochet au boulevard du 28 novembre, il prend la
chaussée de Gitega, traverse la rivière Muha et arrive au camp
Muha un peu après 7 heures. Voyant le camp encerclé, Rugigana
ordonne au chauffeur de foncer à travers la barrière. Arrivé à
l'intérieur du camp, seul Rugigana quitte le blindé, qu'il
referme et qu'il ordonne de garder. Il se rend au bureau du
major Nibizi, où à son grand étonnement il trouve également
les lieutenant-colonels Bikomagu et Gakoryo. A leur demande,
le président quitte à son tour le blindé et rejoint le bureau
de Nibizi, où on discute des voies de sortie: les possibilités
d'évacuation par hélicoptère, déj?t envisagée lorsque Ndadaye
était

encore

au

palais,

et

par

convoi

de

blindés

sont

évoquées.
c'est

au moment



on

s'apprête

à

faire sortir du blindé

93

l'épouse et les enfants du président que les insurgés entourant le camp deviennent de plus en plus menaçants et que le
président est réintroduit dans le blindé. Le major Nibizi
constate que ses hommes abandonnent leurs positions; lorsqu'il
tente de les convaincre de défendre le camp, ils lui disent
qu'ils ne veulent pas mourir "pour un seul homme", qu'il "faut
livrer le président" et que "les mutins ne lui feront rien".
Etant donné le refus des commandos de se battre, le camp est
devenu indéfendable. Bikomagu tente alors de négocier une
solution. Après deux contacts avec des militaires à l'extérieur du camp, il annonce à Nibizi qu"'on doit livrer le
président", qu'"ils ne lui feront rien" et que "sa famille
peut partir"; il faut donc laisser entrer les assaillants.
c'est autour de 8.30 heures que, selon l'expression de Laurence Ndadaye, les "militaires enrâgés" font irruption au camp.
Des dizaines de parachutistes prennent l'assaut du blindé,
sans que les commandos du 2ème. bataillon ne leur opposent la
moindre résistance. Les assaillants entourent le blindé,
tapent sur la carosserie, exigent qu'on ouvre le véhicule.
Quelqu'un apporte une clef, après quoi les occupants commencent à quitter le blindé. Lorsque Ndadaye sort en cinquième,
les insurgés se mettent à hurler, à siffler, à insulter.
Ndadaye: "Attendez que je vous parle".
Brouhaha de la part des mutins.
Bikomagu: "Laissez le parler".
Ndadaye: "On peut discuter. Dites ce que vous voulez et
on trouvera une solution. Mais ne versez pas le sang:
pensez à votre pays et à vos familles".
Les mutins: "On s'en fout", "Qu'il meure, le chien".
Bikomagu: "Voici l'homme que vous cherchiez. Gardez-le.
Moi, je prends la famille".
Sur ce, Ndadaye est emmené au camp para dans une jeep, alors
que Bikomagu fait évacuer la famille du président vers l'ambassade de France. Ndadaye arrive au camp para vers 9 heures;
Bikomagu, Nibizi et Gakoryo suivent le cortège. Lorsqu'ils

94

arrivent

au camp, Ndadaye est quelque peu brutalisé,

et ensui-

te introduit
dans un bureau autour duquel se bousculent quelques dizaines de militaires.
Le lieutenant Kamana, qui continue manifestement de commanderles insurgés, oblige Bikomagu,
Gakoryo et Nibizi de quitter
le camp; ils sont escortés au
mess des officiers,

qui se trouve

à moins de dix minutes de

distance.
Kamana s'adresse

alors

aux mil i taires

provenant de di verses

unités,
rassemblés sur le terrain
de basket-baIl,
qui
trouve juste derrière le local où Ndadaye est gardé. Il dit

se
en

substance: "Nous venons de remporter une première victoire.
Je
vais maintenant faire
libérer
Ningaba, qui deviendra chef
d'état-major
ou ministre de la Défense. Le président Ndadaye
suivra la voie de Pontien Karibwami (tué, on l'a vu, vers 5
heures
effet,

du matin) ét il sera remplacé par François Ngeze; en
pour évi ter des problèmes ethniques, il faut que le

président
soit Hutu". Kamana donne ensui te des ordres:
il
envoie un convoi à Rumongepour libérer Ningaba, et il fait
déployer des troupes pour la garde des bâtiments officiels,
les banques et d'autres

endroits

Immédiatement après cette

stratégiques.

rencontre,

entre

9.30 et 10 heures,

le président Ndadaye est assassiné par quelques-uns des militaires présents. Maintenu par l'un d'eux à l'aide d'une corde,
les autres lui
port d'autopsie
dans le
latérale,

assènent quatorze coups de baïonette.
Le rapconstatera que "sept de ces coups ont pénétré

thorax et provoqué une hémorragie intrapleurale
biavec pneumothorax ( ..• ) Le décès est dû à l' hémo-

pneumothorax bilatéral.
Le corps du président
soirée,

lorsqu'il

près de la clôture

est

Il a dû intervenir
assez rapidement".
reste dans le bureau jusque dans la
enterré

du camp.

à

côté

de celui

de Karibwami

95

4. Tentative

de structuration

du putsch

Depuis 7 à 8 heures du matin, les officiers présents à Bujumbura se rendent pour la plupart au mess des officiers. Ils n'y
sont pas conduits, mais y vont naux nouvelles", ce qui paraît
être une sorte de routine en cas de problèmes (le Burundi n'en
est pas à son premier coup ...). Même si certains officiers y
sont emmenés et si des militaires putschistes se trouvent dans
les alentours, les officiers gardent une relative liberté de
mouvement. D'aucuns entrent et sortent sans être inquiétés.
Autour de 10.30 heures, une centaine d'officiers est là, en
train de commenter les événements. c'est alors qu'arrive un
émissaire du lieutenant Kamanai il est porteur d'une liste
d'officiers attendus au camp para. Figurent sur cette liste:
les lieutenant-colonels Simbanduku, Ningaba et Nzosaba, les
majors Ndayisaba, Nibizi, Bugegene, Ndacasaba, Niyoyunguruza,
Rumbete et Busokoza, et les lieutenants Ntarataza, Kamana et
Ngomirakiza. Cette liste, écrite à la main sur un bout de
carton vert, est hétéroclite: le rôle de Kamana dans le putsch
est manifeste; trois autres officiers (Ningaba, Rumbete et
Busokoza) sont en prison comme présumés complices de la tentative du 2-3 juillet; Ntarataza (2ème. bataillon commando) est
soupçonné par son propre commandant d'unité d'avoir participé
aux préparatifs (on a vu que c'est le seul officier de cette
unité qui n'a pas rejoint le
d'autres officiers, notamment

camp la veille); cependant,
le major Nibizi, ne sont

manifestement pas impliqués dans la tentative.
Les officiers figurant sur la liste et présents au mess sont
conduits au camp para dans un minibus d'ONATEL, sauf le lieutenant-colonel Simbanduku, qui utilise son propre véhicule.
Arrivés au camp vers 11 heures, ils sont introduits dans un
local à quelques mètres du bureau où se trouve le corps du
président Ndadaye. Ils y sont rejoints par le lieutenant
Kamana, qui leur dit en substance: "Les militaires ont confiance en vous et vous devez donc prendre les choses en main.

96

Ils

réclament

François

Ngeze

comme

président;

il

faut

le

convaincre d'assumer cette responsabilité" . Sur ce, Kamana
introduit Ngeze, auquel Pascal Simbanduku, qui en tant qu'officier le plus ancien assume le rôle de porte-parole, tient le
discours indiqué par Kamana. Sans trop se faire prier, Ngeze
accepte les responsabilités lui confiées et demande aux officiers de l'aider dans cette tâche. Alors qu'il est question de
succession à la tête de l'Etat, ni Ngeze ni les officiers ne
soulèvent la question évidente, qui est celle du sort du
président Ndadaye. Pendant l'échange entre Ngeze et les officiers, Kamana quitte le local; lorsqu'il revient quelques
minutes plus tard, il annonce, l'air consterné, que Ndadaye
vient d'être tué. Or on sait que l'assassinat a eu lieu il y a
au moins une heure et que Kamana en était parfaitement au
courant, puisqu'il l'a lui-même ordonné, ou au moins autorisé.
Lorsque la nouvelle tombe, elle cause un certain émoi, qui
cède rapidement la place au sentiment que fi la vie oorrt i.nue" et
qu'il faut reprendre les choses en main. A l'issue de la
rencontre, qui a duré moins d'une demi-heure, Ngeze s'adresse
aux militaires présents dans le camp. Il les remercie pour
leur confiance et leur demande de l'aider dans sa tâche et
d'obéir à leurs officiers.
Puisque Ngeze doit rejoindre les officiers au mess où il sera
présenté comme nouveau président, le major Nibizi propose
qu'il aille d'abord se changer; il est en effet toujours
habillé en tenue de sport, qu'il portait lorsque les militaires sont venus le chercher chez lui. Mais Ngeze, appuyé par le
major Ndayisaba, décline et insiste au contraire pour rencontrer les officiers dans sa tenue peu "présidentielle"; il
invoquera par la suite la façon dont il était vétu pour démontrer son état d'impréparation en vue du putsch.
Lorsque Ngeze se rend au mess des officiers, une nouvelle
phase du putsch est entamée, celle de la reprise en main par
la hiérarchie militaire. Devant la centaine d'officiers, il
tient un discours semblable à celui qu'il a adressé aux mili-

97

taires du camp para, insistant sur le fait qu'il n'a accepté
la mission lui confiée que sous la condition que les militaires acceptent le commandement de leurs officiers; il leur
demande par conséquent de reprendre en mains leurs subalternes. Par la suite, ni les officiers réunis au mess, ni ceux
figurant sur la liste des treize apportée par l'émissaire de
Kamana, ne jouent plus un rôle en tant que tels. La gestion de
la situation se déplace à l'état-major, où Ngeze se rend après
avoir finalement mis costume et cravate. Il se déplace dans
une Mercedes de la flotte du protocole présidentiel et le
major Ndayisaba, assisté par le lieutenant Kamana, est chargé
de sa sécurité sur ordre du lieutenant-colonel Simbanduku.
Celui-ci joue un rôle important. On a vu qu'en tant qu'officier le plus ancien il est le porte-parole des officiers
appelés au camp bataillon para; il est l'oncle de Kamana, sur
lequel il a dès lors un certain ascendant; et sous le président Buyoya, il était conseiller chargé des questions de
sécurité (or on a vu que de nombreux militaires de la sécurité
de Buyoya sont activement impliqués dans le putsch).
C'est autour de 13 heures que se constitue à l'état-major un
"comité de gestion de la crise", dont font partie François
Ngeze et les lieutenant-colonels Bikomagu, simbanduku et
Daradangwa; autour de 14 heures, ils sont rejoints par
lieutenant-colonel Ningaba, qui rentre dé Rumonge, où

le
un

convoi dirigé par le sergent-major Nahimana est allé le libérer de la prison. C'est à ce moment que Kamana s'éclipse en
faveur de Ningaba, qu'il considère manifestement comme son
patron. Mais la position de Ningaba est peu confortable dès le
départ. Il exige un véhicule et un bureau, et il tente de
s'imposer au "comité de crise", mais il est mal vu par ses
autres membres, qui ne désirent manifestement pas être associés à lui à cause de son implication dans la tentative du 2-3
juillet. Ningaba tentera par la suite de contrecarrer certaines décisions du "comité", par rapport auquel il sera progressivement marginalisé avant de s'éclipser.

98

A partir

de 14 heures,

le

"comité"

organise

de nombreuses

réunions.
autorités

Au lieu de tenter
d'entrer
en contact avec les
légales, Ngeze appelle d'abord quelques "amis poli-

tiques" en consultation:
L. Bararunyeretse,
A. Kadege, J •B.
Manwangariet c. Mukasi, membresdu bureau exécutif de l'UPRONA. Alors que les participants
à cette rencontre affirment
qu'il
Y était
uniquement question de la façon de gérer la
crise et qu'il y avait consensus sur la nécessité de rétablir
la légalité
constitutionnelle,
rien de concret n'est proposé
pour remettre le pouvoir aux autorités
légitimes.
c'est bien
le contraire
qui se passe, et la réunion se situe dans la
logique du putsch. Ainsi, on rédige un communiquémanifestement "putschiste",
qui sera diffusé le soir et sur lequel on
reviendra.
Par la suite,
le "comité" prend des mesures manifestement
illégales
perpétuant le putsch. Dans le courant de l' aprèsmidi, Ngeze procède à des nominations par "notes de service",
qui sont en réalité
des décrets présidentiels.
Le lieutenantcolonel Bikomagu est nomméchef d'état-major
des armées (à
première vue, cela paraît paradoxal, puisque Bikomaguest déjà
chef d'état-major
de l'armée; cependant, à y regarder de plus
près, cette décision comporte une symbolique pol! tique considérable,
puisqu'elle
implique la réunification
de l'armée et
de la gendarmerie, scindées par le régime Ndadaye; on ne
connaît pas la réaction du lieutenant-colonel
Epitace Bayaganakandi, chef d'état-major
de la gendarmerie, dont l'avis
n'a
manifestement pas été demandé); le lieutenant-colonel
gure est nomméadministrateur-général
de la sûreté,

Baribwefonction

dont il démissionnera le lendemain pour être remplacé par ie
lieutenant-colonel
Niyonkuru, qui avait
déjà occupé cette
fonction sous le régime Buyoya; le lieutenant-colonel
Gérard
Cishahayo devient directeur-général
de la Police des airs, des
frontières
et des étrangers (PAFE). En outre, les gouverneurs
de province sont remplacés par les commandants de district
militaire

coïncidant

avec leur

juridiction.

99

De nombreuses autres réunions ont lieu à l'état-major, à un
point tei que Bikomagu a du mal à se souvenir de leur séquence, "tellement il y en a euu• En fin d'après-midi, autour de
16 heures, le "comité" rencontre des représentants des partis
d'opposition. Contrairement aux quatre membres du bureau
exécutif de son parti qui ont rencontré le "comité" en début
d'après-midi, le président de l'UPRONA, Nicolas Mayugi, adopte
une position ferme: il insiste sur la nécessité de rétablir la
légalité constitutionnelle; d'autres participants à la réunion
interviennent dans le même sens.
Alors que la classe politique semble ainsi rejeter le coup de
force, cela n'empêche qu'à partir de 21 heures la radio
nationale diffuse à plusieurs reprises un "communiqué du
conseil national de salut public", qui ne fait pas état d'un
quelconque retour à la légalité.
Au contraire, il Y est
annoncé que toute l'armée soutient le putsch.
En outre,
contrairement à la réalité, le conseil national de salut
public est présenté comme représentant, à part les partis
politiques, les ligues des droits de l'homme et les églises.
Or, ni les ligues ni les églises n'ont assisté à la réunion
dont il a été question. En réalité, ce communiqué dépasse la
simple "gestion de crise": on assume le pouvoir plutôt que de
préparer le terrain pour le retour des autorités légales.
Plus tard, le ministère de la défense nationale parlera d'un
"communiqué qui n'engage que le groupe des putschistes".
En voici le contenu:
"Communiqué du conseil national de salut public
Ce jeudi de nuit, toutes les unités de l'armée et de
la gendarmerie se sont soulevées contre le pouvoir
en place. A la suite de cette situation une crise
grave s'est installée.
Dans le souci de préserver la paix, la sécurité et
l'ordre public il a été mis en place un conseil
national de salut public, celui-ci composé comme
suit:
- les représentants de tous les partis politiques;

100

les représentants des ligues des droits
l'homme;
- les représenta~ts de la société civile;
- les représentants des forces de sécurité.

de

A l'issue de sa première séance tenue dans l'aprèsmidi de ce jour, Monsieur François Ngeze a été
désigné président de ce conseil.
En outre le
conseil a pris les décisions suivantes:
1) il est installé un couvre feu sur toute l'étendue
du territoire de 18 h. à 6 h. du matin.
2) Les frontières entre le Burundi et les pays
voisins sont fermées.
3) Le port et l'aéroport international de Bujumbura
sont fermés à tout trafic.
4) La circulation de la population d'une commune à
l'autre est strictement interdite.
5) La constitution de groupements de plus de trois
personnes est strictement interdite.
6) Les commandants de district sont chargés de
prendre en main l'administration des provinces et
d'assurer la sécurité, la paix et l'ordre public.
7) En ces moments difficiles le conseil fait appel
au sens patriotique de chaque citoyen pour que cette
crise soit surmontée dans l'intérêt supérieur de
tous les Burundais.
8) Le consei l exhorte toute la population à garder
le calme et sauvegarder, chacun en ce qui le
concerne, la paix et la tranquillité.
9) Le conseil a pris des dispositions fermes pour
que quiconque contreviendra à ces mesures soit
sévèrement sanctionné.
10) Le conseil a pris des dispositions nécessaires
pour assurer la protection des étrangers dans leur
personne et leurs biens.
11) Le conseil fait appel aux pays voisins et à tous
les partenaires du Burundi pour qu'ils aident notre
pays à surmonter cette grave crise.
12) Le conseil s'engage à gérer la crise avec le
concours de toutes les forces et bonnes volontés
soucieuses d'assurer
le devenir de
la nation
burundaise en son unité et son intégrité."
Par la suite, personne ne voudra assumer la responsabilité de
ce texte, très compromettant il est vrai, puisqu'il s'agit
d'un communiqué "classique" d'une junte militaire. D'après.
Ngeze, il a été rédigé par l'état-major de l'armée, alors que
ce dernier en attribue la paternité aux npoliticiens". Or
c'est bien lors de la rencontre entre le ncomitéU et les
quatre politiciens de l'UPRONA que ce texte a été rédigé.

101

c'est admis par un des participants à cette rencontre, J. B.
Manwangari, qui toutefois justifie la démarche en arguant
qu'il fallait éviter d'affoler la troupe et qu'afin de la
tranquilliser, non a voulu donner l'impression que le putsch a
réussi". Ce qui èst également établi, c'est que le texte a été
lu à la radio par le commandant aviateur sinarinzi, qui l'avait reçu du commandant Ntakiyica, libéré dans l'après-midi de
la prison de Muramvya oü il était détenu dans le cadre de
l'affaire du putsch du 2-3 juillet. Ntakiyica affirme avoir à
son tour reçu le texte avec ordre de diffuser du lieutenantcolonel Daradangwa, ce que toutefois ce dernier nie. Le refus
de tous les concernés d'assumer ce communiqué illustre bien
l'ambiguité de la démarche de ceux qui ont pris les choses en
main dans l'après-midi du 21 octobre.
De rencontre en :rencontre, le coup se traîne à travers la
journée du vendredi 22 octobre, tout en s'effritant progressivement. Alors que s'établit une sorte
gouvernement, dont de nombreux membres

de contact avec le
se sont réfugiés à

l'ambassade de France, les journées de vendredi et samedi vont
également voir se manifester un profond conflit entre les
putschistes, et l'armée plus généralement, et le gouvernement.
Ainsi, lorsque dans la matinée du vendredi, le lieutenantcolonel Daradangwa, qui tente d'assurer les liens avec
gouvernement, se rend à l'ambassade, le ministre de

le
la

Défense, le lieutenant-colonel Ntakije, lui intime de rester
avec le gouvernement. Daradangwa refuse d'obéir à
son
ministre: il estime l'ordre anti-déontologique et craint le
désordre qui résulterait d'une décapitation de l'armée. Le
conflit va se creuser davantage samedi lorsque Ntakije envoie
des notes aux officiers globalement, ainsi qul.aux lieutenantcolonels Bikomagu et Gakoryo séparément. Il demande aux
officiers de se désolidariser de "cette clique de hors-la-loi
qui ne vous ont recruté que pour crédibiliser leur axe VyandaBururi-Matana antidémocratique" et de se rendre dans des
ambassades occidentales. Il adresse des appels similaires à
Gakoryo
et
Bikomagu.
La
lettre
à
ce
dernier
est

102

particulièrement

sévère:

"Vous

avez

encore

une

chance

de

démontrer que vous n'avez pas joué un jeu double au profit
d'une bande mafia qui a des intérêts sectaires à défendre.
(...) L'action que vous menez actuellement vous déshonore
comme chef d'un Etat-major d'une armée où les caporaux nomment
leurs chefs". Manifestement, le ministre Ntakije considère à
ce moment le chef d'état-major comme un putschiste. D'autres
points de vue émanant de membres du gouvernement abondent dans
ce sens et aiguisent le conflit. Ainsi, ce même samedi, le
ministre Léonard Nyangoma diffuse par les ondes de Radio
Rwanda un message dans lequel il accuse nommément un nombre
d'officiers supérieurs de tremper dans le putsch, "de
connivence avec Ngeze François"; il cite également les civils
Kadege, Bararunyeretse 'et Mukasi, c'est-à-dire trois des
quatre membres du bureau exécutif de l'UPRONA ayant participé
à la rencontre du 21 octobre à l'état-major.

Ce n'est que le vendredi vers 17 heures qu'a lieu une rencontre entre Ngeze et le premier ministre Mme. Sylvie Kinigi.
Illustration du fait que Ngeze assume la présidence, c'est à
l'état-major qu'il "appelleu Mme. Kinigi, au lieu de lui
rendre visite. Les récits sur cette rencontre divergent. Ngeze
prétend que le premier ministre l'a félicité et encouragé de
continuer son action, version qu'il confirmera dans une lettre
adressée plus tard à Mme. Kinigi. Quant à elle, cette dernière
affirme qu'elle a refusé de traiter avec Ng'eze et qu'elle a
exigé qu'il remette le pouvoir au gouvernement. Quelques
heures après cette rencontre, à 20.30 heures, Ngeze passe à la
télévision, où il lit un "Message de Son Excellence Monsieur
François Ngeze, Président du Conseil National de Salut Public". Manifestement, le putsch n'est alors pas encore terminé. Insistant sur la "délicatesse de la si.t.uat.Lonv , Ngeze
constate

cependant

que

la

"crise

institutionnelle

grave"

constitue un "recul sur la voie de la démocratie". Il déclare
qu'''on a sollicité notre concours pour la sauvegarde des
intérêts supérieurs de la nation" et qu'il s'est engagé en
"MushingantaheJI (notable juste et intègre dans la tradition

103

burundaise),

soulignant

que son attitude

"n'a pas été dictée

par la soif du pouvoir". Il affirme que "notre objectif est
que le Burundi renoue le plus tôt possible avec les institutions démocratiques par la voie de la légalité constitutionnelle". Ce désir de remettre le pays sur les rails démocratiques
s'accorde évidemment mal tant avec la mention liS. E. Monsieur
Ngeze François" en bas de l'écran qu'avec l'absence du moindre
regret exprimé à propos de la mort du président Ndadaye.
plus, tout en soulignant que "nous n'allons pas tolérer

De
le

chaos et la division dans notre pays", Ngeze n'annonce rien de
concret quant à la remise du pouvoir aux autorités constitutionnelles.
5. L'effondrement

du putsch

C'est le samedi 23 octobre
l'issue d'un certain nombre

que le putsch va s'effondrer. A
de réunions au courant des jour-

nées de vendredi et de samedi, l'envergure
travers de grandes parties du pays devient

des violences à
manifeste, ainsi

que le rejet du nouveau régime tant par les portes-p~role des
partis politiques et de la société civile que par la communauté
unis,

internationale. En effet, dès le 22 octobre, les Etatsla France, l'Allemagne,
la Belgique et la Communauté

européenne annoncent la suspension de leur aide au Burundi,
tandis qu'on a vu que déjà dans l'après-midi du 21 les partis
d' opposi tion ont exigé le retour à la légalité consti tutionnellei cette revendication
est également exprimée par des
associations de la société civile dans la matinée du 22 et par
des représentants
des confessions
religieuses dans l'aprèsmidi du même vendredi. Quant à eux, les affrontements violents
à l'intérieur ont débuté dès l'après-midi du 21 octobre.
Le soir du samedi
lit un communiqué

23 octobre,

le lieutenant-colonel

Bikomagu

à la radio. Voici son contenu:

IIDans la nuit du 20 au 21 octobre 1993 une tentative
remettant en cause les institutions démocratiquement
élues a été perpétré
par quelques
éléments
des

104

Forces
Armées.
L'État-Major
Général
condamne
énergiquement cet acte ignoble, se désolidarise et
désavoue les commanditaires et auteurs de cette
tentative .
c'est pourquoi dès la première heure,
l'État-Major Général s'est investi à mettre en
oeuvre les mécanismes de rétablissement de la
légalité constitutionnelle.
A cet égard, il faut
que
dans
les plus
brefs
délais,
le pouvoir
démocratiquement élu soit rétabli pour la bonne
marche de la continuité de l'État et l'intérêt
supérieur de la Nation. Pour ce faire, l'État-Major
Général des Forces Armées demande:
1. Que le Gouvernement légal, les partis politiques
et toutes les forces vives de la Nation oeuvrent
pour le rétablissement de l'ordre et la paix.
2 . Fait appel aux pays voisins et à la communauté
internationale pour qu'ils aident le Burundi à
sortir de cette crise.
L'État-Major Général des
Forces Armées s'engage à collaborer pour la remise
en place des institutions démocratiques.1I

Même si, du moins en partie, il a été rédigé par les mêmes
personnes, ce communiqué est évidemment très différent de
celui diffusé l'avant-veille: "toutes les unités de l'armée et
de la gendarmeriell sont devenues "quelques éléments des forces
arméesll;
il n'est plus question du fantomatique IIConseil
national de salut publicll; et le retour à la légalité constitutionnelle est finalement annoncé.
Dans le courant de la même journée, les partis politiques, les
représentants des confessions religieuses, les deux ligues des
droits de l'homme, et diverses associations de la société
civile publient une déclaration conjointe condamnant le putsch
et exigeant le retour à la légalité constitutionnelle et la
remise en place des autorités nationales, provinciales et
locales. Dans des i~terviews Ngeze et Bikomagu confirment que
l'armée accepte le retour à la légalité constitutionnelle,
tout en indiquant que les putschistes réclament une amnistie.
Même si celle-ci n'a jamais été accordée, plusieurs conjurés
vont effectivement bénéficier d'une amnistie de fait. c'est
ainsi que dans le courant de la journée de samedi, Ningaba est
simplement déposé au camp bataillon para par Bikomagu; c'est
de là qu'il partira au Zaïre. De même , Kamana se promène

105

librement en ville

après l'effondrement du putsch avant de

quitter le pays, conduit semble-t-il par un chauffeur militaire. En réalité, d'après plusieurs officiers supérieurs on n'a
pas voulu arrêter les meneurs, parce-qu'on craignait la réaction de la troupe.
[suite: putsch

rampant]

106
CONCLUSION

Le récit présenté ici couvre un éventail extrêmement limité.
Non seulement la période étudiée est très brève, mais même à
l'intérieur de celle-ci seuls quelques aspects ont retenu mon
attention. D'autres mériteraient qu'on s'y intéresse. Ainsi,
les aspects militaires n'ont pas été étudiés. Et pourtant, il
serait intéressant d'établir de façon précise comment les
combats entre l'armée rwandaise et le F.P.R. 'se sont déroulés
à Kigali et ailleurs au Rwanda; l'historique de cette guerre
reste à écrire et j'espère que quelqu'un s'y attèlera. De
même, l'on sait trop peu sur les horribles crimes commis du
début avril à fin juin 1994: génocide, massacres politiques,
crimes contre l'humanité, crimes de guerre. Alors que, bien
qu'insuffisamment documentés, les crimes commis par l'ancien
régime sont

assez

bien

connus,

on

sera un

jour étonné de

l'envergure de ceux à mettre au compte du F.P.R.
Je n'ai pas

non plus étudié

ici le rôle de

la communauté

internationale. Or
celui-ci
a
été désastreux et
aura
discrédité l'o. N .U . pour longtemps dans la région des grands
lacs d'Afrique centrale. Le caractère inadapté du mandat de la
MINUAR, l'incapacité de l'ajuster lorsqu'il le fallait et
d'intervenir lorsqu'il n'était pas encore trop tard (tant
avant qu'après la soirée du 6 avril), ne sont que l'expression
de l'impuissance de la communauté internationale lorsqu'elle
est narguée par des forces somme toute insignifiantes. Il est
vrai que le rôle de l'O.N.U. comme "gardien de la paix" n'a
débuté qu'à la fin de la guerre froide, il Y a à peine cinq
ans. Il semble donc que nous apprenons à nos dépens
et
surtout à ceux des Rwandais, des Bosniaques et d'autres
Soudanais. Et que dire de deux membres de cette fantomatique
communauté internationale, la France et la Belgique? Ayant, à
part le bataillon belge de la MINUAR, des troupes d'élite sur
le terrain à partir du 9 avril pour les Français, à partir du
10 avril pour les Belges, leurs 1500 hommes auraient pu faire
la différence entre un dérappage et un génocide. Au lieu

107

d'intervenir

dans un

pays où

ils avaient,

l'un autant que

l'autre, des responsabilités historiques, ces deux "ami.a du
Rwanda Il évacuent les expatriés et quelques rares Rwandais,
retirent leurs troupes et ferment la porte sur un peuple qui
commet de suicide collectif. D'après les officier~ rwandais et
étrangers interrogés à ce sujet, une
contingents français et belge et de

action conjuguée des
la MINUAR aurait pu

ramener le calme et endiguer la fureur sanguinaire avant qu'il
ne soit trop tard.
Quiconque a été responsable de l'étincelle qui a allumé le
feu, l'attentat contre l'avion présidentiel, les événements
qui l'ont suivi, tant les massacres que les choix politiques,
se situent très nettement dans une ligne visible bien avant le
6-7 avril 1994. Les deux forces en conflit, l'ancien et le
nouveau régime rwandais, utilisent depuis 1990 la violence,
l'un pour conserver le pouvoir, l'autre pour le conquérir. De
la part de ceux dont on a surtout suivi le parcours ici, les
radicaux de l'ancien régime, le rejet de la démocratisation et
des accords de paix d'Arusha est visible depuis plusieurs
années. Sa stratégie de résistance a inclu la manipulation de
la violence, et les massacres qui débutent tôt le matin du 7
avril n'en sont que l'expression la plus extrême.
Il faut rappeler ici ce que d'autres et moi-même avons dit et
répété, mais ce que ceux, notamment dans presse et même dans
le monde académique, qui aiment les histoires simples refusent
de comprendre: les conflits et la violence au Rwanda (et au
Burundi) ont été essentiellement de nature politique, et non
de nature ethnique. si la bipolarité ethnique qui caractérise
ces deux pays se prête plus aisément qu'ailleurs à la.
manipulation de l'ethnicité, cela ne modifie
constat. contrairement à la façon dont les

en rien le
choses sont

présentées dans les médias, qui se replient immédiatement sur
le stéréotype confortable des uluttes interethniques", le
caractère politique de la violence est patent. Ce sont des
"opposants" hutu'et tutsi qui sont éliminés de façon sélective

108

et

massive:

politiciens

opposés

à

l'ancien

régime

et/ou

adhérant à l'accord de paix d'Arusha, personnes actives dans
les associations des Droits de la Personne, cadres de la
société civile, journalistes et plus généralement les Tutsi,
soupçonnés globalement de sympathies pour le F.P.R. En ce
sens, même les Tutsi n'ont pas été les victimes de violence
ethnique, mais ont fait les frais de leurs sympathies
politiques supposéesus• Les médias ont été tellement coincés
dans leur interprétation ethnique de la situation que l'agence
de presse Reuters par exemple a qualifié une des premières
victimes
prominentes,
le
Premier
Ministre
Agathe
uwilingiyimana, comme Tutsi, alors qu'elle était Hutu.
Ceux qui s'accrochent au pouvoir pratiquent la politique du
pire. En procédant comme ils le font, ils rendent impossible
toute solution négociée et respectueuse du partage du pouvoir
avec l'opposition démocratique et le F.P.R.: refus d'associer
le gouvernement civil à la gestion de la crisei assassinat de
ceux constitutionnellement indispensables pour assurer la
continuité et plus généralement de ceux, politiciens et cadres
de la société civile, occupant le milieu du terrain politiquei
installation par celui qui prend les choses en main, le
Colonel Bagosora, d'un gouvernement constitué de forces "Hutu
Power" et refus d'y associer les autres forces politiques et
le F.P.R.i mise à l'écart des forces respectueuses de la
constitutionnalité au sein de l'armée. Le putsch aurait réussi
si le F.P.R. n'avait pas par la suite remporté sa victoire
militaire, qui à son tour a créé une situation inextricable.
Politiquement le rôle de l'armée en tant que telle a été
négligeable. A partir de la matinée du 8 avril, lorsque le
Colonel Bagosora constate que le comité de crise n'est pas

118

Afin d'éviter tout malentendu, il faut préciser que
ce constat n'enlève rien à la qualification de "génocide" des crimes commis contre les Tutsi. Comme
prévu par la Convention sur le génocide, les Tutsi
ont en effet fait l'objet d'un projet de destruction
d'un groupe ethnique "comme tel".

109

disposé à suivre son agenda, ce dernier ne joue plus de rôle
véritable. Les négociations politiques se font au Ministère de
la Défense sous la houlette du colonel Bagosora; ensemble avec
les ailes "Hutu Power" des directions des partis politiques,
c'est lui qui assure la succession du Président de la
République et du gouvernement. Lors de la dernière réunion du
comité de crise dans la soirée du 8 avril, le Colonel Bagosora
informe ce dernier de la formation du gouvernement et invite
le nouveau premier Ministre à présenter son équipe. Le levier
de Bagosora aura été durant cette période le contrôle de
quelques unités-clé de l'armée (la Garde présidentielle et le
bataillon para-commando
est en contact sans

en particulier), avec lesquelles il
devoir passer par les structures

militaires ordinaires [élaborer dans le texte; y inclure ses
contacts avec d'autres, les milices en particulier].
Les analogies avec les événements qui se sont déroulés du 20
au 23 octobre 1993 à Bujumbura sont nombreuses et frappantes.
Au Burundi également, le coup d'Etat constitue une tentative
de reprise du pouvoir perdu à la faveur des élections de juin
1993. Comme à Kigali, on crée un vide institutionnel par
l'élimination de personnalités opérée la constitution en main.
Dans les deux cas, la structure "officielle" mise en place, le
"comité de crise" à Kigali et le "Conseil national de salut
public" à Bujumbura, ne joue pas de rôle véritable et est
court-circuité par des structures moins visibles, le Colonel
Bagosora et quelques dirigeants de partis au Rwanda et le
t1comitéde gestion de la crise" au Burundi. Dans les deux cas,
les
militaires
refusent
d'associer
les
institutions
constitutionnelles à la gestion de la crise: à Kigali, le
Premier Ministre est d'abord boudée et ensuite assassinée; à
Bujumbura, François Ngeze tlappelle" le Premier Ministre
presque trois jours après le début des événements. Enfin, dans
les deux cas on fait semblant de privilégier le retour à la
légalité constitutionnelle après quelques jours: le 9 avril,
les institutions "intérimaires" sont mises en place à Kigali
en application d'une disposition caduque de la constitution de

110

1991; le 23 octobre 1993, l'armée décrète la "remise en place
des institutions démocratiques" à Bujumbura, mais un coup
d'Etat rampant va effectivement mettre au placard tant la
constitution de 1992 que les résultats des élections de 1993.
Les analogies dans
les deux pays permettent également
d'insister une fois de plus sur les enjeux politiques de la
violence. Au Rwanda, des Hutu minoritaires dans une ethnie
majoritaire et au Burundi des Tutsi minoritaires dans une
ethnie minoritaire ont voulu sauvegarder (Rwanda) ou récupérer
(Burundi) le contrôle de
l'Etat, instrument primordial
d'accumulation de ressources et de reproduction d'une classe
sociale.
Cependant l'issue est très différente dans les deux pays, du
moins provisoirement. Au Rwanda, ceux qui ont choisi une voie
violente pour s'accrocher au pouvoir l'ont perdu en faveur du
F.P.R., aujourd'hui seul maître du pays. En revanche, les
putschistes burundais ont réussi à réaccaparer le pouvoir
perdu pendant quelques mois par la voie des urnes. Mais dans
les deux cas, cette issue n'est peut-être que provisoire et en
tout état de cause a laissé ces pays dans une instabilité
endémique. Le nouveau régime en place à Kigali est totalitaire
et violent et, faute de soutien politique, il sera confronté à
une tentative de retour en armes par ceux aujourd'hui en exil.
Quant à lui, le Burundi se trouve depuis fin. 1993 dans une
logique de guerre civile qui devient de plus en plus prononcée
et qui va en fin de parcours se développer pleinement, si on
ne lui substitue pas une solution négociée.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024